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Christophe MASUTTI

Hospitalier, (H)ac(k)tiviste, libriste, administrateur de Framasoft.

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07.07.2024 à 02:00

Organisation et production de texte

Les années passent et il est indéniable que les habitudes prises au fil du temps montrent leur efficacité au regard de la pratique plus que de la logique. Néanmoins, il me semble que mon organisation logicielle et mon flux de production peuvent intéresser. C’est pourquoi je vous les présente ici.

Les objectifs

  • Utiliser exclusivement des logiciels libres et des formats ouverts pour assurer la pérennité de la production dans le temps ;
  • Pouvoir utiliser les logiciels que je veux (et au fil de mes découvertes) indépendamment de l’organisation de mes fichiers pour ne pas dépendre d’un logiciel en particulier ;
  • Ne pas se retrouver prisonnier d’un format, fût-il libre ;
  • Assurer la sauvegarde de mes sources et de mes travaux ;
  • Pouvoir travailler sur plusieurs machines, à plusieurs endroits si je le souhaite.

Les choix stratégiques

Ayant l’habitude de travailler avec une suite bureautique comme LibreOffice et les formats ouverts, il me fallait trouver un processus qui soit capable de produire de tels formats. En revanche, l’utilisation de logiciels de traitement de texte, comme LibreOffice Writer, est assez lourde : bien qu’il soit possible d’utiliser les raccourcis claviers, l’ensemble propose une pléthore de menus et autres options qu’il n’est finalement pas pertinent d’avoir à disposition lorsqu’on produit du texte. Par ailleurs, la règle qui prévaut avec les suites bureautiques consiste à s’occuper de la mise en page après avoir produit du texte. Dans ce cas, pourquoi ne pas séparer les deux processus ? Séparer la production de texte de sa valorisation finale.

Il existe, d’un côté, des outils pour produire et organiser et, de l’autre côté, des outils pour finaliser et mettre en page. Se concentrer sur la production implique cependant d’avoir des outils spécifiques : faciliter l’écriture, y compris du point de vue ergonomique, permettre d’interagir facilement avec d’autres logiciels (gestion bibliographique, synchronisation des fichiers, etc), privilégier le texte dans l’interface sans l’enfermer dans un formatage dont il sera difficile de s’extraire par la suite.

C’est là qu’un troisième terme intervient : la conversion. À partir d’une production essentiellement textuelle, il doit être possible de convertir la production vers des formats soit directement destinés à être transmis, soit destinés à entrer dans un flux de mise en page spécifique. Par exemple, je convertis du texte vers un format LaTeX pour peaufiner une mise en page ou je le convertis vers un format ODT pour le transmettre à une autre personne qui a besoin de ce format, ou bien encore je produis du HTML ou du epub pour d’autres usages encore. Et cette conversion doit être la plus « propre » possible.

Les outils de production doivent être choisis en fonction des goûts et des pratiques. Comme il s’agit de texte, c’est donc vers les éditeurs de texte qu’il faut se tourner. Parmi ceux-ci, certains sont plus spécialisés que d’autres ou disposent d’options et d’extensions utiles à la production elle-même ou visant à améliorer la pratique de l’utilisateur.

Le format de référence

S’agissant d’un format dont la permanence dans le temps doit être assurée, le format devrait reposer sur une base de texte (plain text), écrit directement dans l’éditeur, formaté de manière simple et lisible humainement. Pour cela on laissera la possibilité d’exprimer des directives de mise en page et de hiérarchisation du texte, faciles à apprendre et gênant le moins possible la lecture. Au lieu de se contenter de texte simplement exprimé, on utilisera le langage markdown, un langage de balisage léger, simple à l’apprentissage comme à l’écriture et qui ne gêne pas la lecture (surtout si l’éditeur dispose d’une interprétation du markdown).

L’organisation

J’utilise une interprétation personnelle de la méthode Zettelkasten pour gérer mes connaissances et mes notes. Cela suppose une gestion rigoureuse des dossiers et des fichiers.

J’utilise aussi un logiciel de gestion bibliographique (Zotero) et un logiciel de gestion de livres numériques (Calibre), et j’apprécie l’utilisation d’un correcteur grammatical (comme Grammalecte).

Je sauvegarde mes sources et mes productions finales sur un serveur distant avec Nextcloud. Je travaille mes textes en les synchronisant avec Git sur un serveur Gitlab. Tandis que Nextcloud me permet d’avoir accès à mes sources depuis n’importe quel dispositif (tablette, liseuse, téléphone portable et ordinateur), travailler avec Git me permet de synchroniser lorsque je travaille sur différentes machines et de versionner mes productions intermédiaires et mes notes. Pour la bagatelle, l’ensemble est de toute façon sauvegardé de manière quotidienne sur un autre serveur avec Borg backup/Borgmatic.

Le choix des éditeurs

Un éditeur de texte doit comprendre à minima une coloration syntaxique permettant de visualiser les balises markdown. Mais ce n’est pas suffisant pour travailler sur des articles de recherche académique, par exemple. Il faut pour cela que l’éditeur puisse :

  • proposer une interface agréable et hautement configurable pour une utilisation quotidienne,
  • permettre d’écrire « au kilomètre » sans avoir besoin de saisir la souris à la moindre occasion,
  • permettre si possible une interaction avec un logiciel de gestion bibliographique, par exemple pour saisir facilement les clés de références bibliographiques citées,
  • proposer divers outils destinés à l’organisation de l’écriture : l’arborescence des fichiers, une navigation dans le texte, un gestionnaire de mots-clés pour les références croisées, une correction orthographique et grammaticale, etc.
  • permettre de temps à autre une interaction avec le reste du système d’exploitation, par exemple avoir accès au terminal pour lancer des commandes de conversion, ou de gestion de fichiers,
  • avoir accès à des petits programme de conversion « intégrés » pour un premier aperçu des résultats de production finale

Certains éditeurs de texte proposent tout cela en même temps, avec un système de plugins et il est parfois facile de se noyer dans la configuration d’un éditeur de texte. Comprenez : un éditeur de texte digne de ce nom doit pourvoir s’adapter à la pratique de son utilisateur, et non l’inverse. Si bien que les besoins étant relatifs, les solutions qui se présentent dans le monde des logiciels libres sont quasiment infinies. Il est même possible de programmer son propre plugin et refaire tout le mapage des commandes si on prend le cas des éditeurs Emacs ou Vim.

J’ai donc porté mes choix vers plusieurs éditeurs qui correspondent à mes usages et me permettent de choisir l’un ou l’autre selon mes envies et ce que je prévois de faire durant une session de travail :

  • Zettlr : parce que ce logiciel a été pensé littéralement pour la production de textes scientifiques,
  • Vim : parce qu’il s’utilise dans le terminal et qu’un Vim bien configuré avec les bons plugins est très efficace (plugins utilisés: vim-pandoc, vim-pandoc syntax, Nerd Tree, Grammalecte, vim-airline…)
  • Gedit : un éditeur simple, prêt à l’emploi, sans fioritures.
  • On peut aussi citer les éditeurs spécialisés pour markdown tel Ghostwriter.

Pourquoi ne pas…

  • Utiliser Emacs ? je l’ai fait et le ferai encore. En ce moment c’est Vim. Emacs propose, du point de vue de mes besoins, les mêmes possibilités.
  • Utiliser directement LibreOffice : certes les extensions de type Zotero et Grammalecte sont disponibles pour LibreOffice, et il est possible d’exporter depuis LibreOffice dans de nombreux formats. Par contre, LibreOffice ne propose pas une interface que je puisse conformer à mes usages et mes besoins, et tout particulièrement la possibilité d’écrire au kilomètre sans que mes mains quittent le clavier pour se saisir à tout bout de champ de la souris. Je réserve donc LibreOffice à un autre usage en fin de processus.
  • Utiliser des logiciels de gestion de notes comme Obsidian ou Logseq : parce que justement leur usage spécialisé est trop éloigné de mes usages académiques.

L’organisation

Rien ne vaut un bon vieux diagramme !

Flux de production

Comme on peut le voir, quatre dossiers principaux sont en jeu : Bibliographies, Templates, Notes, Travaux. Je ne sors pas de ces dossiers et ils sont systématiquement synchronisés avec Git sur un dépôt Gitlab.

Bibliographies : il contient les fichiers bibliographiques que j’utilise et tout particulièrement un fichier .json généré avec Zotero et qui se met à jour automatiquement à chaque ajout dans Zotero. C’est sur ce fichier que pointent mes éditeurs (Zettlr et Vim) pour interagir avec la bibliographie et entrer les clés de références.

Templates : il contient les styles et modèles utilisés pour les productions en sortie de flux. À savoir : les fichiers .csl pour les styles bibliographiques utilisés, les fichiers css utilisés pour sortir des fichiers HTML ou certains PDF, ou encore des modèles .odt qui me permettent de plaquer directement des styles à une sortie .odt « brute ».

Notes : Il s’agit de mes fichiers d’écriture selon la méthode Zettelkasten.

Travaux : là où sont rédigés les textes destinés à sortir du flux, par exemple des articles destinés à la publication. Notons que les sorties elles-mêmes n’ont pas vocation à être versionnées avec Git (seuls les fichiers sources le sont), et sont donc exportées dans d’autres dossiers (sauvegardés sur Nextcloud).

La conversion et la production

Pour convertir les fichiers markdown vers toutes sortes de formats (odt, html, pdf, docx pour l’essentiel), j’utilise Pandoc. Ce dernier présente de nombreux avantages :

  • une version de Pandoc est directement intégrée à Zettlr
  • il permet d’utiliser les templates et les moteurs qui configurent la sortie voulue, par exemple un fichier .css qui sera utilisé avec le moteur de rendu wkhtmltopdf pour produire un PDF avec une mise en page satisfaisante, ou encore un fichier .tex qui contient déjà les en-têtes voulus pour produire un beau PDF, etc. Voir pour tout cela le manuel de Pandoc.
  • surtout il permet d’utiliser le moteur Citeproc et les fichiers CSL qui formatent la bibliographie dans le fichier de sortie.

Cependant, j’utilise LaTeX et LibreOffice souvent en phase de pré-production. Par exemple, lorsque je soumets un article à un comité de lecture, ce dernier souhaite un fichier odt ou docx et propose des corrections sur ce fichier ; c’est donc LibreOffice qui entre en scène. Il faut alors quitter le flux de production personnel pour envisager un nouveau flux. Autre situation : je convertis le markdown en .tex lorsque le modèle utilisé ne suffit pas à obtenir une mise en page spéciale et qu’il faut travailler cette fois directement avec LaTeX (bien que, en utilisant Pandoc, il soit possible d’intégrer directement du code LaTeX dans le fichier markdown).

Dans tous les cas, l’essentiel du travail se fait en amont et un article finalisé (et publié) réintègre toujours le flux pour en avoir une version markdown finale.

Un mot sur les autres logiciels

  • Zotero : ce logiciel de gestion bibliographique est fort connu. Il présente l’avantage de pouvoir être utilisé dans les autres logiciels avec ses plugins : dans Firefox pour sauvegarder une référence automatiquement, dans Vim, dans Zettlr, dans LibreOffice. Il permet aussi de stocker les articles et autres sources référencées soit sur le serveur de stockage de Zotero (payant) soit sur un Nextcloud (via le protocole webdav).
  • Calibre : c’est un logiciel de gestion de livres numériques. Ma collection étant assez importante, il me fallait pouvoir gérer cela autrement qu’avec Zotero, d’autant plus que j’y branche ma liseuse ou ma tablette en vue d’une lecture sur un autre support que l’ordinateur.

Astuces

Je ne vais pas ici vous expliquer comment configurer Vim au poil. Cela demanderait un développement assez long. Mais je vous conseille pour débuter le petit livret de Vincent Jousse, Vim pour les humains. Vous y apprendrez comment prendre en main Vim rapidement et comment installer des plugins. Le reste ira très bien.

Pour commencer avec Zettlr, c’est plus simple : dès l’installation de ce logiciel un tutoriel très bien fait et entièrement en français vous sera proposé.

Le markdown en un tutoriel pour historiens : Dennis Tenen et Grant Wythoff, Rédaction durable avec Pandoc et Markdown.

Comment faire avec Zotero pour obtenir un fichier (.bib ou .json) de bibliographie qui se mettra à jour automatiquement ? Voici :

  • Installez le Plugin Better Bibtex pour Zotero,
  • Dans Zotero, sélectionnez la bibliothèque que vous souhaitez exporter, clic droit puis Exporter la bibliothèque,
  • Sélectionnez le format Better BibTeX Json et cochez la case Garder à jour
  • Sauvegardez et entrez le chemin vers ce fichier dans Zettlr (ou dans votre .vimrc pour configurer le plugin Vim-Pandoc)
  • Désormais, lorsque la bibliothèque Zotero subira des modifications, le fichier d’export sera toujours à jour (et vous retrouverez vos nouvelles références)

04.06.2024 à 02:00

Guide de survie du vététiste débutant en moyenne montagne

Voici un long billet dont j’ai remis la rédaction depuis bien trop longtemps. Il s’adresse aux grands débutants en VTT qui souhaitent s’y mettre. S’agissant de réflexions tirées de mon expérience personnelle dans les Vosges, il faut considérer que je m’adresse essentiellement aux débutants vététistes en moyenne montagne. Quatre grands thèmes sont abordés : la pratique du VTT, le choix d’un premier VTT, l’équipement et l’entretien.

(màj. juin 2024)

Table des matières

Il faut parfois s’accrocher pour ne pas se perdre parmi les différentes appellations qui désignent les pratiques du VTT. Ce n’est pas qu’elles soient nombreuses, c’est surtout qu’elles sont parfois utilisées de manière indifférenciée. Ainsi, certains sites ou vendeurs vous conseilleront exclusivement un VTT tout-suspendu pour la pratique du « All Mountain », tandis que d’autres vous diront que le semi-rigide comme le tout suspendu conviennent, car il ne s’agit que de randonnée sportive, soit du Cross country…

Les pratiques du VTT

Nommer la pratique que l’on souhaite avoir, c’est aussi conditionner le choix du matériel et donc son achat. Mon avis personnel, c’est que certains sites internet ont tendance à pousser le choix d’un VTT tout suspendu alors que le client débutant en est encore à se questionner sur les équipements de freins et transmission. En contraste, je n’ai encore jamais vu un bon vendeur dans un magasin de cycles soutenir mordicus que le client devrait obligatoirement choisir un type de VTT plutôt qu’un autre : le conseil doit être technique et comparatif dans une même gamme, mais la pratique appartient au pratiquant.

C’est pour cela qu’il faut d’abord réfléchir à la pratique que l’on souhaite. Il faut pouvoir faire confiance au vendeur et à ses conseils, mais auparavant il faut aussi savoir lui communiquer vos attentes. Il ne peut pas les deviner si vous ne savez pas répondre à ses questions ou si vous répondez sans réellement savoir ce que vous voulez.

Nous reviendrons plus loin sur l’éternelle question du choix entre un tout-suspendu et un semi-rigide.

Mais c’est quoi « le VTT » ?

Comme son nom l’indique en français, il s’agit de « vélo tout terrain ». En anglais, il s’agit de vélo de montagne (Mountain Bike). Bien que la version anglophone ai longtemps eu cours, je trouve que la version francophone est bien mieux adaptée : on peut utiliser un VTT sur chemin de campagne dans les collines sous-vosgiennes comme sur les pires aiguilles des Alpes. L’essentiel est que cela puisse rouler sur tous les terrains (il paraît que certains en font en Bretagne, c’est tout dire).

La seule chose que vous tâchez d’éviter, c’est la route, le bitume. Premièrement parce que vous risquez de vous y ennuyer en ayant l’impression de ne pas avancer. Deuxièmement parce que vos pneus et la géométrie d’un VTT ne sont pas faits pour cela.

Il y a plusieurs manières d’aborder le VTT. La première, c’est la petite promenade du dimanche sur des chemins de terre. C’est plus tranquille que sur la route, pas de voiture. Si tel est votre souhait, je ne pense pas qu’il soit utile de lire plus loin. Vous achetez un VTT assez bas prix (en dessous 500 euros, c’est tout à fait envisageable). Si vous en prenez soin, il saura vous durer. Mais un VTT ne sera peut-être pas votre choix le plus éclairé : il existe des vélos « tout chemin » (VTC) qui seront sans doute plus appropriés et, à l’occasion, vous permettront de faire des randonnées plus longues et plus confortables en alternant voies communales et pistes cyclables1.

La seconde et principale manière d’envisager le VTT, c’est le sport. De part sa géométrie, un VTT est d’abord un vélo sportif. Tout comme l’est celle du vélo de route (de course). Et comme toute discipline sportive, cela nécessite un entraînement régulier.

Le VTT n’a certes pas le monopole de la difficulté en sport, mais il faut reconnaître que ce n’est pas une discipline très simple. D’abord, il y a un aspect matériel à prendre en compte. Et surtout, il faut acquérir de l’endurance et de l’aisance de pilotage. Débuter le VTT comme sport vous engage à envisager quelques séances un peu décourageantes et ingrates devant les terrains accidentés et les montées interminables. Mais dès le début vous y trouverez beaucoup de plaisir et de satisfaction pour les distances et le dénivelé accomplis.

Simplement, essayez de choisir des circuits avec des points de vue, donnez-vous des objectifs, et ne présumez pas de vos forces. Soyez conscient·e de votre niveau. Si vous êtes blême en haut des marches et des racines, ou si vous avez le cœur en dehors de sa boîte au milieu d’une côte trop raide, il n’y aucune honte à descendre du vélo et faire quelques pas. Ne vous inquiétez pas, de toute façon, vous descendrez de vélo plus souvent que vous ne le croyez :)

Puisque nous parlons de sport, c’est l’occasion de rappeler quelques principes :

  • la régularité : la météo ne doit pas être une excuse pour ne pas rouler. C’est désagréable, certes, mais un petit coup de froid ne fait pas de mal. Par contre, n’oubliez pas les descentes, n’allez pas vous transformer en glaçon. J’ai coutume de ne pas sortir le VTT en dessous 5 degrés à moins d’un grand soleil. Mais vous trouverez toujours quelques givré·es pour le faire quand même. La grosse pluie, en revanche, il vaut mieux l’éviter : le vélo est tout terrain, mais la transmission et les suspensions prennent cher lorsqu’il y a trop d’humidité (et gare au nettoyage).
  • la mixité : le VTT est un sport, mais il ne doit pas vous empêcher d’en faire d’autres. La course à pied est un excellent complément pour travailler l’endurance. La natation vous aidera à obtenir plus de gainage (et aussi de l’endurance) tout en préservant vos articulations. Et chaque matin, un peu de musculation (sangle abdominale et pompes) pour améliorer votre pilotage, votre équilibre et résister aux longues sorties.
  • mon conseil : si une sortie VTT est votre seule pratique sportive de la semaine, vous risquez de ne pas beaucoup progresser. Essayez, lorsque viennent les beaux jours, de faire au moins deux sorties par semaine, une courte une longue, et alternez avec de l’endurance et du gainage. En hiver, si vous ne sortez pas le VTT du week-end à cause de la météo, faites une séance de trail à la place, au moins deux heures, pour garder le « coffre ».
  • en fonction de votre pratique (voir les sections suivantes), votre entraînement ne sera pas le même. Si vous vous lancez dans l’Enduro, je vous conseille de faire pas mal de musculation. Pour le Cross country, privilégiez le cardio.

Ces considérations étant exposées, intéressons-nous désormais aux différentes pratiques du VTT.

All mountain (on dit : Cross country, en fait)

C’est l’expression-valise pour dire « randonnée sportive sur chemins mixtes ». Par chemins mixtes, j’entends aussi bien des sentiers qui nécessitent un peu de pilotage technique (en descente comme en montée) et des grands chemins forestiers, le tout avec une certaine technicité des sentiers.

Et vous allez demander : n’est-ce pas justement la définition du VTT ? Et bien si, justement. Cette expression est selon moi purement issue du marketing, en particulier sur les sites de vente en ligne de matériel sportif. Si on multiplie les appellations de pratiques, on multiplie par conséquent les choix possibles.

Si je vous disais par exemple qu’un VTT tout-suspendu est essentiellement fait pour la descente, vous hésiteriez à juste titre car pour la plupart des gens, descendre des sentiers en vélo est forcément dangereux. Or, il a bien fallu multiplier les ventes de VTT tout-suspendus en les adaptant à ces personnes qui veulent un tel VTT sans pour autant se lancer dans la discipline Enduro. J’exagère à peine : le tout-suspendu a largement gagné le créneau du Cross country, mais comme je vais l’expliquer plus loin, c’est à certaines conditions seulement que ce choix doit être fait, et il est nullement obligatoire.

En fait, il n’y a que deux grandes pratiques de VTT, elles sont citées dans les sections suivantes. Et le choix d’un VTT tout suspendu ou semi-rigide est surtout un choix relatif à la manière de pratiquer et à l’investissement financier.

En moyenne montagne, pour un débutant, il n’y aura pas de grande différence entre un VTT semi-rigide 29 pouces et un tout-suspendu. Pour tout dire, on peut aimer le tout-suspendu parce que dans les grands chemins forestiers, on ressent moins de vibrations, et dans certains sentiers en descente on peut parfois engager un peu mieux des dénivelés… inattendus (parfois l’erreur de pilotage peu être plus facilement corrigée). Mais on aime aussi le semi-rigide car il est beaucoup plus nerveux en montée, il est plus léger, il est plus précis en pilotage dans beaucoup de situation, et les sensations sont plus authentiques. Certains diront même que le tout-suspendu, parce qu’il permet de corriger un peu trop facilement les erreurs de pilotage, fausse carrément les sensations normales d’un VTT (hors enduro). Bref, c’est en pratiquant que l’on se forge une opinion.

Pour résumer à propos du All Mountain :

  • ce n’est pas une pratique précise,
  • souvent employé comme un argument de vente,
  • c’est plutôt du Cross country.
Sans commentaire.

Enduro et DH (DownHill):

Là, c’est du sérieux. Ces pratiques concernent essentiellement la descente. Je les mets dans le même sac car ce n’est pas vraiment l’objet de ce billet. DH et Enduro sont des courses chronométrées. Les épreuves d’Enduro (comprendre au sens de endurance) durent parfois une dizaine de minutes et s’étalent sur plusieurs jours. Le VTT Enduro peut être utilisé en montée comme en descente (même si, forcément, ce ne sera pas une bête de course en montée, hein?), il est aussi réputé très solide car il faut tenir le choc, justement, sur la durée. La pratique DH est encore plus spécialisée, avec du matériel hyper modifié. Bref, si vous voulez faire comme dans les superbes vidéos Redbull et quitter le sol pour le meilleur (ou pour le pire), cette pratique est faite pour vous. Achetez-vous aussi une caméra, histoire de garder des souvenirs.

Dans les Vosges, plusieurs groupes de vététistes ont aménagé des circuits dédiés, plus ou moins réglementaires. On peut citer celui du côté de Barr, qui est en fait un ancien spot de championnat, me suis-je laissé entendre. Ce sont eux qu’on accuse souvent de dégrader les sols, mais ce n’est pas toujours vrai. Je connais certains spots où la roche côtoie le chemin bien solide et il n’y a pas vraiment de problème. Mais il existe aussi des Bike Park (par exemple celui du Lac Blanc). Si vous voulez tester, je préconise de vous y rendre.

Autre point important : ne vous prenez pas pour un·e champion·ne. L’Enduro ne s’improvise pas, et ce n’est pas parce que vous avez un VTT tout-suspendu que vous pouvez, du jour au lendemain, prendre un élan inconsidéré. Le pilotage, cela s’apprend ! Avec un groupe d’ami·es on peut facilement chercher à impressionner les copain·es. Croyez-moi, après 30 ans de pratique2 : le seul résultat vraiment impressionnant quand on se plante, c’est celui de l’hélitreuillage :)

VTT Enduro -- Nissan DH Cup in Bouillon - 53, by Nathan. F, CC BY-NC-SA 2.0.

Cross country

On nomme cette pratique aussi X-Country ou, plus court, XC. C’est la pratique la plus répandue et présente aux jeux olympiques : une course de rapidité, en somme, sur des terrains variés, quelle que soit la météo.

Au niveau du grand public, ce qui distingue les pratiquants, ce sera la vitesse, l’allure, le rythme. On oscille entre la randonnée, la randonnée sportive et l’entraînement marathon. En moyenne montagne, la grande variété des terrains offre la possibilité d’élaborer des circuits adaptés à toutes les phases de l’entraînement, y compris de longues distances.

À la différence de l’Enduro, le Cross country ne cherche pas à jouer avec le terrain mais optimiser le pilotage pour une trace fluide et rapide. L’endurance du cycliste est ainsi mise à l’épreuve, mais cela n’empêche nullement de considérer le Cross country comme un excellent moyen de se déplacer sportivement dans la montagne et en profiter pour admirer le paysage et les sites d’intérêt. C’est d’ailleurs l’essentiel pour la plupart des pratiquants.

Évidemment, si vous voulez progresser, c’est l’entraînement qui fera la différence (comme pour l’Enduro).

Cette variété au niveau de la pratique comme au niveau du pilotage conditionne le choix de votre monture. Et ce sont sans doute les seuls critères qui devraient présider ce choix, en plus de votre condition physique et l’analyse de votre niveau.

VTT Cross country (course) - 2012 Absa Cape Epic Prologue at Meerendal by mikkelz, CC BY-NC-SA 2.0.

Choisir votre type de VTT

J’ai bien conscience qu’en abordant ce chapitre, je risque de m’attirer les foudres des plus spécialistes d’entre nous. Je précise donc une nouvelle fois que je m’adresse au débutant vététiste dans les Vosges (et plus généralement en moyenne montagne) d’après mon expérience personnelle. C’est tout.

Quand j’étais jeune…

Au risque de passer pour un vieux briscard, voici quelques éléments de contexte.

Je vous invite tout d’abord à regarder quelques vidéos qui traînent sur les zinternets à propos de Gary Fischer. Ce dernier, pionnier du Mountain Bike californien était aussi concepteur et chef d’entreprise (la marque Gary Fischer, disparue vers 2010, rachetée par Trek). Il faut voir dans cette vidéo ce qu’on peut faire avec un vieux biclou 29 pouces sans suspension, en descendant des chemins en jeans, chemise et gants de chantier… tout cela pour vous dire (vous rappeler ?) que ce qui fait le bon vététiste, c’est avant tout les cuissots et le pilotage. Indépendamment de sa qualité et sa robustesse, le matériel, lui, sera toujours secondaire.

Cette première leçon venue du fond des âges du VTT (les années 1970) vaut bien un fromage. Pour ce qui me concerne, j’ai commencé exactement en 1989 avec un Gary Fischer Advance. Caractéristiques : freins V-brake, roues 29 pouces, tout rigide, selle rembourrée… Et avec ce VTT, j’ai roulé 5 ans dans tous les chemins autour de la Vallée des Lacs (Hautes Vosges), sur le granit mouillé comme sur l’herbe sèche des crêtes vosgiennes. Une excellente école pour le pilotage. Ma conclusion est que les VTT d’aujourd’hui, équipés de freins à disques, de jeux de transmission high-tech, de cadres à géométrie confortable, sont certes beaucoup plus sûrs qu’à l’époque, mais présentent aussi un très large choix en termes d’équipement, ce qui rend assez difficile le choix d’un premier achat.

Par conséquent la pression est très forte, pour un débutant : comment bien investir son argent dans un VTT s’il ignore encore sa pratique réelle, la fréquence de ses entraînements, les conditions de ses sorties, les chemins qu’il empruntera ?

VTT Gary Fisher ProCaliber 1991.

Louer un VTT puis investir (ou pas)

Si vous n’avez jamais fait de VTT, bien évidemment : n’achetez rien pour l’instant. Trouvez un loueur de VTT3 et partez faire un tour quelques heures avec une personne déjà pratiquante (et qui essaiera de ne pas vous dégoûter en étant pédagogique et patiente). Faites cela plusieurs fois de suite. Les quelques euros que vous aurez alors dépensé dans la location d’un VTT seront vite amortis parce que vous aurez une idée beaucoup plus précise de la discipline.

Une fois que vous le sentez, commencez à vous intéresser à l’achat de votre premier VTT. J’ai bien dit : le « premier » VTT. Parce qu’il y en aura d’autres.

Bien sûr votre capacité d’investissement dépend de la largeur de votre portefeuille. Mais s’il s’agit de votre premier VTT, c’est aussi le VTT :

  • avec lequel vous allez commettre des erreurs,
  • avec lequel vous allez affiner votre pratique, celle qui vous conduira à acheter votre second VTT,
  • avec lequel vous aller apprendre comment s’entretient un VTT au quotidien et même changer des équipements complets.

Et comme c’est votre premier choix, et il y a des chances qu’il ne vous corresponde pas à l’usage (quelle que soit la qualité du conseil du vendeur).

Il y a plusieurs stratégies possibles.

La première consiste à investir pour un VTT de milieu de gamme que vous roulerez un à deux ans. Si la pratique vous plaît et que vous pensez pouvoir investir plus sérieusement, vous pourrez alors revendre ce premier VTT et racheter un VTT plus haut de gamme et cette fois avec de la pratique et une meilleure connaissance du matériel. Pour revendre ce VTT, l’important est de bien en prendre soin. C’est autant d’argent que vous pourrez sauvegarder le moment venu.

La seconde, consiste à acheter un VTT entrée de gamme pour le revendre une bouchée de pain par la suite ou le convertir pour un autre usage en le « transformant » en vélo de ville ou tout chemin. À condition de planifier cela à l’avance. Vous achetez ensuite un VTT plus haut de gamme.

La troisième consiste à acheter d’emblée un VTT haut de gamme chez un constructeur disposant de beaucoup de choix dans une même gamme. Explications : au sein d’une même gamme vous trouvez les mêmes cadres mais un équipement de transmission, freins et suspension plus ou moins haut de gamme. Plutôt que de taper directement dans le must de l’équipement, vous pouvez choisir un équipement moins bon, et le faire évoluer dans le temps, par exemple au fur et à mesure des changements de pièces. Cela vous coûtera in fine plus cher, mais la dépense restera progressive.

La quatrième, enfin, la plus simple : vous êtes absolument sûr·e de votre choix. Vous avez assez d’argent et vous investissez pour un VTT censé vous durer longtemps, donc vous mettez le paquet. Attention toutefois, on ne compte plus le nombre de VTT de ce genre qui croupissent au fond des garages dans l’espoir d’une hypothétique remontada de la motivation…

Mon conseil serait le suivant. Il est très difficile, lorsqu’on débute, de bien différencier les constructeurs entre eux. Pour prendre quatre exemples : Giant, Scott, Lapierre, Trek. Chacun a breveté des géométries de cadre très différentes et qui changent selon les gammes. Rendez-vous dans les magasins et les démonstrations. Prenez votre temps et chaque fois que vous le pouvez, essayez les vélos à votre taille.

Pour un premier VTT, je pense qu’il faut éviter d’acheter en ligne sans avoir d’abord essayé, au moins être monté sur le vélo en compagnie d’un vendeur avisé qui saura vous dire si votre position est correcte. Il m’arrive parfois de voir des géants sur des vélos trop petits pour eux bien qu’ils indiquent la bonne taille dans la grille des correspondances du constructeur. La longueur de vos bras et votre port de tête sont tout sauf standardisés. De même il peut s’avérer parfois nécessaire de changer la potence ou le guidon… un essai de 5 minutes peut vous donner une bonne impression alors qu’une sortie de 3 heures vous en donnera une toute différente.

Pour conclure, pour un grand débutant, je préconise un achat d’abord entrée de gamme à revendre ou à recycler ensuite. La raison est que, à ce stade, vous n’êtes tout simplement pas sûr·e de pratiquer assez régulièrement le VTT sur plusieurs années.

Mais attention, lorsque j’écris « entrée » de gamme, je n’écris pas « bas » de gamme au sens péjoratif du terme ! Aux tarifs actuels, il faut compter entre 800 et 1.000 euros pour un VTT entrée de gamme qui puisse être assez qualifié pour une pratique sportive. On est loin du VTT Décat' à 400 euros. Pourquoi ? parce que, quelle que soit votre premier choix, il y a un niveau d’équipement en dessous duquel il ne faudra pas descendre. Mes préconisations minimales seraient :

  • fourche à suspension air,
  • roues / jantes 29 pouces compatible tubeless,
  • transmission Shimano Deore (ou équivalent Sram, cf plus loin),
  • de bon pneus type Maxxis Forekaster ou Rekon Race (ou équivalent, mais vous pouvez les changer facilement si besoin).

Si vous avez cela sur le vélo, c’est un VTT qui devrait vous durer assez longtemps pour un coût d’entretien modique (changement de pièces) ou plus onéreux si vous upgradez le tout.

Cadre aluminium ou carbone ?

On peut dire beaucoup sur l’avantage du carbone. Le point le plus évident est la légèreté (mais c’est aussi plus fragile).

Mais attention : les cadres aluminium pour un VTT aux alentours de 1.000 euros s’avèrent de très bonne qualité et assez légers surtout si on n’alourdit pas en tout-suspendu. Dans le haut du panier en aluminium, parfois mieux vaut acheter un bon cadre aluminium qu’un cadre carbone bas de gamme qui percera à la première pierre projetée par votre roue avant.

La question du poids, pour un premier VTT, me semble une question hors de propos. En effet, si vous achetez un VTT suivant les préconisations minimales ci-dessus, la différence avec d’autres VTT plus chers se mesure à 2 kg près (davantage si vous prenez un tout-suspendu). Or, ce qui fait la différence à votre niveau de pratique, ce sont surtout vos jambes : contentez-vous déjà de pédaler, vous optimiserez en perdant déjà du poids vous-même et en prenant de la masse musculaire.

L’autre point à l’avantage du carbone est sa rigidité. Cela implique une meilleure transmission de l’énergie… mais franchement quand vous en serez à comparer l’alu et le carbone selon ces critères là, vous n’aurez pas vraiment besoin de conseils.

Tout suspendu ou semi-rigide (hardtrail) ?

C’est l’éternelle question qui hante tous les magazines et autres sites marchands.

En toute objectivité, les VTT tout-suspendus d’aujourd’hui offrent des performances très intéressantes et ont réussi à perdre une grande partie du poids qui leur était reproché il y a quelques années (ils ne sont pas poids plume pour autant).

Il ne faut cependant pas s’accrocher aux catégories avancées par certains sites. D’aucun soutiennent que pour le All Mountain (je rappelle que cela ne correspond à aucune pratique précise) il vous faut du tout-suspendu sinon rien.

Il faut se poser la question : selon ma pratique, qu’est-ce qui va guider mon choix ?

Pour l’Enduro (ou le DH), je pense que la réponse va de soi : suspensions avant et arrière à grands débattements. Notons tout de même qu’il existe des fans d’Enduro en hardtrail. Là, je pense qu’il faut essayer avant d’en parler.

Pour le Cross country, cela se discute. Les suspensions des VTT tout-suspendus destinés au Cross country ont des débattements bien plus faibles que pour l’Enduro et sont vraiment destinés à cette pratique. De plus lorsqu’on regarde les championnats de cross-country depuis ces 5 dernières années, on y voit en majorité des VTT tout-suspendus… mais en carbone, avec le dernier cri de la technologie, bref… chers, très chers.

Dans cette pratique, et pour la moyenne montagne, le tout-suspendu offre une meilleure adhérence/propulsion en « collant » la roue arrière au sol, et un meilleur confort en descente avec, peut-être, un sentiment de sécurité. D’un autre côté, les chemins de moyenne montagne praticables en Cross country n’offrent que très rarement l’occasion d’éprouver significativement tout le jeu de suspension. La raison est qu’en choisissant des roues 29 pouces, l’essentiel est déjà « amorti ».

N’achetez pas un tout-suspendu si votre seule raison est de vous assurer de passer sur tous les sentiers en moyenne montagne (dans les Alpes, c’est différent). En fait, en moyenne montagne, les sentiers trop techniques sont peu nombreux, représentent très peu de kilomètres comparé au reste et de toute façon vous ne les emprunterez pas. D’après mon expérience vosgienne, si cela passe en tout-suspendu, cela passe aussi en semi-rigide. Le tout-suspendu n’est pas « plus tout-terrain » que le semi-rigide. Ce n’est pas le bon critère.

La combinaison 29 pouces + tout-suspendu pour du Cross country dans les Vosges me semble revenir à surjouer l’équipement par rapport au besoin réel.

Donc le besoin se fera vraiment sentir en fonction de votre pratique du Cross country : si vous voulez vraiment aller à fond en descendant les sentiers vosgiens, peut-être qu’un tout-suspendu vous conviendra. Et s’il est assez léger pour une randonnée de 4 ou 5 heures, vous gagnerez sans doute en confort. Par contre, cela représente un investissement conséquent. Un tout-suspendu pour du Cross country, cela veut dire que vous allez rechercher la légèreté et comme les suspensions ne sont jamais légères (sauf dans le très haut de gamme), vous allez devoir vous intéresser de près aux cadres en carbone.

Mon avant-dernier VTT datait de 2017, c’était un tout-suspendu, cadre aluminium. Il était lourd, même si l’aluminium utilisé est allégé. Par contre, sa solidité a fait que je n’en ai jamais eu à me plaindre. Ce que j’ai constaté néanmoins : il n’est pas très utile par rapport aux chemins que j’emprunte (et j’emprunte vraiment beaucoup de chemins différents). J’ai donc commandé un VTT semi-rigide pour le remplacer. Ce dernier est arrivé en juin 2022. Ce retour au semi-rigide m’a parfaitemetn convaincu de ce que j’avance ci-dessus. C’est bien simple : à deux ou trois passages près, toutes les traces je continue à faire toutes les traces que je faisais auparavant. J’ai aussi largement gagné en rapidité, pas seulement à cause du poid mais à cause du pilotage et de son optimisation. On ne s’ennuie vraiment pas en semi-rigide.

Si vous choisissez un tout-suspendu pour pratiquer le Cross country, soyez aussi conscient·e de plusieurs choses :

  1. l’entretien se fait tous les ans ou tous les deux ans pour changer tous les roulements des articulations du VTT (renseignez-vous sur les prix ou apprenez à le faire vous-mêmes),
  2. la suspension arrière nécessite une attention particulière et il est conseillé de faire réviser l’ensemble tous les ans (idem, renseignez-vous sur les prix),
  3. il vaut mieux acheter un cadre carbone si vous voulez un tout-suspendu sans quoi, c’est un char d’assaut que vous allez devoir trimballer en montée. ce qui fait qu’en prenant un carbone de bonne qualité, votre VTT sera assez cher. Pour un premier achat, je le déconseille donc. Par contre à vous de voir si vous en avez le portefeuille et l’envie :)

Évidemment, question entretien (et nettoyage), un VTT semi-rigide… c’est les vacances.

Un dernier point à propos des VTT tout-suspendus : la tige de selle télescopique. Effectivement, c’est un outil qui peut s’avérer pratique car, en descente très engagée, baisser la selle en un coup de pouce depuis le guidon peut vous permettre de vous donner des airs d’Enduro. Mais n’oubliez pas, là encore : cela alourdi le vélo et les selles sur tige télescopique on toujours du jeu, source d’inconfort à la longue. Sur un VTT semi-rigide, si vous n’êtes pas confiant en haut de la pente et que vous débutez, cela peut s’avérer néanmoins un bon choix afin d’abaisser au maximum votre centre de gravité.

Exemple de VTT semi-rigide - Mountain Bike, by Stephen Ransom Photography, CC BY-NC-SA 2.0.

VTT à assistance électrique ?

Le débat ressemble à troll. Il y a quelques années, à l’apparition des VTT-AE, il y eu une impression d’affrontement entre les pro et les anti-, soit entre ceux pour qui faire du VTT est synonyme d’effort sportif et ceux pour qui le VTT-AE reviendrait à faire du vélomoteur en forêt.

Sauf que le débat ne se pose pas en ces termes (outre le prix d’un VAE de bonne facture) :

  1. Le VTT-AE peut être pratiqué sportivement : au lieu de partir pour une randonnée de 40 km et 1200 m de dénivelé, vous en faites le double et voilà tout. L’assistance vous permet de monter des « coups de cul » que de toute façon vous auriez fini par monter à pied ou alors très fatigué. On comprend surtout que le VTT-AE est plus que bienvenu en haute montagne.
  2. Mais pour beaucoup de personnes le VTT-AE revient effectivement à jouer les touristes en pensant que le pilotage est à la portée de n’importe qui. Or, avec un VTT-AE de 25 kg, plus d’un amateur inexpérimenté fini par se viander dans un dévers.
  3. En revanche, pour les personnes qui autrement ne feraient pas de VTT parce qu’elles ne sont pas sportives, ou encore à cause de la vieillesse ou du surpoids, et si elles restent prudentes sur des chemins sans difficulté, le VAE offre l’opportunité de rouler au grand air sans le stress des voitures sur la route. Et c’est plutôt une bonne chose.
  4. Reste un problème tout de même, valable pour tout vélo électrique : les batteries et les filières de recyclage, la pollution que cela suppose, y compris dans les composants électroniques. Pour du vélo urbain (vélotaff) le compromis peut être atteint par l’effet de substitution à l’automobile (c’est un grand débat). Mais pour du loisir, c’est en raison de cet aspect du VTT AE que je conseillerais plutôt, lorsqu’on est en pleine possession de ses moyens physiques, de pédaler sur des VTT « musculaires ».

L’équipement

En tant que débutant·e, vous risquez d’être dérouté par les contraintes d’équipement qui s’imposent à vous. Que ce soit l’équipement du pratiquant ou celui du VTT, il est important de faire un point.

Pour le vététiste

Le·a vététiste doit toujours s’interroger sur ce qui le relie au vélo et son rapport à l’environnement et le climat. Essayons de faire le tour.

Les vêtements

Ne soyez pas radin·e sur ce point. Revêtir un bon cycliste (long et chaud en hiver, court en été) est votre première préoccupation : de bonne qualité il vous évitera les effets désagréables des frottements après une sortie longue. Une grande enseigne bleue fort connue en vend de très bons, il ne faut pas hésiter à aller y faire un tour. C’est de même valable pour les vestes chaudes d’hiver.

Cuissard ou short ? En été, c’est une question que je qualifierais surtout d’esthétique. Bien sûr dans les deux cas, vous vous aviserez d’avoir un chamois en fond de culotte, c’est primordial. Ensuite, le confort d’un cuissard est relatif à la quantité de tissu, là où le short pourrait être la cause de frottements désagréables. En revanche, pour des sorties longues je conseille le cuissard, sans hésitation, en particulier pour ses qualités compressives.

Votre garde-robe embarquée devra toujours prévoir un coupe-vent pluie : il vous évitera de prendre froid dans les descentes et vous protégera des intempéries.

Pour ce qui concerne les gants : les gants longs sont préconisés en VTT (ne pas mettre de mitaines), avec coussinets sur la paume. Il en existe pour l’hiver et pour l’été. Prenez du solide : il arrive souvent de poser les mains au sol, sur de la pierre, sur des troncs d’arbre, dégager des ronces… c’est tout-terrain, l’on vous dit…

Le casque

Pas de débat : il est obligatoire. Prenez du haut de gamme systématiquement, avec visière, système de répartition d’onde de choc, spécialisé VTT (les casques pour vélo de route ne conviennent pas). Essayez votre casque en magasin et voyez s’il vous est confortable : on ne peut pas tout acheter en ligne…

Casque VTT - Mountain Bike Helmet, by Noah J Katz, CC BY-NC-SA 2.0.

Autres protections corporelles

Lunettes : c’est nécessaire. Pour plusieurs raisons :

  • protection de vos yeux (ronces, branches, projections diverses),
  • teinte jaune (pas trop foncée à cause des sous-bois) : tous les opticiens vous diront que cette teinte permet d’accentuer les contrastes, donc mieux voir les reliefs,
  • verres interchangeables : une paire jaune, une paire blanc (pour la pluie, et lorsqu’il n’y a pas assez de soleil)
  • si vous avez besoin de correction de vue, allez voir votre opticien pour acheter une paire de lunettes pour le VTT (il y a deux ou trois grandes marques fort connues pour le sport : Demetz, Julbo, Bollé…
  • les lunettes doivent être profilées : même si ce n’est pas à la mode :)

Protection armure : laissez cela aux descendeurs en Enduro/DH. Ell·eux en ont vraiment besoin. Pour le cross country, il faut voyager léger.

Pour votre dos, si vous avez un sac à dos avec poche à eau, vous n’en n’avez pas vraiment besoin, mais certains sacs disposent une plaque de protection, si cela peut vous rassurer.

En accidentologie VTT, les études (comme celle-ci) portent le plus souvent sur la pratique Enduro/DH, on comprend pourquoi : c’est celle qui présente le plus de prise de risques. Là, ce sont les blessures sur le haut du corps qui sont les plus courantes, particulièrement les épaules (fracture clavicule, typiquement). Mais aussi : fractures poignets, coudes et épaules… Le port du casque a largement amoindri la fréquence des dommages à la tête, ce n’est même plus un sujet de débat.

On peut raisonnablement penser que la pratique du Cross country présente beaucoup moins d’accidents graves, mais statistiquement, comme il s’agit de la pratique la plus répandue, la fréquence des visites aux urgences est tout sauf négligeable. Les fractures sur le haut du corps et membres supérieurs sont là aussi les plus courantes.

Pour simplifier, les accidents en Cross country sont moins dépendantes du terrain qu’en Enduro. Cette pratique n’est pas moins dangereuse que le roller, le vélo de route ou le skate-board. Par contre ces éléments font la différence : l’erreur de pilotage, le matériel peu soigné et mal vérifié, le degré de prise de risque. Notons aussi qu’en Cross country on trouvera plus de blessures musculaires et tendineuses, inhérentes aux pratiques sportives d’endurance lorsqu’on pousse le corps un peu trop loin.

Sac a dos ou grosse banane ?

Le choix se discute.

Dans un sac à dos vous trimballez votre poche à eau, votre coupe vent, éventuellement un surplus de vêtement, quelques outils, votre téléphone portable, vos papiers, une ou deux barres céréale.

Ce sac à dos doit bouger le moins possible. Regardez la marque Evoc, qui présente d’excellentes performances (mais ce n’est pas la seule).

Mais on peut opter pour la grosse banane selon cet adage : c’est le vélo qui doit porter, pas le dos. C’est un bon argument. Dès lors votre eau se trouvera sur votre cadre dans deux gourdes, vous aurez un petit sac à outils sous la selle, et tâchez de répartir le reste dans la banane (chez Evoc aussi, il y en a des très bien).

Les outils et trousse d’urgence

Pour être autonome, en solo ou en groupe, il vous faut :

  • chambre à air de rechange (sauf si vous êtes en tubeless — on en parle plus loin)
  • une petite pompe
  • une bombe « anti-crevaison » : oui, je sais… mais il m’est arrivé de crever deux fois de suite, alors bon…
  • deux démonte-pneu (attention avec ça si vous êtes en chambre à air : entraînez-vous à changer une chambre à air)
  • kit de réparation tubeless avec mèches (si vous êtes en tubeless, donc),
  • un multi-outils avec dérive-chaîne (utile si vous cassez la chaîne)
  • deux colliers de serrage : pratique si vous devez attacher quelque chose (par exemple : vous cassez un rayon, vous l’attachez au rayon voisin pour les kilomètres qui vous restent)
  • 50 cm de fil de fer (utile pour plein de choses)
  • une trousse de premiers soins : une couverture de survie, pansements et compresses (dont au moins deux larges), antiseptique en fioles, bande adhésive, etc.
Un couple de multi-outils très pratiques - Multitool and Hex Toolset, by dvanzuijlekom, CC BY-SA 2.0.

La gestion de l’eau, la bouffe

L’hydratation, c’est obligatoire. Tout comme pour la course à pied, vous ne pouvez pas faire de sortie de plus d’une heure sans emporter avec vous suffisamment d’eau… et la boire ! Combien de litres par heure ? c’est variable : en fonction de votre poids, de la météo et de l’effort, vous devrez boire plus ou moins. Par contre, une chose est valable pour tout le monde : buvez avant d’avoir soif, anticipez la déshydratation. Boire trop peu est synonyme de moins d’apport au système musculaire (notamment de sodium) et par conséquent une baisse de performance, des risques de crampes, en plus de risques de problèmes rénaux ou de vessie si vous perdrez trop d’eau.

Comment savoir si on s’hydrate assez ? buvez tout le temps, beaucoup avant la sortie, beaucoup après et beaucoup pendant. Mon repère à moi, c’est avoir envie de pisser au moins une fois durant une sortie de trois heures, mais ce n’est pas une règle absolue.

Cela dit, faut-il pour autant se surcharger en flotte ? non. Surtout si vous portez votre eau dans une poche dans le sac à dos. Il est inutile d’emporter trois litres : si besoin, vous pouvez toujours remplir vos contenants en chemin (prévoir une étape avec point d’eau). Emporter 1,5 litres me semble un bon compromis en Cross country moyenne montagne et s’il fait très chaud, monter à 2 litres, ce sera suffisant.

Poche style Camelback avec tuyau ou bidon sur le cadre ?

Personnellement, je n’ai jamais été un grand fan des porte-bidons : on a tendance à se déséquilibrer pour aller chercher le bidon, le porter en bouche et le remettre, alors qu’un tuyau bien ajusté sur la bretelle du sac à dos permet un accès direct. Ceci sans compter le risque de perdre le bidon, justement, à cause des obstacles du terrain.

Le contre-argument, c’est qu’en utilisant un porte-bidon, c’est le vélo qui porte, pas le cycliste. C’est-à-dire autant de poids en moins sur le dos.

Concernant les apports nutritionnels, là non plus je n’ai pas vraiment de conseil à donner. Mon sentiment est que si vous mangez correctement et équilibré (même avec quelques excès de temps en temps), votre besoin nutritionnel durant l’effort d’une longue sortie ne devrait pas être conséquent. Il faut toujours emporter avec soi une ou deux barres céréales ou de la pâte de fruit, ou bien quelques fruits secs, selon ses goûts.

Rien ne vous oblige à les manger. En tout cas, ne vous précipitez pas sur les produits miracles vendus en pharmacie ou dans les magasins de sport, et encore moins sur les barres céréales des rayons confiserie du supermarché : ces produits contiennent généralement trop de sodium, des huiles saturées, trop de sucres transformés, et pour certains des nutriments parfaitement inutiles si vous avez déjà une alimentation saine au quotidien.

Si vous aimez les barres céréales, achetez des barres dont la composition est la plus simple possible ou bien faites-les vous-mêmes avec des produits sains que vous aurez sélectionné au préalable. Les recettes ne manquent pas sur les z’internetz. Après quelques essais, vous obtiendrez d’excellents résultats.

Les pédales

Devez-vous choisir les pédales automatiques, semi-automatiques, les pédales plates ?

Quelque soit votre achat, votre VTT sera livré avec une paire de pédales bas de gamme : tout le monde change les pédales de toute façon. Mais vous pouvez rouler avec dans un premier temps. C’est pourquoi cette section concernant les pédales est située dans l’équipement du vététiste : prolongements des pieds, elles conditionnent le contact avec le vélo, tout comme la selle.

Pour le débutant, je préconise les pédales plates (avec les picots). Attention aux tibias avec les retours de pédales involontaires. Comptez une cinquantaine d’euros pour une paire solide de marque connue. Protèges-tibias ? c’est lourd et inconfortable, donc non : faites attention, c’est tout.

Pédales automatiques : il faut un peu d’entraînement sans quoi votre appréhension causera votre chute. Cependant, si vous voulez faire du Cross country et gagner en rendement tout en maîtrisant votre vélo, c’est le modèle de pédales à utiliser.

Sur le marché il existe des pédales dites semi-automatiques. Elles se présentent soit sous la forme d’une pédale recto attache automatique et verso pédale plate, soit avec un recto aimant recto et verso pédale plate. Ces modèles permettent de laisser les pieds libres dans les descentes ou les passages difficiles. En théorie, du moins. Par contre j’ai été séduit par les pédales automatiques à aimant (de la marque Magped) : elles ont moins de pouvoir de traction que les pédales automatiques classiques (si on tire trop, le pied se décroche), mais c’est ce qui fait leur intérêt : permettre un décrochage très rapide et donc plus sécurisant. J’aurais du mal à m’en passer aujourd’hui.

En matière de pédale, il n’y a pas d’obligation. Là encore, c’est votre pratique qui en décidera. J’ai un faible pour les pédales plates, même si j’ai moins de rendement. En revanche, en compétition Cross country, les pédales automatiques sont la règle.

Pédale plate et pédale automatique - bike pedal, by postbear and by torisan3500, CC BY-NC-SA 2.0.

Les chaussures

Elles dépendent de vos pédales ! Mais sachez aussi choisir une paire qui vous permette de marcher. Pour le Cross country, les chaussures typiques sont assez rigides, proches de celles utilisée en vélo de route, mais pour plus de confort, choisissez des chaussures plus appropriées à la randonnée VTT, un peu moins rigides et plus polyvalentes.

Gardez à l’esprit qu’une paire de chaussures trop étroites ou trop justes :

  • empêchent la circulation sanguine dans vos pieds : on a tendance à se crisper un peu en descente et à l’appui,
  • empêchent de mettre des chaussettes chaudes en hiver.

Un avantage des pédales semi-automatique à aimant : à la place d’un mécanisme de fixation sous la chaussure, il suffit de visser une petite plaque en métal, très facile à nettoyer (quand on plonge toute la chaussure dans la boue !).

La selle

La selle est le contact quasi permanent entre votre postérieur et le VTT. À ce titre, elle ne doit pas être négligée. Si, dans un premier temps, la selle fournie avec votre vélo saura vous contenter, c’est à la longue que vous constaterez que, même si vous avez correctement réglé sa hauteur, quelques désagréments peuvent subsister, notamment les irritations.

En gros, il existe des selles arrondies et des selles plus plates. Les arrondies limiteront les irritation en cas de sorties longues distance. Certaines selles disposent aussi d’un canal central plus ou moins prononcé, voire parfois complètement évidé : c’est pour limiter la pression sur le périnée.

Quant à la largeur de la selle, elle doit être relative à votre morphologie. Que vous soyez homme ou femme, large ou étroit, c’est à vous de voir.

Mon conseil : préférez les selles arrondies et veillez à ce qu’elles ne soient pas trop larges, sans quoi une gêne au pédalage va s’installer. Il n’y a pas vraiment de recette. Vous pouvez avoir une selle qui ne vous pose aucun problème pour une heure de pratique, tandis qu’elle vous fera souffrir au bout de trois heures. Tout ne réside pas dans la qualité de votre cuissard.

Pour le VTT

La transmission

Le groupe de transmission regroupe tous les éléments qui transmettent l’énergie musculaire (ou électrique) au vélo. Un groupe de transmission est composé de dérailleurs, cassette, pédalier (boîtier, plateaux, manivelles, pédales), chaîne. On peut compter aussi les manettes (ou commandes) de vitesses et les câbles.

Pour choisir un groupe de transmission plutôt qu’un autre, il faut avoir de l’expérience. En effet, selon votre niveau, un groupe 1x11 (mono-plateau et 11 pignons) demandera plus ou moins d’efforts pour entraîner la machine par rapport à un 1x12.

Aujourd’hui le mono-plateau a le vent en poupe. Et il présente un double avantage : moins d’entretien et plus de légèreté. Là-dessus vous pourrez à la longue opter pour des cassettes différentes.

Image promotionnelle Shimano Deore XT - 1x11.

Et non, ce n’est pas parce que vous avez un mono-plateau que vous avez moins de vitesses : en double plateau vous avez la plupart du temps une cassette 10 pignons arrangés de 11 à 36 dents (on dit 10 x 11-36) mais en mono-plateau vous avez par exemple une cassette à 11 x 10-42 ou une cassette à 12 x 10-51. En clair : à l’arrière, le dernier pignon de votre cassette est juste énorme. Donc la plage de « choix » de vitesse n’est guère moins grande mais l’avantage est que vous n’avez plus à veiller à ne pas croiser la chaîne (il ne faut jamais mettre un couple grand plateau — petit pignon si on a plusieurs plateaux).

Pour un premier achat, je préconise pas moins que le couple mono-plateau et 12 vitesses. C’est ce qui est vendu la plupart du temps sur les entrées de (bonnes) gammes.

En termes de marques, vous avez grosso-modo l’essentiel du choix entre Shimano et Sram qui se partagent l’essentiel du marché VTT. Là encore, si vous débutez, choisir entre les deux ne consiste pas à trouver le meilleur point de performance, mais comprendre ce qui distingue les groupes entre eux, chez Shimano comme chez Sram. Pour faire simple, dans les deux marques, il y a une hiérarchie. À une ou deux exceptions près les marques sont incompatibles entre elles. Et entre les groupes au sein d’une même marque, il y a des tableaux de correspondances et c’est normal : vous ne pouvez pas tout mélanger, plateaux, pignons chaîne et manettes de vitesses.

Alors comment vous y retrouver ? Lorsqu’on achète un VTT, celui-ci est fourni avec un groupe de transmission donné. Pour juger du prix de votre vélo, au sein d’une même gamme, il faut aussi se demander avec quel niveau d’équipement il est fourni. Notez aussi que plus vous montez en gamme, plus les changements de pièces seront chers, pensez-y avant d’opter systématiquement pour le plus cher.

Le tableau suivant sera peut-être démodé au moment où vous le lirez, cependant, je pense que pour l’essentiel on s’y retrouve. Notez que ne mets pas les shifteur électroniques ni les groupes spécialisés descente. Je me concentre sur le Cross country.

Niveau Shimano Sram
1 XTR XX1
2 XT (Deore XT) X01, X1
3 SLX GX, X9
4 Deore X7, NX
5 Alivio X5
6 Acera X4
7 Altus X3
8 Tourney

Les freins

En matière de freinage, le choix ne doit pas être pris à la légère. Évidemment, les systèmes de freins dédiés à l’Enduro seront extrêmement puissants, la notion de dosage passant plutôt au second plan (même si elle est très utile), tandis que pour le Cross country c’est la fiabilité sur la durée du freinage qui sera recherchée. Mais la pratique n’est pas l’essentiel : votre poids et le terrain sont des données tout aussi essentielles et c’est fonction de cela que vous allez juger si vos freins vous conviennent ou pas.

Lorsque vous achèterez votre nouveau VTT, si c’est le premier, il va falloir faire confiance au vendeur. Un système de freinage va du levier aux plaquettes en passant par l’étrier, les durites et les disques. Tous ces composants ont leur importance dans l’efficacité et le ressenti.

Par exemple, s’il y a de fortes chances que votre premier VTT soit équipé de plaquettes de frein organiques, sachez qu’il en existe plusieurs variétés sur le marché, avec des caractéristiques différentes, de celles qui glacent dès le premier usage à celles qui entament méchamment votre disque.

Si vous vous reportez au tableau des groupes de transmission ci-dessus, les noms des groupes de frein sont les mêmes et obéissent plus ou moins à la même hiérarchie. Cela dit, en fonction des années et des séries, on peut trouver par exemple chez Shimano des freins Deore qui valent très largement la gamme supérieure. Encore une fois c’est fonction de l’expérience que vous pourrez vous faire une idée précise. Bien sûr, le bas de gamme… reste le bas de gamme.

Attention : si vous vous renseignez sur des sites internet spécialisés (c’est une bonne chose) veillez à noter la date de rédaction des comparatifs. Shimano et Sram sortent très régulièrement des nouvelles séries et vous risquez de vous y perdre. Mon conseil serait de voir d’abord, sur le VTT que vous voulez acheter quels types de freins sont proposés, puis vous renseigner sur leurs caractéristiques par la suite. Enfin, n’oubliez pas : des freins, cela se change si vraiment ils ne vous conviennent pas.

Les pneus

Alors là… pas moyen de s’entendre sur une loi précise dans le choix des pneus, que vous soyez en chambre à air ou en tubeless : c’est le terrain et la météo qui font la différence. Mes conseils sont les suivants :

  • analysez les terrains que vous avez l’habitude de fréquenter (si vous êtes dans les Hautes Vosges avec du granit mouillé, votre choix en sera pas le même que dans les Vosges du Nord avec du gré sableux, et bonne chance à ceux qui sont entre les deux)
  • ne soyez pas chiche (même si le prix d’un pneu n’est pas un gage) : de bons pneus (et un gonflage correct) conditionnent absolument votre tenue de route. C’est comme en voiture.
  • il n’y a aucune obligation à avoir les mêmes pneus à l’avant et à l’arrière : contacts, grip, adhérence, dureté de la gomme, tout cela joue.

Lors de votre premier achat, le VTT sera livré avec un jeu de pneus semblables avant et arrière. Usez-les… mais analysez votre besoin. Ensuite rendez-vous sur les sites de vente en ligne et regardez les descriptifs, ou allez chez votre vendeur et posez-lui la question.

Personnellement, je suis resté depuis les 6 dernières années avec la même référence de pneus qu’à l’achat de mon VTT, des Maxxis Forekaster. Le fabriquant écrit : « adapté à une pratique Cross country agressive et pour le All Mountain »… comme cela ne veut pas dire grand chose, je prétends simplement que ce type de pneus typé Cross country est plutôt adapté aux terrains vosgiens côté Alsace. Je vois souvent cette marque d’ailleurs chez les autres vététistes. Si vous êtes plutôt côté granit, ce ne sera pas forcément votre premier choix car je trouve qu’ils peinent un peu en traction sur du pierreux humide. C’est du ressenti personnel, pas une loi universelle.

Par contre, le moment venu de changer vos premiers pneus, il y a tout de même une bonne recette : leur largeur. Si vous faites du Cross Country, de quoi avez-vous besoin ? un pneu avant qui soit bien stable parce que c’est sur ce pneu avant que vous donnez la direction et un pneu arrière qui ne vous freine pas parce que c’est sur ce pneu arrière que vous envoyez la propulsion. La conclusion est simple : les deux pneus n’ont pas le même usage. Pourquoi auriez-vous les deux même pneus à l’avant et à l’arrière ?

On s’accorde à dire qu’il faut un pneu de bonne largeur à l’avant et un pneu plus étroit à l’arrière. Cela dit, il ne s’agit pas d’exagérer. Pour vous donner une idée, ma largeur de pneu arrière est de 2.25 tandis que j’ai du 2.40 à l’avant. Ferez-vous pour autant la différence si vous débutez ? il y a peu de chance. Alors vous vous poserez la question lorsque vous devrez changer vos pneus.

Tubeless ou chambre à air ?

Tubeless, sans hésitation. Cependant… Je m’adresse ici aux débutants. Alors commencez par la chambre à air. D’ailleurs, il y a des chances que votre VTT vous soit vendu avec un jeu de pneus + chambre à air même si les pneus et la jantes sont tubeless ready.

Pourquoi ? parce qu’il vous sera plus facile de gérer des chambres à air. Entraînez-vous chez vous à changer une chambre à air rapidement. Parce que si vous crevez en forêt quand il pleut, vous serez content de ne pas y passer trois heures. Rappelez-vous : autant pour amorcer le « déjantage » du pneu vous pouvez utiliser éventuellement un démonte-pneu (et encore, ça peut abîmer la jante), autant pour le remonter avec une chambre à air, bannissez absolument le démonte-pneu. D’ailleurs, cela s’appelle un démonte-pneu, pas un remonte-pneu, hein ? Il y a plusieurs vidéos sur Internet qui vous montreront comment procéder, c’est assez simple.

Le Tubeless, présente des avantages par rapport à la chambre à air. Déjà, c’est plus léger parce que vous économisez le poids de deux chambres à air. Ensuite, parce que vous n’aurez plus de crevaisons lentes (genre le pneu qui se dégonfle dans le garage et que vous vous en apercevez la veille de votre sortie), et aussi parce qu’en cas de crevaison, le liquide préventif à l’intérieur devrait faire son travail de « rebouche-trou ». Par contre :

  • en cas de grosse crevaison (un gros clou, par exemple), il vous faudra placer une mèche, c’est une autre technique à apprendre, même si ce n’est pas très compliqué non plus ;
  • il faut vérifier et remplacer régulièrement le liquide préventif à l’intérieur ;
  • pour changer un pneu Tubeless, il vous faudra un compresseur capable d’injecter une grosse quantité d’air d’un coup dans le pneu afin de le faire claquer ;
  • la valve n’est pas la même et votre fond de jante devra être parfaitement étanche.

Donc le Tubeless, ce n’est pas moins d’entretien que la chambre à air, mais c’est un peu plus de zénitude lors de vos balades.

Mon conseil aux débutants : commencez avec des chambres à air, vous verrez plus tard pour passer au Tubeless, à l’occasion de votre premier changement de pneu par exemple.

Les suspensions

À quoi servent les suspensions, à l’avant comme à l’arrière ? Non, elles ne sont pas faites pour sauver votre popotin des dégâts d’une réception un peu rude. Leur premier rôle consiste à optimiser le contact de votre roue avec le sol, donc favoriser le contrôle de votre VTT. Pour ce qui concerne les fourches (avant), le second rôle consiste à absorber les chocs pour vos bras (et aussi votre dos) et faciliter le pilotage.

Le réglage des suspensions, notamment en fonction de votre poids, est très important. Il s’agit de régler correctement la détente (le retour de la suspension à sa position initiale). Trop molle vous n’absorbez rien et vous risquez de l’abîmer, trop raide, autant rouler en tout rigide. Par ailleurs, si vous enfoncez trop, vous perdez en rendement de pédalage.

C’est pourquoi la plupart des VTT disposent d’un système de blocage de suspension, à l’avant comme à l’arrière. Je vous conseille vivement de choisir un système de blocage situé sur le guidon, beaucoup plus pratique, surtout si vous oubliez de débloquer votre suspension après avoir entamé votre descente.

Pour la pratique du Cross country, comme je l’ai affirmé plus haut, choisir un semi-rigide est sans doute le meilleur choix pour un premier VTT (et cela reste pertinent même si ce n’est pas votre premier VTT). Les suspensions pour cette pratique sont généralement faites pour un débattement beaucoup plus faible que pour l’Enduro. Généralement on parle de 90 à 120 mm de débattement. Avoir plus de débattement ne me semble pas très utile (en Enduro, on peut monter à 200 mm de débattement).

De même, on recherchera la légèreté. Donc il vaut mieux rechercher une fourche avec un système à air (ressort pneumatique) bien que certaines fourches avec ressort hélicoïdal peuvent s’avérer tout à fait pertinentes, bien que plus lourdes (on ne parle pas non plus d’une différence de 20 kg, hein?).

Suspension VTT = amortisseur (hydraulique) + ressort (hélicoïdal ou à air).

Donc si nous résumons :

  • Ressort pneumatique (air) : légèreté, ajustement progressif au poids du pilote, moins sensible aux petits chocs,
  • ressort hélicoïdal : il faut changer le ressort s’il est trop raide, plus lourd, sensation de raideur sur petits chocs.

Dans les deux cas, ces fourches font très bien leur travail à moins de choisir du trop bas de gamme, évidemment. Et n’oubliez pas : tout comme le reste, une fourche peut se changer, et il en existe des centaines de modèles… à tous les prix. Débuter avec une marque ? allez, je vous conseille Rockshox et Fox, vous trouverez dans ces marques des gammes assez étendues pour ajuster votre besoin à votre portefeuille (j’aime beaucoup les Fox racing 32, très classique, mais comme elle n’est pas trop chère, la changer pose moins de problème).

Ha oui, pour les suspensions arrières si vous tenez au tout-suspendu, c’est le même combat.

La petite sonnette

Hé oui, on l’oublie parfois, mais elle est très utile surtout lorsqu’on fréquente des sentiers de randonnée où il est difficile de contourner les marcheurs. Dans tous les cas : patientez le temps que les marcheurs réalisent votre présence, soyez très courtois et remerciez.

Il peut cependant être utile de signaler votre présence par un petit coup de sonnette. Le choix du son est important : trop bruyant, il sera perçu comme une agression (nous ne sommes pas sur une piste cyclable en centre urbain). Il existe des petites sonnettes légères en forme d’anneau à placer à peu près n’importe où sur le guidon pour plus de facilité. Elles produisent un tintement cristallin et assez aigu pour passer au-dessus du vent et de la voix, sans être désagréable.

Garde-boue, protections de cadre

Est-ce absolument nécessaire ? non. La première chose à éviter, dans le choix d’un garde-boue avant ou arrière, c’est essayer de composer entre l’encombrement et l’intérêt réel de cet équipement. Vous avez un VTT pour faire du sport, et oui c’est une activité salissante. Ne cherchez pas à éviter la boue, vous n’y arriverez pas.

Néanmoins, on peut essayer de limiter les projections dans le visage (et il peut s’agir parfois de cocottes de pins et de petites pierres) ainsi que dans le bas du dos. Pour cela, je préconise les garde-boue souples à fixer avec des colliers de serrage, sous la selle pour l’arrière et sur la fourche pour l’avant. ils n’alourdiront pas le VTT et limiteront les projections autant que faire se peut. C’est surtout le garde boue avant qui est important : si vous roulez assez vite sur un terrain très humide, vous pourrez comprendre plus facilement.

Enfin, ce type de garde-boue ne coûte pas cher, on le remplace facilement, on peut aussi le découper si les dimensions ne conviennent pas.

Allez, je vous donne un truc : achetez votre premier garde-boue et avant de le monter dessinez les contours sur une feuille de papier que vous conservez. Vous avez des vieux set de tables en plastique ? S’il ne sont pas trop moches ou kitch, ils peuvent faire l’affaire, il suffira de les découper.

Une autre protection concerne le cadre, si on veut le protéger des projections de pierres, notamment sur le bas du tube diagonal. Il existe des façades à fixer sur le tube, mais c’est une protection encombrante plutôt destinée aux pratiques de descentes, là où le risque de taper fortement le cadre est évident. Pour les petites projections qui pourtant à la longue abîment la peinture, il existe des films transparents qui jouent parfaitement ce rôle.

De la même manière, si votre VTT ne dispose pas déjà d’une protection, il peut être utile d’en mettre sur la base arrière côté transmission, là où la chaîne est parfois amenée à taper la peinture.

Toutefois certains VTT disposent maintenant de protection déjà en place, là où parfois, à la place de la peinture, un revêtement rugueux est posé dès l’usine. Cela n’empêche pas de rajouter un peu de film protecteur à certains endroits stratégiques si besoin, par exemple sur les côtés de la fourche avant.

Je préconise d’éviter les adhésifs, à cause de la colle. Cette dernière peut ne pas tenir et faire des traces inesthétiques. À la place (mais assez cher) il existe des films transparents en polyuréthane. La pose est extrêmement facile :

  • bien nettoyer et dégraisser le cadre avec de l’eau savonneuse,
  • découper soigneusement la bande aux dimensions voulues et appliquer avec un peu d’eau tout en prenant soin de ne pas faire de bulles.

Ce type de film ne garanti pas les gros chocs : il s’agit de protéger la peinture en ajoutant une sur-couche solide très discrète. Ce matériau résiste très bien à l’humidité. La marque Clearprotect est connue.

Garde-boue souple sur fourche - image by vikapproved, CC BY-NC 2.0.

Commencez à pédaler

Je pourrais ici commencer une longue section sur l’art et la manière de débuter le VTT en pratique. Pour simplifier, je dirais : pédalez d’abord. Si vous avez pris la décision d’acheter un VTT, il y a de fortes chances que vous ayez essayé au moins une fois que vous avez été séduit·e.

Néanmoins voici quelques conseils pour ne pas se mettre en difficulté dès le début et pouvoir progresser.

Réglez votre posture

Beaucoup de vidéos proposent des tutoriels pour régler correctement votre position sur le VTT. Celle-ci donne d’assez bons conseils, simples à mettre en œuvre.

  1. La hauteur de selle peut se régler facilement : une fois en selle, placez la plante du pied sur la pédale position basse, votre jambe doit être légèrement pliée. Trop pliée, votre selle est trop basse et vous allez vous faire mal aux genoux, trop haute, bobo le poum. Si vous y tenez, la solution mathématique est la suivante : soit EJ la hauteur de votre entrejambe du talon au périnée (pensez à vos chaussures !), et soit HS la hauteur de selle (du milieu de l’axe du pédalier jusqu’au creux de la selle) : HS = EJ x 0,885 (ou 0,875, cela varie).
  2. À moins d’avoir une tige de selle télescopique (dont l’utilité se discute en Cross country), si vous ne vous sentez pas à l’aise en cas de descente un peu raide, sachez vous arrêter pour abaisser votre selle et la re-régler ensuite. Si votre tige de selle n’a pas de traits de graduation, faites une marque au feutre (quitte à la refaire régulièrement), mais ne l’abîmez pas.
  3. L’avancée de la selle : cela se règle au centimètre près et sur les longues distances, on sent bien la différence. Votre VTT a une certaine géométrie, mais l’avancée horizontale de la selle va favoriser ou défavoriser votre puissance de pédalage. Très peu, bien sûr, mais l’amplitude, une fois changée, va aussi conditionner votre confort. Donc, il faut essayer… Une méthode consiste à utiliser un fil à plomb : votre pied en position de pédalage (cf. ci-dessous), placez le fil à plomb sur pointe de votre genou, le fil doit passer par l’axe central de la pédale.
  4. Placer son pied sur la pédale : l’avant du pied est sur la pédale, et non pas la plante du pied. Plus exactement la bosse à la base du gros orteil (l’articulation métatarso-phalangienne) doit se situer au niveau de l’axe de la pédale (ceci est valable pour tous les types de vélo, pédales automatiques ou pas).
  5. D’autres éléments peuvent se régler et dépendent beaucoup de votre morphologie : la longueur de la potence, la largeur du cintre. Mais dans un premier temps, contentez-vous du matériel tel quel : vous en jugerez à l’usage.
  6. Votre posture ne se détermine pas seulement matériellement : c’est aussi à vous d’adopter une bonne posture : épaules relâchées, ne vous crispez pas en serrant trop fort votre guidon (même en haut d’une descente), en forte montée sachez descendre vos coudes (ne les écartez pas), si vous n’avez pas de pédales automatiques (à régler correctement elles aussi !) sachez conserver vos pieds dans l’axe du vélo (et n’écartez pas les genoux), votre pédalage doit laisser l’axe de vos genoux parfaitement droit et parallèle au vélo. Bref, au début vous devrez penser très activement à votre posture.
  7. Vos poignées doivent toujours avoir un grip correct (surveillez l’état de vos poignées : trop sales, le grip est moins bon). Surtout en descente, vous saisissez vos poignées en laissant deux doigts (index et majeur) sur les leviers de freins, de chaque côté. Donc pensez aussi à relever ou abaisser ces leviers en fonction de votre morphologie. Le pouce doit servir à passer les vitesses sur les shifteurs. Ne roulez pas avec des gants de ski, même en hiver…

Les parcours et la performance

S’il peut sembler plus commode de toujours sortir dans un coin de montagne que l’on connaît bien, essayez de varier le plus possible. Vous ne progresserez pas si vous arpentez toujours les mêmes chemins, c’est-à-dire ceux qui vous semblent faciles aujourd’hui. Pour progresser, la nature de vos parcours doit être pensée.

Surtout en Cross country il n’est pas utile de toujours faire des sorties très longues. Certes, on en revient fort satisfait, et on en prend plein la vue, mais même si vous essayez de les faire toujours un peu plus vite, vous vous retrouverez assez vite au taquet. C’est comme la course à pied : parfois il faut savoir passer par des phases plus spécialisées, chronomètre en main, faire du fractionné, etc. En VTT, le fractionné existe aussi, de même la technicité du pilotage (en descente comme en montée), l’endurance sur des parcours pénibles avec des montées bien longues et régulières pour travailler le « foncier », etc.

Mon conseil : si vous débutez, avec deux sorties par semaine, essayez d’alterner une longue, une courte. Pour la sortie longue, faites-vous plaisir : points de vue, vieux châteaux, endroits insolites, faites du tourisme et recherchez le fun. Pour les sorties courtes, trouvez-vous deux ou trois terrains de jeu, même si vous passez deux fois au même endroit, et lancez-vous des défis. L’idéal est de trouver un parcours où vous aurez deux ou trois types de difficultés à affronter : à vous de voir sur quels points vous devez progresser.

Qu’est-ce qu’une sortie longue, qu’est-ce qu’une sortie courte ? il s’agit surtout du temps passé à VTT. On mesure une sortie à la fois en kilomètres et en dénivelé (d’où l’intérêt d’utiliser un GPS, ou au moins un appli sur smartphone). Faire 23 km avec 1000 m de dénivelé cumulé (d+), c’est déjà de la bonne grosse sortie pour un débutant. Cela me semble même déjà trop. Dans les Vosges il faut partir d’en bas côté Alsace, mais c’est assez faisable tout de même.

Donc n’ayez pas les yeux plus gros que le ventre. Essayez au début de faire des sorties de 20 à 25 km avec un max de 500 à 600 m d+. Ensuite sur le même dénivelé, rallongez le kilométrage, puis ensuite augmentez le dénivelé. Ce n’est pas forcément utile de le rappeler, mais cela va mieux en le disant : allez-y progressivement.

Avec les copain·es : les sorties à plusieurs, c’est super. Être seul dans la forêt, cela a un côté peu rassurant, surtout dans les descentes un peu techniques. Par contre, si vous roulez avec des personnes d’un niveau plus avancé, c’est bien pour progresser à la seule condition de ne pas le faire tout le temps et de rappeler à vos collègues de savoir respecter votre rythme : en effet, si vous êtes toujours en sur-régime (au seuil anaérobie), avec le cœur en dehors de sa boîte à chaque montée, ou si la sortie est trop longue pour vous, d’une part vous allez finir la sortie avec des jambes en coton et au bout de votre vie en jurant que jamais plus…, et d’autre part, le plus important, vous risquez de vous blesser (tendinite ou autre blessure musculaire) voire de solliciter trop votre système cardiaque et subir un malaise voire plus grave encore.

Donc être seul a aussi des avantages, mais restez prudent.

Enfin, trop de fatigue nuit au pilotage et vous savez quoi ? quand on roule en montagne, le parcours se termine le plus souvent par une descente. Le faire en état de trop grande fatigue réduit votre attention et vos réflexes, et augmente drastiquement le risque de chute.

Inutile d’ajouter que la fatigue gagne aussi si on ne dort pas assez. Alors, profitez de vos nuits, et cessez de vous coucher tard : un bon entraînement sportif s’accomplit aussi par le repos. Concernant les repas : mangez équilibré, ne vous empiffrez pas de pâtes (c’est une légende : les sucres lents se trouvent aussi dans d’autres aliments), respectez aussi votre rythme digestif. Plutôt que de chercher des régimes plus ou moins fiables, faites surtout preuve de bon sens.

Et, pour palier les éventuels risques cardiaques, si vous avez passé vos 40 bougies, je conseille vivement de faire un bilan cardiaque avec test d’effort (demandez-en un à votre médecin traitant), il permettra de déceler un éventuel souci et prendre des mesures adéquates.

Ha oui, dernier point : ne recherchez pas la performance. Laissez-cela aux sportifs de profession. D’abord, faites-vous plaisir. Votre performance, ce sera celle que vous constaterez à votre mesure : vous n’avez de compte à rendre à personne et encore une fois, il n’y a aucune honte à descendre du vélo lorsque la montée est trop dure ou si vous ne sentez pas ce petit passage de descente.

Les randos VTT organisées

Elsass Bike, Trace vosgienne, randonnées diverses organisées par des comités cyclistes locaux : tous ces événements sont des occasions de découvrir des circuits dans une ambiance sympathique et détendue. Généralement, ces randonnées sont organisées en plusieurs parcours de niveau, proposent des points de ravitaillement et se terminent avec une bonne bière au bar de l’amicale.

N’hésitez pas à vous inscrire à de tels évènements, il y en a sans doute près de chez vous. Vous y rencontrez d’autres cyclistes et vous pouvez y aller en famille. Il ne s’agit pas de courses proprement dites, pas besoin de faire partie d’un club ou d’être inscrit à la FFC. Les circuits sont balisés, les départs sont échelonnés (il y a quand même une heure limite et comme c’est en été, il est mieux de partir tôt) et vous faites le parcours à votre rythme. Gros avantage : vous n’avez qu’à suivre le balisage.

Pour des évènements comme la Trace Vosgienne VTT, par exemple, c’est un mixte. Il y a une partie course (un départ collectif et des gagnant·es) et une partie randonnée sans chrono. À vous de choisir : vous pouvez très bien faire le marathon tout en vous fichant du chrono, mais il va falloir tout de même dépoter un peu.

Vous pouvez vous fixer ces rendez-vous annuels comme des objectifs. Choisissez la rando qui vous paraît difficile (mais pas impossible) et préparez-vous pour la réaliser sans temps chrono, mais dans de bonnes conditions. Vous pourrez-vous dire que l’année prochaine, vous ferez la rando du niveau supérieur.

Une autre opportunité consiste à rejoindre une association de vététistes, ou un club cycliste qui possède une section VTT. Même certaines antennes du Club Vosgien possèdent une section VTT. Là aussi renseignez-vous près de chez vous. C’est la garantie de sortir à plusieurs et émuler une dynamique de motivation qu’on n’a pas forcément en solo. Et puis, à fréquenter des plus expérimentés que soit, on apprend toujours des choses…

L’entretien général

Si vous voulez faire durer votre VTT, son entretien après chaque sortie est une étape obligatoire. L’entretien concerne le nettoyage, le changement de certaines pièces et la révision générale.

Ne pas faire

Pour nettoyer votre VTT après une sortie boueuse, n’utilisez jamais – entendez-vous ? – jamais ! de nettoyeur haute pression. Si vraiment vous tenez à projeter de l’eau avec un tuyau, utilisez votre tuyau d’arrosage de jardin avec jet diffus.

Autre chose à ne pas faire : huiler la transmission sans l’avoir nettoyée auparavant. C’est le meilleur moyen pour tout encrasser et user prématurément les toutes les pièces.

Et n’utilisez pas non plus de combinés lubrifiant / nettoyant tout-en-un pour votre transmission. Cette dernière se soigne, se bichonne : elle ne mérite pas de traitement à la va-vite (cf. plus loin).

Et vous aurez compris : l’entretien d’un VTT, ce n’est pas seulement le garder à peu près propre, c’est vérifier les pièces et leur usure, prévenir la casse, et donc rouler dans des conditions de sécurité acceptables.

Nettoyage

Si vous revenez d’une sortie très humide, passez un coup de chiffon sec sur la chaîne, épongez ce que vous pouvez sur la transmission, passez un coup de jet d’eau ou un coup de brosse sur le cadre pour ôter le plus « épais » et laissez sécher pour revenir terminer ensuite.

Une fois sec, prenez une brosse et un pinceau plat rigide : la brosse pour ôter la terre collée, le pinceau pour aller dans les recoins (du genre : le dérailleur arrière).

Le cadre d’un VTT se nettoie à l’eau. On peut éventuellement ajouter un petit peu de liquide vaisselle dans la bassine, mais c’est tout. Cela dit, comme vous aurez débarrassé votre VTT de la terre avec une bonne vieille brosse, une microfibre humide fait très bien l’affaire pour la majorité des composants : vous n’aurez pas à attendre le séchage avant de passer à la transmission.

La transmission et les lubrifiants

La durabilité et le besoin de nettoyage de votre transmission dépend énormément du lubrifiant que vous utilisez.

Sur le marché vous trouverez beaucoup de lubrifiants huile adaptés aux conditions météo, mais qui attirent plus ou moins de saletés, avec du téflon ou sans téflon, etc. Il y a même de fortes chance que le premier conseil qu’on puisse vous donner est d’utiliser ce genre de produit.

Lubrifier à l’huile a pour caractéristique de coller la poussière et le sable, et d’user prématurément les dents de vos plateaux, pignons et galets. De plus il faut savoir utiliser la bonne huile en fonction des conditions météo (conditions sèches, conditions humides). Pour le vélo de route, par définition moins sujet à la boue et au sable, l’huile sera sans doute le lubrifiant le plus simple à l’usage.

Pour le VTT, rien ne vaut le lubrifiant à la cire. La cire a pour avantage d’enrober les pièces et empêche vraiment la poussière et le sable d’y adhérer. Les frottements des pièces entre elles est largement atténué ce qui prolonge indéniablement la durée de vie de votre transmission.

Si on a longtemps considéré que les lubrifiants cire étaient sensibles aux conditions humides, les nouvelles formules n’ont plus vraiment ce défaut. En revanche, si un lubrifiant huile peut être appliqué juste avant de pédaler, il vous faudra attendre deux ou trois heures de séchage après avoir appliqué un lubrifiant cire. Ce lubrifiant est composé d’eau et de particules de céramique (il est souvent de couleur blanche), et il pénètre vraiment les moindre espaces entre les composants de la chaîne.

L’autre avantage de la cire, c’est le nettoyage. Même au retour d’une sortie bien boueuse, vous pourrez simplement passer un coup de chiffon sur la chaîne (prenez la chaîne à pleine main avec un chiffon et frottez) et entre les pignons. Alors qu’une huile vous obligerait à dégraisser la transmission.

À propos de dégraissage : la première fois que vous appliquez un lubrifiant cire, et si le lubrifiant précédent était à l’huile, un dégraissage en détail est nécessaire, suivit de trois applications du lubrifiant cire espacées de deux à trois heures.

Enfin, il n’est pas toujours utile de re-lubrifier à chaque fois : l’avantage de la cire, c’est que si les conditions sont bien sèches, et si vous n’avez pas trop sali votre transmission, on peut enchaîner deux sorties sans appliquer le lubrifiant, ou alors un tout petit coup pour la forme (mais toujours après vous être assuré qu’il ne subsiste pas de terre sur la chaîne, donc coup de chiffon, toujours). Vous pouvez aussi réserver un pinceau pour votre chaîne et les pignons, histoire de frotter doucement, y compris entre les maillons.

Changer les pièces de votre transmission

C’est le sujet épineux : quand sait-on qu’il faut changer les pièces ? et si c’est le cas, que doit-on changer ?

Si votre chaîne se met à sauter, c’est soit un défaut de réglage soit une usure qu’il faut d’urgence corriger :

  • la chaîne qui devient trop lâche,
  • des dents des pignons ou des plateaux qui deviennent pointues et ne retiennent plus la chaîne correctement.

Si c’est le cas, je déconseille de changer la chaîne seule, ou les plateaux ou les pignons seuls : c’est un ensemble. Tout au plus on peut changer les galets d’entraînement du dérailleur, mais généralement on les change en même temps que le reste. Pourquoi ? parce que votre chaîne s’est adaptée aux autres éléments d’entraînement et inversement.

Donc : les dents pointues, c’est le signe d’usure à reconnaître. Ne cherchez pas à utiliser les indicateurs d’usure de chaîne. Je lis parfois qu’il est conseillé de changer la chaîne régulièrement… bof : une chaîne de VTT est solide, et à moins de vraiment la maltraiter (changer de vitesses, cela s’apprend) mieux vaut user l’ensemble et changer le tout lorsqu’il le faut. Bien sûr si vous cassez la chaîne, il faut la changer : si elle est neuve et qu’elle saute, c’est qu’il faut aussi changer le reste car l’usure était déjà là.

Concernant les autres pièces de votre transmission, l’élément qu’il peut vous arriver de changer, c’est le boîtier de pédalier. La cause est soit l’usure, soit des chocs dans le pédalier (par exemple, la pierre qu’on n’a pas vue et qui tape une manivelle verticalement) qui font prendre du jeu au boîtier.

Le faire soi-même ? en théorie, si vous êtes bricoleur·se, vous pouvez changer tout un groupe. Mais si vous débutez, contentez-vous dans un premier temps de diagnostiquer, puis faites un tour chez votre revendeur·se : iel a les bons outils, les bonnes pièces et le savoir-faire.

Système de frein

Oui, il faut s’assurer que vos plaquettes ne sont pas encrassées par la boue. Par contre faites bien attention à ne pas projeter de lubrifiant ou n’importe quel corps gras sur vos plaquettes ou le disque de frein.

Pour prévenir les accidents, vérifiez :

  • l’état d’usure des plaquettes : n’attendez pas de freiner sur l’armature pour faire des étincelles et amuser la galerie. Tout ce que vous risquez c’est abîmer votre disque et surtout vous casser le nez parce que vos freins ne sont plus efficaces. Les plaquettes se changent régulièrement : après chaque sortie, vérifiez-les.
  • votre disque de frein : est-il trop usé ? des rails se sont formés ? il faut le changer. Si vous venez de changer les plaquettes et que vous vous apercevez qu’elles rayent profondément votre disque, c’est qu’elles ne conviennent pas.

Quand purger les freins hydrauliques ? Ce n’est pas une opération à faire régulièrement mais lorsque qu’on constate que des bulles d’air sont présentes dans le système :

  • à l’arrêt votre levier de frein est très lâche,
  • lors d’une descente, le frein chauffe et pourtant vous devez pomper pour retrouver de la prise.

Remplacement des plaquettes et des disques : ces opérations peuvent être faites par vous même, c’est facile et accessible. En revanche, pour une bonne purge, je conseille plutôt d’aller voir un·e spécialiste.

Les suspensions

L’entretien complet de ces pièces se fait par un·e professionnel·le. D’ailleurs, certains revendeur·ses les envoient dans un centre spécialisé où l’on peut démonter les suspensions, procéder à une vidange, changer les joints et vérifier les pièces. Certains grand·es bricoleur·ses parviennent à le faire iels-mêmes mais honnêtement, je trouve que ce genre d’opération est très pénible.

Si l’on lit attentivement les modes d’emploi des suspensions, certains préconisent un entretien complet annuel voire tous les six mois. Un tel entretien coûte entre 100 et 150 euros par suspension et très franchement, à moins de vouloir y passer le prix d’une fourche neuve, il n’y a pas grand intérêt à faire une entretien complet tous les ans. Si vous prenez soin de votre matériel, une fourche rempli parfaitement son rôle des années durant, cependant, pour en garantir l’efficacité, pensez régulièrement à sa révision selon le rythme de vos sorties à l’année. Donc tous les ans ou tous les deux ans : au-delà, c’est que vous sortez peu.

On distingue :

  • la révision : tous les ans ou deux ans : vidange, vérification, nettoyage (à faire soi-même ou chez un professionnel),
  • l’entretien complet : idem + changement des joints, tous les ans ou deux ans (plutôt chez un professionnel).

Conseil : alternez :) et si vous loupez une séquence, ça ira quand même si vous prenez soin de votre matériel, rassurez-vous.

Autre solution : vous vous en fichez, vous roulez et lorsqu’il faut changer la fourche avant, vous la changez. Sur un semi-rigide, par exemple, qui ne nécessite pas d’entretien trop onéreux, et si la fourche n’est pas excessivement chère, c’est peut-être encore la solution la plus simple. Donc on se détend sur ce point.

Enfin, n’oubliez pas : les suspension avec ressort à air… cela se regonfle. Si vous perdez de l’air (cherchez la raison si vous en perdez trop), non seulement votre suspension ne sera plus réglée correctement (surtout en fonction de votre poids) mais aussi elle va s’user davantage vu que vous mettez à l’épreuve les matériaux. Si vous n’avez pas de pompe haute pression manuelle (cela vaut entre 20 et 40 euros), passez chez votre revendeur·se : il faut 30 secondes pour rajouter un peu d’air.

Autres dispositifs

La caisse à outils

Même si vous ne bricolez pas jusqu’à être capable de démonter et remonter chaque pièce de votre VTT, votre caisse à outil devra néanmoins comporter quelques éléments essentiels. La liste suivante n’est pas exhaustive mais elle vous permettra de survivre :

  • les outils que vous embarquez lors de vos sorties,
  • outils classiques : tous les outils que vous avez déjà à la maison, dont un jeu de clé allen (en T si possible) et au moins une petite pince coupante,
  • une clé à pédales (pour changer les pédales),
  • pompe à haute pression (pour suspension),
  • pompe à pied avec manomètre,
  • un pied d’atelier (ou si c’est trop encombrant pour vous, un simple pied béquille à crochets qui puisse vous permettre de soulever la roue arrière lorsque vous bricolez),
  • un dérive chaîne,
  • une pince attache rapide.

Si vous êtes en Tubeless, il faudra un compresseur. Pas besoin d’un compresseur électrique. Il s’agit d’un compresseur à gonfler jusque 8-10 bar capable de relâcher la pression très rapidement de manière à faire claquer le pneu. Cela vaut entre 50 et 80 euros.

Pour le reste, si vous voulez changer votre groupe de transmission, votre système de frein, ou vos suspensions, il y a des outils spécifiques à se procurer avant de faire quoi que ce soit. Et n’oubliez pas : il y a un début à tout, mais quand on n’a jamais fait… on n’a jamais fait. Donc faites vous accompagner, c’est mieux.

Préparer ses sorties et se repérer

À moins de connaître parfaitement les moindres sentiers sur des centaines de kilomètres carrés, vous devriez embarquer au moins une carte IGN lorsque vous sortez rouler.

Il y a deux manières d’envisager une sortie. La première, surtout s’il s’agit de vos premières sorties, c’est de partir comme vous le feriez en randonnée pédestre, avec une bonne carte, puis improviser votre parcours en vous fixant des objectifs et en suivant le balisage. C’est une bonne manière de découvrir le pays. En revanche, à moins d’avoir déjà pas mal de pratique, méfiez-vous de l’improvisation qui risque de vous amener à emprunter des chemins trop difficiles par rapport à votre niveau, voire des chemins carrément non praticables en VTT. Parfois, il peut être intéressant d’organiser une randonnée pédestre pour envisager certaines tranches du parcours.

C’est votre niveau que, justement, vous allez pouvoir améliorer si vous surveillez vos distances et vos dénivelés. De même, si vous préparez correctement un parcours, vous pouvez plus facilement veiller à ne pas présumer de vos forces.

Donc la seconde manière d’envisager vos sorties, c’est de manipuler un peu de matériel numérique.

Première solution. Préparez votre parcours en vous rendant par exemple sur Geoportail, ou encore VTTRack. La cartographie IGN est la plus appropriée pour préparer correctement une sortie pleine nature. Mais si vous pensez pouvoir vous satisfaire des cartes issues du projet OpenStreetMap (dont les couches OpenTopoMap, présentant les courbes de dénivelé), vous pouvez vous rendre sur le projet Umap ou utiliser un logiciel comme Viking ou QMapShack sous GNU/Linux.

Tracez le parcours grosso-modo avec l’outil de calcul de distance, mémorisez les principaux points de passage et prenez une carte « papier » qui vous servira à vous repérer sur place (astuce : au lieu de prendre toute une carte, faites des photocopie couleur des lieux que vous fréquentez, et utilisez une pochette plastique : sortir la carte directement depuis la poche arrière est moins contraignant que sortir une grande carte du sac à dos, la déplier, la replier…),

Seconde solution. Préparez votre parcours avec un logiciel qui permet de réaliser un tracé que vous pourrez ensuite importer sur un dispositif GPS que vous embarquez sur votre VTT (ou votre smartphone dans une poche facile d’accès). C’est de loin la solution la plus courante mais elle nécessite encore un achat, celui du GPS (c’est tellement pratique, aussi…). Notez qu’on ne compte plus le nombre d’écrans de smartphone cassés à force de le sortir et le ranger pour se repérer. Vous pouvez aussi avoir un support pour smartphone au guidon : c’est très bien sur route, mais en VTT quand ça secoue trop fort ou si vous tombez, votre smartphone risque de prendre cher (alors que les dispositifs GPS sont petits et peu encombrants au guidon).

Dans les deux cas, regardez-bien les distances, les dénivelés et identifiez les points difficiles.

Ma pratique personnelle est la suivante :

  1. Un dispositif GPS embarqué sur le vélo (marque Garmin et son support guidon),
  2. n’ayant jamais trouvé mieux que la cartographie IGN pour nos contrées, il est difficile de trouver un logiciel libre qui utilise efficacement cette cartographie pour tracer des parcours de manière fiable et en exporter des traces utilisables sur une dispositifs GPS. J’ai donc opté pour IGN Rando qui permet, outre l’application du téléphone portable, de préparer ses parcours à partir d’un simple navigateur Internet, afin de créer des traces et les exporter en différents formats (j’utilise le GPX). L’usage des cartes est payant pour quelques euros par an.
  3. Une fois le GPX créé, j’uploade sur le site de Garmin (qui se gave de mes données personnelles, aaargh!) et je balance le tout sur mon appli smartphone qui, couplée à mon dispositif GPS me permettra d’y uploader la trace afin d’être utilisable sur le vélo lors de la sortie.

IGN Rando est aussi une application sur Smartphone. Notez que depuis le mois de mai 20244, l’IGN a publié une autre application nommée Cartes IGN, qui est en fait un accès au Géoportail.

Pourquoi ne pas utiliser les cartes du projet OpenStreet Map ? et bien figurez-vous que c’est le cas. J’ai fait en sorte que mon dispositif GPS de vélo utilise ces cartes qui, en fait, sont plus lisibles et à jour que les cartes présentes par défaut. Par contre, pour préparer un parcours, l’IGN a produit des cartes bien plus adaptées et dont les données peuvent aussi être croisées.

Autre solution, si vous ne voulez pas téléverser vos cartes et vos données sur le site du fabricant :

  • préparez votre trace GPX à suivre ;
  • placez le fichier sur votre dispositif GPS relié à votre ordi (sous GNU Linux, c’est comme une clé USB, il suffit de choisir le bon dossier) ;
  • vous pouvez aussi y aller chercher le GPX de votre parcours effectué ;
  • et le lire avec un logiciel de lecture GPX libre.

Nettoyer sur place

Et pour finir, je reviens de nouveau sur la question du nettoyage. Si vous vous déplacez en voiture avec votre VTT ou si vous habitez en appartement, un petit matériel pourra vous être utile : un nettoyeur mobile. Il s’agit d’une petite station sur batteries, avec une contenance de 5 à 10 litres. Le jet d’eau n’est pas haute pression. La marque Kärcher en produit à prix raisonnable.

Utilité : si vous revenez d’une sortie très boueuse, avant de charger le VTT sur votre porte-vélo ou dans la voiture, passez-lui un coup de flotte avec cet outil. Idem si vous habitez en appartement, descendez sur le parking : vous pourrez nettoyer votre vélo sans encrasser votre balcon. Prenez aussi toujours une ou deux brosses avec vous pour enlever le plus gros avant de fignoler à la maison.

Notes

  1. L’autre option est d’acheter un vélo dit « Gravel », assez à la mode en ce moment : pour dire vite il s’agit d’un vélo de course (donc sportif) avec un cadre et des roues adaptés aux chemins forestiers peu accidentés. ↩︎

  2. À vrai dire, entre les études, la vie familiale et la pratique du trail, je n’ai pas fait que du VTT durant toutes ces années. ↩︎

  3. Non, je n’incite personne à emprunter le VTT d’un·e ami·e. Parce qu’il n’est pas conseillé de prêter son VTT chéri à un·e débutant·e, alors que la location, hein, on sait ce qu’on fait avec ce matériel… ↩︎

02.06.2024 à 02:00

Avant un nouvel été de catastrophes climatiques, parlons de vraies solutions

Voici la traduction d’un texte de Peter Gelderloos paru sur Crimethinc le 08 mai 2024. J’ai déjà eu l’occasion de traduire un texte de P.G. en 2019. Celui-ci est court et même si je crois que l’auteur néglige des points importants (je pense à nos rapports avec les technologies de l’information et la surveillance), j’adhère en grande partie à son approche. Nous sommes actuellement en pleine période électorale Européenne, et pour ces mêmes raisons je suis convaincu qu’il n’y a guère d’espoir politique dans les logiques de partis, institutionnelles ou de plaidoyer, bien au contraire. Un attitude anarchiste (et préfigurative) me semble être une voie de sortie souhaitable.


Introduction sur Crimethinc :

En coopération avec Freedom, nous présentons un court texte de Peter Gelderloos explorant les raisons de l’échec des stratégies actuellement employées par les principaux mouvements environnementaux pour stopper le changement climatique d’origine industrielle, et ce que nous pourrions faire à la place. Pour un examen plus approfondi de ces questions, nous recommandons le nouveau livre de Peter, The Solutions are Already Here : Strategies for Ecological Revolution from Below.


Avant un nouvel été de catastrophes climatiques, parlons de vraies solutions

Le mouvement climatique dominant part d’un postulat qui garantit l’échec.

Pas seulement l’échec. Une catastrophe. Et plus il sera efficace, plus il causera de dégâts.

Voyons pourquoi.


Le réductionnisme climatique

Aujourd’hui, lorsque les gens pensent à l’environnement, ils se représentent généralement des actions de désobéissance civile dans les rues, un militantisme médiatique, un lobbying enthousiaste et des conférences visant à fixer des objectifs mondiaux en matière d’émissions de carbone, le tout sous la houlette d’organisations non gouvernementales, d’universitaires et de politiciens progressistes. Cependant, la lutte écologique a toujours inclus des courants anticapitalistes et anticoloniaux, et ces courants sont devenus plus forts, plus dynamiques et mieux connectés au cours des deux dernières décennies.

Cette évolution ne s’est toutefois pas faite sans revers, souvent en raison d’une intense répression qui laisse les mouvements épuisés et traumatisés, comme la « peur verte » (green scare1) qui a débuté en 2005 ainsi que la répression de Standing Rock et d’autres mouvements anti-pipelines menés par des populations indigènes dix ans plus tard. Systématiquement, au moment précis où les courants radicaux pansent leurs plaies, la vision de l’environnementalisme, majoritairement blanche et issue de la classe moyenne, prend le devant de la scène et entraîne le débat dans des directions réformistes2.

La crise à laquelle nous sommes confrontés est une crise écologique complexe, dans laquelle s’enchevêtrent les assassinats par les forces de police, les lois répressives, l’histoire du colonialisme et du suprématisme blanc, la dégradation de l’habitat, l’accaparement des terres, l’agriculture alimentaire, la santé humaine, l’urbanisme, les frontières et les guerres. Les principaux leaders du mouvement environnementaliste ont pris la décision stratégique de réduire tout cela à une question de climat ­— la crise climatique — et de positionner l’État en tant que protagoniste, en tant que sauveur potentiel. Cela signifie présenter l’Accord de Paris et les sommets de la COP comme les solutions au problème, et utiliser l’activisme performatif et la désobéissance civile pour exiger des changements de politique et des investissements en faveur de l’énergie verte.

Le climat se réchauffe, indépendamment des sommets internationaux sur le climat qui ne sont d'aucune utilité.

Un échec prévisible

Les deux piliers de leur stratégie pour résoudre la crise climatique sont, d’une part, l’augmentation de la production d’énergie verte et, d’autre part, la réduction des émissions de carbone.

Ils ont été très efficaces pour atteindre le premier objectif, mais totalement inefficaces pour le second. C’était tout à fait prévisible.

Quiconque comprend le fonctionnement de notre société, c’est-à-dire le fonctionnement du capitalisme, sait que la conséquence logique d’une augmentation des investissements dans les énergies vertes sera une augmentation de la production de combustibles fossiles. La raison principale en est que les centaines de milliards de dollars qui ont déjà été investis dans les pipelines, les mines de charbon, les raffineries de pétrole et les puits de forage sont du capital fixe. Ils valent beaucoup d’argent, mais ce n’est pas de l’argent sur un compte bancaire qui peut être rapidement investi ailleurs, transformé en actions ou en biens immobiliers ou encore converti dans une autre devise.

Une excavatrice à charbon de 14 000 tonnes, une plateforme pétrolière offshore : elles ne deviendront jamais quelque chose d’autre d’une valeur financière similaire. C’est de l’argent qui a été dépensé, un investissement qui n’est utile aux capitalistes que s’ils peuvent continuer à l’utiliser pour extraire du charbon ou forer du pétrole.

Cette règle économique prévaut, que l’entreprise capitaliste en question soit ExxonMobil, la compagnie pétrolière d’État saoudienne ou la China Petrochemical Corporation, propriété du parti communiste (qui a été classée plus grande entreprise énergétique du monde en 2021).

Le capitalisme (y compris celui pratiqué par tous les gouvernements socialistes du monde) est basé sur la croissance. Si les investissements dans les énergies vertes augmentent, entraînant une hausse de la production totale d’énergie, le prix de l’énergie diminuera, ce qui signifie que les grands fabricants produiront davantage de marchandises, quelles qu’elles soient, rendant leurs produits moins chers dans l’espoir que les consommateurs en achèteront davantage. Par conséquent, la consommation totale d’énergie augmentera. Cela s’applique à l’énergie provenant de toutes les sources disponibles, en particulier les plus traditionnelles, à savoir les combustibles fossiles.

Après des décennies d’investissement, l’énergie verte deviendra enfin concurrentielle, voire moins chère que l’énergie produite à partir de combustibles fossiles. Cela n’a débuté qu’au cours des dernières années, bien que les prix fluctuent encore en fonction de la région et du type de production d’énergie. L’industrie des combustibles fossiles n’a pas abandonné ses activités ni diminué sa production. De nombreuses entreprises ne couvriront même pas leurs investissements entre les combustibles fossiles et les énergies vertes. En revanche, elles investiront davantage dans de nouveaux projets liés aux combustibles fossiles. C’est l’économie capitaliste de base : si le prix marginal d’un produit diminue, le seul moyen de maintenir ou d’augmenter ses bénéfices est d’accroître la production totale. Cela explique pourquoi 2023 a été une année record pour les nouveaux projets de combustibles fossiles.

Il existe une autre façon d’augmenter les profits : en diminuant les coûts de production. Pour l’industrie des combustibles fossiles, cela se traduit par une réduction des normes de sécurité et environnementales, ce qui signifie plus d’accidents, plus de pollution, plus de morts.

Nous l’avons vu venir. Nous avons dit que cela arrivait. Et nous avons été exclus du débat, et dans de nombreux cas tués ou emprisonnés, parce que le besoin pathétique de croire que le gouvernement peut nous sauver est encore plus grand que l’addiction aux combustibles fossiles.

Mais le capitalisme n’a pas d’avenir sur cette planète. Nous aurons besoin d’une révolution de grande envergure pour faire face à cette crise.

Pour chaque barre, la barre bleu clair à gauche représente l'énergie « propre » ; la barre bleu foncé à droite représente les combustibles fossiles. Source : rapport The World Energy Investment 2023].
Bien que les investissements annuels dans les énergies « vertes » augmentent significativement, la production et la consommation de combustibles fossiles continuent également d'augmenter. Source : Statistical Review of World Energy 2023.

Alors, que faire ?

Nous devons réorienter le débat. Nous devons adopter une posture qui nous permette d’être prêts pour le long terme. Nous devons soutenir les luttes qui peuvent apporter de petites victoires et accroître notre pouvoir collectif, et approfondir notre relation avec le territoire qui peut nous soutenir. Par-dessus tout, nous devons imaginer des avenirs meilleurs que celui qu’ils nous réservent.

Parler

Le type de transformation sociale — de révolution mondiale — qui peut guérir les blessures que nous avons infligées à la planète elle-même et à tous ses systèmes vivants devra être plus ambitieux que tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. Cette crise nous prend tous au piège et nuit à tout un chacun ; la réponse devra être apportée par le plus grand nombre possible d’entre nous.

Imaginez toutes les personnes de votre entourage dont vous ne voulez pas qu’elles meurent de faim ou de cancer, qu’elles soient soumises à des conditions météorologiques extrêmes ou qu’elles soient abattues par la police ou autres suprémacistes blancs.

Vous n’avez pas besoin de convaincre toutes ces personnes de devenir des révolutionnaires anarchistes. Il suffirait d’en convaincre certaines de rompre leur loyauté envers les institutions dominantes et les mouvements réformateurs classiques et de sympathiser avec une approche révolutionnaire, ou du moins de comprendre pourquoi une telle approche a du sens.

Pour ce faire, vous pouvez poser une question dont la réponse est incontestable, une question qui a un rapport direct avec un sujet qui les affecte ou les motive. Par exemple :

  • Combien de personnes meurent chaque année à cause du manque d’eau potable, de la famine, des conditions climatiques, de la pollution de l’air et autres causes liées à la crise écologique ? Au moins 10 à 20 millions chaque année, et ce chiffre ne cesse d’augmenter.
  • Depuis 2017, les investissements dans les énergies renouvelables augmentent chaque année. En 2022, les investissements dans les énergies renouvelables seront 15 fois plus importants qu’en 2004. Cela a-t-il été rentable pour les investisseurs ? Oui. Les investissements annuels s’élèvent à plus de mille milliards de dollars et les bénéfices à plus de cent milliards, même si les investisseurs ont montré qu’ils retiraient rapidement leur argent des énergies vertes lorsque les marges bénéficiaires diminuaient. Qu’est-il advenu des émissions mondiales de CO2 au cours de cette même période ? Elles ont grimpé d’un tiers. Et la production de combustibles fossiles au cours de la même période ? Elle a augmenté de 40 %. Ces chiffres correspondent-ils à peu près aux taux d’augmentation des émissions de carbone et de la production de combustibles fossiles au cours des décennies précédentes ? Oui. Et qu’est-ce que cela signifie ? L’explosion des investissements dans les énergies vertes n’a en rien ralenti la production de combustibles fossiles et les émissions de carbone, même si les nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles deviennent plus difficiles et plus coûteux.
  • Notre eau, notre air et nos aliments sont chargés de produits chimiques toxiques. Nombre d’entre eux sont liés à la production de plastiques, de pesticides, de substances chimiques persistantes (PFAS), à l’exploitation minière et à la combustion de carburants fossiles. Nous connaissons les dangers de la plupart de ces composés depuis des décennies, et plusieurs d’entre eux sont interdits ou réglementés par divers gouvernements. Dans l’ensemble, les quantités de ces toxines présentes dans notre environnement augmentent-elles ou diminuent-elles ? Elles augmentent. Qu’ont fait de nombreuses grandes entreprises chimiques en réponse à l’interdiction de l'APFO, un « produit chimique éternel » toxique ? Elles se sont tournées vers la production d’autres PFAS dont on sait ou dont on pense qu’ils sont toxiques. Savons-nous si ces interdictions sont effectivement respectées ? Cinq ans après avoir accepté de retirer progressivement l’APFO sous la pression du gouvernement, les usines chimiques de DuPont continuaient à rejeter de l’APFO dans les eaux souterraines. C’est probablement encore le cas aujourd’hui, mais les populations concernées n’ont pas les moyens de s’en rendre compte et le gouvernement ne surveille pas ces rejets.
  • Examinons un sujet analogue pour voir si un tel réformisme a donné des résultats dans d’autres contextes. En 2020, les villes et les États américains ont cherché à apaiser le mouvement contre les meurtres commis par la police en adoptant des mesures visant à garantir la responsabilité de la police, qu’il s’agisse de formations à la sensibilité raciale, de commissions de surveillance citoyenne, de lignes directrices plus strictes sur l’usage de la force ou de caméras corporelles obligatoires. Le nombre d’homicides commis par la police a-t-il diminué depuis lors ? Non, il a augmenté.

Après avoir fait part des réponses à ces questions, vous pouvez insister sur le fait que la réforme du système existant est une stratégie qui a échoué, et demander à vos interlocuteurs s’ils comptent essayer la même stratégie encore et encore, en espérant des résultats différents.

Cela devrait vous permettre de déterminer quelles sont les personnes autour de vous qui sont capables de remettre en question le paradigme dans lequel elles vivent, et quelles sont celles qui sont attachées aux fausses croyances qui sous-tendent ce paradigme. Ne perdez pas votre temps avec ce dernier groupe. Quelles que soient les velléités de rédemption et les belles valeurs qu’elles peuvent avoir, essayer de dialoguer avec ces personnes par le biais de la raison, de l’éthique et de la logique, c’est passer à côté de l’essentiel. Lorsque des gens s’obstinent à croire des choses dont la fausseté a été démontrée, c’est soit parce que ces croyances les réconfortent, soit parce qu’elles leur apportent pouvoir et profit. Il est peu probable que le débat puisse changer cela.

Nous devons faire évoluer la discussion au niveau de la société dans son ensemble. Nous avons besoin que les gens comprennent nos arguments ; nous devons nous assurer que les orthodoxies dominantes soient considérées comme controversées et non acceptables.

Cela signifie qu’il faut discréditer l’Accord de Paris, les Nations unies, Extinction Rebellion et les grandes ONG, ainsi que toute la stratégie consistant à remplacer les combustibles fossiles par des énergies vertes tout en laissant le système économique mondial inchangé. La seule chose qu’ils arriveraient à faire, c’est de gagner beaucoup d’argent. De même, nous devrions promouvoir une compréhension plus claire de la fonction de la police dans le contexte historique, de l'impact de la production économique basée sur la croissance sur notre santé et du fait qu’aucun gouvernement n’est susceptible de prendre des mesures pour atténuer l’un ou l’autre de ces méfaits.

Concentrons-nous sur les personnes qui sont capables de changer. Lorsque les gens commencent à changer d’avis, il est utile qu’ils puissent faire le lien avec un changement immédiat dans leurs actions. Aidez-les à trouver un petit geste à leur mesure. Par exemple :

  • Réorienter les dons aux grandes ONG vers des fonds de défense juridique des défenseurs de la terre, vers des collectes pour des projets de défense de la terre, et pour des médias et éditeurs alternatifs qui présentent une vision objective de la crise ;
  • Écrire une lettre à une personne emprisonnée pour sabotage dans un but écologique ou pour s’être défendue contre la police, ou à une personne qui cherche à obtenir un meilleur traitement et des moyens de survie à l’intérieur du système carcéral ;
  • Diffuser sur les médias sociaux des informations sur les luttes pour la défense des terres Indigènes dans le monde entier ;
  • Réagir aux campagnes conventionnelles de sensibilisation à l’environnement ou au cadre des Nations Unies sur le changement climatique, en soulignant qu’il s’agit d’une escroquerie et en renvoyant à des articles destinés à une large diffusion, comme celui-ci ;
  • Demander aux bibliothèques et aux librairies locales de commander des livres qui présentent une vision honnête de la crise écologique ;
  • Créer un groupe de lecture avec des amis ;
  • Assister à une manifestation ;
  • Soutenir un jardin communautaire local, un point de distribution de nourriture ou de vêtements gratuits, un groupe de réduction des risques ou une initiative de justice réparatrice ;
  • Transformer une pelouse en un jardin de fleurs sauvages et de plantes comestibles autochtones ;
  • Expérimenter la guérilla jardinière.
South Central Farm. Mentionné dans Rolling Thunder #4, ce jardin de Los Angeles a nourri des centaines de familles, préservant un espace vert dans la friche urbaine.

Être honnête

L’apocalypse a déjà commencé. Depuis des décennies, des millions d’humains — et maintenant des dizaines de millions d’humains — meurent chaque année des effets de cette crise écologique. Nous avons dépassé les taux de mortalité des pires années de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, même si nous ne comptons pas les chiffres des victimes des guerres chaudes que les puissances suprématistes blanches mènent du Niger à la Palestine — bien que ces guerres soient également liées à cette crise.

En outre, un nombre inconnu d’espèces — probablement des milliers — sont condamnées à l’extinction chaque année. De nombreux habitats et écosystèmes disparaissent à jamais. La biomasse globale, c’est-à-dire la masse totale de tous les êtres vivants sur la planète, diminue considérablement. L’eau, l’air et le sol sont remplis de poisons. Les objectifs climatiques de réduction des émissions de carbone sont probablement trop optimistes ; nous avons déjà franchi de nombreux points de basculement à 26 ans de 2050 (l’objectif de l’ONU pour atteindre l’objectif « zéro émission nette »), et les projections des États les plus puissants et des plus grandes entreprises indiquent que nous ne parviendrons pas à respecter la date butoir tant souhaitée de 2050. La fin d’un monde est déjà en marche.

Pour faire ce que nous avons à faire, nous devons accepter cette réalité et nous y atteler. La souffrance est déjà là. La mortalité massive est déjà là. Mais après chaque mort, il y a une nouvelle vie, et il y aura encore de la vie sur cette planète jusqu’à la dilatation du soleil dans quelques milliards d’années. C’est une question de vie ou de mort pour nous, et nous devons donc la prendre au sérieux, faire des sacrifices, mais comme il est déjà « trop tard », nous pouvons nous concentrer sur des cadrages qualitatifs et à long terme, plutôt que de nous laisser guider par une urgence trop superficielle et épuisante.

Une chose au moins est certaine : les communautés vivantes de cette planète se porteront beaucoup mieux si nous abolissons l’État et le capitalisme. Si nous n’y parvenons pas de notre vivant, elles se porteront quand même mieux — nous nous porterons mieux — si nous érodons leur hégémonie, si la plupart des gens peuvent voir que les institutions dominantes sont responsables de ce qui se passe, si nous avons augmenté notre capacité de guérison et de survie collective.

Commencer

Il existe de nombreuses façons de soutenir une lutte. Bien qu’il soit facile de se démoraliser lorsque la plupart des pipelines, bases militaires, mines et autres mégaprojets auxquels nous nous opposons sont néanmoins construits, il est vital de s’engager. La révolution n’est pas une progression linéaire — ce n’est pas un millier de petites victoires qui s’accumulent en une grande victoire. Oui, il est nécessaire de montrer que nous pouvons parfois gagner, mais il s’agit aussi de la joie et de l’expérience que nous emportons avec nous, des instincts tactiques et stratégiques que nous développons, du savoir-faire technique, des relations que nous construisons, de la jubilation à forcer la police à tourner les talons pour s’enfuir, de la conscience que les figures d’autorité à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement ne font que nous entraver, de la façon dont, dans la lutte, il devient clair que sont liées entre elles toutes les questions qui sont cloisonnées et toutes les formes d’oppression.

Nous devons nous engager dans des luttes intermédiaires de manière à aider les gens à découvrir et à pratiquer les types de tactiques et de stratégies qui seront nécessaires pour un changement à long terme.

De nombreuses luttes menées au cours des dernières décennies nous ont donné de l’énergie et nous ont appris des leçons que nous ne devrions jamais oublier : les insurrections à Oaxaca, en Grèce, en France, à Hong Kong et au Chili, les assemblées décentralisées du mouvement d’occupation des places, l’antiracisme sans compromis des rébellions anti-policières, la joyeuse reconquête de l’espace public exprimée par Reclaim the Streets, les occupations de forêts de Hambach à Khimki, la ligne stratégique de Stop Cop City, et bien d’autres choses encore.

Creuser

La survie a commencé hier. Les habitants des pays qui ont déjà subi un effondrement, ainsi que les communautés autochtones et les communautés noires défavorisées du monde entier, ont déjà une longueur d’avance. Apprenez de ceux qui ont vécu ces expériences. Ensuite, apprenez à connaître intimement votre territoire. Apprenez d’où peut provenir la nourriture et quelles modifications devront être apportées aux habitations pendant les saisons les plus extrêmes en cas de panne du réseau électrique. Établissez des méthodes de communication et de coordination pour le cas où les téléphones et les connexions Internet ne fonctionneraient plus. Renseignez-vous sur les moyens d’accéder à de l’eau potable. Identifiez les lieux où le sol est le plus contaminé afin que personne ne puisse y cultiver de la nourriture. Apprenez à quel point les suprémacistes blancs sont coordonnés.

Et ensuite, mettez-vous au travail pour créer plus de ressources alimentaires communautaires, un meilleur accès au logement et plus de réseaux d’autodéfense collective. Soutenez tout projet qui vous inspire et qui nous rend tous plus forts, à la fois aujourd’hui et dans l’avenir probable, qu’il s’agisse d’un effondrement, d’une montée de l’autoritarisme ou d’une guerre civile révolutionnaire.

Se connecter à nos territoires spécifiques signifiera probablement rompre avec les idéologies homogénéisantes qui prétendent que nous sommes tous les mêmes, qui ne peuvent pas tenir compte du fait que nous avons tous des histoires et des besoins différents et que ces histoires sont parfois sources de conflits, ou qui basent leur idée de la transformation sociale sur un programme prédéterminé ou sur une certaine idée de l’unité forcée. L’avenir que nous devons créer est un écosystème sans centre.

Rêver en grand

La révolution est encore possible. Nous pouvons l’affirmer avec conviction parce que l’histoire nous livre certains modèles au fil des siècles, et aussi parce que nous entrons dans une période sans précédent, où les institutions dominantes utilisent des plans et des modèles qui sont déjà obsolètes.

Toutes les révolutions des derniers siècles ont finalement été des échecs. Cela signifie que nous pouvons en tirer des leçons sans bloquer notre imagination ou présumer que nous savons à quoi ressemblera une transformation réussie de l’ensemble de la société.

Elle ne découlera pas d’un plan prédéfini. Elle ne sera pas le résultat du triomphe d’un parti. Elle sera le résultat d’innombrables rêves, plans, complots, espoirs fous et batailles que nous ne pouvons pas encore prévoir. Nous y parviendrons ensemble, en rêvant sans cesse, en tricotant sans cesse, parce que c’est cela, vivre libre.


  1. NdT : la « menace éco-terroriste », pourrait-on dire. L’expression est reprise de red scare, la peur rouge, celle du communisme. Voir la page Wikipédia Green Scare. ↩︎

  2. J’examine des exemples de cette répression dans le monde et la manière dont elle est systématiquement liée au remplacement des mouvements radicaux par des courants réformistes dans The Solutions Are Already Here: Strategies for Ecological Revolution from Below et They Will Beat the Memory Out of Us: Forcing Nonviolence on Forgetful Movements. ↩︎

17.03.2024 à 01:00

Bibliographie : aidez vos étudiants !

Dans ce court billet, je questionne le rapport à la gestion bibliographique dans l’enseignement supérieur. Souvent, les exigences de rendus (devoirs et rapports) précisent combien la présentation de la bibliographie est importante, alors qu’on néglige son apprentissage. Ne serait-ce pas souhaitable d’enseigner l’automatisation de la gestion bibliographique plutôt que de se contenter de distribuer des documents exhortant à reproduire des modèles plus ou moins fiables ?

Chacun sait combien il est important, lors de toute activité scientifique, d’être en mesure de citer des références bibliographiques. Les raisons sont multiples : la première consiste à prouver de cette manière dans quel domaine, dans quelle école de pensée, ou dans quelle discipline on souhaite inscrire ce qu’on est en train d’écrire. Une seconde raison consiste à démontrer la maîtrise du sujet qu’on prétend aborder, c’est-à-dire démontrer qu’une recherche préalable a été effectuée et permettre aux lecteur·ices de considérer la pertinence de l’argumentation. Une troisième raison concerne les sources qu’on utilise pour les besoins de l’argumentation. Ces sources doivent être convenablement citées de manière à ce que les lecteur·ices puissent s’y rapporter et juger ainsi de la fiabilité autant que de la scientificité de la démonstration.

C’est pourquoi l’apprentissage de la gestion bibliographique doit commencer très tôt dans la formation des étudiants. Elle doit faire partie intégrante des enseignements, et non se présenter comme un vague module optionnel offert par un service interne dont la plupart des étudiants ignorent l’existence. D’autant plus qu’une initiation ne demande pas énormément d’heures d’enseignement et reste d’autant plus efficace qu’elle est adaptée à la discipline concernée.

Elle est même nécessaire si on compare l’état de l’enseignement supérieur d’une vingtaine d’années plus tôt. Les étudiants ont aujourd’hui à rendre des travaux écrits qui demandent davantage de travail rédactionnel sous format numérique, en particulier les différents rapports d’activité ou de stage. Avec la progression des outils numériques, on attend des étudiants dès la première année une certaine maîtrise des logiciels bureautiques dans la préparation de documents longs. Or, bien que les formations du secondaire aient quelque peu progressé, très rares sont les étudiants qui, dès la première année, sont capables d’utiliser correctement un logiciel de traitement de texte comme LibreOffice dans cet objectif, car ils n’ont jamais eu à écrire de longs textes rigoureux. Les éléments à maîtriser sont, en vrac : la gestion des styles, la gestion des index, les règles de mise en page, la correction ortho-typographique, et… la bibliographie. Autant d’éléments dont on ne se souciait guère lorsqu’il s’agissait de rendre un devoir de 4 copies doubles manuscrites (dans le cas des études en humanités).

De même, très peu d’étudiants ont déjà mis en place, avec leurs propres compétences numériques, une sorte de chaîne éditoriale qui leur permettrait d’écrire, d’organiser leurs fichiers correctement et de gérer leur documentation. L’exemple de la gestion de prise de notes avec une méthodologie de type Zettelkasten, un format malléable comme le markdown (y compris avec des logiciels spécialisés permettant de saisir des mathématiques), des sorties d’exportation vers du PDF ou des formats .odt, docx, ou LaTeX… tout cela ne s’acquiert finalement qu’assez tard dans les études supérieures.

Pourtant, beaucoup de formations ont tendance à considérer ces questions comme étant annexes. Pire, elles incitent les étudiants à utiliser des outils tout intégrés et privateurs chez Microsoft et Google parce que les universités passent des marchés avec des prestataires, et non pour aider vraiment les étudiants à maîtriser les outils numériques. Dans ce contexte, la question de la gestion bibliographique devient vite un bazar :

  • les enseignants qui s’y collent ont souvent leurs propres (mauvaises) habitudes,
  • on s’intéresse à la présentation de la bibliographie uniquement, sans chercher à former l’étudiant à la gestion bibliographique,
  • les modèles proposés sont souvent complètement inventés, tirés de revues diverses, alors qu’une seule norme devrait servir de repère : ISO 690.

On constate que presque aucune université ou école française ne propose de style bibliographique à utiliser dans un format de type CSL (et ne parlons même pas de BibTeX). À la place on trouve tout un tas de documents téléchargeables à destination des étudiants. Ces documents ne se ressemblent jamais, proposent des styles très différents et, lorsque les rédacteurs y pensent, renvoient les étudiants aux logiciels de gestion bibliographique comme Zotero sans vraiment en offrir un aperçu, même succinct.

Prenons deux exemples : ce document de l’Université Paris 8 et ce document de l’Université de Lorraine. Seul le second mentionne « en passant » la question de l’automatisation de la gestion bibliographique et propose d’utiliser le style APA de l’Université de Montréal (en CSL). Mais les deux documents proposent des suites d’exemples qu’on peut s’amuser à comparer et deviner le désarroi des étudiants : les deux proposent un style auteur-date, mais ne sont pas harmonisés quand à la présentation. Il s’agit pourtant de deux universités françaises. Il y a pléthore de documents de cet acabit. Tous ne visent qu’à démontrer une chose : pourvu que la bibliographie soit présentée de manière normalisée, il est inutile de dresser des listes interminables d’exemples, mieux vaut passer du temps à apprendre comment automatiser et utiliser un style CSL une fois pour toute.

Ce qui se produit in fine, c’est une perte de temps monstrueuse pour chaque étudiant à essayer de faire ressembler sa liste bibliographique au modèle qui lui est présenté… et sur lequel il peut même être noté ! Et tout cela lorsqu’on ne lui présente pas plusieurs modèles différents au cours d’une même formation.

Je vais l’affirmer franchement : devrait se taire sur le sujet de la bibliographie qui n’est pas capable d’éditer un fichier CSL (en XML) correctement (en suivant la norme ISO 690), le donner à ses étudiants pour qu’ils s’en servent avec un logiciel comme Zotero et un plugin pour traitement de texte. À la limite, on peut accepter que savoir se servir d’un fichier CSL et montrer aux étudiants comment procéder pour l’utiliser peut constituer un pis-aller, l’essentiel étant de faciliter à la fois la gestion bibliographique et la présentation.

Oui, c’est élitiste ! mais à quoi servent les documents visant à montrer comment présenter une bibliographie s’ils ne sont pas eux-mêmes assortis du fichier CSL qui correspond à la présentation demandée ?

Ce serait trop beau de penser que les rédacteurs de tels documents proposent rigoureusement les mêmes exigences de présentation. Il y a toujours des variations, et souvent, pour une même ressource bibliographique, des présentations très différentes, voire pas du tout normalisées. S’il existe un tel flou, c’est pour ces raisons :

  1. la norme ISO (lorsqu’elle est respectée) permet toujours de petites variations selon la présentation voulue, et ces petites variations sont parfois interprétées comme autant de libertés que s’octroie arbitrairement le corps enseignant jusqu’à croire détenir le modèle ultime qui devient alors la « norme » à utiliser,
  2. toutes les bibliographies ne sont pas censées utiliser la méthode auteur-date (certains s’évertuent toujours à vouloir citer les références en notes de bas de page…), et le style APA fait tout de même dans les 400 pages,
  3. les abréviations ne sont pas toujours toutes autorisées,
  4. des questions ne sont pas toujours résolues de la même manière, par exemple : lorsqu’un document possède une URL, faut-il écrire : « [en ligne] », « URL », « DOI », « [consulté le xxx] », « [date de dernière consultation : xxx] »… etc.

Pour toutes ces raisons, on ne peut pas se contenter de donner aux étudiants un document illustratif, il faut les aider à automatiser la bibliographie et sa présentation de manière à ce que le document final soit harmonisé de manière efficace tout en permettant à l’étudiant de stocker ses références pour une utilisation ultérieure.

Pour finir, quelques liens :

22.11.2023 à 01:00

Les IA génératives ? Jorge nous en parlait déjà

Les IA génératives. Sujet à la mode s’il en est. J’avoue qu’en la matière je n’y connais goutte sur le plan technique. Par contre à travers le tintamarre des médias à ce propos, on peut capter quelques bribes intéressantes et s’amuser à faire des parallèles. Ici, on va se référer au célèbre roman d’Umberto Eco, Le Nom de la Rose.


Les IA génératives c’est quoi ? ce sont des systèmes dits d’Intelligence Artificielle (cybernétiques pourrait-on dire), qui sont entraînés selon des modèles d’apprentissage sur des panels de données agrégées de différents types, les plus exhaustifs possibles, de manière à être capables de générer d’autres données. Notons que ces données sont générées à partir de ce qu’on donne « à manger » à l’entraînement. On pourra glauser sur les modèles en question, leurs puissances et leurs intérêts, toujours est-il que l’IA générative ne génère quelque chose qu’à partir de ce qu’elle connaît. Sa puissance combinatoire ne peut en aucun cas être de la même nature que notre intelligence à nous autres humains. J’arrête-là car nous entrons dans un débat philosophique qui risque de nous entraîner un peu trop loin et je voudrais, pour changer, faire un billet court.

J’ai pensé à cela lorsque j’écoutais ce matin Xavier Niel sur F. Inter, vantant son projet Kyutai, un projet de laboratoire ouvert en AI. Il parlait des IA génératives et trouvait cela géniâââl. Je le cite à peu près à 10'25 (de cette vidéo) : on agrège un maximum de données, par exemple tout ce qui s’est dit depuis 30 ans dans cette émission et quand vous allez me poser une question, je vais vous donner la meilleure réponse. Donc l’IA générative, c’est mixer des données et apporter les meilleures réponses.

C’est pas rien comme objectif tout de même. « Meilleure réponse », cela veut dire que la réponse n’est pas forcément exacte ou vraie mais qu’en l’état des connaissances disponibles on ne peut pas mieux faire. In extenso : les meilleures réponses ne s’obtiennent pas en réfléchissant à la question mais en réfléchissant à comment agréger et combiner pour générer l’information la plus pertinente. On ne s’intéresse plus aux connaisances disponibles (considérées comme un déjà-là disponible), mais aux modèles dont on choisira toujours le plus performant.

Allons plus loin, en prenant le scénario par l’absurde. Si les IA génératives apportent les meilleures réponses, on va finir par ne combiner que ces réponses. En effet, toute démarche visant à créer de la connaissance commence par distinguer les questions auxquelles on peut répondre (et vérifier) de celles qui restent sans réponse valide. Les sciences formulent des hypothèses et tentent d’en tirer des lois (grosso modo), mais si nous partons de la certitude que les meilleures réponses sont celles des IA génératives, c’est-à-dire une formulation idéale des connaissances disponibles, les hypothèses qu’un scientifique est censé émettre devront non seulement être des hypothèses plausibles au regard de ses connaissances à lui, mais aussi plausibles au regard de ce qui échapperait à l’IA générative (puisqu’elle donnerait toujours la meilleure réponse). Or, il n’y a déjà plus de place pour la conjecture puisque toute conjecture attend d’être vérifiée et il n’y a plus besoin de vérifier quoi que ce soit puisque nous avons déjà les meilleures réponses. Quand aux hypothèses, les seules qui seraient pertinentes pour l’avancement scientifique devront échapper à l’esprit humain car ce dernier, de manière à créer une hypothèse qui échapperait à la contre-hypothèse donnée par les « meilleures réponses », n’est pas capable d’agréger toutes les connaissances sur lesquelles un système d’IA peut être entraîné. De même la déductibilité à partir de ces hypothèses trouverait toujours une impossibiltié formelle si la « meilleure réponse » donne toujours tort à celui qui formule la déduction : ce qui fait un avancement scientifique, c’est un changement de paradigme, or si on reste toujours volontairement enfermé dans le même paradigme, aucune chance de révolutionner les sciences ni de faire des expérimentations cruciales (inutile puisque nous partons du principe que nous savons déjà tout ce qu’il faut savoir).

Je sais bien que je caricature et que je tire un peu trop loin les implications de l’expression « meilleure réponse ». Mais vous avez saisi l’idée générale. Pour l’avancement scientifique, l’utilisation des IA génératives nous promet de belles discussions épistémologiques. Et cela se double d’une aporie intéressante. En l’état actuel, si on part du principe exprimé par X. Niel selon lequel les IA génératives donnent les « meilleures réponses », toute IA générative devrait donc logiquement être entraînée sur la base de ces meilleures réponses pour être performantes, d’où la création de nouveaux modèles, et ainsi de suite. Si bien que les IA génératives vont finir par n’être nourries que par elles-mêmes. Bref, une gigantesque tautologie : 1=1.

Et puis, j’ai pensé au roman Le Nom de la Rose de Umberto Eco. Un ouvrage qui, chez moi, a fait tilt dans mon adolescence (je l’ai lu avant de voir le film à la TV, je n’avais rien compris, du coup je l’ai relu 3-4 fois par la suite, citations latines comprises). On y trouve ce personnage fascinant, le vénérable Jorge, doyen de l’abbaye, incarné dans le film par le magnifique Fiodor Chaliapin Jr., qui faisait vraiment peur ! À côté de lui, bouffant les pages empoisonnées du vrai-faux livre d’Aristote dans la bibliothèque à la lumière vacillante d’une bougie, les films de morts-vivants sont des blagues.

Bref, ce Jorge me fascinait, et surtout son discours qui dévoile le fin mot de l’intrigue. Pourquoi ce livre est-il interdit ? Non pas parce qu’il est censé être l’ouvrage perdu d’Aristote (le second tome de La Poétique, censé porter sur la comédie, alors que le premier porte sur la tragédie et que seule la tragédie est capable de catharsis, c’est-à-dire l’apprentissage des mœurs). Non pas parce que, portant sur la comédie, il porte sur la question du rire, propre de l’homme (même les saints hommes riaient ou avaient des situations comiques, cf. le passage du scriptorium dans le roman). Non pas enfin parce qu’il serait interdit de rire dans cette épouvantable abbaye.

Alors, pourquoi donc ? parce que le savoir authentique (la bibliothèque) n’est ni dynamique ni novateur, pour Jorge. L’important n’est pas ce qu’il y a d’écrit dans le livre, mais le fait même de vouloir chercher un livre qui n’est pas censé exister : la recherche du savoir doit se borner à ce qu’on peut tirer de la bibliothèque sous surveillance, car c’est un labyrinthe où seuls les initiés peuvent circuler et venir en retirer les bribes de savoirs jugés utiles aux simples lecteurs ou enlumineurs. Rien d’autre ne peut venir en surplus car qu’y a t-il de mieux, de plus sécurisant, que de savoir que tout le savoir est en un seul lieu et que toutes les questions y trouvent leurs réponses ? Pas de place au doute. C’est le sens de la « sublime récapitulation » dans le monologue de Jorge (cf. l’extrait ci-dessous).

Le rapport avec les IA générative ? la récapitulation. « Continue et sublime ». Voilà ce qu’est le monde des IA génératives. Elle ne sont novatrices que par leur propre nouveauté, mais elles nous mènent dans un monde où il ne peut plus y avoir d’innovation. Elles sont le reflet de ce début de siècle : nous cherchons des certitudes. Et qu’y a-t-il de plus sécurisant que de se persuader que les meilleures réponses sont dans le savoir déjà produit ?

Extrait :

« […] notre unique vraie richesse était l’observance de la règle, la prière et le travail. Mais de notre travail, du travail de notre ordre, et en particulier du travail de ce monastère fait partie – ou plutôt en est la substance – l’étude, et la garde du savoir. La garde, dis-je, pas la recherche, car le propre du savoir, chose divine, est d’être complet et défini dès le commencement, dans la perfection du verbe qui s’exprime à lui-même. La garde, dis-je, pas la recherche, car le propre du savoir, chose humaine, est d’avoir été défini et complété dans l’espace des siècles qui va de la prédication des prophètes à l’interprétation des Pères de l’Eglise. Il n’est point de progrès, il n’est point de révolution d’âges, dans les vicissitudes du savoir, mais au mieux une continue et sublime récapitulation. L’histoire de l’humanité marche d’un mouvement irrépressible depuis la création, à travers la rédemption, vers le retour du Christ triomphant, qui apparaîtra auréolé d’un nimbe pour juger les vivants et les morts, mais le savoir divin ne suit pas ce cours : immobile comme une forteresse indestructible, il nous permet, quand nous nous faisons humbles et attentifs à sa voix, de suivre, de prédire ce cours, sans en être entamé. »

09.10.2023 à 02:00

Logiciel libre et anarchisme

Quels liens peut-on faire entre le mouvement pour le logiciel libre et l’anarchisme ? Se poser la question revient à s’interroger sur la place que nous réservons à la production des communs numériques dans la société. C’est aussi l’occasion de voir comment les mouvements peuvent converger et apprendre les uns des autres.

Table des matières


Cet article a été publié sur le Framablog, le 09/10/2023


Introduction

À travers le monde et à travers l’histoire, les mouvements anarchistes ont toujours subi la surveillance des communications. Interdiction des discours publics et rassemblements, arrestations d’imprimeurs, interceptions téléphoniques, surveillance numérique. Lorsque je parle ici de mouvements anarchistes, je désigne plutôt tous les mouvements qui contiennent des valeurs libertaires. Bien au-delà des anciennes luttes productivistes des mouvements ouvriers, anarcho-syndicalistes et autres, le fait est qu’aujourd’hui énormément de luttes solidaires et pour la justice sociale ont au moins un aspect anarchiste sans pour autant qu’elles soient issues de mouvements anarchistes « historiques ». Et lorsqu’en vertu de ce « déjà-là » anarchiste qui les imprègne les sociétés font valoir leurs libertés et leurs souhaits en se structurant en organes collectifs, les États et les organes capitalistes renforcent leurs capacités autoritaires dont l’un des aspects reconnaissables est le contrôle des outils numériques.

Cela aboutit parfois à des mélanges qu’on trouverait cocasses s’ils ne démontraient pas en même temps la volonté d’organiser la confusion pour mieux dénigrer l’anarchisme. Par exemple cette analyse lamentable issue de l’École de Guerre Économique, au sujet de l’emploi du chiffrement des communications, qui confond anarchisme et crypto-anarchisme comme une seule « idéologie » dangereuse. Or il y a bien une différence entre prémunir les gens contre l’autoritarisme et le contrôle numérique et souhaiter l’avènement de nouvelles féodalités ultra-capitalistes au nom dévoyé de la liberté. Cette confusion est d’autant plus savamment orchestrée qu’elle cause des tragédies. En France, l’affaire dite du 8 décembre 20201, sorte de remake de l’affaire Tarnac, relate les gardes à vue et les poursuites abusives à l’encontre de personnes dont le fait d’avoir utilisé des protocoles de chiffrement et des logiciels libres est déclaré suspect et assimilable à un comportement dont le risque terroriste serait avéré – en plus d’avoir lu des livres d’auteurs anarchistes comme Blanqui et Kropotkine. Avec de tels fantasmes, il va falloir construire beaucoup de prisons.

Le logiciel libre a pourtant acquis ses lettres de noblesses. Par exemple, si Internet fonctionne aujourd’hui, c’est grâce à une foule de logiciels libres. Ces derniers sont utilisés par la plupart des entreprises aujourd’hui et il n’y a guère de secteurs d’activités qui en soient exempts. En revanche, lorsqu’on considère l’ensemble des pratiques numériques basées sur l’utilisation de tels communs numériques, elles font très souvent passer les utilisateurs experts pour de dangereux hackers. Or, lorsque ces utilisations ont pour objectif de ne pas dépendre d’une multinationale pour produire des documents, de protéger l’intimité numérique sur Internet, de faire fonctionner des ordinateurs de manière optimale, ne sont-ce pas là des préoccupations tout à fait légitimes ? Ces projections établissent un lien, souvent péjoratif, entre logiciel libre, activité hacker et anarchisme. Et ce lien est postulé et mentionné depuis longtemps. Le seul fait de bricoler des logiciels et des machines est-il le seul rapport entre logiciel libre et anarchisme ? Que des idiots trouvent ce rapport suspect en fait-il pour autant une réalité tangible, un lien évident ?

Le logiciel libre comporte quatre libertés : celle d’utiliser comme bon nous semble le logiciel, celle de partager le code source tout en ayant accès à ce code, celle de le modifier, et celle de partager ces modifications. Tout cela est contractuellement formalisé par les licences libres et la première d’entre elles, la Licence Publique Générale, sert bien souvent de point de repère. L’accès ouvert au code combiné aux libertés d’usage et d’exploitation sont communément considérés comme les meilleurs exemples de construction de communs numériques et de gestion collective, et représentent les meilleures garanties contre l’exploitation déloyale des données personnelles (on peut toujours savoir et expertiser ce que fait le logiciel ou le service). Quelle belle idée que de concevoir le Libre comme la traduction concrète de principes anarchistes : la lutte contre l’accaparement du code, son partage collaboratif, l’autogestion de ce commun, l’horizontalité de la conception et de l’usage (par opposition à la verticalité d’un pouvoir arbitraire qui dirait seul ce que vous pouvez faire du code et, par extension, de la machine). Et tout cela pourrait être mis au service des mouvements anarchistes pour contrecarrer la surveillance des communications et le contrôle des populations, assurer la liberté d’expression, bref créer de nouveaux communs, avec des outils libres et une liberté de gestion.

Belle idée, partiellement concrétisée à maints endroits, mais qui recèle une grande part d’ombre. Sur les communs que composent les logiciels libres et toutes les œuvres libres (logiciels ou autres), prolifère tout un écosystème dont les buts sont en réalité malveillants. Il s’agit de l’accaparement de ces communs par des acteurs moins bien intentionnés et qui paradoxalement figurent parmi les plus importants contributeurs au code libre / open source. C’est que face à la liberté d’user et de partager, celle d’abuser et d’accaparer n’ont jamais été contraintes ni éliminées : les licences libres ne sont pas moralistes, pas plus qu’elles ne peuvent légitimer une quelconque autorité si ce n’est celle du contrat juridique qu’elles ne font que proposer. On verra que c’est là leur fragilité, nécessitant une identification claire des luttes dont ne peut se départir le mouvement du logiciel libre.

Collaboration sans pouvoir, contribution et partage : ce qui pourrait bien s’apparenter à de grands principes anarchistes fait-il pour autant des mouvements libristes des mouvements anarchistes et du logiciel libre un pur produit de l’anarchie ? Par exemple, est-il légitime que le système d’exploitation Android de Google-Alphabet soit basé sur un commun libre (le noyau Linux) tout en imposant un monopole et des contraintes d’usage, une surveillance des utilisateurs et une extraction lucrative des données personnelles ? En poussant un peu plus loin la réflexion, on constate que la création d’un objet technique et son usage ne sont pas censés véhiculer les mêmes valeurs. Pourtant nous verrons que c’est bien à l’anarchie que font référence certains acteurs du logiciel libre. Cette imprégnation trouve sa source principale dans le rejet de la propriété intellectuelle et du pouvoir qu’elle confère. Mais elle laisse néanmoins l’esprit anarchiste libriste recroquevillé dans la seule production technique, ouvrant la voie aux critiques, entre tentation libertarienne, techno-solutionnisme et mépris de classe. Sous certains aspects, l’éthique des hackers est en effet tout à fait fongible dans le néolibéralisme. Mais il y a pourtant un potentiel libertaire dans le libre, et il ne peut s’exprimer qu’à partir d’une convergence avec les luttes anticapitalistes existantes.

Des libertés fragiles

Avant d’entrer dans une discussion sur le rapport historique entre logiciel libre et anarchie, il faut expliquer le contexte dans lequel un tel rapport peut être analysé. Deux points de repère peuvent être envisagés. Le premier point de repère consiste à prendre en compte que logiciel libre et les licences libres proposent des développements et des usages qui sont seulement susceptibles de garantir nos libertés. Cette nuance a toute son importance. Le second point consiste à se demander, pour chaque outil numérique utilisé, dans quelle mesure il participe du capitalisme de surveillance, dans quelle mesure il ouvre une brèche dans nos libertés (en particulier la liberté d’expression), dans quelle mesure il peut devenir un outil de contrôle. C’est ce qui ouvre le débat de l’implication des mouvements libristes dans diverses luttes pour les libertés qui dépassent le seul logiciel en tant qu’objet technique, ou l’œuvre intellectuelle ou encore artistique placée sous licence libre.

Ce sont des techniques…

Il ne faut jamais perdre de vue que, en tant que supports de pensée, de communication et d’échanges, les logiciels (qu’ils soient libres ou non) les configurent en même temps2. C’est la question de l’aliénation qui nous renvoie aux anciennes conceptions du rapport production-machine. D’un point de vue marxiste, la technique est d’abord un moyen d’oppression aux mains des classes dominantes (l’activité travail dominée par les machines et perte ou éloignement du savoir technique). Le logiciel libre n’est pas exempt de causer cet effet de domination ne serait-ce parce que les rapports aux technologies sont rarement équilibrés. On a beau postuler l’horizontalité entre concepteur et utilisateur, ce dernier sera toujours dépendant, au moins sur le plan cognitif. Dans une économie contributive idéale du Libre, concepteurs et utilisateurs devraient avoir les mêmes compétences et le même degré de connaissance. Mais ce n’est généralement pas le cas et comme disait Lawrence Lessig, « Code is law »3.

Le point de vue de Simondon, lui, est tout aussi acceptable. En effet l’automatisation - autonomisation de la technique (émancipation par rapport au travail) suppose aussi une forme d’aliénation des possédants vis-à-vis de la technique4. Le capital permet la perpétuation de la technique dans le non-sens du travail et des comportements, leur algorithmisation, ce qui explique le rêve de l’usine automatisée, étendu à la consommation, au-delà du simple fait de se débarrasser des travailleurs (ou de la liberté des individus-consommateurs). Cependant la culture technique n’équivaut pas à la maîtrise de la technique (toujours subordonnée au capital). Censé nous livrer une culture technique émancipatrice à la fois du travail et du capital (la licence libre opposée à la propriété intellectuelle du « bien » de production qu’est le logiciel), le postulat libriste de l’équilibre entre l’utilisateur et le concepteur est dans les faits rarement accompli, à la fois parce que les connaissances et les compétences ne sont pas les mêmes (voir paragraphe précédent) mais aussi parce que le producteur lui-même dépend d’un système économique, social, technique, psychologique qui l’enferme dans un jeu de dépendances parfois pas si différentes de celles de l’utilisateur. L’équilibre peut alors être trouvé en créant des chaînes de confiance, c’est-à-dire des efforts collectifs de création de communs de la connaissance (formations, entraide, vulgarisation) et des communs productifs : des organisations à tendances coopératives et associatives capables de proposer des formules d’émancipation pour tous. Créer du Libre sans proposer de solutions collectives d’émancipation revient à démontrer que la liberté existe à des esclaves enchaînés tout en les rendant responsables de leurs entraves.

…Issues de la culture hacker

La culture hacker est un héritage à double tranchant. On a longtemps glorifié les communautés hackers des années 1960 et 1970 parce qu’elles sont à l’origine de l’aventure libératrice de l’ordinateur et des programmes hors du monde hiérarchisé de la Défense et de l’Université. Une sorte de « démocratisation » de la machine. Mais ce qu’on glorifie surtout c’est le mode de production informatique, celui qui a donné lieu aux grandes histoires des communautés qui partageaient la même éthique des libertés numériques et que Steven Lévy a largement popularisé en définissant les contours de cette « éthique hacker »5. Le projet GNU de R. M. Stallman, à l’origine dans les années 1980 de la Licence Publique Générale et de la formulation des libertés logicielles en droit, est surtout l’illustration d’une économie logicielle qui contraint la contribution (c’est la viralité de la licence copyleft) et promeut un mode de développement collectif. Ce qu’on retient aussi de la culture hacker, c’est la réaction aux notions de propriété intellectuelle et d’accaparement du code. On lui doit aussi le fait qu’Internet s’est construit sur des protocoles ouverts ou encore les concepts d’ouverture des formats. Pourtant l’état de l’économie logicielle et de l’Internet des plateformes montre qu’aujourd’hui nous sommes loin d’une éthique de la collaboration et du partage. Les enjeux de pouvoir existent toujours y compris dans les communautés libristes, lorsque par exemple des formats ou des protocoles sont imposés davantage par effet de nombre ou de mode que par consensus6.

Comme le montre très bien Sébastien Broca7, l’éthique hacker n’est pas une simple utopie contrariée. Issue de la critique antihiérarchique des sixties, elle a aussi intégré le discours néomanagérial de l’accomplissement individuel qui voit le travail comme expression de soi, et non plus du collectif. Elle a aussi suivi les transformations sociales qu’a entraîné le capitalisme de la fin du XXe siècle qui a remodelé la critique artistique des sixties en solutionnisme technologique dont le fleuron est la Silicon Valley. C’est Fred Tuner qui l’écrit si bien dans un ouvrage de référence, Aux sources de l’utopie numérique : de la contre culture à la cyberculture8. Et pour paraphraser un article récent de ma plume à son propos9 : quelle ironie de voir comment les ordinateurs sont devenus synonymes d’émancipation sociale et de rapprochements entre les groupes sociaux, alors qu’ils sont en même temps devenus les instruments du capitalisme, du nouveau management et de la finance (ce que Detlef Hartmann appelait l'offensive technologique10), aussi bien que les instruments de la surveillance et de la « société du dossier ». C’est bien en tant que « menaces sur la vie privée » que les dépeignaient les premiers détracteurs des bases de données gouvernementales et des banques à l’instar d’Alan Westin11 au soir des années 1960. Tout s’est déroulé exactement comme si les signaux d’alerte ne s’étaient jamais déclenchés, alors que depuis plus de 50 ans de nombreuses lois entendent réguler l’appétit vorace des plateformes. Pourquoi ? Fred Turner y répond : parce que la priorité avait été choisie, celle de transformer le personal is political12 en idéologie néolibérale par le biais d’une philosophie hacker elle-même dévoyée au nom de la liberté et de l’accomplissement de soi.

Des communs mal compris et mal protégés

Ces communs sont mal compris parce qu’ils sont la plupart du temps invisibilisés. La majorité des serveurs sur Internet fonctionnent grâce à des logiciels libres, des protocoles parmi les plus courants sont des protocoles ouverts, des systèmes d’exploitation tels Android sont en fait construits sur un noyau Linux, etc. De tout cela, la plupart des utilisateurs n’ont cure… et c’est très bien. On ne peut pas attendre d’eux une parfaite connaissance des infrastructures numériques. Cela plonge néanmoins tout le monde dans un univers d’incompréhensions.

D’un côté, il y a l’ignorance du public (et bien souvent aussi des politiques publiques) du fait que la majeure partie des infrastructures numériques d’aujourd’hui reposent sur des communs, comme l’a montré N. Egbhal13. Ce fait crée deux effets pervers : le ticket d’entrée dans la « nouvelle économie », pour une start-up dont le modèle repose sur l’exploitation d’un système d’information logiciel, nécessite bien moins de ressources d’infrastructure que dans les années 1990 au point que la quasi-exclusivité de la valeur ajoutée repose sur l’exploitation de l’information et non la création logicielle. Il en résulte un appauvrissement des communs (on les exploite mais on ne les enrichit pas14) et un accroissement de l’économie de plateforme au détriment des infrastructures elles-mêmes : pour amoindrir encore les coûts, on s’en remet toujours plus aux entreprises monopolistes qui s’occupent de l’infrastructure matérielle (les câbles, les datacenter). D’un autre côté, il y a le fait que beaucoup d’organisations n’envisagent ces communs numériques qu’à l’aune de la rentabilité et de la compromission avec la propriété productive, ce qui a donné son grain à moudre à l’Open Source Initiative et sa postérité, reléguant les libristes dans la catégorie des doux utopistes. Mais l’utopie elle-même a ses limites : ce n’est pas parce qu’un service est rendu par des logiciels libres qu’il est sécurisé, durable ou protège pour autant les utilisateurs de l’exploitation lucrative de leurs données personnelles. Tout dépend de qui exploite ces communs. Cela relève en réalité du degré de confiance qu’on est capable de prêter aux personnes et aux organisations qui rendent le service possible.

Les licences libres elles-mêmes sont mal comprises, souvent vécues comme un abandon de l’œuvre et un manque à gagner tant les concepts de la « propriété intellectuelle » imprègnent jusqu’à la dernière fibre le tissu économique dans lequel nous sommes plus ou moins contraints d’opérer. Cela est valable pour les logiciels comme pour les productions intellectuelles de tous ordres, et cela empêche aussi le partage là où il pourrait être le plus bénéfique pour tous, par exemple dans le domaine de la recherche médicale.

Au lieu de cela, on assiste à un pillage des communs15, un phénomène bien identifié et qui connaît depuis les années 2000 une levée en force d’organisations de lutte contre ce pillage, qu’il s’agisse des biens communs matériels (comme l’eau, les ressources cultivables, le code génétique…) ou immatériels (l’art, la connaissance, les logiciels…). C’est la raison pour laquelle la décentralisation et l’autogestion deviennent bien plus que de simples possibilités à opposer à l’accaparement général des communs, mais elles sont aussi autant de voies à envisager par la jonction méthodologique et conceptuelle des organisations libristes, de l’économie solidaire et des mouvements durabilistes16.

Le libre et ses luttes, le besoin d’une convergence

Alors si le Libre n’est ni l’alpha ni l’oméga, si le mouvement pour le logiciel Libre a besoin de réviser sa copie pour mieux intégrer les modèles de développement solidaires et émancipateurs, c’est parce qu’on ne peut manifestement pas les décorréler de quatre autres luttes qui structurent ou devraient structurer les mouvements libristes aujourd’hui.

Une lutte pour imposer de nouveaux équilibres en droit

Les licences libres et leurs domaines d’application, en particulier dans les communs immatériels, ont besoin de compétences et d’alliances pour ne plus servir d’épouvantail, de libre-washing ou, pire, être détournés au profit d’une lucrativité de l’accès ouvert (comme c’est le cas dans le monde des revues scientifiques). Elles ont aussi besoin de compétences et d’alliances pour être mieux défendues : même si beaucoup de juristes s’en sont fait une spécialité, leur travail est rendu excessivement difficile tant le cadre du droit est rigide et fonctionne en référence au modèle économique dominant.

Une lutte pour imposer de nouveaux équilibres en économie

Pouvons-nous sciemment continuer à fermer les yeux sur l’usage d’une soi-disant éthique hacker au nom de la liberté économique sachant qu’une grande part des modèles économiques qui reposent sur des communs immatériels ont un intérêt public extrêmement faible en proportion des capacités d’exploitation lucrative et de la prolétarisation17 qu’ils entraînent. Cela explique par exemple que des multinationales telles Intel et IBM ou Google et Microsoft figurent parmi les grands contributeurs au Logiciel libre et open source18 : ils ont besoin de ces communs19. Et en même temps, on crée des inégalités sociales et économiques : l’exploitation de main-d’œuvre bon marché (comme les travailleurs du clic20) dont se gavent les entreprises du numérique repose elle aussi sur des infrastructures numériques libres et open source. Les communs numériques ne devraient plus être les supports de ce capitalisme21.

Une lutte pour un rééquilibrage infrastructurel

Parce que créer du code libre ne suffit pas, encore faut-il s’assurer de la protection des libertés que la licence implique. En particulier la liberté d’usage. À quoi sert un code libre si je ne peux l’utiliser que sur une plateforme non libre ? à quoi sert un protocole ouvert si son utilisation est accaparée par des systèmes d’information non libres ? À défaut de pouvoir rendre collectifs les câbles sous-marins (eux-mêmes soumis à des contraintes géopolitiques), il est toutefois possible de développer des protocoles et des logiciels dont la conception elle-même empêche ces effets d’accaparement. Dans une certaine mesure c’est ce qui a été réalisé avec les applications du Fediverse22. Ce dernier montre que la création logicielle n’est rien si les organisations libristes ne se mobilisent pas autour d’un projet commun et imaginent un monde numérique solidaire.

Une lutte contre les effets sociaux du capitalisme de surveillance

Qu’il s’agisse du conformisme des subjectivités engendré par l’extraction et l’exploitation des informations comportementales (ce qui dure depuis très longtemps23) ou du contrôle des populations rendu possible par ces mêmes infrastructures numériques dont la technopolice se sert (entre autres), les communautés libristes s’impliquent de plus en plus dans la lutte anti-surveillance et anti-autoritaire. C’est une tradition, assurément, mais ce qu’il manque cruellement encore, c’est la multiplication de points de contact avec les autres organisations impliquées dans les mêmes luttes et qui, bien souvent, se situent sur la question bien plus vaste des biens communs matériels. Combien d’organisations et de collectifs en lutte dans les domaines durabilistes comme l’écologie, le partage de l’eau, les enjeux climatiques, en sont encore à communiquer sur des services tels Whatsapp alors qu’il existe des canaux bien plus protégés24 ? Réciproquement combien d’associations libristes capables de déployer des solutions et de les vulgariser ne parlent jamais aux durabilistes ou autres ? Or, penser les organisations libristes sur un mode solidaire et anti-capitaliste revient à participer concrètement aux luttes en faveur des biens communs matériels, créer des alliances de compétences et de connaissances pour rendre ces luttes plus efficaces.

Le (mauvais) calcul anarchiste

Il y a toute une littérature qui traite du rapport entre librisme et anarchisme. Bien qu’elle ne soit pas toujours issue de recherches académiques, cela n’enlève rien à la pertinence et la profondeur des textes qui ont toujours le mérite d’identifier les valeurs communes tels l’anti-autoritarisme de l’éthique hacker, le copyleft conçu comme une lutte contre la propriété privée, le partage, ou encore les libertés d’usage. Et ces valeurs se retrouvent dans de nombreuses autres sphères inspirées du modèle libriste25 et toutes anticapitalistes. Pour autant, l’éthique hacker ou l’utopie « concrète » du logiciel libre, parce qu’elles sont d’abord et avant tout des formes de pratiques technologiques, ne portent pas per se ces valeurs. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’éthique hacker et les utopies plus ou moins issues de la tradition hippie des années 1960 et 1970 sont aussi dépositaires du capitalisme techno-solutionniste exprimé, pour les besoins de la cause, par l’idéologie de la Silicon Valley.

C’est ce point de tension qui a tendance aujourd’hui à causer la diffusion d’une conception binaire du lien entre anarchisme et philosophie hacker. Elle repose sur l’idée selon laquelle c’est l’anarchisme américain qui donne une part fondatrice à la philosophie hacker et qui crée en quelque sorte une opposition interne entre une faction « de gauche » attachée aux combats contre la propriété et une faction « de droite » fongible dans le capitalisme dans la mesure où c’est l’efficacité dans l’innovation qui emporte le reste, c’est-à-dire un anarchisme réduit à être un mode d’organisation de la production et un faire-valoir d’une liberté de lucrativité « décomplexée ».

C’est caricatural, mais la première partie n’est pas inexacte. En effet, nous parlons pour l’essentiel d’un mouvement né aux États-Unis et, qui plus est, dans une période où s’est structurée la Nouvelle Gauche Américaine en phase avec des mouvements libertaires et/ou utopistes issus de la génération anti-guerre des années 1950. Simultanément, les ordinateurs mainframe ont commencé à être plus accessibles dans les milieux universitaires et les entreprises, favorisant la naissance des communautés hackers dans un mouvement d’apprentissage, de partage de connaissances et de pratiques. Par la suite ces communautés se structurèrent grâce aux communications numériques, en particulier Internet, et s’agrandirent avec l’apparition de la microinformatique.

Se reconnaissent-elles dans l’anarchisme ? Même si ses pratiques sont anarchistes, un collectif n’a nul besoin de se reconnaître en tant que tel. Il peut même ne pas en avoir conscience. C’est donc du côté des pratiques et in situ qu’il faut envisager les choses. Les communautés hacker sont issues d’une conjonction historique classique entre la cristallisation des idées hippies et libertaires et l’avènement des innovations techniques qui transforment alors radicalement l’économie (les systèmes d’information numériques). Cela crée par effet rétroactif des communautés qui génèrent elles-mêmes des objets techniques en se réappropriant ces innovations, et en changeant à leur tour le paysage économique en proposant d’autres innovations. On pense par exemple aux Bulletin Board Systems (par exemple le projet Community Memory, premier forum électronique géant et collaboratif), aux systèmes d’exploitation (comment Unix fut créé, ou comment Linux devint l’un des plus grands projets collaboratifs au monde), à des logiciels (le projet GNU), etc. Toutes ces pratiques remettent en cause la structure autoritaire (souvent académique) de l’accès aux machines, provoquent une démocratisation des usages informatiques, incarnent des systèmes de collaboration fondés sur le partage du code et des connaissances, permettent l’adoption de pratiques de prise de décision collective, souvent consensuelles. Couronnant le tout, l’apparition de la Licence Publique Générale initiée par Richard M. Stallman et Eben Moglen avec la Free Software Foundation propose une remise en question radicale de la propriété intellectuelle et du pouvoir qu’elle confère.

Le rapport avec l’anarchisme est de ce point de vue exprimé à maintes reprises dans l’histoire des communautés hacker. On y croise très souvent des références. Dans la biographie de Richard M. Stallman26, par exemple, le AI Lab qui devient le haut lieu de la « Commune Emacs », est décrit ainsi : « La culture hacker qui y régnait et sa politique d’anarchie allaient conférer au lieu l’aura d’éternel rebelle ». Plus loin dans le même livre, E. Moglen se remémore sa rencontre avec R. M. Stallman qu’il décrit comme la rencontre de deux anarchistes. Inversement, R. M. Stallman ne s’est jamais défini comme un anarchiste. Il va même jusqu’à soutenir que le logiciel libre est un mélange de communisme (au sens d’appropriation collective de la production), de capitalisme « éthique » (pouvoir en tirer des avantages lucratifs tant qu’on respecte les libertés des autres), et d’anarchisme (réduit à la liberté de contribuer ou non et d’user comme on veut)27.

Une approche fondée sur une enquête plus solide montre néanmoins que les principes anarchistes ne sont pas considérés comme de simples étiquettes dans les communautés hacker d’aujourd’hui. Menée au cœur des communautés libristes californiennnes, l’enquête de Michel Lallement dans L’âge du faire28 montre une typologie intéressante chez les hackers entre les « pur jus », parmi les plus anciens le plus souvent des hommes au charisme de leader ou de gourous et qui se réclament d’un certain radicalisme anarchiste (sur lequel je vais revenir plus loin) et la masse plus diffuse, plus ou moins concernée par l’aspect politique. Majoritaires sont cependant ceux qui ont tendance à la compromission, jusqu’au point où parfois le travail à l’intérieur de la communauté est valorisé dans l’exercice même de la réussite capitaliste à l’extérieur. J’irais même jusqu’à dire, pour en avoir côtoyé, que certains voient dans le hacking et l’éthique hacker une sorte d’exutoire de la vie professionnelle étouffée par l’économie capitaliste.

Sur l’aspect proprement américain, ce qui est surtout mis en avant, c’est l’opposition entre la bureaucratie (entendue au sens de l’action procédurière et autoritaire) et l’anarchisme. À l’image des anciennes communautés hacker calquées sur l’antique Homebrew Club, ce refus de l’autorité institutionnelle s’apparente surtout à une forme de potacherie corporatiste. Le point commun des communautés, néanmoins, consiste à s’interroger sur les process de prise de décision communautaire, en particulier la place faite au consensus : c’est l’efficacité qui est visée, c’est-à-dire la meilleure façon de donner corps à une délibération collective. C’est ce qui permet de regrouper Noisebridge, MetaLab ou le Chaos Computer Club. Certes, au point de vue du fonctionnement interne, on peut invoquer beaucoup de principes anarchistes. Une critique pointerait cependant que ces considérations restent justement internalistes. On sait que le consensus consolide le lien social, mais la technologie et les savoir-faire ont tendance à concentrer la communauté dans une sorte d’exclusion élective : diplômée, issue d’une classe sociale dominante et bourgeoise, en majorité masculine (bien que des efforts soient menés sur la question du genre).

Si nous restons sur le plan internaliste, on peut tenter de comprendre ce qu’est ce drôle d’anarchisme. Pour certains auteurs, il s’agit de se concentrer sur l’apparente opposition entre libre et open source, c’est-à-dire le rapport que les communautés hacker entretiennent avec le système économique capitaliste. On peut prendre pour repères les travaux de Christian Imhorst29 et Dale A. Bradley30. Pour suivre leur analyse il faut envisager l’anarchisme américain comme il se présentait à la fin des années 1970 et comment il a pu imprégner les hackers de l’époque. Le sous-entendu serait que cette imprégnation perdure jusqu’à aujourd’hui. Deux étapes dans la démonstration.

En premier lieu, la remise en cause de la propriété et de l’autorité est perçue comme un radicalisme beaucoup plus fortement qu’elle ne pouvait l’être en Europe au regard de l’héritage de Proudhon et de Bakhounine. Cela tient essentiellement au fait que la structuration du radicalisme américain s’est établie sur une réverbération du bipartisme américain. C’est ce qu’analyse bien en 1973 la chercheuse Marie-Christine Granjon au moment de l’éveil de la Nouvelle Gauche aux États-Unis : chasser les radicaux du paysage politique en particulier du paysage ouvrier dont on maintenait un niveau de vie (de consommation) juste assez élevé pour cela, de manière à « maintenir en place la structure monopolistique de l’économie sur laquelle repose le Welfare State — l’État des monopoles, des managers, des boss du monde syndical et de la politique —, pour protéger cette Amérique, terre de l’égalité, de la liberté et de la poursuite du bonheur, où les idéologies n’avaient plus de raison d’être, où les radicaux étaient voués à la marginalité et tolérés dans la mesure de leur inaction et de leur audience réduite »31. En d’autres termes, être radical c’est être contre l’État américain, donc soit contre le bien-être du peuple et ses libertés, soit le contraire (et chercher à le démontrer), mais en tout cas, contre l’État américain.

En second lieu, la dichotomie entre anarchisme de droite et anarchisme de gauche pourrait se résumer à la distinction entre libertariens et communautaires anticapitalistes. Ce n’est pas le cas. Mais c’est ainsi que posent les prémisses du problème C. Imhorst comme D. A. Bradley et avec eux beaucoup de ceux qui réduisent la distinction open-source / librisme. Sur ce point on reprend souvent la célèbre opposition entre les grandes figures des deux « camps », d’un côté R. M. Stallman, et de l’autre côté Eric S. Raymond, auteur de La Cathédrale et le bazar, évangéliste du marché libre ne retenant de la pensée hacker que l’efficacité de son organisation non hiérarchique. Cette lecture binaire de l’anarchisme américain, entre droite et gauche, est exprimée par David DeLeon en 1978 dans son livre The American as Anarchist32, assez critiqué pour son manque de rigueur à sa sortie, mais plusieurs fois réédité, et cité de nombreuses fois par C. Imhorst. Dans la perspective de DeLeon, l’anarchisme américain est essentiellement un radicalisme qui peut s’exprimer sur la droite de l’échiquier politique comme le libertarianisme, profondément capitaliste, individualiste-propriétariste et contre l’État, comme sur la gauche, profondément anticapitaliste, communautaire, contre la propriété et donc aussi contre l’État parce qu’il protège la propriété et reste une institution autoritaire. En écho, réduire le mouvement libriste « radical » à la figure de R. M. Stallman, et l’opposer au libertarianisme de E. S. Raymond, revient à nier toutes les nuances exprimées en quarante ans de débats et de nouveautés (prenons simplement l’exemple de l’apparition du mouvement Creative Commons).

Le but, ici, n’est pas tant de critiquer la simplicité de l’analyse, mais de remarquer une chose plus importante : si le mouvement hacker est perçu comme un radicalisme aux États-Unis dès son émergence, c’est parce qu’à cette même époque (et c’est pourquoi j’ai cité deux références de l’analyse politique des années 1970) le radicalisme est conçu hors du champ politique bipartite, contre l’État, et donc renvoyé à l’anarchisme. En retour, les caractéristiques de l’anarchisme américain offrent un choix aux hackers. Ce même choix qui est exprimé par Fred Turner dans son analyse historique : comment articuler les utopies hippies de la Nouvelle Gauche avec la technologie d’un côté, et le rendement capitaliste de l’autre. Si on est libertarien, le choix est vite effectué : l’efficacité de l’organisation anarchiste dans une communauté permet de s’affranchir de nombreux cadres vécus comme des freins à l’innovation et dans la mesure où l’individualisme peut passer pour un accomplissement de soi dans la réussite économique, la propriété n’a aucune raison d’être opposée au partage du code et ce partage n’a pas lieu de primer sur la lucrativité.

Considérer le mouvement pour le logiciel libre comme un mouvement radical est une manière d’exacerber deux positions antagonistes qui partent des mêmes principes libertaires et qui aboutissent à deux camps, les partageux qui ne font aucun compromis et les ultra-libéraux prêts à tous les compromis avec le capitalisme. On peut néanmoins suivre D. A. Bradley sur un point : le logiciel libre propose à minima la réorganisation d’une composante du capitalisme qu’est l’économie numérique. Si on conçoit que la technologie n’est autre que le support de la domination capitaliste, penser le Libre comme un radicalisme reviendrait en fait à une contradiction, celle de vouloir lutter contre les méfaits de la technologie par la technologie, une sorte de primitivisme qui s’accommoderait d’une éthique censée rendre plus supportable le techno-capitalisme. Or, les technologies ne sont pas intrinsèquement oppressives. Par exemple, les technologies de communication numérique, surtout lorsqu’elles sont libres, permettent la médiatisation sociale tout en favorisant l’appropriation collective de l’expression médiatisée. Leurs licences libres, leurs libertés d’usages, ne rendent pas ces technologies suffisantes, mais elles facilitent l’auto-gestion et l’émergence de collectifs émancipateurs : ouvrir une instance Mastodon, utiliser un système de messagerie sécurisée, relayer les informations anonymisées de camarades qui subissent l’oppression politique, etc.

L’anarchisme… productiviste, sérieusement ?

Le Libre n’est pas un existentialisme, pas plus que l’anarchisme ne devrait l’être. Il ne s’agit pas d’opposer des modes de vie où le Libre serait un retour idéaliste vers l’absence de technologie oppressive. Les technologies sont toujours les enfants du couple pouvoir-connaissance, mais comme disait Murray Bookchin, si on les confond avec le capitalisme pour en dénoncer le caractère oppresseur, cela revient à «  masquer les relations sociales spécifiques, seules à même d’expliquer pourquoi certains en viennent à exploiter d’autres ou à les dominer hiérarchiquement ». Il ajoutait, à propos de cette manière de voir : « en laissant dans l’ombre l’accumulation du capital et l’exploitation du travail, qui sont pourtant la cause tant de la croissance que des destructions environnementales, elle ne fait ainsi que leur faciliter la tâche. »33

Le rapport entre le libre et l’anarchisme devrait donc s’envisager sur un autre plan que l’opposition interne entre capitalistes et communistes et/ou libertaires (et/ou commonists), d’autant plus que ce type de brouillage n’a jusqu’à présent fait qu’accréditer les arguments en faveur de la privatisation logicielle aux yeux de la majorité des acteurs de l’économie numérique34. Ce rapport devrait plutôt s’envisager du point de vue émancipateur ou non par rapport au capitalisme. De ce point de vue, exit les libertariens. Mais alors, comme nous avons vu que pour l’essentiel l’anarchisme libriste est un mode de production efficace dans une économie contributive (qui devrait être néanmoins plus équilibrée), a-t-il quelque chose de plus ?

Nous pouvons partir d’un autre texte célèbre chez les libristes, celui d’Eben Moglen, fondateur du Software Freedom Law Center, qui intitulait puissamment son article : « L’anarchisme triomphant : le logiciel libre et la mort du copyright »35. Selon lui, le logiciel conçu comme une propriété crée un rapport de force dont il est extrêmement difficile de sortir avec les seules bonnes intentions des licences libres. E. Moglen prend l’exemple du très long combat contre la mainmise de Microsoft sur les ordinateurs neufs grâce à la vente liée, et nous n’en sommes pas complètement sortis. Aujourd’hui, nous pourrions prendre bien d’autres exemples qui, tous, sont le fait d’alliances mondialisées et de consortiums sur-financiarisés de fabricants de matériel et de fournisseurs de services. Il faut donc opposer à cette situation une nouvelle manière d’envisager la production et la créativité.

Code source et commentaires désignent le couple entre fonctionnalité et expressivité des programmes. En tant que tels, ils peuvent être considérés comme autant de preuves que le travail intellectuel nécessaire à l’élaboration d’un programme n’est pas uniquement le fait de travailler sur des algorithmes mais aussi en inventer les propriétés. Dès lors, on peut comprendre que le copyright puisse s’appliquer à plein. Dès l’instant que les ordinateurs ont cessé d’être des machines centrales aux coûts extrêmement élevés, et que pour les faire fonctionner les logiciels ont cessé d’être donnés (car le coût marginal de la création logicielle était faible en comparaison du coût de fabrication d’une grosse machine), l’ordinateur personnel a multiplié mécaniquement le besoin de réaliser des plus-values sur le logiciel et enfermé ce dernier dans une logique de copyright. Seulement voilà : lorsqu’une entreprise (par exemple Microsoft) exerce un monopole sur le logiciel, bien qu’elle puisse embaucher des centaines de développeurs, elle ne sera jamais en mesure d’adapter, tester à grande échelle, proposer des variations de son logiciel en quantités suffisantes pour qu’il puisse correspondre aux besoins qui, eux, ont tendance à se multiplier au fur et à mesure que les ordinateurs pénètrent dans les pratiques sociales et que la société devient un maillage en réseau. Si bien que la qualité et la flexibilité des logiciels privateurs n’est jamais au rendez-vous. Si ce défaut de qualité passe souvent inaperçu, c’est aux yeux de l’immense majorité des utilisateurs qui ne sont pas techniciens, et pour lesquels les monopoles créent des cages d’assistanat et les empêche (par la technique du FUD) d’y regarder de plus près. Après tout, chacun peut se contenter du produit et laisser de côté des défauts dont il peut toujours (essayer de) s’accommoder.

En somme, les utilisateurs ont été sciemment écartés du processus de production logicielle. Alors qu’à l’époque plus ancienne des gros ordinateurs, on adaptait les logiciels aux besoins et usages, et on pouvait les échanger et les améliorer en partant de leur utilisation. Or, l’histoire des sciences et des technologies nous apprend que l’avancement des sciences et technologies dépendent d’apprentissages par la pratique, d’appropriations collectives de l’existant, d’innovation par incrémentation et implications communautaires (c’est ce qu’ont montré David Edgerton36 et Clifford Conner37). En ce sens, le modèle économique des monopoles du logiciel marche contre l’histoire.

C’est de ce point de vue que le logiciel libre peut être envisagé non seulement comme la production d’un mouvement de résistance38, mais aussi comme un mode de production conçu avant tout comme une réaction à la logique marchande, devant lutter sans cesse contre la « plasticité du capitalisme » (au sens de F. Braudel39), avec des résultats plus ou moins tangibles. Même si la question de l’écriture collective du code source mériterait d’être mieux analysée pour ses valeurs performatives intrinsèques40.

Comme le dit Eben Moglen racontant le projet GNU de R. M. Stallman : le logiciel libre pouvait « devenir un projet auto-organisé, dans lequel aucune innovation ne serait perdue à travers l’exercice des droits de propriété ». Depuis le milieu des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990, non seulement des logiciels ont été produits de manière collective en dehors du copyright, mais en plus de cela, des systèmes d’exploitation comme GNU Linux aux logiciels de serveurs et à la bureautique, leur reconnaissance par l’industrie elle-même (normes et standards) s’est imposée à une échelle si vaste que le logiciel libre a bel et bien gagné la course dans un monde où la concurrence était faussée si l’on jouait avec les mêmes cartes du copyright.

C’est ce qui fait dire à Eben Moglen que « lorsqu’il est question de faire de bons logiciels, l’anarchisme gagne ». Il oppose deux choses à l’industrie copyrightée du logiciel :

  • les faits : le logiciel libre est partout, il n’est pas une utopie,
  • le mode de production : l’anarchisme est selon lui la meilleure « organisation » de la production.

Reste à voir comment il conçoit l’anarchisme. Il faut confronter ici deux pensées qui sont contemporaines, celle d’Eben Moglen et celle de Murray Bookchin. Le second écrit en 1995 que le mot « anarchisme » allait bientôt être employé comme catégorie d’action bourgeoise41 :

«  les objectifs révolutionnaires et sociaux de l’anarchisme souffrent d’une telle dégradation que le mot « anarchie » fera bientôt partie intégrante du vocabulaire chic bourgeois du siècle à venir : une chose quelque peu polissonne, rebelle, insouciante, mais délicieusement inoffensive ».

Bookchin écrivait aussi « Ainsi, chez nombre d’anarchistes autoproclamés, le capitalisme disparaît, remplacé par une « société industrielle » abstraite. »

Mais d’un autre côté, à peine six ans plus tard, il y a cette volonté d’E. Moglen d’utiliser ce mot et d’entrer en confrontation assez directe avec ce que M. Bookchin disait de la tendance new age férue d’individualisme et de primitivisme et qui n’avait plus de rien de socialiste. En fin de compte, si on conçoit avec E. Moglen l’anarchisme comme un mode de production du logiciel libre, alors on fait aussi une jonction entre la lutte contre le modèle du monopole et du copyright et la volonté de produire des biens numériques, à commencer par des logiciels, tout en changeant assez radicalement l’organisation sociale de la production contre une machinerie industrielle. Et cette lutte n’a alors plus rien d’abstrait. La critique de M. Bookchin, était motivée par le fait que l’anarchisme s’est transformé des années 1970 aux années 1990 et a fini par dévoyer complètement les théories classiques de l’anarchisme au profit d’une culture individualiste et d’un accomplissement de soi exclusif. Le logiciel libre, de ce point de vue, pourrait avoir le mérite de resituer l’action anarchiste dans un contexte industriel (la production de logiciels) et social (les équilibres de conception et d’usage entre utilisateurs et concepteurs).

Et l’État dans tout cela ? est-il évacué de l’équation ? Ces dernières décennies sont teintées d’un néolibéralisme qui façonne les institutions et le droit de manière à créer un espace marchand où les êtres humains sont transformés en agents compétitifs. La production communautaire de logiciel libre ne serait-elle qu’un enfermement dans une plasticité capitaliste telle qu’elle intègre elle-même le mode de production anarchiste du libre dans une compétition dont le grand gagnant est toujours celui qui réussit à piller le mieux les communs ainsi produits ? Car si c’est le cas, alors M. Bookchin avait en partie raison : l’anarchisme n’a jamais pu résoudre la tension entre autonomie individuelle et liberté sociale autrement qu’en se contentant de s’opposer à l’autorité et à l’État, ce qu’on retrouve dans la reductio de l’anarchisme des libertariens – et contre cela M. Bookchin propose un tout autre programme, municipaliste et environnementaliste. Or, si on suit E. Moglen, on ne perçoit certes pas d’opposition frontale contre l’État, mais dans un contexte néolibéral, les monopoles industriels ne peuvent-ils pas être considérés comme les nouvelles figures d’opposition d’autorité et de pouvoir ?

Pour ma part, je pense que qu’État et monopoles se contractent dans le capitalisme de surveillance, un Léviathan contre lequel il faut se confronter. Toute la question est de savoir à quelle société libertaire est censé nous mener le logiciel libre. J’ai bien l’impression que sur ce point les libristes old school qui s’autoproclament anarchistes se trompent : ce n’est pas parce que le mouvement du logiciel libre propose une auto-organisation de la production logicielle et culturelle, contre les monopoles mais avec une simple injonction à l’émancipation, que cela peut déboucher sur un ordre social libertaire.

Là où le logiciel libre pourrait se réclamer de l’anarchisme, c’est dans le fait qu’il propose une très forte opposition aux institutions sociales oppressives que sont les monopoles et l’État, mais seulement à partir du moment où on conçoit le mouvement du logiciel libre non comme un mode de production anarchiste, mais comme un moment qui préfigure42 un ordre social parce qu’il s’engage dans une lutte contre l’oppression tout en mettant en œuvre un mode de production alternatif, et qu’il constitue un modèle qui peut s’étendre à d’autres domaines d’activité (prenons l’exemple des semences paysannes). Et par conséquent il devient un modèle anarchiste.

Si on se contente de n’y voir qu’un mode de production, le soi-disant anarchisme du logiciel libre est voué à n’être qu’un modèle bourgeois (pour reprendre l’idée de M. Bookchin), c’est à dire dénué de projet de lutte sociale, et qui se contente d’améliorer le modèle économique capitaliste qui accapare les communs : il devient l’un des rouages de l’oppression, il n’est conçu que comme une utopie « bourgeoisement acceptable ». C’est-à-dire un statut duquel on ne sort pas ou bien les pieds devant, comme un mode de production que le néomanagement a bel et bien intégré. Or, s’il y a une lutte anarchiste à concevoir aujourd’hui, elle ne peut pas se contenter d’opposer un modèle de production à un autre, elle doit se confronter de manière globale au capitalisme, son mode de production mais aussi son mode d’exploitation sociale.

Les limites de l’anarchisme utopique du Libre ont été révélées depuis un moment déjà. L’Electronic Frontier Foundation (où Eben Moglen officie) le reconnaît implicitement dans un article de mai 2023 écrit par Cory Doctorow et publié par l’EFF43 :

« Alors que les régulateurs et les législateurs réfléchissent à l’amélioration de l’internet pour les êtres humains, leur priorité absolue devrait être de redonner du pouvoir aux utilisateurs. La promesse d’Internet était de supprimer les barrières qui se dressaient sur notre chemin : la distance, bien sûr, mais aussi les barrières érigées par les grandes entreprises et les États oppressifs. Mais les entreprises ont pris pied dans cet environnement de barrières abaissées, se sont retournées et ont érigé de nouvelles barrières de leur côté. Des milliards d’entre nous se sont ainsi retrouvés piégés sur des plateformes que beaucoup d’entre nous n’aiment pas, mais qu’ils ne peuvent pas quitter. »

Il faut donc des alternatives parce que les acteurs qui avaient promis de rendre les réseaux plus ouverts (le Don’t be evil de Google) ont non seulement failli mais, en plus, déploient des stratégies juridiques et commerciales perverses pour coincer les utilisateurs sur leurs plateformes. Dès lors, on voit bien que le problème qui se pose n’est pas d’opposer un mode de production à un autre, mais de tenter de gagner les libertés que le capitalisme de surveillance contient et contraint. On voit aussi que depuis 2001, les problématiques se concentrent surtout sur les réseaux et le pouvoir des monopoles. Là, on commence à toucher sérieusement les questions anarchistes. Dès lors l’EFF propose deux principes pour re-créer un Internet « d’intérêt public » :

  • le chiffrement de bout en bout et la neutralité du Net,
  • contourner les grandes plateformes.

Faut-il pour autant, comme le propose Kristin Ross44, pratiquer une sorte d’évacuation générale et se replier, certes de manière constructive, sur des objets de lutte plus fondamentaux, au risque de ne concevoir de lutte pertinente que des luttes exclusives, presque limitées à la paysannerie et l’économie de subsistance ? Je ne suis pas d’accord. Oui, il faut composer avec l’existant mais dans les zones urbaines, les zones rurales comme dans le cyberespace on peut préfigurer des formes d’organisation autonomes et des espaces à défendre. Le repli individualiste ou collectiviste-exclusif n’est pas une posture anarchiste. Premièrement parce qu’elle n’agit pas concrètement pour les travailleurs, deuxièmement parce que cela revient à abandonner ceux qui ne peuvent pas pratiquer ce repli de subsistance au risque de ce qu’on reprochait déjà aux petits-bourgeois communautaires hippies des années 1970, et troisièmement enfin, parce que je ne souhaite pas vivre dans une économie de subsistance, je veux vivre dans l’abondance culturelle, scientifique et même technique et donc lutter pour un nouvel ordre social égalitaire général et pas réservé à ceux qui feraient un choix de retrait, individuel et (il faut le reconnaître) parfois courageux.

Alors, vers quel anarchisme se diriger ?

Le potentiel libertaire de la technologie

En 1971, Sam Dolgoff publie un article sans concession dans la petite revue Newyorkaise Libertarian Analysis. L’article fut ensuite tiré à part à plusieurs reprises si bien que, sous le titre The Relevance of Anarchism to Modern Society45, le texte figure parmi les must read de la fin des années 1970. Dolgoff y décrit l’état de l’anarchisme dans une société prise dans les contradictions de la contre-culture des années 1960, et dont les effets se rapportent à autant de conceptions erronées de l’anarchisme qui se cristallisent dans un « néo-anarchisme » bourgeois discutable. Ce contre quoi S. Dolgoff avance ses arguments est l’idée selon laquelle l’anarchisme « filière historique » serait dépassé étant donné la tendance mondiale vers la centralisation économique, fruit des récents développements des sciences et des techniques, une sorte de fin de l’histoire (avant l’heure de celle de Fukuyama en 1992) contre laquelle on ne pourrait rien. Le sous-entendu met en avant la contradiction entre le positivisme dont s’inspire pourtant l’anarchisme de Proudhon à Bakounine, c’est-à-dire le développement en soi émancipateur des sciences et des techniques (à condition d’une éducation populaire), et le fait que cet élan positiviste a produit une mondialisation capitaliste contre laquelle aucune alternative anarchiste n’a pu s’imposer. Le réflexe social qu’on retrouve dans le mouvement contre-culturel des années 1960 et 1970, associé à ce que S. Dolgoff nomme le néo-anarchisme (bourgeois)46 (et qui sera repris en partie par M. Bookchin plus tard), amène à penser l’anarchisme comme une réaction à cette contradiction et par conséquent un moment de critique de l’anarchisme classique qui n’envisagerait pas correctement la complexité sociale, c’est-à-dire la grande diversité des nuances entre compromission et radicalisme, dans les rapports modernes entre économie, sciences, technologies et société. Ce qui donne finalement un anarchisme réactionnaire en lieu et place d’un anarchisme constructif, c’est-à-dire une auto-organisation fédéraliste qui accepte ces nuances, en particulier lors de l’avènement d’une société des médias, du numérique et de leur mondialisation (en plus des inégalités entre les pays).

Or, S. Dolgoff oppose à cette idée pessimiste le fait que la pensée anarchiste a au contraire toujours pris en compte cette complexité. Cela revient à ne justement pas penser l’anarchisme comme une série d’alternatives simplistes au gouvernementalisme (le contrôle de la majorité par quelques-uns). Il ne suffit pas de s’opposer au gouvernementalisme pour être anarchiste. Et c’est pourtant ce que les libertariens vont finir par faire, de manière absurde. L’anarchisme, au contraire a toujours pris en compte le fait qu’une société anarchiste implique une adaptation des relations toujours changeantes entre une société et son environnement pour créer une dynamique qui recherche équilibre et harmonie indépendamment de tout autoritarisme. Dès lors les sciences et techniques ont toujours été des alliées possibles. Pour preuve, cybernétique et anarchisme ont toujours fait bon ménage, comme le montre T. Swann dans un article au sujet de Stafford Beer, le concepteur du projet Cybersyn au Chili sous la présidence S. Allende47 : un mécanisme de contrôle qui serait extérieur à la société implique l’autoritarisme et un contrôle toujours plus contraignant, alors qu’un mécanisme inclus dans un système auto-organisé implique une adaptation optimale au changement48. L’optimisation sociale implique la décentralisation, c’est ce qu’ont toujours pensé les anarchistes. En ce sens, les outils numériques sont des alliés possibles.

En 1986, quinze ans après son article de 1971, dans le premier numéro de la revue qu’il participe à fonder (la Libertarian Labor Review), S. Dolgoff publie un court article intitulé « Modern Technology and Anarchism »49. Il revient sur la question du lien entre l’anarchisme et les nouvelles technologies de communication et d’information qu’il a vu naître et s’imposer dans le mouvement d’automatisation de l’industrie et plus généralement dans la société. Les réseaux sont pour lui comme un pharmakon (au sens de B. Stiegler), ils organisent une dépossession par certains aspects mais en même temps peuvent être des instruments d’émancipation.

Cet article de 1986 est quelque peu redondant avec celui de 1971. On y retrouve d’ailleurs à certains endroits les mêmes phrases et les mêmes idées. Pour les principales : il y a un déjà-là anarchiste, et la société est un réseau cohérent de travail coopératif. Pour S. Dolgoff, la technologie moderne a résolu le problème de l’accès aux avantages de l’industrie moderne, mais ce faisant elle a aussi accru significativement la décentralisation dans les entreprises avec la multiplication de travailleurs hautement qualifiés capables de prendre des décisions aux bas niveaux des organisations. S. Dolgoff cite plusieurs auteurs qui ont fait ce constat. Ce dernier est certes largement terni par le fait que cette décentralisation fait écho à la mondialisation qui a transformé les anciennes villes industrielles en villes fantômes, mais cette mondialisation est aussi un moment que l’anarchie ne peut pas ne pas saisir. En effet, cette mise en réseau du monde est aussi une mise en réseau des personnes. Si les technologies modernes d’information, les ordinateurs et les réseaux, permettent d’éliminer la bureaucratie et abandonner une fois pour toutes la centralisation des décisions, alors les principes de coopération et du déjà-là anarchiste pourront se déployer. Faire circuler librement l’information est pour S. Dolgoff la condition nécessaire pour déployer tout le « potentiel libertaire de la technologie ». Mais là où il pouvait se montrer naïf quinze ans auparavant, il concède que les obstacles sont de taille et sont formés par :

« Une classe croissante de bureaucraties étatiques, locales, provinciales et nationales, de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens et d’autres professions, qui jouissent tous d’un niveau de vie bien supérieur à celui du travailleur moyen. Une classe dont le statut privilégié dépend de l’acceptation et du soutien du système social réactionnaire, qui renforce considérablement les variétés « démocratiques », « sociales » et « socialistes » du capitalisme. (…) Tous reprennent les slogans de l’autogestion et de la libre association, mais ils n’osent pas lever un doigt accusateur sur l’arc sacré de l’État. Ils ne montrent pas le moindre signe de compréhension du fait évident que l’élimination de l’abîme séparant les donneurs d’ordres des preneurs d’ordres – non seulement dans l’État mais à tous les niveaux – est la condition indispensable à la réalisation de l’autogestion et de la libre association : le cœur et l’âme même de la société libre. »

Peu d’années avant son décès, et après une longue carrière qui lui avait permis de prendre la mesure de l’automatisation de l’industrie et voir l’arrivée des ordinateurs dans les processus de production et de contrôle, Sam Dolgoff a bien saisi la contradiction entre le « potentiel libertaire de la technologie » et l’apparition d’une classe sociale qui, avec l’aide de l’État et forte de subventions, réussit le tour de force d’accaparer justement ce potentiel dans une démarche capitaliste tout en parant des meilleures intentions et des meilleurs slogans ce hold-hup sur le travail collectif et la coopération.

C’est pourquoi il est pertinent de parler d’idéologie concernant la Silicon Valley, et c’est d’ailleurs ce que Fred Turner avait bien vu50 :

« La promesse utopique de la Valley est la suivante : Venez ici, et construisez-y l’avenir avec d’autres individus partageant les mêmes idées. Immergez-vous dans le projet et ressortez-en en ayant sauvé l’avenir. »

Les nouvelles frontières sociales des utopistes de la Silicon Valley ont été une interprétation du potentiel libertaire de la technologie, faite de néo-communautarisme et de cette Nouvelle Gauche que S. Dolgoff critiquait dès 1971. Mais ces nouvelles frontières ont été transformées en mythe parce que la question est de savoir aujourd’hui qui décide de ces nouvelles frontières, qui décide de consommer les technologies de communication censées permettre à tous d’avoir accès à l’innovation. Qui décide qu’un téléphone à plus de 1000€ est la meilleure chose à avoir sur soi pour une meilleure intégration sociale ? Qui décide que la nouvelle frontière repose sur la circulation de berlines sur batteries en employant une main-d’œuvre bon marché ?

Ouvrir le Libre

Il est temps de réhabiliter la pensée de Sam Dolgoff. Le Libre n’est pas qu’un mode de production anarchiste, il peut être considéré comme un instrument de libération du potentiel libertaire de la technologie.

Scander haut et fort que les hackers sont des anarchistes ne veut rien dire, tant que le modèle organisationnel et économique ne sert pas à autre chose que de développer du code. Rester dans le positivisme hérité des anarchistes de la première moitié du XXe siècle a ce double effet : un sentiment de dépassement lorsqu’on considère combien le « progrès » technologique sert à nous oppresser, et un sentiment d’abandon parce que celleux qui sont en mesure de proposer des alternatives techniques d’émancipation ont tendance à le faire en vase clos et reproduisent, souvent inconsciemment, une forme de domination.

Ce double sentiment a des conséquences qui dépassent largement la question des logiciels. Il est toujours associé à la tendance toujours plus grande de l’État à accroître les inégalités sociales, associé aux conséquences climatiques du système économique dominant qui nous conduit au désastre écologique, associé à la répression toujours plus forte par l’autoritarisme des gouvernements qui défendent les intérêts des plus riches contre les travailleurs et contre tout le reste. Il en résulte alors un désarmement technologique des individus là où il faut se défendre. À défaut, les solutions envisagées ont toujours petit goût pathétique : des plaidoyers qui ne sont jamais écoutés et trouvent encore moins d’écho dans la représentation élective, ou des actions pacifiques réprimées dans la violence.

Le potentiel libertaire du logiciel libre a cette capacité de réarmement technologique des collectifs car nous évoluons dans une société de la communication où les outils que nous imposent les classes dominantes sont toujours autant d’outils de contrôle et de surveillance. Il a aussi cette capacité de réarmement conceptuel dans la mesure où notre seule chance de salut consiste à accroître et multiplier les communs, qu’ils soient numériques ou matériels. Or, la gestion collective de ces communs est un savoir-faire que les mouvements libristes possèdent et diffusent. Ils mettent en pratique de vieux concepts comme l’autogestion, mais savent aussi innover dans les pratiques coopératives, collaboratives et contributives.

Occupy Wall Street, Nuit Debout, et bien d’autres évènements du genre, ont été qualifiés de préfiguratifs parce qu’ils opposaient de nouveaux imaginaires et de nouvelles manières de penser le monde tout en mettant en pratique les concepts mêmes qu’ils proposaient. Mais ce spontanéisme a tendance à se montrer évanescent face à des concrétisations préfiguratives comme les ZAD, la Comuna de Oaxaca, le mouvement zapatiste, et des milliers d’autres concrétisations à travers le monde et dont la liste serait fastidieuse. Rien qu’en matière d’autogestion, il suffit de jeter un œil sur les 11 tomes (!) de l’encyclopédie de l’Association Autogestion (2019)51. Or, dans tous ces mouvements, on retrouve du logiciel libre, on retrouve des libristes, on retrouve des pratiques libristes. Et ce n’est que très rarement identifié et formalisé.

Que faire ? Peut-être commencer par s’accorder sur quelques points, surtout entre communautés libristes et communautés libertaires :

  1. Ce n’est pas parce qu’on est libriste qu’on est anarchiste, et l’éthique hacker n’est pas un marqueur d’anarchisme. De manière générale, mieux vaut se méfier de l’autoproclamation dans ce domaine, surtout si, en pratique, il s’agit de légitimer le pillage des communs. Par contre il y a beaucoup d’anarchistes libristes.
  2. Les pratiques anarchistes n’impliquent pas obligatoirement l’utilisation et/ou la création de logiciels libres ou d’autres productions libres des communs numériques. Le Libre n’a pas à s’imposer. Mais dans notre monde de communication, le Libre en tant qu’outil est un puissant moteur libertaire. Il permet aux libertaires de mettre en œuvre des actions de communication, de coopération et de stratégie.
  3. Proposer le logiciel libre ou les licences libres n’est pas un acte altruiste ni solidaire s’il n’est pas accompagné de discours ou d’actes émancipateurs. Il peut même créer l’inverse par excès, submersion de connaissances et finalement exclusion. Il faut travailler de plus en plus les conditions d’adoption de solutions techniques libres dans les collectifs, mieux partager les expériences, favoriser l’inclusion dans la décision d’adoption de telles ou telles techniques. Elles doivent apporter du sens à l’action (et nous revoici dans la réflexion déjà ancienne du rapport entre travailleurs et machines).
  4. Il vaut mieux privilégier l’émancipation non-numérique à la noyade techno-solutionniste qui résulte d’un manque de compétences et de connaissances.
  5. La solidarité doit être le pilier d’une éducation populaire au numérique. Cela ne concerne pas uniquement l’anarchisme. Mais un collectif ne peut pas seul effectuer une démarche critique sur ses usages numériques s’il n’a pas en même temps les moyens de les changer efficacement. Les collectifs doivent donc échanger et s’entraider sur ces points (combien de groupes anarchistes utilisent Facebook / Whatsapp pour s’organiser ? ce n’est pas par plaisir, sûr !).

Notes


  1. La Quadrature du Net, « Affaire du 8 décembre : le chiffrement des communications assimilé à un comportement terroriste », 5 juin 2023, URL. ↩︎

  2. On peut prendre un exemple trivial, celui du microblogage qui transforme la communication en flux d’information. Le fait de ne pouvoir s’exprimer qu’avec un nombre limité de caractère et de considérer l’outil comme le support d’un réseau social (où le dialogue est primordial), fait que les idées et les concepts ne peuvent que rarement être développés et discutés, ce qui transforme l’outil en support de partage d’opinions non développées, raccourcies, caricaturales. Ajoutons à cela le fait que, sur un système de microblogage commercial, les algorithmes visant à générer de la lucrativité attentionnelle, ce sont les contenus les poins pertinents pour la pensée et les plus pertinents pour le trafic qui sont mis en avant. Contrairement à ce qu’annoncent les plateformes commerciales de microblogage, ce dernier ne constitue absolument pas un support d’expression libre, au contraire il réduit la pensée à l’opinion (ou ne sert que de support d’annonces diverses). Un autre exemple concerne la « rédaction web » : avec la multiplication des sites d’information, la manière d’écrire un article pour le web est indissociable de l’optimisation du référencement. Le résultat est que depuis les années 2000 les contenus sont tous plus ou moins calibrés de manière identique et les outils rédactionnels sont configurés pour cela. ↩︎

  3. Lawrence Lessig, « Code is Law – On Liberty in Cyberspace », Harvard Magazine, janvier 2000. Trad. Fr sur Framablog.org, 22 mai 2010. ↩︎

  4. Aliénation de tout le monde en fait. « L’aliénation apparaît au moment où le travailleur n’est plus propriétaire de ses moyens de production, mais elle n’apparaît pas seulement à cause de cette rupture du lien de propriété. Elle apparaît aussi en dehors de tout rapport collectif aux moyens de production, au niveau proprement individuel, physiologique et psychologique (…) Nous voulons dire par là qu’il n’est pas besoin de supposer une dialectique du maître et de l’esclave pour rendre compte de l’existence d’une aliénation dans les classes possédantes ». G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989, p. 118. ↩︎

  5. Steven Levy, Hackers. Heroes of the Computer Revolution, New York, Dell Publishing, 1994. Steven Lévy, L’éthique des hackers, Paris, Globe, 2013. ↩︎

  6. Ainsi on peut s’interroger sur la tendance du protocole ouvert ActivityPub (qui fait fonctionner Mastodon, par exemple) à couvrir de nombreuses applications du Fediverse sans qu’une discussion n’ait été réellement menée entre les collectifs sur une stratégie commune multiformats dans le Fediverse. Cela crée une brèche récemment exploitée par l’intention de Meta de vouloir intégrer le Fediverse avec Threads, au risque d’une stratégie de contention progressive des utilisateurs qui mettrait en danger l’utilisation même d’ActivityPub et par extension l’ensemble du Fediverse. On peut lire à ce sujet la tribune de La Quadrature du Net : « L’arrivée de Meta sur le Fédivers est-elle une bonne nouvelle ? », 09 août 2023, URL. ↩︎

  7. Sébastien Broca, Utopie du logiciel libre. Lyon, Éditions le Passager clandestin, 2018. ↩︎

  8. Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, Caen, C&F Editions, 2012. ↩︎

  9. Christophe Masutti, « Lire Fred Turner : de l’usage de l’histoire pour préfigurer demain », dans Retour d’Utopie. De l’influence du livre de Fred Turner, Caen, Les cahiers de C&F éditions 6, juin 2023, p. 70-82. ↩︎

  10. Detlef Hartmann, Die Alternative: Leben als Sabotage – zur Krise der technologischen Gewalt, Tübingen: IVA-Verlag, 1981. Voir aussi Capulcu Kollektiv, DISRUPT ! - Widerstand gegen den technologischen Angriff, sept. 2017 (URL). ↩︎

  11. Alan F. Westin, Privacy and Freedom, New York, Atheneum, 1967. ↩︎

  12. C’est le ralliement des mouvements pour les droits et libertés individuels, le lien entre l’expérience personnelle (par exemple les inégalités de race ou de genre dont des individus pourraient faire l’expérience quotidienne) et les structures politiques et sociales qui sont à la source des problèmes et dont il fallait procéder à la remise en question. ↩︎

  13. Nadia Eghbal, Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? : Le travail invisible des faiseurs du web. Marseille, OpenEdition Press, 2017. https://doi.org/10.4000/books.oep.1797. ↩︎

  14. Dans le cas de communs numériques, qui sont des biens non rivaux, il peut être difficile de comprendre cette notion d’appauvrissement. Comme le montrent Pierre Dardot et Christian Laval dans leur livre Communs, pour un commun, la richesse dépend autant du processus contributif (l’activité collective qui consiste à en faire un commun) que du bien lui-même, même s’il peut être dupliqué à l’infini dans le cas des biens non rivaux. Prenons deux exemples : 1) pour un champ cultivé, si tout le monde se sert et en abuse et personne ne sème ni n’entretient et qu’il n’y a pas d’organisation collective pour coordonner les efforts et décider ensemble que faire du champ, ce dernier reste bien un commun mais il ne donne rien et va disparaître. 2) Pour un logiciel, si personne ne propose de mise à jour, si personne n’enrichit ou corrige régulièrement le code et s’il n’y a pas d’organisation des contributions, ce logiciel aura tendance à disparaître aussi. Voir Pierre Dardot et Christian Laval, Communs. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014. ↩︎

  15. Pierre Crétois (dir.), L’accaparement des biens communs, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2022. ↩︎

  16. On peut voir sur ce point le travail que réalise Laurent Marseault : https://cocotier.xyz/?ConfPompier. ↩︎

  17. Au sens où l’entendait Bernard Stiegler, c’est-à-dire la privation d’un sujet de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). Voir Bernard Stiegler, États de choc: bêtise et savoir au XXIe siècle, Paris, France, Mille et une nuits, 2012. ↩︎

  18. On peut voir les statistiques sur l’Open Source Contributor Index : https://opensourceindex.io/. ↩︎

  19. Simon Butler et al., « On Company Contributions to Community Open Source Software Projects », IEEE Transactions on Software Engineering, 47-7, 2021, p. 1381‑1401. ↩︎

  20. Antonio A. Casilli, En attendant les robots: enquête sur le travail du clic, Paris, France, Éditions du Seuil, 2019. ↩︎

  21. Et ils sont souvent les dindons de la farce. En Europe, la situation est équivoque. D’un côté, un espace est ouvert grâce aux dispositifs juridiques censés protéger l’économie européenne et les européens contre les effets des multinationales à l’encontre de la vie privée, au nom de la défense des consommateurs, et en faveur de la souveraineté numérique. Les logiciels libres y trouvent quelques débouchés pertinents auprès du public et des petites structures. Mais d’un autre côté, une grande part de la production libre et open source repose sur des individus et des petites entreprises, alors même que les gouvernements (et c’est particulièrement le cas en France) leur créent des conditions d’accès au marché très défavorables et privilégient les monopoles extra-européens par des jeux de partenariats entre ces derniers et les intégrateurs, largement subventionnés. Voir Jean-Paul Smets, « Confiance numérique ou autonomie, il faut choisir », in Annales des Mines, 23, La souveraineté numérique : dix ans de débat, et après ?, Paris, 2023., p. 30-38. ↩︎

  22. Même si le protocole ActivityPub pourrait être suffisamment détourné ou influencé pour ne plus assurer l’interopérabilité nécessaire. La communauté du Fediverse doit pour cela s’opposer en masse à Thread, la solution que commence à imposer l’entreprise Meta (Facebook), dans l’optique de combler le manque à gagner que représente le Fediverse par rapport aux média sociaux privateurs. ↩︎

  23. Christophe Masutti, « En passant par l’Arkansas. Ordinateurs, politique et marketing au tournant des années 1970 », Zilsel, 9-2, 2021, p. 29‑70. ↩︎

  24. On peut se reporter à cette louable tentative issue de It’s Going Down, et que nous avons publiée sur le Framablog. Il s’agit d’un livret d’auto-défense en communication numérique pour les groupes anarchistes. Bien qu’offrant un panorama complet et efficace des modes de communications et rappelant le principe de base qui consiste en fait à les éviter pour privilégier les rencontres physiques, on voit tout de même qu’elle souffre d’un certain manque de clairvoyance sur les points d’achoppement techniques et complexes qu’il serait justement profitable de partager. Voir « Infrastructures numériques de communication pour les anarchistes (et tous les autres…) », Framablog, 14 avril 2023. ↩︎

  25. Philippe Borrel, La bataille du Libre (documentaire), prod. Temps Noir, 2019, URL. ↩︎

  26. Sam Williams, Richard Stallman et Christophe Masutti, Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée, 1re éd., Eyrolles, 2010. ↩︎

  27. Richard Stallman (interview), « Is Free Software Anarchist? », vidéo sur Youtube. ↩︎

  28. Michel Lallement, L’âge du faire: hacking, travail, anarchie, Paris, France, Éditions Points, 2018. ↩︎

  29. Christian Imhorst, Die Anarchie der Hacker, Marburg, Tectum - Der Wissenschaftsverlag, 2011. Christian Imhorst, « Anarchie und Quellcode - Was hat die freie Software-Bewegung mit Anarchismus zu tun? », in Open Source Jahrbuch 2005, Berlin, 2005. ↩︎

  30. Dale A. Bradley, « The Divergent Anarcho-utopian Discourses of the Open Source Software Movement », Canadian Journal of Communication, 30-4, 2006, p. 585‑612. ↩︎

  31. Marie-Christine Granjon, « Les radicaux américains et le «système» », Raison présente, 28-1, 1973, p. 93‑112. ↩︎

  32. David DeLeon, The American as Anarchist: Reflections on Indigenous Radicalism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2019. ↩︎

  33. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde. L’anarchisme contemporain entre émancipation individuelle et révolution sociale, Marseille, Agone, 2019, pp. 61-63. ↩︎

  34. En 2015, c’est ce qui a permis à Bill Gates de caricaturer, sans les citer, des personnes comme Joseph Stiglitz et d’autres partisans pour une réforme des brevets (pas seulement logiciels) en sortes de néocommunistes qui avanceraient masqués. Voir cet entretien, cet article de Libération, et cette « réponse » de R. M. Stallman. ↩︎

  35. Eben Moglen, « L’anarchisme triomphant. Le logiciel libre et la mort du copyright », Multitudes, 5-2, 2001, p. 146‑183. ↩︎

  36. David Edgerton, « De l’innovation aux usages. Dix thèses éclectiques sur l’histoire des techniques », Annales. Histoire, sciences sociales, 53-4, 1998, p. 815‑837. ↩︎

  37. Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Montreuil, France, Éditions L’Échappée, 2011. ↩︎

  38. Amaelle Guiton, Hackers: au cœur de la résistance numérique, Vauvert, France, Au diable Vauvert, 2013. ↩︎

  39. « Le capitalisme est d’essence conjoncturelle. Aujourd’hui encore, une de ses grandes forces est sa facilité d’adaptation et de reconversion », Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2018. ↩︎

  40. Stéphane Couture, « L’écriture collective du code source informatique. Le cas du commit comme acte d’écriture », Revue d’anthropologie des connaissances, 6, 1-1, 2012, p. 21‑42. ↩︎

  41. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde, op. cit., p. 12 et p. 10. ↩︎

  42. Comme je l’ai écrit dans un précédent billet de blog, plusieurs auteurs donnent des définitions du concept de préfiguration. À commencer par David Graeber, pour qui la préfiguration est « l’idée selon laquelle la forme organisationnelle qu’adopte un groupe doit incarner le type de société qu’il veut créer ». Un peu plus de précision selon Darcy Leach pour qui la préfigurativité est « fondée sur la prémisse selon laquelle les fins qu’un mouvement social vise sont fondamentalement constituées par les moyens qu’il emploie, et que les mouvements doivent par conséquent faire de leur mieux pour incarner – ou “préfigurer” – le type de société qu’ils veulent voir advenir. ». David Graeber, Comme si nous étions déjà libres, Montréal, Canada, Lux éditeur, 2014. Darcy K. Leach, « Prefigurative Politics », in The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, John Wiley & Sons, Ltd, 2013. ↩︎

  43. Cory Doctorow, « As Platforms Decay, Let’s Put Users First », 09 mai 2023, URL. ↩︎

  44. Kristin Ross, La forme-Commune. La lutte comme manière d’habiter, Paris, La Fabrique Editions, 2023. ↩︎

  45. Sam Dolgoff, The relevance of anarchism to modern society, Troisième édition., Tucson, AZ, See Sharp Press, 2001. ↩︎

  46. Sam Dolgoff, « Le Néo-anarchisme américain. Nouvelle gauche et gauche traditionnelle », Le Mouvement social, num. 83, 1973, p. 181‑99. « (…) intellectuels petits-bourgeois, des étudiants et des « hippies » qui constituaient l’essentiel de la nouvelle gauche ». ↩︎

  47. Thomas Swann, « Towards an anarchist cybernetics: Stafford Beer, self-organisation and radical social movements | Ephemeral Journal », Ephemera. Theory and politics in organization, 18-3, 2018, p. 427‑456. ↩︎

  48. En théorie du moins. Si on regarde de plus près l’histoire du projet Cybersyn, c’est par la force des choses que le système a aussi été utilisé comme un outil de contrôle, en particulier lorsque les tensions existaient entre les difficultés d’investissement locales et les rendements attendus au niveau national. En d’autres termes, il fallait aussi surveiller et contrôler les remontées des données, lorsqu’elles n’étaient pas en phase avec la planification. Cet aspect technocratique a vite édulcoré l’idée de la prise de décision collective locale et de la participation socialiste, et a fini par classer Cybersyn au rang des systèmes de surveillance. Hermann Schwember, qui était l’un des acteurs du projet est revenu sur ces questions l’année du coup d’État de Pinochet et peu de temps après. Hermann Schwember, « Convivialité et socialisme », Esprit, juil. 1973, vol. 426, p. 39-66. Hermann Schwember, « Cybernetics in Government: Experience With New Tools for Management in Chile 1971-1973 », In : Hartmut Bossel (dir.), Concepts and Tools of Computer Based Policy Analysis, Basel, Birkhäuser - Springer Basel AG, 1977, vol.1, p. 79-138. Pour une histoire complète, voir Eden Medina, Cybernetic Revolutionaries. Technology and Politics in Allende’s Chile, Boston, MIT Press, 2011. Et une section de mon ouvrage Christophe Masutti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance, Caen, C&F Éditions, 2020. ↩︎

  49. Sam Dolgoff, « Modern Technology and Anarchism », Libertarian Labor Review, 1, 1986, p. 7‑12. ↩︎

  50. Fred Turner, « Ne soyez pas malveillants. Utopies, frontières et brogrammers », Esprit, 434, mai 2019, URL. ↩︎

  51. Association Autogestion, Autogestion. L’encyclopédie internationale, Paris, Syllepse, 2019, vol. 1-11. ↩︎

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