22.05.2025 à 12:32
Raja Chakir, Directrice de recherche en Économie de l'Environnement, Inrae
Armand Favrot, Doctorant en mathématiques appliquées, Inrae
Hajar Guejjoud, Postdoctoral researcher, Inrae
Thierry Brunelle, Chercheur en Économie, Cirad
Tom Saade, Doctorant en biogéochimie, Inrae
Pour que les pratiques agricoles évoluent, il faut que les agriculteurs aient intérêt à le faire et soient accompagnés dans ces changements. Certains pays ont ainsi réussi à réduire durablement l’utilisation de pesticides et engrais chimiques. Voici comment.
En France, en Allemagne, aux Pays-Bas, c’est une petite musique qui monte : celle des agriculteurs assaillis sous les contrôles et les réglementations environnementales qui menacent la viabilité de leurs exploitations. Une petite musique devenue un cri de colère lors de manifestations un peu partout en Europe, en 2024, et qui a permis de faire retirer en France, par exemple, la version renforcée du plan Écophyto.
L’agriculture se retrouve ainsi à jongler entre plusieurs objectifs : nourrir une population mondiale croissante, assurer un revenu décent aux agriculteurs, tout en protégeant la santé humaine et l’environnement pour la génération actuelle mais aussi pour les générations futures.
Un exemple frappant est celui des intrants chimiques, notamment les engrais synthétiques et les pesticides. Ces derniers répondent à des besoins essentiels : nourrir les plantes et protéger les cultures contre les maladies et les ravageurs. Mais l’utilisation excessive de ces intrants a des effets néfastes sur la biodiversité, sur la qualité des sols, des eaux et de l’air et sur la santé publique.
Par ailleurs, plus les engrais et pesticides chimiques sont utilisés, moins ils se révèlent efficaces sur le long terme, car les sols se dégradent, et les organismes pathogènes développent des résistances, créant ainsi une spirale de dépendance aux intrants chimiques. C’est pourquoi, il devient nécessaire de réduire leur utilisation.
La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses alternatives existent pour réduire leur usage sans pour autant compromettre la production agricole. Cependant, ces pratiques sont encore peu utilisées, car les agriculteurs ne sont que très peu encouragés à le faire sur le plan économique et parce que ces alternatives sont parfois plus difficiles à mettre en œuvre que les solutions chimiques. Mais des pays montrent aujourd’hui que, en accompagnant les agriculteurs, des changements rapides de paradigme peuvent avoir lieu.
De fait, réduire l’utilisation des intrants chimiques ne peut pas reposer uniquement sur les agriculteurs. Bien que leur rôle soit central, leurs choix en matière d’intrants sont souvent contraints par des obligations contractuelles, économiques et réglementaires.
La transition vers une agriculture plus durable ne peut donc reposer seulement sur leurs épaules. C’est en réalité l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire, industrie agrochimique, distributeurs, consommateurs et législateurs qui doit être mobilisé. Les politiques publiques ont un rôle clé à jouer pour inciter les fabricants d’intrants agricoles à orienter leur production vers des alternatives moins nocives.
De leur côté, les consommateurs peuvent peser sur les pratiques agricoles en privilégiant des produits moins dépendants aux intrants chimiques, à condition toutefois d’y avoir accès et d’être correctement informés. Seule une approche systémique, répartissant équitablement les responsabilités, permettra d’éviter que le poids de la transition ne repose sur des agriculteurs souvent soumis à de fortes contraintes économiques.
Pour cela, il existe plusieurs types de mesures dont certaines ont déjà été testées sans grand succès, comme l’instauration de taxes ou de subventions. Mais pour être efficaces, elles doivent être mises en œuvre de façon à ce que chaque acteur ait la possibilité de modifier ses habitudes et ses pratiques et puisse contribuer à une agriculture durable. Allier incitations économiques, pédagogie, et, lorsque la santé humaine ou environnementale est en jeu, interdictions, constitue une approche prometteuse pour encourager chacun à réfléchir à ses choix et à repenser son rapport aux intrants chimiques.
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L’implication des différents acteurs a eu un impact significatif dans plusieurs pays, notamment européens, qui ont réussi à concilier sécurité alimentaire et réduction de la pollution agricole.
Par exemple, le Danemark, souvent cité comme modèle de réussite, a réduit de 50 % en trente ans (1980-2012) ses excédents d’azote chimiques et organiques néfastes pour les sols et la biodiversité et imputables à la surutilisation d’engrais. Pour cela, le pays a associé des mesures allant de l’action volontaire à une réglementation stricte en impliquant à la fois les agriculteurs et les producteurs d’intrants agricoles.
Un point clé a été de combiner les mesures de façon à rendre la nouvelle réglementation attractive économiquement et à en limiter le coût financier pour les acteurs concernés. Ainsi, la mise en place d’une réglementation interdisant les fortes concentrations de bétail, combinée à la promotion d’une alimentation animale améliorée et à l’instauration de quotas sur les taux de fertilisation, s’est révélée particulièrement efficace pour réduire les excédents d’azote.
Une solution serait ainsi d’inciter le secteur de production d’intrants chimiques, qui a la particularité d’être très concentré et donc plus facile à réglementer à offrir des solutions techniques meilleur marché aux agriculteurs.
De son côté, la Suisse a lancé un label « sans pesticides » pour le pain, avec 50 % de la production de blé désormais certifiée avec ce label, soutenue par des paiements directs et des primes garantis par l’État, encourageant ainsi les agriculteurs à réduire leur utilisation de produits chimiques.
Ici, l’engagement des consommateurs par un système de label et des prix compétitifs a été la clé. Bien que la production domestique ne représente qu’environ un quart de la consommation de blé en 2022, cette approche intermédiaire entre agriculture conventionnelle et biologique montre qu’il est possible de concilier faisabilité pour les agriculteurs et objectifs de durabilité environnementale. Ces labels constituent ainsi une autre solution intéressante pour offrir des débouchés aux produits à bas intrants, car les études montrent que les consommateurs ont une préférence pour ce genre de produits.
Cependant, pour que la réussite des politiques de réduction d’intrants chimiques soit complète, il est important de ne pas réfléchir qu’à une échelle nationale, sans quoi nous n’obtiendrons que des déplacements d’usages d’intrants chimiques entre pays, plutôt qu’une réduction nette à l’échelle mondiale.
Les accords commerciaux internationaux, tels que l’accord de libre-échange actuellement discuté avec les pays du Mercosur, doivent constituer des vecteurs pour garantir que les efforts réalisés par un pays ne soient réduits à néant par un surcroît de production dans d’autres pays où les mêmes réglementations ne s’appliqueraient pas.
À un niveau plus global, l’Union européenne, à travers sa stratégie « De la ferme à la fourchette » et sa politique agricole commune (PAC), vise à réduire l’usage des pesticides de 50 % et des engrais de 20 % d’ici 2030, tout en soutenant financièrement des pratiques, comme l’agriculture de précision et l’utilisation d’engrais organiques. Cette stratégie cherche également à promouvoir des chaînes d’approvisionnement alimentaires durables et à renforcer la résilience du secteur agricole face aux défis climatiques.
D’autres initiatives comme le plan Écophyto en France et l’agriculture naturelle en Andhra Pradesh (Inde) illustrent des stratégies concrètes qui démontrent que durabilité et productivité peuvent coexister grâce à des alternatives écologiques, des incitations adaptées, et un accompagnement technique pour les agriculteurs. Cependant, ces initiatives n’ont pas pu aboutir entièrement, rencontrant des obstacles qui ont freiné leur pleine réalisation.
Enfin, il est aussi essentiel de penser aux pays en développement dans ces efforts. En adaptant les solutions à leurs besoins spécifiques, nous pourrons soutenir des pratiques agricoles durables tout en tenant compte des réalités économiques. Une coopération internationale sera ainsi nécessaire pour partager des idées et mettre en place des solutions efficaces à l’échelle mondiale.
La première version de cet article a été rédigée dans le cadre d’un atelier The Conversation, animé par Thibault Lieurade et organisé dans le cadre des Young Researcher Days du projet Cland. Nous remercions chaleureusement Nicolas Guilpart et David Makowski pour leur relecture attentive et leurs commentaires constructifs. Nos remerciements vont également à Raia Massad, qui a coanimé l’atelier, pour son accompagnement précieux.
Raja Chakir a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (projets CLAND ANR-16-CONV-0003 et FAST ANR-20-PCPA-0005) ainsi qu'un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne (projet LAMASUS n° 101060423).
Armand Favrot, Hajar Guejjoud, Thierry Brunelle et Tom Saade ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
22.05.2025 à 12:13
Sébastien Bainville, Enseignant-chercheur en économie rurale, Institut Agro Montpellier
Claire Aubron, Institut Agro Montpellier
Marie Dervillé, Économiste de l'agriculture, École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENSFEA)
Olivier Philippon, Agronome, Montpellier SupAgro
Cet État du nord de l’Inde communique de plus en plus sur le fait d’avoir une agriculture entièrement sans pesticide. En réalité, il a surtout été exclu de la « révolution verte » des années 1960 et dépend aujourd’hui des États voisins pour nourrir sa population.
Situé au nord-est de l’Inde, le Sikkim est l’un des plus petits États de la fédération, sa superficie dépasse à peine celle du Finistère. Mais, depuis quelques années, il fait de plus en plus parler de lui. Tapez « Sikkim » sur un moteur de recherches et vous découvrirez de nombreux articles expliquant, souvent avec enthousiasme, que l’agriculture de cette région est devenue 100 % bio. Un petit miracle dans un pays où l’agriculture est souvent très intensive.
De fait, en général, l’agriculture indienne est plutôt citée pour illustrer la « révolution verte », que ce soit pour en souligner les bienfaits ou en dénoncer les méfaits. Le pays est en effet parvenu à l’autosuffisance céréalière une décennie à peine après son indépendance et, aujourd’hui, il se classe parmi les premiers producteurs mondiaux.
Ce succès a largement reposé sur la diffusion à grande échelle de variétés de cultures à haut potentiel de rendement, couplée à un recours massif aux engrais de synthèse et plus tard aux pesticides.
L’irrigation et la multiplication des cycles ont aussi été essentielles. Très tôt cependant, de nombreux auteurs ont pointé les limites de cette révolution verte.
Accessible à la frange la plus aisée des agriculteurs, elle aurait exclu des masses de paysans pauvres. En outre, l’usage intensif des intrants de synthèse et un recours excessif à l’irrigation auraient eu des conséquences particulièrement néfastes pour l’environnement.
Petit État himalayen frontalier avec le Népal, la Chine et le Bhoutan, le Sikkim s’est donc, lui, récemment démarqué de cette dynamique historique. En 2003, son gouverneur annonçait sa volonté de transformer le Sikkim en « total organic state » (« État totalement bio »).
En cause :
« L’application et l’utilisation incontrôlées et désordonnées d’intrants chimiques, dangereuses pour la vie des êtres humains et du bétail. »
Dès lors, des programmes de promotion de l’agriculture biologique furent lancés, on chargea des centres d’excellence biologique de conduire des expérimentations et on accorda des subventions pour les fosses de compostage…
En 2010, l’État poursuivit ces efforts dans le cadre de la Sikkim Organic Mission, projet qui dura jusqu’en 2015. À cette date, le gouvernement interdit toute utilisation d’intrants chimiques, sous peine de lourdes sanctions : amende de 25 000 à 100 000 roupies, soit de 350 à 1 400 euros et jusqu’à 3 mois de prison.
Dans un contexte où de nombreux pays, notamment occidentaux, s’interrogent sur la transition agroécologique, cette décision radicale a suscité l’intérêt des médias internationaux. Comment, en effet, des agriculteurs peuvent-ils exercer leur métier sans recourir aux engrais de synthèse, aux herbicides ou aux pesticides, et qui plus est dans un pays émergent ?
La réponse à cette question se trouve dans les particularités tout à la fois géographiques et historiques de cet État indien. N’ayant pas connu la révolution verte, l’agriculture du Sikkim n’est en fait pas devenue biologique, elle l’est plutôt restée.
En déclarant le Sikkim, « organic state », le gouvernement local a ainsi nommé un état de fait plutôt qu’enclenché un changement majeur.
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Si l’agriculture du Sikkim est donc avant tout traditionnelle, elle demeure néanmoins particulièrement ingénieuse. Dans ce piémont himalayen, l’habitat dispersé se concentre aux altitudes moyennes (moins de 2 000 mètres) où les températures hivernales sont plus clémentes.
Les maisons sont généralement situées à mi-pente et les parcelles se répartissent en trois terroirs : on trouve au-dessus des maisons des plantations de cardamome sous couvert forestier ; autour des maisons, des jardins intensément cultivés nommés bari et, en dessous, des parcelles de riz nommées khet.
Originaire d’Inde, la cardamome, fruit souvent considéré comme la reine des épices, a trouvé ici de bonnes conditions écologiques. Pour mettre en place une plantation, les paysans défrichent une parcelle de forêt en veillant à conserver certaines essences, telles que l’aulne népalais ou le mûrier noir appréciés pour leurs qualités de bois d’œuvre. La plantation est ensuite réalisée sous ce couvert arboré qui maintient une bonne humidité, tempère la chaleur estivale et protège les pieds des gelées hivernales. Ces systèmes agroforestiers demandent peu de travail, le couvert arboré assurant la reproduction de la fertilité des parcelles et contenant le développement des mauvaises herbes. Un travail de désherbage au cours du cycle s’ajoute néanmoins à la récolte.
Dans les bari autour des habitations, on cultive des associations complexes de plantes annuelles et pérennes. Le maïs occupe néanmoins une place centrale. Aux variétés hybrides qui n’expriment tout leur potentiel qu’avec des engrais de synthèse, on préfère une variété locale, un maïs blanc. De haute taille, celui-ci permet de surcroît de disposer, avec les cannes, d’une source d’alimentation pour le bétail.
Ce maïs blanc est généralement associé à des plantes couvrantes (courge, moutarde brune) et des légumineuses (pois, haricots, soja).
Récolté début juillet, le maïs peut être suivi d’un cycle de millet ou de légumes d’hiver (chou-fleur, brocoli, radis ou carotte). Ces parcelles sont par ailleurs bordées d’arbres fruitiers (bananier, prunier ou papayer) ou fourragers (Saurauia napaulensis et Ficus hookeri), leurs feuilles étant consommées par les animaux d’élevage.
C’est d’ailleurs aussi à proximité des habitations que l’on garde les animaux. Chaque exploitation possède une ou deux vaches, parfois une paire de bœufs pour la traction et quelques chèvres. Cette proximité facilite la traite, mais permet aussi d’accumuler les déjections en un seul et même lieu. Celles-ci, mélangées à des fougères collectées en forêt permettent de disposer d’un fumier que l’on épand régulièrement sur les parcelles de bari.
L’alimentation des animaux repose avant tout sur des fourrages prélevés quotidiennement en forêt. Elle implique cependant de parcourir des chemins escarpés chargé d’une hotte (doko) pleine d’herbes, de feuilles et de branches. Avec ces fourrages peu digestibles on prépare une soupe, le dana, à laquelle on ajoute des grains de maïs.
En deçà des maisons se trouvent les parcelles de riz, les khet. Le riz basmati (variétés Tabrey et Chirakey) est semé en pépinière au mois de juin. Avec la mousson, les eaux de ruissèlement boueuses s’accumulent rapidement dans les casiers entourés de diguettes et le repiquage s’effectue en juillet. Le riz continue ainsi son cycle sans trop de concurrence avec les mauvaises herbes et dans d’assez bonnes conditions de fertilité.
On cultive aussi des lentilles sur les diguettes de façon à valoriser au mieux ces parcelles étroites, fruit d’un intense travail de terrassement. Une irrigation gravitaire d’appoint permet, en acheminant un complément d’eau depuis une source jusqu’aux casiers, de prévenir un éventuel déficit pluviométrique.
Après cinq ou six mois, le riz ayant été récolté, les khet sont consacrés à un cycle de pommes de terre, éventuellement suivi d’un cycle de maïs, ou bien laissés en jachère. Dans ce dernier cas, on dispose d’une ressource fourragère moins coûteuse en travail, les animaux pouvant pâturer ces parcelles pas trop éloignées.
Les paysans du Sikkim ont donc su adapter leurs systèmes de culture et d’élevage à un environnement passablement contraignant. Ils montrent ainsi qu’il est bel et bien possible dans cette région de pratiquer l’agriculture sans recourir au moindre intrant de synthèse.
On aurait cependant tort d’y voir la démonstration des bienfaits d’une politique ambitieuse. Ces systèmes ne découlent nullement des récentes décisions gouvernementales, ils sont en réalité très anciens et n’ont été que peu modifiés par les réorientations politiques.
Rappelons tout d’abord que le Sikkim est entré tardivement dans l’Union indienne, en 1975. À cette date, la révolution verte était enclenchée depuis longtemps dans le reste du pays. Mais, surtout, celle-ci a reposé sur la diffusion de variétés de culture sélectionnées dans les conditions bien éloignées de celles du petit État de montagne. En effet, pour faciliter leur travail de sélection, les chercheurs avaient choisi de se placer dans des conditions où la pression des mauvaises herbes serait contenue, les risques de sécheresse nuls et l’ensoleillement élevé.
En un mot, les efforts ont avant tout porté sur la riziculture irriguée de saison sèche. Un État comme le Sikkim se prête très mal à la mise en culture de ce type de riz. En saison sèche (hiver), les sources se tarissent et, avec l’altitude, les températures deviennent rapidement incompatibles avec les exigences du riz. En saison des pluies (été), les nuages de mousson s’accumulent dans ce piémont himalayen où l’ensoleillement est des plus réduits. Enfin, le relief impose des investissements colossaux dans la constitution de terrasses exiguës.
Autant d’obstacles que ne connaissait pas le delta du Gange du Bengale-Occidental voisin, rapidement devenu le premier producteur de riz du pays. Dans cet État, les variétés de saison sèche (riz boro) se sont diffusées dès la fin des années 1960. Répondant particulièrement bien aux engrais minéraux, ils permettaient d’atteindre des rendements supérieurs à 3 tonnes de riz non décortiqué par hectare. De plus, leur cycle court autorisait la double culture annuelle avec les variétés traditionnelles (aus et aman) de saison des pluies .
Les variétés encore utilisées de nos jours au Sikkim présentent des rendements bien inférieurs (à peine deux tonnes par hectare) et un seul cycle est pratiqué. En outre, les systèmes de culture du Sikkim nécessitent bien plus de travail, ne serait-ce que du fait de l’entretien des casiers rizicoles qu’impose une forte pente couplée à des précipitations abondantes.
Il en résulte une productivité brute du travail plus de deux fois inférieure à celle qu’on observe dans le delta du Gange : 8 kg par jour de travail contre 20 kg. Cette différence de productivité du travail est importante, car, dès l’entrée du Sikkim dans la fédération indienne, ses agriculteurs ont dû affronter une rude concurrence pour le riz, mais aussi pour le maïs ou les pommes de terre.
Cette concurrence s’est trouvée accentuée, à partir de 1978, par l’application au Sikkim du « Public Distribution System » (PDS), déjà à l’œuvre dans le reste du pays. Avec ce système, l’État fédéral fournissait aux plus pauvres des aliments à prix subventionné. Une partie des excédents d’un État comme le Bengale-Occidental s’est ainsi trouvée disponible au Sikkim à prix très bas dans les magasins alimentaires dédiés (fair price shops).
Dès lors, si les familles paysannes du Sikkim ont continué à pratiquer une agriculture biologique, leur alimentation a pour sa part largement reposé sur des importations de riz cultivé suivant des techniques on ne peut plus conventionnelles. Il en est de même de l’alimentation des vaches, une partie non négligeable de leur ration est constituée aujourd’hui de maïs provenant, lui aussi, de l’État voisin.
Peu à peu, les agriculteurs du Sikkim se sont donc tournés vers ce qui apparaissait comme leur avantage comparatif, la cardamome, dont les prix sur le marché national et international évoluaient plus favorablement que ceux du riz. On a assisté, dès le milieu des années 1980, à une baisse des surfaces dévolues à la culture du riz, certains khet étant abandonnés à la friche, et à une extension des plantations de cardamome.
Cette dernière s’est malheureusement soldée par une multiplication des agents pathogènes. Dès les années 2000, les attaques de champignon (Phytophthora meadii) sont devenues systématiques, entraînant une chute de moitié des rendements. Quelques paysans eurent alors recours aux fongicides, mais leur usage fut rapidement interdit. La recherche sélectionna alors de nouvelles variétés (ICRI-Sikkim-1 ou ICRI-Sikkim-2) qui, pouvant être cultivées en plein soleil, se sont avérées moins sujettes aux attaques fongiques. De nouvelles plantations sont depuis mises en place sur les khet où la réduction des surfaces rizicoles se poursuit.
L’agriculture du Sikkim a dû aussi faire face à la concurrence des autres secteurs de l’économie, qui ont rapidement offert de meilleures rémunérations. Aujourd’hui, en dehors des plantations de cardamome en plein soleil, aucune activité agricole ne permet de dépasser notablement le niveau de rémunération d’une journée de travail dans la capitale Gangtok.
Cette comparaison avec les salaires urbains s’impose d’autant plus que de tels emplois ne manquent pas.
Depuis une quarantaine d’années, le Sikkim est devenu une destination touristique de plus en plus prisée. Ce tourisme avant tout indien a engendré une croissance urbaine rapide et de gros besoins de main-d’œuvre, notamment dans la construction et l’hôtellerie. Cette demande de main-d’œuvre, même peu qualifiée, est à l’origine d’un véritable exode rural et si tous ne sont pas partis, dans la plupart des familles paysannes, un membre au moins travaille aujourd’hui en ville. Cette urbanisation a d’abord joué en faveur de la capitale, Gangtok, mais, depuis quelques années, des villes secondaires comme Namchi connaissent une évolution similaire.
L’agriculture du Sikkim est donc aujourd’hui bel et bien « biologique », dans la mesure où les agriculteurs ne font pas appel aux intrants de synthèse. Mais il serait erroné d’attribuer cette situation aux seules politiques mises en œuvre depuis une dizaine d’années.
À l’exception de la cardamome, les agriculteurs n’ont d’ailleurs pas bénéficié de la structuration de filières biologiques. Déclarer le Sikkim « organic state » a sans doute contribué à renforcer l’image « verte » d’un État de plus en plus dépendant du tourisme.
Cette appellation est néanmoins trompeuse, car, dans cet État, peu peuplé (85 hab/km2, contre plus de 300 en moyenne nationale), l’alimentation de la population, y compris agricole, repose largement sur des importations en provenance d’États limitrophes où les pratiques agricoles sont des plus conventionnelles. Du fait de la concurrence de ces mêmes importations, il est bien difficile pour les familles paysannes de vivre de leur activité. La pluriactivité est, de ce fait, généralisée et l’exode rural s’intensifie.
Bainville Sébastien a reçu des financements du métaprogramme METABIO de l'INRAE (2020-2023) et de l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du projet ANR-21-CE03-0016: Transindiandairy (2021-2026).
Claire Aubron, Marie Dervillé et Olivier Philippon ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
21.05.2025 à 16:10
Virginie Cartier, Energies Renouvelables, Economie Circulaire, Innovations Environnementales, RSE, UCLy (Lyon Catholic University)
Elisabeth Cazier, chercheuse, Nantes Université
Alors que GRTgaz s'est renommé NaTran début 2025, la consommation de gaz naturel devrait continuer à baisser. En cause, un contexte géopolitique tendu, auquel s'ajoute la nécessité de décarboner le secteur de l'énergie. Dans ces conditions, les politiques énergétiques doivent s'adapter… et les infrastructures gazières aussi.
Ces dernières années, la consommation de gaz naturel en France a fortement diminué, en raison de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, la hausse des prix et une réglementation relative à la construction neuve favorisant l'électricité.
Malgré tout, le réseau gazier français reste robuste, avec des interconnexions européennes multiples et des infrastructures adaptées – des réseaux de transport et de distribution, des infrastructures de stockages souterrains et des terminaux gaziers. L'avenir du secteur repose donc sur l'adaptation de ces infrastructures à d'autres vecteurs énergétiques.
La France, tout comme l'Union européenne au travers d'initiatives comme le plan RePowerEU, encouragent cette transition énergétique pour renforcer la sécurité d'approvisionnement et réduire la dépendance au gaz fossile d'ici à 2050.
Le fait que GRTgaz, le principal gestionnaire français du transport de gaz, soit devenu en janvier 2025 NaTran (pour Nature, Transport et Transition), pose question. Cela correspond-t-il à un changement de modèle économique ? À l'adaptation des infrastructures gazières à d'autres vecteurs énergétiques ?
Plus largement, la baisse de consommation de 5,5 % du gaz naturel en France en un an a-t-elle un impact sur l'équilibre financier des opérateurs gaziers ? Quelles impulsions proposent l'Europe (par le biais du plan RePowerEU) et la France dans le cadre de la prochaine Programmation pluriannelle de l’énergie (PPE) ?
Dans cet article, nous dressons un panorama de la situation actuelle et explorons les solutions envisagées pour sauvegarder ces infrastructures dans le cadre des politiques énergétiques françaises et européennes.
Notons en premier lieu que les opérateurs d'infrastructures observent une baisse notable de la consommation de gaz en France, consécutive à la guerre en Ukraine.
Alors que la Russie, fournisseur historique des pays européens, représentait en 2019 près de 41 % des importations gazières de l'UE par gazoduc et par terminaux méthaniers sous forme de gaz naturel liquéfié. Cette part est tombée à 14 % en 2023 avant de remonter à 18 % en 2024. L'interruption de la livraison de gaz russe a mis en évidence la dépendance énergétique européenne.
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La crise ukrainienne a également engendré une importante hausse du prix du gaz, de +70 % et +110 % par rapport à 2021, avec un prix moyen du gaz naturel facturé aux ménages français pouvant atteindre jusqu'à 96 €/MWh. Dès l'été 2022, les consommateurs, qu'ils soient industriels ou particuliers, ont donc été incités à la sobriété.
Par conséquent, la consommation brute de gaz naturel en France est passée de 474 TWh en 2021 à 361 TWh en 2024, ce qui représente une baisse de près de 23 %.
Cette évolution s'inscrit aussi dans le cadre de la réglementation énergétique française RE2020, en vigueur depuis janvier 2022, qui favorise le choix de l'électricité par rapport au gaz naturel afin d'améliorer la performance énergétique sur les logements neufs et lors des rénovations énergétiques.
À lire aussi : Les politiques publiques de rénovation énergétique des logements sont-elles efficaces ?
En France, la gestion du réseau de transport de gaz naturel est partagée entre deux opérateurs, NaTran et Teréga (anciennement TIGF), qui exploitent respectivement 32 600 km et 5 100 km de réseau.
Ce réseau intègre des points d'interconnexion aux frontières avec plusieurs pays européens : la Norvège par Dunkerque, la Belgique par Taisnières, l'Allemagne par Obergailbach, la Suisse par Oltingue et l'Espagne par Larrau et Biriatou.
Ces réseaux relient les points de livraison aux différents points névralgiques :
Quinze sites de stockage souterrain. Ils permettent une grande flexibilité de livraison grâce à de l'injection de gaz lorsque la consommation est faible, comme en été, et de soutirage en période de forte consommation, comme en hiver.
Quatre terminaux méthaniers. Ces usines regazéifient le gaz naturel liquéfié qui arrive par méthaniers des pays producteurs. Le gaz ainsi obtenu est injecté dans le réseau de transport. En octobre 2023, un terminal flottant a été mis en service au Havre afin de compenser la perte du gaz russe.
Alors que la France s'est fixée pour objectif de ne plus recourir au gaz naturel fossile en 2050, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) préconise l'adaptation des réseaux pour transporter du gaz décarboné, en injectant du biogaz ou de l'hydrogène bas carbone après adaptation des canalisations.
La méthanisation (ou digestion anaérobie) consiste en la dégradation de substrats organiques à l'aide de microorganismes en l'absence d'oxygène, générant ainsi du biogaz composé de biométhane (50-70 %), de dioxyde de carbone (30-50 %) et d'eau. Les substrats utilisés correspondent à des biodéchets, avec, en France, une dérogation de 15 % maximum de substrats en poids/an par des cultures alimentaires ou énergétiques cultivées à titre de culture principale.
S'il est injecté sur le réseau, le biogaz est purifié afin de respecter les spécifications réglementaires. Ainsi, en 2024, 13,9 TWh de biométhane, produit sur 731 sites de méthanisation ont été injectés, ce qui correspond à 4 % de l'énergie renouvelable en France. Le biogaz participe donc à la décarbonation du système gazier, avec des objectifs d'injection qui figurent dans la dernière PPE.
À noter cependant que l'Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le coût de production du biométhane est compris entre 55 et 90 euros par MWh. En comparaison, après une période de prix élevés en 2022 (début de la guerre en Ukraine), le prix moyen du gaz naturel sur le marché français s'élevait à 34 euros par MWh en 2024. L'opérateur NaTran estime qu'il pourrait atteindre 45 euros par MWh en 2025.
Aujourd'hui donc, le prix du biogaz n'est pas encore concurrentiel, sauf si le prix du gaz naturel s'envole.
La deuxième option envisagée est d'utiliser l'hydrogène comme vecteur énergétique. Il « peut changer la donne pour l'Europe », selon Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne lors de son discours du 14 septembre 2022. « Nous devons passer du marché de niche au marché de masse pour l'hydrogène » a-t-elle affirmé, mettant ainsi en avant l'importance de cette molécule pour l'avenir énergétique de l'Europe.
Selon son processus de production, l'hydrogène est désigné par différentes couleurs : gris s'il est obtenu par reformage du gaz naturel, bleu s'il est obtenu par reformage du gaz naturel couplé à la capture de dioxyde de carbone, vert lorsque produit par électrolyse de l'eau à partir d'électricité d'origine décarbonée et enfin rose si l'électricité est d'origine nucléaire, et blanc s'il est extrait du sous-sol.
Seuls les hydrogènes qualifiés de bleu, rose et vert sont actuellement considérés comme « bas carbone ».
L’hydrogène peut alors être acheminé vers l'utilisateur selon deux procédés :
Soit l'hydrogène est injecté à hauteur de 5 à 10 % pour enrichir le gaz transporté. Aucune modification d'équipement est alors nécessaire, que ce soit pour l'opérateur (détendeurs de pression, compresseurs) ou pour l'utilisateur final (brûleur). Cependant, avant le déploiement large d'un tel procédé, certains verrous réglementaires, économiques et techniques sont à lever.
Soit l'hydrogène injecté est pur, sans mélange avec le gaz transporté. Dans ce cas, une conversion partielle des canalisations est nécessaire. Elle permettrait d'économiser de 50 à 80 % des investissements par rapport à la construction d'un nouveau gazoduc.
Selon l'Observatoire européen de l'hydrogène, le coût actuel de l'hydrogène décarboné s'élève à environ 7 euros/kg, ce qui est supérieur au coût de l'hydrogène gris (non décarboné) évalué à 3,5 euros/kg. Pour optimiser les coûts de l'hydrogène bas carbone, les producteurs étudient la possibilité d'améliorer les technologies, d'augmenter les rendements de production, d'utiliser des matériaux plus performants afin de développer cette filière.
À lire aussi : L’économie de l’hydrogène, ou quand le rêve de Jules Verne se confronte aux réalités industrielles
À l'échelle européenne, le plan RepowerUE a lancé comme objectif la réduction de la dépendance énergétique de l'Union européenne et de renforcer la sécurité d'approvisionnement avec, en particulier, le développement de l'hydrogène décarboné.
En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) établi par les pouvoirs publics prévoit un important développement de la production de biogaz, avec comme objectif d'atteindre 50 TWh à l'horizon 2035 contre 12 TWh en 2023. La troisième PPE propose d'ailleurs de promouvoir le biogaz et l'hydrogène bas carbone.
Cependant, pour atteindre ces objectifs, des investissements financiers des pouvoirs publics et des entreprises sont indispensables. Dans un document récent, la Commission de régulation de l’énergie évalue le coût de l'adaptation des réseaux gaziers pour l'hydrogène et le biogaz entre 6 et 9,7 milliards d'euros d'investissement d'ici à 2050.
Salariée d'une filiale d'Engie (Storengy) jusqu'en 2012.
Elisabeth Cazier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.05.2025 à 16:10
Juan Diego Rodriguez-Blanco, Ussher Associate Professor in Nanomineralogy, Trinity College Dublin
Kristina Petra Zubovic, Researcher at the Department of Geology, Trinity College Dublin
Une nouvelle étude montre comment les microplastiques des paillettes perturbent les mécanismes de minéralisation dans l’océan. Les coquilles et squelettes de la faune marine sont affectés, mais pas seulement. Cela pourrait également modifier le cycle du carbone de la planète.
Les paillettes sont festives. Elles sont appréciées pour les décorations, le maquillage et les projets artistiques. Elles peuvent sembler inoffensives et mignonnes, mais les paillettes cachent une facette plus sombre. En effet, ces paillettes brillantes voyagent loin des tables de fête et des cartes de vœux. On peut finir par les voir scintiller sur les plages, rejetées par la marée.
Dans une de nos études récentes, nous avons découvert que les paillettes fabriquées à partir d’un polymère plastique courant appelé polyéthylène téréphtalate (PET) ne se contentent pas de polluer les océans. Elles pourraient interférer avec la vie marine lors de la formation des coquilles et des squelettes de la faune marine, ce qui est beaucoup plus grave qu’il n’y paraît.
Pour le dire simplement, les paillettes favorisent la formation de cristaux non prévus par la nature. Ces cristaux peuvent briser les paillettes en morceaux encore plus petits, ce qui aggrave encore le problème de pollution et le rend plus problématique à long terme.
Nous avons tendance à voir les microplastiques comme de petites perles de plastique qui proviennent des produits cosmétiques utilisés pour le gommage du visage ou encore des fibres de vêtements, mais les paillettes constituent une catégorie à part parmi les microplastiques. Elles sont souvent constituées d’un film plastique stratifié recouvert d’une couche de métal. C’est ce même matériau que l’on retrouve dans les paillettes des fournitures de bricolage, des cosmétiques, des décorations de fête et des vêtements. Elles sont brillantes, colorées et durables – et surtout toutes petites. Elles sont donc difficiles à nettoyer – et faciles à ingérer par les animaux marins, car elles ont l’air appétissantes.
Notre étude publiée dans la revue Environmental Sciences Europe suggère que ce qui distingue vraiment les paillettes des autres microplastiques, c’est la façon dont elles se comportent une fois qu’elles dans l’océan. Elles ne dérivent pas passivement, mais interagissent activement avec leur environnement.
Nous avons recréé en laboratoire les conditions de l’eau de mer et y avons ajouté des paillettes, afin de voir si les paillettes affectaient la formation des minéraux comme ceux que les animaux marins utilisent pour fabriquer leurs coquilles.
Et nous avons observé quelque chose d’étonnamment rapide, mais de malgré tout très cohérent : les paillettes donnent un coup de fouet à la formation de minéraux tels que la calcite, l’aragonite et d’autres types de carbonates de calcium. On appelle ce processus « biominéralisation ».
Or, ces minéraux sont les briques de base que de nombreuses créatures marines, dont les coraux, les oursins et les mollusques, utilisent pour fabriquer leurs parties dures. Si les paillettes perturbent ce processus, la vie océanique pourrait être gravement menacée.
Au microscope, nous avons constaté que les particules de paillettes agissaient comme de petites plates-formes pour la croissance des cristaux. Des minéraux se formaient sur toute leur surface, en particulier autour des fissures et des arêtes. Il ne s’agissait pas d’une accumulation lente : quelques minutes suffisaient pour que des cristaux apparaissent.
Cela peut compliquer les processus naturels. Les créatures marines nécessitent des conditions très précises pour donner à leurs coquilles la forme et la solidité voulues. Lorsque quelque chose d’imprévu arrive, comme des paillettes qui accélèrent la cristallisation, cela peut entraîner des perturbations. C’est comme si on faisait cuire un gâteau et que l’on faisait chauffer le four à 1 000 °C au lieu de 250 °C : on obtiendra peut-être toujours un gâteau à la fin, mais ce ne sera pas du tout celui que l’on espérait faire.
Pire encore, à mesure que les cristaux grossissent, ils appuient contre les couches de paillettes, ce qui les fait se fissurer, s’écailler et se briser. Cela signifie que les paillettes finissent par se transformer en morceaux encore plus petits, connus sous le nom de nanoplastiques, qui sont plus facilement absorbés par la vie marine et presque impossibles à éliminer de l’environnement.
Poissons, tortues, huîtres ou même plancton, les microplastiques sont consommés par la faune marine. Ils affectent la façon dont ces animaux se nourrissent, grandissent et survivent. Lorsque nous mangeons des fruits de mer, ces microplastiques se retrouvent finalement également dans notre propre alimentation.
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Mais nos recherches montrent que les paillettes ne se contentent pas d’être mangées. Elles modifient également la chimie de l’océan, d’une façon subtile mais importante. En favorisant le mauvais type de croissance minérale, les paillettes pourraient interférer avec la façon dont les animaux marins forment leurs coquilles ou leurs squelettes.
Le problème ne se limite pas à la faune marine. L’océan joue un rôle clé dans la régulation du climat de planète et la formation de minéraux fait partie de cette équation. Si la formation de carbonate de calcium dans l’océan change, cela pourrait également affecter le cycle de la planète, soit la façon dont le carbone se déplace sur la planète.
Alors, la prochaine fois que vous verrez des paillettes sur une carte d’anniversaire ou dans une palette de maquillage, rappelez-vous de ceci. Elles peuvent sembler inoffensives à première vue, mais dans l’océan, elles se comportent comme des trouble-fêtes tape-à-l’œil du délicat équilibre chimique de ces milieux. Ce qui nous semble brillant et tout petit peut agir comme un perturbateur majeur et silencieux pour le monde marin.
Surtout, une fois les paillettes dans l’océan, elles ne vont plus nulle part : elles y restent.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
20.05.2025 à 17:47
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans ce quatrième épisode, on prend la mer !
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
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Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
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Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.
Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.05.2025 à 08:43
Service Environnement, The Conversation France
Dans la stratosphère, l’ozone protège la vie sur terre en absorbant des rayons UV nocifs. Mais, en dessous, dans la troposphère, il est à la fois polluant et gaz à effet de serre. Les clés d’un paradoxe, expliquent Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).
Saviez-vous qu’il existe un « bon ozone » et un « mauvais ozone » ? Selon l’altitude où on la rencontre, la molécule est soit d’une absolue nécessité pour la vie sur terre, soit un gaz à effet de serre doublé d’un polluant néfaste pour la santé.
Naturellement présent dans notre atmosphère, l’ozone, du latin « ozein » (qui signifie « sentir », ce gaz ayant une senteur caractéristique qui permet de le détecter), a été identifié en 1840. L’ozone joue un rôle radicalement différent selon qu’on le rencontre dans la stratosphère (15 à 35 km d'altitude et où l’on retrouve 90 % de l’ozone atmosphérique total) ou dans la troposphère (moins de 10 km).
Dans la stratosphère, il joue un rôle de bouclier protecteur en absorbant la plupart des UV nocifs pour l’ADN du vivant. Dans les années 1980, les scientifiques ont pris conscience que les activités humaines avaient perturbé cette couche d’ozone, au point qu’un trou s’y développe chaque printemps, ce qui a entraîné la naissance du protocole de Montréal en 1987. Ratifié par 197 Etats, il a permis de limiter l’usage des substances problématiques, principalement des chlorofluorocarbures et des halons, utilisés notamment pour la réfrigération et la climatisation.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Dans la troposphère en revanche, l’ozone devient un polluant aux effets néfastes tant pour la végétation que pour la santé humaine. Cet irritant des voies respiratoires supérieures a également un effet phytotoxique sur les plantes, entraînant des pertes de rendement agricole. C’est un polluant dit « secondaire », produit sous l’effet d’un ensoleillement important et de températures favorables, avec des pics au printemps et en été, du fait de l’ensoleillement et de la durée du jour accrus. Il existe de nombreux précurseurs de l’ozone, comme les oxydes d’azotes (NOx) émis par le trafic automobile et l’industrie, ainsi que les composés organiques volatils (COV) générés par les activités humaines et par la végétation.
La stratégie de lutte contre l’ozone troposphérique est de réduire les émissions de gaz précurseurs. La principale difficulté : la chimie de l’ozone est non linéaire. Selon le dosage en NOX et COV, de l’ozone pourra être formé ou être détruit. Il en découle que si les réductions ne sont pas équilibrées, on pourra aboutir à encore plus d’ozone. Paradoxalement, c’est dans les campagnes, à quelques dizaines de kilomètres des villes, que les conditions sont réunies pour que les concentrations d’ozone soient plus élevées.
Comme l’ozone stratosphérique, l’ozone troposphérique est aussi une question globale : plus de 50 % de la mortalité qui en découle en Europe est associée à de l’ozone transporté depuis les dehors du continent. Il y a urgence : en 2021, l’exposition à court terme a causé 22 000 décès prématurés dans le vieux continent, et l’augmentation des températures devrait encore davantage favoriser la production d’ozone. Ce texte est la version courte de l'article écrit par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université)
Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).