10.09.2025 à 17:25
Maxime Cochennec, Chercheur site et sols pollués, BRGM
Clément Zornig, Responsable de l’unité Risques, Sites et Sols Pollués au BRGM, BRGM
Stéfan Colombano, Ingénieur-chercheur au BRGM, BRGM
Les PFAS, ou substances per- et polyfluoroalkylées, sont souvent appelées « polluants éternels ». Dans les Ardennes françaises par exemple, les habitants de plusieurs communes ont, depuis juillet 2025, interdiction de consommer l’eau du robinet pour les boissons ou la préparation des biberons.
Ces substances posent un problème de pollution environnementale qui tient du casse-tête. Le cœur du problème tient aux coûts élevés de dépollution et au fait que les techniques de traitement ne permettent pas, à l’heure actuelle, de détruire de façon certaine et systématique ces composés sans risquer de déplacer le problème en produisant d’autres PFAS plus petits et potentiellement aussi dangereux.
La pollution des sols et des eaux souterraines par les substances perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (acronyme anglais PFAS) représente l’un des défis environnementaux et sanitaires majeurs de notre époque. Une enquête menée par le Monde et plusieurs autres médias partenaires révélait, début 2025, l’ampleur de la contamination des sols et des eaux par les PFAS.
Comment s’y prendre pour dépolluer les milieux ? Face à cette famille de composés dont certains sont classés « polluants organiques persistants et cancérogènes », des solutions de dépollution des milieux existent déjà, quoique coûteuses. Les techniques de destruction des PFAS, en revanche, sont encore en cours de maturation dans les laboratoires. État des lieux.
La distinction entre le traitement des milieux et l’élimination (ou dégradation) des PFAS n’est peut-être pas évidente, mais elle est pourtant essentielle.
Pour les sols et pour les eaux souterraines, le traitement des PFAS consiste à diminuer suffisamment les concentrations mesurables afin de retrouver un état le plus proche possible de l’état avant la pollution, avec un coût technico-économique acceptable.
En revanche, ce traitement n’implique pas forcément la dégradation des PFAS, c’est-à-dire l’utilisation de techniques physiques, thermiques, chimiques ou biologiques permettant de transformer les PFAS en molécules moins dangereuses.
L’alternative consiste à en extraire les PFAS pour les concentrer dans des résidus liquides ou solides.
Toutefois, ce processus n’est pas entièrement satisfaisant. Bien que l’état des milieux soit rétabli, les résidus issus du traitement peuvent constituer une nouvelle source de pollution, ou tout au moins un déchet qu’il est nécessaire de gérer.
Un exemple typique est le traitement de l’eau par circulation dans du charbon actif granulaire, capable de retenir une partie des PFAS, mais une partie seulement. Le charbon actif utilisé devient alors un résidu concentré dont la bonne gestion est essentielle pour ne pas engendrer une nouvelle pollution.
À lire aussi : PFAS et dépollution de l’eau : les pistes actuelles pour traiter ces « polluants éternels »
Les ingénieurs et les chercheurs développent actuellement des méthodes pour décomposer ou éliminer les PFAS in situ, directement dans les sols et dans les eaux souterraines.
Pour le moment, la principale difficulté est d’ordre chimique. Il s’agit de rompre la liaison carbone-fluor (C-F), caractéristique des PFAS et qui leur procure cette incroyable stabilité dans le temps. En effet, il faut 30 % plus d’énergie pour casser la liaison carbone-fluor que la liaison carbone-hydrogène, que l’on retrouve dans beaucoup de polluants organiques.
Certaines techniques semblent amorcer une dégradation, mais il est crucial d’éviter une dégradation incomplète, qui pourrait générer comme sous-produits des PFAS de poids moléculaire plus faible, souvent plus mobiles et d’autant plus problématiques que leurs impacts sur la santé et sur l’environnement sont encore peu ou pas connus.
Ce n’est pas tout : les méthodes basées sur la chimie impliquent le plus souvent d’ajouter des réactifs ou de maintenir localement des conditions de température et/ou de pression potentiellement néfastes pour l’environnement.
D’autres approches envisagent la biodégradation des PFAS par des microorganismes, mais les résultats sont pour le moment contrastés, malgré quelques travaux récents plus encourageants.
À lire aussi : PFAS : comment les analyse-t-on aujourd’hui ? Pourra-t-on bientôt faire ces mesures hors du laboratoire ?
On l’a vu, la dégradation des PFAS directement dans les sols et dans les eaux implique de nombreux verrous scientifiques à lever.
Un certain nombre de techniques permettent toutefois de séparer les PFAS des eaux après pompage (c’est-à-dire, ex-situ), et cela à l’échelle industrielle. Les trois techniques les plus matures sont le charbon actif granulaire, les résines échangeuses d’ions et la filtration membranaire – en particulier la nanofiltration et l’osmose inverse.
Le charbon actif et les résines échangeuses d’ions reposent sur une affinité chimique des PFAS beaucoup plus grande pour le substrat (charbon ou résine) que pour le milieu aqueux : ce sont des techniques dites d’adsorption.
L’adsorption ne doit pas être confondue avec l’absorption, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène de surface. Les PFAS s’accumulent alors sur la surface, plutôt qu’à l’intérieur, du substrat, notamment via des interactions électrostatiques attractives. Heureusement, la surface disponible pour du charbon actif en granulés est importante grâce à sa porosité microscopique. Pour 100 grammes de produit, elle représente l’équivalent d’une dizaine de terrains de football.
La filtration, enfin, repose principalement sur l’exclusion par la taille des molécules. Or, les PFAS les plus préoccupants sont des molécules relativement petites. Les pores des filtres doivent donc être particulièrement petits, et l’énergie nécessaire pour y faire circuler l’eau importante. Cela constitue le principal défi posé par cette technique appliquée au traitement des PFAS.
Les techniques qui précèdent sont déjà connues et utilisées de longue date pour d’autres polluants, mais qu’elles demeurent efficaces pour de nombreux PFAS. Ces techniques sont d’ailleurs parmi les rares ayant atteint le niveau 9 sur l’échelle TRL (Technology Readiness Level), un niveau maximal qui correspond à la validation du procédé dans l’environnement réel.
Néanmoins, de nombreuses recherches sont en cours pour rendre ces techniques plus efficaces vis-à-vis des PFAS à chaînes courtes et ultra-courtes – c’est-à-dire, qui comportent moins de six atomes de carbones perfluorés. En effet, ces molécules ont moins d’affinités avec les surfaces et sont donc plus difficiles à séparer du milieu aqueux.
Quant aux techniques pour traiter les sols, l’approche doit être radicalement différente : il faut récupérer les PFAS adsorbés sur les sols. Pour ce faire, des solutions basées sur l’injection d’eau sont à l’étude, par exemple avec l’ajout d’additifs comme des gels et des solvants.
Ces additifs, lorsqu’ils sont bien choisis, permettent de modifier les interactions électrostatiques et hydrophobes dans le système sol-eau souterraine afin de mobiliser les PFAS et de pouvoir les en extraire. Le principal défi est qu’ils ne doivent pas générer une pollution secondaire des milieux. L’eau extraite, chargée en PFAS, doit alors être gérée avec précaution, comme pour un charbon actif usagé.
Reste ensuite à savoir quoi faire de ces déchets chargés en PFAS. Outre le confinement dans des installations de stockage, dont le principal risque est d’impacter à nouveau l’environnement, l’incinération est actuellement la seule alternative.
Le problème est que les PFAS sont des molécules très stables. Cette technique recourt aux incinérateurs spécialisés dans les déchets dangereux ou incinérateurs de cimenterie, dont la température monte au-dessus de 1 000 °C pour un temps de résidence d’au moins trois secondes. Il s’agit d’une technique énergivore et pas entièrement sûre dans la mesure où la présence éventuelle de sous-produits de PFAS dans les gaz de combustion fait encore débat.
Parmi les autres techniques de dégradation, on peut citer l’oxydation à l’eau supercritique, qui a pu démontrer son efficacité pour dégrader un grand nombre de PFAS pour un coût énergétique moindre que l’incinération. La technique permet de déclencher l’oxydation des PFAS. Elle repose néanmoins sur des conditions de température et de pression très élevées (plus de 375 °C et plus de 218 bars) et implique donc une dépense importante d’énergie.
Il en est de même pour la sonocavitation, qui consiste à créer des bulles microscopiques à l’aide d’ultrasons qui, en implosant, génèrent des pressions et des températures à même de dégrader les PFAS en générant un minimum de sous-produits.
Le panel de techniques présenté ici n’est évidemment pas exhaustif. Il se concentre sur les techniques les plus matures, dont le nombre reste relativement restreint. Des dizaines d’autres méthodes sont actuellement à l’étude dans les laboratoires.
Que retenir de cet inventaire ? Le traitement des milieux, en particulier les eaux et les sols, n’implique pas systématiquement la dégradation des PFAS. Pour y parvenir, il faudra mobiliser des nouvelles approches encore en cours de recherche et développement.
De plus, la dépollution devra d’abord se concentrer sur le traitement des zones sources (sols directement impactés avec des produits contenant des PFAS, etc.) afin d’éviter les pollutions secondaires. En effet, une dépollution à très grande échelle engendrerait un coût gigantesque, estimé à 2 000 milliards d’euros sur vingt ans.
En conséquence, même si des techniques de dépollution existent déjà et que d’autres sont en développement, elles ne suffiront pas. Elles doivent être couplées à une surveillance accrue des milieux, à une évolution des réglementations sur l’usage et sur la production de PFAS et à un effort de recherche soutenu pour restreindre ou pour substituer ces substances lorsque cela est possible.
Maxime Cochennec a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
Clément Zornig a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
Stéfan Colombano a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
10.09.2025 à 17:22
Celia Harris, Associate Professor in Cognitive Science, Western Sydney University
Penny Van Bergen, Associate Professor in the Psychology of Education, Macquarie University
Si certaines petites filles et certains petits garçons sont particulièrement distraits, il n’est pas évident pour les enfants en général de bien se rappeler du matériel scolaire à apporter ou de veiller sur leurs affaires. Explications.
En cette période de reprise scolaire, nombreux sont les parents et les enseignants qui vont de nouveau entendre des phrases comme « Je ne retrouve plus mon pull » ou « J’ai laissé mon bonnet à la maison ». Pour les parents d’enfants plus âgés, les objets perdus peuvent avoir encore plus de valeur : téléphones portables, ordinateurs portables oubliés dans le bus…
En tant que parent, il peut être tentant de prendre les choses en main en préparant soi-même les cartables des plus jeunes ou en envoyant aux plus âgés une liste des choses à ne pas oublier à la fin de chaque journée.
Cependant, faire les choses à leur place, c’est les priver d’une occasion d’apprendre.
Dans leurs vies bien remplies, nos enfants utilisent et développent constamment leurs compétences de mémorisation : ils doivent se rappeler où ils ont rangé leurs affaires, acquérir de nouvelles connaissances à l’école et retenir les routines quotidiennes.
Le développement de la mémoire prospective – qui consiste à se souvenir de ce qu’on doit faire dans le futur – est un enjeu particulièrement complexe.
C’est elle que les enfants utilisent lorsqu’ils posent leur gourde pendant la récréation et doivent se rappeler de la reprendre plus tard, ou lorsqu’ils reçoivent un mot de leur professeur et doivent se rappeler de le montrer à leurs parents après l’école. La vivacité de la mémoire prospective implique le bon fonctionnement de plusieurs processus cognitifs.
Les enfants doivent prêter attention à ce qui est nécessaire dans une situation donnée (« Je ne peux pas jouer dehors si je n’ai pas de chapeau »), puis formuler et mémoriser une intention d’action particulière (« Je dois emporter mon chapeau à l’école »). Cette intention, ils doivent se la rappeler au moment crucial (en prenant leur chapeau avant de sortir). Et pouvoir « se rappeler de se rappeler » nécessite un déclenchement spontané de la mémoire, au bon moment, sans aide ni rappel.
Ces processus nécessitent une compétence cognitive appelée « fonction exécutive » qui nous permet de contrôler consciemment notre attention et notre mémoire et de nous engager dans des tâches intellectuelles compliquées.
Les processus qui dépendent de cette fonction exécutive sont complexes, c’est pourquoi les bouteilles de boisson perdues et les chapeaux oubliés sont des expériences frustrantes si courantes dans la vie des parents.
Même chez les adultes, la majorité des erreurs de mémoire au quotidien concernent la mémoire prospective.
Par rapport à d’autres compétences comme le langage ou le jeu, les fonctions exécutives se développent plus tard dans l’enfance. En effet, le cortex préfrontal, qui sous-tend les tâches liées aux fonctions exécutives, n’atteint sa maturité qu’au début de l’âge adulte.
Cela signifie que l’oubli est courant chez les enfants et fait naturellement partie de leur développement. Il y a de fortes chances que vous ayez été comme ça vous aussi quand vous étiez à leur place (vous ne vous en souvenez peut-être pas).
En matière de fonctions exécutives, les différences sont grandes d’un enfant à l’autre (comme d’un adulte à l’autre). Si tous les enfants progressent au fil du temps, ils ne le font pas au même rythme.
Les enfants présentant un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont plus susceptibles d’être concernés par les oublis. Dans le cas du TDAH de type inattentif, ils ont plus tendance à perdre des objets et à se dissiper lors d’activités quotidiennes telles que les tâches ménagères ou les courses.
Ces enfants finiront par développer leur mémoire prospective avec le temps, mais ils peuvent être plus distraits que leurs camarades du même âge.
Établissez des routines et respectez-les. Des études montrent que les routines aident les enfants à développer leurs capacités cognitives et leur maîtrise de soi. Les enfants mémorisent mieux une routine lorsqu’elle est « automatisée », c’est-à-dire pratiquée suffisamment souvent pour qu’ils la suivent sans y penser.
Encouragez la « métacognition », c’est-à-dire la conscience de ses propres processus cognitifs. Une étude suggère que les enfants ont tendance à surévaluer leur capacité à mémoriser. Les parents et les enseignants peuvent les aider à prendre conscience de la difficulté de cette tâche et à mettre en place des stratégies efficaces.
Donnez l’exemple ! Ainsi, vous pouvez établir vos propres listes et astuces pour vous aider à vous souvenir des tâches quotidiennes. Vous pouvez également instaurer une routine familiale consistant à déposer les sacs près de la porte et à les vérifier la veille au soir. Ne le faites pas à leur place, faites-le ensemble.
N’hésitez pas à demander l’aide d’un professionnel si vous êtes inquiet. Tous les enfants ont des oublis de temps à autre, certains plus que d’autres. Si votre enfant est particulièrement distrait ou étourdi, il peut être utile de consulter un médecin généraliste ou un psychologue scolaire. Les troubles tels que le TDAH doivent être évalués dans plusieurs contextes (par exemple, à la maison et à l’école, ou à la maison et au sport) et répondre à des critères spécifiques. Un diagnostic peut être utile pour mettre en place les aides nécessaires.
Ne comptez pas sur les enfants pour se souvenir spontanément de ce qu’il faut faire : c’est l’aspect le plus difficile de la mémoire prospective ! Utilisez plutôt des listes et des aide-mémoire. Par exemple, s’ils oublient systématiquement leur gourde à l’école, vous pouvez mettre une étiquette sur leur cahier de textes avec la mention « Où est ta gourde ? » Utiliser des rappels n’est pas tricher, c’est favoriser la réussite.
Ne vous inquiétez pas trop des erreurs, elles sont normales. Une étude menée auprès d’enfants âgés de 3 ans à 5 ans a montré que les récompenses sous forme de friandises ne suffisaient pas à améliorer les performances. Les punitions ne sont pas non plus efficaces. Utilisez plutôt les oublis comme des occasions d’apprendre : réfléchissez à la manière d’ajuster votre stratégie la prochaine fois.
Ne tardez pas à réagir. L’anxiété et le stress peuvent augmenter le risque d’oublis, car les enfants peuvent facilement se sentir dépassés. Préparez les sacs la veille, entraînez-vous à suivre de nouvelles routines et évitez autant que possible de vous précipiter.
Évitez les jugements. Les défaillances de la mémoire prospective sont parfois perçues comme des défauts de caractère, en particulier lorsqu’elles affectent d’autres personnes (comme lorsqu’on oublie de rendre un objet emprunté). Comprendre comment fonctionne la mémoire permet de réaliser au contraire que l’oubli fait partie intégrante de la vie quotidienne et du développement des enfants.
Celia Harris a reçu des financements de l'Australian Research Council et du Longitude Prize on Dementia.
Penny Van Bergen a reçu des financements de l'ARC, de Marsden, de Google et de la Fondation James Kirby.