18.11.2024 à 10:44
Eric Dugas, Professeur des universités et chargé de mission handicap (empathie/inclusivité, jeux, handicap/maladie, mise en jeu corporelle, rapport à l'espace/architecture), Université de Bordeaux
Dans le cadre DuoDay, le Premier ministre, Michel Barnier recevra jeudi 21 novembre son binôme. Cette initiative vise à rapprocher les personnes en situation de handicap du monde du travail l’emploi. Pourtant intéressante que soit cette initiative, il serait nécessaire d'aller plus loin maintenant.
Malgré des progrès notables, de nombreuses incitations, recommandations et obligations ces dernières décennies, le taux de chômage touche actuellement quasiment deux fois plus les personnes en situation de handicap (PSH). Sachant que les représentations et autres préjugés ou discriminations persistent encore de nos jours.
Dans ce contexte contrasté, un évènement tire son épingle du jeu. Il s’agit de « DuoDay ». C’est un évènement national, construit sur une journée, qui permet aux PSH de découvrir des métiers en entreprise en formant un duo avec un professionnel « valide » volontaire. Apparue en Irlande en 2008, cette initiative s’est étendue en Europe, notamment en France avec une septième édition qui se réalise depuis 2018, en novembre, dans le cadre de la « Semaine européenne pour l’emploi » des PSH. En 2023, 27 613 duos ont été ainsi créés et 13 550 employeurs ont participé à cette journée en plein essor.
Cette initiative originale est intéressante sur plusieurs points. D’une part, elle permet surtout la rencontre avec autrui, l’interaction en face à face, réduisant ainsi la distance physique pour mieux réduire la distance sociale. Car la mise à distance freine le processus dynamique et interactionnel de la participation sociale, ce qui peut conduire à la désaffiliation ou à la disqualification sociale. Sans compréhension, sans éprouver l’autre, guère de reconnaissance in fine ; les PSH vivent alors l’expérience du déni de reconnaissance.
Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts. Abonnez-vous dès aujourd’hui
L’éveil et la préoccupation empathiques se dessinent dans cette rencontre à l’autre. Il s’agit dès lors pour le duo de mieux se connaître, mais surtout pour l’employeur de connaître et comprendre les PSH. Or elles sont dans un perpétuel « entre-deux » dans lequel le regard posé sur eux est parfois ambivalent, entre attirance et rejet. En cette occasion offerte, autant faire pencher la balance du bon côté…
Enfin, ce stage d’une journée non rémunéré peut mettre le pied à l’étrier vers l’emploi, permettre de développer son réseau. Environ un quart des PSH seulement ont obtenu un emploi ou un stage prolongé à l’issue de cette expérience. Ce n’est pas rien… Mais est-ce bien perçu par les PSH ? Le temps fugace d’une rencontre est-il le temps des PSH ?
À lire aussi : Pour les personnes en situation de handicap, l’insertion dans l’emploi demeure une course d’obstacles
Pourtant, des voix s’élèvent, dont celles des premiers concernés, les PSH. Si le « DuoDay » est très riche, il est toutefois asymétrique dans sa conception. C’est à la PSH de venir chez l’employeur. Une domination symbolique renforcée par la rencontre dans l’espace de travail de l’entreprise ou de la structure d’accueil. Or, les espaces ne sont pas de simples décors, ils conditionnent aussi nos manières d’être et nos comportements.
Pêle-mêle, lit-on sur les réseaux sociaux que des PSH ainsi que des personnes dites « valides/ neurotypiques » n’apprécient guère ce liant unilatéral et médiatique, même si les entreprises sont volontaires et bienveillantes. L’évènement peut être perçu, voire vécu, comme infantilisant, déresponsabilisant ou démonstratif pour la bonne image de l’entreprise, etc. Dès sa première édition, l’initiative DuoDay est loin de faire l’unanimité. Des PSH se sont senties « le stagiaire d’un jour », la figure de proue du « selfie inclusif », celle de « l’assistée »… Alors, « DuoDay, propagande ou opportunité ? » Une opération de communication avant tout ou un levier, parmi d’autres, révélant le potentiel des PSH pour lutter contre les préjugés et favoriser leur employabilité ?
Si on considère que l’inclusivité sociale et professionnelle demande un lien de réciprocité - au sens où les PSH revendiquent de s’intégrer selon leurs moyens, et d’être incluses selon leurs besoins – alors la participation active et effective à ces dispositifs doit les situer dans une expérience plus égalitaire. Dit autrement, si la rencontre physique, le face-à-face, le co-éprouvé est un levier essentiel de l’éveil à l’autre et aux altérités, le « aller vers » de l’employeur à l’endroit des PSH qui travaillent est essentiel. L’employeur se rendrait compte qu’ils sont autrement capables en voyant concrètement les adaptations et aménagements qui permettent un environnement de travail propice à la créativité, à l’accomplissement individuel et collectif, à la productivité et performance pour tous (pas seulement les PSH).
C’est ainsi que certaines personnes ont proposé le « DuoDay inversé ». Pour illustration, c’est aux travailleurs/employeurs de consacrer une journée immersive auprès des PSH dans leur environnement de travail, à l’instar du « Duo2 » organisé sur une journée par la Fondation des Amis de l’Atelier.
L’empathie, concept multidimensionnel à utiliser avec précaution et mesure, peut se résumer par la capacité à se mettre à la place des autres, tout en sachant que cet autre n’est pas soi, pour comprendre ce qu’il éprouve, ressent et pense. En ce sens, la motivation à se soucier de l’autre puis la prise de perspective vis-à-vis des PSH requièrent par exemple des éléments clés in situ : interagir ensemble, l’observation d’autrui et l’inversion des rôles pour partager et exprimer les ressentis.
Ici, l’idée soumise n’est pas une sorte de « vis ma vie », en inversant les rôles, ni un « DuoDay inversé » unilatéral, mais un DuoDay réciproque, bilatéral, symétrique, sur un minimum de 2 jours d’affilé ou sur une période donnée. Ces temps conjugués sont plus longs, mais gagneraient en efficacité en jugeant enfin la PSH non pas sur ses manques, mais sur ses compétences.
Observer et rencontrer une PSH dans son environnement (de travail ou de la vie quotidienne) ne la place pas dans une situation de dominé ou dans une position inconfortable. Elle la place dans une situation permettant de comprendre que si le handicap est présent, la situation de handicap, quant à elle, dépend d’une part, de l’environnement et de l’aménagement du lieu de travail ou de vie et, d’autre part, du regard porté sur la PSH ; car le premier miroir, c’est l’autre.
Ces deux facteurs sont indissociables et, selon la qualité de l’organisation et de la maîtrise de ces deux rencontres, le curseur de la reconnaissance oscillera du côté positif ou négatif. La juste distance demande donc un effort de réciprocité (aller vers et recevoir). D’ailleurs, débuter le premier DuoDay en allant sur le terrain de la PSH rendra plus sereine la seconde rencontre en entreprise (avec le même professionnel, voire un autre de la même entreprise ou du même service), du fait de la mise en confiance au premier rendez-vous. Sachant que la PSH peut être un étudiant, un employé, un entrepreneur, en reconversion professionnelle ou un travailleur en ESAT.
Se rencontrer physiquement, et doublement, permettrait de mieux saisir et d’agir au cœur d’un véritable processus d’inclusivité professionnelle, donc d’employabilité et de recrutement. En somme, l’inclusivité est un mécanisme réciproque, plus horizontal, qui sollicite deux DuoDays indispensables et inséparables, comme les deux faces d’une pièce de monnaie. N’oublions pas, à l’instar du psychosociologue Jacques Salomé, que si c’est dans l’ombre de soi-même que l’on fait les rencontres les plus lumineuses, encore faut-il oser le pas vers l’autre, pour mieux faire le pas de côté, celui de la dignité.
Eric Dugas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 10:44
Lucas Miailhes, Doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL)
Les constructeurs européens envisagent de plus en plus d’opter pour la technologie de batterie lithium-fer-phosphate (LFP), très répandue en Chine, plutôt que la nickel-manganèse-cobalt (NMC) plus répandu en Europe. Un choix technologique important en termes de souveraineté industrielle et de dépendance économique aux producteurs de métaux… mais qui peut aussi les aider à vendre des véhicules électriques plus abordables.
Face à la demande croissante de véhicules électriques plus abordables, les constructeurs européens diversifient de plus en plus leur portefeuille de batteries. Ils commencent à intégrer la technologie LFP (pour lithium, fer, phosphate), un type de batteries lithium-ion qui domine actuellement le marché en Chine du fait de son coût moins élevé que les batteries NMC (pour nickel, manganèse, cobalt), plus fréquentes en Europe.
De quoi questionner la pérennité des investissements européens dans la production de batteries, qui ont jusqu’ici surtout concerné le NMC. Cela pose aussi la question d’une dépendance potentielle envers les fabricants asiatiques, avec des implications différentes en termes de métaux critiques.
Autrement dit, c’est un enjeu de souveraineté industrielle pour le secteur automobile du vieux continent, qui souligne la complexité d’un écosystème où différentes technologies coexistent pour répondre à la multiplicité des usages de la mobilité électrique. Il implique des choix politiques et industriels qui influenceront l’adoption du véhicule électrique et les dépendances futures de l’Europe.
Les batteries lithium-ion sont au cœur de la révolution des véhicules électriques. Elles sont l’élément stratégique essentiel des voitures électriques, dont elles constituent jusqu’à 40 % de leur poids. Leur fabrication nécessite un savoir-faire hautement spécialisé, des investissements importants en capital fixe et l’utilisation de matières premières critiques. Un véhicule électrique utilise environ 200 kg de ces matériaux, soit six fois plus qu’un véhicule à combustion interne.
Le secteur automobile a largement orienté les trajectoires prises par le développement technologique des batteries, notamment pour améliorer leur densité énergétique, leur capacité de charge rapide et leur sécurité d’usage, tout en abaissant les coûts.
Théoriquement, on peut utiliser toutes sortes d’éléments chimiques dans les batteries li-ion. Mais pour l’heure, le marché est dominé par deux technologies : les batteries NMC et LFP. La comparaison entre les batteries LFP et NMC révèle une équation complexe entre prix, accessibilité, sécurité, performance et autonomie.
En 2023, les batteries NMC (nickel, manganèse, cobalt) représentaient près de deux tiers du marché mondial, tandis que les batteries LFP (lithium, fer, phosphate) occupaient 27 % des parts de marché. En Europe, 55 % des véhicules électriques sont équipés de batteries NMC, 40 % utilisent des batteries NCA (nickel, cobalt, aluminium), et seulement 5 % sont dotés de batteries LFP.
De fait, les constructeurs européens ont jusqu’ici privilégié les batteries NMC et NCA pour leur grande autonomie, tandis que les batteries LFP étaient principalement utilisées par les constructeurs chinois. C’est principalement en raison des exigences des consommateurs en termes d’autonomie, de performance et de recharge rapide que l’Europe s’est jusqu’ici engagée dans la voie des batteries NMC à haute teneur en nickel.
Il n’empêche, les batteries LFP se distinguent par leur coût plus faible, un facteur crucial dans le contexte actuel où le prix élevé des véhicules électriques constitue le principal frein à leur adoption massive.
Ce n’est pas tout : elles offrent également une meilleure sécurité, une durée de vie plus longue et acceptent mieux les charges complètes, ce qui les rend plus pratiques pour une utilisation quotidienne. Cependant, comparées aux batteries NMC, les batteries LFP présentent une densité énergétique inférieure, ce qui se traduit par une autonomie plus limitée à volume égal.
Les constructeurs automobiles européens l’ont bien compris et ont récemment annoncé des changements de stratégie significatifs. ACC (Automotive Cells Company), issue d’une joint venture entre Stellantis, Mercedes-Benz and TotalEnergies, a récemment suspendu la construction de ses gigafactories en Allemagne et en Italie, suite à un changement de sa stratégie d’approvisionnement pour y inclure des batteries LFP.
Tesla a également décidé d’équiper ses modèles Model 3 et la Model Y avec la batterie LFP dès 2021. Volkswagen, enfin, prévoit d’adopter la technologie LFP pour rendre ses voitures électriques plus abordables d’ici deux ans.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Ces annonces ont suscité une certaine inquiétude pour la pérennité des investissements dans les batteries NMC, mais peuvent être vues comme une diversification de la part des constructeurs européens, pour répondre à une variété de besoins et de contraintes tout en limitant les risques économiques.
Cela leur permettra aussi de mieux s’adapter à la segmentation du marché :
les batteries LFP pourraient dominer le marché des véhicules électriques d’entrée et de milieu de gamme (véhicules destinés aux petits trajets urbains ou pour des applications nécessitant une autonomie relativement faible),
tandis que les NMC pourront se segmenter sur le segment haut de gamme (ou pour les applications nécessitant une plus grande autonomie, comme les véhicules longue distance).
Cette diversification, si elle peut rendre les voitures électriques plus abordables en réduisant le coût des batteries, ne va pas sans risque : elle oblige les constructeurs européens à se tourner vers les acteurs asiatiques.
Ampere, la filiale électrique de Renault, intègre déjà la technologie LFP dans sa stratégie de batteries en collaboration avec LG Energy Solutions (Corée du Sud) et CATL (Chine). Même chose pour Stellantis qui a signé un accord stratégique avec le chinois CATL en novembre 2023.
Déjà, environ la moitié des capacités de production de batteries situées sur le sol européen sont rattachées à des entreprises chinoises et sud-coréennes, une tendance qui pourrait s’aggraver avec les batteries LFP. En effet, 95 % des batteries LFP sont fabriqués en Chine avec des constructeurs comme BYD et CATL qui maîtrisent parfaitement les procédés de fabrication.
Ces partenariats ne sont pas un problème en soi. Ils peuvent même représenter une opportunité pour bénéficier de l’expertise technologique de ces acteurs, qui produisent des batteries de haute qualité et compétitives au plan économique.
Le vrai problème de dépendance européenne aux matières premières concerne en réalité le NMC.
En effet, les batteries LFP sont constituées de carbonate de lithium, tandis que les batteries NMC sont faites à partir d’hydroxyde de lithium, dont les chaînes d’approvisionnement sont distinctes. L’Europe importe 78 % du carbonate de lithium du Chili (plutôt que de Chine), et a même signé un accord en ce sens avec le Chili. Dans le même temps, les nouveaux projets d’extraction minière en France et en Europe devraient également permettre de renforcer les approvisionnements européens en lithium.
Le problème de dépendance concerne l’hydroxyde de lithium utilisé pour les batteries NMC. En effet, pour transformer le carbonate de lithium en hydroxyde de lithium, il faut le raffiner. Or, ce sont des acteurs chinois qui raffinent 62 % de la production mondiale de lithium. S’il existe un potentiel pour des projets de raffinage de lithium en Europe, les investissements dans ce maillon de la chaîne de valeur tardent à se matérialiser.
La fabrication des batteries NMC nécessite également du nickel et du cobalt, qui sont des matériaux identifiés comme critiques par la Commission européenne en partie de par le risque géopolitique de leur approvisionnement. Le cobalt est principalement extrait au Congo et raffiné par la Chine à 67 %.
Autrement dit, pour les constructeurs européens, miser davantage sur les batteries LFP permettrait aussi de limiter les risques de dépendances en matière d’approvisionnement en métaux critiques.
À lire aussi : Batteries lithium-ion : l’Europe peut-elle s’extraire de la dépendance chinoise ?
Mais cette diversification du portefeuille des constructeurs européens a des répercussions sur l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur des batteries en Europe, de leur fabrication à leur recyclage.
Les producteurs de matériaux pour batteries NMC comme Axens pourraient faire face à des difficultés de reconversion si le marché devait basculer de façon significative vers le LFP. Umicore, un acteur majeur dans la production de matériaux actifs de cathode, avait délibérément choisi de ne pas intégrer le LFP dans son portefeuille pour se concentrer sur les technologies NMC qu’elle maîtrise. Cela pourrait compromettre leur capacité à s’adapter rapidement à cette nouvelle demande.
Des questions industrielles se posent également au niveau du recyclage. Le recyclage des batteries usagées est essentiel pour réduire la dépendance à l’importation de matières premières et peut également renforcer la résilience européenne en cas de perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par des tensions géopolitiques.
Or, les matériaux utilisés dans la cathode déterminent l’attrait économique de leur recyclage. Étant donné que les batteries LFP ne contiennent ni cobalt ni nickel, les métaux les plus valorisables, elles remettent en question l’intérêt économique des efforts de recyclage.
Le recyclage des batteries LFP est ainsi beaucoup moins intéressant au plan économique que celui des batteries NMC, d’autant plus que les LFP contiennent environ 20 % de lithium en moins que les NMC.
C’est là tout le paradoxe : le développement des capacités de recyclage de batteries en Europe dépend de la stabilisation future des choix technologiques opérés par les fabricants de voitures électriques. Et ce choix technologique, loin d’être anodin, pose des questions de souveraineté industrielle.
Étant donné les capacités de recyclage européennes actuelles, les batteries NMC peuvent être plus facilement recyclées que les LFP. En effet, les techniques de recyclage dominantes en Europe, basées sur la pyrométallurgie, sont efficaces pour récupérer le nickel et le cobalt, mais moins adaptées pour le lithium.
Cela aurait pu changer au regard des projets qui avaient été annoncés par Orano et Eramet qui proposaient de développer l’hydrométallurgie efficace pour récupérer le lithium. Néanmoins, Eramet a récemment annoncé l’annulation de son projet de recyclage face au recul de la demande pour les véhicules électriques en Europe.
À lire aussi : Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ?
Résumons :
le NMC permet une autonomie accrue des véhicules, tout en étant plus coûteux, et entraîne une dépendance accrue à des pays tiers en termes de métaux critiques. Mais son recyclage est rentable, et la filière industrielle déjà là.
Le LFP, de son côté, permet une autonomie moindre, mais une meilleure longévité des batteries et moins de défaillances techniques, et permet de limiter la dépendance en métaux critiques. Ce sont toutefois les acteurs chinois qui en maîtrisent pour l’heure la chaîne de valeur, et son recyclage est moins rentable pour les acteurs européens, la filière européenne ne maîtrisant pour l’heure pas les procédés requis.
Dans ces conditions, les constructeurs européens ont-ils raison d’ouvrir prudemment la porte au LFP pour les voitures électriques ? La réponse à cette question tient du dilemme industriel, avec des arbitrages politiques et économiques forts à réaliser tout au long de la chaîne de valeur de la batterie, de la mine jusqu’au recyclage. Une chose est sûre, c’est le bon moment de se poser la question, alors que l’Europe se préoccupe de plus en plus de son approvisionnement en matières premières critiques, dans un contexte de relance minière.
Lucas Miailhes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 10:43
Magnus Blomkvist, Associate professor of finance, EDHEC Business School
Depuis 2011, la loi impose un quota de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Comment a évolué la perception des actionnaires et des dirigeants ?
L’introduction de quotas obligatoires de femmes dans les conseils d’administration (CA) des entreprises a été un instrument politique clé pour remédier à la sous-représentation de longue date des femmes dans les postes de pouvoir. Bien que ces politiques soient controversées, nous avons voulu analyser comment les quotas de genre pouvaient influencer non seulement la présence et la représentation des femmes, mais aussi les préférences des actionnaires et leur perception des administratrices.
Pour ce faire, nous avons étudié, dans un article récent, les effets des quotas de genre en France. Nous avons pu comparer la manière dont les caractéristiques individuelles des candidats – hommes et femmes – ont été comprises et évaluées, avant et après les quotas.
Nous constatons qu’en termes de diversité de genre, la loi française de 2011, dite Copé-Zimmermann a été, clairement et rapidement, un succès. Plus intéressant encore : nous mettons en lumière le fait que les actionnaires modifient massivement et positivement leurs perceptions des qualifications des (potentielles) administratrices, y compris leur formation et leur expérience antérieure au sein d’autres conseils d’administration. Cela a participé selon nous à une féminisation nette des CA.
Les partisans des quotas de genre soutiennent que ces politiques sont nécessaires pour surmonter les obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour accéder à des postes de direction. Leur argumentaire repose sur le fait que les conseils d’administration des entreprises ont été dominés par les hommes en raison des cultures organisationnelles et des pratiques de recrutement qui s’appuient fortement sur des réseaux informels, favorisant souvent les candidats masculins.
Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts. Abonnez-vous dès aujourd’hui
Par ailleurs, les critiques affirment que les quotas interfèrent avec la sélection méritocratique des membres des conseils d’administration. Selon eux, la sous-représentation des femmes au sein des CA n’est pas le reflet d’une discrimination, mais plutôt la conséquence d’une offre limitée de femmes qualifiées disponibles pour ces postes. Dans ce cas, imposer des quotas par sexe pourrait contraindre les entreprises à nommer des candidates moins qualifiées, ce qui réduirait en fin de compte l’efficacité du conseil d’administration et la valeur actionnariale.
Pour nous aider en partie à éclaircir ces questions, l’objectif de notre étude a été d’examiner la perception qu’ont les actionnaires des candidates au poste d’administrateur avant et après l’introduction des quotas obligatoires en France.
En France, la loi Copé-Zimmermann a imposé des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises, exigeant qu’elles atteignent des seuils de diversité de 20 % en 2014, qui sont passés à 40 % en 2017. La loi s’applique aux grandes entreprises de plus de 500 salariés ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros. Pour les entreprises ne se mettant pas en conformité, la loi imposait des sanctions sévères, y compris des restrictions sur la rémunération des membres des CA.
Si l’on s’en tient aux simples statistiques, la loi a réussi à promouvoir la diversité des genres. La France est passée de l’un des taux de représentation des femmes dans les conseils d’administration les plus bas d’Europe (8,4 %) en 2009 à plus de 43 % en 2021, ce qui fait de la France un leader en matière de diversité des genres dans ces instances.
Dans ce contexte, nous avons étudié les effets des quotas de genre en France, en utilisant un ensemble de données de plus de 2 700 élections d’administrateurs entre 2007 et 2020 dans les plus grandes entreprises françaises cotées en bourse. Contrairement aux études antérieures qui se concentrent sur les réactions du cours des actions lors de l’adoption des lois sur les quotas, nous évaluons les résultats des élections des administrateurs avant et après l’introduction des quotas. En étudiant la popularité individuelle des administrateurs par le biais des votes à l’assemblée générale annuelle, nous sommes en mesure d’évaluer les préférences des actionnaires liées aux caractéristiques des candidats, avant et après l’instauration des quotas.
Nous constatons que le soutien des actionnaires aux femmes administratrices a augmenté après l’introduction des quotas. Les candidates ont reçu un soutien plus important que leurs homologues masculins après l’instauration du quota, ce qui suggère que les actionnaires ont révisé positivement leur perception des qualifications des administratrices. Nos résultats indiquent que l’offre de candidates qualifiées était suffisante pour répondre à la demande accrue, et que les actionnaires n’ont pas simplement élu des femmes sous la pression de la loi.
Les quotas par genre ont également contribué à éliminer les frictions préexistantes sur le marché du travail qui entravaient la nomination de candidates qualifiées. Avant l’introduction des quotas, la sous-représentation des femmes dans les conseils d’administration pouvait être attribuée à des pratiques de recrutement informelles et à des effets de réseau qui limitaient la visibilité des candidates. La gouvernance des entreprises françaises, en particulier, se caractérise par une dépendance à l’égard des réseaux d’élite, de nombreux membres de CA étant recrutés au sein d’un petit groupe issu d’institutions prestigieuses (grandes écoles). Ce processus de recrutement tend à marginaliser les femmes qualifiées.
Potentiellement, les quotas ont incité les entreprises à investir dans de nouvelles technologies de recherche et à élargir leur vivier de talents au-delà des réseaux traditionnels. Le processus de recrutement des membres des conseils d’administration est devenu plus efficace et plus diversifié, et les candidates possédant de solides références ont commencé à être reconnues et nommées en plus grand nombre. Nos résultats suggèrent notamment que le niveau d’études des administratrices et leur expérience antérieure ont été de plus en plus appréciés par les actionnaires après l’introduction du quota. Cela témoigne d’un changement dans la manière dont les candidates sont perçues. Nous ne trouvons pas de preuves que les entreprises sont obligées de nommer des candidates moins qualifiées pour se conformer à la loi. Au contraire, les candidates retenues étaient souvent tout aussi qualifiées que leurs homologues masculins.
L’expérience française en matière de quotas de représentation de genre est riche d’enseignements pour les autres pays qui envisagent de prendre des mesures similaires. Bien que les conséquences involontaires potentielles des quotas suscitent des inquiétudes légitimes, nos données suggèrent que les quotas peuvent être efficaces pour promouvoir la diversité des genres sans compromettre la qualité et l’efficacité du conseil d’administration telles qu’elles sont perçues par les actionnaires. En fait, les quotas de genre peuvent conduire à une réévaluation des qualifications des candidates et à l’abandon de pratiques d’embauche potentiellement discriminatoires.
En outre, ces quotas peuvent avoir des effets bénéfiques plus larges sur la société en remettant en question les normes traditionnelles en matière de genre. Lorsque davantage de femmes sont nommées dans les conseils d’administration, elles peuvent servir de modèles et de mentors pour les générations futures de femmes dirigeantes, ce qui contribue également à réduire les disparités de genre dans d’autres domaines de l’économie.
Magnus Blomkvist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 10:38
Assil Guizani, Enseignant chercheur en Finance, EDC Paris Business School
Faten Lakhal, Professor in Accounting, EMLV Business School , Pôle Léonard de Vinci
La présence de femmes au sein des conseils d’administration ou comme directrice financière influence les pratiques en matière fiscale. Plus de femmes, c’est moins de fraudes.
La France fait partie des rares pays à avoir adopté un arsenal législatif imposant un quota de femmes dans les conseils d’administration et les équipes de direction. Concrètement, la loi Copé-Zimmermann de 2011 stipule que les sociétés cotées en bourse et celles ayant plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros doivent porter le nombre de femmes dans leur conseil d’administration à 20 % d’ici 2014 et 40 % d’ici le 1er janvier 2017.
Plus récemment, la loi Rixain adoptée en 2021 impose d’inclure des femmes aux postes de direction des grandes entreprises qui comptent au moins un millier de salariés. La proportion de femmes cadres devra atteindre au moins 30 % d’ici 2026 et 40 % d’ici 2029.
Dans notre étude, nous examinons l’impact de la présence de femmes au sein des conseils d’administration et aux postes de direction dans l’entreprise – que ce soit en tant que dirigeante de l’entreprise ou directrice financière – sur les pratiques d’évasion fiscale des sociétés françaises cotées en bourse. Celle-ci est calculée comme la différence entre l’impôt théorique et l’impôt courant payé par les sociétés. Nous y explorons également l’impact de l’adoption de la loi Copé-Zimmerman sur cette relation.
À lire aussi : Les femmes dirigeantes, un catalyseur des performances environnementales et sociales pour les entreprises
L’évasion fiscale est définie comme la réduction des impôts explicites. Cela couvre un large spectre de pratiques fiscales, allant de la planification fiscale à la fraude fiscale en passant par la gestion ou l’agressivité fiscale. En France, le montant total des impôts non payés a été estimé aux alentours de 80 milliards d’euros par an. De côté des entreprises, les entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale prennent un risque considérable de payer de lourdes pénalités et un risque de nuire à leur réputation.
Par rapport aux hommes, les femmes sont réputées avoir des attitudes différentes à l’égard des codes d’éthique et utilisent des règles de décision différentes concernant les évaluations éthiques. En conséquence, il est possible de poser l’hypothèse qu’un leadership éthique des femmes directrices contribuerait à des pratiques plus éthiques et à un meilleur suivi des actions managériales.
En utilisant un échantillon de 171 entreprises françaises cotées sur la période de allant de 2007 à 2017, nos résultats révèlent que la nomination de femmes aux postes de haute direction a contribué à réduire les pratiques d’évasion fiscale des entreprises, particulièrement, les femmes occupant le poste de directeur financier. Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les femmes dirigeantes auraient un style de gestion éthique et une plus grande aversion au risque.
Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts. Abonnez-vous dès aujourd’hui
De plus, nos résultats montrent que l’évasion fiscale est associée négativement à la présence de femmes au sein du conseil d’administration, ce qui suggère que les femmes remplissent efficacement leur rôle de contrôle dans ce cadre. Cependant, cet effet est plus important préalablement à l’introduction d’un quota obligatoire de femmes administratrices par la loi Copé-Zimmermann. Cela laisse penser que les entreprises qui ont rapidement intégré des femmes au conseil d’administration pour se conformer à cette loi n’ont peut-être pas atteint une composition optimale et performante de leur conseil.
Les résultats de notre étude enrichissent la littérature portant sur la diversité de genre et l’évasion fiscale en analysant l’impact de la présence des femmes au sein des conseils d’administration (rôle de surveillance) et aux postes de direction (rôle décisionnel) sur les pratiques d’évasion fiscale des entreprises.
Ce comportement peut varier, car si les femmes peuvent être efficaces dans leur rôle de contrôle, elles tendent à adopter une approche plus conservatrice que leurs homologues masculins en matière de prise de décisions. Par la suite, notre étude se concentre sur le cas de la France, un pays qui s’illustre par sa lutte active contre l’évasion fiscale et son engagement en faveur de la présence des femmes dans les conseils d’administration. Notre recherche apporte ainsi de nouvelles preuves de l’impact de la diversité de genre dans les conseils d’administration sur les pratiques d’évasion fiscale, dans un contexte où des quotas sont imposés.
Nos résultats ont plusieurs implications pour les conseils d’administration, les régulateurs et les investisseurs. Les conseils d’administration peuvent continuer à renouveler leur composition pour inclure des femmes administratrices possédant l’expertise adéquate afin de parvenir à une structure efficace. Lors de la nomination des dirigeants et des directeurs financiers, les conseils d’administration devraient non seulement tenir compte des qualifications et de l’expérience, mais également évaluer les caractéristiques individuelles telles que le sexe, l’attachement aux codes éthiques et la propension à prendre des risques.
Les régulateurs devraient encourager les entreprises à recruter davantage de femmes compétentes aux postes de direction en plus du conseil d’administration. Enfin, les investisseurs peuvent être encouragés à prêter davantage attention à la présence de femmes dans les postes de direction et dans les conseils d’administration lorsqu’ils investissent dans les entreprises.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
17.11.2024 à 11:38
Fabrice Hervé, Professeur en Finance, IAE Dijon - Université de Bourgogne
Sylvain Marsat, Professeur en Finance, Université Clermont Auvergne (UCA)
Qu’est-ce qui pousse les particuliers à investir dans les fonds verts ? La réponse se situe peut-être au sein de la cellule familiale. Une récente étude montre que les hommes ayant des filles sont plus incités par ces dernières à prendre en compte l’impact environnemental de leurs investissements.
Les inquiétudes face au changement climatique sont de plus en plus prégnantes. 93 % des citoyens européens le considèrent comme un problème sérieux et 77 % comme très sérieux. Pour autant, on n’observe pas de traduction de cette inquiétude en espèces sonnantes et trébuchantes du point de vue de l’investissement vert. L’Association française de la gestion financière, dans son enquête annuelle de 2023, observe que les fonds d’investissement durables représentent 59 % des investissements fin 2023.
Mais les montants investis dans les fonds « article 9 », aussi dits « très verts » au sens de la règlementation européenne, les plus vertueux environnementalement parce qu’avec un objectif de durabilité, ont baissé de 24 %. Ils ne constituent que 88 milliards d’euros investis, soit seulement 3 % des fonds d’investissement. Cet apparent paradoxe entre préoccupations environnementales élevées au niveau individuel et faible mobilisation collective dans le domaine de l’investissement financier vert interroge.
La littérature académique en finance étudie la question de l’investissement vert depuis quelques années désormais. Elle a identifié un certain nombre de motivations des investisseurs, comme les raisons éthiques et financières, les connaissances financières ou encore le rôle de l’altruisme. Les facteurs individuels étudiés jusqu’à présent n’ont cependant jamais analysé l’influence de la sphère familiale. Le domaine des finances personnelles, ou finance des ménages, propose quelques travaux de recherche prenant en compte le contexte familial des décisions financières des investisseurs individuels et, notamment, la présence d’enfants au sein de la famille.
Dans un article de recherche, nous avons tenté de comprendre pour la première fois si la parentalité influence les choix des investisseurs individuels dans le cas spécifique des fonds verts. Notre approche s’inspire de résultats issus d’autres disciplines que la finance qui soulignent l’influence des enfants sur les parents. Par exemple, les pères ayant des filles sont plus susceptibles d’adopter des positions politiques ou des pratiques RH en faveur de l’égalité des sexes, mais aussi des politiques de responsabilité sociales et environnementales plus poussées.
Concernant l’environnement, les filles semblent plus sensibles aux problématiques environnementales. Une étude récente montre par exemple que 44 % des filles ont un fort niveau d’inquiétude concernant le changement climatique contre 27 % des garçons. On peut ainsi penser que les parents ayant des filles, en raison des préoccupations écologiques plus marquées de leur progéniture, soient plus enclins que leurs homologues n’ayant pas d’enfants ou ayant des garçons à réaliser des investissements alignés avec des valeurs environnementales. Greta Thunberg elle-même illustre cette influence en témoignant : « j’ai commencé mon activisme à la maison en modifiant les habitudes et façons de penser de ma famille et de mes proches ».
Pour tester cette hypothèse dans le domaine de la finance verte, nous avons réalisé une enquête auprès d’un échantillon représentatif d’investisseurs français entre décembre 2021 et janvier 2022. L’échantillon de 2 288 investisseurs comprend 499 investisseurs ayant placé au moins 500 € dans des fonds d’action de type article 9. Ces fonds d’investissement ont pour objectif l’investissement durable dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental : l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable des ressources hydriques, la transition vers une économie circulaire, la lutte contre la pollution et la protection de la biodiversité…
L’échantillon comprend des données détaillées sur les caractéristiques personnelles des individus, telles que l’âge, le sexe, les connaissances financières, le niveau d’éducation et la taille du portefeuille d’actions. Par ailleurs, afin de mener notre analyse, nous avons recueilli des informations sur chacun des enfants du foyer, leur âge et leur sexe, permettant ainsi d’examiner l’effet spécifique d’avoir une fille sur les décisions d’investissement des parents.
Nos recherches aboutissent à plusieurs conclusions intéressantes. Tout d’abord, l’analyse montre clairement que le fait d’avoir une fille augmente la probabilité pour un parent d’investir dans des fonds verts d’un peu moins de 4 %. Parallèlement, élever un garçon n’a aucune influence significative sur le fait d’investir dans un fonds vert ce qui démontre que le simple fait d’avoir un enfant n’explique pas cette relation : le sexe de l’enfant est donc important. En outre, en cohérence avec notre hypothèse, les filles n’influencent que leurs pères et non leurs mères qui ont déjà tendance à présenter des valeurs plus environnementales.
L’étude met par ailleurs en lumière le fait que plus les filles sont jeunes, plus leur influence sur les décisions d’investissement de leurs pères est forte. Ceci tient probablement au fait qu’elles ont plus d’influence en étant au sein du foyer, et que les programmes scolaires en France incluant des cours sur le développement durable et les enjeux environnementaux ont été renforcés depuis 2011. Enfin, les résultats montrent que l’influence des filles ne se limite pas à la décision d’investir dans des fonds verts, mais s’étend également au montant investi. Les pères ayant au moins une fille investissent des montants plus importants, ce qui suggère une plus grande adhésion à la cause environnementale.
Ainsi, au-delà de son effet en matière de préoccupations environnementales, nous montrons l’impact surprenant de l’influence intergénérationnelle sur les décisions financières des parents. Cela plaide en faveur de l’intégration des questions liées au changement climatique dans l’éducation pour toucher indirectement les parents. Au-delà de la sensibilisation des enfants, l’éducation des filles en particulier peut également avoir des effets secondaires financiers positifs sur leurs pères en favorisant les flux d’argent vers des investissements verts. Étant donné que l’éducation sur cette question est en développement, on peut espérer que l’apprentissage intergénérationnel influence positivement les décisions d’investissements verts dans les portefeuilles des ménages et contribue ainsi activement au financement de la transition écologique.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
17.11.2024 à 11:38
Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education
Alors que les chauffeurs de VTC se mobilisent pour un meilleur statut et l’amélioration de leurs conditions de travail, où en est la loi ? Si des jugements, en France et à l’étranger, ont déjà permis de rapprocher leur situation du salariat, tout n’est pas encore acquis pour les travailleurs ubérisés.
Depuis quelques jours, les opérations escargots et grèves des chauffeurs VTC se multiplient. Il s’agit pour eux de dénoncer des commissions jugées abusives et de réclamer une meilleure rémunération et un encadrement du nombre de chauffeurs afin de réguler l’activité.
Ces mobilisations surviennent dans un contexte où le salariat est mis à mal par une ubérisation galopante des emplois, qui contribue à une grande précarisation des salariés des plates-formes comme Uber, Deliveroo ou Lyft. En 2022, on recensait 230 000 travailleurs de plates-formes numériques en activité en France, dont 179 200 livreurs à deux roues et 52 700 chauffeurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC).
En 2022, 3 % des Européens ont déclaré avoir travaillé sur une plate-forme numérique au cours des 12 derniers mois. 28 millions d’emplois seraient concernés, dont 7 % seulement sont salariés, face à 93 % indépendants. Ces travailleurs effectuent des tâches pour des clients avec lesquels ils sont mis en relation via une plate-forme numérique.
Si ces travailleurs peuvent opter pour différents statuts, c’est celui de micro-entrepreneur qui est le plus largement utilisé, car plus simple et plus souple. D’ailleurs, en France, le nombre de micro-entrepreneurs a bondi. Fin juin 2023, le réseau des Urssaf dénombre 2,7 millions d’autoentrepreneurs administrativement actifs, soit 215 000 de plus sur un an (+8,6 %). Cela arrive après un ralentissement observé depuis le troisième trimestre 2021 (+12,0 % sur un an fin juin 2022) compte tenu du rythme soutenu des radiations. Un rapport du Sénat indique d’ailleurs :
« Le statut très souple d’autoentrepreneur puis de micro-entrepreneur a pu créer une brèche dans laquelle se sont engouffrées les plates-formes pour s’affranchir des contraintes liées au salariat. »
À la frontière du travail dissimulé, les travailleurs des plates-formes subissent à la fois une précarisation de leurs droits et des tâches répétitives et ingrates, assimilables à du « micro-travail ».
Le fonctionnement des plates-formes questionne le lien qui les unit aux travailleurs et la subordination éventuelle qui se met en place. Pour éviter un déséquilibre des droits des travailleurs, le cadre légal, tant en France qu’en Europe, tend de plus en plus vers une protection de ces travailleurs et viser à organiser une présomption de salariat. Le salariat offre en effet des droits sociaux bien plus protecteurs que le statut d’indépendant.
Ainsi, en Espagne, dès 2018 et pour la première fois en Europe, un tribunal requalifie les travailleurs de Deliveroo en salariés et, le 12 août 2021, la loi « Riders » (cavaliers) présume automatiquement salariés tous les coursiers de plates-formes en Espagne.
En France, la Cour de cassation s’est également prononcée en 2018 sur les relations contractuelles existant entre des coursiers et la plate-forme Take Eat Easy en considérant qu’il existe un lien de subordination. Elle retient que la géolocalisation va au-delà de la simple mise en relation et que les retards dans les livraisons sont sanctionnés par la plate-forme.
De même, par une décision du 4 mars 2020, la Cour de cassation a requalifié la relation d’un chauffeur de VTC avec la société Uber en contrat de travail. Dans cet arrêt « Uber », la Cour de cassation avait retenu notamment l’impossibilité pour le chauffeur de constituer sa propre clientèle, de fixer librement ses tarifs et les conditions d’exercice de sa prestation de transport.
La Cour d’appel de Paris est allée dans le même sens en juillet 2022 en condamnant la société Deliveroo pour travail dissimulé et des faits de harcèlement moral du fait de ses méthodes managériales.
En revanche, d’autres décisions n’ont pas été en faveur de la reconnaissance du lien de subordination. Dans cette affaire, il a été retenu notamment par le juge que le travailleur était en mesure de se déconnecter, d’effectuer des courses pour son propre compte, d’organiser ses courses, et que le système de géolocalisation inhérent au fonctionnement d’une plate-forme n’avait pas pour objet de contrôler l’activité du chauffeur, mais de permettre l’attribution du chauffeur le plus proche au client.
Il y a donc la volonté d’évaluer le lien de subordination à travers le prisme du contrôle des salariés. La notion de géolocalisation est particulièrement éclairante dans la mesure où un tel dispositif est possiblement mis en œuvre s’il est légitime et proportionné au but recherché. Dans le cas d’Uber, la géolocalisation imposée par le fonctionnement de la plate-forme ne caractérise pas un lien de subordination juridique des chauffeurs, car ce système n’a pas pour objet de contrôler l’activité des chauffeurs, mais est utilisé à d’autres fins.
Dans l’arrêt Uber de 2020, la Cour de cassation avait été particulièrement attentive à une clause spécifique du contrat qui, d’après la Cour, pouvait conduire les chauffeurs « à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant ». La question du contrôle est alors clairement soulevée. Dans cet arrêt, le mot contrôle apparaît d’ailleurs à 20 reprises.
En France, les articles D7342-1 à D7345-27 du code du travail définissent la responsabilité sociale des plates-formes envers leurs travailleurs. Par ailleurs, l’ordonnance no 2022-492 du 6 avril 2022 « renforçant l’autonomie des travailleurs indépendants des plates-formes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi » a consolidé les droits de ces travailleurs. Ainsi, il n’est plus possible d’imposer aux travailleurs l’utilisation de matériel ou d’équipement déterminé (sous réserve d’obligations légales ou réglementaires), et ils ont la faculté de recourir à plusieurs intermédiaires, de déterminer leur itinéraire et de choisir leur plage horaire d’activité.
Au niveau européen, les 27 États membres ont, le 14 octobre 2024, adopté de nouvelles règles pour renforcer ces droits, avec l’adoption d’une directive. Ce texte tend à faciliter la requalification des travailleurs en salariés en déterminant une présomption légale d’emploi. Cette présomption pourra être invoquée par les travailleurs des plates-formes, leurs représentants ou les autorités nationales afin de dénoncer un classement dans « la mauvaise catégorie ». À l’inverse, « il incombera à la plate-forme numérique de prouver l’absence de relation de travail ».
L’objectif de la directive est aussi de réglementer la gestion algorithmique, afin que les travailleurs soient informés de l’utilisation de systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés en matière de recrutement, de rémunération et concernant les conditions de travail.
Le combat pour défendre les droits des travailleurs des plates-formes est loin d’être terminé. Malgré une évolution notable des réglementations européennes et nationales, plusieurs questions risquent de continuer à alimenter le débat : la présomption de salariat, le dialogue social, le contrôle et les libertés individuelles de ces travailleurs en marge du salariat. Une structuration de la représentation des travailleurs des plates-formes avec un dialogue social renforcé pourra faciliter une nécessaire évolution.
Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.11.2024 à 11:37
Tony Chevalier, Ingénieur d'étude en paléoanthropologie, Université de Perpignan Via Domitia
Notre vision des modes de vie aux débuts de l’humanité est souvent influencée par les peintures rupestres ; mais les représentations précises et spécifiques d’humains sont en fait relativement récentes. Pour mieux comprendre la manière dont ceux-ci se déplaçaient, il vaut mieux se pencher sur leurs os, et les analyser en regard de ce que l’on sait de l’ossature des sportifs actuels !
Regarder notre passé nous pousse parfois à nous comparer à nos ancêtres, à mesurer la distance qui nous sépare d’eux, que ce soit sur un plan comportemental ou sur un plan physique. De multiples travaux de recherches ont montré qu’avant la généralisation de l’agriculture, les humains étaient très mobiles, c’est-à-dire qu’ils effectuaient des déplacements fréquents et/ou longs afin d’exploiter leur territoire pour se nourrir et trouver des matières premières pour confectionner des outils. Mais auraient-ils pu courir plus vite ou plus longtemps que nos athlètes ? À quel point étaient-ils actifs ? Pouvons-nous quantifier leurs efforts ?
Si répondre directement à certaines questions est difficile, nous pouvons les détourner et nous demander à quel point l’activité physique des hommes et femmes préhistoriques depuis des centaines de milliers d’années a impacté la structure de leurs os, en particulier ceux des jambes. L’os, par son adaptation au cours de la vie, révèle d’une certaine manière les efforts consentis par un individu : plus il se renforce, plus l’activité était importante.
Plus précisément, nous cherchons à savoir comment une « simple » marche, même chez des personnes très mobiles, a pu induire un renforcement des os si remarquable chez certains de nos ancêtres.
L’utilisation des scanners permet d’étudier avec précision la structure interne des os des humains actuels et passés. C’est sur le terrain de l’analyse géométrique des os que se jouera cette rencontre à travers le temps. Bien utilisée, la géométrie des sections osseuses, qui intègrent des diamètres internes et externes, permet d’évaluer la robustesse (c’est-à-dire le renforcement) et la forme des os et faire le lien avec la mobilité d’un individu. Voyons cela en détail.
L’ingénierie mécanique enseigne que les propriétés géométriques d’une structure rendent compte des propriétés mécaniques. De fait, les diamètres externes et internes de la section diaphysaire d’un os permettent d’évaluer la rigidité et la résistance de celui-ci. Plus la diaphyse d’un os aura des diamètres externes et une épaisseur corticale élevés plus elle sera résistante.
Quand nous imaginons notre squelette, nous sommes tentés de le percevoir comme une structure rigide et stable. Pourtant, l’os est une matière vivante tout au long de la vie, qui se renouvelle et s’adapte aux contraintes habituellement subies. Par exemple, quand nous marchons, nous exerçons une pression sur nos os, nous les fléchissons et les tordons un peu. En conséquence, à la différence de l’acier, l’os réagit aux contraintes en se renforçant ou s’allégeant. Cette adaptation est d’autant plus efficace si vous êtes jeune. L’os ne s’adaptera pas si un type de contraintes se produit rarement ou si les changements d’intensité dans nos activités physiques sont trop faibles.
Les recherches menées sur les sportifs ont été d’une aide précieuse pour savoir si les variations de sollicitations de nos membres induisaient des variations de la structure osseuse au long de la vie.
Dès les années 70, les travaux réalisés sur les bras des joueurs et joueuses de tennis ont montré une asymétrie élevée en faveur de l’humérus du bras dominant, celui qui tient la raquette. L’augmentation du diamètre de la diaphyse entraîne une plus grande robustesse pour l’humérus du bras dominant, c’est-à-dire une plus grande résistance. Le bénéfice osseux dû à des contraintes générées par le sport peut même dans certains cas perdurer encore 30 ans après l’arrêt d’une pratique sportive.
Désormais, nous savons qu’une activité physique régulière va engendrer des contraintes récurrentes sur un os, et que celui-ci va s’adapter en changeant sa géométrie (taille et forme). Ainsi, en faisant le cheminement inverse, l’étude de la géométrie des os de la jambe serait un moyen de nous renseigner sur la manière de se déplacer de leur propriétaire. Bien entendu, il faut être très prudent lors de ce type d’interprétation. Par exemple, au-delà des multiples facteurs qui peuvent influer sur la structure osseuse, la structure observée chez un adulte préhistorique résulterait en partie de son activité à un jeune âge, à une époque où son os était plus réactif aux stimuli mécaniques.
Lorsque nous nous intéressons aux os des jambes des espèces humaines anciennes appartenant au genre Homo, c’est en particulier pour comprendre leur mobilité : nous voulons savoir s’ils marchaient beaucoup (haut niveau de mobilité), sans toutefois définir une fréquence de déplacement et une distance journalière. Nous évaluons aussi le type de terrain parcouru, sachant qu’un terrain plat ou avec des reliefs impactera différemment les os. Plus la marche est fréquente et intense, plus le terrain pratiqué est irrégulier, et plus les os subiront de fortes contraintes et se renforceront.
En 2023, nous avons publié nos recherches sur la mobilité d’une femme d’une ancienneté de 24 000 ans provenant de la grotte de Caviglione (Ligurie, Italie). D’après la topographie du lieu de la découverte, cette femme Homo sapiens avait la possibilité de se déplacer à la fois sur des terrains à fort dénivelé et sur des terrains plats, le niveau de la mer étant bien plus bas qu’aujourd’hui. Les résultats ont montré le très haut niveau de mobilité pratiqué par cette femme grâce à ses fémurs et tibias et l’adaptation de ses os à des déplacements fréquents en terrain montagneux grâce à ses fibulas.
Plus précisément, nous avons mis en évidence une robustesse extrêmement élevée des fibulas de cette femme par comparaison à ses contemporains, mais aussi au regard des joueurs de hockeys sur gazon, dont la pratique se caractérise par une grande mobilité de la cheville. Ces résultats suggéreraient la présence d’une activité préhistorique très intense sur des terrains irréguliers. Ce type de terrain implique des mouvements variés de la cheville, et notamment des mouvements latéraux fréquents d’une plus grande amplitude que sur terrain plat, amenant la fibula à supporter plus de poids et donc à se renforcer.
À 450 000 ans, nous observons également une robustesse très élevée des fibulas humaines, associée à un fort étirement de la diaphyse du tibia (Caune de l’Arago, Tautavel). Cela plaide pour un haut niveau de mobilité et des déplacements récurrents des Homo heidelbergensis à la fois dans la plaine et sur les reliefs aux alentours de la grotte de Tautavel.
Les forts renforcements observés chez certains Homo heidelbergensis et Homo sapiens anciens, aussi bien des femmes que des hommes, au regard de sportifs confirmés contemporains, sont très étonnants sachant que les hommes préhistoriques sont avant tout des marcheurs et que les contraintes les plus élevées s’exercent sur les os lors de la course à pied.
La robustesse naturellement plus élevée d’un individu préhistorique, c’est-à-dire acquise génétiquement, pourrait expliquer certains des résultats. En étudiant la robustesse relative de la fibula (qui prend en compte pour chaque individu le rapport de résistance entre sa fibula et son tibia), nous éliminons l’influence de ce type de facteurs génétiques sur nos résultats, partant du postulat qu’une robustesse naturellement élevée toucherait autant ces deux os. Pourtant, ce rapport (fibula versus tibia), déterminant pour comprendre les mouvements de la cheville, donne l’un des résultats les plus remarquables pour le squelette de Caviglione (24 000 ans). Il met en exergue la robustesse relative très élevée de ses fibulas.
L’ensemble des résultats plaide pour une influence multifactorielle sur la structure osseuse et par notamment l’impact significatif d’une activité non négligeable et continue au cours de la vie. Un haut niveau de mobilité dès un très jeune âge, lorsque l’os est particulièrement réactif aux stimuli mécaniques, associé à des déplacements en montagne, ou sur d’autres terrains irréguliers, voire à la pratique de la course à pied, pourrait expliquer une telle robustesse à l’âge adulte chez des individus ayant vécu entre 500 000 ans et 20 000 ans.
Pour en savoir plus, retrouvez l’auteur dans le documentaire d’Emma Baus « Tautavel, vivre en Europe avant Neandertal » le 28 novembre 2024 sur France 5 dans l’émission Science grand format.
Tony Chevalier a reçu des financements de l'université de Perpignan via Domitia (UPVD, Bonus Qualité Recherche) et de la fondation UPVD.