17.09.2023 à 19:09
P4 de Wuhan : quand les « éléments de langage » français tombent à l’eau
Marc Endeweld
Texte intégral (7010 mots)
Le laboratoire haute sécurité de Wuhan dit « P4 » ou « BSL 4 » (biosafety level 4), construit avec l’aide de la France, est un dossier en train de devenir dans notre pays une véritable cold case, une affaire classée. Depuis bientôt quatre ans, aucun responsable politique ne s’est emparé du sujet, de la majorité aux partis d’opposition les plus contestataires. Au parlement, aucune commission d’enquête n’a été mise en place. Aucun responsable français ayant participé au programme d’échange technique et scientifique entre la Chine et la France, lancé après un accord d’État à État signé en 2004 sous l’impulsion de Jacques Chirac, n’a été interrogé.
Alors qu’aux États Unis, l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à Wuhan à l’origine de la pandémie de Covid 19 a suscité un vaste débat national, au vu des collaborations scientifiques entre les deux pays, en France, on attend que les scientifiques se prononcent définitivement sur cette hypothèse. En l’absence de réponse, pas question en France d’en faire un sujet de polémique médiatique (en dehors de quelques articles de presse, notamment dans Le Monde via le travail du journaliste Stéphane Foucart ou Le Point qui y a consacré plusieurs dossiers) ou de susciter un quelconque débat politique sur une éventuelle co-responsabilité du pays. À la télévision, seul Envoyé Spécial sur France 2 s’est emparé du sujet de l’origine de la Covid 19 en mars 2021, ou encore le journaliste politique Patrick Cohen dans l’émission C à vous sur France 5 en juin 2022 qui en a consacré sa chronique (mais en centrant son propos sur le scénario d’un virus qui serait issu de la recherche américaine, voire d’un laboratoire américain… scénario aujourd’hui principalement porté par la diplomatie chinoise).
« En France, il n’y a eu aucune enquête officielle sérieuse sur la question.»
Dans ce contexte, le livre du journaliste Jérémy André « Au nom de la Science » publié au printemps dernier (Albin Michel, 21,90 euros), est salutaire et courageux. Correspondant Asie de l’hebdomadaire Le Point, André expose à ses lecteurs une enquête minutieuse à partir de nombreux documents exclusifs. Et au terme de celle-ci, il ne peut que déplorer dans sa conclusion : « En France, il n’y a eu aucune enquête officielle sérieuse sur la question. Maintenant que la sidération provoquée par les premières années de la pandémie est passée, il serait temps que l’opinion et les parlementaires se réveillent et exigent de l’État des réponses à ces questions : pourquoi l’accord de coopération entre la France et la Chine de 2004 ne nous a pas permis de mieux gérer le Covid 19 ? L’institut Pasteur, Alain Mérieux ou l’exécutif français ont-ils pu être informés de ce qui s’est passé à Wuhan ? »
Comme je le soulignais dans mon livre L’Emprise (Seuil, janvier 2022, Points, juin 2023), dans lequel je consacrais un chapitre à la pandémie de Covid-19 (« Les mystères de Wuhan »), si l’hypothèse d’une fuite de laboratoire n’est toujours pas avérée sur un plan scientifique, l’absence de transparence de la Chine comme des autres États sur les laboratoires haute sécurité devrait au moins susciter des questions, tant dans les médias qu’au sein de la représentation nationale dans un pays démocratique comme la France.
Depuis trois ans, tout au long de ses articles d’enquête pour Le Point sur la pandémie de Covid 19 et sa gestion par l’État français, Jérémy André a patiemment produit ce travail journalistique de transparence. Son livre traite autant de la réaction de l’État français à la pandémie de Covid-19 que des questions relatives à l’origine du virus, qu’aux débats aux États-Unis. Une enquête tout azimut, sur plusieurs continents. Sur le volet français de l’affaire, c’est grâce à Jérémy André qu’on a appris que début janvier 2020, Jérôme Salomon, directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, alertait par SMS sa ministre sur la présence d’un laboratoire P4 à Wuhan alors que les premiers signes d’un début d’épidémie dans la mégalopole chinoise se multipliaient.
« Mardi 7 janvier, à 18h08, Agnès Buzyn envoie un court SMS à Jérôme Salomon, le directeur général de la santé :
- Des nouvelles de l’épidémie chinoise ? demande-t-elle.
- Élément troublant, Wuhan abrite le P4, précise Salomon.
- Le P4 n’est a priori pas fonctionnel, répond la ministre.
- A priori, lâche le DGS, mystérieux.»
« Le but est de dire que c’est un labo chinois géré par les Chinois »
C’est ainsi que quelques jours plus tard, la ministre de la santé envoie à ses « chefs » directs, Édouard Philippe et Emmanuel Macron, deux SMS quasi identiques dans lesquels elle « suspecte le labo P4 de manipuler le virus », comme le dévoile Jérémy André dans « Au nom de la science ». La ministre demande immédiatement à ses collaborateurs de vérifier auprès du SGDSN (Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale). Rapidement, des « éléments de langage » sont également commandés par le cabinet de la ministre de la Santé qui se demande comment gérer les premiers articles de presse à propos de la présence d’un laboratoire haute sécurité à Wuhan : « Le sujet P4 monte, je veux bien une première trame dès que possible », écrit dans un mail le conseiller crise de la ministre au SGDSN. Jérémy André dévoile alors la réponse du SGDSN sous la forme d’une note confidentielle transmise au cabinet de la ministre :
« En 2017, les autorités chinoises ont informé la France de leur décision d’accréditation de ce laboratoire pour manipulation effective de pathogènes de classe 4 limités à Ebola, Nipah et au virus de la fièvre hémorragique de Crimée Congo.
Sur la période considérée, aucune information ou indication d’activité ne permet d’envisager la présence de pathogènes autres que ceux pour lesquels le laboratoire est accrédité ».
En guise de commentaire sur cette note confidentielle, Jérémy André cite anonymement dans son livre un conseiller à la Direction Générale de la Santé : « le but est de dire que c’est un labo chinois géré par les Chinois ». Cette citation permet manifestement au journaliste d’ironiser sur la situation.
Préparer des « EDL sur le P4 de Wuhan »
Car cette note va très vite servir de base pour les différentes sources officielles de l’État français, leur permettant ainsi de multiplier les « off » auprès des journalistes qui commencent à poser des questions sur le dossier P4 Wuhan en ce début de pandémie, alors que les réseaux sociaux bruissent de rumeurs. Très vite après cette demande auprès du SGDSN, la ministre avait ainsi demandé à son directeur de cabinet de préparer des « EDL sur le P4 de Wuhan », comme on l’apprenait déjà dans un long article du Point en juillet 2022. Par « EDL », comprendre les fameux « éléments de langage » à utiliser auprès de la presse ou tout autre interlocuteur.
Dès le 30 janvier 2020, dans une interview sur le site internet de Marianne, le journaliste Antoine Izambard, du magazine Challenges, qui avait écrit quelques mois plus tôt un livre sur les relations entre la France et la Chine (Il avait consacré un chapitre entier au P4 de Wuhan et s’était rendu sur place pour visiter le laboratoire en 2019), explique ainsi : « Le P4 a été par ailleurs accrédité par les autorités chinoises pour effectuer des recherches sur les virus Ebola, la fièvre hémorragique de Congo-Crimée (CCHF) et le Nipah (NiV) mais toujours pas pour le SRAS ou les coronavirus. »
Alors que les utilisateurs des réseaux sociaux commençaient à faire « monter » dès janvier 2020 la thématique du laboratoire haute sécurité P4 à Wuhan, il s’agissait donc d’assurer qu’il ne pouvait y avoir de liens entre la pandémie de Covid 19, une maladie liée à un coronavirus, et les éventuelles activités au sein du P4 de Wuhan, en partie construit avec l’aide de la France, rappelons-le.
Réunions de l’OMS à huis clos à Genève en janvier 2020
De mon côté, ce n’est pas après coup que j’ai pris connaissance de cette interview d’Antoine Izambard dans Marianne. Dès janvier 2020, je l’ai lue attentivement car, comme je l’explique dans L’Emprise, j’étais informé au même moment par une très bonne source de l’état des discussions au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’émergence de ce coronavirus à Wuhan, alors que des réunions de crise avaient été convoquées en urgence au siège de l’organisation à Genève.
Ces discussions se tiennent à huis clos au comité d’urgence de l’OMS, et elles sont alarmantes : ma source m’explique que la situation est en réalité « très grave », « hors de contrôle » même, que le virus se transmet principalement par « aérosolisation » (par l’air donc), et que sa séquence génétique est considérée comme « suspecte » au sein de ces réunions de l’OMS. Les scientifiques qui participent alors à ce comité d’urgence craignent un « gros risque de mutation du virus » en l’absence de vaccin et l’« aggravation de sa viralité », et prédisent déjà une « récurrence constante l’année prochaine ». Dans un échange de SMS datant du 10 février 2020 que j’ai pu consulter des mois après, entre une de mes sources et une responsable haut placée dans la structure sanitaire mondiale qui participait à ces réunions, les éléments sont même plus précis : « la source labo (manipulation) se confirme elle me dit ».
Le jour suivant, le 11 février, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, tente d’ailleurs d’alerter l’opinion publique mondiale en qualifiant l’épidémie de « très grave menace » pour le monde, en préambule d’une conférence de presse qui passe inaperçue dans les médias français, bientôt focalisés sur l’« affaire » des sextapes de Benjamin Griveaux.
Justement, à la fin février 2020, n’étant pas un spécialiste de ces sujets et étant incapable de vérifier ces éléments immédiatement, je me contente de relayer sur twitter, onze jours plus tard, une nouvelle conférence de presse du patron de l’OMS dans laquelle ce dernier explique que « le virus est aéroporté » (ce que les autorités sanitaires françaises et les responsables politiques nient alors au grand public) et qu’il a « plus de puissance, de virulence » qu’Ebola, bien que les deux virus sont très différents (le second étant plus létal) : « Nous le prenons plus au sérieux », souligne ainsi le patron de l’OMS. Une alerte significative mais, à l’époque, certains médecins « experts » des plateaux de télé continuent de présenter ce virus comme une grippe un peu rude…
On l’a oublié, mais le sentiment alors dominant en coulisses est qu’il ne faut surtout pas provoquer de panique parmi la population. Et puis, les médias restent focalisés sur l’affaire Griveaux. Résultat, quelques jours plus tard sur Facebook, alors que j’ai écrit un statut pour expliquer que ce nouveau coronavirus se transmet par l’air, certains de mes contacts ironisent sur le « sensationnalisme » de ma modeste alerte.
Du Washington Post à Rupert Murdoch
En Chine, Wuhan est la Mecque de la recherche virologique. En plus de l’Institut de virologie, sont installés dans cette mégalopole de 11 millions d’habitants une grande université, un institut de technologie, l’université agricole de Huazhong ou encore le Centre de contrôle des maladies de la province du Hubei. Toutes ces institutions disposent de laboratoires de type BSL-2 ou BSL-3, des niveaux de sécurité inférieurs au BSL-4. Les services de renseignement du monde entier se sont pourtant focalisés sur le laboratoire BSL-4, livré par la France, car cette technologie est duale, c’est-à-dire utilisable pour des activités à la fois civiles et militaires.
Dans la presse mondiale, il faudra attendre le printemps 2020 et deux grands articles du Washington Post pour que le sujet des laboratoires de Wuhan commencent à être sérieusement évoqué. Le premier, publié dès le 4 avril, est celui de David Ignatius, qui envisage l’hypothèse d’une fuite de laboratoire. Le second, écrit par le journaliste Josh Rogin, révèle le 14 avril deux câbles diplomatiques (des messages transmis par l’ambassade américaine de Pékin) faisant état des doutes de diplomates américains quant aux conditions de sécurité des expériences menées à l’Institut de virologie de Wuhan qu’ils avaient pu visiter en janvier 2018. Dès le lendemain, lors d’une conférence de presse, le président Donald Trump annonce que les États-Unis mènent une enquête sur le laboratoire. Dans les jours qui suivent, la polémique enfle au niveau international. Le 16 avril, dans une interview au Financial Times, Emmanuel Macron évoque à demi-mot le sujet : « il y a clairement des choses qui se sont passées que nous ne savons pas ».
À la même époque, cela a été peu relevé en France, mais l’Australie, par l’intermédiaire de son Premier ministre Scott Morrison, réclame également une enquête indépendante sur ce qu’il s’est passé en Chine et sur l’origine du virus. Au niveau de la presse mondiale, c’est d’ailleurs les journaux appartenant à Rupert Murdoch, le magnat australien, qui ont été les premiers à relayer avec force l’hypothèse d’une fuite du virus et qui ont mené des grandes enquêtes sur les laboratoires de Wuhan (notamment The Wall Street Journal, The New York Post, The Times), alors qu’à l’inverse des institutions de presse comme The New York Times ou The Guardian ont toujours été prudentes vis-à-vis d’une telle hypothèse, privilégiant le scénario d’une émergence via une zoonose.
Il n’existe pas de réglementation internationale sur les P4
En France, la presse, du Figaro à Radio France, commence à publier une série d’articles sur le fameux laboratoire P4 de Wuhan à partir de la fin avril 2020. Dans ces articles, il est souvent rappelé que les coronavirus ne sont généralement pas étudiés dans ce type de laboratoires de très haute sécurité. Mais comme je l’avais rappelé dans L’Emprise, il n’existe pas, en réalité, de réglementation internationale à ce sujet comme me l’avait expliqué une experte de l’OMS. « En général, un pathogène est supposé n’être manipulé que dans la classe de laboratoires correspondante mais il n’y a pas de réglementation internationale, et même au sein de chaque pays la règle peut varier », écrit aujourd’hui avec justesse Jérémy André. Autre élément de langage largement relayé au printemps 2020 : ces laboratoires P4 sont infaillibles, un accident d’exploitation ne peut survenir. Or, lorsque j’avais enquêté pour L’Emprise, j’avais découvert au contraire que la technologie du confinement (issue des recherches dans le nucléaire tant en France qu’aux États-Unis), n’avait jamais été infaillible et que nombreux incidents étaient survenus par le passé.
Enfin, tous ces articles publiés alors dans la presse française au printemps 2020 soulignent aussi l’inexistence depuis plusieurs années de collaboration active entre l’Institut de virologie de Wuhan et les différentes institutions françaises. Il est expliqué que les responsables chinois n’auraient pas joué le jeu de la coopération pourtant prévue initialement, et que les scientifiques français auraient été peu à peu mis à l’écart. Dans un long article du Point, dans lequel interviennent publiquement différents responsables politiques français, notamment les anciens Premiers ministres Jean-Pierre Raffarin et Bernard Cazeneuve, l’histoire racontée est quelque peu différente : la responsabilité de la faible coopération n’est plus mise sur le dos des Chinois, mais sur celui des hauts fonctionnaires de la défense en France, qui se sont toujours opposés à l’ouverture d’un laboratoire P4 en Chine, craignant notamment le détournement de cette technologie à des fins militaires.
Le 7 mai 2020, la Chine réagit aux accusations et rappelle notamment que « le labo P4 de Wuhan est [le fruit d’] une collaboration entre les gouvernements chinois et français ». Deux jours plus tard, le 9 mai, une dépêche AFP confirme, en forme de réponse, que le laboratoire P4 de Wuhan « mène des recherches avec des scientifiques français », mais que « cette collaboration, entamée en 2017, est encore balbutiante ». Dans cet article, on apprend qu’il existe « un grand programme » en cours entre la France et le laboratoire P4 de Wuhan sur le virus Nipah, un pathogène très dangereux découvert en Asie du Sud-Est. On le voit, côté français, les éléments de langage se multiplient en ce printemps 2020, et se contredisent parfois, entre « collaboration balbutiante » et « grand programme ».
L’institut Pasteur a signé un accord de collaboration avec le P4 de Wuhan
Or, comme je l’ai découvert en enquêtant pour mon livre L’Emprise, les liens entre la communauté scientifique française et l’Institut de virologie de Wuhan sont loin d’être coupés lorsque survient la pandémie de Covid-19. Et à travers son livre « Au nom de la science », Jérémy André apporte de nouveaux et nombreux détails confirmant mes informations. Dans un chapitre intitulé « Que cache Paris ? », il dévoile ainsi que Christian Bréchot, directeur du réseau Pasteur, a lui-même signé un accord en 2016 avec l’académie des Sciences chinoises selon lequel Pasteur Shanghai et l’Institut de virologie de Wuhan étaient censés établir un « laboratoire de recherche commun ». Fin 2017, le projet a commencé à se matérialiser avec la signature d’un nouvel accord, le « G4 », groupe de recherche de quatre ans, basé à l’Institut Pasteur Shanghai (IPS), et unissant le P4 de Wuhan, l’Académie des sciences chinoise, l’Institut Pasteur et la fondation Mérieux, doté de 150 000 euros annuels.
À l’été 2018, Frédérique Vidal, alors ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur est en visite en Chine accompagnée d’Yves Lévy, patron de l’Inserm et alors président du comité de pilotage des accords entre la Chine et la France de 2004 (il est par ailleurs le mari d’Agnès Buzyn). Vidal et Lévy tombent de leur chaise, selon le récit qu’en fait Jérémy André, quand ils apprennent que l’institut Pasteur (via son laboratoire de Shanghai) a signé un accord de collaboration avec le P4 de Wuhan en lisant cette note confidentielle préparée par l’ambassade française :
« L’accord G4 signé en avril 2018 par la Fondation Mérieux, l’Institut Pasteur Paris, l’Académie des sciences de Chine et l’institut Pasteur de Shanghai a été monté dans l’esprit d’être rapidement opérationnel : équipes de chercheurs identifiées, avec des moyens financiers confirmés et un plan de mise en oeuvre sur cinq ans. Il intègre largement la finalité sociale et sociétale de la lutte contre les MIE [maladies infectieuses émergentes] et pourrait constituer une bonne base pour initier rapidement des projets dans le P4 de Wuhan et y assurer une présence française dans le cadre de son utilisation ».
La délégation française en Chine apprend alors que des recrutements ont déjà été opérés ou sont en cours. Cette collaboration a pourtant toujours été niée par l’institut Pasteur à Paris : « Interrogée par mail sur le fait que sa page de lutte contre la désinformation nie toute coopération avec les laboratoires de Wuhan, la communication de Pasteur n’a pas répondu à nos questions », précise Jérémy André. Face à la presse, l'institut Pasteur, qui, au cours de la pandémie, a très peu communiqué contrairement à l’institut allemand Robert-Koch, a semble-t-il choisi l’opacité et la rétention d’informations. Ainsi, lors de mon enquête, un scientifique de Pasteur, que j’avais interrogé en « off », m’avait assuré que la direction de la communication de son institution lui avait demandé au printemps 2020 de ne pas évoquer l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à Wuhan dans ses déclarations publiques. En mars 2023, Pasteur a en tout cas décidé de se retirer de son antenne chinoise à Shanghai.
Désaccords entre Lévy et Gourdault-Montagne sur l’accréditation du P4
Ces incohérences de Pasteur ne sont pas les seules « bombinettes » que dévoile Jéremy André dans son livre. Au journaliste du Point, Yves Lévy assure ainsi s’être opposé avant 2018 à l’accréditation du laboratoire P4 par la France, une accréditation pourtant promise en plus haut lieu au début du quinquennat d’Emmanuel Macron : « La responsabilité de l’accréditation et de la qualité, c’est de la responsabilité des Chinois. Depuis le début, je suis en opposition avec cette décision, témoigne Yves Lévy, qui a été prise au ministère des Affaires Étrangères en présence de Mérieux par Maurice Gourdault-Montagne, alors secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, et qui a été de promettre que la France devait assurer la partie technique. Nous ne pouvons pas assurer la partie technique. » Pourtant, à travers un avenant à l’accord de 2004 obtenu par les Chinois et signé quatre plus tard, il était bien écrit « noir sur blanc que la France fournirait une “assistance technique” pour la “conformité aux normes” », comme le souligne Jérémy André. Rappelons au passage que Maurice Gourdault-Montagne était ambassadeur à Pékin entre 2014 et 2017, et a été nommé secrétaire général du Quai d’Orsay entre 2017 et 2019, par Emmanuel Macron en personne et contre l’avis du cabinet de Jean-Yves le Drian au ministère des Affaires étrangères.
Ce désaccord entre Lévy et Gourdault-Montagne est illustré par une note blanche datant 18 juillet 2018 produite par les services de l’Inserm, dans laquelle est souligné que « la notion de la responsabilité de la France en cas de problème survenant au cours de l’exploitation du P4 de Wuhan semble mal encadrée ». Surtout, dans ce document dévoilé dans le livre de Jérémy André, il est mentionné que l’Inserm avait été averti par la Chine que le laboratoire P4 de Wuhan était alors en phase de test avec des pathogènes de classe 3 comme des coronavirus : « Nous avions d’ailleurs été informés par la partie chinoise que la prise en main du laboratoire devait être réalisée avec l’usage de pathogènes de groupe de risque 3 pendant un an ». Cette note blanche se fait aussi l’écho d’alertes sur la sécurité du laboratoire P4 émises par des sources françaises. Mais comme le souligne Jérémy André, Yves Lévy n’aura pas le temps de faire valoir son point de vue au sein de l’État, car à l’été 2018, le patron de l’Inserm, après quatre ans de service, doit renoncer à un second mandat.
Des pathogènes de classe 3 utilisés dans le P4 de Wuhan
En tout cas, avec cette note blanche de l’Inserm qui dévoile que l’Institut de virologie de Wuhan a bien utilisé dans son laboratoire P4 des pathogènes de classe 3, comme les coronavirus, au moins jusqu’en 2019, c’est tous les éléments de langage français initiaux qui tombent à l’eau. Dès février 2017, un article publié dans la revue Nature évoquait les futures recherches au sein du laboratoire P4 de Wuhan, et notamment celles portant sur le virus de la fièvre hémorragique Crimée Congo présenté alors comme un pathogène de classe 3.
Alors que l’hypothèse d’une fuite de laboratoire est aujourd’hui toujours mise sur la table par l’OMS comme celle d’un scénario zoonose au sujet de la recherche de l’origine du Sars Cov 2, il serait ainsi nécessaire de se distancier des éléments de langage et de considérer toutes les pistes possibles, indépendamment des éventuelles conséquences politiques et diplomatiques. Dans une récente interview au Financial Times, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dit souhaiter qu’une nouvelle mission d’enquête soit envoyée en Chine avec un « accès total ».
Comme le conclut Jérémy André dans son livre : « La France elle-même a ses secrets. Elle craignait depuis des années un accident de laboratoire à Wuhan. Elle s’est abritée quand la pandémie a éclaté derrière des éléments de langage : le P4 ne travaillerait pas sur les coronavirus ; il n’y avait plus de coopération ; c’était une affaire chinoise. Mais faute d’enquête ouverte, rien n’exclut en réalité que le P4 ou la France aient été impliqués dans des recherches qui auraient provoqué un accident ». Parmi les multiples secrets de la France : comment, et surtout à partir de quand, l’État français a-t-il été tenu au courant de ce qui se passait à Wuhan ? Comme je l’expose avec de nombreux détails dans L’Emprise, manifestement bien plus tôt que l’histoire racontée jusqu’à présent à partir du storytelling de certains officiels.
12.09.2023 à 00:24
Retour sur un scoop : quand Valls a voulu démissionner de Matignon...
Marc Endeweld
Texte intégral (6058 mots)
Il y a quelques jours, j’ai rencontré un jeune journaliste politique qui m’avait proposé de prendre un café pour parler du métier. Ce dernier connaissait mon travail d’enquête, et il était curieux de connaître certaines de mes ficelles pour dénicher des infos : « Mais comment arrives-tu à te glisser au coeur du réacteur sans être physiquement présent ? » me demande-t-il en substance.
Parmi les conseils que je lui donne alors : il n’y a rien de mieux que d’élargir au maximum ses sources pour récupérer des scoops. Bref, il s’agit de ne pas en rester au off des entourages politiques qui ont souvent plus intérêt à « ambiancer » les journalistes, et à leur transmettre les fameux « éléments de langage ».
Quand la petite histoire politique se fait, ces entourages ont en fait une peur panique que les journalistes découvrent la réalité des coulisses, la véracité des rapports de force. Pas question pour eux que leur ministre ou leur élu puisse apparaître en mauvaise posture. Pas question que leurs manigances, leurs tactiques, soient dévoilées avant d’être éprouvées, et surtout avant qu’elles puissent être « vendues » aux Français par des stratégies de com’ et d’image. En politique, il est toujours dangereux de trop en dire. Et souvent, les meilleurs réussissent à taire leurs ambitions.
Mais que signifie élargir au maximum ses sources ? Notamment pour un journaliste politique ou un journaliste tout court ? Il s’agit avant tout de ne pas privilégier un entre soi, et de considérer qu’aucune source n’est mauvaise en soi. Même en couvrant la politique, et peut-être surtout quand vous êtes chargé de la suivre, je conseille ainsi de rester en contact constant avec des chefs d’entreprise, des relais d’opinion associatifs, des capteurs locaux dans les circonscriptions loin de Paris, des simples citoyens intéressés par la politique et qui peuvent échanger avec leurs élus, mais également Français expatriés, soutiens financiers d’éventuels candidats, policiers, magistrats, analystes financiers ou artistes… Car toute ambition présidentielle ne naît jamais de nulle part. Chaque responsable politique a son terreau de départ, c’est au journaliste de le découvrir, d’en comprendre son histoire. Et ce souci d’un carnet d’adresses (et de sources) diversifié est le meilleur moyen d’échapper au phénomène de la « bulle médiatique » qui a souvent trop tendance à s’auto-intoxiquer en meute.
« Je ne me vois pas à 60 ans faire de la politique »
Entre 2014 et 2015, quand j’avais enquêté sur Emmanuel Macron, nommé tout juste ministre de l’Économie, pour Marianne puis pour mon livre L’Ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015, Points Seuil, 2018), j’avais élargi au maximum mes sources : j’avais ainsi exhumé une partie de son réseau d’affaires (à travers une centaine d’entretiens on et off), notamment à la banque Rothschild, sur la place de Paris, à l’Inspection Générale des Finances… J’avais également rencontré l’un de ses premiers mentors, Henry Hermand, l’industriel des centres commerciaux, et l’ami (et soutien financier) de Michel Rocard…
Et c’est en parlant avec l’ensemble de ces contacts, pourtant fort éloignés en apparence de la bulle politique, que j’avais compris qu’Emmanuel Macron était en train de se préparer à la présidentielle de 2017. Quand je l’avais interviewé à l’été 2015 dans le cadre de ce livre, il m’avait d’ailleurs donné un indice, une manière subtile de confirmer mon enquête : « Il faut se donner une durée : pas plus de dix ou quinze ans en politique. Je ne me vois pas à 60 ans faire de la politique. Il ne faut pas essayer de durer, mais de faire ». À l’époque, à ses communicants control freaks issus d’Havas (notamment le fameux Ismaël Emelien), j’avais accordé poliment un droit de lecture des citations (et non une réécriture, qui signifie souvent un off imposé après coup, et j’avais été très clair à ce sujet, relecture ne signifie pas réécriture…).
Or, malgré mes conditions très strictes, ces communicants avaient osé me demander d’enlever cette fameuse citation, trop révélatrice à leur goût de la suite des événements (d’autant plus qu’ils avaient compris que j’avais compris que leur champion Macron allait bien faire le grand saut de la présidentielle, dès 2017). J’avais bien évidemment refusé de supprimer cette citation de mon ouvrage (citation qui confirmait la conclusion de mon enquête !) malgré les cris d'orfraie de mes interlocuteurs : « Ce n’était pas le deal ! » Si, si, quand on accorde une interview, bien évidemment que c’est au journaliste de conserver le final cut des citations. Sinon, autant passer à l’IA.
Pour revenir au sources : en réalité, l’intérêt, la fiabilité et la crédibilité d’une source se teste sur le temps, au gré des informations qu’elle transmet. Pour un journaliste, il n’y a rien de pire que l’expression « les milieux autorisés me disent que… » Autorisés par qui et pour quoi ? Si, par cette expression, il s’agit de nommer pudiquement au public les fameux conseillers communication… c’est réduire particulièrement la fonction du journalisme au rôle de porte-voix. Or, enquêter, « construire » une information, en la dégotant puis en la vérifiant, sans forcément être « autorisé » par les communicants, est normalement la base du métier.
Quand j’apprends que Valls prépare sa sortie et va démissionner
Ces réflexions au sujet des sources me font penser à un autre épisode intéressant, et pour le moins méconnu, encore aujourd’hui. Fin 2016, le 27 novembre exactement, Manuel Valls accorda une interview assez franche au JDD dans laquelle il semblait annoncer une prise de distance à l’égard de François Hollande, son patron : « La loyauté n'exclut pas la franchise », balançait-il alors. Commentaire à l’époque du Journal du Dimanche : « Face au "doute" et au "désarroi" qui minent la majorité, le Premier ministre Manuel Valls accentue la pression sur François Hollande. Il n'exclut plus désormais d'être candidat contre lui à la primaire de la gauche.»
Or, au cours de ce week-end, j’apprends via une source dans le milieu de l’audiovisuel que Manuel Valls est clairement en train de préparer sa sortie, et qu’il a même décidé de démissionner le lundi qui suit. Pourquoi l’audiovisuel ? Tout simplement parce qu’à l’époque une pièce centrale de la future campagne travaillait pour la RTBF, la Radio Télé belge francophone, et que j’apprends par ma source initiale, que ce cadre a été démarché très explicitement par l’entourage de Manuel Valls pour rejoindre sa future campagne. Ces précisions, et la qualité de la source initiale que j’avais eu l’occasion de « tester » les mois précédents, m’amenait à penser que ces éléments étaient particulièrement « bétons ».
Le jour dit, pourtant, après la visite de Manuel Valls à l’Élysée, rien ne se passe comme prévu. J’essaye d’en savoir plus auprès d’autres sources, pour le coup, au coeur de la machine du PS de l’époque. J’arrive à me faire confirmer par deux contacts, notamment un hiérarque du PS, que Manuel Valls est bien venu voir François Hollande pour lui annoncer sa démission surprise, mais que rien ne s’est passé comme prévu. Comment le président a-t-il réussi à bloquer la démission de son Premier ministre ?
À l’époque, j’en parle rapidement à la direction de Marianne, mais les premières réactions sont prudentes, voire timorées : cette histoire de démission avortée leur apparaît farfelue. J’explique alors aux intéressés que j’ai pourtant déjà recoupé (c’est-à-dire vérifier auprès d’autres sources non liées entre elles) une bonne partie des mes informations, et que malgré l’aspect invraisemblable d’un tel projet de démission du Premier ministre, c’est bien ce qui était alors mis sur la table au plus haut niveau de l’État. À Marianne, comme souvent, c’est Soazig Quéméner, la rédactrice en cheffe alors chargée de la politique (elle vient d’arriver dans l’équipe de La Tribune Dimanche), qui me pousse à creuser ma piste. Elle, est enthousiaste. Elle sait que j’ai eu souvent par le passé une capacité à sortir des infos (il faut dire c’était tout juste un an après la sortie de mon livre, le premier, sur Emmanuel Macron).
Le temps presse, et je propose alors à Soazig de m’aider à travailler sur un projet d’article écrit à quatre mains. Dans un premier temps, comme elle sait que je suis à l’origine de ces informations, elle hésite avec élégance à « s’inviter » dans le papier en le cosignant, malgré mon invitation. Lundi soir, je lui explique qu’en si peu de temps (en gros un peu plus de 24 heures avant le bouclage de Marianne), il serait peut-être hasardeux pour moi de me lancer seul afin de bétonner totalement le papier comme me le demandait la direction.
Éléments d’ambiance et recoupements
Ce lundi soir, une ambiance étrange s’empare de l’entourage de François Hollande, comme un silence, un malaise… chacun se demande ce que va faire le président, acculé par ses propres troupes depuis plusieurs semaines après l’ouvrage de Davet et Lhomme, comment va-t-il pouvoir rebondir. Finalement, l’info qu’Hollande a confié à son Premier ministre qu’il allait se retirer de la course présidentielle, qu’il allait l’annoncer dans les prochains jours, et qu’il n’était donc pas nécessaire de démissionner, me parvient (et non par un coup de pression comme je l’avais supposé au début des premiers recoupements).
Ensuite, je n’en ai plus totalement le souvenir, mais à force de vérifications, et dès lors qu’une première version du papier était prête et présentée, le directeur de la rédaction, Renaud Dély, ancien rédacteur en chef politique de Libération, a senti, lui aussi, le scoop venir, et s’est mis à se renseigner auprès de ses sources historiques, notamment un hiérarque du PS que j’avais moi même interrogé quelques heures plus tôt, et qui m’avait en grande partie confirmé l’histoire. C’est alors qu’on a pu rajouter encore quelques éléments d’ambiance supplémentaires à l’article final, au sujet de la fameuse rencontre à l’Élysée entre Manuel Valls et François Hollande, avec quelques propos rapportés (De deuxième main donc).
Et c’est ainsi que le vendredi 2 décembre 2016 le nouveau Marianne en kiosques a pu afficher fièrement cette manchette « Le jour où Hollande a dit qu’il ne serait pas candidat… et où Valls a choisi de le croire », moins de douze heures après l’allocution officielle à la télévision du président Hollande dans laquelle il expliquait aux Français qu’il avait décidé de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2017. Mieux qu’un épisode d’House of Cards ou du Baron Noir.
Couverture du magazine Marianne du 2 décembre 2016, publié le lendemain de l’allocution présidentielle dans laquelle François Hollande annonce aux Français qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de 2017.
Et voici l’article, exclusif à l’époque, publié dans ce fameux numéro (je remercie au passage Natacha Polony, l’actuelle directrice de Marianne de m’avoir autorisé à le publier aujourd’hui in extenso via ma newsletter) :
Le jour où Valls a choisi de croire Hollande
Par Marc Endeweld, Soazig Quéméner, Renaud Dély (Marianne, 2016)
Décidé à démissionner de Matignon pour se lancer dans la course à l'Elysée, Manuel Valls n'en a rien fait. Le président lui a en effet laissé entendre que lui-même ne serait peut-être pas candidat. Récit.
Tout était décidé, tout était prêt. Manuel Valls avait organisé son évasion.
Cette semaine, ce mandat présidentiel qui ne ressemble décidément à aucun autre a été à deux doigts d'enregistrer le départ du Premier ministre, en plein état d'urgence et alerte terroriste maximale. Selon nos informations, le locataire de Matignon était bel et bien déterminé à annoncer sa démission à François Hollande lundi dernier à la mi-journée. Trois mois après le départ d'Emmanuel Macron, et surtout quinze jours après l'annonce de la candidature de cet ex-ministre de l'Economie qui l'obsède au plus haut point, le « M. 5 % » de la primaire de 2011 souhaitait à son tour se lancer dans la course à l'Elysée.
Ce lundi 28 novembre, comme chaque semaine, Manuel Valls est attendu à l'Elysée à 12 h 30 pour un tête-à-tête avec François Hollande. Exceptionnellement, une demi-heure plus tôt, le chef du gouvernement a un autre rendez-vous, avec le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Il l'accueille dans son bureau à midi, au premier étage de l'Hôtel Matignon. Valls lui déclare aussi sec son intention de démissionner pour annoncer sa candidature à la primaire de la gauche fin janvier. Pour justifier sa décision, le chef du gouvernement évoque une nouvelle fois la « colère » des élus socialistes à l'encontre de François Hollande depuis la publication de son livre de confidences, l'image brisée du président dans l'opinion, et le besoin d' « autorité » et d' « incarnation » qui remonterait, selon lui, des tréfonds du pays. Jean-Christophe Cambadélis le met en garde contre le rapport de forces au sein du parti qui lui serait défavorable. Il en appelle surtout à son « sens de l'Etat » pour ne pas commettre l'irréparable. Ebranlé par la réaction du premier secrétaire du PS, Manuel Valls n'en reste pas moins décidé à remettre sa démission à François Hollande lorsqu'il arrive à l'Elysée. Avant de quitter Matignon, le Premier ministre convoque d'ailleurs son cabinet restreint pour le début d'après-midi. Il a prévu d'officialiser son départ à ce moment-là devant son cercle de proches, à son retour de l'Elysée.
Valls passe la Seine pour se rendre chez son supérieur. A l'Elysée, changement de rive, de décor et de ton. Il retrouve d'abord Hollande pour un bref tête-à-tête d'un quart d'heure dans son bureau, au premier étage du Château. L'accueil est frisquet.
« Je ne me présenterai pas contre toi à la primaire », l'assure Valls. « Ce n'est pas ce que j'avais compris en lisant ton interview », réplique Hollande.
La veille, dans le JDD , Valls semblait bien agiter sa candidature quelques heures après que Claude Bartolone a souhaité que les deux têtes de l'exécutif se mesurent à la primaire. Alors que Hollande se trouvait à des milliers de kilomètres de là, retenu au sommet de la francophonie de Madagascar, Valls avait déclenché là un incroyable bras de fer. A la lecture de cet entretien dominical, plusieurs proches du président l'ont d'ailleurs assailli pour lui réclamer la tête de l'insolent et son remplacement par Bernard Cazeneuve à Matignon. François Hollande n'y songe pas un instant.
Aveu de faiblesse
A Matignon, Valls est ligoté, pas question de le virer et de lui rendre sa liberté. C'est pourquoi ce lundi, quand son second précise sa pensée, Hollande comprend aussitôt ce qu'il a en tête . « Il ne peut pas y avoir d'affrontement institutionnel. Je ne me présenterai pas en tant que Premier ministre », insiste Valls. C'est donc qu'il s'apprête à partir... Pour l'en empêcher, le président change d'attitude lors de leur déjeuner qui commence vers 13 heures, au rez-de-chaussée du Château. Après avoir disserté sur les conséquences de la désignation de François Fillon comme champion de la droite, François Hollande reprend l'antienne du « sens de l'Etat » qui doit animer le couple exécutif pour faire face à des circonstances « historiques » difficiles. Puis il évoque longuement l'état du pays, la faiblesse de la gauche et ses profondes divisions. « Qui est le plus à même de la rassembler ? », s'interroge-t-il à voix haute. Le chef de l'Etat fait assaut de lucidité, il reconnaît volontiers l'extrême difficulté de sa situation. Bref, serein, apaisé, il laisse clairement entendre à son hôte qu'il ne sera pas candidat à la présidentielle. François Hollande ne le promet pas explicitement, ce n'est pas son genre. Mais il énumère avec tant de force tous les obstacles, nombreux, divers, insurmontables, qui se dressent sur sa route que son retrait apparaît comme une issue logique. Il conclut d'ailleurs en glissant à Valls que s'il n'y va pas, ce sera son tour, « évidemment ».
Le Premier ministre est saisi. Il ne s'attendait pas à un tel aveu de faiblesse. François Hollande a-t-il bluffé ? C'est possible. Manuel Valls n'est pas dupe. Il connaît l'animal, tout en silences et en allusions. Mais il remballe sa démission pour choisir de lui faire confiance. Une fois encore. Pas le choix. Ce serait trop bête de tout gâcher en déclenchant une crise institutionnelle si le chef de l'Etat confirme dans quelques jours qu'il ne se présente pas.
Quand le « PM » réapparaît à Matignon sur le coup de 14 h 45, il est rouge, tout rouge. De fureur... envers lui-même. Son plan savamment pensé s'est écroulé : il n'a pas pu présenter sa démission. Devant ses collaborateurs, Manuel Valls ne cache pas sa rage. « "Culbuto" nous tient par les couilles ! » vitupère-t-il. « Culbuto » ? Le surnom aimablement attribué depuis des années au PS au président pour sa faculté à basculer, à presque toucher terre et à toujours réussir à se redresser.
Partie de poker
Pour son plus grand malheur, Manuel Valls a compris qu'il était ligoté à l'annonce de « Culbuto »... Et qu'il n'avait d'autre choix que de l'attendre. Dans la foulée, l'Elysée et Matignon annoncent dans un bel ensemble à l'Agence France presse que l'orage est passé. Circulez, il n'y a plus rien à voir. « Il ne peut y avoir et il n'y aura jamais de crise institutionnelle », déclare officiellement le Premier ministre. « Le président n'a pas encore pris sa décision » , souligne-t-on à l'Elysée en précisant : « Et chaque jour qui passe, le président est de plus en plus mystérieux. » L'arme au pied, Manuel Valls est condamné à la patience, quelques jours encore, convaincu que son tour viendra bientôt.
En attendant, il s'organise et ratisse large, jusque parmi les proches de... Martine Aubry. Samedi soir, un député proche de la maire de Lille adressait ce SMS à de nombreux élus : « Bonsoir, demain dans le JDD, interview de Manuel Valls. Gravité de la situation, nécessité de se rassembler face à la droite, grande exigence sur la qualité de la candidature de la gauche de gouvernement. Nécessité de jouer collectif autour du meilleur. » « Chacun est face à son destin . Manuel Valls a essayé de dire qu' il ne pouvait y avoir de décision solitaire, à l 'usure », résume Francis Chouat, l'actuel maire d'Evry. Un autre fidèle du chef du gouvernement, Christian Gravel, ancien responsable de la communication de l'Elysée, a commencé à démarcher de possibles compagnons de route pour la campagne de son patron. Avec ce message : « Manuel Valls s'en va. Il va l'annoncer à Hollande. Tu viens avec nous ? »
Depuis l'orage du week-end dernier, dans les camps des deux belligérants, on retient son souffle. A l'Elysée, certains conseillers ne répondent même plus au téléphone.
« Je fais silence jusqu'à l'annonce de la décision du PR », explique l'un d'entre eux par SMS. Les vallsistes ne sont pas plus diserts. Après l'ahurissant jeu de dupes de ce déjeuner du lundi 28 novembre, la partie de poker tire à sa fin. Ce jeu puéril et mortifère entre deux hommes à qui les sondages promettent au mieux la cinquième place dans l'ordre d'arrivée à la présidentielle exaspère la gauche entière.
La primaire en question
Et pendant que Manuel Valls s'applique à maintenir la pression en multipliant les petites phrases à double sens, une campagne parallèle a été engagée par le dernier carré de fidèles de François Hollande. Sur toutes les ondes, ils s'affairent à instiller le doute sur le sens et même la validité d'une primaire tronquée, privée d'Emmanuel Macron, de Jean-Luc Mélenchon, de Sylvia Pinel (PRG) et de l'écologiste Yannick Jadot. « Il faut un rassemblement, déclare Bruno Le Roux, le patron des députés PS. Et aujourd'hui, on voit que la primaire, malheureusement, ne permet pas ce rassemblement. » Sans compter le risque de voir cette consultation virer au référendum anti-Hollande, y compris avec le renfort d'électeurs de droite ou de gauche radicale comme l'a publiquement envisagé Arnaud Montebourg. Une candidature de Hollande hors primaire apparaîtrait sans doute aujourd'hui comme un insupportable fait du prince, et d'un prince tellement affaibli qu'il déclencherait la révolte de ce qui reste de la gauche. Finalement, critiquer comme le font les hollandais la règle du jeu des primaires, et la légitimité d'un scrutin qu'ils avaient pourtant cautionné par l'intermédiaire de Jean-Christophe Cambadélis, n'est-ce pas un moyen de préparer la sortie de leur champion ? De lui chercher une issue de secours ? C'est ce que veut croire Manuel Valls. Patience, plus que quelques jours...
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