Le Conseil des ministres, réuni mardi pour examiner le projet de loi controversé de stabilisation financière et de remboursement des dépôts, a conclu sa séance vers 20h après plus de neuf heures de discussions.
Le ministre de l’Information, Paul Morcos, a indiqué que l’examen des articles se poursuivait avec plusieurs modifications. « La discussion est arrivée à l’article 8, et certaines sections nécessitent un examen plus approfondi », a-t-il précisé. Une nouvelle séance est prévue vendredi à 10 h pour poursuivre les débats.
M. Morcos a résumé les principales conclusions du Conseil, notamment le maintien des engagements de l’État envers la Banque du Liban et la définition du déficit financier en collaboration avec celle-ci. « Il a également été décidé d’élargir le cercle des personnes concernées par les transferts (effectués illégalement alors que les banques étaient fermées au début de la crise) pour inclure les ministres en poste à l’époque, le gouverneur de la Banque du Liban et ses adjoints, les principaux directeurs de la banque, les membres de la Commission du contrôle des banques ainsi que les membres du conseil central », a-t-il souligné. Le montant minimum de remboursement aux déposants a été fixé à 1 500 dollars par mois.
Le ministre a ajouté que le gouvernement travaillerait à débloquer un grand nombre de comptes dans les mois à venir, tout en maintenant la question de l’audit juricomptable de la Banque du Liban. Le Conseil a également insisté sur la restitution des primes et bénéfices excessifs distribués en 2016 aux actionnaires et aux hauts responsables des banques, retirés ou transférés à l’étranger.
«Un examen attentif »
Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) a lui publié mardi un communiqué sur le projet de loi. Il y recommande au Cabinet « un examen attentif et constructif du projet afin d’y apporter les améliorations et clarifications nécessaires pour garantir équité, crédibilité et applicabilité pratique avant sa soumission au Parlement ».
« Nous soutenons la réduction du déficit financier par l’élimination des créances irrégulières, la segmentation des dépôts en catégories claires, et le remboursement progressif des déposants dans la limite de la liquidité disponible », a déclaré le gouverneur. Il a aussi insisté sur la répartition des responsabilités entre l’État, la BDL et les banques commerciales, soulignant que chaque acteur doit « assumer la part de responsabilité qui lui incombe ».
Le gouverneur a souligné la nécessité d’un programme de remboursement crédible. « Le remboursement des dépôts est un droit légal, pas une option politique. La crédibilité financière repose sur les actifs disponibles, la liquidité réelle et un calendrier de remboursement réalisable », a-t-il expliqué. Il a ajouté que le calendrier prévu pour la partie en liquidités « est ambitieux et pourrait être ajusté si nécessaire, sans nuire aux droits des déposants ».
Concernant le secteur bancaire, il a mis en garde contre toute approche qui viderait systématiquement les fonds propres des banques avant l’élimination des créances irrégulières. « Les banques commerciales sont le moteur central du crédit essentiel à la reprise économique. Les fragiliser nuirait aux déposants et compromettrait la relance du pays », a-t-il averti.
Des heures de discussion lundi
Par ailleurs, le groupe parlementaire du Courant patriotique libre (CPL) a annoncé au terme de sa réunion hebdomadaire son « opposition au projet de loi sur le trou financier dans sa version proposée », évoquant « la nécessité de faire justice à tous les déposants dans le sens de la restitution de leurs dépôts de manière claire et transparente ». Le bloc considère que « le projet de loi traite les déposants comme s'ils étaient des investisseurs et comme s'ils devaient supporter toutes les conséquences de la crise alors qu'ils sont des ayant-droits ». « Le projet proposé renouvelle l’injustice qui persiste depuis le 17 octobre 2019, car ses dispositions sont arbitraires en ce qui concerne la fixation du plafond des dépôts, leur durée et leur mode de remboursement, qui ne reposent pas sur des bases claires et des chiffres vérifiés », poursuit le communiqué.
Lundi, le gouvernement avait commencé l’examen du projet avec la participation du gouverneur de la BDL, dans l’objectif d’adopter le texte avant la fin de l’année. Après plusieurs heures de discussion, les ministres s'étaient arrêtés à l’article 4 sur les 16 que comprend le projet. « Conforme aux exigences du FMI dans les grandes lignes », selon le Premier ministre Nawaf Salam, le texte prévoit de répartir les pertes entre l’État, la BDL, les banques commerciales et les épargnants, dont le nombre était estimé à près d'un million avant l'effondrement économique sans précédent de 2019. Selon le document, les petits dépôts inférieurs à 100 000 dollars seront remboursés à leur valeur réelle sur une période de quatre ans, par versements mensuels ou trimestriels, selon le choix du titulaire du compte.
Plusieurs ministres ont pris part à l'élaboration de ce texte, notamment le ministre des Finances Yassine Jaber, de l'Économie Amer Bsat, ainsi que le gouverneur de la BDL Karim Souhaid. L'article 4 examiné lundi portait sur la manière de déterminer le « trou » financier après les audits des bilans de la Banque du Liban et des banques commerciales. Autrement dit, comment mesurer les pertes, et surtout qui serait appelé à les absorber. C’est ici que se joue le sort des fonds propres des établissements bancaires, selon le principe de hiérarchie des pertes : une logique défendue par le Fonds monétaire international (FMI), qui exige que les capitaux soient d’abord « remis à zéro », qu’ils encaissent la perte avant que les déposants ne soient davantage mis à contribution.
Selon certaines sources ministérielles, Nawaf Salam se montre déterminé à faire passer la loi sans les amendements qui en « détruiraient le cœur ». Son argument est politique autant que financier : le texte serait pour lui « réaliste » et « applicable », et tout retard accentuerait l’érosion de la confiance – celle des déposants, mais aussi celle des bailleurs et partenaires internationaux.
Une cinquantaine de personnes avaient manifesté lundi non loin du palais présidentiel à Baabda où se tenait le Conseil des ministres, pour dénoncer ce projet de loi jugé injuste. Plusieurs collectifs avaient pris part au sit-in, répondant à l'appel de l'association « Le Cri des déposants », notamment l'Union des déposants libanais expatriés et l'Union de la solidarité des déposants.
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