LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 25 dernières parutions

24.03.2025 à 12:40

Faith in Nature, House of Hackney : comment ces entreprises britanniques pionnières ont-elles intégré la nature dans leur gouvernance ?

Xavier Lecocq, Professeur de management stratégique, Université de Lille

Benoît Demil, Professeur de management stratégique, Université de Lille - I-site

Vanessa Warnier, Professeure des universités, Université de Lille

Des entreprises pionnières britanniques ont choisi de ne pas considérer la nature comme un adversaire. Mieux, elles l’ont intégrée dans leur gouvernance.
Texte intégral (1678 mots)

Deux entreprises britanniques pionnières ont choisi de ne pas considérer la nature comme un adversaire. Mieux : Faith in Nature, dans le secteur cosmétique, et House of Hackney, dans celui de la décoration d’intérieur, l’ont intégrée dans leur gouvernance. Et, demain, faudra-t-il compter sur l’IA pour représenter la nature ?


Pour renforcer leur responsabilité sociétale et environnementale (RSE), certaines entreprises cherchent à aller au-delà de la soutenabilité de leurs produits et de leurs opérations. L’intégration de la nature dans les dispositifs de gouvernance est la suite logique du mouvement…

Quelques entreprises commencent à jeter les bases de cette innovation juridique. Bien sûr, elles seront certainement suivies par d’autres. Comme ce fut parfois le cas pour vanter les mérites de leurs produits ou services écologiques, certaines entreprises intégreront la nature dans leur gouvernance pour de simples raisons de communication — un « GreenGovWashing » en somme. Ces organisations incluront le vivant dans des instances sans action substantielle ou rôle effectif.

Il est donc primordial de revenir aux cas d’entreprises pionnières pour se nourrir de leur courte, mais intéressante expérience.

Étude de cas de deux entreprises anglaises : Faith in Nature, spécialisée dans les cosmétiques et House of Hackney, dans les décorations murales d’intérieur.

Faith in Nature, des gardiens de la nature

Cette PME anglaise est la première entreprise à donner un siège à la nature dans son conseil d’administration, en faisant évoluer ses statuts en 2022. L’aventure « Nature On The Board » a commencé avec l’aide de deux organisations non lucratives, défenseurs des droits de la nature, Earth Law Centre et Lawyers for Nature, épaulées par le cabinet d’avocats américain Shearman & Sterling.

Avec cette innovation, la nature est légalement représentée au conseil d’administration par deux personnes non salariées de l’entreprise. Présentes pour un mandat de deux ans, elles sont choisies pour leur expertise.

Ces « gardiens de la nature » sont en charge de faire respecter ses droits ; ils doivent assurer aux espèces et aux écosystèmes leurs droits inhérents à exister, à être préservés et à se régénérer. Ces représentants participent aux réunions trimestrielles du conseil et aux réunions impliquant des sujets liés à la nature. Comme les autres administrateurs, ils disposent d’un droit de vote, mais aussi d’autres droits comme l’accès aux informations sur l’entreprise ou encore la possibilité de mettre des questions à l’ordre du jour du conseil. Ils disposent également d’un budget pour développer certains projets.

Comme dans tout conseil, l’influence de la nature passe avant tout par les discussions entre administrateurs. Sa seule présence modifie les comportements et la teneur des discussions. Son influence passe également par des votes formels. Lors de deux votes importants en 2023 sur la question des emballages plastique et de l’utilisation de l’huile de palme, la nature a eu son mot à dire. Elle a remporté un vote pour des pratiques plus éco-responsables. L’entreprise est passée dès 2024 à des emballages en aluminium largement plus faciles à recycler que les plastiques. Certains ingrédients naturels ont également été introduits dans la composition des cosmétiques afin de régénérer les écosystèmes.

House of Hackney, un compte de résultat pour la nature

House of Hackney intègre la nature dans son conseil d’administration en 2023. La PME nomme un « directeur de la mère Nature et des générations futures ». Là encore, le représentant de la nature assiste aux réunions du conseil et a toute latitude pour engager des discussions avec des membres de l’entreprise. Au-delà d’un représentant au conseil, l’entreprise fait évoluer ses outils de suivi stratégique. En 2024, House of Hackney met en place un compte de résultat pour la nature. Ce dernier identifie ses « coûts réels » en ajoutant les coûts environnementaux et sociaux de son activité.

House of Hackney a analysé ses deux produits phares – les papiers peints et les velours – selon les méthodes de True Price, en y incorporant leurs coûts sociaux et environnementaux. Quel (juste) prix payer au fournisseur ? L’entreprise britannique s’est rendu compte que le prix au mètre carré de ses velours devrait être augmenté de 3,58 $ – du fait de la culture du coton – et de 0,25 $ pour les papiers peints.

Conclusion : elle devrait dépenser 3 % à 5 % de son chiffre d’affaires pour réduire ou compenser son impact environnemental et social, alors qu’elle n’en dépense que 1 % aujourd’hui. Son objectif est désormais d’entamer des actions pour ramener ces coûts d'impact à zéro voire à les rendre négatifs, ce qui serait le signe d’une activité régénérative.


À lire aussi : Patagonia, Norsys : qui est légitime pour parler au nom de la nature dans les entreprises ?


Pour accompagner cette transformation, House of Hackney a lancé en 2025 un emprunt sur une plateforme de crowdfunding afin de racheter les parts des fonds d’investissement présents à son capital. Si elle atteint les deux millions de livres qu’elle vise, la marque reprendra le contrôle de son capital pour développer et approfondir son engagement en faveur de ses nouvelles pratiques.

La nature en allié des autres administrateurs

Faith in Nature et House of Hackney ont ouvert la voie à la mise en place d’une représentation officielle de la nature dans leur gouvernance. Mais elles ont aussi réussi à aller au-delà, en lui donnant un rôle effectif, en la sollicitant, en lui confiant des moyens, ou encore en mettant en place une comptabilité qui adopte le point de vue du vivant. De tels développements ont été possibles grâce aux représentants de la nature et aux autres membres de l’instance de gouvernance.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


La légitimité, la compétence et la présence du ou des porte-paroles de la nature sont centrales. Ils doivent avoir des compétences sur trois domaines : une compréhension de ce qu’est la gouvernance d’une organisation, un dialogue avec les autres membres de l’instance et une connaissance de la nature ou des entités naturelles qu’ils représentent.

La qualité de l’écoute et la considération de la nature par les autres membres de l’instance sont également des facteurs importants. On ne peut espérer que celles et ceux qui prennent la parole au nom de la nature le fassent « contre » le reste des membres de l’instance, qui eux seraient dès lors assignés au point de vue anthropocentré. L’effet serait délétère et contre-productif au projet d’intégrer la nature dans la gouvernance.

À l’instar de ce qui se passe avec les représentants salariés dans les conseils d’administration, les porte-paroles de la nature pourraient devenir une partie constituante de l’organisation et non un adversaire à la performance ou une incongruité de la vie des entreprises au XXIe siècle.

Un porte-parole humain ou une IA ?

N’oublions pas que le but de l’intégration de la nature dans la gouvernance des entreprises est de progresser vers une perspective moins anthropocentrée. Une IA générative, même si elle est évidemment façonnée par l’être humain, peut assister l’instance de gouvernance. Lorsqu’on demande à des IA génératives de jouer ce rôle, elles mentionnent leur capacité à être « avocat de la nature » et à évaluer les impacts environnementaux de certaines décisions. Bien sûr, l’IA ne prendra la parole que si on l’incite à le faire, et ceci peut être un problème.

Les entreprises comme Faith in Nature ou House of Hackney qui se sont lancées dans l’intégration de la nature dans la gouvernance mentionnent avec clarté qu’elles tâtonnent encore. Il est probable que les configurations observées continuent d’évoluer au cours des prochaines années. La gouvernance des organisations tenant autant à des choix volontaires qu’à des dispositifs de régulation, l’évolution du droit jouera également un rôle prépondérant.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

24.03.2025 à 12:40

Patagonia, Norsys : qui est légitime pour parler au nom de la nature dans les entreprises ?

David Montens, Professeur de stratégie et de développement durable, IÉSEG School of Management

De plus en plus de voix souhaitent attribuer un siège à la nature dans leurs instances de gouvernance. Mais à qui doit-on la confier ? Et a-t-elle besoin d’un porte-parole ?
Texte intégral (2378 mots)
Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia, est l’un des premiers à inviter la nature dans la gouvernance de son entreprise. CampbellBrewer/Patagonia, CC BY-SA

De plus en plus de voix souhaitent attribuer un siège à la nature dans leurs instances de gouvernance. Mais à qui doit-on la confier ? Et a-t-elle besoin d’un porte-parole ? Exemples de l’entreprise française de services numériques Norsys, pionnière en la matière, et de Patagonia, fabricant de matériels et vêtements de sport, dont le fondateur a cédé les parts en 2022 à « Mère Nature ».


Novembre 2024, l’entreprise de services numériques Norsys choisit d’attribuer un siège à la nature au sein de son conseil d’administration. Inspirées du mouvement des droits de la nature et de l’écologie profonde, ces initiatives visent à reconnaître la nature comme une actrice à part entière, influençant les décisions stratégiques.

« Cette innovation permettra à la nature de siéger au conseil d’administration de l’entreprise. Concrètement, le représentant de la nature y disposera d’un droit de vote et sera consulté sur tout projet stratégique susceptible d’avoir un impact environnemental »,

souligne Thomas Breuzard, directeur de Norsys, entreprise forte de 600 salariés.

Mais cette évolution soulève une question cruciale : qui est légitime pour parler au nom de la nature ? Doit-on confier cette responsabilité aux scientifiques ? aux ONG ? aux communautés autochtones ? à des entités juridiques autonomes ?

Plus encore, la nature a-t-elle réellement besoin d’un porte-parole, ou peut-elle « s’exprimer » par les crises environnementales que nous observons aujourd’hui ?

Une partie prenante comme une autre ?

L’approche des parties prenantes est historiquement anthropocentrée. Elle exclut la nature comme actrice à part entière. Alors pourquoi reconnaître la nature comme une partie prenante ?

La nature exerce un pouvoir coercitif et utilitaire sur les entreprises, notamment par les impacts du changement climatique et des catastrophes naturelles. Elle impose des contraintes physiques et écologiques, influençant directement la durabilité des modèles économiques. Avec la directive européenne CSRD (pour Corporate Sustainability Reporting Directive), les grandes entreprises sont obligées d’évaluer leur matérialité financière – comment les enjeux environnementaux influencent leur performance financière – et leur matérialité d’impact – comment l’entreprise affecte l’environnement. Un changement de paradigme incluant la nature au cœur de leur stratégie.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


Si la nature est une partie prenante, alors la question devient : qui peut la représenter et influencer les décisions en son nom ? Qui peut légitimement parler au nom de la nature ?

Ventriloquisation

La gouvernance d’une organisation ne se résume pas uniquement à des règles écrites, comme un organigramme ou un conseil d’administration. Elle est transformée en permanence par la façon dont les gens communiquent au sein de l’organisation. Lorsqu’un conseil d’administration donne un siège à un représentant de la nature, il engage un travail de ventriloquisation ; il prête une voix à une entité muette.

Qui parle au nom de la nature, et comment ?

  • Les scientifiques offrent une approche rationnelle et mesurable, mais peuvent manquer de vision locale et sociale.

  • Les organisations non gouvernementales (ONG) disposent d’une légitimité environnementale, mais sont parfois critiquées pour leur dépendance aux financements privés.

  • Les communautés autochtones possèdent un savoir écologique ancestral, mais leur inclusion reste souvent marginale.

La nature représentée par un expert externe

Le 13 mars dernier dans l’entreprise Norsys a eu lieu le tout premier conseil d’administration où siégeait la nature. Elle est représentée par Frantz Gault, sociologue des organisations et auteur de La Nature au travail.

« Concrètement, le siège sera occupé par Frantz Gault. Il disposera d’un droit de vote et d’un droit de veto et sera consulté en amont sur tout projet stratégique susceptible d’avoir un impact environnemental »,

explique Sylvain Breuzard, PDG de Norsys et surtout ancien dirigeant de Greenpeace France.

Le sociologue Frantz Gault représente la nature au sein de l’entreprise Norsys. » Université de la Terre, Fourni par l'auteur

« C’est important que ce soit une personne extérieure à l’entreprise et donc indépendante qui soit nommée et apporte ses connaissances »,

indique Marine Yzquierdo, avocate et membre de l’ONG Notre Affaire à Tous.

Et la nature a son mot à dire sur des décisions stratégiques comme les acquisitions externes ou les nouveaux clients. Après Frantz Gault, elle sera représentée au sein de toutes les instances de l’entreprise : le conseil éthique, le comité de mission, le comité social et économique. Ces représentants seront réunis au sein d’un Haut Conseil pour la Nature, qui jouera un rôle de coordination au sein du groupe.

Patagonia, une entreprise détenue par la nature

L’intégration de la nature dans la gouvernance ne transforme pas seulement les décisions, elle change l’identité même des entreprises. Une organisation se définit par la manière dont elle répond à la question « qui sommes-nous ? » Quand la nature devient une partie prenante, cela entraîne plusieurs effets : une révision des valeurs, un impact sur la culture interne et un repositionnement stratégique vis-à-vis de l’externe.

L’exemple de Patagonia illustre bien ce phénomène. En septembre 2022, son fondateur Yvon Chouinard a annoncé que l’entreprise serait désormais détenue par un fonds (actionnaire) destiné à la protection de la planète. « La Terre est maintenant notre seule actionnaire », écrit-il dans une lettre ouverte. Ce choix stratégique ne se limite pas à un engagement environnemental de façade. Il inscrit la nature comme une partie prenante directe, influençant les décisions financières et opérationnelles de l’entreprise.


À lire aussi : Où donner une place à la nature dans les entreprises ?


La totalité des parts de la société Patagonia passe aux mains de deux nouvelles entités. Il s’agit du Purpose Trust détenant 2 % de la compagnie et l’intégralité des actions avec droit de vote ; elle sera guidée par la famille Chouinard qui élira le conseil d’administration.

Quant à Holdfast Collective, cette association dont le but est de combattre la crise environnementale et de protéger la nature, elle détient 98 % de la société ainsi que l’intégralité des actions sans droit de vote. En outre, chaque dollar non réinvesti dans Patagonia sera distribué sous forme de dividendes pour protéger la planète.

Plusieurs voix de la nature

Il ne suffit pas d’inclure de nouveaux acteurs. Il faut les mobiliser et leur donner un pouvoir réel pour challenger les logiques dominantes et instaurer un changement de fond, selon l’approche de la stratégie ouverte. Appliquée à la nature en entreprise, cette approche permet d’aller au-delà d’une représentation figée. Il ne s’agit pas simplement de désigner un porte-parole unique qui incarnerait une vérité absolue sur les intérêts de la nature, mais plutôt de créer un écosystème de voix légitimes. Elles apportent idées, insights et inputs nécessaires à la prise de décision.

L’enjeu central : comment les représentants de la nature peuvent-ils s’appuyer sur une diversité de voix pour jouer pleinement leur rôle ? Un scientifique apportera des données sur l’état des écosystèmes, une ONG pourra traduire les enjeux environnementaux en stratégies concrètes, tandis qu’une communauté locale affectée par une crise écologique partagera une compréhension plus ancrée et immédiate de la situation.

C’est ce que propose Corporate Regeneration en accompagnant actuellement six entreprises wallonnes et bruxelloises en instaurant des conseils régénératifs. Il s’agit la plupart du temps d’une dizaine de personnes : une moitié interne à l’entreprise, souvent en charge de la durabilité, et l’autre externe – sélectionnée pour leur expertise en environnement.

Un point clé : La voix de la nature varie selon celui qui l’incarne. Peut-être que la vraie question n’est pas « qui parle pour la nature ? », mais « qui doit parler pour elle à l’instant-T ? » Cela signifie que la représentation de la nature doit être adaptée au contexte et aux objectifs poursuivis.

Qui peut parler pour la nature ?

L’idée d’accorder un siège à la nature dans les conseils d’administration n’est plus une utopie. Des modèles émergents, intégrant la nature comme une partie prenante stratégique et un acteur organisationnel. Trois pistes pour structurer cette représentation :

  • Institutionnaliser la représentation de la nature, en s’inspirant des droits de la nature. Des droits ont été donnés à certains écosystèmes comme à la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande, ou encore à l’Amazonie en Équateur en leur conférant le statut de personnalité juridique.

  • Développer des pratiques de gouvernance hybrides, combinant approches scientifiques, juridiques et écologiques en évitant le monopole d’un seul type de voix en passant par une approche de stratégie ouverte.

  • Favoriser une transformation culturelle, en ancrant ces changements dans l’identité des entreprises.

Pour transformer la manière dont les entreprises interagissent avec la nature, il faut adopter une diversité de pensées et d’expertises. Selon le profil des gardiens en poste – juristes, scientifiques, artistes – l’approche de « Nature » peut évoluer, rendant ce modèle vivant, adaptatif et inclusif. Cette dynamique vise à instaurer une véritable cohabitation entre le monde naturel et le monde des affaires. Mais sommes-nous prêts à redéfinir notre rapport au monde vivant dans les décisions économiques ? La question n’est plus « Faut-il parler au nom de la nature ? », mais « Comment lui donner une voix légitime et efficace ? »

The Conversation

David Montens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

24.03.2025 à 12:39

Où donner une place à la nature dans les entreprises ?

Xavier Lecocq, Professeur de management stratégique, Université de Lille

Benoît Demil, Professeur de management stratégique, Université de Lille - I-site

Vanessa Warnier, Professeure des universités, Université de Lille

Dans son comité de mission, dans son conseil régénératif, en local, au siège, dans son conseil d’administration… La nature a l’embarras du choix pour prendre place dans l’entreprise.
Texte intégral (1810 mots)
Vue du massif Mont-Blanc depuis la ville de Chamonix. Les Alpes, bientôt une personnalité morale d’une entreprise française ? AndrewMayovskyy/Shutterstock

Dans son comité de mission, dans son conseil régénératif ou dans son conseil d’administration, en local ou au siège… La nature a l’embarras du choix pour prendre place dans l’entreprise.


Les évolutions sociétales et les droits de la nature, apparus au Royaume-Uni ou aux États-Unis, lui ont donné une voix. La question concerne désormais la manière d’intégrer au mieux ses porte-paroles dans la vie de l’entreprise.

Les droits de la nature sont aussi appelés parfois droits de la Terre. Ils associent des dispositifs juridiques, issus de la philosophie et du droit des pays occidentaux, dans une perspective biocentrique, et non plus anthropocentrique. Ils supposent de considérer la nature, ou un élément de celle-ci (une mer, une forêt, etc.), comme une personne disposant de droits propres susceptibles d’être défendus.

Dès 2002, le philosophe Thomas Berry mentionnait trois droits fondamentaux du vivant : exister, disposer d’un habitat et jouer son rôle dans ce qu’il appelait « la communauté de la Terre ». Depuis une quinzaine d’années, différentes lois et jurisprudences ont complété les droits de la nature. Progressivement, elle est devenue une partie constituante participant à la gouvernance des projets et des entreprises.

Alors quelles solutions pour les organisations qui souhaitent avancer sur ces pratiques ?

Inscription dans la raison d’être

La nature peut être être intégrée dans la raison d’être ou la mission de l’entreprise. A minima, la loi Pacte, de 2019, a modifié l’article 1833 du Code civil pour qu’une entreprise soit « gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Par exemple, le groupe Rocher a décidé de la mentionner explicitement :

« Convaincue, grâce à l’expérience personnelle de monsieur Yves Rocher, que la nature a un impact positif sur le bien-être des personnes et donc sur leur envie d’agir pour la planète, la société a pour mission de reconnecter ses communautés à la nature. La raison d’être s’incarne dans des expériences, des services et des produits qui procurent du bien-être, grâce aux bienfaits de la .ature. »


À lire aussi : Patagonia, Norsys : qui est légitime pour parler au nom de la nature dans les entreprises ?


Qu’il s’agisse d’œuvrer pour les entités naturelles, ou de la mentionner dans les valeurs, l’inscription de la nature dans la mission d’une entreprise peut donner lieu à des innovations en matière de gouvernance. Par exemple : intégrer des critères RSE dans la rémunération des dirigeants. Yvon Chouinard a, quant à lui, confié son entreprise Patagonia et les profits qu’elle réalise à une fondation chargée de protéger la nature. Sa raison d’être à proprement parler.

Conseil de régénération ou conseil d’administration

Il faut distinguer les cas où nature peut contribuer aux décisions stratégiques en siégeant dans une instance consultative, ou dans une instance décisionnaire. Plusieurs entreprises belges ont créé des conseils de régénération « conseils de régénération ». Il s’agit d’instances composées d’une dizaine de personnes issues de l’entreprise et de l’extérieur. Elles interagissent avec le conseil d’administration, mais s’en distinguent en étant consultatives.

Parmi ces entreprises, Realco et ses produits de nettoyage, Maison Dandoy et ses biscuits, NGroup et ses radios – dont Nostalgie et NRJ –, Danone Belux, les pains et pâtisseries du groupe Copains et les bières de la brasserie Dupont. La Maison Dandoy a ainsi revu totalement son approvisionnement en farine et sa relation avec les activités agricoles. Sa farine est issue à 100 % de l’agriculture régénérative.

Devanture de la Maison Dandoy, une biscuiterie belge ayant recours à un conseil de régénération. DR/Shutterstock

L’intégration de la nature dans la vie de l’entreprise de la manière la plus ancrée et, potentiellement la plus efficace, consiste à lui donner un siège dans le conseil d’administration. En France, l’entreprise informatique Norsys fait figure de pionnière. Elle a fait entrer la nature dans son conseil d’administration, mais également dans plusieurs organes internes comme le conseil éthique, le comité de mission et le comité social et économique.

Comités consultatifs et comités de pilotage

La nature peut être invitée autour de la table à l’échelle d’un projet et pas uniquement au sein des organes de gouvernance des organisations… notamment au siège. Il s’agit de représenter la nature de manière ad hoc dans des projets concrets et spécifiques : implantation d’une nouvelle usine, lancement d’une gamme de produits ou mise en place d’une nouvelle politique d’achat et de sourcing.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


Cette approche a été déployée au sein du groupe de travail de l’AFNOR « économie regénérative ». L’objectif : définir l’économie régénérative en permettant aux membres du groupe de prendre la parole au nom du vivant, lors des différentes sessions. Dans une telle approche, nul besoin de recourir à des montages juridiques complexes. La voix de la nature n’est pas sanctuarisée, contrairement aux cas où la nature est déjà intégrée dans les organes de gouvernance.

Quel que soit le niveau retenu pour intégrer la nature – dans la raison d’être, dans les instances de gouvernance ou dans des comités de projets ad hoc –, il convient de s’interroger sur la place effective de la nature dans les dispositifs tels qu’ils sont mis en œuvre.

Temps long et plusieurs lieux

La matérialité de la nature, c’est-à-dire sa présence physique effective, lors des discussions qui lui sont liées, joue un rôle important. Comme l’ont montré Bansal et Knox-Hayes pour le cas des émissions carbone, les processus de décision dans les organisations tendent à comprimer le temps et l’espace. Ils réduisent la prise de conscience quant à la réalité de la nature. Les décideurs ont tendance à sous-estimer l’impact environnemental des décisions de l’organisation sur le temps long et les effets de ces décisions en termes d’échelle lorsqu’il s’agit de l’impact sur la nature.

La décision d’installation d’un nouveau site de production ne se déroule pas de la même manière dans un immeuble vitré de la Défense ou sur le site lui-même – avec ses collines, son cours d’eau, ses élevages et ses habitants. Pour intégrer la nature dans la gouvernance, il faut donc accepter de délocaliser parfois les comités sur les sites naturels ou tout au moins de faire entrer la nature dans ces comités. Les promenades en forêt, les discussions dans un parc donnent une matérialité à cette nature.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

20.03.2025 à 16:53

La renaissance de la forêt de Chantilly après une situation de crise

Laurent Saint-André, Chercheur, Inrae

Daisy Copeaux, Directrice du domaine forestier et immobilier du Château de Chantilly, Institut de France

Hervé Le Bouler, Conseiller auprès de la directrice du Domaine Forestier de Chantilly, Institut de France

La forêt de Chantilly, entre l’Oise et le Val d’Oise, est une figure emblématique de l’Île-de-France. Elle a été l’enjeu de multiples défis forestiers, au cours de son histoire, y compris récente.
Texte intégral (3074 mots)

La forêt de Chantilly, entre l’Oise et le Val d’Oise, est une figure emblématique de l’Île-de-France. Elle a été l’enjeu de multiples défis forestiers, au cours de son histoire, y compris récente. Au tournant des années 2000, la forêt a connu une crise majeure.


À trente minutes de Paris, à cheval sur l’Oise et le Val-d’Oise, la forêt du Château de Chantilly figure sur le podium des grandes forêts d’Île-de-France avec Fontainebleau et Rambouillet. Il y a 130 ans, son dernier propriétaire, le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, en fit don à l’Institut de France, charge à celui-ci de la conserver « à la France ».

La forêt du château de Chantilly est une forêt ancienne, qui s’étend sur 6 300 hectares. Les archives conservées au château remontent à plus de 500 ans. L’archéologie nous apprend qu’elle a été défrichée à la période gallo-romaine pour se reconstituer pendant le haut Moyen Âge, il y a 1 500 ans. C’est une forêt mélangée de chênes, de hêtres, et de tilleuls.

Plusieurs sites de ce patrimoine historique et naturel, géré par l’Office national des forêts (ONF) et la Direction forestière du château, appartiennent au réseau Natura 2000. Elle a aussi été le lieu de multiples défis pour la gestion forestière au cours des époques, pour aboutir à une situation critique au tournant des années 2000.

Des usages multiples au cours de l’Histoire

La forêt qui entoure le château fut forêt princière, de prestige et de loisir de chasse, mais aussi outil économique majeur pour la production de bois.

Pendant au moins trois siècles jusqu’en 1950, elle a été conduite selon la méthode du taillis sous futaie : le méthode TSF. Elle aboutit à un peuplement forestier composé de plusieurs étages.

  • À l’étage inférieur, des feuillus étaient coupés tous les vingt à trente ans et donnaient du bois de chauffage.

  • Le tilleul, quant à lui, a été favorisé pour son intérêt pour le grand gibier.

  • Au-dessus, les réserves, une trentaine de grands arbres par hectare dans l’idéal, étaient conservées sur plus d’un siècle pour produire le bois d’œuvre.

Après 1960, le bois des taillis ne trouvait plus de marché. Non exploités, et de faible valeur marchande, ils concurrençaient, en hauteur, les grands arbres. La décision fut donc prise de transformer le TSF en une futaie de chênes et de hêtre, où chaque étage est composé d’arbres du même âge. Elle a donné les grandes futaies de Colbert.

Exemple de futaie régulière équienne monospécifique : les arbres sont tous de la même essence et ont tous le même âge. I Doronenko, CC BY-SA

Cette technique, connue depuis 1830, consiste à supprimer le taillis, faire produire des semis aux grands arbres, puis les couper en une seule fois, en coupe définitive une fois la régénération naturelle acquise afin de repartir sur une nouvelle génération d’arbres issus de graines et tous du même âge : c’est la futaie régulière équienne. Ce dont on parle ici est un mode de gestion séculaire, étranger au débat actuel sur les coupes rases de résineux exotiques ou celles pour produire du bois énergie.

Cette conversion prend toutefois du temps : un siècle pour Chantilly, car il ne faut pas convertir et couper toute la forêt en une fois, pour assurer des revenus financiers futurs régulier.

Mais à partir de 1975, il est apparu, au vu des conditions locales de sol et de climat, que le chêne pédonculé – l’espèce dominante du TSF – et le hêtre n’étaient plus adaptés pour créer la nouvelle futaie. La conversion s’est alors orientée vers la plantation de chênes sessiles, accompagnés en complément minoritaire d’autres essences feuillues locales : merisiers, charmes, érables, châtaigniers, frênes…


À lire aussi : Changement climatique : les forêts ont-elles besoin de nous pour s’adapter ?


Une forêt en crise

Jusqu’en 2000, la méthode a fonctionné. Par la suite, la réussite des plantations est devenue de plus en plus difficile avec des problèmes de pullulation de hannetons, dont les larves mangent les racines des plants, tandis que les grands arbres se mettaient de leur côté à dépérir de plus en plus. Seul un millier d’hectares avaient pu être converti avec succès. Il restait encore au moins 5 000 hectares sans avenir.

Sur ces 5 000 hectares, la forêt du château de Chantilly était entrée dans une grave crise de survie. Les cimes contiguës des arbres constituaient un dôme uniforme avec les tilleuls et les chênes, dont la résultante était un sol ombragé sur lequel la végétation poussait avec grande difficulté.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Face à cette situation dramatique qui s’aggravait année après année, le propriétaire a décidé en 2018 de prendre des mesures à la hauteur des enjeux, conscient de la nécessité absolue de faire évoluer ses techniques de gestion pour s’adapter au nouveau contexte. Ce faisant, il accompagnait un mouvement émergent dans tout le monde forestier, forêt publique comme forêt privée, confronté ailleurs en France aux mêmes problèmes, avec plus ou moins d’intensité et sur d’autres essences que le chêne pédonculé.

Sauver la forêt de Chantilly

C’est ainsi qu’est né le mouvement « Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly ». Il a rassemblé, autour du propriétaire, une communauté d’acteurs réunis pour faire en sorte qu’à l’horizon de 2050, la forêt du Château de Chantilly conserve l’essentiel de ses fonctions écologiques, économiques et sociales actuelles.

La forêt du château de Chantilly fait partie des forêts bénéficiant d’une gestion planifiée sur le long terme et documentée depuis plusieurs siècles. La description de son environnement et les inventaires statistiques de quantité et de qualité des arbres, effectués tous les quinze à vingt ans, permettaient jusqu’alors d’avoir une vision « tendancielle » de l’état de la forêt qui évoluait peu avec le temps et de manière assez prévisible.

L’inventaire ordinaire de 2017 a mis en évidence une évolution rapide de la dégradation des arbres, inattendue et inexplicable selon les modèles classiques de comportement et l’état des connaissances sur le sol. En 2017, le seul élément de connaissance solide concernait l’évolution du climat depuis trente ans, avec de plus en plus de conditions estivales chaudes et sèches, très rares localement auparavant, plaçant les arbres dans un contexte limite vis-à-vis de leur tolérance à la sécheresse.

Il n’était, cependant, pas possible d’expliquer un tel dépérissement par ces seules observations météorologiques.

Comprendre le dépérissement des arbres

La nécessité de mieux comprendre ce phénomène de dépérissement s’est imposée comme préalable indispensable à tout projet permettant d’assurer un avenir robuste à la forestier. La première démarche a ainsi consisté à poser un diagnostic solide et partagé sur l’état réel de dépérissement, sa dynamique et ses causes.

De 2018 à 2024, un programme scientifique a été mis en place à cet effet. Cette phase d’analyse, classique de situation de crise, a mobilisé de nombreuses ressources d’expertise technique et scientifique couvrant les diverses hypothèses des causes de dépérissement : physiologique, génétique, biogéochimique, microbienne…

Cette phase a aussi permis de construire des cartes à destination du gestionnaire et du propriétaire pour zoner les actions à réaliser. Une carte de description des sols à haute définition (résolution de 70 m, avec 13 000 points de prélèvement de sols sur l’ensemble de la forêt) a ainsi été construite, ainsi qu’une méthode robuste d’inventaire automatique, complétée de trois campagnes par LiDAR, permettant de recenser tous les arbres présents avec leur hauteur et leur diamètre.

Au final, il s’avère que les types de sol les plus pénalisants pour la production forestière sont ceux où le calcaire est très proche de la surface du sol, et où les faibles réserves en eau de ces sols se cumulent avec la toxicité chimique. Le calcaire actif est ainsi néfaste à certaines essences d’arbre, comme le pin sylvestre.

La méthode de conversion en futaie par coupe rase suivie d’une plantation sur sol mis à nu après broyage complet de la végétation sur plusieurs hectares a été abandonnée.

Ce choix est la conséquence de plusieurs analyses issues du diagnostic :

  • Les sols sableux sont sensibles à l’ensoleillement direct et placent les jeunes plants en situation de stress avec des températures au sol pouvant dépasser 50 °C.

  • Les dépérissements en cours sont disséminés sur toute la forêt. La collecte des arbres dépérissant couvre le total de ce qui peut être récoltable chaque année, sans déstabiliser le modèle économique de gestion.

  • Le recyclage de la matière organique provenant des arbres (feuilles, branches, racines) fonctionne très bien sur une grande majorité des sols de la forêt.


À lire aussi : Couper la forêt pour la sauver du changement climatique, est-ce vraiment une bonne idée ?


Les solutions déployées

La préservation de la bonne santé des sols et l’optimisation de la biodiversité guident désormais la sylviculture dans la forêt de Chantilly.

Sur plus de 4 000 hectares, le renouvellement va désormais se concentrer sur les clairières de quelques centaines à quelques milliers de mètres carrés. Ces dernières ont été ouvertes par les dépérissements et l’idée est de maintenir une ambiance forestière. Autrement dit, de faire en sorte que les jeunes plants bénéficient de l’ombrage de leurs aînés et éviter qu’ils ne soient en plein soleil.

Tous les arbres en bonne santé sont maintenus, assurant un rôle d’« écran » protégeant les régénérations naturelles vis-à-vis du soleil et des vents desséchants. Dans les vides qui subsistent, de nouvelles espèces adaptées sont installées, mais aussi des arbres d’espèces déjà implantées dont les graines viennent du sud, plus chaud et plus sec.

Forêt de Chantilly en automne. Elias Gayles/Flickr, CC BY

Pour éviter le tassement des sols, la forêt est peu à peu équipée en couloirs de circulation obligatoires de 4 mètres de large, installés tous les 80 mètres, appelés cloisonnements. La circulation des machines dans ces couloirs est évitée lorsque l’état des sols, trop humides, crée un risque de dégradation. Les nouvelles technologies assurent l’enregistrement des tracés de cloisonnement (données GPS embarquées dans les engins), permettant à la nature de reprendre ses droits entre deux interventions.

Les pullulations de hannetons sont combattues grâce au développement d’une végétation ligneuse arbustive abondante au sol, qui empêche les pontes et présente aussi l’avantage de tempérer, par leur ombrage, les températures autour des jeunes arbres. Le maintien volontaire, car historique et culturel, d’une population importante de grands animaux en forêt est assuré, en modifiant les techniques de chasse et en assurant un nourrissage par la végétation ligneuse au sol qui évite les engrillagements, tout en protégeant les jeunes arbres.

Une augmentation des températures de +4 °C d’ici la fin du siècle est désormais probable. Si elle s’était déroulée sur un à deux mille ans, elle aurait transformé la forêt Chantilly en une forêt mélangée de chênes et de pins, proche des forêts méditerranéennes, plus riche en biodiversité, moins productive de bois, moins haute du côté des arbres, mais tout aussi belle aux yeux des hommes.

Nous allons faire en moins d’un siècle ce que la nature aurait fait, car elle n’aura pas la capacité de le faire à la vitesse des changements actuels. L’idée est de passer de la gestion d’une crise à la mise en œuvre d’une renaissance.

L’essentiel est d’ouvrir la voie et de s’inscrire dans le temps long, sans s’épuiser à vouloir tout changer en quelques années.


Le colloque « Nos forêts demain. Comprendre, transmettre, agir » est organisé les 21 et 22 mars 2025 par l’Institut de France, l’Académie des sciences et le Château de Chantilly en partenariat avec The Conversation. Inscription gratuite en ligne.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

20.03.2025 à 10:56

Fonte des glaciers : une diversité biologique invisible menacée

Leïla Ezzat, Research fellow, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne

Tom Battin, Full Professr in Environmental Sciences, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne

Avec la disparition progressive des glaciers sous l’effet du changement climatique, c’est bien plus que de l’eau qui disparaît. Rivières et ruisseaux alimentés par l’eau de fonte nourrissent une diversité microbienne unique et menacée.
Texte intégral (4127 mots)
Glacier de Storjuvbreen (Norvège). RIVER lab EPFL, Fourni par l'auteur

Avec la disparition progressive des glaciers sous l’effet du changement climatique, c’est bien plus que de l’eau qui disparaît. En effet, les ruisseaux et autres rivières alimentées par les glaciers abritent une diversité microbienne méconnue. Une mission scientifique unique en son genre s’est attelée à recenser ce microbiome à travers 11 chaînes de montagnes et 170 cours d’eau glaciaires.


Les cimes immaculées recouvertes de neige sont des symboles emblématiques des paysages de montagne, dont ils incarnent à la fois la majesté et la vulnérabilité. L’eau de fonte des glaciers alimente certains des plus grands réseaux fluviaux au monde.

On appelle en anglais glacier-fed streams (GFS) ces ruisseaux qui jouent un rôle si particulier. En effet, ces derniers se situent à l’interface entre atmosphère, cryosphère (ensemble des masses de glace, de neige et de sols gelés) et hydrosphère (ensemble des zones de la planète où il y a de l’eau).

Ces cours d’eau alimentés par les glaciers jouent un rôle essentiel pour l’approvisionnement en eau douce au niveau mondial, pour l’agriculture et pour la production d’électricité. Ils soutiennent aussi des écosystèmes uniques en aval, en contrebas des montagnes.

Malgré les nombreux services écosystémiques qu’ils fournissent, la diversité biologique rencontrée dans ces GFS reste mal comprise. Cette situation est particulièrement préoccupante compte tenu de l’accélération de la fonte des glaciers à travers le monde et des menaces potentielles pour la biodiversité en aval.

Une perte qui concerne bien plus que de l’eau

De quelle diversité biologique parle-t-on ? Il s’agit d’abord de biofilms, des communautés multicellulaires de microorganismes que l’on retrouve le plus souvent en milieu aqueux, qui comprennent des bactéries, des archées, des eucaryotes ainsi que des virus.

Biofilm d’un cours d’eau glaciaire. Fourni par l'auteur

Les biologistes les considèrent comme l’une des stratégies d'adaptation les plus performantes sur Terre. Les microorganismes au sein des biofilms se sont adaptés au fil de l’évolution et forment la base des chaînes alimentaires.

De ce fait, ils soutiennent la biodiversité des animaux et des plantes. Ces microorganismes sont souvent considérés comme les « chefs d’orchestre » des cycles géochimiques du carbone, de l’azote et de nombreux autres éléments.

Il y a six ans, avant que débute le projet Vanishing Glaciers, la vie microbienne des océans les plus profonds était bien mieux comprise que celle des cours d’eau qui drainent les toits de notre planète. Sous l’effet du changement climatique, plus de la moitié des glaciers du monde sont amenés à disparaître d’ici la fin du siècle. Et avec eux, une biodiversité invisible et peu étudiée : celle de ces cours d’eau issus des glaciers.

C’est pour mieux comprendre cette diversité microbienne méconnue et les stratégies d’adaptation de ces microorganismes que l’équipe de Vanishing Glaciers s’est lancée dans une vaste expédition scientifique, à travers les principales chaînes de montagnes du monde. L’enjeu : placer enfin sur la carte la diversité microbienne des ruisseaux de montagne, avant que les glaciers ne disparaissent et qu’il ne soit trop tard.

L'expédition Vanishing Glaciers en Nouvelle-Zélande. Fourni par l'auteur

Pendant quatre ans, nous avons ainsi parcouru les chaînes de montagnes de Nouvelle-Zélande, du Caucase russe, de l’Himalaya, du Pamir et du Tien Shan (Asie centrale), des monts Rwenzori (Ouganda), des Alpes européennes, des Alpes scandinaves, de l’Alaska, du sud-est du Groenland, de l’Équateur et du Chili.

Nous avons prélevé des échantillons d’eau douce et de sédiments benthiques (la couche superficielle des cinq premiers centimètres au fond du lit du cours d’eau) dans 170 cours d’eau qui drainent ces massifs. En plus des prélèvements biologiques, des données supplémentaires ont été collectées pour décrire l’environnement de ces cours d’eau et des glaciers qui les alimentent.


Visuel d’illustration de la newsletter Ici la Terre représentant la planète Terre sur un fond bleu

Abonnez-vous dès aujourd’hui !.

Chaque jeudi, recevez gratuitement notre newsletter thématique « Ici la Terre » pour suivre au plus près les questions environnementales.


Le projet Vanishing Glaciers, financé par la Fondation NOMIS et basé à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse), est le fruit d’une vaste collaboration multidisciplinaire et internationale. Il mêle des disciplines scientifiques aussi diverses que l’écologie microbienne, la biologie moléculaire, la biogéochimie, la géologie et la glaciologie, afin de décrire la diversité microbienne de ces cours d’eau et de prédire les effets du changement climatique sur le microbiome qu’ils abritent.

Le premier atlas global des bactéries des cours d’eau glaciaires

Notre étude du microbiome bactérien retrouvé dans les sédiments benthiques des cours d’eau alimentés par les glaciers (GFS) montre qu’il diffère d’autres écosystèmes cryosphériques (par exemple la glace des glaciers, les sols gelés ou les cryoconites – des trous de quelques centimètres situés à la surface d’un glacier, issus de la liquéfaction due au dépôt de poussières sombres). Cela met en évidence le caractère unique de cet écosystème parmi les systèmes glaciaires.

Il s’agit de conditions environnementales difficiles. En fondant, les glaciers produisent des eaux de fonte qui sont très froides et pauvres en ressources nutritionnelles. En hiver, les cours d’eau sont partiellement recouverts de neige et de glace, présentant des défis pour la vie microbienne. En été, l’intensité du rayonnement UV est élevée, et le lit du cours d’eau très instable à cause du débit élevé de l’eau de fonte.

Glacier de Shkhelda, en Russie. Matteo Tolosano/EPFL, CC BY-NC-SA

Malgré ces conditions inhospitalières, nous avons noté un niveau remarquable de diversité bactérienne dans les GFS. Il est comparable à ce que l’on retrouve dans des sols et des sédiments marins profonds.

La répartition spatiale de ce microbiome d’une chaîne de montagnes à l’autre, analogue aux variations biogéographiques observées pour des plantes et des animaux, s’est également révélée source de surprises. Plus de 60 % des taxons bactériens ont été identifiés comme « endémiques » (c’est-à-dire, on ne retrouvait cette biodiversité que dans une chaîne de montagnes donnée), les zones les plus riches en taxons endémiques étant situées en Nouvelle-Zélande (55 %) et dans les volcans andins (plus de 40 %).

Ces résultats font écho à l’endémisme des plantes et des animaux que l’on retrouve dans les systèmes insulaires.

Des stratégies d’adaptation remarquables…

Ici, c’est avant tout l’isolement géographique des cours d’eau glaciaires qui s’écoulent des sommets qui est responsable de cette distribution spatiale du microbiome. Les microorganismes ont, en effet, une capacité limitée à se disperser d’un cours d’eau à l’autre souvent distants de centaines voire de milliers de kilomètres.

De plus, les conditions de vie exigeantes (pH, température, luminosité, ressources nutritionnelles, régimes de précipitation…), augmentent la pression sélective réalisée par l’environnement sur la faune microbienne. Tous ces facteurs participent à façonner la biodiversité des microorganismes dans les cours d’eau glaciaires.

Une autre étude produite par l’équipe de Vanishing Glacier s’est appuyée sur le séquençage de milliers de génomes de bactéries, d’algues, de virus et de champignons. Elle montre l’adaptabilité de ce microbiome unique, notamment en termes de nutrition. Les microbes peuvent ainsi utiliser de nombreux substrats : carbone organique, minéraux, voire certains gaz présents dans l’atmosphère (monoxyde de carbone par exemple). Ces éléments, combinés au rayonnement solaire, leur permettent de répondre à leurs besoins énergétiques.

D’autres stratégies d’adaptation remarquables ont été identifiées, comme la biosynthèse de molécules protectrices contre le stress oxydatif et contre le rayonnement UV (par exemple des rhodopsines), ou encore comme la capacité à s’adapter aux fluctuations de la température des cours d’eau, qui peut varier considérablement du jour à la nuit ou entre les saisons.

Les interactions entre les bactéries et les algues contribuent également au recyclage des nutriments, ce qui est clairement avantageux dans cet écosystème où ces derniers sont, de façon intrinsèque, peu abondants.

… et un avenir incertain

Reste à savoir à quel avenir sont promis ces écosystèmes uniques que l’on commence tout juste à découvrir. Entre 2000 et 2023, les géants de glace de notre planète ont perdu 5 % de leur volume. Dans les Alpes, là où les effets du réchauffement climatique sont particulièrement marqués, les glaciers ont perdu plus des deux tiers de leur surface depuis 1850. Les scénarios les plus pessimistes envisagent la fonte de 95 % de ces derniers d’ici 2100.

Le rythme rapide auquel les glaciers reculent dans les régions de haute montagne risque de perturber l’approvisionnement en eau douce dans les zones densément peuplées et d’occasionner des changements profonds dans les écosystèmes des ruisseaux glaciaires. Ce sont des communautés écologiques entières qui sont menacées.


À lire aussi : Fonte des glaciers : sous la glace, une mécanique invisible mais implacable


En combinant plus de 2 000 génomes bactériens et des données environnementales, climatiques et glaciologiques, nos modèles ont permis de prédire le devenir du microbiome des GFS en fonction de différents scénarios climatiques.

À mesure que les contraintes environnementales diminuent, et que les cours d’eau deviennent plus chauds, plus calmes et plus clairs, nos modèles prévoient une augmentation de la production primaire (production de matière organique) ainsi que de la diversité microbienne. Nos prévisions incluent notamment une augmentation de l’abondance des cyanobactéries et d’algues comme les diatomées.

L’équipe de Vanishing Glaciers lors des échantillonnages en Ouganda. RIVER lab EPFL, Fourni par l'auteur

Ces tendances ont pu être observées lors de l’échantillonnage du GFS issu du glacier du mont Stanley en Ouganda. En raison de conditions environnementales plus stables dans la région afrotropicale, nous avons noté une abondance plus élevée de producteurs primaires (notamment les photoautotrophes – organismes qui utilisent la lumière comme source d’énergie et le CO2 comme source de carbone –, tels que des diatomées, des chlorophytes et des cyanobactéries). Ce cours d’eau tropical offre ainsi un aperçu de l’avenir des GFS de régions tempérées.

Nos modèles indiquent également des changements radicaux dans le métabolisme des microbes et leurs interactions, notamment une plus grande dépendance à l’égard de l’énergie solaire et de l’hétérotrophie pour les bactéries (c’est-à-dire, qui se nourrissent de matières organiques pour produire de l’énergie), et donc d’avantage d’interactions algues-bactéries.

On peut par conséquent s’attendre à ce que la chaîne alimentaire dans les GFS devienne plus « verte » à mesure que la production primaire augmente. Ce changement profond n’est pas sans conséquence : des groupes entiers de bactéries partageant la niche écologique des GFS pourraient être menacés. De plus, les bactéries endémiques sont particulièrement vulnérables du fait de leur répartition géographique restreinte.


À lire aussi : Pollution, climat… pourquoi nos lacs de montagne verdissent


Une biobanque pour conserver les microbes

Nos travaux soulignent la nécessité de mener davantage d’études sur l’écologie microbienne et la biogéochimie dans les écosystèmes cryosphériques. C’est essentiel non seulement pour mieux comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes, mais aussi pour affiner les prévisions sur l’évolution des réseaux trophiques et les impacts associés sur la biodiversité.

Glacier El Amarillo, au Chili. credits RIVER lab EPFL, Fourni par l'auteur

L’année 2025 ayant été déclarée par les Nations unies « Année internationale de la préservation des glaciers », il est urgent de sensibiliser le public à la disparition de la cryosphère et à ses conséquences sur l’approvisionnement en eau, sur la sécurité alimentaire et surla biodiversité.

Contrairement aux microbiomes terrestres, le microbiome des cours d’eau glaciaires ne peut pas être restauré. C’est pourquoi nous souhaiterions maintenant sauvegarder ces microorganismes dans une chambre forte en Suisse, une « biobanque », comparable à une arche de Noé. Cela permettrait non seulement de préserver les microbiomes uniques des cours d’eau glaciaires, mais aussi d’offrir aux futures générations de scientifiques la possibilité d’explorer tout le potentiel de ces microorganismes.

The Conversation

Le projet Vanishing Glaciers a reçu des financements de la fondation NOMIS.

19.03.2025 à 16:23

Les élèves des lycées agricoles sont-ils hostiles à l’agroécologie ?

Joachim Benet Rivière, Sociologue de l'éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

De nouveaux modes de production agricole, plus respectueux de l’environnement, se développent. Comment les élèves y sont-ils formés et quelle attitude adoptent-ils face aux transformations du métier ?
Texte intégral (1486 mots)

De nouveaux modes de production agricole, plus respectueux de l’environnement, se développent. Comment les élèves y sont-ils formés et quelle attitude adoptent-ils face aux transformations de leur métier ?


Les grandes manifestations agricoles sont souvent l’occasion de communiquer sur les actions s’inscrivant dans le cadre de la dynamique de la « transition agroécologique ». D’ailleurs, lors du dernier Salon de l’agriculture à Paris, Oupette, égérie de l’édition de 2025, et son propriétaire, Alexandre Humeau, n’ont pas été choisis par hasard : l’exploitation de ce dernier est engagée dans une démarche d’agriculture de conservation consistant à réduire l’usage des produits phytosanitaires grâce à une couverture végétale du sol et par l’action des vers de terre.

Au-delà des stratégies de communication, les formations qui préparent au métier d’agriculteur intègrent-elles réellement davantage de savoirs agroécologiques ? Et comment ces évolutions sont-elles perçues par les jeunes ?

Enseigner à produire autrement : une injonction politique

Depuis les années 1960, l’enseignement agricole a été soumis aux objectifs imposés par le ministère de l’agriculture, en matière de politique agricole et sur le plan environnemental. Mais c’est surtout à la suite du Grenelle de l’environnement, en 2007, que le ministère de l’agriculture a développé des programmes d’apprentissage visant à « produire autrement ».

Cela conduit essentiellement à intégrer dans les enseignements pratiques en lycée agricole des modes de production et des techniques de culture dites alternatives, qui relèvent de l’agriculture de conservation, mais également l’agriculture biologique par l’intermédiaire des exploitations agricoles des lycées agricoles publics (l’équivalent des ateliers technologiques des lycées professionnels). Toute exploitation agricole doit désormais s’orienter vers ces pratiques permettant de réduire l’usage des intrants chimiques.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


La plupart des lycées agricoles publics ont donc désormais un atelier en agriculture biologique permettant à leurs élèves d’expérimenter de nouvelles pratiques culturales. Ainsi, le discours ministériel est décliné par la démonstration des pratiques concrètes dans ces exploitations. Cela ne conduit cependant pas à la création d’un enseignement théorique, ce qui est critiqué par les promoteurs de l’agriculture biologique.

Développées ces dernières années, les formations professionnelles spécialisées en agriculture biologique restent plutôt rares. Elles ne concernent qu’une dizaine d’établissements sur les 800 établissements que compte l’enseignement agricole.

Historiquement, l’agriculture biologique était surtout présente dans les formations pour adultes, tout comme l’enseignement de pratiques qui s’inscrivent dans l’agroécologie paysanne, portée par la Confédération paysanne car ces formations accueillent souvent des populations en reconversion professionnelle qui ont un projet d’installation dans le bio, projet qui s’inscrit dans un changement plus global de style de vie.

La place du bio reste donc encore marginale dans les formations initiales et réduite dans des espaces bien délimités.

Des rapports hétérogènes à l’agroécologie chez les élèves

Les différentes enquêtes réalisées auprès des publics des baccalauréats professionnels agricoles montrent que les jeunes formés sont réticents vis-à-vis des pratiques agroécologiques qui remettent en question le modèle de l’agriculture productiviste. Ainsi, bien qu’ils soient prêts à transformer les pratiques en réduisant l’usage des pesticides et en limitant les gaspillages d’eau, ils restent défavorables au modèle de l’agriculture biologique pourtant enseigné en lycée agricole.

Ils privilégient le modèle de l’agriculture raisonnée, qui passe, par exemple, par l’utilisation de machines agricoles plus performantes, qui, grâce aux capteurs numériques, permettent de réduire les gaspillages. Ils associent aussi l’agroécologie à une agriculture de proximité, celle des circuits courts, qui permet de réduire les coûts liés aux transports.

Pour autant, des variations importantes dans leur rapport à l’agroécologie existent en fonction de leur milieu d’origine mais aussi des filières dans lesquelles ils sont formés. Par exemple, dans la filière viticole, les élèves ont pour référence la Haute Valeur Environnementale (HVE), une certification moins exigeante que celle de l’Agriculture biologique (AB). En élevage, des stratégies visant à diversifier les parcelles végétales et les troupeaux en fonction des conditions locales sont mises en avant par les élèves comme des solutions opérantes pour réduire l’impact des activités agricoles sur la biodiversité et notamment limiter l’usage des médicaments sur les animaux.

Toutefois, l’agriculture biologique reste très largement rejetée par les élèves dans les différentes filières agricoles, notamment en polyculture-élevage. Plusieurs facteurs expliquent ce rejet. Les jeunes de l’enseignement agricole sont d’abord le réceptacle des débats syndicaux et politiques qui traversent les mondes agricoles dont leurs acteurs ont des positions hétérogènes vis-à-vis des savoirs agroécologiques.

Davayé : agroécologie au lycée agricole (France 3 Bourgogne Franche-Comté, 2018).

Dans les représentations des jeunes, les rendements en agriculture biologique sont considérés comme plus faibles. Les modes de production alternatifs tels que l’agriculture biologique sont perçus comme un retour en arrière : l’utilisation de la chimie est pensée comme un élément résultant du progrès technique.

Il existe également des critères de jugement esthétiques qui influencent les représentations des jeunes : pour beaucoup, le bio « c’est sale ». En effet, ces représentations esthétiques sont importantes pour comprendre leur rapport à l’agroécologique car les agriculteurs ne se donnent pas uniquement pour mission de nourrir la population, ils participent aussi à l’entretien des paysages.

Le poids des socialisations familiales

Même s’ils ne le sont pas tous, (10 % des élèves de l’enseignement agricole sont des enfants d’agriculteurs). Lorsqu’ils sont en formation agricole, ils appartiennent au monde agricole au sens large et travaillent dans les exploitations agricoles durant leurs week-ends et pendant les vacances. Ces socialisations familiales influencent leurs représentations. Ainsi, ceux qui sont les plus favorables à l’introduction de pratiques agroécologiques plus radicales sont issus de familles plus sensibilisées à ces questions.

Pour la majorité des élèves qui entrent dans les formations en ayant une connaissance quasi professionnelle de l’agriculture, les exploitations des lycées agricoles ne sont pas des modèles de référence. Ces élèves s’identifient plus facilement à leurs parents agriculteurs et aux maîtres de stage qui sont leurs véritables référents professionnels. C’est pourquoi les exploitations en agriculture biologique des lycées sont plutôt rejetées par les élèves.

Cette référence au modèle familial peut avoir un effet bénéfique dans le cas où les parents des élèves sont eux-mêmes engagés dans une volonté de changement des pratiques agricoles. Les élèves plus éloignés par leurs origines du milieu agricole sont aussi ceux qui rejettent le moins les savoirs agroécologiques délivrés par les enseignants en lycée agricole. Mais pour eux, l’accès aux métiers agricoles (qui restent à forte reproduction sociale) sera plus compliqué car marqué par de nombreux obstacles, notamment celui de l’accès au capital foncier.

The Conversation

Joachim Benet Rivière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

18 / 25
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
  Pas des sites de confiance
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌓