30.05.2025 à 20:07
Justice française : les parquets continuent de soutenir Alexis Kohler
Marc Endeweld
Texte intégral (3217 mots)

Après une première audience qui s’est tenue le 2 avril dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation examinait mercredi matin la demande de prescription déposée par les avocats d’Alexis Kohler dans le dossier MSC, dans lequel il est mis en examen pour prise illégale d’intérêt pour avoir participé entre 2009 et 2016, d’abord comme haut fonctionnaire puis comme collaborateur de cabinet de Pierre Moscovici et d’Emmanuel Macron, à plusieurs décisions relatives au numéro un mondial des armateurs, groupe tentaculaire dirigé par les cousins de sa mère, la famille Aponte.
À la bourse médiatique, il y a des dossiers qui font les gros titres, et d’autres qu’on préfère oublier opportunément. Manifestement, « l’affaire Kohler » est à classer dans ce dernier cas. Nouvel exemple cette semaine : si l’AFP a publié une dépêche relatant les débats entre avocats à la chambre criminelle de la Cour de cassation, bien peu de médias l’ont repris. Au niveau de la presse nationale, seul Le Figaro et le Bulletin Quotidien y ont consacré un article. Pas d’articles pour le moment dans Le Monde, Libération, Marianne, ou même Mediapart qui avait pourtant lancé l’affaire en 2018 en publiant de nombreux articles de la journaliste économique Martine Orange.
L’avocat général prend la défense de Kohler
On sait désormais que la justice rendra finalement sa décision le 10 septembre prochain. Comme je le relatais dans un précédent article, Alexis Kohler et ses défenseurs savent décidément jouer la montre. Mais lors des derniers débats à la chambre criminelle de la Cour de cassation, bien d’autres éléments auraient mérité un éclairage médiatique. En effet, une nouvelle fois, le parquet général a pris fait et cause pour Alexis Kohler… L’avocat général a d’abord ironisé sur le «pacte de silence» entre l’ancien secrétaire général de l’Élysée et ses collaborateurs directs de l'époque invoqué par les juges d'instruction et l'arrêt d'appel, une «notion juridique qui ne me paraît pas forcément bien répertoriée». Le magistrat du parquet a ensuite indiqué qu’il y avait peut-être eu « du silence » et de la « passivité » de M. Kohler, mais pas de volonté délibérée de dissimuler son lien familial avec les Aponte, propriétaires de MSC.
Au cœur du dossier figure l'éventuelle dissimulation de ces liens familiaux, ce qui rend l'infraction «occulte» jusqu'à sa révélation publique et permet de poursuivre l'intégralité des faits, comme le soutiennent les juges d'instruction et la cour d'appel. Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d’intérêt, et deux hauts fonctionnaires, Bruno Bézard et Jean-Dominique Comolli, pour complicité, arguent au contraire de la connaissance collective de ces liens et donc de la prescription des faits antérieurs à mars 2014. La cour d'appel de Paris leur avait donné tort en novembre alors que lors des débats le parquet s’était rangé en grande partie derrière les conclusions des avocats d’Alexis Kohler.
L’association Anticor est « la seule à soutenir l’accusation »
Mercredi matin, devant la plus haute juridiction judiciaire, Me Frédéric Rocheteau, avocat d’Anticor, a estimé que «des intérêts publics sont lésés» et s'est donc étonné que l'association anticorruption soit «la seule à soutenir l'accusation», quand le ministère public à tous les niveaux depuis 2018 a toujours défendu la prescription.
Le conseil de l’association a alors énuméré de nombreux épisodes, entre 2009 et 2016, où l’ancien secrétaire aurait pris part à des décisions relatives à MSC, caractérisant une situation «lourdement conflictuelle». «M. Kohler a exercé des fonctions qu'il n'aurait pas dû exercer, il n'a même pas songé à se déporter (...), et plus grave encore, il n'a même pas informé les organes où il siégeait», a asséné Me Rocheteau.
L'avocat a ensuite demandé à la Cour de cassation, juge de la régularité de l'application du droit mais non du fond, d'éviter toute «nouvelle appréciation» de la réalité de cette dissimulation et de constater que la cour d'appel a suffisamment et correctement motivé son arrêt. En cas de cassation, la période des faits reprochés à Alexis Kohler serait très nettement rabotée.
Et si la justice justifiait « à peu près tout » ?
En fin d’audience, les débats se sont tendus lorsque Me Claire Waquet, avocate au conseil d’Alexis Kohler, a dénoncé des propos « inadmissibles » de Me Rocheteau « salissant » son client, avant de lancer : « M. Kohler, sur ordre de sa hiérarchie, a préservé essentiellement les intérêts de l’État ».
De son côté, l’avocat général (encore lui) a estimé que si l’État n’a pas signalé à la justice ce lien familial, « c’est que son intérêt n’était pas de se priver de la manne financière que représentait » la commande de MSC auprès des chantiers navals de STX à Saint-Nazaire, alors en grande difficulté financière, ce qui inquiétait les pouvoirs publics. Face à ce qui s’apparente à des excuses, Me Rocheteau a préféré ironiser : « Ces commandes passées justifieraient-elles à peu près tout ? »
Décidément, justifier à peu près tout dès qu’il s’agit de l’ancien principal collaborateur d’Emmanuel Macron semble être devenu une habitude pour les magistrats des parquets. Il y a deux semaines, on apprenait ainsi que le parquet de Paris avait décidé de classer sans suite la non-comparution d’Alexis Kohler à la commission d’enquête sur le dérapage budgétaire.
Auto-immunité pour les collaborateurs du président
La commission des finances de l’Assemblée nationale avait en effet souhaité entendre Alexis Kohler dans le cadre de l’enquête sur le dérapage budgétaire en 2023 et en 2024. L’ancien secrétaire général de l’Elysée avait invoqué dans un premier temps des problèmes d’agenda, puis « le principe de séparation des pouvoirs ». Et le parquet lui a finalement donné raison ! « La combinaison » de différents articles de la Constitution « est analysée comme prévoyant que le Parlement contrôle le gouvernement, mais non l’exécutif dans son ensemble », selon le magistrat qui a classé sans suite le signalement.
Cela « empêche de considérer comme une infraction le fait de ne pas comparaître devant la commission d’enquête, pour le secrétaire général de la présidence convoqué en tant que tel et pour répondre sur des prérogatives du chef de l’Etat [en l’espèce, des décisions du président de la République ou la participation de ses services à des réunions dans le cadre de ses attributions] », insiste également le ministère public. Autant dire qu’avec cette décision, un haut fonctionnaire comme Alexis Kohler s’arroge presque l’immunité présidentielle1 au nom de la séparation des pouvoirs. L’ancien secrétaire général de l’Élysée et ses avocats ont donc inventé l’auto-immunité pour les collaborateurs de la présidence face aux parlementaires.
Une coutume dommageable en terme de contre-pouvoir. D’ailleurs, il a suffi de quelques semaines pour voir une nouvelle fois Alexis Kohler refuser de venir devant une commission d’enquête du Parlement, cette fois-ci au sujet du scandale des eaux Nestlé. Et une nouvelle fois, les parlementaires n’ont pu qu’exprimer leur surprise devant une telle morgue et un tel sentiment d’impunité comme on peut le voir sur cette vidéo :
Soupçons de trafic d’influence au sujet de la fusion avortée Fincantieri-STX
Enfin, n’oublions pas que sur le dossier MSC, si Alexis Kohler est mis en examen pour prise illégale d’intérêt, il reste aussi témoin assisté pour l’autre volet de l’instruction, qui porte sur des soupçons de trafic d’influence au sujet de la fusion avortée entre le groupe italien Fincantieri et les chantiers navals STX-Saint-Nazaire, un projet contre lequel le groupe MSC s’était mobilisé auprès des pouvoirs publics français entre 2015 et 2017, comme je le rappelais dans un entretien donné au Média :
Cette affaire Fincantieri semble aujourd’hui ressortir en Italie alors que les tensions se multiplient entre les gouvernements français et italiens, notamment sur l’avenir de STMicroelectronics comme je le soulignais le mois dernier. C’est ainsi que le quotidien milanais conservateur La Verità a rappelé récemment dans un article acerbe que le choix d’un patron français à la tête de STMicroelectronics avait fait l’objet de nombreuses tractations entre 2017 et 2018, des discussions liées au projet de fusion entre Fincantieri et les chantiers de l’Atlantique (appartenant alors au groupe coréen STX) : « Comment les Français nous ont trompé deux fois », titre La Verità.
« L’Italie a été dupée et Fincantieri floué »
L’article en question est particulièrement précis : « L’ancien secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, devenu ensuite cadre dirigeant de la Société Générale, et faisant l’objet d’une enquête sur ses fonctions publiques pour une affaire liée à l’armateur Aponte, a joué un rôle clé. Cette affaire était liée à une autre négociation franco-italienne : la tentative d’acquisition des chantiers de l’Atlantique par Ficantieri. Ce détail n’est pas anodin. Pendant que le feu vert était donné à Jean-Marc Chéry [pour devenir PDG de STMicroelectronics, ndlr], Guiseppe Bono [patron de Fincantieri, ndlr] menait sa bataille pour la construction navale française. Les deux dossiers ont été mis en balance entre Paris et Rome. La négociation, menée personnellement par le conseiller Pagani (…) a consacré l’échange : STMicroelectronics sous direction française et STX (les chantiers navals) aux Italiens. Le résultat ? À partir de la seconde moitié de 2018, le gouvernement français est revenu sur l’accord, puis avec le soutien de l’Autorité européenne de la concurrence (dont le chef de cabinet, comme par hasard, venait également de l’Élysée), a fait échouer l’opération en 2021. L’Italie a été dupée et Fincantieri floué ». On le voit, ce second volet de l’affaire Kohler, qui porte sur le lobbying de MSC auprès des pouvoirs publics français contre la fusion entre Fincantieri et les chantiers de Saint-Nazaire, a de multiples conséquences, y compris diplomatiques. Voilà peut-être pourquoi la justice française semble encore moins motivée à creuser de ce côté-là d’une affaire dont la presse se désintéresse.
D’ailleurs, pour élargir ce dossier aux multiples rebondissements, je vous conseille de (re)lire l’enquête publiée par Bloomberg dans son magazine hebdomadaire du 19 décembre 2022, et dont la couverture illustre mon article d’aujourd’hui, sur l’ampleur des trafics de drogue qui touchent les activités de MSC (il suffit de cliquer ici)
La révision constitutionnelle de 2007 a confirmé le principe de l'irresponsabilité du président de la République. Aucune action ne peut être engagée contre lui pour des actes accomplis en sa qualité de Président, même après la fin de son mandat. Cette immunité est valable à la fois dans les domaines pénal, civil et administratif. Elle vise à protéger la fonction présidentielle et non son titulaire.
17.05.2025 à 00:52
Qui veut gagner des millions grâce à France Télé ? Le classement exclusif des producteurs
Marc Endeweld
Texte intégral (6809 mots)
Quand j’avais écrit en 2010 France Télévisions off the record. Histoires secrètes d’une télé publique sous influences (Flammarion), je m’étais plongé dans les comptes du groupe audiovisuel. C’était quinze ans après « l’affaire des voleurs de patates », comme l’avaient surnommée les Guignols de l’Info sur Canal + (à l’époque, la chaîne cryptée était concurrente de France Télé sur la télévision par satellite), amenant à la démission du journaliste Jean-Pierre Elkabbach, deux ans après sa nomination en 1994 à la tête du groupe public par François Mitterrand et Édouard Balladur.
Dans le cadre de cette enquête en profondeur, j’avais récupéré l’ensemble des chiffres d’affaires des producteurs et fournisseurs de programmes pour la télé publique, au centime près, ainsi qu’une étude dévoilant leurs réelles marges (voir plus loin). Je m’étais alors aperçu qu’en réalité, l’âge d’or des fameux « animateurs producteurs » datait du mandat de Marc Tessier entre 1999 et 2005. Cet inspecteur des Finances et ancien directeur financier de Canal+ ne jurait que par « l’externalisation » des programmes auprès de producteurs extérieurs, version désindustrialisation et fabless (entreprise sans usines) dans la gestion de l’audiovisuel public.
856 millions d’euros d’achat de programmes à des producteurs et fournisseurs extérieurs
Depuis, les directions successives de France Télévisions ont essayé tant bien que mal de renégocier ces fameux contrats auprès des producteurs qui, en plus de détenir certaines des marques les plus emblématiques du service public (comme Fort Boyard ou Taratata), ont toujours su nouer de profondes relations avec les responsables politiques, et en particulier avec l’Élysée. Alors que Delphine Ernotte vient d’être reconduite par l’Arcom (ex CSA) pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions, qu’en est-il aujourd’hui, alors que le groupe public représente environ un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros, pour 2,4 milliards de subventions publiques ?
Selon des documents internes de France Télévisions que j’ai pu consulter, sur ces 3 milliards d’euros de budget, 943 millions étaient consacrés en 2023 à l’achat et au financement de programmes. Certes, ce gâteau est appétissant mais il pourrait bientôt s’effriter car après dix années d’équilibre, le budget 2025 du groupe public se retrouve en déficit de 72 millions d’euros : la faute à la suppression de la redevance publique en 2022 et à des crédits de « transformation » pour l’année 2024 non versés. En novembre 2024, les syndicats ont d’ailleurs déclenché leur droit d’alerte économique. Forcément, dans ce contexte, les couteaux sont tirés chez les producteurs.
Car sur cette somme, pas moins de 856 millions d’euros sont consacrés par France Télévisions à l’achat de programmes à des producteurs et fournisseurs extérieurs, tant pour ce qu’on appelle le « flux » (les émissions de plateaux, les talk shows, les jeux et divertissements), que pour le « stock » (fictions, documentaires, « créations »). Dans ce cadre, les petits producteurs, dits « indépendants » s’inquiètent de la concentration de plus en plus importante des cases de programmes aux mains de quelques gros producteurs qui appartiennent désormais à des groupes intégrés et internationaux. Autant dire que de l’artisanat des patates des années 1990, on est passé depuis une dizaine d’années à l’industrialisation de la production audiovisuelle, un phénomène qui s’est accéléré avec le boom des plateformes de contenus.
En 2023, France Télévisions achetait pour 109 millions d’euros de programmes à Mediawan
À ce jeu-là, un grand gagnant sort du lot côté France Télévisions. C’est Mediawan, avec 109 millions d’euros de chiffre d’affaires assuré par le groupe public en 2023, groupe qui avait récupéré trois ans plus tôt les activités de production audiovisuelle de Lagardère. Mediawan, c’est notamment le producteur d’émissions stratégiques, les fameux talk shows C à vous, C l’hebdo et C dans l’air, à la fois prisés des responsables politiques comme des éditeurs en recherche de visibilité maximale pour leurs livres. Mediawan pèse aujourd’hui 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires, investissant à tour de bras en Europe et aux États-Unis. Une vraie success story.
Créé il y a tout juste dix ans par le magnat des télécoms Xavier Niel, le banquier d’affaires Matthieu Pigasse et le producteur Pierre-Antoine Capton, ce groupe de production audiovisuelle est depuis 2020 contrôlé principalement par le fonds américain KKR (co fondé par Henry Kravis), qui laisse aux manettes la fine équipe, et en particulier Capton, un producteur qui s’est imposé en vingt ans à France Télé (au départ avec sa société Troisième Oeil Productions), après avoir fait ses premiers pas en télé auprès de Marc-Olivier Fogiel et avoir commencé son envol en produisant des programmes low cost pour la télé par satellite puis par la TNT.
À 50 ans tout juste, ce normand originaire de Trouville et fils de petits commerçants joue les Rastignac à Paris. Craint et courtisé, l’homme fascine par son entregent et multiplie les signes distinctifs de réussite : co-propriétaire du club de foot de Caen avec Kylian Mbappé, co-propriétaire de l’hôtel Flaubert à Trouville ou des restaurants Loulou, il a été décoré personnellement par Emmanuel Macron de la Légion d’Honneur en octobre 2023, une proximité présidentielle qu’il aime mettre en avant, comme sa relation avec Brad Pitt, dont la société de production est l’un des principaux partenaires du groupe français aux États-Unis. À Paris, Mediawan étale sa réussite en installant son quartier général et ses studios dans le très chic 7e arrondissement derrière les Invalides et l’école militaire. Plus exactement au 46, avenue de Breteuil, dans un superbe immeuble de 10 000 m2 datant des années 1930 qui n’est autre que l’ancien siège historique du groupe Michelin.
Les dix premiers producteurs de France Télé représentent 41 % des achats extérieurs
Dans son ascension, Capton n’a donc rien laissé au hasard ou presque. Une anecdote : il y a une douzaine d’années, peu de temps après la publication de France Télévisions off the record, cet ambitieux producteur m’invitait à déjeuner rue Oberkampf dans le 11e arrondissement, où étaient situés les studios de C à vous. C’était à la bonne franquette, tutoiement de rigueur, compliment sur ma bonne forme physique (« tu fais de la muscu ? »), et proposition de job pour rejoindre la rédaction de C à vous : « Tu ne veux pas passer de l’autre côté de la barrière ? », m’avait-il demandé. Après m’avoir présenté d’une manière impromptue au rédacteur en chef de l’émission, j’en étais resté là, un peu dubitatif, eux aussi. Quelques années plus tard, je l’ai toutefois interviewé avec le journaliste Arnaud Viviant pour le magazine Transfuge, l’ambiance était sympathique. Hasard ou pas, depuis 2017, l’homme semble me ghoster quand je le contacte, assurément bien occupé.
Forcément, cette montée en puissance suscite l’inquiétude des producteurs indépendants. À France Télévisions on réplique qu’entre 2019 et 2023, le nombre de contractants indépendants est passé de 647 à 683. Certes, mais dans le même temps la part de chiffre d’affaires des dix premiers fournisseurs de programmes (hors France TV Studio, la filiale de production du groupe public) est passée de 37 % à 41 % entre 2017 et 2023. France Télévisions est donc une sacrée bonne affaire pour la dernière success story de l’audiovisuel français : comme le dévoilait il y a un mois le journaliste Christophe Nobili dans Le Canard Enchaîné, 40 % des activités de production française de Mediawan sont réalisées sur les antennes de France Télé, son premier client, comme le notifiait un récent rapport de l’Arcom (Ex CSA).
Face à ce mastodonte de la production audiovisuelle à Paris, l’équipe Ernotte aime rappeler qu’elle a augmenté la part de production interne de la télévision publique, via sa filiale France TV studio qui produit depuis 2018 le feuilleton populaire Un si grand soleil. Et c’est vrai que France TV Studio a vu son activité considérablement augmenter passant de 40 millions d’euros en 2015, à 62 millions d’euros en 2019, puis à 90,5 millions d’euros en 2023.
Banijay de Stéphane Courbit récupère 87 millions d’euros
Reste que le second producteur privé qui vend des programmes à France Télévisions est un autre mastodonte du secteur : il s’agit de Banijay, avec 87 millions d’euros de chiffre d’affaires assuré en 2023 par le groupe public, qui lui achète notamment les émissions N’oubliez pas les paroles, Fort Boyard, Taratata, Les Enfants de la télé, La Carte aux trésors…
En seulement quelques années, Banijay a réussi le tour de force de devenir le premier producteur mondial de programmes de télévision, avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024. Fondé par Stéphane Courbit (principal actionnaire à 45,4 %), l’actionnariat de Banijay est particulièrement intéressant. Le groupe bénéficie notamment des participations de Vivendi (actionnaire à 19,2 %), groupe contrôlé par Vincent Bolloré, mais aussi du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière (via Fimalac qui a 7,4 % du capital), ou encore de la famille Arnault (via la financière Agache), ou le gestionnaire d’actifs Tikehau Capital. Enfin, les animateurs Nagui et Cyril Hanouna, dont les émissions sont produites par la société, sont également actionnaires.
Dans ce classement des plus gros producteurs privés de France Télévisions, vient ensuite en troisième position le groupe Newen, avec 34,3 millions d’euros de chiffre d’affaires avec des émissions sur la santé (Enquête de santé, Prenez soin de vous), de nombreuses fictions ou des documentaires produits par l’emblématique agence CAPA rachetée en 2010. Si Newen a connu une baisse drastique de son chiffre d’affaires ces dernières années avec France Télévisions, c’est que cette société de production a été rachetée dès 2015 par le groupe TF1, le concurrent direct de France Télévisions. Depuis mars 2025, Newen s’appelle d’ailleurs Studio TF1. C’est ce qui a poussé Delphine Ernotte en 2022 à ne pas renouveler le contrat de Plus belle la vie, pourtant feuilleton emblématique de France 3, lancé sur la chaîne publique par Rémy Pflimlin au début des années 2000, et qui assurait jusqu’alors à lui tout seul 30 millions d’euros de chiffre d’affaires à Newen (qui avait ainsi encore 75 millions d’euros de chiffre d’affaires avec le groupe public en 2019).
252,3 millions d’euros de programmes achetés à seulement quatre groupes
Le quatrième fournisseur extérieur de programmes de France Télévisions est la Warner Media avec 22 millions d’euros qui fournit films et dessins animées, mais produit aussi pour la télé publique l’émission de vente aux enchères Affaire Conclue. Il suffit donc de prendre sa calculette : les quatre plus gros producteurs extérieurs de France Télévisions représentaient 252,3 millions d’euros d’achat de programmes en 2023 pour le groupe, soit près de 30 % de ses achats extérieurs.
Ensuite, neuf fournisseurs réalisent des chiffre d’affaires entre 10 et 20 millions d’euros par an pour le groupe public : Effervescence (de la productrice Simone Harari), Elephant (d’Emmanuel Chain), JLA (Jean-Luc Azoulay), Morgane Production, Satisfaction (d’Arthur), Together (de Renaud Le Van Kim), qui produit les autres émissions de talk shows politiques, C ce soir et C politique, et ne cache pas lui aussi sa proximité avec Emmanuel Macron. Viennent ensuite BBC Worldwide, Federation Studios, et Gaumont Pathé.
Enfin, parmi les douze producteurs indépendants qui génèrent entre 5 et 10 millions d’euros, on trouve deux historiques de France Télévisions, Fabienne Servan Schreiber (avec Cinétévé) ou l’inoxydable Michel Drucker (avec DMD). Car comme cet illustre animateur de la télévision publique française, le gros souci des chaînes du groupe France Télévisions comme des autres chaînes de télévision, c’est d’être confronté à un grand vieillissement de leurs audiences…
Rajeunir les audiences des chaînes classiques de broadcast et continuer de développer la diffusion de programmes via la plateforme numérique de France Télé, ce n’est pas un mince défi à relever pour Delphine Ernotte pour son troisième mandat. À moins que la création d’une éventuelle holding France Médias chapeautant l’ensemble de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA) vienne chambouler ses projets.
À titre de comparaison, le classement 2012 des producteurs de flux de France Télévisions :
Je l’avais révélé dans une analyse publiée dans Le Monde : en octobre 2012, les sept principaux fournisseurs de France Télévisions dans le flux, selon une étude interne, étaient à l’époque le groupe Banijay de Stéphane Courbit, qui s’était associé trois ans plus tôt à Nagui ("Taratata" et "N'oubliez pas les paroles"), pour 24,8 millions d'euros ; le groupe Lagardère (notamment "C dans l'air", "C Politique", émissions produites par le journaliste Jérôme Bellay) pour 23,7 millions d'euros ; RTL Group ("Mots de passe", "Question pour un champion") pour 22,2 millions d'euros ; Effervescence productions de Simone Harari ("Tout le monde veut prendre sa place", "Slam") pour 20,1 millions d'euros ; Tout sur l'écran de Catherine Barma ("On n'est pas couché", "On n'demande qu'à en rire") pour 19,9 millions d'euros ; Réservoir Prod qui appartenait à Jean-Luc Delarue ("Toute une histoire") pour 16,5 millions d'euros ; DMD, la maison de production de Michel Drucker ("Vivement dimanche") pour 14,7 millions d’euros. À noter qu’à l’époque, que la filiale de production interne de France Télévisions, qui s’appelait alors MFP fournissait moins de 10 millions d’euros de programmes pour France Télévisions, et de son côté, Pierre-Antoine Capton, qui n’était pas encore allié à Xavier Niel, Matthieu Pigasse, ne réalisait qu’un peu moins de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires avec France Télévisions, via sa première société de production Troisième Oeil Productions. En treize ans, l’ambitieux a donc multiplié quasiment par dix son chiffre d’affaires avec France Télé !
À titre de comparaison, les chiffres des producteurs de France Télévisions au début des années 2000 (publiés dans mon livre de 2010) :

Autres ressources documentaires :
France Télévisions dans l'impasse, Marc Endeweld, Le Monde, 17 décembre 2012.
Les droits, le point faible de la télé publique, Marc Endeweld, Le Monde, 17 décembre 2012.
France Télévisions, plus de droits numériques, Marina Alcaraz, Les Echos, 11 janvier 2019.
Télévision publique, la mal-aimée du pouvoir, Le Monde Diplomatique, avril 2012.
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