02.06.2025 à 16:00
Camille Mazé-Lambrechts, Directrice de recherche en science politique au CNRS, titulaire de la chaire Outre-mer et Changements globaux du CEVIPOF (Sciences Po), fondatrice du réseau de recherche international Apolimer, Officier de réserve Marine nationale CESM/Stratpol, Sciences Po
Jordan Hairabedian, Enseignant en climat, biodiversité et transformations socio-environnementales, Sciences Po
Mathieu Rateau, Assistant researcher en politiques environnementales., Sciences Po
Une ombre nommée Donald Trump devrait planer sur la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3), qui va se dérouler à Nice (Alpes-Maritimes), en juin 2025. Dès son premier mandat et depuis son retour en janvier dernier à la Maison Blanche, Trump a altéré les positions des États-Unis. Celles-ci ont influencé négativement les engagements pour la biodiversité ailleurs dans le monde. Y compris en Europe, quoi qu’indirectement.
Le climat n’est pas le seul enjeu international à souffrir des décisions prises par le président américain Donald Trump, qui vont à l’encontre du consensus scientifique mondial sur l’environnement.
De fait, celui-ci a déjà retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, a fait disparaître l’expression même de « changement climatique » des sites de l’administration, a rétropédalé sur des mesures telles que l’interdiction des pailles en plastique et continue de soutenir les hydrocarbures et leur exploitation. De telles politiques vont à l’encontre des besoins des populations, tels que définis par la campagne One Planet, One Ocean, One Health, par exemple.
De telles décisions affectent la transition socio-écologique globale dans son ensemble, y compris en dehors des États-Unis. L’action internationale pour préserver la biodiversité devrait donc également en pâtir. Une question cruciale alors que va débuter la troisième Conférence des Nations unies pour l’océan (Unoc 3) et que les tensions se renforcent sur les arbitrages à réaliser entre climat, biodiversité, économie et autres enjeux de société.
Nous aborderons ici deux cas d’étude pour comprendre comment les politiques trumpiennes peuvent influencer le reste du monde en matière de multilatéralisme pour la biodiversité : d’abord la COP 16 biodiversité, à Cali (Colombie), qui s’est récemment conclue à Rome en février 2025, puis le Pacte vert pour l’Europe, ensemble de textes qui doivent permettre à l’Union européenne (UE) d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’établir un vaste réseau de zones protégées, sur terre et en mer (30 %).
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La COP 16 sur la biodiversité, qui s’est tenue à Cali (Colombie) du 21 octobre au 1er novembre 2024, avait pour objectif d’accélérer la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Celui-ci est l’équivalent de l’accord de Paris sur le climat.
Il prévoit notamment la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés, tout en finançant l’action biodiversité à l’international. Ce dernier point fut le principal point de tension lors des négociations lors de la COP 16.
Les États-Unis ne sont pas membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio, qui est l’un des textes fondateurs de la diplomatie internationale en matière de biodiversité. Mais ils influencent les discussions par leur poids économique et politique.
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L’élection de Trump, survenue peu après la COP 16, et son retrait renouvelé de l’accord de Paris accompagné de politiques pro-fossiles ont rapidement assombri les perspectives de coopération internationale. Ce revirement a affaibli la confiance dans les engagements multilatéraux et a rendu plus difficile la mobilisation de fonds pour la préservation de l’environnement et la conservation de la biodiversité.
À lire aussi : La COP16 de Cali peut-elle enrayer l’effondrement de la biodiversité ?
Malgré ce contexte international préoccupant, la COP 16 a pu aboutir à des avancées notables pour donner davantage de place au lien entre biodiversité et changement climatique, laissant espérer une appréhension plus transversale de la protection de l’environnement. De fait, la deuxième partie des négociations, en février 2025, a permis d’aboutir à un accord sur les financements.
La stratégie adoptée, qui doit être déployée sur cinq ans, est supposée permettre de débloquer les 200 milliards de dollars nécessaires à la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité. Toutefois, comme certaines des cibles de ce cadre doivent être atteintes d’ici 2030, le risque est que le délai soit trop court pour permettre la mobilisation des ressources nécessaires.
En parallèle, une décision historique a permis la création d’un organe de représentation permanent des peuples autochtones ainsi que la reconnaissance du rôle des communautés afro-descendantes, afin que leurs positions soient mieux prises en compte dans les négociations. La contribution des peuples autochtones à la conservation de la biodiversité est effectivement reconnue par la CDB, bien que son ampleur soit discutée.
La COP 16 a également permis des progrès en termes de protection des océans. Une décision y a ainsi défini des procédures pour décrire les zones marines d’importance écologique et biologique (en anglais, EBSA, pour Ecologically or Biologically Significant Marine Areas).
Ceci constitue l’aboutissement de 14 ans de négociations et ouvre la voie à la création d’aires protégées en haute mer et à des synergies potentielles avec le Traité de la haute mer (Biodiversity Beyond National Jurisdiction, BBNJ).
Ce traité reste bien plus significatif que l’EBSA, ce dernier n’ayant pas de dimension contraignante. Le problème reste qu’à ce jour, seuls 29 États ont ratifié cet accord alors qu’il en nécessite 60. La perspective d’une ratification de l’accord BBNJ par les États-Unis sous la présidence de Donald Trump semble bien improbable, d’autant plus depuis la signature d’un décret en avril 2025 pour autoriser l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer, au-delà des zones économiques exclusives.
Le vent des politiques trumpistes souffle jusque sur les côtes du continent européen. Depuis le premier mandat de Donald Trump entre 2016 et 2020 et ses décisions anti-environnementales, l’Europe a, elle aussi, ajusté ses politiques en matière d’action environnementale.
Annoncé en 2019 pour la décennie 2020-2030, le Pacte vert européen (Green Deal) a récemment cherché à se réinventer face aux décisions américaines. Dès les élections européennes de juin 2024, le Parlement s’est renforcé à sa droite et à son extrême droite, motivant une évolution de ses politiques internes.
Ainsi, en réaction au culte des énergies fossiles outre-Atlantique, l’Union européenne a récemment développé certaines dimensions du Green Deal destinées à mettre la focale sur les technologies bas carbone en Europe. En février 2025, le Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal) a ainsi été présenté, en cohérence avec le rapport Draghi de septembre 2024. Ce dernier s’inscrivait dans une logique libérale en faveur d’une stratégie de dérégulation.
Cela étant, les solutions présentées comme contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le Pacte pour une industrie propre n’ont pas toujours des effets bénéfiques en matière de biodiversité. Les bioénergies, les technologies de stockage du carbone ou encore l’hydroénergie présentent des externalités négatives – c’est-à-dire, des effets indésirables – notables pour le vivant.
Il est intéressant de noter qu’à l’inverse, très peu d’actions en faveur de la biodiversité nuisent à l’action climatique, comme le montre le schéma ci-dessus. C’est ce qu’ont démontré le Giec et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) (l’instance onusienne équivalente pour la biodiversité), dans leur rapport commun de 2021, une première.
En parallèle, ces volontés de dérégulation ont contribué à détricoter plusieurs mesures environnementales clés pour l’UE. Or, ces ajustements risquent de compromettre les efforts de protection de la biodiversité tout au long des chaînes de valeur économique :
les réglementations relatives aux critères environnement-social-gouvernance (ESG) vont être simplifiées, ce qui devrait marquer un net recul en matière de transparence et d’incitation à l’action pour les entreprises ;
la directive qui impose aux entreprises la publication d’informations sur la durabilité (CSRD), bien qu’elle conserve la biodiversité dans son périmètre ainsi que l’approche en double matérialité, a vu son impact réduit par l’exclusion de 80 % des organisations initialement concernées et par plusieurs reports d’application ;
même la taxonomie environnementale de l’UE, outil clé pour classifier des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement, a vu son périmètre revu à la baisse, ce qui limitera les effets incitatifs qu’elle devait avoir sur la transition écologique pour orienter les financements.
Enfin, la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD) a été édulcorée en adoptant la vision allemande. Les impacts socio-environnementaux devront être analysés uniquement au niveau des sous-traitants directs. Cela exclut du périmètre des maillons critiques comme les exploitations agricoles, qui sont les plus en lien avec la biodiversité.
Malgré ces renoncements, plusieurs politiques publiques importantes pour la biodiversité ont pu être maintenues.
C’est notamment le cas de la Stratégie biodiversité 2030 de l’UE, de la loi sur la restauration de la nature et de la loi contre la déforestation importée (bien que reportée d’un an dans son application).
Un paquet spécifique sur l’adaptation est également attendu d’ici fin 2025 dans le cadre du Programme Horizon Europe 2025, dont la consultation publique s’est récemment terminée.
Ainsi, l’action pour le climat et la biodiversité est à la croisée des chemins. Plus que jamais, il appartient à la communauté internationale de défendre un cadre de gouvernance robuste fondé sur la science et la solidarité pour que la préservation de la biodiversité ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la rentabilité immédiate.
Au-delà des déclarations d’intention, il faut mettre en place cette gouvernance de façon efficace, à travers des mesures politiques, des outils de protection et de surveillance adaptés, et surtout, à travers l’adaptation du droit. Une telle transdisciplinarité se révèle ici déterminante pour la solidarité écologique. En ce sens, l’Unoc est une bonne occasion, pour l’UE, de rester unie et forte face à la volonté de Trump de débuter l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
30.05.2025 à 11:25
Céline Leroy, Directrice de recherche en écologie tropicale, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Avez-vous déjà observé une plante avec des feuilles de formes différentes ? Ce phénomène, à la fois surprenant et fascinant, porte un nom : l’hétérophyllie. Loin d’être une bizarrerie botanique, il s’agit d’une véritable stratégie d’adaptation, permettant à certains végétaux de mieux faire face à la diversité des contraintes de leur environnement.
Vous avez sans doute déjà croisé du houx en forêt, dans un jardin ou même en décoration de Noël. Ses feuilles piquantes sont bien connues. Mais avez-vous déjà remarqué que toutes ne sont pas armées de piquants ? Sur une même plante, on trouve des feuilles épineuses en bas, et d’autres lisses plus haut. Ce n’est pas une erreur de la nature, mais un phénomène botanique fascinant : l’hétérophyllie, un mot qui vient du grec heteros signifiant différent, et de phullon, qui désigne la feuille.
Cette particularité s’observe chez de nombreuses espèces, aussi bien terrestres qu’aquatiques, où un même individu peut produire des feuilles très différentes par leur taille, leur forme, leur structure, voire leur couleur. Loin d’être simplement esthétique, cette diversité joue un rôle crucial dans la survie, la croissance et la reproduction des plantes.
Mais d’où vient cette capacité à changer de feuilles ? L’hétérophyllie peut en fait être déclenchée par des variations de l’environnement (lumière, humidité, faune herbivore…). Cette faculté d’adaptation est alors le résultat de ce qu’on appelle la plasticité phénotypique. L’hétérophyllie peut aussi résulter d’une programmation génétique propre à certaines espèces, qui produisent naturellement plusieurs types de feuilles. Quelle qu’en soit l’origine, la forme d’une feuille est le résultat d’une série d’ajustements complexes en lien avec les conditions environnementales du milieu.
Si l’on reprend le cas du houx commun (Ilex aquifolium), celui-ci offre un exemple frappant d’hétérophyllie défensive en réaction à son environnement. Sur un même arbuste, les feuilles basses, à portée d’herbivores, ont des piquants ; celles plus haut sur la tige, hors d’atteinte des animaux, sont lisses et inoffensives. Cette variation permet à la plante d’optimiser ses défenses là où le danger est réel, tout en économisant de l’énergie sur les zones moins exposées, car produire des épines est coûteux.
Des recherches ont montré que cette répartition n’est pas figée. Dans les zones très pâturées, les houx produisent plus de feuilles piquantes, y compris en hauteur, ce qui indique une capacité de réaction à la pression exercée par les herbivores. Cette plasticité phénotypique est donc induite par l’herbivorie. Mais le houx n’est pas un cas isolé. D’autres plantes déploient des stratégies similaires, parfois discrètes, traduisant une stratégie adaptative : modifier la texture, la forme ou la structure des feuilles pour réduire l’appétence ou la digestibilité, et ainsi limiter les pertes de tissus.
La lumière joue un rôle tout aussi déterminant dans la morphologie des feuilles. Chez de nombreuses espèces, les feuilles exposées à une lumière intense n’ont pas la même forme que celles situées à l’ombre.
Les feuilles dites « de lumière », que l’on trouve sur les parties supérieures de la plante ou sur les branches bien exposées, sont souvent plus petites, plus épaisses et parfois plus profondément découpées. Cette forme favorise la dissipation de la chaleur, réduit les pertes d’eau et augmente l’efficacité de la photosynthèse en milieu lumineux. À l’inverse, les feuilles d’ombre, plus grandes et plus minces, sont conçues pour maximiser la surface de captation de lumière dans des conditions de faible éclairement. Elles contiennent souvent davantage de chlorophylle, ce qui leur donne une couleur plus foncée.
Ce contraste est particulièrement visible chez les chênes, dont les feuilles supérieures sont épaisses et lobées, tandis que celles situées plus bas sont larges, souples et moins découpées. De très nombreuses plantes forestières présentent également ces différences. Sur une même plante, la lumière peut ainsi façonner les feuilles en fonction de leur position, illustrant une hétérophyllie adaptative liée à l’exposition lumineuse.
Chez les plantes aquatiques ou amphibies, l’hétérophyllie atteint des formes encore plus spectaculaires. Certaines espèces vivent en partie dans l’eau, en partie à l’air libre et doivent composer avec des contraintes physiques très différentes.
C’est le cas de la renoncule aquatique (Ranunculus aquatilis), qui produit des feuilles très différentes selon leur emplacement. Les feuilles immergées sont fines, allongées et très découpées, presque filamenteuses.
Cette morphologie réduit la résistance au courant, facilite la circulation de l’eau autour des tissus et améliore les échanges gazeux dans un milieu pauvre en oxygène. En revanche, les feuilles flottantes ou émergées sont larges, arrondies et optimisées pour capter la lumière et absorber le dioxyde de carbone de l’air. Ce phénomène est réversible : si le niveau d’eau change, la plante ajuste la forme de ses nouvelles feuilles.
La sagittaire aquatique (Sagittaria spp.) présente elle aussi une hétérophyllie remarquable, avec des feuilles émergées en forme de flèche, épaisses et rigides et des feuilles souvent linéaires et fines sous l’eau. Ces changements illustrent une stratégie morphologique adaptative, qui permet à une même plante d’exploiter efficacement des milieux radicalement différents.
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Mais l’hétérophyllie ne résulte pas toujours de l’environnement. Chez de nombreuses espèces, elle accompagne simplement le développement naturel de la plante. À mesure que la plante grandit, elle passe par différents stades de développement, au cours desquels elle produit des feuilles de formes distinctes.
Ce processus, appelé « hétéroblastie », marque bien souvent le passage entre les phases juvénile et adulte. Un exemple classique est celui du lierre commun (Hedera helix). Les tiges rampantes ou grimpantes portent des feuilles lobées caractéristiques du stade juvénile, tandis que les tiges qui portent les fleurs, situées en hauteur, portent des feuilles entières et ovales. Ce changement est irréversible et marque l’entrée de la plante dans sa phase reproductive.
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Un autre exemple frappant est celui de certains acacias australiens. Les jeunes individus développent des feuilles composées, typiques des légumineuses. À mesure qu’ils grandissent, ces feuilles sont progressivement remplacées par des phyllodes, des pétioles (c’est-à-dire la partie qui unit chez la plupart des plantes la base de la feuille et la tige) élargis qui assurent la photosynthèse tout en limitant l’évaporation (voir planche dessins, ci-dessous). Ces structures en forme de faucille sont particulièrement bien adaptées aux climats chauds et secs, car elles peuvent maintenir une activité photosynthétique efficace tout en minimisant les pertes hydriques.
Les mécanismes qui permettent à une plante de modifier la forme de ses feuilles sont complexes et encore mal compris. On connaît mieux les formes que prennent les feuilles que les mécanismes qui les déclenchent ou les fonctions qu’elles remplissent.
Chez certaines espèces, des hormones végétales telles que l’éthylène, l’acide abscissique (ABA), les auxines ou encore les gibbérellines (GA) jouent un rôle central dans le déclenchement des différentes formes de feuilles. Chez le houx, la différence entre feuilles piquantes et lisses serait liée à des modifications réversibles de la structure de l’ADN, sans altération des gènes eux-mêmes, déclenchées par la pression exercée par les herbivores.
Les plantes hétéroblastiques, quant à elles, sont principalement contrôlées par des mécanismes génétiques et moléculaires. La succession des types de feuilles au cours du développement peut néanmoins être accélérée ou retardée en fonction des conditions de croissance, traduisant une interaction fine entre développement et environnement.
La régulation de l’hétérophyllie repose ainsi sur une combinaison d’interactions hormonales, génétiques, épigénétiques et environnementales. Ce phénomène constitue également un exemple remarquable de convergence évolutive, car l’hétérophyllie est apparu indépendamment dans des lignées végétales très différentes. Cela suggère qu’il s’agit d’une solution robuste face à la diversité des conditions présentes dans l’environnement.
Les recherches futures, notamment grâce aux outils de génomique comparative, d’épigénomique et de transcriptomique, permettront sans doute de mieux comprendre l’évolution et les avantages adaptatifs de cette étonnante plasticité des formes de feuilles.
Céline Leroy a reçu des financements de ANR et de l'Investissement d'Avenir Labex CEBA, Centre d'Etude de la Biodiversité Amazonienne (ref. ANR-10-LABX-25-01).
28.05.2025 à 17:00
Sebastien Bourdin, Professeur de Géographie économique, Titulaire de la Chaire d'excellence européenne "Economie Circulaire et Territoires", EM Normandie
Nicolas Jacquet, Chargé de Recherche ∙ Chaire d'excellence européenne Économie circulaire et Territoires, EM Normandie
Sur le papier, recycler ses vêtements semble un geste vertueux, mais la réalité est tout autre. L’industrie textile produit des déchets en masse, tandis que le recyclage peine à suivre une consommation effrénée. Entre fast-fashion, technologies limitées et exportations vers des pays sans infrastructures adaptées, le modèle circulaire vacille.
L’industrie de la mode a connu une transformation radicale avec l’essor de la fast-fashion : des vêtements bon marché, fabriqués à partir de matériaux peu coûteux, conçus pour être portés une seule saison – voire moins – avant d’être stockés définitivement dans nos armoires ou d’être jetés. Chaque année, pas moins de 3 milliards de vêtements et chaussures sont mis sur le marché en France, d’après le Baromètre des ventes de Refashion.
Ce modèle de production et de consommation frénétique n’est pas sans conséquences : selon les estimations, l’industrie textile représenterait jusqu’à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit davantage que les vols internationaux et le transport maritime réunis. En cause, la prédominance du polyester, un dérivé du pétrole, qui constitue la majorité des vêtements.
Pour s’attaquer à ce fléau, en 2022, la Commission européenne dévoilait sa stratégie pour des textiles durables et circulaires en assurant :
« À l’horizon 2030, les produits textiles mis sur le marché de l’Union seront à longue durée de vie et recyclables, dans une large mesure, fabriqués à partir de fibres recyclées, exempts de substances dangereuses, et produits dans le respect des droits sociaux et de l’environnement. »
Mais, malgré cette prise de conscience politique, la fast-fashion continue de prospérer, alimentée par une production mondiale qui a doublé depuis 2000 et une consommation effrénée poussée par des campagnes de marketing bien rôdées. En l’espace de quinze ans, la consommation occidentale de vêtements a ainsi augmenté de 60 %, alors que nous les conservons deux fois moins longtemps et que certains, très bon marché, sont jetés après seulement 7 ou 8 utilisations. Les chiffres de l’Agence européenne de l’environnement sont accablants : entre 4 % et 9 % des textiles mis sur le marché européen sont détruits avant même d’avoir été portés, soit entre 264 000 et 594 000 tonnes de vêtements éliminés chaque année.
En France, l’Agence de la transition écologique (Ademe) estime que ce gaspillage atteint entre 10 000 et 20 000 tonnes : 20 % des vêtements achetés en ligne sont retournés, et un tiers d’entre eux sont détruits. Leur traitement implique un long processus : tri, reconditionnement, transport sur des milliers de kilomètres… Une aberration écologique.
Mais alors, comment en est-on arrivé à un tel décalage entre la volonté de mieux recycler… et la réalité de nos usages vestimentaires ?
Une étude récente, menée en 2024 par des chercheurs de l’Université catholique de Louvain (UKL), apporte un éclairage nouveau sur nos habitudes vestimentaires. Réalisée auprès de 156 adultes vivant en Flandres (Belgique), l’enquête révèle que la garde-robe moyenne contient 198 vêtements, dont 22 % restent inutilisés pendant plus d’un an.
Pourtant, les trois quarts de ces vêtements qui restent dans nos placards sont encore en bon état et pourraient être réutilisés, mais la majorité des propriétaires les conservent « au cas où », par attachement émotionnel ou anticipation d’un usage futur. L’étude conclut que le manque de solutions accessibles pour revendre ou donner ses vêtements ainsi que la faible demande pour la seconde main freinent leur réutilisation.
Nos placards ne sont pas les seuls à être saturés. Les points de collecte textile déployés par les collectivités sont eux aussi submergés par un afflux massif de vêtements, souvent de mauvaise qualité. Les vêtements d’entrée de gamme, difficiles à valoriser, encombrent ainsi les structures de tri et compliquent le travail des associations, qui, jusqu’ici, tiraient leurs revenus des pièces de meilleure qualité revendues en friperies solidaires.
La situation est telle que Refashion, l’éco-organisme de la filière textile, a récemment débloqué une aide d’urgence de 6 millions d’euros pour soutenir les 73 centres de tri conventionnés, dont l’activité est fragilisée par la chute des débouchés, notamment à l’export. Car, depuis longtemps, les vêtements qui ne trouvent pas preneur sur le marché français – parce que trop usés, démodés ou invendables – sont expédiés vers d’autres pays, principalement en Afrique ou en Asie.
Chaque année, l’Union européenne (UE) exporte ainsi 1,7 million de tonnes de textiles usagés, selon l’Agence européenne de l’environnement. La France à elle seule, en 2021, expédiait 166 000 tonnes de vêtements et de chaussures usagés, soit 3 % du volume total des exportations mondiales.
Ces flux partent principalement vers le Pakistan, les Émirats arabes unis et le Cameroun, selon les données douanières. Si ce commerce génère des emplois et des revenus dans l’économie informelle, il aggrave aussi la pollution textile dans des pays sans infrastructures adaptées au traitement des déchets. La plage de Korle-Gonno à Accra (Ghana) en est l’un des exemples les plus frappants, transformée en véritable décharge à ciel ouvert.
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Mais cette donne pourrait changer. L’UE cherche à imposer un cadre plus strict sur les flux transfrontaliers de déchets textiles, notamment en intégrant ces derniers à la Convention de Bâle, qui régule les exportations de déchets dangereux et non dangereux. Cette évolution pourrait imposer davantage de traçabilité et de contrôles, afin d’éviter que l’Europe continue d’exporter son problème textile vers des pays incapables de le gérer.
Face à l’ampleur du problème, la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), adoptée en 2020, fixait un cap ambitieux : collecter 60 % des textiles usagés d’ici 2028 et en recycler 70 % dès 2024, puis 80 % à l’horizon 2027. Une trajectoire progressive censée stimuler la montée en puissance des filières de tri et de valorisation.
Dans la foulée, l’Assemblée nationale adoptait en mars 2024 une proposition de loi pour « démoder la fast-fashion ». Le texte cible les géants de l’ultra fast-fashion, qui inondent le marché avec plus de 1 000 nouveautés quotidiennes. Il prévoit également un système de bonus-malus environnemental pouvant aller jusqu’à 50 % du prix de vente – plafonné à 10€ par article – afin de financer des marques plus vertueuses et de ralentir cette surproduction.
La proposition de loi doit encore franchir l’étape du Sénat, où elle n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour. Et en attendant, les objectifs de la loi Agec peinent à se concrétiser. En 2023, environ 270 000 tonnes de textiles ont été collectées dans l’Hexagone, mais seules 33 % ont été réellement recyclées en nouvelles matières premières. Bien loin des 70 % fixés pour 2024. En cause : un manque d’infrastructures de tri automatisé, des capacités de traitement limitées, et des opérateurs – souvent issus de l’économie sociale et solidaire – sous-dotés financièrement. À l’échelle mondiale, le constat est encore plus alarmant : moins de 1 % des fibres textiles usagées sont réutilisées pour fabriquer de nouveaux vêtements.
Sur le papier, pourtant, les technologies de recyclage se perfectionnent. Certaines entreprises, comme l’entreprise française, créée en 2011, Carbios, tentent d’innover avec un recyclage enzymatique capable de dégrader les fibres de polyester pour les transformer en nouveaux textiles. Une avancée saluée, mais encore loin d’être généralisée.
Dans les faits, l’immense majorité du recyclage textile repose sur des méthodes mécaniques, bien moins efficaces. Les vêtements sont triés par couleur et selon leur composition, puis déchiquetés en fibres courtes ou effilochés pour produire des isolants ou des chiffons. Autrement dit, quand ils sont recyclés, les textiles, au lieu d’être réutilisés dans un cycle vertueux, sont plutôt « downcyclés », dégradés ou transformés en produits de moindre valeur, en isolants thermo-acoustiques ou en rembourrage pour sièges de voiture, tandis que moins de 1 % des vêtements usagés sont transformés en nouveaux vêtements, selon une logique de boucle fermée ou au moyen de procédés fibre à fibre.
Si le recyclage est donc une solution, celle-ci présente de nombreuses limites.
Le design des vêtements, par exemple, n’est pas fait pour faciliter leur valorisation. Car les habits contiennent un mélange complexe de matériaux : des fibres souvent mélangées ou diverses (polyester, coton, polycoton) combinées à des éléments métalliques (fermetures éclair, boutons, boucles) et plastiques (étiquettes, logos en vinyle ou motifs imprimés) qui nécessitent un tri particulièrement minutieux pour permettre leur réutilisation ou leur transformation, chaque matière requérant un traitement spécifique. Cette étape, essentielle, mais coûteuse, reste difficile à intégrer pour des structures solidaires qui n’ont pas les capacités d’investissement des grands groupes.
Des alternatives existent, certes, mais elles ne sont pas toujours aussi vertueuses qu’annoncées. Le polyester recyclé, souvent mis en avant par la mode écoresponsable comme la solution la moins carbonée, présente de sérieuses limites.
Cette fibre est issue, dans la grande majorité des cas, du recyclage de bouteilles en plastique PET. Or, ces bouteilles sont ainsi détournées d’un circuit de recyclage fermé – le recyclage bouteille-à-bouteille ou pour les emballages alimentaires – vers la fabrication de textiles. Une fois transformés en vêtements, ces matériaux deviennent pratiquement impossibles à recycler, en raison des teintures, des additifs et surtout des mélanges de fibres.
Si le polyester recyclé séduit tant l’industrie textile, c’est d’abord pour des raisons de logistique et de volume. Les bouteilles en PET constituent un gisement mondial abondant, facile à collecter et à traiter. Aujourd’hui, environ 7 % des fibres recyclées utilisées dans le textile proviennent de bouteilles plastiques – dont 98 % sont en PET. À l’inverse, moins de 1 % des fibres textiles recyclées proviennent de déchets textiles eux-mêmes.
Les différents types de recyclages
Source : The Carbon Footprint of Polyester (Carbonfact). Données basées sur la base EF 3.1, développée par le Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne, dans le cadre de l’initiative Product Environmental Footprint (PEF).
Méthode | Émissions carbone (kg CO2e/kg) | Remarques |
---|---|---|
Recyclage mécanique | 0,68 – 1,56 | Méthode la plus répandue. Utilise des bouteilles plastiques, mais détourne ces déchets de circuits fermés. Qualité de fibre dégradée à chaque cycle, recyclabilité textile très limitée. |
Recyclage chimique | 1,23 – 3,79 | Procédé plus vertueux sur le papier (fibre à qualité équivalente), adapté aux déchets textiles. Mais technologie coûteuse, énergivore et encore peu industrialisée. |
PET vierge fossile | 3,12 | Fabriqué à partir de pétrole, avec un processus très émetteur. Aucune circularité : chaque vêtement produit génère un futur déchet. |
Enfin, autre problème rarement évoqué : les microfibres plastiques. Les vêtements en polyester, qu’ils soient recyclés ou non, libèrent à chaque lavage des microfibres plastiques susceptibles de perturber les écosystèmes marins et d’entrer dans la chaîne alimentaire humaine. Cette pollution est amplifiée dans le cas du polyester recyclé : soumis à des contraintes thermiques et mécaniques lors du recyclage, le matériau voit ses chaînes polymères se dégrader. Raccourcies et fragilisées, elles sont plus enclines à se fragmenter dès les premiers lavages.
Une étude, publiée en 2024 dans la revue Environmental Pollution, a montré que, à caractéristiques égales, un tissu en polyester recyclé libérait en moyenne 1 193 microfibres par lavage, contre 908 pour son équivalent en polyester vierge. Même écolabellisés, certains textiles recyclés peuvent donc polluer davantage, si l’on considère l’ensemble de leur cycle de vie.
Trier, certes, c’est bien. Mais croire que ces gestes suffiront à endiguer la catastrophe environnementale est une illusion.
Tant que la production textile continuera d’augmenter à un rythme effréné, aucune politique de tri ne pourra compenser la montagne de déchets générée. Le mythe du bon citoyen trieur repose donc sur un malentendu : trier ne signifie pas recycler, et recycler ne signifie pas résoudre la crise des déchets. La vrai solution, c’est d’abord de produire moins, de consommer moins, et de concevoir des vêtements pensés pour durer et être réellement recyclables.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
27.05.2025 à 17:05
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans l’épisode 5, on s’intéresse aux insectes, aux oiseaux et aux migrations.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le cinquième épisode de la série !
Ou rattrapez les épisodes précédents :
Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
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Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?
Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.
Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
27.05.2025 à 09:33
Service Environnement, The Conversation France
La nouvelle obligation du tri à la source pour les collectivités, en vigueur depuis début 2024, permettra d’éviter l’incinération ou l’enfouissement de biodéchets qui auraient pu être valorisés pour produire des amendements organiques ou du biogaz, explique Muriel Bruschet, de l'Ademe.
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, les collectivités doivent proposer à leurs habitants une solution de tri à la source et de valorisation de l’ensemble de leurs déchets alimentaires. En 2017, les biodéchets (soit les déchets alimentaires et déchets verts) représentaient 1/3 des ordures ménagères en France.
Cette nouvelle étape permet d’éviter l’incinération ou l’enfouissement, tout en valorisant ces déchets qui auront deux destinations principales : les amendements organiques (agriculture) et le biométhane (énergie).
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Cette réglementation est le fruit d’un long processus débuté en 2010, repris en 2015 pour en fixer l’échéance au 1ᵉʳ janvier 2025. L'Union européenne a finalement repris cette mesure et en a avancé l’échéance à 2024.
La loi n’étant pas punitive, la seule sanction est indirecte : la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui s’applique aux poubelles noires, va passer de 17 (2019) à 65 euros la tonne (2025). Les collectivités ont donc intérêt, en principe, à en diminuer le volume.
Deux choix s’offrent à elles : la gestion de proximité ou la collecte. Dans le premier cas, il s’agit de compostage individuel ou partagé. Dans le second cas, les biodéchets sont collectés et envoyés vers une unité de traitement : soit une compostière industrielle, soit un méthaniseur.
Commençons par l’usage le plus répandu, le compostage. Au cours de ce processus qui dure entre 4 et 6 mois et fait monter la température des biodéchets jusqu’à 70 °C, la matière se transforme en compost. Ce dernier est ensuite revendu au milieu agricole et va enrichir le sol en matière organique, lui conférer une meilleure rétention de l’eau et limiter l’érosion des sols. Il diminue en parallèle les besoins en engrais, dont l’usage augmente à mesure que les sols se dégradent.
L’autre possibilité est la méthanisation : sous l’action de microorganismes naturellement présents dans les biodéchets, la matière organique, confinée en enceinte fermée en l’absence d’oxygène (contrairement au compostage), subit une fermentation anaérobique et se dégrade. De cette réaction est obtenue du biogaz ainsi qu’une fraction solide – le digestat – qui est soit recompostée soit épandue directement sur des sols agricoles.
Le choix va surtout répondre à des enjeux territoriaux. Dans les zones qui pratiquent l’élevage, les méthaniseurs sont nombreux, car ils permettent d’en valoriser les effluents. Dans le sud de la France au contraire, les plates-formes de compostage sont plus nombreuses, puisque les cultures sont plutôt maraîchères (vergers, viticulture, etc.).
Où installer les nouvelles plates-formes ? Comment adapter l’existant ? À cela se mêlent des enjeux d’acceptabilité, ces solutions pouvant générer des nuisances selon l’endroit où elles se trouvent. Des études sont en cours pour évaluer les coûts et les bénéfices environnementaux associés.
Ce texte est la version courte de l’article écrit par Muriel Bruschet (Ademe).
Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Muriel Bruschet (Ademe).
26.05.2025 à 16:53
Marc Fontecave, Professeur, titulaire de la chaire de chimie des processus biologiques au Collège de France, membre de l'Académie des sciences, Collège de France
Yves Bréchet, Professeur à Monash University (Australie) et membre de l'Académie des sciences, Monash University
Que penser de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dévoilée en mars 2025 ? Pour l’Académie des sciences, qui a livré un avis sur la question, le texte souffre de plusieurs incohérences. En misant sur la surproduction, une telle politique pourrait entraîner une volatilité accrue des prix de l’électricité, accélérer la dégradation des capacités nucléaires, en cas de sous-utilisation, et enfin affecter la stabilité des réseaux électriques sur le territoire.
C’était un texte attendu de longue date. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit fixer les objectifs de la politique énergétique nationale à l’horizon 2035, a été rendue publique en mars 2025. Il s’agit d’une version révisée, faisant suite à une première version soumise à la consultation publique organisée à la fin de l’année 2024.
Ce document se donne notamment l’ambition de transformer notre système énergétique pour réduire sa dépendance vis-à-vis des ressources carbonées fossiles tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement. Est-il à la hauteur des enjeux climatiques et énergétiques ?
Après avoir procédé à son analyse rigoureuse, l’Académie des sciences a récemment diffusé un avis sur cette nouvelle PPE assorti de recommandations. Nous en livrons ici les principaux messages.
Commençons par rappeler quelques spécificités du mix énergétique français. L’électricité constitue 26 % de la consommation d’énergie totale des Français. Comme l’a montré le dernier bilan électrique de RTE, l’intensité carbone de notre production électrique, soit 21,3 g équivalent CO2 par kilowatt-heure (kWh) en 2024, est l’une des plus faibles du monde.
Cette production remarquablement décarbonée, nous la devons à des choix de politique énergétique anciens, dictés notamment par une exigence de souveraineté énergétique. Ce sont eux qui ont doté la France d’un parc nucléaire et de barrages hydrauliques. Bas carbone et pilotables, ces infrastructures fournissent plus de 80 % de notre électricité.
Depuis, ces sources historiques ont été complétées par des productions éoliennes et solaires, ce qui conduit à une part de la production d’électricité d'origine renouvelable qui atteignait 28 % en 2024. Même s’il s’agit d’un excellent point de départ, ce n’est pas le point d’arrivée d’une trajectoire de politique climatique.
Une telle trajectoire doit viser à diminuer notre dépendance vis-à-vis des ressources fossiles. Elles représentent aujourd’hui 58 % de notre consommation d’énergie finale et nous coûtent chaque année en moyenne environ 60 milliards d’euros.
À lire aussi : Climat : le casse-tête de la « stratégie nationale bas carbone »
Nous consommons du pétrole, du gaz et du charbon pour les transports, le chauffage et l’industrie. Il faut bien comprendre qu’il n’est pas possible, même en diminuant notre consommation totale, de remplacer complètement et à court terme ces sources, même si on peut espérer y substituer – en partie – des combustibles alternatifs renouvelables (en grande partie issus de la biomasse : bois, biogaz, biocarburants…), comme le soulignait un autre avis de l’Académie des sciences en janvier 2024.
Dans ces conditions, la seule issue réside dans l’électrification de plusieurs secteurs. D’abord celui des transports, au travers des véhicules électriques, mais également de l’habitat, en déployant davantage de pompes à chaleur, et enfin dans l’industrie, en y développant l’hydrogène vert et l’acier vert et les fours électriques. Ceci constitue donc aujourd’hui un axe clé de toute politique énergétique, en France, en Europe et dans le monde.
En parallèle, il est nécessaire de développer les politiques de sobriété énergétique. Il s’agit d’optimiser les dépenses énergétiques industrielles, les rendements des convertisseurs d’énergie, d’améliorer l’isolation des bâtiments et d’alléger les transports au sol et aériens. C’est ce double effort de sobriété énergétique et d’électrification de notre économie qui nous permettra de remplir nos objectifs de sortie progressive des énergies fossiles.
Évidemment, une telle augmentation à venir de la consommation électrique, tant absolue que relative, doit être assurée par augmentation de la production d’électricité, toujours bas carbone. Mais il y a quelques règles à respecter de façon rigoureuse.
La plus importante sans doute est que, dans un monde sans capacités de stockage d’électricité à grande échelle, comme c’est le cas aujourd’hui, il faut disposer d’un socle significatif de capacités de production à la fois pilotables (dont le niveau de production peut être modulé en fonction de la demande) et dotées de mécanismes d’inertie suffisants(fournis par des volants d'inertie, qui aident à stabiliser le réseau après une interruption de la production. Cela tient à la capacité des rotors à continuer pendant un certain temps à tourner à la bonne fréquence et à convertir l'énergie cinétique de rotation en électricité.)
Aujourd’hui, ces mécanismes permettent le meilleur contrôle de la fréquence des réseaux électriques, en particulier en sortie de centrales thermiques et nucléaires.
Il faut donc limiter la part des sources d’énergie intermittentes, sous peine d’instabilités. Ou en tout cas, ne l'accroître qu’à un rythme permettant le développement de moyens de stockage électrique en complément, pour que ces ressources soient pilotables et sûres pour la stabilité du réseau électrique.
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En 2021, une étude conjointe de RTE et de l’AIE identifiait les conditions permettant d’intégrer davantage de sources d’énergies intermittentes au mix électrique : la disponibilité de capacités pilotables pour assurer à tout moment une puissance au moins égale à la puissance demandées (éventuellement à l'aide de réserves opérationnelles), le renforcement des réseaux électriques et enfin la disponibilité de capacités de stockage à toutes les échelles de temps. Aujourd’hui, aucune n’est satisfaite.
Dans ce contexte, une course non maîtrisée à l’installation de capacités intermittentes pourrait conduire à des difficultés croissantes de contrôle de la stabilité du système électrique.
À lire aussi : Blackout dans le sud de l’Europe : une instabilité rare du réseau électrique
Dans son avis sur le texte final de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), proposé par le gouvernement en mars 2025, l’Académie des sciences a donc sonné l’alerte. D’une certaine façon, elle rejoint l’avis public du haut-commissaire à l’énergie atomique, rendu public un mois plus tôt.
Si l’Académie se félicite de voir enfin disparaître de la politique énergétique française la perspective de la fermeture de réacteurs nucléaires en parfait état de fonctionnement, elle s’étonne de voir, pour l’horizon 2035, une addition massive de production électrique – de l’ordre de 200 TWh – à une production qui atteint déjà 540 TWh.
Le premier problème, c’est que cet objectif de production s’appuie sur une hypothèse d’augmentation équivalente de la consommation électrique.
Or, cette hypothèse ne prend pas en compte le fait bien établi, comme le montre le graphe ci-dessous, que, contrairement aux espoirs d’électrification de la société, la consommation électrique de la France diminue globalement depuis 2017. La tendance est la même dans les autres grands pays européens. Cette consommation atteignait 449 TWh en 2024, et rien n’indique un renversement fulgurant à venir de cette tendance pour les prochaines années.
Cette baisse de la consommation tient à plusieurs facteurs :
le premier est l’effort de sobriété que s’imposent les ménages et les secteurs industriels, confrontés à un prix de l’électricité excessif ;
le deuxième est lié à un retour de la désindustrialisation, qui conduit à une baisse de la consommation d'électricité de l'industrie ;
le troisième tient à la difficulté, économique mais aussi technologique, que pose l’électrification des usages. Le déploiement des voitures électriques ne progresse que lentement, l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau est toujours trop inefficace en termes de rendements et trop cher, les e-carburants ne sont pas accessibles à des coûts raisonnables, le secteur sidérurgique est en grande difficulté et a mis en pause les projets de production d’acier vert (produit par hydrogénation ou électrolyse des oxydes de fer)…
Si une certaine surcapacité a des vertus, notamment car elle permet d’exporter de l’électricité – comme nous l’avons fait à hauteur de 100 TWh en 2024 pour une facture de 5 milliards d’euros, rien ne justifie d’aller beaucoup plus loin. Une surcapacité excessive conduirait par ailleurs à une gestion plus contrainte de l’équilibre entre l’offre et la demande. De plus, une telle sous-utilisation des équipements contribuerait à augmenter les coûts de production au kWh.
L’Académie des sciences soulève dans son avis un second problème posé par le texte de la PPE3. Celui-ci tient au fait que l’énergie additionnelle visée à l’horizon 2035 sera exclusivement fournie par des énergies renouvelables variables et non pilotables : l’éolien pour une centaine de TWh et le solaire pour une centaine de TWh également.
On comprend bien que l’enjeu est de permettre à la France de montrer à la Commission européenne qu’elle respecte les engagements communs de construire un système électrique reposant à 42,5 % sur des énergies renouvelables.
Mais atteindre un tel niveau sous des délais si courts aura plusieurs conséquences délétères.
Tout d’abord, une volatilité accrue des prix de l’électricité, avec des périodes de plus en plus fréquentes de prix très élevés – ou à l'inverse, de prix négatifs. Cette dernière situation survient, sur les marchés de gros, lorsque l'offre excède la demande dans des proportions trop importantes, ce qui oblige les producteurs à payer pour que leur électricité soit consommée, souvent pour éviter d'arrêter et de redémarrer des centrales, une procédure complexe et coûteuse.
La nécessité, pour assurer l’équilibre entre offre et demande, d’une modulation excessive de la production nucléaire. Ceci entraînera des contraintes sur la gestion du parc électronucléaire et un sous-emploi de ce parc, ce qui est coûteux au plan économique et induit des risques de dégradation des réacteurs.
Enfin, cela entraînera des tensions sur les réseaux électriques, qu’il faudra adapter. La variabilité de la production d'ENR est source d'incertitudes quant aux adaptations à mettre en place. Ceci ajoutera des coûts supplémentaires considérables au fonctionnement du système énergétique.
Construire une politique énergétique rationnelle nécessite une réflexion à long terme qui doit intégrer non seulement la production d’électricité mais également son stockage, son transport, sa distribution et sa consommation pour les différents usages.
Une telle politique doit donc, pour éviter des surproductions excessives très coûteuses, mieux estimer les besoins réels des consommateurs et les contraintes nouvelles en termes de réseaux et de stockage électriques. Ceci doit passer par des évaluations rigoureuses.
Pour cela, elle doit également mieux prendre en compte les difficultés objectives de l’électrification de la société et admettre la nécessité de mener des recherches pour la réussir, sans se voiler la face sur les échelles de temps nécessaires.
Il importe de ne pas « mettre la charrue avant les bœufs ». Assurons-nous d’abord de la pérennité de notre parc électronucléaire, qui est à la fois décarboné et pilotable. Et ne développons les énergies renouvelables (qui peuvent être, en effet, déployées plus rapidement) qu’à la mesure des besoins réels de consommation, au rythme de notre capacité à moderniser le réseau électrique pour en assurer la stabilité et à assurer l’équilibre entre sources variables et sources pilotables. Ceci devra d’ailleurs être complété par des capacités de stockage qui restent à développer.
Le colloque « Les grands enjeux de l'énergie », co-organisé par l'Académie des sciences et l'Académie des technologies, se tiendra les 20 et 21 juin 2025 en partenariat avec The Conversation et Le Point. Inscription gratuite en ligne.
Marc Fontecave est membre du comité de prospective en énergie de l'Académie des sciences. Il est également l'auteur de l'avis de l'Académie des sciences sur la PPE3.
Yves Brechet est membre du comité de prospective en énergie de l'Académie des sciences.
22.05.2025 à 12:32
Raja Chakir, Directrice de recherche en Économie de l'Environnement, Inrae
Armand Favrot, Doctorant en mathématiques appliquées, Inrae
Hajar Guejjoud, Postdoctoral researcher, Inrae
Thierry Brunelle, Chercheur en Économie, Cirad
Tom Saade, Doctorant en biogéochimie, Inrae
Pour que les pratiques agricoles évoluent, il faut que les agriculteurs aient intérêt à le faire et soient accompagnés dans ces changements. Certains pays ont ainsi réussi à réduire durablement l’utilisation de pesticides et engrais chimiques. Voici comment.
En France, en Allemagne, aux Pays-Bas, c’est une petite musique qui monte : celle des agriculteurs assaillis sous les contrôles et les réglementations environnementales qui menacent la viabilité de leurs exploitations. Une petite musique devenue un cri de colère lors de manifestations un peu partout en Europe, en 2024, et qui a permis de faire retirer en France, par exemple, la version renforcée du plan Écophyto.
L’agriculture se retrouve ainsi à jongler entre plusieurs objectifs : nourrir une population mondiale croissante, assurer un revenu décent aux agriculteurs, tout en protégeant la santé humaine et l’environnement pour la génération actuelle mais aussi pour les générations futures.
Un exemple frappant est celui des intrants chimiques, notamment les engrais synthétiques et les pesticides. Ces derniers répondent à des besoins essentiels : nourrir les plantes et protéger les cultures contre les maladies et les ravageurs. Mais l’utilisation excessive de ces intrants a des effets néfastes sur la biodiversité, sur la qualité des sols, des eaux et de l’air et sur la santé publique.
Par ailleurs, plus les engrais et pesticides chimiques sont utilisés, moins ils se révèlent efficaces sur le long terme, car les sols se dégradent, et les organismes pathogènes développent des résistances, créant ainsi une spirale de dépendance aux intrants chimiques. C’est pourquoi, il devient nécessaire de réduire leur utilisation.
La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses alternatives existent pour réduire leur usage sans pour autant compromettre la production agricole. Cependant, ces pratiques sont encore peu utilisées, car les agriculteurs ne sont que très peu encouragés à le faire sur le plan économique et parce que ces alternatives sont parfois plus difficiles à mettre en œuvre que les solutions chimiques. Mais des pays montrent aujourd’hui que, en accompagnant les agriculteurs, des changements rapides de paradigme peuvent avoir lieu.
De fait, réduire l’utilisation des intrants chimiques ne peut pas reposer uniquement sur les agriculteurs. Bien que leur rôle soit central, leurs choix en matière d’intrants sont souvent contraints par des obligations contractuelles, économiques et réglementaires.
La transition vers une agriculture plus durable ne peut donc reposer seulement sur leurs épaules. C’est en réalité l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire, industrie agrochimique, distributeurs, consommateurs et législateurs qui doit être mobilisé. Les politiques publiques ont un rôle clé à jouer pour inciter les fabricants d’intrants agricoles à orienter leur production vers des alternatives moins nocives.
De leur côté, les consommateurs peuvent peser sur les pratiques agricoles en privilégiant des produits moins dépendants aux intrants chimiques, à condition toutefois d’y avoir accès et d’être correctement informés. Seule une approche systémique, répartissant équitablement les responsabilités, permettra d’éviter que le poids de la transition ne repose sur des agriculteurs souvent soumis à de fortes contraintes économiques.
Pour cela, il existe plusieurs types de mesures dont certaines ont déjà été testées sans grand succès, comme l’instauration de taxes ou de subventions. Mais pour être efficaces, elles doivent être mises en œuvre de façon à ce que chaque acteur ait la possibilité de modifier ses habitudes et ses pratiques et puisse contribuer à une agriculture durable. Allier incitations économiques, pédagogie, et, lorsque la santé humaine ou environnementale est en jeu, interdictions, constitue une approche prometteuse pour encourager chacun à réfléchir à ses choix et à repenser son rapport aux intrants chimiques.
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L’implication des différents acteurs a eu un impact significatif dans plusieurs pays, notamment européens, qui ont réussi à concilier sécurité alimentaire et réduction de la pollution agricole.
Par exemple, le Danemark, souvent cité comme modèle de réussite, a réduit de 50 % en trente ans (1980-2012) ses excédents d’azote chimiques et organiques néfastes pour les sols et la biodiversité et imputables à la surutilisation d’engrais. Pour cela, le pays a associé des mesures allant de l’action volontaire à une réglementation stricte en impliquant à la fois les agriculteurs et les producteurs d’intrants agricoles.
Un point clé a été de combiner les mesures de façon à rendre la nouvelle réglementation attractive économiquement et à en limiter le coût financier pour les acteurs concernés. Ainsi, la mise en place d’une réglementation interdisant les fortes concentrations de bétail, combinée à la promotion d’une alimentation animale améliorée et à l’instauration de quotas sur les taux de fertilisation, s’est révélée particulièrement efficace pour réduire les excédents d’azote.
Une solution serait ainsi d’inciter le secteur de production d’intrants chimiques, qui a la particularité d’être très concentré et donc plus facile à réglementer à offrir des solutions techniques meilleur marché aux agriculteurs.
De son côté, la Suisse a lancé un label « sans pesticides » pour le pain, avec 50 % de la production de blé désormais certifiée avec ce label, soutenue par des paiements directs et des primes garantis par l’État, encourageant ainsi les agriculteurs à réduire leur utilisation de produits chimiques.
Ici, l’engagement des consommateurs par un système de label et des prix compétitifs a été la clé. Bien que la production domestique ne représente qu’environ un quart de la consommation de blé en 2022, cette approche intermédiaire entre agriculture conventionnelle et biologique montre qu’il est possible de concilier faisabilité pour les agriculteurs et objectifs de durabilité environnementale. Ces labels constituent ainsi une autre solution intéressante pour offrir des débouchés aux produits à bas intrants, car les études montrent que les consommateurs ont une préférence pour ce genre de produits.
Cependant, pour que la réussite des politiques de réduction d’intrants chimiques soit complète, il est important de ne pas réfléchir qu’à une échelle nationale, sans quoi nous n’obtiendrons que des déplacements d’usages d’intrants chimiques entre pays, plutôt qu’une réduction nette à l’échelle mondiale.
Les accords commerciaux internationaux, tels que l’accord de libre-échange actuellement discuté avec les pays du Mercosur, doivent constituer des vecteurs pour garantir que les efforts réalisés par un pays ne soient réduits à néant par un surcroît de production dans d’autres pays où les mêmes réglementations ne s’appliqueraient pas.
À un niveau plus global, l’Union européenne, à travers sa stratégie « De la ferme à la fourchette » et sa politique agricole commune (PAC), vise à réduire l’usage des pesticides de 50 % et des engrais de 20 % d’ici 2030, tout en soutenant financièrement des pratiques, comme l’agriculture de précision et l’utilisation d’engrais organiques. Cette stratégie cherche également à promouvoir des chaînes d’approvisionnement alimentaires durables et à renforcer la résilience du secteur agricole face aux défis climatiques.
D’autres initiatives comme le plan Écophyto en France et l’agriculture naturelle en Andhra Pradesh (Inde) illustrent des stratégies concrètes qui démontrent que durabilité et productivité peuvent coexister grâce à des alternatives écologiques, des incitations adaptées, et un accompagnement technique pour les agriculteurs. Cependant, ces initiatives n’ont pas pu aboutir entièrement, rencontrant des obstacles qui ont freiné leur pleine réalisation.
Enfin, il est aussi essentiel de penser aux pays en développement dans ces efforts. En adaptant les solutions à leurs besoins spécifiques, nous pourrons soutenir des pratiques agricoles durables tout en tenant compte des réalités économiques. Une coopération internationale sera ainsi nécessaire pour partager des idées et mettre en place des solutions efficaces à l’échelle mondiale.
La première version de cet article a été rédigée dans le cadre d’un atelier The Conversation, animé par Thibault Lieurade et organisé dans le cadre des Young Researcher Days du projet Cland. Nous remercions chaleureusement Nicolas Guilpart et David Makowski pour leur relecture attentive et leurs commentaires constructifs. Nos remerciements vont également à Raia Massad, qui a coanimé l’atelier, pour son accompagnement précieux.
Raja Chakir a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (projets CLAND ANR-16-CONV-0003 et FAST ANR-20-PCPA-0005) ainsi qu'un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne (projet LAMASUS n° 101060423).
Armand Favrot, Hajar Guejjoud, Thierry Brunelle et Tom Saade ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
22.05.2025 à 12:13
Sébastien Bainville, Enseignant-chercheur en économie rurale, Institut Agro Montpellier
Claire Aubron, Institut Agro Montpellier
Marie Dervillé, Économiste de l'agriculture, École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENSFEA)
Olivier Philippon, Agronome, Montpellier SupAgro
Cet État du nord de l’Inde communique de plus en plus sur le fait d’avoir une agriculture entièrement sans pesticide. En réalité, il a surtout été exclu de la « révolution verte » des années 1960 et dépend aujourd’hui des États voisins pour nourrir sa population.
Situé au nord-est de l’Inde, le Sikkim est l’un des plus petits États de la fédération, sa superficie dépasse à peine celle du Finistère. Mais, depuis quelques années, il fait de plus en plus parler de lui. Tapez « Sikkim » sur un moteur de recherches et vous découvrirez de nombreux articles expliquant, souvent avec enthousiasme, que l’agriculture de cette région est devenue 100 % bio. Un petit miracle dans un pays où l’agriculture est souvent très intensive.
De fait, en général, l’agriculture indienne est plutôt citée pour illustrer la « révolution verte », que ce soit pour en souligner les bienfaits ou en dénoncer les méfaits. Le pays est en effet parvenu à l’autosuffisance céréalière une décennie à peine après son indépendance et, aujourd’hui, il se classe parmi les premiers producteurs mondiaux.
Ce succès a largement reposé sur la diffusion à grande échelle de variétés de cultures à haut potentiel de rendement, couplée à un recours massif aux engrais de synthèse et plus tard aux pesticides.
L’irrigation et la multiplication des cycles ont aussi été essentielles. Très tôt cependant, de nombreux auteurs ont pointé les limites de cette révolution verte.
Accessible à la frange la plus aisée des agriculteurs, elle aurait exclu des masses de paysans pauvres. En outre, l’usage intensif des intrants de synthèse et un recours excessif à l’irrigation auraient eu des conséquences particulièrement néfastes pour l’environnement.
Petit État himalayen frontalier avec le Népal, la Chine et le Bhoutan, le Sikkim s’est donc, lui, récemment démarqué de cette dynamique historique. En 2003, son gouverneur annonçait sa volonté de transformer le Sikkim en « total organic state » (« État totalement bio »).
En cause :
« L’application et l’utilisation incontrôlées et désordonnées d’intrants chimiques, dangereuses pour la vie des êtres humains et du bétail. »
Dès lors, des programmes de promotion de l’agriculture biologique furent lancés, on chargea des centres d’excellence biologique de conduire des expérimentations et on accorda des subventions pour les fosses de compostage…
En 2010, l’État poursuivit ces efforts dans le cadre de la Sikkim Organic Mission, projet qui dura jusqu’en 2015. À cette date, le gouvernement interdit toute utilisation d’intrants chimiques, sous peine de lourdes sanctions : amende de 25 000 à 100 000 roupies, soit de 350 à 1 400 euros et jusqu’à 3 mois de prison.
Dans un contexte où de nombreux pays, notamment occidentaux, s’interrogent sur la transition agroécologique, cette décision radicale a suscité l’intérêt des médias internationaux. Comment, en effet, des agriculteurs peuvent-ils exercer leur métier sans recourir aux engrais de synthèse, aux herbicides ou aux pesticides, et qui plus est dans un pays émergent ?
La réponse à cette question se trouve dans les particularités tout à la fois géographiques et historiques de cet État indien. N’ayant pas connu la révolution verte, l’agriculture du Sikkim n’est en fait pas devenue biologique, elle l’est plutôt restée.
En déclarant le Sikkim, « organic state », le gouvernement local a ainsi nommé un état de fait plutôt qu’enclenché un changement majeur.
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Si l’agriculture du Sikkim est donc avant tout traditionnelle, elle demeure néanmoins particulièrement ingénieuse. Dans ce piémont himalayen, l’habitat dispersé se concentre aux altitudes moyennes (moins de 2 000 mètres) où les températures hivernales sont plus clémentes.
Les maisons sont généralement situées à mi-pente et les parcelles se répartissent en trois terroirs : on trouve au-dessus des maisons des plantations de cardamome sous couvert forestier ; autour des maisons, des jardins intensément cultivés nommés bari et, en dessous, des parcelles de riz nommées khet.
Originaire d’Inde, la cardamome, fruit souvent considéré comme la reine des épices, a trouvé ici de bonnes conditions écologiques. Pour mettre en place une plantation, les paysans défrichent une parcelle de forêt en veillant à conserver certaines essences, telles que l’aulne népalais ou le mûrier noir appréciés pour leurs qualités de bois d’œuvre. La plantation est ensuite réalisée sous ce couvert arboré qui maintient une bonne humidité, tempère la chaleur estivale et protège les pieds des gelées hivernales. Ces systèmes agroforestiers demandent peu de travail, le couvert arboré assurant la reproduction de la fertilité des parcelles et contenant le développement des mauvaises herbes. Un travail de désherbage au cours du cycle s’ajoute néanmoins à la récolte.
Dans les bari autour des habitations, on cultive des associations complexes de plantes annuelles et pérennes. Le maïs occupe néanmoins une place centrale. Aux variétés hybrides qui n’expriment tout leur potentiel qu’avec des engrais de synthèse, on préfère une variété locale, un maïs blanc. De haute taille, celui-ci permet de surcroît de disposer, avec les cannes, d’une source d’alimentation pour le bétail.
Ce maïs blanc est généralement associé à des plantes couvrantes (courge, moutarde brune) et des légumineuses (pois, haricots, soja).
Récolté début juillet, le maïs peut être suivi d’un cycle de millet ou de légumes d’hiver (chou-fleur, brocoli, radis ou carotte). Ces parcelles sont par ailleurs bordées d’arbres fruitiers (bananier, prunier ou papayer) ou fourragers (Saurauia napaulensis et Ficus hookeri), leurs feuilles étant consommées par les animaux d’élevage.
C’est d’ailleurs aussi à proximité des habitations que l’on garde les animaux. Chaque exploitation possède une ou deux vaches, parfois une paire de bœufs pour la traction et quelques chèvres. Cette proximité facilite la traite, mais permet aussi d’accumuler les déjections en un seul et même lieu. Celles-ci, mélangées à des fougères collectées en forêt permettent de disposer d’un fumier que l’on épand régulièrement sur les parcelles de bari.
L’alimentation des animaux repose avant tout sur des fourrages prélevés quotidiennement en forêt. Elle implique cependant de parcourir des chemins escarpés chargé d’une hotte (doko) pleine d’herbes, de feuilles et de branches. Avec ces fourrages peu digestibles on prépare une soupe, le dana, à laquelle on ajoute des grains de maïs.
En deçà des maisons se trouvent les parcelles de riz, les khet. Le riz basmati (variétés Tabrey et Chirakey) est semé en pépinière au mois de juin. Avec la mousson, les eaux de ruissèlement boueuses s’accumulent rapidement dans les casiers entourés de diguettes et le repiquage s’effectue en juillet. Le riz continue ainsi son cycle sans trop de concurrence avec les mauvaises herbes et dans d’assez bonnes conditions de fertilité.
On cultive aussi des lentilles sur les diguettes de façon à valoriser au mieux ces parcelles étroites, fruit d’un intense travail de terrassement. Une irrigation gravitaire d’appoint permet, en acheminant un complément d’eau depuis une source jusqu’aux casiers, de prévenir un éventuel déficit pluviométrique.
Après cinq ou six mois, le riz ayant été récolté, les khet sont consacrés à un cycle de pommes de terre, éventuellement suivi d’un cycle de maïs, ou bien laissés en jachère. Dans ce dernier cas, on dispose d’une ressource fourragère moins coûteuse en travail, les animaux pouvant pâturer ces parcelles pas trop éloignées.
Les paysans du Sikkim ont donc su adapter leurs systèmes de culture et d’élevage à un environnement passablement contraignant. Ils montrent ainsi qu’il est bel et bien possible dans cette région de pratiquer l’agriculture sans recourir au moindre intrant de synthèse.
On aurait cependant tort d’y voir la démonstration des bienfaits d’une politique ambitieuse. Ces systèmes ne découlent nullement des récentes décisions gouvernementales, ils sont en réalité très anciens et n’ont été que peu modifiés par les réorientations politiques.
Rappelons tout d’abord que le Sikkim est entré tardivement dans l’Union indienne, en 1975. À cette date, la révolution verte était enclenchée depuis longtemps dans le reste du pays. Mais, surtout, celle-ci a reposé sur la diffusion de variétés de culture sélectionnées dans les conditions bien éloignées de celles du petit État de montagne. En effet, pour faciliter leur travail de sélection, les chercheurs avaient choisi de se placer dans des conditions où la pression des mauvaises herbes serait contenue, les risques de sécheresse nuls et l’ensoleillement élevé.
En un mot, les efforts ont avant tout porté sur la riziculture irriguée de saison sèche. Un État comme le Sikkim se prête très mal à la mise en culture de ce type de riz. En saison sèche (hiver), les sources se tarissent et, avec l’altitude, les températures deviennent rapidement incompatibles avec les exigences du riz. En saison des pluies (été), les nuages de mousson s’accumulent dans ce piémont himalayen où l’ensoleillement est des plus réduits. Enfin, le relief impose des investissements colossaux dans la constitution de terrasses exiguës.
Autant d’obstacles que ne connaissait pas le delta du Gange du Bengale-Occidental voisin, rapidement devenu le premier producteur de riz du pays. Dans cet État, les variétés de saison sèche (riz boro) se sont diffusées dès la fin des années 1960. Répondant particulièrement bien aux engrais minéraux, ils permettaient d’atteindre des rendements supérieurs à 3 tonnes de riz non décortiqué par hectare. De plus, leur cycle court autorisait la double culture annuelle avec les variétés traditionnelles (aus et aman) de saison des pluies .
Les variétés encore utilisées de nos jours au Sikkim présentent des rendements bien inférieurs (à peine deux tonnes par hectare) et un seul cycle est pratiqué. En outre, les systèmes de culture du Sikkim nécessitent bien plus de travail, ne serait-ce que du fait de l’entretien des casiers rizicoles qu’impose une forte pente couplée à des précipitations abondantes.
Il en résulte une productivité brute du travail plus de deux fois inférieure à celle qu’on observe dans le delta du Gange : 8 kg par jour de travail contre 20 kg. Cette différence de productivité du travail est importante, car, dès l’entrée du Sikkim dans la fédération indienne, ses agriculteurs ont dû affronter une rude concurrence pour le riz, mais aussi pour le maïs ou les pommes de terre.
Cette concurrence s’est trouvée accentuée, à partir de 1978, par l’application au Sikkim du « Public Distribution System » (PDS), déjà à l’œuvre dans le reste du pays. Avec ce système, l’État fédéral fournissait aux plus pauvres des aliments à prix subventionné. Une partie des excédents d’un État comme le Bengale-Occidental s’est ainsi trouvée disponible au Sikkim à prix très bas dans les magasins alimentaires dédiés (fair price shops).
Dès lors, si les familles paysannes du Sikkim ont continué à pratiquer une agriculture biologique, leur alimentation a pour sa part largement reposé sur des importations de riz cultivé suivant des techniques on ne peut plus conventionnelles. Il en est de même de l’alimentation des vaches, une partie non négligeable de leur ration est constituée aujourd’hui de maïs provenant, lui aussi, de l’État voisin.
Peu à peu, les agriculteurs du Sikkim se sont donc tournés vers ce qui apparaissait comme leur avantage comparatif, la cardamome, dont les prix sur le marché national et international évoluaient plus favorablement que ceux du riz. On a assisté, dès le milieu des années 1980, à une baisse des surfaces dévolues à la culture du riz, certains khet étant abandonnés à la friche, et à une extension des plantations de cardamome.
Cette dernière s’est malheureusement soldée par une multiplication des agents pathogènes. Dès les années 2000, les attaques de champignon (Phytophthora meadii) sont devenues systématiques, entraînant une chute de moitié des rendements. Quelques paysans eurent alors recours aux fongicides, mais leur usage fut rapidement interdit. La recherche sélectionna alors de nouvelles variétés (ICRI-Sikkim-1 ou ICRI-Sikkim-2) qui, pouvant être cultivées en plein soleil, se sont avérées moins sujettes aux attaques fongiques. De nouvelles plantations sont depuis mises en place sur les khet où la réduction des surfaces rizicoles se poursuit.
L’agriculture du Sikkim a dû aussi faire face à la concurrence des autres secteurs de l’économie, qui ont rapidement offert de meilleures rémunérations. Aujourd’hui, en dehors des plantations de cardamome en plein soleil, aucune activité agricole ne permet de dépasser notablement le niveau de rémunération d’une journée de travail dans la capitale Gangtok.
Cette comparaison avec les salaires urbains s’impose d’autant plus que de tels emplois ne manquent pas.
Depuis une quarantaine d’années, le Sikkim est devenu une destination touristique de plus en plus prisée. Ce tourisme avant tout indien a engendré une croissance urbaine rapide et de gros besoins de main-d’œuvre, notamment dans la construction et l’hôtellerie. Cette demande de main-d’œuvre, même peu qualifiée, est à l’origine d’un véritable exode rural et si tous ne sont pas partis, dans la plupart des familles paysannes, un membre au moins travaille aujourd’hui en ville. Cette urbanisation a d’abord joué en faveur de la capitale, Gangtok, mais, depuis quelques années, des villes secondaires comme Namchi connaissent une évolution similaire.
L’agriculture du Sikkim est donc aujourd’hui bel et bien « biologique », dans la mesure où les agriculteurs ne font pas appel aux intrants de synthèse. Mais il serait erroné d’attribuer cette situation aux seules politiques mises en œuvre depuis une dizaine d’années.
À l’exception de la cardamome, les agriculteurs n’ont d’ailleurs pas bénéficié de la structuration de filières biologiques. Déclarer le Sikkim « organic state » a sans doute contribué à renforcer l’image « verte » d’un État de plus en plus dépendant du tourisme.
Cette appellation est néanmoins trompeuse, car, dans cet État, peu peuplé (85 hab/km2, contre plus de 300 en moyenne nationale), l’alimentation de la population, y compris agricole, repose largement sur des importations en provenance d’États limitrophes où les pratiques agricoles sont des plus conventionnelles. Du fait de la concurrence de ces mêmes importations, il est bien difficile pour les familles paysannes de vivre de leur activité. La pluriactivité est, de ce fait, généralisée et l’exode rural s’intensifie.
Bainville Sébastien a reçu des financements du métaprogramme METABIO de l'INRAE (2020-2023) et de l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du projet ANR-21-CE03-0016: Transindiandairy (2021-2026).
Claire Aubron, Marie Dervillé et Olivier Philippon ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
21.05.2025 à 16:10
Virginie Cartier, Energies Renouvelables, Economie Circulaire, Innovations Environnementales, RSE, UCLy (Lyon Catholic University)
Elisabeth Cazier, chercheuse, Nantes Université
Alors que GRTgaz s'est renommé NaTran début 2025, la consommation de gaz naturel devrait continuer à baisser. En cause, un contexte géopolitique tendu, auquel s'ajoute la nécessité de décarboner le secteur de l'énergie. Dans ces conditions, les politiques énergétiques doivent s'adapter… et les infrastructures gazières aussi.
Ces dernières années, la consommation de gaz naturel en France a fortement diminué, en raison de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, la hausse des prix et une réglementation relative à la construction neuve favorisant l'électricité.
Malgré tout, le réseau gazier français reste robuste, avec des interconnexions européennes multiples et des infrastructures adaptées – des réseaux de transport et de distribution, des infrastructures de stockages souterrains et des terminaux gaziers. L'avenir du secteur repose donc sur l'adaptation de ces infrastructures à d'autres vecteurs énergétiques.
La France, tout comme l'Union européenne au travers d'initiatives comme le plan RePowerEU, encouragent cette transition énergétique pour renforcer la sécurité d'approvisionnement et réduire la dépendance au gaz fossile d'ici à 2050.
Le fait que GRTgaz, le principal gestionnaire français du transport de gaz, soit devenu en janvier 2025 NaTran (pour Nature, Transport et Transition), pose question. Cela correspond-t-il à un changement de modèle économique ? À l'adaptation des infrastructures gazières à d'autres vecteurs énergétiques ?
Plus largement, la baisse de consommation de 5,5 % du gaz naturel en France en un an a-t-elle un impact sur l'équilibre financier des opérateurs gaziers ? Quelles impulsions proposent l'Europe (par le biais du plan RePowerEU) et la France dans le cadre de la prochaine Programmation pluriannelle de l’énergie (PPE) ?
Dans cet article, nous dressons un panorama de la situation actuelle et explorons les solutions envisagées pour sauvegarder ces infrastructures dans le cadre des politiques énergétiques françaises et européennes.
Notons en premier lieu que les opérateurs d'infrastructures observent une baisse notable de la consommation de gaz en France, consécutive à la guerre en Ukraine.
Alors que la Russie, fournisseur historique des pays européens, représentait en 2019 près de 41 % des importations gazières de l'UE par gazoduc et par terminaux méthaniers sous forme de gaz naturel liquéfié. Cette part est tombée à 14 % en 2023 avant de remonter à 18 % en 2024. L'interruption de la livraison de gaz russe a mis en évidence la dépendance énergétique européenne.
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La crise ukrainienne a également engendré une importante hausse du prix du gaz, de +70 % et +110 % par rapport à 2021, avec un prix moyen du gaz naturel facturé aux ménages français pouvant atteindre jusqu'à 96 €/MWh. Dès l'été 2022, les consommateurs, qu'ils soient industriels ou particuliers, ont donc été incités à la sobriété.
Par conséquent, la consommation brute de gaz naturel en France est passée de 474 TWh en 2021 à 361 TWh en 2024, ce qui représente une baisse de près de 23 %.
Cette évolution s'inscrit aussi dans le cadre de la réglementation énergétique française RE2020, en vigueur depuis janvier 2022, qui favorise le choix de l'électricité par rapport au gaz naturel afin d'améliorer la performance énergétique sur les logements neufs et lors des rénovations énergétiques.
À lire aussi : Les politiques publiques de rénovation énergétique des logements sont-elles efficaces ?
En France, la gestion du réseau de transport de gaz naturel est partagée entre deux opérateurs, NaTran et Teréga (anciennement TIGF), qui exploitent respectivement 32 600 km et 5 100 km de réseau.
Ce réseau intègre des points d'interconnexion aux frontières avec plusieurs pays européens : la Norvège par Dunkerque, la Belgique par Taisnières, l'Allemagne par Obergailbach, la Suisse par Oltingue et l'Espagne par Larrau et Biriatou.
Ces réseaux relient les points de livraison aux différents points névralgiques :
Quinze sites de stockage souterrain. Ils permettent une grande flexibilité de livraison grâce à de l'injection de gaz lorsque la consommation est faible, comme en été, et de soutirage en période de forte consommation, comme en hiver.
Quatre terminaux méthaniers. Ces usines regazéifient le gaz naturel liquéfié qui arrive par méthaniers des pays producteurs. Le gaz ainsi obtenu est injecté dans le réseau de transport. En octobre 2023, un terminal flottant a été mis en service au Havre afin de compenser la perte du gaz russe.
Alors que la France s'est fixée pour objectif de ne plus recourir au gaz naturel fossile en 2050, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) préconise l'adaptation des réseaux pour transporter du gaz décarboné, en injectant du biogaz ou de l'hydrogène bas carbone après adaptation des canalisations.
La méthanisation (ou digestion anaérobie) consiste en la dégradation de substrats organiques à l'aide de microorganismes en l'absence d'oxygène, générant ainsi du biogaz composé de biométhane (50-70 %), de dioxyde de carbone (30-50 %) et d'eau. Les substrats utilisés correspondent à des biodéchets, avec, en France, une dérogation de 15 % maximum de substrats en poids/an par des cultures alimentaires ou énergétiques cultivées à titre de culture principale.
S'il est injecté sur le réseau, le biogaz est purifié afin de respecter les spécifications réglementaires. Ainsi, en 2024, 13,9 TWh de biométhane, produit sur 731 sites de méthanisation ont été injectés, ce qui correspond à 4 % de l'énergie renouvelable en France. Le biogaz participe donc à la décarbonation du système gazier, avec des objectifs d'injection qui figurent dans la dernière PPE.
À noter cependant que l'Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le coût de production du biométhane est compris entre 55 et 90 euros par MWh. En comparaison, après une période de prix élevés en 2022 (début de la guerre en Ukraine), le prix moyen du gaz naturel sur le marché français s'élevait à 34 euros par MWh en 2024. L'opérateur NaTran estime qu'il pourrait atteindre 45 euros par MWh en 2025.
Aujourd'hui donc, le prix du biogaz n'est pas encore concurrentiel, sauf si le prix du gaz naturel s'envole.
La deuxième option envisagée est d'utiliser l'hydrogène comme vecteur énergétique. Il « peut changer la donne pour l'Europe », selon Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne lors de son discours du 14 septembre 2022. « Nous devons passer du marché de niche au marché de masse pour l'hydrogène » a-t-elle affirmé, mettant ainsi en avant l'importance de cette molécule pour l'avenir énergétique de l'Europe.
Selon son processus de production, l'hydrogène est désigné par différentes couleurs : gris s'il est obtenu par reformage du gaz naturel, bleu s'il est obtenu par reformage du gaz naturel couplé à la capture de dioxyde de carbone, vert lorsque produit par électrolyse de l'eau à partir d'électricité d'origine décarbonée et enfin rose si l'électricité est d'origine nucléaire, et blanc s'il est extrait du sous-sol.
Seuls les hydrogènes qualifiés de bleu, rose et vert sont actuellement considérés comme « bas carbone ».
L’hydrogène peut alors être acheminé vers l'utilisateur selon deux procédés :
Soit l'hydrogène est injecté à hauteur de 5 à 10 % pour enrichir le gaz transporté. Aucune modification d'équipement est alors nécessaire, que ce soit pour l'opérateur (détendeurs de pression, compresseurs) ou pour l'utilisateur final (brûleur). Cependant, avant le déploiement large d'un tel procédé, certains verrous réglementaires, économiques et techniques sont à lever.
Soit l'hydrogène injecté est pur, sans mélange avec le gaz transporté. Dans ce cas, une conversion partielle des canalisations est nécessaire. Elle permettrait d'économiser de 50 à 80 % des investissements par rapport à la construction d'un nouveau gazoduc.
Selon l'Observatoire européen de l'hydrogène, le coût actuel de l'hydrogène décarboné s'élève à environ 7 euros/kg, ce qui est supérieur au coût de l'hydrogène gris (non décarboné) évalué à 3,5 euros/kg. Pour optimiser les coûts de l'hydrogène bas carbone, les producteurs étudient la possibilité d'améliorer les technologies, d'augmenter les rendements de production, d'utiliser des matériaux plus performants afin de développer cette filière.
À lire aussi : L’économie de l’hydrogène, ou quand le rêve de Jules Verne se confronte aux réalités industrielles
À l'échelle européenne, le plan RepowerUE a lancé comme objectif la réduction de la dépendance énergétique de l'Union européenne et de renforcer la sécurité d'approvisionnement avec, en particulier, le développement de l'hydrogène décarboné.
En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) établi par les pouvoirs publics prévoit un important développement de la production de biogaz, avec comme objectif d'atteindre 50 TWh à l'horizon 2035 contre 12 TWh en 2023. La troisième PPE propose d'ailleurs de promouvoir le biogaz et l'hydrogène bas carbone.
Cependant, pour atteindre ces objectifs, des investissements financiers des pouvoirs publics et des entreprises sont indispensables. Dans un document récent, la Commission de régulation de l’énergie évalue le coût de l'adaptation des réseaux gaziers pour l'hydrogène et le biogaz entre 6 et 9,7 milliards d'euros d'investissement d'ici à 2050.
Salariée d'une filiale d'Engie (Storengy) jusqu'en 2012.
Elisabeth Cazier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.05.2025 à 16:10
Juan Diego Rodriguez-Blanco, Ussher Associate Professor in Nanomineralogy, Trinity College Dublin
Kristina Petra Zubovic, Researcher at the Department of Geology, Trinity College Dublin
Une nouvelle étude montre comment les microplastiques des paillettes perturbent les mécanismes de minéralisation dans l’océan. Les coquilles et squelettes de la faune marine sont affectés, mais pas seulement. Cela pourrait également modifier le cycle du carbone de la planète.
Les paillettes sont festives. Elles sont appréciées pour les décorations, le maquillage et les projets artistiques. Elles peuvent sembler inoffensives et mignonnes, mais les paillettes cachent une facette plus sombre. En effet, ces paillettes brillantes voyagent loin des tables de fête et des cartes de vœux. On peut finir par les voir scintiller sur les plages, rejetées par la marée.
Dans une de nos études récentes, nous avons découvert que les paillettes fabriquées à partir d’un polymère plastique courant appelé polyéthylène téréphtalate (PET) ne se contentent pas de polluer les océans. Elles pourraient interférer avec la vie marine lors de la formation des coquilles et des squelettes de la faune marine, ce qui est beaucoup plus grave qu’il n’y paraît.
Pour le dire simplement, les paillettes favorisent la formation de cristaux non prévus par la nature. Ces cristaux peuvent briser les paillettes en morceaux encore plus petits, ce qui aggrave encore le problème de pollution et le rend plus problématique à long terme.
Nous avons tendance à voir les microplastiques comme de petites perles de plastique qui proviennent des produits cosmétiques utilisés pour le gommage du visage ou encore des fibres de vêtements, mais les paillettes constituent une catégorie à part parmi les microplastiques. Elles sont souvent constituées d’un film plastique stratifié recouvert d’une couche de métal. C’est ce même matériau que l’on retrouve dans les paillettes des fournitures de bricolage, des cosmétiques, des décorations de fête et des vêtements. Elles sont brillantes, colorées et durables – et surtout toutes petites. Elles sont donc difficiles à nettoyer – et faciles à ingérer par les animaux marins, car elles ont l’air appétissantes.
Notre étude publiée dans la revue Environmental Sciences Europe suggère que ce qui distingue vraiment les paillettes des autres microplastiques, c’est la façon dont elles se comportent une fois qu’elles dans l’océan. Elles ne dérivent pas passivement, mais interagissent activement avec leur environnement.
Nous avons recréé en laboratoire les conditions de l’eau de mer et y avons ajouté des paillettes, afin de voir si les paillettes affectaient la formation des minéraux comme ceux que les animaux marins utilisent pour fabriquer leurs coquilles.
Et nous avons observé quelque chose d’étonnamment rapide, mais de malgré tout très cohérent : les paillettes donnent un coup de fouet à la formation de minéraux tels que la calcite, l’aragonite et d’autres types de carbonates de calcium. On appelle ce processus « biominéralisation ».
Or, ces minéraux sont les briques de base que de nombreuses créatures marines, dont les coraux, les oursins et les mollusques, utilisent pour fabriquer leurs parties dures. Si les paillettes perturbent ce processus, la vie océanique pourrait être gravement menacée.
Au microscope, nous avons constaté que les particules de paillettes agissaient comme de petites plates-formes pour la croissance des cristaux. Des minéraux se formaient sur toute leur surface, en particulier autour des fissures et des arêtes. Il ne s’agissait pas d’une accumulation lente : quelques minutes suffisaient pour que des cristaux apparaissent.
Cela peut compliquer les processus naturels. Les créatures marines nécessitent des conditions très précises pour donner à leurs coquilles la forme et la solidité voulues. Lorsque quelque chose d’imprévu arrive, comme des paillettes qui accélèrent la cristallisation, cela peut entraîner des perturbations. C’est comme si on faisait cuire un gâteau et que l’on faisait chauffer le four à 1 000 °C au lieu de 250 °C : on obtiendra peut-être toujours un gâteau à la fin, mais ce ne sera pas du tout celui que l’on espérait faire.
Pire encore, à mesure que les cristaux grossissent, ils appuient contre les couches de paillettes, ce qui les fait se fissurer, s’écailler et se briser. Cela signifie que les paillettes finissent par se transformer en morceaux encore plus petits, connus sous le nom de nanoplastiques, qui sont plus facilement absorbés par la vie marine et presque impossibles à éliminer de l’environnement.
Poissons, tortues, huîtres ou même plancton, les microplastiques sont consommés par la faune marine. Ils affectent la façon dont ces animaux se nourrissent, grandissent et survivent. Lorsque nous mangeons des fruits de mer, ces microplastiques se retrouvent finalement également dans notre propre alimentation.
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Mais nos recherches montrent que les paillettes ne se contentent pas d’être mangées. Elles modifient également la chimie de l’océan, d’une façon subtile mais importante. En favorisant le mauvais type de croissance minérale, les paillettes pourraient interférer avec la façon dont les animaux marins forment leurs coquilles ou leurs squelettes.
Le problème ne se limite pas à la faune marine. L’océan joue un rôle clé dans la régulation du climat de planète et la formation de minéraux fait partie de cette équation. Si la formation de carbonate de calcium dans l’océan change, cela pourrait également affecter le cycle de la planète, soit la façon dont le carbone se déplace sur la planète.
Alors, la prochaine fois que vous verrez des paillettes sur une carte d’anniversaire ou dans une palette de maquillage, rappelez-vous de ceci. Elles peuvent sembler inoffensives à première vue, mais dans l’océan, elles se comportent comme des trouble-fêtes tape-à-l’œil du délicat équilibre chimique de ces milieux. Ce qui nous semble brillant et tout petit peut agir comme un perturbateur majeur et silencieux pour le monde marin.
Surtout, une fois les paillettes dans l’océan, elles ne vont plus nulle part : elles y restent.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
20.05.2025 à 17:47
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans ce quatrième épisode, on prend la mer !
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le quatrième épisode dédié aux océans !
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Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.
Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.05.2025 à 08:43
Service Environnement, The Conversation France
Dans la stratosphère, l’ozone protège la vie sur terre en absorbant des rayons UV nocifs. Mais, en dessous, dans la troposphère, il est à la fois polluant et gaz à effet de serre. Les clés d’un paradoxe, expliquent Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).
Saviez-vous qu’il existe un « bon ozone » et un « mauvais ozone » ? Selon l’altitude où on la rencontre, la molécule est soit d’une absolue nécessité pour la vie sur terre, soit un gaz à effet de serre doublé d’un polluant néfaste pour la santé.
Naturellement présent dans notre atmosphère, l’ozone, du latin « ozein » (qui signifie « sentir », ce gaz ayant une senteur caractéristique qui permet de le détecter), a été identifié en 1840. L’ozone joue un rôle radicalement différent selon qu’on le rencontre dans la stratosphère (15 à 35 km d'altitude et où l’on retrouve 90 % de l’ozone atmosphérique total) ou dans la troposphère (moins de 10 km).
Dans la stratosphère, il joue un rôle de bouclier protecteur en absorbant la plupart des UV nocifs pour l’ADN du vivant. Dans les années 1980, les scientifiques ont pris conscience que les activités humaines avaient perturbé cette couche d’ozone, au point qu’un trou s’y développe chaque printemps, ce qui a entraîné la naissance du protocole de Montréal en 1987. Ratifié par 197 Etats, il a permis de limiter l’usage des substances problématiques, principalement des chlorofluorocarbures et des halons, utilisés notamment pour la réfrigération et la climatisation.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Dans la troposphère en revanche, l’ozone devient un polluant aux effets néfastes tant pour la végétation que pour la santé humaine. Cet irritant des voies respiratoires supérieures a également un effet phytotoxique sur les plantes, entraînant des pertes de rendement agricole. C’est un polluant dit « secondaire », produit sous l’effet d’un ensoleillement important et de températures favorables, avec des pics au printemps et en été, du fait de l’ensoleillement et de la durée du jour accrus. Il existe de nombreux précurseurs de l’ozone, comme les oxydes d’azotes (NOx) émis par le trafic automobile et l’industrie, ainsi que les composés organiques volatils (COV) générés par les activités humaines et par la végétation.
La stratégie de lutte contre l’ozone troposphérique est de réduire les émissions de gaz précurseurs. La principale difficulté : la chimie de l’ozone est non linéaire. Selon le dosage en NOX et COV, de l’ozone pourra être formé ou être détruit. Il en découle que si les réductions ne sont pas équilibrées, on pourra aboutir à encore plus d’ozone. Paradoxalement, c’est dans les campagnes, à quelques dizaines de kilomètres des villes, que les conditions sont réunies pour que les concentrations d’ozone soient plus élevées.
Comme l’ozone stratosphérique, l’ozone troposphérique est aussi une question globale : plus de 50 % de la mortalité qui en découle en Europe est associée à de l’ozone transporté depuis les dehors du continent. Il y a urgence : en 2021, l’exposition à court terme a causé 22 000 décès prématurés dans le vieux continent, et l’augmentation des températures devrait encore davantage favoriser la production d’ozone. Ce texte est la version courte de l'article écrit par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université)
Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).
19.05.2025 à 12:04
Emmanuelle Le Nagard, Professeure de Marketing, Directrice Académique du Programme Grande Ecole, ESSEC
Gisele de Campos Ribeiro, Professeure Associée, PSB Paris School of Business
Valérie Guillard, Professeur des Universités (Sciences de Gestion), Université Paris Dauphine – PSL
Le 8 avril dernier, l’indice de réparabilité laissait place à l’indice de durabilité. Pourtant, les consommateurs sensibles à l’environnement – écoconsuméristes – ont tendance à remplacer leur produit plus fréquemment que la moyenne. Alors, comment expliquer cette contradiction ?
Annoncé par le gouvernement en 2024, l’indice de durabilité entre en vigueur en France en 2025 pour deux catégories de produits. C’est déjà le cas pour les téléviseurs depuis le 8 janvier, et le 8 avril, les lave-linge. En affichant une note sur dix, cet indice informe les consommateurs sur le caractère plus ou moins durable des produits concernés.
Stimulées par des innovations constantes, des lancements fréquents de nouvelles versions ou des designs plus attractifs, la majorité des ventes de biens durables sont désormais des ventes de remplacement. Parmi ces biens de consommation destinés à offrir des services utiles à un consommateur, par une utilisation répétée, sur une période prolongée, une bonne partie remplace des produits qui marchent encore. La période d’utilisation d’un bien durable est devenue un enjeu majeur de la consommation durable. Plus elle est courte, plus le problème des ressources nécessaires pour leur production et celui de la gestion des déchets sont importants.
Les raisons qui poussent les consommateurs à remplacer des objets qui remplissent encore leur fonction première (c’est-à-dire la plus importante) ne sont pas encore claires. Afin d’y répondre, nous avons dans une recherche récente menée auprès de 948 consommateurs, étudié le concept d’obsolescence perçue des objets, ou le fait de remplacer un produit qui marche encore. Alors pourquoi ce paradoxe ?
En ce qui regarde l’obsolescence perçue des produits, nous avons identifié cinq dimensions :
la dimension technologique : « Il n’est pas aussi efficace que les derniers modèles » ;
la dimension esthétique : « Je trouve ce design un peu vieillot » ;
la dimension environnementale : « Ses performances environnementales ne sont pas bonnes » ;
la dimension sociale : « J’ai un peu honte d’utiliser cet objet en présence d’autres personnes » ;
la dimension commerciale ; « Ce type d’objet est impossible à revendre ».
Nous avons identifié trois profils de consommateurs, que nous avons baptisés les « éco-consuméristes », les « indifférents » et les « éco-modérés ».
Suite à l’identification de ces trois profils, nous avons étudié leurs caractéristiques. Les « éco-consuméristes » sont ceux qui se déclarent les plus sensibles à l’environnement, avec un score de 5,07 sur une échelle de 7 points, contre 3,87 pour les indifférents. Ils sont également ceux qui ont l’intention de renouveler leur produit (score de 4,99 contre 3,01), raccourcissant ainsi leur période d’utilisation. Ce groupe représente 30 % de notre échantillon de 948 consommateurs.
À lire aussi : Réparabilité, durabilité… Comment changer nos imaginaires pour rendre la sobriété désirable ?
Ces « éco-consuméristes » sont les plus innovateurs. Ils sont plus enclins à acheter les innovations, avec un score de 4,92 contre 3,32 pour le groupe des indifférents, les plus matérialistes (5,09 contre 3,96), et les plus sensibles aux jugements des autres (score de 4,46 contre 3,54). On y trouve également légèrement plus de femmes (58 %, contre 53 % pour les indifférents).
Ces consommateurs « écolos » sont en effet pris dans un paradoxe : les produits les plus récents sont aussi ceux qui ont les performances environnementales les meilleures, en termes de consommation énergétique, ou de consommation d’eau par exemple. Un consommateur interrogé nous a ainsi déclaré :
« Mon grille-pain. Je pense qu’il est obsolète. Il est un peu vieux et, à mon avis, consomme beaucoup d’énergie, ceux qui sortent maintenant doivent être plus écologiques. »
Ceci explique que ces consommateurs sont aussi ceux qui ont l’intention de remplacer leur produit actuel dans le futur le plus proche (score de 4,42 sur 7 contre 2,21 pour les indifférents).
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Un client avec une forte sensibilité à l’environnement peut ainsi préférer renouveler un lave-linge qui fonctionne encore, pour faire le choix d’acheter un lave-linge qui permet de laver à basse température ou d’adapter sa consommation d’eau. Les fabricants de ces biens durables ont donc intérêt à mettre en avant les performances environnementales des innovations. L’enjeu : convaincre ce segment de clients d’acheter précocement un nouveau produit, malgré leur conscience écologique.
Ce renouvellement anticipé peut avoir des conséquences écologiques néfastes, si cela n’est pas couplé à des solutions pour la seconde vie des biens : organisation d’un marché de seconde main, reconditionnement, don, ou encore de gestion ou valorisation des déchets (recyclage). Au vu de la sensibilité environnementale du segment des « éco-consuméristes », ceux-ci sont plus enclins à avoir recours à ces solutions permettant de réduire l’impact écologique du renouvellement anticipé des produits… même si celles-ci nécessitent des efforts supplémentaires de leur part.
Les pouvoirs publics, eux, dans une perspective de développement durable, devraient donc à la fois promouvoir la mise en place de ces solutions de seconde vie, mais également alerter sur les coûts associés à la gestion de la fin de vie de ces produits durables, souvent coûteux à recycler, ou à détruire. Ainsi, les clients, et notamment les plus sensibles à l’environnement, pourraient mieux prendre en compte ces coûts dans leurs décisions de renouvellement. Il faut également noter que nos résultats suggèrent que la mise en avant de l’amélioration des performances énergétiques des biens durables, encouragée par les pouvoirs publics, pourrait paradoxalement accentuer ce phénomène de renouvellement anticipé des biens durables.
Il serait donc intéressant, pour évaluer l’impact complet de ces comportements paradoxaux, de comprendre quels sont les comportements de ces consommateurs « écoconsuméristes en termes de seconde vie des produits ou de gestion des déchets. Ont-ils recours à la revente d’occasion, au don, au recyclage ?
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
18.05.2025 à 18:09
Anne Aguiléra, Chercheuse en socio-économie des mobilités, Université Gustave Eiffel
Benoit Conti, Chargé de recherche en Aménagement de l'espace et urbanisme, Université Gustave Eiffel
Florent Le Nechet, Maître de Conférences en aménagement de l'espace et urbanisme , Université Gustave Eiffel
Sylvestre Duroudier, Maitre de Conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Travailler dans une ville différente de celle de sa résidence est une pratique de plus en plus courante en France. Un atlas qui vient de paraître se penche sur la géographie de ces flux très majoritairement automobiles, et la façon dont une partie d’entre eux pourrait être remplacée par des transports collectifs.
En France, la voiture est utilisée pour 75 % des trajets domicile-travail. Ces déplacements sont aussi responsables du quart des émissions de gaz à effet de serre émis par les voitures des particuliers.
Si la plupart des gens travaillent dans leur ville de résidence, 3 millions de personnes (soit 10 % des actifs) ont leur emploi dans une autre ville. C’est 50 % de plus qu’il y a vingt ans. Les raisons en sont multiples : augmentation des prix immobiliers, transformations du marché de l’emploi, modification des modes de vie et de l’organisation du travail, etc.
Selon l’Insee, ces trajets font en moyenne 35 km (aller simple), soit le triple de la distance domicile-travail moyenne. Ils sont réalisés dans plus de 90 % des cas en voiture, et représentent désormais un tiers des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des trajets domicile-travail. Ils sont pourtant peu intégrés aux réflexions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre des mobilités du quotidien.
Dans le cadre d’un partenariat avec l’opérateur de mobilités Transdev, nous avons réalisé l’Atlas des déplacements domicile-travail interurbains en France continentale. Basé sur les données du recensement de 2018, il permet de visualiser et caractériser ces flux aux échelles nationale et régionale, et de réfléchir aux conditions de leur report vers les transports collectifs.
L’Atlas s’intéresse aux villes comptant entre 50 000 et 700 000 habitants, qui sont l’origine ou la destination de 80 % de ces déplacements. La carte ci-dessous, qui en est extraite, permet de visualiser les liaisons les plus importantes, c’est-à-dire comptabilisant au moins 500 actifs (dans un sens).
Les déplacements depuis et vers l’aire d’attraction de Paris concernent environ 100 000 personnes, soit une part minoritaire des flux interurbains étudiés dans l’Atlas. Ces échanges sont par ailleurs atypiques de par le mode de transport utilisé.
La performance des liaisons ferroviaires, les distances élevées et les difficultés de circulation et de stationnement dans l’agglomération parisienne favorisent bien plus qu’ailleurs un recours aux transports collectifs. Les déplacements entre Paris et Reims sont emblématiques de cette situation : la moitié des actifs concernés vont au travail en transports collectifs, contre 10 % pour l’ensemble des interurbains.
Partout ailleurs, les déplacements domicile-travail interurbains dessinent des systèmes variés, parmi lesquels quelques figures typiques se dégagent :
des étoiles autour de grandes villes (comme Rennes, qui échange beaucoup avec Vitré, Fougères et Saint-Malo) ou de villes de moindre taille (par exemple autour de Bourges) ;
des systèmes multipolaires, par exemple autour de Nantes qui échange beaucoup avec Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon et où les flux sont également importants entre ces villes (le différenciant en cela d’un système en étoile) ;
des corridors (comme Nancy-Metz-Thionville ou Perpignan-Avignon) ;
ou encore des échanges intenses entre deux villes de tailles proches (par exemple Pau et Tarbes, ou encore Belfort et Mulhouse).
À une échelle plus fine, comme le montre l’illustration ci-dessous, les flux les plus importants relient une commune périurbaine à une commune-centre (au sens de la commune principale d’une aire d’attraction), ou bien deux communes périurbaines.
Selon les liaisons, le volume des échanges et la part des transports collectifs sont très variables, comme le montre la carte de la région Occitanie. Les flux sont assez épars et dominés par la voiture entre les communes périurbaines de Montpellier et la commune-centre de Nîmes. À Béziers, une certaine dispersion des flux est également observée. Dans d’autres cas, les actifs interurbains sont plutôt concentrés sur des liaisons entre deux communes-centres, par exemple entre les communes de Castres et Mazamet, ou encore celles de Carcassonne et Limoux.
Le poids des transports collectifs dans les déplacements varie beaucoup selon les cas de figure : il est en particulier plus élevé pour les liaisons avec Montpellier depuis Béziers, Agde et Nîmes ou bien, plus au sud pour Narbonne-Carcassonne et Narbonne-Perpignan.
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Certaines lignes de transports publics sont déjà relativement bien utilisées par les actifs qui travaillent hors de leur ville de résidence : c’est plus souvent le cas quand l’emploi est situé dans une ville de plus de 700 000 habitants, quand la personne habite dans une commune-centre et travaille aussi dans une commune-centre, quand les communes de résidence et de travail sont situées à moins de 10 km d’une gare, ou encore lorsque le temps de trajet par la route dépasse 45 minutes. Mais les marges de progression restent très importantes.
Diminuer l’usage de la voiture individuelle sur une partie des trajets domicile-travail entre les villes est complexe, mais pas hors de portée. Selon les cas, il semble plus pertinent de réfléchir au renforcement de l’usage de lignes de transport public existantes ou bien à la création de nouvelles lignes voire de services de covoiturage.
L’amélioration de l’offre de transports collectifs actuelle (trains ou cars) suppose également une réflexion sur les modalités d’adaptation des horaires (heures de pointe du matin et du soir), des fréquences (notamment le soir, pour tenir compte des contraintes familiales) et des tarifs (par exemple pour cibler les télétravailleurs) afin de mieux les adapter aux besoins des actifs.
Cette politique de renforcement de l’offre fait surtout sens pour les trajets caractérisés par des volumes d’actifs importants et pour lesquels les transports collectifs font déjà l’objet d’un usage significatif, par exemple entre Rouen et Yvetot. Des politiques favorisant le rabattement vers les transports collectifs doivent également être envisagées, notamment dans les communes périurbaines : pistes cyclables, local à vélo sécurisé, parking-relais avec stationnement gratuit ou à faible coût pour les usagers des transports collectifs.
La création de nouvelles offres doit quant à elle se concentrer sur les liaisons les importantes en volume d’actifs, et envisager, selon les cas, de nouvelles infrastructures ferrées ou la mise en place d’offres routières du type cars express, comme celle qui existe par exemple entre La Rochelle et Niort.
Sur des liaisons concernant un peu moins d’actifs et des distances intermédiaires (10 à 30 km, typiquement), organiser des services de covoiturage fait partie des options pertinentes.
La question n’est pas seulement technique, elle est aussi politique, car les trajets interurbains transcendent les périmètres de autorités organisatrices de mobilité (AOM). Enfin, l’enjeu d’une meilleure gestion des mobilités interurbaines n’est pas seulement environnemental. Il est aussi social compte tenu des difficultés d’accès à l’emploi et au logement pour certaines catégories de population, et des budgets mobilité élevés pour ces navetteurs eu égard aux distances parcourues.
Anne Aguiléra a reçu des financements de nombreuses organisations de recherche publiques et privées dans le cadre de ses activités scientifiques. Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat de recherche avec l'entreprise Transdev.
Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat de recherche avec l'entreprise Transdev.
Sylvestre Duroudier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.05.2025 à 13:20
Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe
Oh lait lait à Bordeaux, Les Frox à Annecy, Marengo à Bayonne… à l’instar des micro-brasseries, les laiteries urbaines font (ou refont) leur apparition dans les villes. L’image d’Épinal de la laiterie localisée en pleine campagne et liée à une ferme s’estompe. La production de fromages au lait cru a désormais sa place en zone urbaine.
Le locavorisme et les circuits courts ont la cote. En 2020, 63 % des Français étaient prêts à consommer le plus de produits locaux possible pour soutenir l’économie. La pandémie de Covid-19 a modifié le comportement des consommateurs, entraînant de nouveaux modes ou lieu de production et de nouvelles vocations.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Au XIXe siècle déjà, des laiteries à Paris, Londres et Copenhague existaient, comme le souligne l’historien Fabien Knittel. Elles répondaient à l’essor croissant de l’urbanisation et la nécessité de fournir du lait frais aux populations. Ces derniers s’approvisionnaient auprès de fermes en périphérie des villes ou développaient des systèmes d’élevage urbain posant des problèmes sanitaires. Leur essor s’établira à partir des années 1860-1880 avec les techniques de pasteurisation et l’industrialisation du lait.
Alors pourquoi son retour au XXIe siècle ?
Les laiteries urbaines actuelles transforment le lait issu de circuits courts – fermes périurbaines ou rurales proches –, pour en faire des fromages, du beurre, de la crème. Le phénomène reprend vigueur dans les années 1970 à la suite de la dynamique des circuits courts, d’agriculture urbaine et de relocalisation de la production alimentaire. Ces initiatives répondent à une demande croissante des consommateurs pour les produits locaux, frais et traçables, tout en sensibilisant le public aux enjeux de l’élevage et de la production laitière. Et les Français sont de grands consommateurs de fromage : 27 kg par personne et par an en 2022.
En France, la Laiterie de Paris en 2013 est l’une des premières à transformer du lait local en yaourts et fromages directement en ville. En Europe la Stadtkäserei ouvre à Zurich en Suisse et en Amérique du Nord, le même phénomène se répand. Depuis 2020 l’accélération du phénomène est sensible en France, Belgique et Londres.
L’ouverture des laiteries urbaines n’est pas l’apanage d’une région ou d’une ville. Elles fleurissent sur tout le territoire, souvent dans les moyennes ou grandes villes : Annecy, Bordeaux, Pau et Bayonne, Marseille, Metz et Nancy, Limoges, Brest, Toulouse, Rennes, Avignon, Paris, Saint-Ouen. Et bien sûr la liste est loin d’être close.
Ces fromagers souhaitent recréer du lien entre consommateurs et producteurs, que la grande distribution a distendu. Face à la main mise sur le secteur des géants du lait, en soutien à l’agriculture en crise et aux commerces de proximité, les consommateurs découvrent ces nouveaux lieux de production, en ville. Cette proximité se fait à un triple niveau :
Le lait provient de producteurs locaux, en général de moins de 50 km.
La proximité du lieu de vente invite les consommateurs urbains à redécouvrir les productions artisanales au cœur de leur ville.
La proximité relationnelle du producteur et du consommateur qui veulent partager des valeurs identiques, des valeurs du terroir.
À lire aussi : Le lait de foin arrive dans nos magasins et ce n’est sans doute pas ce que vous pensez
Le lait de foin, provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin, est par exemple un des produits emblématiques de ces laiteries urbaines. Il renforce le caractère authentique, rural et sain de la production fromagère dans l’imaginaire des consommateurs et qui se fait réalité.
Ces crémiers de temps modernes recherchent du sens. Ces fromagers urbains sont souvent issus de reconversion, délaissant leur ancien métier au profit d’un engagement. Ce changement radical dans leur vie correspond à leurs valeurs tournées vers le local, l’artisanal et aussi à un engagement plus profond envers la société et ce qu’ils ont envie de vivre. « En 2021, j’ai quitté mon emploi pour me recentrer sur un métier qui a du sens ». Délaisser un travail intellectuel au profit d’un travail manuel pour trouver une satisfaction dans la réalisation concrète des produits.
« Notre boutique située rive droite offre une vue directe sur le laboratoire pour vous dévoiler les différentes étapes de transformation », lit-on sur le site de la Laiterie brestoise.
Cette quête de sens se manifeste aussi par la transparence : de la traçabilité du lait, de la fabrication pour le partage avec les clients. Les opérations de production, d’affinage donnent à voir aux clients sous diverses formes : espaces aménagés, ateliers, fromagers ouverts au public ou encore ateliers de formations professionnelles dans un souci de partage.
Le prix du lait est souvent affiché dans un souci éthique vis-à-vis du producteur comme à la Laiterie de Lyon ou à Paris. Les mots clés « bio, urbain, local et artisanal » sont souvent écrits sur les bouteilles du précieux breuvage.
« C’est simple, on double le prix du lait. On achète leur lait environ 8O centimes d’euros le litre alors que Lactalis est à 35 centimes », rappelle Pierre Coulon, le fondateur de la Laiterie de Paris.
Certaines laiteries urbaines vont encore plus loin dans leur engagement écologique. Elles proposent des consignes pour les bouteilles de lait ou de yaourts comme à Marseille ou valorisent le zéro déchet comme à Limoges.
Si la France est le pays du fromage, la liste des produits n’a pas fini de s’enrichir… Ces laiteries-fromageries urbaines développent leurs propres créations alliant savoir-faire traditionnel et innovation. La transformation en ville permet d’expérimenter de nouveaux profils sensoriels et des méthodes d’affinage atypiques : croûtes atypiques, textures particulières ou arômes qui évoluent différemment de ceux produits en milieu rural traditionnel.
À Marseille, la laiterie urbaine revendique une identité voir un terroir lié à cette production avec saveurs méditerranéennes : zaatar, épices, coagulation à la figue et au citron. La laiterie de Paris propose un « sakura », un chèvre affiné à la fleur de cerises.
Au-delà du simple produit, ces initiatives visent souvent à éduquer le public aux enjeux de la production locale durable. Ces lieux deviennent des lieux de rencontres et d’échanges où la démarche artisanale et écologique est mise en avant. Ces laiteries urbaines reposent souvent sur une vision éthique et écologique où l’humain est aussi au centre tant côté producteur de lait que consommateur. La laiterie de La Chapelle accueille des classes pour former les jeunes enfants. De futurs amateurs de lait, de beurre et de fromage ?
Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
15.05.2025 à 16:21
Agathe Jarry, Coordinatrice du Pôle Recyclage, Ademe (Agence de la transition écologique)
Cécile Mugnier, Cheffe du service Ecoconception et Recyclage à l'ADEME (Agence pour la transition écologique), Ademe (Agence de la transition écologique)
Raphaël Guastavi, Chef du service Ecoconception & Recyclage, Ademe (Agence de la transition écologique)
De plus en plus critiqué, le recyclage, en particulier celui des déchets plastiques, souffre d’une image parfois injuste. S’il ne doit pas se substituer à la sobriété pour préserver les ressources, il n’est pas réaliste d’envisager la transition écologique sans lui. Plutôt que d’opposer le recyclage au réemploi ou à la réparation, utilisons-le comme un marchepied pour faire évoluer l’industrie et les consommateurs vers des méthodes de production et des habitudes au moindre impact environnemental. De quoi renforcer par la même occasion notre souveraineté économique.
Le recyclage fait régulièrement l’objet de critiques, en particulier dans la presse grand public. Parmi les reproches adressés, citons le faible taux de recyclage des plastiques, la focalisation sur l’insuffisance des efforts individuels, ou encore, le risque de greenwashing associé. Si tout peut être recyclé, à quoi bon consommer moins ? Le risque serait d’omettre le cœur du problème, à savoir nos modèles économiques : le fait que la production et la consommation de plastique continuent d’augmenter.
Ces critiques sont audibles et comportent une part de vérité. Les technologies de recyclage demeurent imparfaites et compliquées. D’abord parce qu’il faut traiter un large panel de matériaux dotés de qualités différentes, souvent difficiles à séparer, voire utilisés en mélange. Cela est vrai pour les résines plastiques et leurs nombreux « grades » (c’est-à-dire, formulations pour répondre à des besoins de qualité différents), souvent dans le viseur. Cela vaut aussi pour les alliages métalliques, les textiles, etc.
De fait, le recyclage ne doit pas être le premier levier de la transition écologique. La priorité principale reste la réduction de nos déchets à la source, d’abord en produisant et en consommant moins en amont, puis en généralisant des pratiques comme l’écoconception des produits, le réemploi, la réparation, le reconditionnement et la remanufacture (remise à neuf industrielle).
Des solutions que les pouvoirs publics, notamment via l’Agence de la transition écologique (Ademe), encouragent par des dispositifs d’aide et d’informations aux entreprises et aux citoyens, comme Longue Vie aux objets ou l’indice de réparabilité. Mais ils requièrent une volonté politique forte et un plan de développement de longue haleine, que ce soit à l’échelle de l’Europe ou de la France.
Faut-il pour autant rejeter en bloc le principe du recyclage au motif de ses insuffisances ? Dénigrer massivement cette pratique paraît, malgré ses limites, contre-productif, voire dangereux.
Sur les 3,7 millions de tonnes de déchets plastiques liés à la consommation qui étaient générés annuellement en 2021 (dont près de 2/3 d’emballages ménagers, industriels et commerciaux), 930 000 tonnes ont été collectées en vue du recyclage. Ce flux est complété par les déchets de fabrication de l’industrie manufacturière afin d’alimenter les usines de recyclage françaises et européennes. Les plasturgistes français réincorporaient ainsi 715 000 tonnes de matières recyclées dans leurs produits en 2020.
Comme tout procédé industriel, le recyclage est imparfait. Les rendements associés sont forcément inférieurs à 100 %, le procédé consomme de l’énergie (essentiellement électrique et décarbonée en France, pour le recyclage mécanique de plastique) et de l’eau.
Il induit également un risque de pollutions autour des sites : dans le cas des plastique, le risque de fuites microplastiques est réglementé. Il reste toutefois largement moins significatif, en termes d’ordre de grandeur, que les 4,8 à 12,7 millions de tonnes de plastique non traité qui s’accumulent dans les océans chaque année.
Enfin, ces impacts sont moins importants que si l’on utilisait, à usage équivalent, des ressources naturelles vierges. Le recyclage mécanique d’une tonne de plastique permet ainsi d’économiser 2,7 tonnes de CO₂ eq par tonne de plastique recyclé, tout en évitant les effets négatifs de la production de plastique vierge et de l’incinération ou de l’enfouissement du déchet final.
Se passer du recyclage des biens de consommation en fin de vie est impossible. Et cela, y compris quand tous les autres leviers évoqués plus haut (réemploi, reconditionnement, réparation…) seront activés à leur maximum. En bout de chaîne, il vaudra toujours mieux les recycler que les enfouir ou les incinérer. Le traitement de ces déchets se déroulera toujours dans de meilleures conditions dans une usine française ou européenne qu’ailleurs, grâce à des réglementations plus protectrices de l’environnement.
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Le recyclage permet ainsi de diminuer la production de plastique vierge à partir de pétrole pour fabriquer les mêmes objets et la pollution associée (extraction des ressources fossiles, émissions de GES…). Au-delà des plastiques, ce raisonnement est valable pour tout type de matériaux.
Même dans une économie qui sera, à terme, fondée sur la sobriété, il restera toujours des objets indispensables à produire. Certains peuvent l’être avec du plastique recyclé dès aujourd’hui. D’autres, de conception plus complexe ou à plus haute valeur ajoutée, exigent d’améliorer les technologies de recyclage actuelles. En amont, cela impose aussi d’améliorer la recyclabilité des produits fabriqués.
Par recyclabilité, on entend la capacité d’un bien à être collecté, trié et retransformé en matière de qualité dans les infrastructures opérationnelles de la chaîne du recyclage.
Il doit pour cela être écoconçu. Pour recycler davantage et mieux les déchets de demain, il faut dès aujourd’hui fabriquer les objets en privilégiant des matériaux facilement recyclables au vu des techniques actuelles et des circuits de collectes existants, en créant des pièces détachables et remplaçables, en proscrivant des matériaux non séparables ou en mélange ou le recours à des substances additives et couleurs perturbatrices de recyclage, voire contaminantes ou préoccupantes.
Ainsi, l’exigence de recyclabilité d’un produit favorise l’action sur d’autres leviers. Une démarche visant à produire un bien recyclable mène souvent les industriels à élargir leur démarche pour concevoir en un produit réparable, réemployable, reconditionnable, et plus respectueux de la santé du consommateur et de l’environnement.
Les différents leviers pour réduire notre production de déchets sont donc compatibles avec le fait d’améliorer la recyclabilité de ces déchets. De fait, opposer les approches peut s’avérer contre-productif.
De la même façon, encourager le tri même si le procédé de recyclage est encore imparfait peut favoriser des changements de comportements individuels plus profonds à terme. Or certains messages tronqués peuvent aujourd’hui décourager le citoyen de trier. Qui n’a pas entendu que moins de 5 % des pots de yaourt étaient recyclés ?
En réalité, il devrait plutôt être dit qu’environ (et seulement) 5 % des pots de yaourt consommés sont collectés dans les poubelles dédiées aux emballages. Mais que la bonne nouvelle est que la très grande majorité de ce petit volume collecté est trié puis recyclé dans une filière dédiée.
Mal contextualisés, ces chiffres peuvent donner au consommateur le sentiment que trier est inutile, voire l’en dissuader.
Pourtant, le tri est sans doute le changement de comportement en faveur de l’environnement le plus immédiatement accessible à toutes et tous. Et ceci sans distinction de revenus, de temps disponible ou d’horaires de travail, d’âge, de localisation géographique ou de mobilité. Ce n’est pas encore le cas de la consommation bio, locale ou en vrac, par exemple. Avec la bonne information, tout citoyen a à sa disposition les outils pour trier ses déchets. Il peut en cela être une première marche vers une réflexion sur sa consommation.
Cette désincitation à trier peut aussi avoir des effets négatifs sur la chaîne du recyclage. En effet, la pérennité économique de ces filières est un équilibre entre offre et demande. Plus l’industrie aura de matière à recycler grâce au tri des citoyens, plus elle investira dans des projets innovants pour mieux recycler ces déchets. Inversement, sans tri, les gisements ne seront pas suffisants pour investir dans le recyclage, profitant ainsi à l’extraction de matières vierges et au gaspillage de ressources…
Bien sûr, des progrès organisationnels, logistiques et technologiques sont encore nécessaires. Ils permettront de déployer le tri à la source, améliorer la qualité du surtri après collecte, innover en matière de décontamination et de recyclage mécanique ou encore de fabriquer à partir de matière recyclée des produits à haute valeur ajoutée.
Les possibilités sont nombreuses : incitations au tri auprès des citoyens avec la tarification incitative, centres de tri plus performants, recyclage chimique (solution de la dernière chance pour les produits les moins recyclables et les débouchés les plus exigeants), etc. Les efforts de sensibilisation du consommateur, d’aide à la R&D et à l’investissement pour soutenir cette dynamique de progrès en cours doivent être poursuivis. Cela n’est en rien incompatible avec une politique de déploiement massif de tous les autres leviers de réduction de consommation de matières.
À l’heure où se négocie le traité mondial contre la pollution plastique, et où la France paye à l’Europe 1,5 milliard d’euros par an au titre de ses emballages plastiques non recyclés, toutes les solutions doivent être intensifiées en parallèle.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
15.05.2025 à 12:22
Gwenaelle Flieller, Ingénieur d'étude, Université Savoie Mont Blanc
Andrea Rangel Guevara, Postdoctoral researcher, Université Savoie Mont Blanc
Aude Pommeret, Full Professor, IAE Savoie Mont Blanc
Face aux tensions qui pèsent sur l’approvisionnement en métaux critiques, la France et l’Union européenne songent à relancer l’industrie minière. Mais reste à savoir si ce renouveau minier est compatible avec la protection de la nature. Un projet de recherche entend fournir au législateur les outils pour répondre à cette question.
Pour faire face à l’urgence climatique, différentes mesures de politique publique ont été prises au sein de l’Union européenne pour assurer la transition énergétique. En 2019, la Commission européenne a adopté le pacte Vert, qui ambitionne d’atteindre un objectif de zéro émission nette d’ici à 2050.
Pour y parvenir, il est crucial de décarboner l’économie, ce qui passe par le développement des énergies renouvelables et de la mobilité électrique. Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en plusieurs matières premières critiques pour la décarbonation, notamment des métaux (lithium pour les batteries électriques, par exemple), l’UE a également légiféré sur cette question en 2024.
La question du renouveau minier en France est ainsi au cœur du débat avec de nombreux questionnements sur les risques géopolitiques de tensions sur les marchés, le risque de pollution lié notamment aux activités d’extraction et de raffinage des métaux et le risque de perte de biodiversité.
En effet, dans le même temps, l’Union européenne a également adopté une stratégie en faveur de la biodiversité, qui doit restaurer un certain nombre d’écosystèmes à l’horizon 2030. Ces deux objectifs – relance minière en France et préservation de la biodiversité – sont-ils conciliables, et à quelles conditions ?
De nombreuses matières premières sont nécessaires à la production d’énergie renouvelable (par exemple pour fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires), ou encore pour pouvoir utiliser de l’électricité décarbonée (batteries, véhicules électriques, etc.). Certaines de ces matières premières ont été classées par l’Union européenne comme étant critiques à cause de leur nature stratégique et des risques de tensions sur leur approvisionnement.
Prenons l’exemple des véhicules électriques. Le Parlement européen souhaite orienter l’achat vers des véhicules à émissions nulles, en interdisant la vente de voitures diesel et essence neuves à partir de 2035.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Ce changement de législation devrait faire augmenter la demande en matières premières critiques comme le cobalt, le lithium, le nickel et le graphite, essentiels pour la production des batteries des véhicules électriques. Le cuivre aussi est indirectement concerné : il est principalement utilisé dans les réseaux électriques, les panneaux solaires et les éoliennes.
La demande de cuivre, de cobalt et de lithium devrait ainsi exploser au cours des prochaines années, selon les analyses de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
L’Union européenne ne dispose que de 1,2 % des réserves mondiales de lithium, 1,6 % de celles de cuivre et de 4,4 % de celles de cobalt.
Ceci en fait une région dépendante du reste du monde pour son approvisionnement dans un contexte d’augmentation de la demande.
C’est pourquoi, l’Union européenne a mis en place une stratégie pour gagner en indépendance vis-à-vis de ces matières critiques, à travers le Critical Raw Material Act (CRM Act), signé en 2024.
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Le gouvernement français aussi se préoccupe de la disponibilité de ces matériaux stratégique. Il a lancé, en 2023, le programme de recherche Sous-sol, bien commun, qui regroupe plus de 30 institutions et laboratoires partenaires.
Ce programme étudie notamment la pertinence d’extraire ces matières premières critiques en France, mais il a également pour but d’évaluer au mieux les conditions nécessaires à une utilisation durable du sous-sol. Il réunit des experts de différentes disciplines : géologie, économie, sociologie…
La possibilité d’ouvrir de nouvelles mines en France fait débat et requiert une analyse qui tient compte des effets sur l’environnement. C’est ce que propose de faire l’une des tâches de la partie consacrée à l’économie de ce programme de recherche sur laquelle nous travaillons et qui devrait aboutir d’ici 2030.
Si l’ouverture de mines implique de sacrifier une part de nature, il est nécessaire de savoir évaluer ce sacrifice, c’est-à-dire de pouvoir donner une valeur à la nature.
La nature n’existe pas isolément des activités humaines. Un nombre croissant de chercheurs reconnaissent que « l’économie est ancrée dans la nature et en dépend ». Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), il existe trois catégories de bénéfices ou de valeurs de la biodiversité :
les valeurs instrumentales (par exemple, la récolte du bois d’une forêt) ;
les valeurs relationnelles (par exemple, l’attachement à une forêt sans s’y promener, chasser, ou récolter du bois) ;
et les valeurs intrinsèques (c’est-à-dire, la nature vue comme une fin en soi).
Le problème est que certaines de ces valeurs sont quantifiables – comme le coût du bois pour une forêt – alors que d’autres sont plus difficiles à définir avec certitude, comme l’attachement.
De plus, elles sont souvent calculées pour un cas précis et ne peuvent pas être généralisées.
Enfin, les méthodologies pour réaliser ce genre de calculs et pour estimer la valeur monétaire de la nature à partir des services qu’elle nous fournit ont un certain nombre de limites.
En gardant à l’esprit que la biodiversité a plusieurs dimensions et que les valeurs définies précédemment sont difficiles à calculer si l’on se base sur les seuls bénéfices que l’on en retire, nous proposons une approche basée sur des calculs coût-efficacité.
L’enjeu dépasse la seule question du renouveau minier en France. Fixer une valeur à la biodiversité est essentiel pour pouvoir implémenter les objectifs de « zéro artificialisation nette (ZAN) » fixés en 2021. Cela peut se limiter au coût d’opportunité du sol (c’est-à-dire, de ce que l’on s’empêche de faire lorsqu’on protège la nature, et qui peut être estimé par les coûts du foncier) ou aller jusqu’à prendre en compte les coûts nécessaire pour protéger les sols (en tenant compte des coût des actions de restauration et de renaturation).
Une fois calculée cette valeur de la nature, elle pourra être utilisée pour éclairer les décisions d’ouverture de nouvelles mines mais aussi toutes les autres décisions relatives à l’utilisation du sol (foncier, champs de panneaux solaires, etc.).
À lire aussi : « Zéro artificialisation nette » : combien coûte vraiment la renaturation des sols urbains ?
Le projet ANR-22-EXSS-0004 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Gwenaelle Flieller a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français
Andrea Rangel Guevara a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français
Aude Pommeret a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le projet ciblé 3 ANR-22-EXSS-0004 bénéficie d'un financement du gouvernement français
15.05.2025 à 11:54
Blandine Gourcerol, Ingénieur chercheur, chef de projet au BRGM, BRGM
Dans un contexte de tensions internationales sur l’approvisionnement en ressources minérales stratégiques, la France a lancé la mise à jour de son inventaire national. Celui qui a été réalisé entre 1975 et 1995 se focalisait sur les métaux d’alliages essentiellement et donc ne couvre pas forcément et systématiquement les substances critiques du moment, telles que le lithium, le gallium ou le germanium.
En février 2025, à l’occasion de sa visite au Service géologique national (BRGM), le ministre de l’industrie et de l’énergie Marc Ferracci a officiellement lancé un nouvel inventaire des ressources minérales disponibles sur le territoire français.
Cette initiative est née dans un contexte de tensions croissantes sur les approvisionnements en métaux rares et aux enjeux croissants de souveraineté industrielle.
De fait, elle s’inscrit dans la continuité du précédent inventaire du BRGM, qui avait été lancé dans les années 1970 dans le sillage du premier choc pétrolier qui avait révélé la vulnérabilité de la France pour ce qui est de ses approvisionnements en ressources énergétiques et minières.
Quels enseignements tirer de cette première expérience ? Et en quoi ce nouvel inventaire répond-il aux enjeux contemporains ? Panorama.
À l’heure où les transitions énergétique et numérique s’accélèrent, sécuriser l’approvisionnement des ressources minérales critiques et stratégiques devient une priorité absolue pour la France et l’Union européenne.
Ces substances – telles que le lithium, le graphite, l’antimoine, le tungstène – sont indispensables à la fabrication de technologies bas-carbone. Par exemple, les batteries, équipements électroniques et autres composants cruciaux pour le déploiement des énergies renouvelables.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Or, pour sécuriser au mieux la chaîne de valeur de ces matériaux, encore faut-il bien connaître le potentiel géologique du sous-sol national en amont. C’est dans ce cadre que la France a engagé, début 2024, une actualisation de son inventaire des ressources minérales. Portée par le président de la République, cette démarche a été intégrée au programme France 2030 de l’Agence nationale de la recherche (ANR) au travers de la planification écologique. La mission a été confiée au BRGM, en collaboration étroite avec les ministères compétents et les collectivités territoriales.
L’objectif est clairement défini : identifier et cartographier les zones qui favorisent, au plan géologique, la présence de substances critiques et stratégiques. Ceci en mobilisant les outils d’acquisition et d’analyse les plus avancés et innovants possibles.
Ce nouveau programme ne part pas d’une feuille blanche. Il s’appuie sur un précédent exercice similaire réalisé entre 1975 et 1995, dans un contexte déjà marqué par les tensions géopolitiques sur l’énergie et les matières premières du fait du 1er choc pétrolier.
À l’époque, l’État avait confié au BRGM la mission de dresser un état des lieux du potentiel minéral de la France hexagonale, de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie. Ce travail, focalisé sur les métaux non ferreux et d’alliage (cuivre, aluminium, plomb, zinc, étain, antimoine…), visait à repérer les zones favorables à d’éventuelles exploitations futures de ces métaux sur cette période.
En France hexagonale, près de 125 000 km2 – soit environ 20 % du territoire – ont ainsi été étudiés, principalement dans les massifs anciens (Massif central, Massif armoricain, Alpes, Pyrénées). Ce programme a donné lieu à une campagne de prospection exclusivement géochimique, avec plus de 345 000 échantillons de sédiments de ruisseau et de sols prélevés puis analysés, couvrant un total de 296 cartes géologiques au 1/50 000.
À l’issue de cet inventaire, plus d’une centaine de cibles d’intérêt avaient été identifiées dans l’Hexagone et près d’une vingtaine en Guyane. Trois ont été mises en exploitation : les Brouzils (antimoine), Lecuras et Gareillas en extension du Bourneix en Limousin (or) et Changement en Guyane (or).
Dans les décennies suivantes, quelques levés géophysiques aéroportés sont venus compléter cet ensemble de données, améliorant notre compréhension de la structure du sous-sol sur les 200 à 500 premiers mètres de profondeur.
Près d’un demi-siècle plus tard, les dynamiques géopolitiques et les besoins en métaux ont connu d’importantes évolutions. La montée en puissance des technologies vertes, la guerre en Ukraine, les tensions commerciales et la mise en œuvre du Critical Raw Material Act (CRM Act) au niveau européen imposent une révision en profondeur de notre stratégie d’exploration minérale.
Le nouvel inventaire s’inscrit dans une logique de souveraineté renforcée. Cela passe par une approche :
plus diversifiée, en élargissant la palette des substances minérales d’intérêt ;
plus approfondie, grâce à l’évolution des méthodes utilisées ;
plus innovante, notamment par l’intégration de l’intelligence artificielle ;
et enfin, plus qualitative dans l’identification des cibles finales.
Contrairement à l’approche historique, le nouvel inventaire portera sur une soixantaine d’éléments, contre seulement une vingtaine dans le précédent. Il s’agit de substances qui étaient soit absentes des analyses lors des premières campagnes de l’inventaire historiques, soit détectées avec des limites de détection bien trop élevées pour en évaluer le réel potentiel géologique et parfois économique. De nouveaux éléments, considérés aujourd’hui comme critiques et stratégiques (comme le lithium, le tantale, le césium, le gallium, le germanium, le hafnium…), seront étudiés avec grand intérêt.
L’inventaire s’ouvre également à des zones géologiques jusqu’ici peu étudiées, voire totalement inexplorées, comme certains bassins sédimentaires peu profonds situés en marge des massifs cristallins (Pyrénées et Cévennes, par exemple), qui peuvent constituer de véritables zones d’intérêt du fait même de leur rôle de réceptacle géologique.
Par ailleurs, il mobilise des méthodes à la pointe de la technologie, en particulier en géophysique et en géochimie, permettant une lecture tridimensionnelle fine du sous-sol et l’identification de cibles en profondeur. Par exemple, la géophysique aéroportée, qui repose sur des technologies d’imagerie non invasives embarquées à bord d’un avion ou suspendues sous un hélicoptère, qui permettent une acquisition rapide de données à une échelle régionale.
Dans le cadre de cette actualisation, cinq zones géographiques ont été identifiées comme prioritaires, en raison de leur fort potentiel de découverte :
l’ouest du Massif central,
la zone Morvan-Brévenne,
les Vosges,
l’Occitanie-Cévennes,
et le sillon nord de la Guyane.
Ce périmètre a été défini en prenant en compte les caractéristiques géologiques des régions ciblées, les contraintes budgétaires et les réalités opérationnelles.
Dans l’Hexagone, les zones retenues présentent soit des ressources connues, dont les contours – ou extensions possibles – restent encore mal définis, soit un potentiel de découverte avéré pour des métaux critiques et stratégiques.
Les terrains étudiés couvrent majoritairement des socles anciens, incluant à la fois des massifs magmatiques (Massif central, Vosges) et des formations sédimentaires (Pyrénées, Cévennes), afin de favoriser la diversité des cibles métalliques.
Les terrains d’affinité magmatique, comme le nord du Massif central et les Vosges, offrent des opportunités prometteuses pour le lithium. Le Morvan-Brévenne, par exemple, est reconnu pour son potentiel en fluorine, antimoine, uranium, ainsi que pour des gisements polymétalliques (notamment cuprifères) dans le Beaujolais et les monts du Lyonnais.
Les terrains sédimentaires, comme les Pyrénées orientales et la Montagne Noire, présentent un intérêt particulier pour le tungstène et le germanium. Plus au nord, les Cévennes recèlent un potentiel en gisements plomb-zinc, avec des minéralisations associées en cuivre, antimoine et étain.
En Guyane, la partie nord du territoire se compose de bassins géologiques nommés les ceintures de roches vertes. Elles renferment des roches parmi les plus anciennes de la planète, bordées par de grandes failles régionales.
Cette région est associée à une grande diversité de minéralisation, incluant l’or, le cuivre, le plomb, le zinc, le lithium, le niobium et le tantale. La nature ancienne de ces roches, conjuguée à la complexité tectonique et à la succession d’événements géologiques, confère à cette zone un potentiel exceptionnel pour la découverte de métaux critiques.
De quoi identifier les ressources minérales du sous-sol de façon plus précise et aussi peu intrusive que possible, tout en assurant une restitution de qualité à l’État. Cet inventaire, prévu sur la durée de cinq ans, vise avant tout à améliorer la connaissance du sous-sol français. Pourrait-il, à terme, inspirer de nouveaux projets liés à la valorisation des ressources ? Quoi qu’il en soit, entre l’identification d’un potentiel et une éventuelle utilisation, les délais sont longs et encadrés.
France 2030 est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Blandine Gourcerol a reçu des financements de l'ANR ou de Horizons Europe dans le cadre de projets de recherche.
14.05.2025 à 17:29
Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe
Lait de vaches nourries aux herbes et au foin, le lait de foin est un nouveau label européen au nom trompeur, mais aux nombreux bienfaits pour l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.
Quiconque s’arrête au rayon produits laitiers d’un supermarché peut constater que de nombreux idéaux et ambitions sont désormais liés à ces aliments. L’idée d’authenticité, de local, de nature, la prise en compte du bien-être animal, la santé du consommateur émergent en effet de plus en plus, dans ce domaine de l’agroalimentaire tout particulièrement. L’offre est devenue ainsi variée et parfois un peu déroutante pour le consommateur.
On peut donc trouver du lait d’origine animale diverse, lait de vache, de brebis, de chèvre. On peut aussi acheter du lait cru (qui ne sera donc pas pasteurisé) du lait entier, demi-écrémé ou écrémé selon la teneur en matière grasse, du lait AOP (appellation d’origine protégée pour le terroir) ou encore du lait de montagne qui crée un imaginaire autour de la nature. Un temps les consommateurs ont également pu acheter des laits végétaux, à base de soja, d’avoine ou de riz. Mais le terme de lait n’est désormais plus autorisé, car il a été considéré comme trop ambigu et s’est donc vu interdit par l’Union européenne en juin 2017. Ces produits sont aujourd’hui vendus comme des boissons végétales.
Depuis peu, il est également possible d’acheter du lait de foin. Mais qu’est-ce donc que ce nouveau produit ? Est-il d’ailleurs si nouveau ?
Le lait de foin, traduction littérale de Heumilch, a fait son apparition en Autriche, dès 2009, pour désigner le lait provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin. C’est aussi en Autriche qu’a été défini le cahier des charges de ce produit. On y compte aujourd’hui 8 000 producteurs et 60 laiteries et fromageries engagés dans la production de Heumlich.
La production s’élève à 480 millions de litres de lait certifiés « de foin », soit 15 % du volume du lait autrichien.
Si le lait de foin a émergé dans ce pays, ce n’est sans doute pas un hasard : la tradition d’élevage laitier y est forte, fondée sur des pratiques extensives en montagne. Depuis des siècles, les vaches y sont nourries d’herbe fraîche en été et de foin l’hiver, sans recours aux ensilages fermentés. L’ensilage fermenté est une méthode de conservation du fourrage, sans oxygène, pour provoquer une fermentation lactique. Alors que le foin est de l’herbe séchée à l’air libre, l’ensilage fermenté est stocké dans des silos, des ballots recouverts de film plastique. Cet ensilage produit au passage du méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Le cahier des charges pour le lait de foin exige, lui, une alimentation composée à 75 % d’herbe et de foin et favorise le bien-être animal avec un pâturage en plein air et une alimentation traditionnelle (herbe et légumineuses l’été et foin l’hiver). Il se veut également respectueux des besoins physiologiques des vaches sans ensilage pouvant provoquer un inconfort métabolique et physiologique, mais avec un accès régulier à l’extérieur permettant une adaptation naturelle aux températures et une liberté d’action qui réduit le stress chez les animaux. Le lait de foin s’inscrit également dans une démarche durable répondant ainsi aux attentes des consommateurs soucieux de l’environnement, car ce mode d’élevage contribue à la biodiversité, en valorisant les pâturages et les prairies permanentes, et émet moins d’émissions de gaz à effet de serre de l’industrie laitière industrielle.
Ce lait de vache a obtenu en 2016 le label européen de spécialité traditionnelle garantie (STG), en reconnaissance de son mode de production. En 2018, cette certification a été étendue aux laits de chèvre et de brebis. Une association regroupant divers agriculteurs a, dans la foulée, vu le jour pour défendre le lait de foin en France et y faire appliquer la « spécialité traditionnelle garantie lait de foin ».
Il s’agit de la deuxième STG officialisée en France après les fruits de mer moules de Bouchot qui bénéficie de ce même label depuis 2013. Cette première STG française n’impliquait cependant pas une provenance, mais plutôt des qualités (composition, fabrication ou transformation) fondées sur la tradition sont nécessaires.
Concernant le lait de foin, des initiatives ont été prises en France pour développer ces filières comme en Lorraine (2019), ou encore en Bretagne (éleveurs membres de Segrafo, l’association de promotion du séchage en grange), où elles côtoient notamment le bio, car ces techniques sont complémentaires.
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Mais en quoi l’alimentation des vaches peut-elle être déterminante pour la fabrication du lait ?
Il faut ici savoir que dans la majeure partie des élevages intensifs, les vaches reçoivent une alimentation souvent concentrée pour maximiser la production laitière. Elles sont ainsi nourries avec une combinaison de fourrages fermentés (herbe, maïs), de concentrés (grains et céréales : maïs, blé, orge ou soja), de suppléments nutritionnels (compléments minéraux et vitaminiques), voire de fourrage sec en faible quantité, le pâturage à l’air libre restant limité.
Or, l’alimentation animale est essentielle, car elle influe sur la qualité, le goût du lait et sur les fromages qui en découlent. La richesse botanique des prairies permanentes utilisées pour le pâturage des vaches contribue à des profils aromatiques distincts. Des études scientifiques sur le lait de chèvre aboutissent aux mêmes conclusions.
De même, la biodiversité du paysage, le développement durable sont préservés lorsque les vaches se nourrissent d’herbes fraîches ou de foin tout en améliorant le bilan carbone de la filière.
Une étude a également souligné les aptitudes à la transformation fromagère des laits de foin biologiques. Les résultats indiquent que l’absence d’aliments fermentés dans l’alimentation des animaux favorise une meilleure qualité du lait pour la production de fromages de haute qualité et une transformation fromagère plus facile.
De plus, le lait issu de vaches nourries à l’herbe et au foin, est bon pour la santé des consommateurs, car le rapport en acides gras Oméga 6 et Oméga 3 serait bien meilleur que le lait standard selon l’Institut de l’élevage.
Si les bienfaits de ce type de lait ne sont donc plus à démontrer, on peut en revanche s’interroger sur la dénomination Heumilch, ou lait de foin, en revenant aux origines.
L’appellation Heumilch n’est de fait pas descriptive comme l’aurait été, par exemple, « lait issu d’herbe et de foin » qui rend compte de la réalité de ce que les vaches ingèrent. La terminologie qui a été choisie est, elle, plus courte et fait l’impasse sur l’herbe fraîche.
Ce terme simple a semblé suffisamment évocateur en Autriche pour se différencier du « lait standard » (Standardmilch) ou conventionnel (Konventionelle Milch), souvent produit avec des fourrages fermentés et des aliments industriels. Heumilch correspond à une construction syntaxique identique pour un lait ayant une identité forte et différenciée, en lien avec une agriculture respectueuse et traditionnelle.
L’utilisation de Heumilch est ici métonymique, puisque Heu (foin) représente l’ensemble du mode d’alimentation : il est l’élément distinctif par rapport aux autres systèmes d’élevage. Il s’est donc imposé et, en France, la STG l’a inscrit comme référence officielle. Le lait de foin est ainsi promu comme produit naturel et durable répondant aux attentes des consommateurs modernes.
Mais si ce terme est compréhensible pour les consommateurs autrichiens, il reste encore flou pour les Français.
Lait de foin renferme de fait une particularité sémantique : comme jus de pomme ou huile d’olive, on pourrait comprendre qu’il désigne un lait fait à partir de foin. Cependant, ce lait provient de la vache et non directement du foin. L’appellation qualitative lait de foin fonctionne donc en fait plutôt comme celles de vin de garde (que l’on peut « garder » à la cave) ou pain de campagne, qui est produit comme on en avait l’habitude à la campagne.
L’appellation s’inscrit donc dans une logique proche des labels alimentaires valorisant un mode de production tel que « beurre de baratte » (mode de fabrication), « œufs de plein air » (condition d’élevage) ou « fromage fermier » (origine artisanale). Le nom du produit est associé à un complément jouant un rôle distinctif et valorisant. La différenciation donne une dimension rustique, naturelle et rend la promesse plus tangible pour le consommateur qui visualise le pré ou le foin.
Mais le consommateur peu familier de cette appellation pourrait associer spontanément « lait de foin » à une boisson végétale comme le lait de soja, d’amande ou encore d’avoine, même si ces dernières appellations étaient désormais illégales en Europe.
Le lait de foin, en revanche, ne contrevient pas à la réglementation, puisqu’il s’agit bien d’un lait animal.
Si une confusion est possible sur le plan linguistique et dans l’esprit des consommateurs, elle sera donc peut-être évitée à terme puisque les laits végétaux sont désormais des expressions inappropriées. Les acteurs du secteur mettent souvent en avant des arguments comme la tradition, le goût authentique et les pratiques d’élevage respectueuses pour rendre le concept plus lisible, à l’instar des poulets fermiers élevés en plein air. Un contexte bien cadré (étiquetage, visuels et communication) permettra d’évacuer totalement la méprise.
Utilisable sur tout le territoire français, pour l’ensemble des produits laitiers dans le respect du cahier des charges européen, la STG lait de foin a de beaux jours à vivre en France, car elle n’en n’est qu’à ses débuts.
Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.