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Timothée Parrique
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Timothée PARRIQUE


Économiste spécialiste de la décroissance

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25.06.2024 à 11:31

Décryptage des mesures du Nouveau Front Populaire

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Cette page rassemble les analyses que je publie quotidiennement sur les mesures du Nouveau Front Populaire détaillées dans leur programme et son analyse macroéconomique. Je l’actualiserais tous les jours jusqu’à la fin des élections. « Passer à la gestion 100% publique de l’eau en régies locales : pour la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la […]
Texte intégral (11984 mots)

Cette page rassemble les analyses que je publie quotidiennement sur les mesures du Nouveau Front Populaire détaillées dans leur programme et son analyse macroéconomique. Je l’actualiserais tous les jours jusqu’à la fin des élections.

  1. Tarification progressive de l’eau
  2. Encadrement des prix immobiliers
  3. Impôt sur le revenu
  4. ISF vert
  5. Impôt sur l’héritage
  6. Taxer les superprofits
  7. Réglementer les prix des vols en avion
  8. Smic à 1600 €
  9. Suppression des niches fiscales polluantes
  10. Moratoire sur les grands projets autoroutiers
  11. Taxe sur les transactions financières
  12. Supprimer la flat tax
  13. Accompagner les reprises des entreprises en SCOP
  14. Rétablir l’exit tax
  15. La règle verte
  16. Un impôt minimum sur les multinationales
  17. Relancer la création d’emplois aidés
  18. Taxer les plus riches au niveau européen

« Passer à la gestion 100% publique de l’eau en régies locales : pour la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la vie et la tarification progressive et différentielle selon les usages ». 

La gestion de l’eau peut être organisée en régie (gestion directe par la commune ou une organisation intercommunale), déléguée à un opérateur privé ou à une entreprise publique, ou un mixte des deux. Dans les années 1990, c’était la gestion privée de l’eau qui dominait en France, avec des promesses d’efficience et de baisse des prix. Mais depuis les années 2000, certaines villes font marche arrière, réalisant que le prix de l’eau est presque toujours plus élevé dans les communes privatisées que dans celles sous gestion publique. En 2020, la gestion publique de l’eau potable couvre presque la moitié de la population française, soit une augmentation de 22 % en 10 ans. 

Deuxième élément : la tarification progressive. Pourquoi payerait-on son eau au même prix pour faire son ménage ou remplir sa piscine privée ? Le politologue Paul Ariès parle de « gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage » (voir Gratuité vs Capitalisme, 2018). Faciliter l’accès à l’eau pour boire, se laver, cuisiner, et autres usages indispensables et limiter les activités moins essentielles comme le remplissage de piscines, les lavages de voitures, et l’arrosage de gazon. On parle aussi de « tarification sociale » quand ce système vise principalement les usagers les plus défavorisés. 

C’est déjà le cas dans plusieurs villes, dont Dunkerque depuis 2012 : la grille tarifaire de l’eau est divisée en trois tranches. La consommation « essentielle » (de 0 à 80 mètres cubes par foyer et par an) est facturée 1,28 € par m3. Passé ce seuil, « l’eau utile » (entre 81 et 200 m3) coûte 2,30 € et « l’eau de confort » (> 200 m3 annuel) coûte 3,10 € par mètre cube. Pour mettre en perspective : un Français consomme en moyenne 149 litres d’eau par jour, soit 54 m3 par an. La ville de Montpellier va encore plus loin : les quinze premier mètres cubes sont gratuits, puis 0,95 € de 16 m3 à 120 m3, 1,40 € de 121-240 m3, et 2,70 € à partir de 240 m3. De 2015 à 2021, 11 million de personnes avaient expérimenté ce système.

Pour les entreprises, on pourrait imaginer plusieurs grilles tarifaires en fonction des activités. Suivant la même idée du partage plus équitable entre usagers, une tarification préférentielle permettrait de faciliter l’accès à une eau peu chère pour la production de biens et services jugés indispensables tout en renchérissant l’eau utilisée par des activités moins essentielles. 

Ce que propose le Nouveau Front populaire, c’est d’accompagner ce mouvement de démarchandisation de l’eau. Des instances locales qui permettent des délibération démocratiques pour déterminer les bons usages et les mésusages (un mécanisme primordial en période de pénurie d’eau), ainsi qu’un système de prix sensible aux consommations et au pouvoir d’achat de chacun. 

« L’encadrement des loyers de manière obligatoire dans les zones tendues ainsi que des prix du foncier » 

Cette proposition vise à endiguer la montée des prix de l’immobilier tout en s’assurant d’un partage équitable de l’accès au logement. On entend par « zone tendue », une ville où il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande de logement. Cela concerne aujourd’hui 1 434 communes sur 47 agglomérations. Dans ces zones, les propriétaires sont libres de fixer le loyer de leur choix lors de la première mise en location du logement mais il est ensuite, sauf exception, interdit de l’augmenter entre deux locataires. 

Encadrer les loyers consiste à fixer un loyer maximum que les propriétaires n’ont pas le droit de dépasser. Il a été expérimenté pour la première fois à Paris en 2015 et s’applique aujourd’hui à 24 villes s’étant portées volontaires dont Lyon, Bordeaux, et Montpellier. Chaque bien immobilier se voit attribuer un loyer de référence qui varie en fonction des caractéristiques du logement (type de location, nombre de pièces, superficie, localisation) avec un plafond fixé à 20 % de ce loyer de référence. Par exemple, un deux pièces non meublé à Paris dans le secteur Clignancourt est estimé à 24,9 €/m2 (loyer de référence) et donc plafonné à 29,9 €/m2

L’encadrement des prix du foncier appliquerait la même logique aux prix des terrains ou même des biens immobiliers. En effet, les prix des logements est 72 % plus élevé en 2019 que dix ans plus tôt alors que le revenu disponible par ménage n’a progressé que de 4 %. Pour sortir de cette spirale inflationniste, un prix de vente de référence serait estimé en fonction du prix d’achat initial, indexé sur l’indice de référence des loyers ou celui du coût de la construction. C’est déjà le cas à Montreuil (Seine-Saint-Denis) où le prix de vente est plafonné entre 4 000 et 7 000 euros le m2, avec une « clause anti-spéculative » interdisant pendant 10 ans la revente du logement à un tarif supérieur au prix d’acquisition.

Pour imaginer cette proposition de manière concrète, il suffit d’aller à Vienne où 60 % des résidents vivent déjà dans des logements dont les prix sont encadrés. Les prix y sont plus bas (le loyer moyen est 50 % moins cher à Vienne qu’à Amsterdam, 40 % en dessous de Rome, et 37 % inférieur au loyer moyen parisien) et la qualité des logements supérieure (Vienne est presque constamment numéro une des classement de qualité de vie urbaine).

« Accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches » 

L’impôt sur le revenu actuel comprend 5 tranches : 0 % jusqu’à 11 294 € de revenu annuel net imposable, 11 % de 11 295 € à 28 797 €, 30 % de 28 798 à 82 341 €, 41 % de 82 342 € à 177 106 €, et 45 % au-delà de 177 106 €. On le dit « progressif » car le taux d’imposition s’accroît avec l’augmentation du revenu, ce qui n’est pas le cas d’un impôt « proportionnel » comme la TVA ou la taxe carbone qui est le même pour tous les contribuables. L’impôt sur le revenu représente 27 % des recettes fiscales en 2023 (c’est 29 % pour la TVA et 18 % pour l’impôt sur les sociétés). 

Quelques ordres de grandeurs sur les inégalités. En termes de revenus, 4,7 millions de Français sont riches en 2021, c’est-à-dire gagnent plus de 3 860 € par mois après impôts, soit deux fois le niveau de vie médian (1 930 €) ou l’équivalent de 2,7 fois le Smic (1 390 €). Ces riches-en-revenus représentent 7,4 % de la population française, soit 4,7 million de personnes. Ce seuil correspond un peu près aux 10 % des individus aux revenus les plus élévés (6,4 million de personnne qui gagnent plus de 3 489 €), une portion de la population qui reçoit environ un quart de tous les revenus. 

De l’autre côté de la distribution, 4,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en 2020 (965 € par mois/personne après impôts), soit 7,6 % de la population. Cette pauvreté est en légère augmentation, passant de 7,5 % de la population en 2000 à 7,6 % vingt ans plus tard (+ 500 000 personnes sur la période). Ces 10 % les plus pauvres ne reçoivent que 4 % de tous les revenus ; la parte monte à 30 % du revenu total lorsque l’on élargie la catégorie à la moitié la plus pauvre de la population. En gros, les 10 % les plus riches perçoivent un peu près le même volume de revenus que les 50 % des Français aux revenus les plus faibles (ceux qui gagnent moins de 1 930 € par mois).  

L’impôt sur le revenu est un mécanisme de redistribution monétaire. En 2020, le niveau de vie annuel moyen avant redistribution monétaire est de 60 720 € pour les 20 % les plus aisées, contre 7 070 € pour les 20 % les plus modestes, soit 8,6 fois moins. La redistribution abaisse ces inégalités de revenus à un ratio de 3,9 (elle augmente de 74 % le niveau de vie moyen des 20 % les plus pauvres et diminue de 21 % celui des 20 % les plus riches). 

Le Nouveau Front populaire propose de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en y ajoutant davantage de tranches. Il existe de nombreuses manières de le faire. Thomas Piketty (Le capital au XXIe siècle, 2013), par exemple, avait proposé une décomposition en 7 tranches allant de 10 à 90 %, chacune estimée en proportion du revenu moyen. On peut ajouter plus de palier pour les faibles revenus afin que la montée en imposition soit plus douce, et on peut ajouter des paliers au-delà de l’actuel taux maximal d’imposition de 45 % pour mettre davantage à contribution les hauts-revenus. 

« Rétablir un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique »

L’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) a été supprimé en 2017, pour être remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). L’ISF s’appliquait aux biens immobiliers mais aussi aux liquidités, meubles, titres financiers, contrats d’assurance vie, et objets précieux. Ce qui change avec l’IFI, c’est que désormais seulement la valeur des biens immobiliers est prise en compte. Le barème de l’IFI, qui n’a pas changé depuis l’ISF, se décompose en 6 tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (patrimoine < 800 000 %) à 1,5 % (> 10 000 000 €). Comme l’ISF, il est plafonné en fonction du montant cumulé de tous les impôts afin qu’un ménage ne puisse pas payer plus de 75 % de ses revenus. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de patrimoine en France. Il faut qu’un ménage possède plus de 531 000 € brut (trois fois le patrimoine médian) pour être considéré comme un ménage riche-en-patrimoine (cela concerne 5,1 millions de ménages en 2021, soit 16,9 % des ménages). Les 10 % des ménages les plus fortunés (3 millions de ménages) possèdent plus de 716 300 € et le top 1 % (300 000 ménages) plus de 2,2 millions d’euros. Les millionnaires représentent 5 % des ménages. Le décile le plus fortunépossède 47 % du patrimoine total (c’était 41 % en 2010), soit un peu près la même chose que les 90 % restant de la population (la moitié la plus pauvre des ménages ne possèdent que 7,5 % du patrimoine total – c’était 9,4 % en 2010).

Vu que le périmètre de l’IFI est plus étroit que celui de l’ISF, les recettes fiscales sont moindres. En 2017, 360 000 ménages étaient redevables de l’ISF (1,1 % des ménages), alors qu’ils n’étaient plus que 133 000 un an plus tard (0,4 % des ménages). Le manque à gagner pour l’État est estimé à entre trois et cinq milliards d’euros par an. Par exemple, l’ISF a rapporté 4,2 milliards d’euros en 2017, contre 1,3 milliards pour l’IFI en 2018. Rétablir l’ISF augmenterait donc les recettes fiscales. Comme tout impôt progressif, sa force redistributive dépendra du choix du seuil d’éligibilité, de l’éventail des tranches, et de la progressivité des taux – des éléments qui pourraient tout à fait être modifiés.  

Pour le volet climatique, c’est l’économiste Jean Pisani Ferry qui avait lancé le débat sur « l’ISF vert » en proposant de financer la transition climatique avec un prélèvement exceptionnel de 5 % pendant une période de 30 ans sur le patrimoine financier des 10 % des ménages les plus aisés. Cela aurait un sens car l’empreinte carbone du patrimoine financier des 10 % des Français les plus riches (37 t/an/personne) est quatre fois plus élevé que l’empreinte carbone moyenne (9,2 t) et 12 fois plus élevé que l’empreinte du patrimoine financier de la moitié la plus pauvre de la population. 

Sources: Estimation du manque à gagner du passage de l’ISF à l’IFI ; proposition d’un ISF vert ; sur les inégalités de patrimoine en France ; sur l’empreinte carbone du capital.

« Réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif en ciblant les plus hauts patrimoines et instaurer un héritage maximum » 

Actuellement, les héritiers bénéficient d’un héritage non-taxé de 100 000 € par enfant lors du décès d’un parent, de 15 932 € pour un frère ou une sœur, et de 1 594 € en l’absence d’un autre abattement applicable. L’impôt sur l’héritage s’échelonne ensuite en sept tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (héritage en dessous de 8 072 €) et 45 % (> 1,8 millions d’euros). Cet impôt ne tient pas compte des dons effectués plus de 15 ans avant le décès (la moitié du flux successoral se fait au travers de dons). Les transferts entre personnes mariées ne sont pas imposés.

Si un peu plus de la moitié des ménages Français héritent au moins une fois au cours de leur vie (en moyenne à 50 ans), 87 % des héritages reçus sont inférieurs à 100 000 € et deux tiers des héritages sont inférieurs à 30 000 €. La grande majorité de la population ne paient donc pas de droits de succession. En 2020, les recettes fiscales de cet impôt s’élevaient à 12,5 milliards d’euros pour les successions et 2,5 milliards pour les donations. La moitié de ces montants proviennent de droits touchant à des successions en ligne indirecte, même si ceux-ci ne représentent que 10 % des sommes héritées. Le taux d’imposition effectif moyen pour l’ensemble des actifs transmis est de 5 %. 

Plus d’un quart des ménages fortunés (> 500 000 € de patrimoine net) reçoivent un héritage supérieur à 100 000 € et 1 % des héritiers reçoivent plus de 4,2 millions d’euros nets. L’héritage constitue un important facteur de reproduction des inégalités. Il représente 60 % de la fortune des 10 % les plus aisées (c’était 35 % en 1970). Il existe de nombreuses exemptions et exonérations qui permettent aux hauts patrimoines d’éviter à l’impôt (e.g., contrats d’assurance-vie, transmissions de biens professionnels, démembrement de propriété). Les 0,1 % les plus favorisés reçoivent en moyenne 13 millions d’euros et ne paient que 10 % de droits de succession pour l’ensemble du patrimoine hérité.  

« L’héritage maximum » est une proposition consistant à plafonner la somme maximale qui puisse être héritée. Le seuil est souvent défini en ratio du patrimoine médian (e.g. 100 fois le patrimoine médian, soit 18 millions d’euros). Ce serait l’équivalent d’ajouter une tranche supplémentaire à partir de laquelle chaque euro supplémentaire reçu en plus des 18 millions serait taxé à 100 %. 

Une autre proposition consiste à fixer un « héritage minimum ». Par exemple, le Conseil d’Analyse Économique avait proposé de garantir un capital pour tous, une somme de 10 000 à 40 000 € que toute personne recevrait à 18 ou 25 ans. Cette dotation serait financée par une augmentation des droits de successions sur les hauts patrimoines. Cela reviendrait à mutualiser une partie de la richesse héritée afin d’en assurer un partage plus équitable. 

Source: la note du Conseil d’Analyse Économique ; comprendre les droits de succession ; héritage et inégalités ; un article de l’Observatoire des inégalités sur l’héritage

« taxer les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution »

On considère comme « superprofits » des bénéfices exceptionnels réalisés par des entreprises, non grâce à des innovations ou des gains de productivité, mais en profitant d’effets d’aubaine (guerre, pandémie, crise écologique, etc.). Ils apparaissent lorsque les marges des entreprises augmentent beaucoup plus rapidement que leur facteurs de production, et cela comparé aux bénéfices moyens observés pendant une période plus longue. 

Par exemple, alors que Total enregistrait un bénéfice annuel moyen de 6 milliards d’euros entre 2018 et 2020, ses bénéfices ont atteint 16 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 260 %, et cela grâce à la flambée des prix de l’énergie. De la même manière, les bénéfices de Carrefour (403 millions par an entre 2018 et 2020) ont bondi de plus de 400 % pour atteindre 1,7 milliards d’euros en 2021. En France, les 150 plus grandes entreprises ont enregistré un total de 80 à 90 milliards de superprofits en 2021. 

Les superprofits favorisent la concentration des richesses. En effet, 96 % des dividendes sont attribués à 1 % de l’ensemble des foyers fiscaux (400 000 ménages sur 40 millions) et cinq familles seulement possèdent 18 % des actions du CAC40 (l’état Français n’en possède que 2,2 %). Les ménages pauvres ne reçoivent souvent comme revenus que leurs salaires ; d’ailleurs, les 30 % des individus les plus riches perçoivent la moitié de tous les revenus, dont l’essentiel des dividendes. Les superprofits aggravent également la précarité car ils font pression sur le coût des dépenses incompressibles des ménages les plus modestes. C’est une sorte d’impôt inversé, une redistribution de revenus des plus pauvres (qui dépensent une grande partie de leur budget pour se déplacer, se chauffer, et se nourrir) aux plus riches (qui reçoivent des dividendes). 

Actuellement, les entreprises payent un « impôt sur les bénéfices » (aussi appelé impôt sur les sociétés) à 25 % (taux normal) ou 15 % (taux réduit pour certaines PME). Mais le système ne fait pas la différence entre des profits structurels (liés à une amélioration du processus productif) et conjoncturels (liés à un effet d’aubaine). Pour y remédier, il serait possible de créer une nouvelle tranche fortement taxée (entre 50 % et 90 %) qui ne s’appliquerait que lorsque les profits dépassent de manière significative les profits moyens des années précédentes.    

Une telle taxe avait déjà été proposée par la Commission européenne en 2022 (la « contribution de solidarité ») sous la forme d’un prélèvement supplémentaire de 33 % pour les entreprises du pétrole, du gaz, et du charbon dont les bénéfices en 2022 dépassaient de 20 % la moyenne des bénéfices générés au cours des quatre dernières années. Étendu à toutes les grandes entreprises européennes tout secteur confondu, une taxation progressive des superprofits de 20 à 40 % rapporterait 107 milliards d’euros à l’échelle de l’UE. 

« Réglementer les tarifs de desserte aérienne »

C’est la seule mention de l’aérien dans l’ébauche du programme du Nouveau Front populaire. Même si cette mesure se cantonne aux dessertes aériennes de l’outre-mer, j’en profite pour élargir la discussion à un problème plus général. En France un billet de d’avion coûte en moyenne 2,6 moins plus cher qu’un billet de train (c’est le plus grand ratio en Europe après le Royaume-Uni et l’Espagne)Une situation surprenante étant donné qu’un voyage en avion émet 20 à 50 fois plus de gaz à effet de serre que son alternative sur rail. 

C’est une défaillance de marché : les prix des billets d’avion ne reflètent pas leur coût environnemental, ce qui permet aux compagnies aériennes de vendre des billets à des prix artificiellement bas – par exemple, le Paris-Milan proposé à 25,49 € par EasyJet, 14,99 € par Ryanair ou 9,84 € par Wizz Air, l’équivalent de cinq tickets de métro. C’est un dumping écologique accompagné par des stratégies marketing agressives (des pubs pour les vols en avion que l’on retrouve d’ailleurs souvent dans les gares ferroviaires). 

Le train est certes cher mais le principal problème ici sont les prix anormalement bas de l’avion. Les compagnies ferroviaires paient des taxes sur l’électricité (à hauteur de 20 %), la TVA (qui est passée à 10 % au lieu de 7 % avant 2013), et des péages ferroviaires (ces derniers représentent près de la moitié du prix du billet). Sur un Paris-Milan en train à 278 €, on comptera 111 € de droits de péage et 27 € de TVA. Le même trajet en avion ne coûte que 122 € avec 0 € de TVA (les vols internationaux sont exonérés), 0 % de taxe sur le kérozène (les carburants des avions ne sont pas taxés), et seulement 26 € de taxes diverses (soit 22 % du billet). 

Le manque à gagner pour l’état français lié à ces avantages fiscaux est à estimé à 4,7 milliards d’euros en 2022. Une taxe de 0,38 € par litre (le seuil minimum proposé par la Commission Européenne) représenterait un gain de 2 milliards d’euros pour l’État français. Comprenons bien, l’important ici n’est pas tant les recettes fiscales mais l’incitation à voler. Selon certaines estimations, la demande des passagers aurait été 30 % moins importante sans les différentes niches fiscales qui réduisent artificiellement les prix des vols.   

Pour ajuster les prix de l’avion, plusieurs pistes pourraient être explorées, à commencer par un taux de taxe minimum sur le kérozène. Il faudrait aussi véritablement intégrer l’aérien dans le système européen d’échanges de quotas d’émission (les quotas sont pour l’instant gratuits) tout en s’assurant que le prix du carbone ne soit pas trop bas. Pour partager l’accès à l’avion de manière équitable, une mesure plus ambitieuse consisterait à introduire un « frequent flyer levy », une taxe progressive sur les billets (0 pour le premier vol par an, X € pour le deuxième, X+1 pour le troisième, etc.) qui viendrait remplacer l’actuelle « taxe de solidarité sur les billets d’avion ». 

Sources: Sur les émissions de l’aérien ; comparaison du prix du train avec celui de l’avion ; le calcul pour Paris-Milan ; sur le frequent flyer levy

« Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1600 € net »

Le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (Smic) existe depuis 1970. Il est « interprofessionnel » parce qu’il concerne toutes les branches d’activités et « de croissance » car son évolution est indexée à la hausse des prix à la consommation et sur la hausse du salaire ouvrier. Il est actuellement, et depuis sa dernière réévaluation en janvier 2024, fixé à 1 398 € nets pour 35 heures hebdomadaires, soit 9,22 € de l’heure. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de salaire : en équivalent temps plein, le salaire médian des salariés est de 2 012 € net (le salaire médian à temps de travail réel est de 1 612 €). Ce salaire médian est inférieur de 20 % au salaire moyen, ce qui traduit une plus forte concentration des salaires dans le bas de la distribution. Les 10 % des salariés les moins bien rémunérés touchent 1 366 €, soit plus de trois fois moins que les 10 % les mieux payés (> 4 010 €). Les 1 % des plus hauts salaires perçoivent 9 600 € net mensuels, l’équivalent de sept mois de salaire au Smic. Les cinq patrons d’entreprises françaises les mieux payés gagnent entre 13,7 millions d’euros par an (l’équivalent de 877 années de travail au Smic) et 33 millions (plus de 2 000 ans de travail au Smic).

En 2023, 17,3 % des salariés en France étaient payés au Smic, soit 3,1 millions de personnes. La proportion des bénéficiaires du Smic est plus marquée dans certains secteurs : 37 % des employés dans l’hébergement et la restauration et 19 % de ceux dans la santé humaine et l’action sociale sont payés au Smic (c’est 12 % pour l’économie dans son ensemble). 

Le Smic est aujourd’hui 2,5 fois plus élevé qu’en 1990. Hormis les revalorisations due à l’inflation, le Smic n’a pas connu de véritable augmentation depuis l’élection de François Hollande en 2012 (+ 0,6 %), et avant cela en 2006 (+ 0,3 %) et 2001 (+ 0,29 %). L’amener à 1600 € net constitue une augmentation de 14 %, soit 200 euros de plus. 

Quelles seraient les conséquences de telle hausse ? Personne ne sait vraiment. La hausse du pouvoir d’achat pourrait favoriser la consommation et donc les embauches, mais il y aura aussi un effet inverse : avec un coût du travail en hausse, les entreprises pourraient décider d’employer moins. Difficile de savoir quel effet l’emportera sur l’autre. Dans l’analyse macroéconomique du programme, le NFP propose de mettre en place quatre dispositifs pour protéger les entreprises vulnérables : des avances à 0 % sur 1 ou 2 ans, la reprise à 0 % de leurs charges financières par un fonds de solidarité, financement à 0 %, voire à taux négatif, de certains investissements, et des « mesures d’accompagnement financiers dégressifs et temporaires. 

Sources : quelques chiffres sur les salaires en France ; dernier rapport du groupe d’experts sur le Smic ; le chapitre sur les salaires dans le rapport sur les inégalités 2023 de l’Observatoire des Inégalités ; un article d’Alternatives Économiques sur les conséquences macroéconomiques d’une augmentation du Smic ; la proposition macroéconomique du NFP 

« Supprimer les niches fiscales polluantes » 

Les « niches fiscales » désignent des avantages en termes d’impôts dont bénéficient les contribuables sous certaines conditions – elles sont aussi appelées « dépenses fiscales » car elles induisent un coût pour le budget de l’État. Il en existe environ 470 en France pour un coût cumulé d’une centaine de milliards d’euros. Le programme du NFP propose de « supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes, et polluantes ». Commençons par ces dernières : les niches antiécologiques représentent 7,9 milliards d’euros en 2024 selon la méthode de calcul du gouvernement (et jusqu’à 19 milliards avec des méthodologies plus strictes), une hausse de 350 millions par rapport à 2023. 

Il existe de nombreuses niches fiscales défavorables au climat. Le transport maritime et l’aviation sont exonérés du paiement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Les vols en avion bénéficient d’un taux de TVA réduit de 10 % pour les vols domestique et de 0 % pour les vols internationaux. Le gazole non routier et le gazole agricole bénéficient de tarifs réduits, tout comme les carburants des poids lourds et des taxis, ainsi que le gaz et l’électricité de certaines grandes installations industrielles. Si 80 % des émissions de l’industrie sont couvertes par le marché européen du carbone, la majeure partie des quotas est toujours octroyée gratuitement, et cela jusqu’en 2026.

En élargissant la focale au-delà des émissions de gaz à effet de serre, on peut aussi mentionner le taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation non énergétiques, des tarifs préférentiels de l’accise sur les énergies pour le secteur du BTP, l’exonération de taxe foncière pendant deux ans pour les constructions neuves, les réductions d’impôts sur le revenu en faveur de l’investissement locatif, et certaines exonérations de taxe d’aménagement. Toutes ces mesures incitent à la construction et donc accélèrent l’artificialisation des sols (137 658 ha consommés entre 2013 et 2019) toute en alourdissant notre empreinte matière et notre empreinte carbone.  

S’il faut au plus vite supprimer ces niches fiscales polluantes, ce n’est pas pour augmenter les recettes mais avant tout pour désinciter les activités qui alourdissent notre empreinte écologique. Nous taxons l’électricité des trains (à hauteur de 20 %) mais pas le kérozène des avions alors que le ferroviaire émet 20 à 50 fois moins que l’aérien. Nous incitons à construire plutôt qu’à rénover alors que la construction nécessite 40 à 80 fois plus de matériaux et émet 10 fois plus de carbone que la rénovation. Les règles fiscales actuelles font exactement le contraire de ce que l’on devrait faire : taxer les pollueurs et subventionner les alternatives moins intenses en ressources naturelles.   

Sources : une analyse d’Alternatives Économiques des niches fiscales antiécologiques ; un rapport d’I4CE sur les dépenses fiscales défavorables au climat 

« Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières »

70 ans après le premier projet autoroutier en 1951, la France compte près de 11 677 km d’autoroutes, soit 1 % de toutes les routes. Depuis 1999, la longueur totale du réseau routier s’est accrue de 11,2 % et celle des autoroutes de 21,3 %. Actuellement, plus de 14 projets d’autoroutes sont en cours de négociation. 

Depuis la privatisation de 2006, le système autoroutier repose sur le régime de la concession. L’État reste propriétaire du réseau mais confie pendant plusieurs décennies le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien des autoroutes à des entreprises privées qui perçoivent l’argent des péages qui représente 97,3 % du chiffre d’affaires du secteur autoroutier. La presque totalité du réseau est gérée par des entreprises privée, les 10 % restant, les autoroutes non concédées sans péage, appartiennent à l’État. 

Trois groupes (Vinci, Eiffage, et Abertis) représentent plus de 91 % du chiffre d’affaires du secteur (une dizaine de milliards en 2021). En 2006, la cession des autoroutes avait rapporté 22,5 milliards d’euros à l’État. En 2023, le total des bénéfices engrangés sur l’année dépasse les 4 milliards d’euros. Les dividendes cumulés du groupe Vinci devraient être de 20,7 milliards d’euros d’ici 2036. C’est 22,3 Mds pour APRR et AREA, soit quatre fois le coûts d’acquisition en 2006 (6,7 Mds). 

Construire une autoroute est lourd de conséquences écologiques. Il faut bien sûr produire du bitume, et donc extraire tous les matériaux nécessaires à sa production. Il faut aussi artificialiser des zones humides, des terres agricoles et naturelles, et abattre des arbres. Le Conseil national de protection de la nature avait d’ailleurs émis un avis défavorable à propos du projet de l’A69, un projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité ».

Les autoroutes permettent de rouler plus vite que sur les nationales, ce qui augmente les émissions et la pollution. Rouler à 110 km/h plutôt qu’à 130 permet d’économiser plus de 20 % de consommation avec seulement 10 minutes de trajet d’écart sur 100 kilomètres. Il existe aussi un effet rebond au niveau des distances parcourus : plus il y a d’infrastructures autoroutières, plus on se déplace vite, et plus on a tendance à voyager loin, et donc à polluer. 

Plus généralement, les infrastructures routières viennent faciliter – et donc indirectement inciter – l’usage des modes de transport les plus carbonés, dont les voitures et les camions (les bus et cars ne représentent que 0,3 % du trafic). Alors que les émissions des transports représentent le premier poste d’émissions territoriales (32 % en 2022) et que 72 % des trajets en voiture sont inférieurs à 10 km, se lancer dans de nouveaux projets autoroutiers est une stratégie de mobilité archaïque. 

Sources : un article d’Aurélien Bigo sur les autoroutes et le climat ; un FAQ utile sur les concessions ; recensement des projets d’autoroutes ; un rapport du Sénat sur la rentabilité des autoroutes ; étude de l’Ademe sur l’impact des limitations de vitesse 

« Taxation renforcée des transactions financières »

Comme dans plus d’une trentaine de pays au monde, il existe en France une taxe sur les transactions financières (TTF) depuis 2012, aussi appelée « taxe Tobin » après l’économiste James Tobin qui popularisa l’idée en 1972. Son principe est simple : une micro-taxe qui s’applique sur les transactions financières à un taux très faible pour freiner la spéculation à court terme sans pour autant pénaliser les investissements à long terme. 

La taxe existante est une version extrêmement réduite car elle ne s’applique qu’à trois types de transactions : les ordres annulés dans le cadre d’opérations à haute fréquence (non effectif dans son design actuel), les achats à nu de CDS souverains (qui ont été interdits depuis), et les acquisitions de titres de capital ou assimilés. La taxe ne s’applique qu’aux actions de 121 grandes entreprises dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros. 

Elle est fixée à 0,3 % du prix d’achat des titres financiers et prélevée sous la forme d’une retenue directe à la source par l’opérateur gestionnaire du compte lors de l’acquisition des titres. En 2022, la taxe a rapporté 1,5 milliards d’euros (une partie des revenus – 528 millions d’euros – est systématiquement fléchée vers le fonds de solidarité pour le développement et le reste va au budget général). Est-ce que cette taxe fonctionne ? Non, selon un rapport de la Cour des comptes : « aucun des trois objectifs stratégiques qui lui avaient été assignés n’a été atteint ». 

Il existe plusieurs manières de la renforcer. Si seulement un tiers des transactions financières sont aujourd’hui concernés par la taxe, on pourrait élargir son assiette à un spectre plus large d’opérations financières : transactions intrajournalières (qui recouvrent 70 % des transactions et l’intégralité des activités de trading à haute fréquence), produits structurés et les dérivés, ainsi que les opérations de change (le plus gros marché en volume). 

En 2013, la Commission Européenne avait proposé une taxe de 0,1 % sur les actions et produits structurés et de 0,01 % sur les produits dérivés, qui s’appliquerait à toutes les transactions financières à l’exception des transactions de change au comptant (10,8 Mds de recettes estimés par an en France). La taxe proposée par ATTAC va plus loin en couvrant toutes les transactions y compris celles de change (15,8 Mds). Le programme du NFP estime les recettes de la FTT renforcée à 3 Mds, soit le double de ses recettes actuelles. 

On pourrait aussi augmenter son taux. Il est d’ailleurs déjà passé en de 0,1 % initialement à 0,2 % en 2012 et puis à 0,3 % en 2017, sans impact significatif sur la liquidité des actions ou la volatilité. On pourrait l’amener à 0,4 %, ou même à 0,5 % (le taux actuel de la TFF britannique qui rapporte environ 5 Mds par an). Une TFF étendue aux transactions intrajournalières à 0,5 % rapporterait 1,6 fois plus qu’une même taxe à 0,3 %. 

Sources : un article de Gunther Capelle-Blancard sur la TFF ;un article de synthèse d’ATTAC, l’organisation spécialiste du sujet ; un article de synthèse d’Oxfam ; estimation des revenus de la FTT en France ; un rapport de la cour des comptes de 2017 

« Supprimer la flat tax » 

Le Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) ou « flat tax » est un impôt créé en 2018. Il s’applique aux revenus de l’épargne et du capital hors immobilier, c’est-à-dire les intérêts, dividendes, placements à revenu fixe, l’assurance-vie, certains plans et comptes épargne logement, ainsi que les plus-values de cession de valeurs mobilières, c’est-à-dire le gain réalisé sur la vente de titres financiers. Son taux global est de 30 %, décomposé en 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % d’impôt forfaitaire. On dit qu’il est « forfaitaire » car le prélèvement est une somme fixe, à la différence d’un impôt proportionnel ou progressif. 

L’idée derrière la réforme de 2018 était de baisser la fiscalité du capital en espérant dynamiser l’investissement et donc l’activité et l’emploi. C’est l’hypothèse dite du « ruissellement » qui consiste à faciliter l’accumulation des richesses pour les plus fortunés en espérant que cette manne ‘ruisselle’ vers le bas de la distribution. Pour l’instant, les travaux de recherche sur le PFU n’ont pas détecté d’impact significatif sur l’investissement, l’emploi, et les salaires. 

En réalité, l’introduction du PFU a principalement bénéficié aux plus riches. Si elle n’a rien changé pour les petits épargnants, qui restent éligibles aux deux premières tranches de l’impôt sur le revenu (0 % et 11 %), elle a réduit les impôts de ceux qui se situaient dans les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (30 %, 41 %, 45 %) et qui pouvaient désormais choisir d’être imposé à un taux forfaitaire de 12,8 %. À partir de plus de 28 797 € de revenu net annuel net (le seuil de la troisième tranche du barème), il devient moins coûteux d’opter pour le PFU. Le manque à gagner pour l’État est de l’ordre de 1,8 milliards d’euros sur la période 2018-2022.

Le problème des impôts forfaitaires en général, c’est qu’ils ne tiennent pas compte des niveaux de vie. Ils ne réduisent donc pas les écarts de revenus et augmentent les inégalités relatives. Si les revenus en général sont assez concentrés (les 30 % les plus riches reçoivent la moitié de tous les revenus), les revenus du capital le sont de manière extrême. 1 % des foyers fiscaux (400 000 foyers sur 40 millions) concentrent 96 % des dividendes déclarés (c’est 62 % pour les 0,1 % des foyers) 70 % des montants de plus-values mobilières sont déclarés par 0,01 % des foyers fiscaux (4 000 foyers qui perçoivent chacun plus de 1 million d’euros par an). 

En supprimant la flat tax, les revenus du capital seraient à nouveau imposés de la même manière que les revenus du travail, c’est-à-dire avec le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cela voudrait dire que les ménages les plus fortunés s’acquitteraient d’un impôt plus important sans que cela ne change quoi que ce soit pour les petits épargnants, une mesure donc parfaitement alignée avec l’objectif général de réduction des inégalités que l’on retrouve dans le reste du programme. 

Sources : un policy brief de l’OFCE qui estime l’impact du PFU ; un article de l’Observatoire des Inégalités sur l’impacts de différents types d’impôts sur les inégalités ; le rapport de France Stratégie sur la fiscalité du capital ; sur les inégalités de revenus en général 

« Accompagner les reprises des entreprises en SCOP par les salariés »

Une SCOP (Société coopérative et participative) est une société coopérative de forme SA, SARL ou SAS dont les salariés sont les associés majoritaires et le pouvoir y est exercé démocratiquement. Les salariés détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Chaque salarié associé dispose d’une voix, quel que soit son statut, son ancienneté et le montant du capital investi.Les salariés élisent le dirigeant pour un mandat de 4-6 ans et décident ensemble de comment répartir le bénéfice entre la participation salariale (au moins 25 %), les réserves d’entreprise (au moins 16 %), et les dividendes (33 % maximum). Le rachat de parts sociales s’effectue à la valeur nominale de la souscription, sans possibilité de plus-value. 

La SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) est un autre modèle de société coopérative qui inclue un panel plus large de parties prenantes (clients, fournisseurs, bénévoles, collectivités territoriales, associations, partenaires privés, etc.). Comme pour la SCOP, tous les associés disposent d’un droit de vote égal. Autre spécificité : au moins 57,5 % des bénéfices sont mis en réserves dites « impartageables » pour consolider les fonds propres de l’entreprise (c’est 43 % en moyenne pour les SCOP). 

En 2023, il y avait en France 4 495 SCOP et SCIC, couvrant 84 294 emplois pour 9,4 milliards de chiffre d’affaires. La SCOP moyenne compte une vingtaine de salarié et la moitié d’entre elles se trouve dans le secteur des services. Le taux de pérennité à 5 ans est de 79 %, légèrement plus haut que pour l’ensemble des entreprises françaises (61 %). 21 % des créations de SCOP sont des transmissions d’entreprises, 11 % des transformation d’association ou de coopérative, et 68 % des créations ex nihilo. 

Ce régime d’entreprise bénéficie de plusieurs avantages. Elles bénéficient d’une exonération partielle de l’impôt sur les sociétéscorrespondant aux bénéfices distribués aux salariés au titre de la participation salariale. Elles peuvent déduire de la base imposable certains sommes réinvesties. Elles sont exonérées de la contribution économique territoriale et ont un droit de préférence pour les appels d’offre.

Il faudrait maintenant faciliter leurs accès aux financements. On pourrait imaginer la création d’un fonds national dédié à la reprise d’entreprises par les salariés qui viendrait uniformiser l’accès aux dispositifs régionaux existants (subventions, prêts personnels, avances remboursables, garanties financières). Ce fond accompagnerait les salariés, par exemple en apportant un abondement du capital à hauteur d’1 € pour 1 € investi, et en proposant des avances remboursables sur 5 à 7 ans. Ce fond viendrait également protéger l’investissement des salariés associés à la même hauteur que pour les autres investisseurs en mettant en place des lignes de garanties du capital injecté.  

Sources : Le site incontournable pour tout comprendre sur les SCOP et les SCIC ; un article d’Alternatives Économiques sur les SCOP ; un livre de la sociologue Anne-Catherine Wagner ; quelques propositions de Timothée Duverger et Christophe Sente pour aller vers une « république du travail » 

« Rétablir l’exit tax »

Le débat sur la taxation des plus riches fait toujours face à un obstacle : celui de les voir partir s’installer ailleurs pour éviter l’impôt. Mais il existe un dispositif pour contre cet exil fiscal : l’exit tax (ou « taxe à la frontière ») est un impôt qui vise à dissuader les contribuables de s’expatrier avec pour seul objectif de vendre les titres de sociétés cotée ou non cotée qu’ils détiennent (actions, parts sociales, obligations, etc.) une fois installés dans leur nouvel Etat de résidence, Etat où il y a généralement peu ou pas de fiscalité. 

Instaurée en 1999, abrogée en 2005 pour non-conformité au droit européen, ce dispositif a été remis en place en 2011 dans une version compatible sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron avait annoncé vouloir la supprimer en 2018, mais le gouvernement ne l’avait finalement qu’assoupli en 2019 (la durée d’application de la taxe avait été réduite de 15 ans à 2 ans). Fin 2022, l’Assemblée nationale avait voté son rétablissement dans son design initial mais cet élément n’a pas été retenu dans le projet de loi final après un recours à l’article 49.3. D’où la proposition du Nouveau Front Populaire de la rétablir telle qu’elle existait auparavant.   

Dans son design actuel, les plus-values latentes (e.g., la différence entre la valeur des titres concernés à la date du transfert hors de France et leur valeur d’acquisition) et les créances soumises à l’exit tax sont imposables soit au Prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (12,8 % au titre de l’Impôt sur le Revenu et 17,2 % pour les prélèvements sociaux), soit au barème progressif de l’impôt sur le revenu. 

Elle s’applique aux personnes ayant été résident fiscal français pendant au moins 6 ans au cours des dix dernières années et qui possèdent plus de 800 000 € de valeurs mobilières (ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société). Les personnes qui s’impatrient en France et repartent après quelques années seulement ne sont donc pas concernées, tout comme ceux qui possèdent moins de 800 000 € de titres. 

Si ces personnes désirent se domicilier fiscalement dans un autre pays, elles se doivent de déclarer les plus-values latentes accumulées sur les titres composant leur patrimoine. Ces plus-values seront ensuite imposées en France lorsque si ces titres seront vendus. L’idée derrière cette mesure est de prendre en compte le rôle des infrastructures matérielles et immatérielles fournies par la collectivité aux entrepreneurs (e.g., éducation, santé, transports, aides aux entreprises) tout en évitant le « dumping fiscal », une situation de concurrence internationale où les pays s’efforcent d’attirer des capitaux en proposant une fiscalité plus basse que leurs voisins. 

« Inscrire le principe de la règle verte »

L’idée d’une « règle verte » remonte au programme de LFI aux présidentielles de 2012. Elle consiste à « ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle ne peut supporter sur une année », selon la formulation d’un amendement déposé par un groupe de députés. C’est un jeu de mot qui fait un pied-de-nez à la « règle d’or budgétaire », l’obligation des États membres de respecter certaines limites de déficit public. 

Cette idée a une longue tradition en économie écologique depuis les années 1970. C’est les trois règles de l’économiste américain Herman Daly : (1) la consommation de ressources renouvelables ne doit pas excéder le taux de régénération des ressources, (2) le taux de consommation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le rythme auquel des substituts renouvelables peuvent être mis en place, et (3) la pollution ne doit pas excéder le rythme auquel les systèmes naturels peuvent les absorber, les recycler ou les neutraliser.

On parle de soutenabilité ou de durabilité pour décrire une situation où l’empreinte environnementale d’une communauté ne dépasse pas la biocapacité des écosystèmes, c’est-à-dire la capacité d’un milieu naturel à reconstituer ses réserves et à absorber des déchets. On parle d’insoutenabilité quand l’empreinte dépasse la biocapacité. On parle aussi de « limites planétaires », un cadre conceptuel qui présente la soutenabilité comme le non-dépassement d’un certain nombre de seuils.

Le programme vise à inscrire ce principe dans la législation. La règle verte deviendrait un critère d’évaluation pour l’ensemble des politiques publiques, au même titre que la règle d’or budgétaire. Cela constituerait une véritable avancée juridique par rapports aux règles environnementales actuelles qui restent parcellaires, souvent floues, et qui deviendrait plus cohérentes si elles étaient rassemblées sous un grand principe directeur. Certains proposent même la création d’une Agence européenne de la règle verte, qui serait responsable d’évaluer toutes les politiques publiques au sein de l’union.

En pratique, cela nécessite de fixer une limite à la quantité de ressources qui peuvent être consommées dans chaque pays. C’est déjà le cas en France pour les gaz à effets de serre qui sont limités, du moins en théorie, par un budget carbone inscrit dans la loi. Et aussi pour l’artificialisation des sols avec la stratégie Zéro Artificialisation Nette qui – encore une fois en théorie – fixe un seuil maximum d’hectares artificialisable. Pour que le bouclage écologique soit complet, il faudrait maintenant introduire des stratégies similaires pour plafonner les prélèvements d’eau, l’extraction de métaux et de matériaux, la pollution de l’air, l’érosion de la biodiversité, etc.

Sources : un article de Socialter ; l’ouvrage de référence d’Herman Daly ; l’amendement sur la règle verte déposé en 2018

« Impôt sur les bénéfices des multinationales » 

C’est un argument qui revient souvent : si un pays taxe davantage les entreprises, celles-ci délocaliseront leurs profits dans un pays à la fiscalité plus légère. Mais cette concurrence fiscale est un nivellement par le bas qui permet à terme aux grande entreprises d’échapper à l’impôt. Alors que le taux nominal moyen d’imposition des bénéfices était de 40 % en 1980, il est descendu à 24 % en 2019. En Europe, il est passé de 32 % en 2000 à 21,9 % en 2018. 

Pour l’éviter, certains économistes proposent d’instaurer de manière coordonné entre pays un taux d’imposition minimum sur les bénéfices des multinationales (souvent appelé « impôt Zucman » en France après les travaux de l’économiste Gabriel Zucman). 

En 2022, les firmes du monde entier ont réalisé 16 000 milliards de profits, dont 2 800 Mds dans des entités situées en dehors de leur territoire d’origine. Parmi ces dernières, 1 000 Mds de bénéfices ont été enregistrés dans des paradis fiscaux. Ce transfert de bénéfices entre pays entraînent chaque année une perte de recettes de 100 à 240 milliards d’USD pour les pays concernés, soit 4 à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés. 

Entre 2017 et 2020, le taux effectif médian d’imposition des multinationales est de 16,4 % et 48,8 % de tous les profits est taxé à moins de 15 %. Plus d’un tiers des bénéfices totaux sont soumis à des taux inférieurs à 15 %. Il y a 35 pays dans lesquels le taux d’imposition médian est inférieur à 5 % et une quarantaine de paradis fiscaux, des pays comme l’Irlande, le Luxembourg, et Monaco où le taux médian est de 1,6 %. Les profits des multinationales sont donc en général moins taxés que les autre entreprises (le taux normal d’impôt sur les sociétés en France est passé de 33 % à 25 % en 2022).  

Depuis le 1er janvier 2024, un taux minimum d’imposition de 15 % est en vigueur dans 27 pays de l’Union Européenne (l’accord a été ratifié par 140 pays). Elle concerne les entreprises installées dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros par an. Les sociétés dont le taux d’imposition est inférieur à 15 % devront payer un impôt complémentaire à l’impôt sur les sociétés. Par exemple, une entreprise française qui délocalise son siège social en Irlande pour y enregistrer ses profits taxés à 5 % devra s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 10 %. Cela évite le dumping fiscal : l’Irlande n’a aucun intérêt à ne pas appliquer le taux minimal car, dans ce cas, les profits seront taxés, non pas en Irlande, mais en France. 

La loi de finances pour l’année 2024 transpose au niveau national ce dispositif, qui concernera les entreprises multinationales implantées en France à partir de 2026. L’analyse macroéconomique du programme estime les recettes à 26 milliards d’euros. 

Sources : deux articles de présentation générale, 1 et 2 ; un article sur les impôts véritablement payés par les multinationales ; pour découvrir les travaux de Gabriel Zucman ; mise en place de la taxe européenne ; le Global Tax Evasion Report 2024 (avec une synthèse d’Alternatives Économiques)

« Relancer la création d’emplois aidés » 

Un « contrat aidé » permet à l’employeur de bénéficier d’aides pour diminuer le coût de l’embauche d’une personne rencontrant des difficultés particulières pour accéder à l’emploi (jeunes, séniors, personnes en situation de handicap, demandeurs d’emploi de longue durée). Le premier dispositif de contrats aidés date de 1984 (les « travaux d’utilité collective ») qui avait pour objectif de lutter contre la montée du chômage des jeunes. Les aides peuvent durer jusqu’à 24 mois et prennent la forme de subventions à l’embauche, d’exonérations de certaines cotisations sociales, et d’aides à la formation (les emplois aidés sont pris en charge à hauteur de 46-57 % du Smic horaire). 

Petit rappel sur la situation de l’emploi en France. Début 2024, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail s’établit à 7,5 % de la population active en France, soit 2,3 millions de personnes. 75 % des chômeurs le sont depuis au moins 1 an, 59 % depuis moins de 6 mois, et 25 % depuis plus d’un an, les chômeurs dits « de longue durée ». Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage : 16,7 % pour les 15-24 ans. 

Il existe plusieurs catégories d’emplois aidés que l’on peut diviser en deux grandes familles : les « contrats uniques d’insertion » (CUI-CIE) dans le secteur marchand et les « parcours emploi compétence » (PEC) dans le secteur non marchand. En 2022, 60 % des 127 500 nouveaux contrat aidés se trouvaient dans le secteur non marchand et 40 % dans le secteur marchand. Un bénéficiaire sur deux est âgé de moins de 26 ans. Les secteurs de l’hébergement et de la restauration, ainsi que celui du commerce et de la réparation automobile représentent 50 % des nouveaux contrats en 2022.  

Alors que le nombre d’entrées en contrat aidé oscillait autour de 400 000 entre 2011 et 2016, ils sont redescendus vers 150 000 entre 2018 et 2022. On comprend ici l’idée derrière cette mesure du NFP : inverser cette tendance baissière pour relancer la création d’emplois aidés.  

Pour la direction générale de l’emploi DGEFP), « les contrats aidés sont un des outils les plus efficaces pour diminuer à court terme le chômage ». La facture globale des contrats aidées en 2017 s’élevait à 2,4 milliards, une somme que l’on doit comparer aux autres politiques de l’emploi (36 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales et 22,7 milliards pour le crédit d’impôt compétitivité emploi). Le coût d’un emploi aidé s’élève à 11 000 € par an et par jeune (c’est 9 500 € pour un PEC et 7 000 € pour un CUI-CIE), alors que le coût d’un emploi créé à travers le Cice est estimé entre 286 000 et 570 000 €. Dit autrement, les emplois aidés sont un dispositif de création d’emplois entre 26 et 51 fois moins cher que le Cice.  

Sources : le chômage en France ; rapport de la Dares sur les emplois aidés ; article de synthèse d’Alternatives Économiques ; sur la situation de l’emploi en général 

« Taxer les plus riches au niveau européen » 

Cette mesure du NFP reprend la proposition de l’initiative citoyenne « Tax the rich » lancée en octobre 2023. Celle-ci propose l’introduction d’une « taxe sur la richesse excessive » (excess wealth tax), un impôt européen sur les grandes fortunes dont les recettes seraient destinées à la lutte contre le changement climatique et la réduction des inégalités. 

Le design de la taxe est inspiré de la « Impuesto Temporal de Solidaridad de las Grandes Fortunes », une mesure temporaire instaurée en Espagne par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez en 2023. L’impôt espagnol s’échelonne en trois tranches : 1,7 % à partir de 3 millions d’euros de patrimoine, 2,1 % après € 5 millions, et 3,5 % au-delà de € 10 millions. Pour pouvoir l’adapter à différents pays, la nouvelle mesure fixe ses tranches sur des seuils de richesse relative (1,7 % pour le top 0,5 %, 2,1 % pour le top 0,1 %, et 3,5 % pour le top 0,05 %). En France, par exemple, cela donnerait trois seuils : 3,6 millions, 8,9 millions, et 14,7 millions d’euros.  

Pour contextualiser, les 0,5 % les plus riches possèdent actuellement 19,7 % de toutes les richesses à l’échelle de l’Union Européenne, soit près de six fois plus que la richesse cumulée de la moitié de la population la plus pauvre. En France, les 10 % les plus riches (les 3 millions de ménages qui possèdent plus de 700 000 € de patrimoine) détiennent 47 % du patrimoine total, soit un peu près la même richesse cumulée que les 90 % restant de la population. La moitié la plus pauvre des ménages (ceux qui possèdent moins de 177 000 € de patrimoine) ne détient que 7,5 % du patrimoine total. 

À l’échelle de l’Europe, cette taxe pourrait récolter 213 milliards d’euros, l’équivalent de 1,35 % du PIB Européen ou environ 1 083 € par foyer. À l’échelle de la France, elle rapporterait entre 45 et 48 milliards d’euros, environ 1,75 % du PIB français, soit 1 652 € par ménage. Les recettes de cette taxe représenteraient 14 % des recettes fiscales nettes du budget de l’État français. À elle toute seule, elle permettrait de financer un quart des 182 milliards d’euros par an nécessaire pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. 

Est-ce que cette taxe va véritablement peser sur la richesse des grandes fortunes ? Pas vraiment. La fortune des 5 % des individus les plus riches a augmenté de 35 % cette dernière décennie. Vu que le barème d’imposition (de 1,7 % à 3,5 %) est bien en dessous du taux de croissance de leur capital, cette taxe ne ferait que ralentir leur enrichissement. Cette taxe ne concernerait d’ailleurs qu’une infime partie de leur fortune, seulement la partie excessive qui dépasse les 3,6 millions d’euros. Rappelons que le seuil de richesse en France est fixé à 500 000 € et qu’il faut posséder plus de 2,2 millions d’euros pour rentrer dans le club des 1 % les plus riches, ce qui ne concerne que 300 000 ménages. 

Sources : L’initiative citoyenne “Tax The Rich” ; le rapport du groupe des Verts/ALE, « Tax the Rich : from slogan to reality » ; sur les inégalités économiques en France ; estimation des coûts d’investissement pour la lutte contre le changement climatique 

08.04.2024 à 12:38

Réponse à Hadrien Klent : Paresse et décroissance

tparrique

Cette réponse n’a pas le format habituel car c’est un dialogue. Le mois dernier, Hadrien Klent, l’auteur de Paresse pour tous (2021) et de La Vie est à nous (2023), m’a contacté avec une proposition sauvage : que l’on écrive un dialogue à deux, se répondant l’un l’autre un paragraphe à la fois. Étant un grand fan des ouvrages d’Hadrien, ce […]
Texte intégral (4440 mots)

Cette réponse n’a pas le format habituel car c’est un dialogue. Le mois dernier, Hadrien Klent, l’auteur de Paresse pour tous (2021) et de La Vie est à nous (2023), m’a contacté avec une proposition sauvage : que l’on écrive un dialogue à deux, se répondant l’un l’autre un paragraphe à la fois. Étant un grand fan des ouvrages d’Hadrien, ce fut un réel plaisir de philosopher autour de nos deux concepts respectifs, la décroissance et la paresse. Je reproduis ici, avec l’autorisation de l’auteur, notre discussion dans son intégralité sans aucune modifications.  

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Hadrien Klent – Cher Timothée Parrique, on ne se connaît pas, on ne s’est jamais rencontrés, mais malgré tout (magie de la circulation des idées !) on s’est croisés sous forme papier. J’ai découvert, au moment où vous sortiez Ralentir ou périr (Le Seuil, 2022), que vous citiez Paresse pour tous (Le Tripode, 2021), notamment dans une interview sur les fictions aidant à penser la décroissance. Vous vous amusiez de mon personnage principal, Émilien Long : « il ressuscite le terme le moins glorieux de la politique française après “décroissance” : “paresse” ». C’était drôle pour moi, parce que j’étais justement en train de finir d’écrire la suite, La Vie est à nous(Le Tripode, 2023), où j’avais imaginé qu’une fois au pouvoir, Émilien Long et son équipe remplaçaient le terme « paresse » par le mot « coliberté »… Mais, bref, j’ai donc lu votre livre et, évidemment, c’était assez troublant pour moi de voir en miroir de mes romans, dans le réel, un véritable économiste écrivant un véritable manifeste, non pas pour le droit à la paresse, mais pour sa variante un peu plus large, celle d’une décroissance générale. J’avais fait plein de rencontres dans les librairies avec des gens qui me disaient, « ah si seulement Emilien Long existait…. », et, hop, vous êtes arrivé ! Malheureusement, vous n’avez pas encore eu de prix Nobel, mais ça ne saurait tarder, n’est-ce-pas ? Blague à part, c’est pour toutes ces raisons que je vous ai proposé d’entamer un dialogue par voie électronique. Et ma première question va poser sur un point de vocabulaire : a-t-on raison de tenter de réhabiliter des mots qui sont, comme vous le dites, non glorieux (paresse, donc, et décroissance), ou au contraire est-ce qu’on ne devrait pas chercher une autre façon d’exprimer la même chose ? Dans votre livre, vous revenez en détail sur l’histoire du mot « décroissance » – de mon côté, mes personnages essaient de dépasser ce terme, parce qu’il est uniquement construit en négatif de la croissance. Est-ce que bien nommer les choses n’est pas la première chose à faire pour réussir à changer le monde ? Et comment arriver à rendre joyeuse une vision du monde qui tourne le dos au productivisme, au consumérisme, à la marchandisation ?

Timothée Parrique – Je me souviens parfaitement de ma première lecture de Paresse pour tous. C’était allongé dans mon jardin à Anglet au printemps 2022. Après des mois difficiles à essayer d’adapter ma thèse de doctorat The political economy of degrowth en livre, j’étais d’une humeur morose et j’ai fait ce que je fais rarement : j’ai ouvert un roman. Et quel roman ! J’ai trouvé dans Paresse pour tous toute l’énergie dont j’avais besoin pour finir Ralentir ou périr, et pour cela je vous dois un grand merci. 

La force du mot « décroissance » est qu’il problématise notre obsession vis-à-vis de la croissance. C’est un concept douche froide pour se pillule-rouger de l’illusion confortable qu’il est possible de produire plus tout en polluant moins. Pour donner envie d’inventer des futurs, il est nécessaire d’illuminer la misère du présent, d’où l’importance de mots de démolition comme postcapitalismeanti-utilitarianismeantiproductivismedémarchandisation, etc. Le productivisme saccage nos écosystèmes et nos conditions de travail ; le consumérisme dévore nos heures et nous empli d’anxiété, et la marchandisation dépossède le peuple de son pouvoir de vivre afin d’enrichir une poignée de déjà-riches. Productivité, consommation, profits, croissance – des diktats économicistes qui étouffent notre imaginaire

Ceci dit, il faut considérer la décroissance comme un mot à usage unique. Rien de sert de parler « d’antiesclavagisme » une fois l’esclavage aboli. La décroissance perdra de son mordant dès quand nous réaliserons l’absurdité de cette course sans fin à l’accroissement des euros. Il faudra alors mobiliser des mots de reconstruction pour façonner le monde d’après. Il en existe déjà beaucoup. Des philosophies de consommation comme l’hédonisme alternatif, la sobriété heureuse, l’abondance frugale, ou le minimalisme ; des modes d’organisations comme l’éco-socialisme, le municipalisme, le cosmolocalisme, ou l’économie sociale et solidaire ; et des modes d’existence comme la résonance, le convivialisme, le buen vivir, ou bien le post-développement. La coliberté est une belle addition à cette palette sémantique ! 

Hadrien Klent – Oui, il y a une large palette de mots, c’est vrai – est-ce que l’un d’entre eux devrait l’emporter sur tous les autres pour tuer le match sémantique ? Je me pose souvent la question, avec en prime cette interrogation que je vous soumets au passage : doit-on se garder d’utiliser les armes de l’ennemi ? En l’occurrence, dans nos sociétés modernes où tout est « narratif », « récit », slogan, formule (le politique utilisant ad nauseam les armes de la publicité pour s’exprimer – au passage, j’ai noté que vous revenez souvent dans votre livre sur les méfaits du discours publicitaire, et j’ai trouvé ça super : il y a tellement de choses qui ne vont pas dans notre monde qu’on a tendance à délaisser certains problèmes, or celui de la publicité, vous avez complètement raison, est crucial), est-ce qu’on ne tombe pas dans le même travers en cherchant à dire les choses de façon efficace, punchy, immédiate ? Même doute à propos de la question du succès de nos livres respectifs : nos éditeurs se sont publiquement réjouis du fait qu’ils s’étaient vendus à quelques dizaines de milliers d’exemplaires – de très bons chiffres, dans le monde de l’édition contemporaine. Mais dire cela, n’est-ce-pas jouer le jeu de l’ennemi, c’est-à-dire participer à cette marchandisation que nous impose le système dans lequel on vit ? N’est-ce-pas mesurer la réussite d’un propos au volume de sa diffusion ? Vous avez des pages très intéressantes sur cette logique de marchandisation qui nous enferme parfois dans des comportements qu’on voudrait réprouver. Est-ce qu’on ne devrait pas dire, plutôt que « vendu à 40.000 exemplaires » : « aimé par un.e.tel.le » – en considérant qu’une seule personne, pas nécessairement célèbre, qui trouve de l’intérêt à un livre vaut plus que des milliers qui l’achèteraient simplement parce qu’il est à la mode ? Comment s’exprimer sans se transformer en publicitaire de la décroissance ? Comment trouver une juste place dans le bla-bla médiatique actuel ? Comment évoluer dans ce monde capitaliste et spectaculaire (au sens de Guy Debord) qui n’aime rien tant que transformer ses contempteurs en succès commerciaux pour les obliger à se soumettre à sa logique ? 

Timothée Parrique – Nul besoin de concept suprême. Je les considère plutôt comme différents éléments d’une même boîte à outils sémantiques que l’on pourra mobiliser dans différents contextes. Quand les journalistes me demandent pourquoi j’utilise un terme aussi repoussoir que la « décroissance », j’aime leur répondre que je ne suis pas là pour vendre des concepts. Ma responsabilité en tant que chercheur est de faire preuve de rigueur intellectuelle, c’est-à-dire d’être clair, exact, et précis dans le développement de mes théories, tout en étant honnête sur ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas – ce n’est pas facile du tout. J’ai un devoir de pédagogie dans l’écriture et un devoir de présence pour faire face aux questions du public. Niveau précision, vu que la croissance est une augmentation de la production et de la consommation, je trouverais ça bizarre d’appeler son contraire autre chose que la décroissance. Croissance, on produit et consomme plus ; décroissance, on produit et consomme moins. Ce n’est peut-être pas très sexy, mais cela a le mérite d’être clair.

Ce qui me dérange, ce n’est pas tant le discours publicitaire comme style de communication mais l’existence même de la publicité. Je trouve ça absurde d’avoir des affiches sur des bus, des placements produits dans les films, et des spots à la radio pour faire la promotion de quoi que ce soit, et je trouve ça insultant que des entreprises puissent mobiliser autant de temps de cerveau disponible pour vendre des chips et des 4×4. Mais je trouverais ça déplacé même s’ils faisaient la promotion de mon propre livre. D’ailleurs, je suis d’accord, il faut faire attention au fétichisme des quantités mais certains chiffres sont tout de même importants. Le nombre de citations distingue les articles scientifiques les plus utiles à la communauté, et de la même manière, le nombre de lectures d’un livre (difficile à estimer car pas parfaitement corrélé au nombre de ventes) nous informe sur la valeur d’usage d’un ouvrage. Un livre est écrit pour être lu (valeur d’usage), non pas pour être vendu (valeur d’échange). Il n’y a rien de mal à maximiser le nombre de lectures utiles, mais on devrait se protéger contre la mentalité commerciale illimitiste qui nous pousserait à vouloir vendre toujours plus de copies.

Le monde des médias est difficile à naviguer. On y trouve de tout. Il y a des émissions touchepasàmonpostiennes qui carburent à la punchline, où l’on doit résumer l’idée d’un livre en 10 secondes tout en essuyant des salves de questions débiles – celles-ci sont à éviter. Mais il y a aussi des médias de qualité qui laissent respirer les idées. Si l’on veut entretenir un débat citoyen sur la question de la transition écologique, nous avons besoin de médias indépendants pour s’informer et réfléchir ensemble. Et nous avons aussi besoin que les scientifiques, les artistes, les politiques, etc. se rendent disponibles (ce qui n’est pas aisé pour tout le monde car c’est un travail non-rémunéré). Et oui, je suis d’accord, il faudra beaucoup plus que de simples livres ; j’aime personnellement lire et écrire mais je comprends bien que ce n’est pas le cas de tout le monde. Pour inviter à une réflexion véritablement inclusive, c’est mieux d’être agile sur la forme que prenne nos idées ; une belle théorie doit pouvoir se lire, se regarder, s’écouter, elle doit pouvoir évoluer de manière autonome, portée par celles qui l’utilisent, souvent indépendamment de bon vouloir de son autrice. J’y pensais d’ailleurs en lisant Paresse pour tous, aimeriez-vous qu’il soit adapté en film ou en série ? Diriez-vous non à une série Netflix gros budget à la Black Mirror mais en version utopie post-capitaliste ? 

Hadrien Klent – Avec le Tripode, on a eu plusieurs propositions pour une adaptation en série de Paresse. Je vous avoue que j’ai pas mal hésité à accepter de céder les droits du livre – je craignais que le « spectacle » ne l’emporte sur le propos. Bien sûr que moi aussi, lorsque j’écris mes romans, je me plie à une certaine mécanique narrative, à des effets de tension et de suspens. Mais je reste maître de l’accord entre le fond et la forme – dans une série, il y a le risque que la forme l’emporte sur le fond, que cliffhangers et autre B-plotprennent plus de place que les contempteurs du « Dieu travail », comme disait Paul Lafargue. D’autant que signer avec une boîte de production ne donne aucun contrôle sur le canal de diffusion finale de la série, qui pourrait bien se retrouver dans les tuyaux d’une des plus grosses multinationale du web : or, comme mon personnage de Marguerite (l’informaticienne qui devient ensuite ministre du numérique), je me méfie particulièrement des Gafam (je note au passage, cher Timothée, que vous avez une adresse gmail : Marguerite vous aurait déjà obligé à aller faire un tour sur framalibre.org pour vous dégoogliser !). Cela étant, mon éditeur m’a convaincu d’accepter avec l’argument suivant : le propos (le projet) de Paresse pour tous est tellement radical que, même édulcoré, il restera transgressif. Alors j’ai dit oui, convaincu aussi par l’approche de la productrice, et en demandant seulement à garder la possibilité de retirer mon nom et le titre du livre si le projet ne me convenait pas. On verra à quoi tout aboutit (si cela aboutit !). Je crois, comme vous, qu’il faut participer, comme le dit Serge Latouche, à la « décolonisation de l’imaginaire de la croissance ». Et (voilà une transition un peu lourdaude qu’une série ne tolérerait jamais !), vous aurez justement noté que dans La Vie est à nous(après l’euphorie d’une campagne électorale, je tenais beaucoup à montrer des responsables politiques ne trahissant pas leurs promesses), j’évoque la thématique de la juste mesure des choses, avec la mise en place du calcul de la croissance dite « nette », c’est-à-dire qui prenne en compte l’ensemble des facteurs (l’environnement, la santé, le bien-être, etc.) et pas seulement le PIB. Je m’inspirais entre autres de Dominique Méda (que vous citez également), et de son article sur cette « cause inaboutie », celle de la remise en question du PIB. Est-ce que maintenant, en 2024, il ne faudrait pas qu’à plusieurs, économistes, sociologues (et pourquoi pas aussi avec nous, écrivains), vous vous mettiez ensemble pour bâtir ces nouveaux indicateurs qui permettraient une bonne fois pour toutes de se passer du PIB ? Est-ce qu’il ne faudrait pas construire un outil fiable, rigoureux, en opensource évidemment, partagé, qui serait une formidable arme politique permettant de clouer le bec de ceux qui disent par exemple que l’agriculture conventionnelle est moins chère que le bio (alors qu’en détruisant les insectes et la santé des humains, elle est en fait beaucoup plus coûteuse) ? Là il y a besoin d’un concept suprême, non ?

Timothée Parrique – Ouch, touché pour l’adresse gmail. Je suis d’accord, dégooglisons ! 

Oui, bien sûr qu’il va nous falloir d’autres mesures, mais nous les avons déjà ! Il existe plusieurs façons d’estimer la « croissance nette », dont l’Indice de Bien-Être Économique Soutenable (ISEW) et l’Indicateur de Progrès Authentique (GPI). Le premier a été élaboré en 1972 et le second au milieu des années 1990. En 2019, la Nouvelle Zélande a introduit les budgets bien-être (65 indicateurs). Le Pays de Galles utilise 46 indicateurs pour mesurer le bien-être des générations futures depuis 2015 et le Bhutan calcule depuis 2008 son bonheur national brut à partir de 33 indicateurs sociaux, culturels, économiques, et écologiques. Les cadres de comptabilité alternative sont là mais rien ne change niveau décisions car les indicateurs financiers restent hégémoniques. Le PIB est un peu comme l’Anneau Unique dans Le Hobbit, une force totalitaire qui impose partout sa vision économiciste du monde, la maximisation monétaire comme raison d’être suprême de l’organisation sociale. C’est pour ça que j’aime bien parler de saboter le PIB ; il faudrait tout simplement arrêter de le calculer et brûler la recette. 

Attention cependant à ne pas limiter nos rêves à des histoires de comptabilité. Comme je l’écris dans le livre, « nous sommes à bord d’un bus fonçant à pleine vitesse et de plus en plus vite vers une falaise et nous acclamons chaque kilomètre-heure en plus comme du progrès ». Les activistes demandent un freinage immédiat de notre bus économique pour éviter l’accident et la seule chose que leur proposent ceux au pouvoir, c’est l’ajout d’un indicateur supplémentaire sur le tableau de bord du véhicule. C’est grandement insuffisant. Les transitions par l’addition n’ont pas fonctionné. Au lieu d’innovation, il nous faut maintenant essayer l’exnovation, c’est-à-dire une transition par la soustraction. Il va falloir nettoyer toutes les traces qu’ont laissé le malware capitaliste dans nos sociétés et nos imaginaires. L’entreprise à but lucratif, la publicité, les écoles de commerce, les intérêts composés, la bourse, les paradis fiscaux, et toutes ces autres institutions capitalocentrées. Il va nous falloir arracher ces mauvaises herbes économiques pour donner de l’espace aux coopératives, aux monnaies alternatives, à la sobriété heureuse, aux écovillages, aux conventions citoyennes, et à toutes ces belles choses qui ne pourront jamais prospérer dans l’ombre d’un capitalisme étouffant.

Hadrien Klent – Oui, je comprends ce que vous voulez dire : la solution est finalement plus directement politique. Cette solution, elle se joue sur deux niveaux : changer soi-même, et changer les règles du jeu de la société. Or, pour le changement individuel, vous rappelez que « faire preuve de simplicité volontaire dans une économie organisée autour de la croissance » est difficile : il faut une grande radicalité personnelle pour s’obliger à renoncer spontanément à certaines choses (un niveau de confort, de rapidité, etc., auquel on est habitué : certains refuseront de prendre l’avion pour faire Lund-Paris mais pas d’avoir un compte gmail ; d’autres seront sur Linux mais ne se passeront pas de voiture, et ainsi de suite…). Dans votre livre, vous êtes très concret sur des mesures permettant d’obliger les comportements individuels à évoluer, et celles qu’il faut prendre pour modifier les politiques publiques (et leur financement). Je ne vous cache pas que ça m’aurait été très utile pour écrire Paresse puis La Vie : Émilien aurait pu piocher là-dedans plutôt que de réinventer la roue tout seul ! Cela étant, la question politique, pour un changement global, reste posée. Dans mes romans, il y a une sorte de Deus ex-machina qui arrive dès le début de l’histoire : un type désintéressé, sans le moindre ego, capable de s’entourer de gens super, et qui parvient à aller au bout d’une aventure présidentielle – c’est ce qui touche les gens qui lisent ces livres, je pense, cette idée que pour une fois dans l’univers politique les gentils gagnent à la fin. Dans la vraie vie (si l’on met de côté un surgissement révolutionnaire spontané qui parviendrait à imposer des règles à la fois libérales d’un point de vue sociétal et dirigistes d’un point de vue économique, surgissement qui ne semble pas être le plus probable), comment peut-on « révolutionner l’économie », comme vous le dites ? Si l’on présuppose qu’il faut respecter les règles de la Ve république et donc avoir un.e candidat.e à la présidentielle, comment faire émerger une voix qui à la fois porterait cette vision de la post-croissance et qui en même temps irait loin ? Vous rappelez que Delphine Batho, aux primaires EELV en 2021, était la seule candidate à défendre la décroissance, et qu’elle a fini troisième, avec 22 % des voix… La notion n’a plus du tout été évoquée ensuite, pendant la campagne. J’ai le sentiment qu’il est temps que dans le champ politique on arrive à réenchanter la notion de décroissance, comme je le fais dans mes romans et vous dans votre essai : rendre joyeuse l’idée que « mieux » doit l’emporter sur « plus ». Alors, cette voix, comment la faire exister ? Pourrait-on imaginer une sorte de grand mouvement populaire, au-delà des partis existants, qui réunirait des gens venant de tous les horizons et dont aucun ne serait encore potentiellement candidat à quoi que ce soit ; que ce mouvement planche sur un programme détaillé qui puisse apparaître à la fois comme efficace et optimiste ; et que, au tout dernier moment, on sorte du chapeau (par tirage au sort ?) une personne qui porte officiellement la candidature sur les bulletins de vote ? Je ne vois pas, là, maintenant, d’autre solution – c’est en tout cas la réponse que j’aime donner quand on me demande comment faire pour que la prophétie de Paresse pour touss’accomplisse. Et vous ?

Timothée Parrique – Je n’ai pas de solution clé en main pour la transition. D’abord, c’est une question qui dépasse de loin les maigres compétences socio-politologiques de l’économiste que je suis. Mon travail vise à mieux comprendre les options que nous avons, à la fois en termes d’économies alternatives (les destinations) et d’outils de transition (les trajets possibles). C’est un projet scientifique plus que politique ; une mission de théorisation et de vulgarisation. Ça, je sais faire. Mais mes limites sont vite atteintes sur la question très concrète du comment construire un consensus citoyen autour de ces idées, c’est-à-dire comment donner envie aux gens d’y aller. Cequi est sûr, c’est que ce défi est « politique » dans un sens beaucoup plus général que celui de la politique électorale, et va demander une mobilisation citoyenne qui ne sera pas facile. Il va falloir prendre des décisions sur des sujets où des intérêts s’opposent. Comparé aux faux espoirs de la croissance verte, on ne peut pas tous avoir plus dans une transition de décroissance. Certains auront plus, d’autres moins ; il s’agit maintenant de déterminer qui exactement, ainsi que la proportion de ces magnitudes. Cette discussion s’annonce houleuse. 

J’ai du mal à imaginer l’émergence, dans les années qui viennent, d’un grand mouvement populaire qui fasse basculer une élection présidentielle (#ÉmilienLong). Et même si cela advenait, cela ne serait qu’une première étape dans un processus plus général de démocratisation de l’économie. L’échelle nationale est bien trop grande pour permettre une démocratie véritablement participative. Le gros de la transition devra plutôt se jouer à l’échelle des territoires. C’est l’échelle de la vie quotidienne où l’on peut concrètement discuter avec les gens que l’on connait d’expériences communes concernant le logement, l’alimentation, les inégalités, notre relation à la nature, etc. Il va donc falloir muscler ce rez-de-chaussée de la démocratie : comités de quartiers, groupes de voisins, communs, commissions régionales d’éthique, monnaies locales, cercles de parole, associations, coopératives, guildes, parlements de ressources, etc. Toutes les institutions à même d’améliorer notre capacité à décider ensemble sont bonnes à prendre. Cela veut aussi dire que les communautés feront transition différemment. Les renoncements d’une petite ville touristique de montagne ou d’un territoire côtier ne seront pas les mêmes qu’une ancienne cité industrielle ou bien qu’une commune rurale. C’est une bonne chose car je ne pense pas qu’il existe une recette unique pour vivre-ensemble de manière soutenable et conviviale.

Le défi sera ensuite de coordonner ces différents agendas. La démocratie locale sera le cerveau et l’administration centrale, le muscle. Comme le ferait un chef d’orchestre, les autorités publiques synchroniseront la musique émanant d’une diversité d’instruments autonomes. On retrouve ici l’articulation entre démocratie représentative et démocratie participative de penseurs anarchistes comme Murray Bookchin dans son « municipalisme libertaire » ou Joseph Cornelius Kumarappa et son « économie de la permanence ». D’ailleurs, en parlant d’utopies, je vous laisse avec une dernière question : quels autres romans est-ce que vous recommanderiez pour rêver l’après capitalisme ? (Personnellement, j’ai adoré Yanis Varoufakis’s Another now, Emmanuel Dockès Voyage en misarchie, et Ursula Le Guin’s The dispossed.)

Hadrien Klent – Je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais lu, autrement que sous forme de minuscules extraits, L’Utopie de Thomas More. Or c’est bel et bien, dans l’histoire littéraire, la toute première fiction utopique (c’est le récit du voyage d’un dénomé Raphaël qui a découvert l’île d’Utopie), puisque c’est à cette occasion (en 1516) que More a inventé le mot. J’ai donc le projet de la lire enfin en entier. Il faut toujours retourner aux origines… 

29.02.2024 à 13:54

A response to Daniel Driscoll: Another slice of degrowth bashing  

tparrique

On February 23rd, 2024, the New York-based socialist magazine Jacobin published “4 problems for the degrowth movement,” a short piece written by Daniel Driscoll, a social science researcher at Brown University. Like all the previous Jacobin articles touching on the topic[1], this one is firmly against degrowth. On social media, the article has been intensely bashed. “Pure ideological blinkers” (Julia […]
Texte intégral (7598 mots)

On February 23rd, 2024, the New York-based socialist magazine Jacobin published “4 problems for the degrowth movement,” a short piece written by Daniel Driscoll, a social science researcher at Brown University. Like all the previous Jacobin articles touching on the topic[1], this one is firmly against degrowth. On social media, the article has been intensely bashed. “Pure ideological blinkers” (Julia Steinberger) from the “anti-degrowth Jacobin gang” (Dan Kervick). “The author contradicts himself at every turn” (Andrew Ahern). A “bad piece” (Patrick Bresnihan),  an “iffy piece” (Jag Bhalla), a “bad faith, slightly odd critique” (Nick Bernards), or less diplomatically: “another slice of dogshit” (John Duncan). Even some degrowth-sceptics have complained.[2] Joseph Davies-Coates hits the mark: “it would appear you have written about degrowth without first reading anything about it.” These commentators are right, the piece is not worth the read. It is an awkward mix of factual mistakes, logical contradictions, and tired misunderstandings, all of this hastily patched together. 

CARBON

For Daniel Driscoll, sustainability equals decarbonisation. This is what I like to call carbon monomania: an obsessive preoccupation with one single environmental impact. But reality is more complex: climate change, ocean acidification, biodiversity loss, freshwater change, land-system change, etc. – the ecological crisis is made of several interdependent dimensions. Achieving carbon neutrality is like solving one face of a Rubik’s cube – necessary but not sufficient. And watch out: trying to solve one problem might mess up another. For example, electrifying a large car fleet may reduce greenhouse gases emissions but at the costs of more metal extraction, and this electric vehicles use six times more minerals than conventional cars. This is why sustainability is so complex: all faces of the Rubik’s cube must be solved together. The real puzzle for green growth advocates is to demonstrate that GDP can be sufficiently decoupled from all forms of resource use and environmental impacts. 

As an ecological economist, I don’t think this is possible.[3] Even in a world without fossil fuels, you would still need energy, machines, and workers to produce something. Windmills, solar panels, electric cars require power, metals, minerals, water, land, and hours of work to be manufactured, maintained, and operated. Even the most dematerialised service – let’s say, me writing this paper – requires time and effort (aka calories) and a material infrastructure, a university office, a computer, kilowatts of electricity, and the submarine internet cables without which you would have never been able to read this text. Back in the 1960s, ecological budgets were not completely in the red, and so there was still some wiggle room for growth. But today is different. Almost all planetary boundaries have been breached and most of these ecological issues are getting worse. We went from a relatively easy 2×2 Rubik’s cube to an exceptionally hard 6×6. 

Concerning climate change, everyone knows the core concern is speed. We must reduce greenhouse gases fast enough to limit the temperature increase to 1.5°C above pre-industrial levels. There is an ongoing debate between different discourses that put more or less emphasis on sufficiency versus efficiency, but, in a state of climate emergency with stakes that high, we should carefully review all of our options. This is why I find the dismissal of degrowth strategies counter-productive. 

The fastest, most effective way to reduce emissions is to produce and consume less today – that’s a fact. A plane that stays grounded is a plane that does not emit carbon. Flying less might be a socio-economic riddle in and of itself but it has the advantage of directly reducing emissions, unlike carbon taxes and investments in alternative aviation fuels, which only bear the hypothetical possibility of an emission reduction. It is not a coincidence that the 2008 crisis and the global pandemic are the two only moments since 2000 where the footprint of aviation went down. This wasn’t the result of a revolutionary new flying technology or bold environmental policies; it was because of lockdown. 

The author begs to differ: “decarbonization through decreased consumption may not be necessary” if we green growth. “Look at the recent collapse in the price of solar,” he writes in a triumphant tone. But hang on: the drop in the price of renewables did not reduce fossil fuels consumption. Globally, solar electricity capacity has more than doubled between 2016 and 2022 but this has happened in parallel to a 5% increase in the use of oil, gas, and coal who still represent 76% of the world energy mix. What some people call an “energy transition” is closer to an energy addition where renewables are added on top of their fossil predecessors. Even solar panels are not true “carbon-free substitutes” (a term used by Daniel Driscoll) if they require high-carbon energy to be manufactured, transported, repaired, and recycled. In that context, pointing to the price of solar is deceitful. It would be like hoping that a drop in the price of veggies put the fast-food industry out of business. 

As a second piece of evidence of how “resource utilization can become more efficient over time,” the author invites us to “think about how small computers have become since the 1980s thanks to increasingly powerful microchips.” But the proof easily breaks down. A prime example is smartphones. The iPhone 14 Pro Max from 2022 (240 grams, 73-124 kg CO2eq) is almost twice the weight and between 32% and 125% more carbon-intensive than the iPhone 3G (133 grams, 55 kg CO2eq), its ancestor from 2008.[4]So, fourteen years of technological progress have not managed to bring down the footprint of the main product made by a company acclaimed as one of the most innovative in the world.[5] Plus, there are many more smartphones per person today than fourteen years ago and we are buying new ones more frequently. It should not be surprising that ICT now represents 2.1-3.9% of global greenhouse gas emissions. In ecological economics, we call these rebound effects, situations where efficiency improvements rebound into more emissions. Smaller computers, larger footprints. 

In a desperate attempt to wriggle out of the debate, Daniel Driscoll attacks degrowthers for grounding their theories on the analysis of historical trends. Without wasting time on the epistemological naivety of such statement[6], let’s remember that the first official deadline for climate mitigation is 2030. This is in less than 6 years. Even though they still matter in the long-term, it is delusional to expect slow, supply-side efficiency measures to cut emissions in the coming years. 

Even if right now, you were to invent a revolutionary electric car, it would take years before it can replace its fossil counterparts (the average lifetime of a car is 10 years). But if you find a way to sell fewer fossil fuel vehicles today (while also curbing the use of cars already in circulation), then you can impact emissions in the here and now. This is why sufficiency-oriented concepts like degrowth, post-growth, and wellbeing economy are rising in popularity; it’s a relatively faster and more fail-safe way to cut emissions, especially in sectors like transport that have experienced no decoupling. In reverse, the closer we get to climate deadlines, the more difficult it is to believe in the green growth credo. It was all fine to dream about flying electric cars, carbon capture, and nuclear fusion in the 1990s but entertaining these fantasies today is delusive. 

INEQUALITY 

Reducing economic inequality is one of the core pillars of the degrowth agenda. But there is a problem, says Daniel Driscoll: “redistribution to lower income groups or populations who have a higher propensity to spend can actually increase household consumption, which all other things equal may in turn increase emissions.” 

Let’s start by noting that the author contradicts himself: on the one hand, he worries that redistribution will increase emissions because poor households will consume more. But he also criticises degrowth for “forcing most of the world population to accept lower living standards,” concerned that “forced degrowth” will be imposed onto emerging market economies, and that these economies will have “to accept nondevelopment for the sake of climate goals.” So, basically, he argues that degrowth will both increase the consumption of the poorest and decrease their standards of living, which is contradictory.

Now might be a good opportunity to clarify the global implications of degrowth. This is a point I was already explaining in a response to Hannah Ritchie: one must lower global environmental pressures because we have already breached several planetary boundaries, that’s a fact. But one must do this while eradicating poverty, an objective that is consensual on both sides of the growth debate. This situation brings two conundrums. First problem: the remaining ecological budgets are not large enough to sustain both high-footprint lifestyles in already-rich regions of the world and an energy- and material-intensive process of development in places where needs remain unmet. Second problem: the nature-intensive lifestyles of the global rich exacerbate environmental disasters, which are predominantly suffered by low-income populations. 

The world’s poorest find themselves constrained both by resource scarcities and ecosystem collapse, making it almost impossible for them to achieve any kind of prosperity. Hence the degrowth credo: reducing resource consumption in affluent parts of the world to free up biophysical budgets for those who need it most while slowing down the ecological damage imposed to those who need it the least.

The situation is simple: limited ecological budgets in a world with unequal responsibilities, needs, and capabilities. This is a classic rationing problem. I don’t think appealing to a mythical “egalitarian green growth,” “a rising tide of growth that can improve the living standards of the majority,” helps us solve that problem. It perhaps would in a situation where the poor are responsible for the largest share of emissions and where economic growth actually alleviates poverty. But this is not the case in the world we live in. In fact, it’s the opposite: the 10% richest individuals (780 million people) cause half of global emissions while the poorest half of humanity (3.9 billion people) is only responsible for 12% of emissions. The world’s top 1% of emitters produce over 1000 times more CO2 than the bottom 1%. It is actually a lucky coincidence that the footprints of a minority of rich individuals is so big because it means the ones who are most financially agile (the upper global decile owns 73% of world wealth) are also the one who will shoulder the largest downshifting.  

Will global redistribution actually increase emissions? Well, let’s figure out. Luckily, a group of researchers recently published a paper in Nature answering that very question: “Impacts of poverty alleviation on national and global carbon emissions.” Using input-output analysis with detailed expenditure data for 116 countries, they were able to estimate carbon footprints for different categories of households based on their level of consumption. This allowed them to run different poverty alleviation scenarios (with poverty lines ranging from $1.90 to $5.50) and calculate how much emissions would be generated by the additional consumption of those escaping poverty. In the most ambitious scenario, they estimate that bringing 3.6 billion people over the $5.50 poverty line would increase global emissions by 18%. So, when it comes to the global poor, one should indeed expect to see their emissions rise (people living on less than $1.90 per day have an average carbon footprint of 0.4 tCO2, about a tenth of the global average). If anything, this finding reinforces my previous claim, which is perfectly phrased by the authors of the Nature paper: “To ensure global progress on poverty alleviation without overshooting climate targets, high-emitting countries need to reduce their emissions substantially.”  

There is another way of exploring this question, this time looking more specifically at inequality within rich nations. In a working paper from December 2023, Lucas Chancel and Yannic Rehm calculate what they term “the carbon footprint of capital,” namely emissions linked to the ownership of polluting firms. To calculate a more comprehensive individual footprint than the one given by the classic consumption-based approach, they attribute capital formation to investors and all other emissions to consumers. If you buy a Mercedes, you inherit the footprint of the car, but if Mercedes buys a new factory, the associated emissions are allocated to capital owners in proportion of how many shares of the company they own. 

From a consumption-only perspective, the average per capita emissions of the top 10% in France is 16.2 tCO2, roughly twice the footprint of the bottom half of the population (7.8 tCO2). Adding ownership emissions into the mix, the upper decile sees its footprint climb to 24.8 tCO2 while the poorest half step down to 6.8 tonnes. The crucial implication of this finding is that the savings of the rich pollute more than the spendings of the poor, and therefore that redistributing wealth must not necessarily involve an overall rise in emissions. In other words, contrary to what Daniel Driscoll argues, it is sometimes possible, at least in the context of a high-income countries, to reduce emissions and inequality at the same time.    

This is not to say that consumption should stay exactly the same. It would be absurd to redistribute oversized steaks, private jets, and dirty corporate shares. Evidently, all things should not stay equal, and the last few years of growth-critical research has focused precisely on that: finding more ecologically efficient ways of securing decent living standards. To speak in the lingo of environmental economists, we should decouple environmental pressures from wellbeing or decrease the ecological intensity of wellbeing. In plain language: we must find ways of safeguarding high levels of quality of life while reducing our ecological footprints. Less pollution, better life (especially for those who struggle today). To solve that riddle, we must look beyond dollars to better understand the relation between fundamental human needscapabilities, and ecological footprints. 

In the global North, a growing number of studies suggest that it is possible to increase welfare without producing and consuming more. For example, suppose you want to decrease the footprints of the transport sector while improving mobility, especially for low-income households. Since moving a thousand people requires either one train, 15 buses, or 625 cars, a first objective might be to encourage public transportation, even if that reduces GDP. Access to public transport could become free of charge (like in Luxembourg since 2020), the infrastructure being financed via fair, progressive taxation. You can heavily tax or even ban the sale of heavy, fossil fuel cars while subsidising the purchase and location of small electric vehicles (even if that reduces GDP). Even choices in terms of private modes of transport matter: 100kWh of battery can power one large SUV, two normal cars, 10 micro-cars, or 200 bikes. I doubt the mobility-related welfare derived from a single car outweighs the one of 200 bikes (even if the value added is surely lower, especially if the bikes are shared within a commons). The point of this exercise is to illustrate that our current economic system is performing poorly in turning natural resources into wellbeing and that there is ample wiggle room to improve quality of life without economic growth. 

PLANNING

The threat of dictature is a grand classic of degrowth bashing. It is the weapon of choice of liberal Sovietophobes who systematically associate any kind of planning with totalitarian administration. (I must say that it is rather unexpected to see such an irrational fear of planning in a socialist magazine like Jacobin.) For Daniel Driscoll, degrowth would not be possible without “an authoritarian regime of global planning.” “The kind of state planning to mitigate emissions and regulate behavior while reducing overall production and consumption would need to be a globally coercive regime with otherworldly institutional capacities and knowledge.” I have already untangled this misconception before,[7] so let’s cut to the chase.  

Why would one need a “global planning regime” to restrain household consumption? This is unnecessary. There are many simple and democratic ways of rationing scarce resources at the local level. Take water for example. In France, it is rationed in times of droughts where it becomes illegal (and culturally frowned upon) to wash your car, water your lawn, or fill your swimming pool. These rules come additionally to more organic customs that encourage saving water in situations where shortages could be life-threatening for others (what economists call moral incentives). Even when water is relatively abundant, certain municipalities can actively deter overconsumption. The city of Montpellier in the south of France has introduced a progressive pricing scheme: the first 15 m3 per year are free, water between 16 m3 and 120 m3 cost 0.95€ per mand 1.40€ after that. This is a locally-run, self-managed rationing system. 

Now imagine that if all countries were to set serious national carbon budgets in line with IPCC recommendations (like some have already started to do following the Paris Agreement). It would then be possible to apply the same rationing logic, using both nonprice rationing mechanisms like bans and quotas and market instruments like progressive prices (a good example of a nation-wide carbon rationing scheme is Tradable Energy Quotas). This is for water and carbon but similar protocols can be extended to land-use and other essential natural resources. No need for a world Gosplan, there are plenty of moral, legal, social, and financial incentives that can be put in place to limit consumption in the spirit of libertarian municipalism

Before going any further, let me note that degrowth goes beyond restraints on consumption. (I say this because Daniel Driscoll puts carbon-tax advocacy and degrowth in the same basket; supposedly, they both “advocate decreases in consumption as a way to decarbonization.”) In reality, most definitions of degrowth specify that what must be reduced is production and consumption. There is a reason for that. Deconsumption practices like voluntary simplicity, rationing, and collaborative consumption can only be effective in reducing ecological footprints if they are matched with downshifting efforts on the production side. Difficult to fly less in a world where we’re hammered by ads from airlines and almost impossible to stabilise consumption in an economy with for-profit businesses hardwired to sell more all the time. Degrowth planning must happen synchronously at both levels: consumers deciding to buy less and companies deciding to sell less.  

Since we are discussing planning, allow me a comment on carrots and sticks. Daniel Driscoll argues that “carrots (economic gains) have had more political success historically than sticks (economic losses) when implementing climate policies.” This is perhaps true but I’m not sure all transition efforts can be rewarded economically. Indeed, a large swathe of resource-saving and regenerative activities will not be profitable. Leaving oil in the ground, maintaining a forest uncut, or protecting species against exploitation means forsaking a potential income. There are benefits to all these actions but they are not monetizable. 

In that sense, it resembles the situation we faced during Covid. We all benefited in terms of health from limiting the spread of the virus but it didn’t make any of us richer. This is why the lockdown wasn’t enforced with thumbs up and gold stars. No, we constrained ourselves for the greater good. This is the essence of rationing: a resource is allocated with limits – the stick – in order to prevent shortages and ensure that everyone has access to enough – the carrot. In the fight against climate change, the carrot should not be counted in dollars but in degrees of avoided warming. 

Besides, we have tried the carrot strategy for decades and look where we are today. Let’s never forget that the alternative to democratic rationing is rationing by price, a system that today rewards fossil fuels corporations (BP, Shell, Chevron, ExxonMobil, and TotalEnergies have paid a historical $100 billion to shareholders in 2023) while allocating most of our limited carbon budgets to the people who need it the least (the 10% richest individuals owning 73% of world wealth appropriate half of all emissions; the bottom half of humanity, which owns only 2% of global wealth, only have access to 12% of our total carbon budget). Carrots to super-polluters, sticks to low-income earners. It should be the precise opposite. So, the belief that “economics may take use to net zero on its own,” as titles a 2022 article in the Financial Times, is extremely dangerous because it won’t. 

INVESTMENT

Repressing growth will not solve the problem of financing electrification and energy-input replacement.” This is the ‘there is no magic money tree’ argument, another liberal trope to pull the rug out from under any objection to growth. “The new capital needed to transition has to come from somewhere,” writes Daniel Driscoll with the tone of an IMF structural adjustment specialist. Because money doesn’t fall from the sky, “a global investment boom is necessary to pay for decarbonization.” 

The problem with this “one last economic boom” argument is that it is biophysically incoherent. Most economists assume that an economic activity generates a surplus (usually counted in money) that can then be used to finance another activity. Make SUVs, tax their sales, pay school teachers. And yet, this process is completely reversed when it comes to natural resources. An economic activity somewhere uses energy and materials that then cannot be used for another activity elsewhere. If you buy a truck to deliver Amazon packages, that is one truck (or one bundle of materials and energy) that won’t be available to someone else.

It is absurd to think that we should grow the economy as a whole with all the things we don’t need in order to raise revenues for the things we do want. Do we need to sell more and more SUVs to raise a few euros in VAT to invest in the treatment of respiratory diseases? Do we need a booming advertising sector to pay the wages of our nurses? Who, apart from the fossil fuels lobby, would dare assert that selling more oil is necessary to pay for renewable energies? This strategy of growing the problem to finance its solution is a Ponzi scheme.

Money is not the real limiting factor in this transition – resources are. The real budget for a Green Deal is counted in kilowatts, tons of greenhouse gases, kilos of metals and minerals, number of species, square kilometre of virgin soil, etc. If we want to continue to be able to finance those things we want to see grow (including renewable energies), we’re going to have to free up an ecological budget somewhere else. Traditionally, economists make a difference between consumption and investment, while assuming that whatever is not consumed is invested and vice versa. But this distinction is just a monetary accounting convention. From a biophysical point of view, there is no difference between the two. In terms of energy and materials, the car produced for and used by a family (household consumption), a municipality (public investment), or a company (private investment) is the very same car. If the consumption of cars decreases but is matched by an investment in more cars, the situation remains the same. The objective here should be obvious: the relevant variable is not the accounting category (consumption or investment) but the actual product, namely these cars we must gradually phase out to lower our total ecological footprint. 

(For the record: I also don’t buy the “economic justice may require one last economic boom” unless we specify that this growth only happens in places where people struggle to satisfy their needs and only last as long as it is required for their wellbeing without jeopardising their ecological sustainability. I develop this point further in A response to Hannah Ritchie: How I Learned to Stop Worrying and Love Economic Growth.) 

ACCEPTABILITY

The author of the Jacobin piece argues that “most people […] do not know or care about degrowth.” As proof, he compares Google searches for “degrowth” with those for “how to get rich” (there is even a graph to show the relative frequency of the two searches!). It doesn’t take a PhD in sociology to realise how questionable that method is.[8] In terms of real evidence, there are a number of surveys available to gauge the popularity of degrowth. I’m not arguing here that degrowth will become mainstream anytime soon but one must acknowledge that there is a growing enthusiasm for the idea.  

In a review of 24 studies, Jason Hickel notes that “respondents are willing to prioritize environment over economic growth even though they may assume that harming growth could have social downsides. It is reasonable to expect that, if respondents were informed that post-growth policy can improve social outcomes, support for these statements may be even stronger.” That’s an interesting point. People who know the degrowth literature well associate the term with political autonomy, conviviality, appropriate technology, sharing practices, community gardens, eco-villages, work time reduction, commons, among and array of other utopian features (for good review of the degrowth worldview, see The Future is Degrowth). This makes it potentially more powerful in terms of inspiration and mobilisation than a green growth vision of the world that only replaces fossil fuels by renewables. I mean, renewables are necessary but they are not something you would dream about. What do you find most exciting: a high-enough carbon tax or the utopia of a prosperous post-capitalist civilisation

Even though scientists in the global North prefer degrowth and agrowth over green growth (and they are not all “morally committed left academics”), it is fair to say that the latter discourse is easier to sell to the broader public. People, planet and profit, the triple bottom line that pleases everyone – difficult to say no to that. But that does not make green growth possible in reality.  This reminds me of trickle-down economics, another example of a false yet alluring idea. Green growth would be a form of trickle-out economics, expecting economic growth to magically phase out its own emissions. But, just like the trickle-down hypothesis, green growth is a fable without solid scientific foundations. 

And the other way around, it is not because degrowth is unpopular that it is wrong. If green growth is not a viable strategy for sustainability, this leaves us with two choices: degrowth today or collapse tomorrow. It is slower by design or by disaster, writes the ecological economist Peter Victor. This is the message I wanted to convey in the title of my French book: “slow down or perish” (ralentir ou périr). Either we democratically plan a downscaling of production and consumption to reduce ecological footprints while securing wellbeing for everyone, or we keep pushing planetary boundaries until nature imposes sufficiency upon us through a lethal mix of resource shortages and climate catastrophes. Degrowth might be a hard sell but it’s still sexier than collapse. 

***

It is strange that Jacobin allowed something that flimsy to be published. The piece reads like a bingo of misunderstandings. Daniel Driscoll associates degrowth to a dictature, a pathway to austerity and poverty, a form of lifestyle environmentalism, and even an increase in carbon emissions. (Bonus points for coining a new derogatory term I’ve never heard before: “economic suppression.”) Kai Heron is right when he calls it “a good example of Brandolini’s Law”: a 3-page, poorly written text that demands much more effort to debunk than to write. 

Ten years ago, this piece would have still been shameful but at least with the excuse of dealing with a new, niche topic. In 2024, however, after decades of extensive research on degrowth[9], such pseudo-scientific boohoos can no longer be tolerated. I would have cut some slack to a politician or a business leader, but a university scholar has no excuse for producing an analysis that superficial. In light of the recent convergence between degrowth and eco-socialism, this is a step backward. Silver lining: these anti-degrowth whimpers might actually make degrowth more popular. As Rubén Vezzoni commented: “turns out the best argument for degrowth is the intellectual meagreness of its detractors.” 


[1] “Degrowth is not the answer to climate change” (August 2023) by Leigh Phillips and “The problem with degrowth” (July 2023) by Matt Huber (for responses to these authors: “A response to Matt Huber: Facts and logic in support of degrowth,” April 2021; and “Réponse à Leigh Phillips : La décroissance pour les nuls,” February 2021). Céline Keller sums it up pretty well: “there’s something about Jacobin that simply won’t let Jacobin publish ONE person to speak on degrowth positively.” 

[2] “I am against ‘Degrowth,’ mostly as an empty and useless academic buzzword, but by god this is the most dogshit fake argument anybody could have ever made” (Lefty). Nick Bernards writes: “there are absolutely limits to degrowth perspectives, on both analytical and political terms. But it’s a source of some frustration for me that left critics of degrowth have […] largely missed the mark.” As expected, Leigh Phillips, an anti-degrowth recidivist, celebrated “another great critique of the bizarrely influential neo-Malthusian ideology of degrowth” (To understand why it is an analytical mistake to associate degrowth with Malthusianism, see Giorgos Kallis’s Limits: Why Malthus was wrong and why environmentalists should care, 2019). Also on the degrowth-bashing side, Alec Stapp marvelled at “the best Jacobin article of all time” and Noah Smith used this opportunity to offer one of his regular lament on the “floundering” of “leftist environmentalism” (see A response to Noah Smith: Is degrowth bad economics from December 2021).  

[3] For a convincing demonstration of the theoretical impossibility of green growth, see Blair Fix’s Rethinking economic growth theory from a biophysical perspective (2015). For other critical takes on why green growth is not an adequate strategy for sustainability, see Vogel and Hickel (2023)Charlier and Fizaine (2023)Haberl et al. (2020), Hickel and Kallis (2020), Vadén et al. (2020), Jackson and Victor (2019), Parrique (2022), and Parrique et al. (2019)

[4] I’ve used the carbon footprints from the Product Environmental Reports provided by Apple. These are supposed to incorporate emissions along the full lifecycle of the product, including production (usually around 80% of the total footprint), transport (a few per cents), use (around 15% of the footprint), and end-of-life processing (less than 1%): iPhone 3G (55 kg CO2eq), iPhone 4 (45 kg CO2eq), iPhone 5s (65 kg CO2eq), iPhone 6 (95 kg CO2eq), iPhone 7 (56-75 kg CO2eq), iPhone 8 (57-71 kg CO2eq), iPhone SE 2nd gen. (55-70 kg CO2eq), iPhone SE 3rd gen (46-58 kg CO2eq), X (79-93 kg CO2eq), iPhone 11 (70-87 kg CO2eq), iPhone 12 (70-85 kg CO2eq), iPhone 13 Pro (69-112 kg CO2eq), and iPhone 14 Pro (65-116 kg CO2eq). 

[5] An astute environmental economist might say that this is a form of decoupling because the carbon intensity of an iPhone 3G sold for $199 (0.27 kg CO2eq per dollar) is much higher than the one of the iPhone 14 Pro Max sold at $799 (between 0.09 and 0.15 kg CO2eq per dollar). And yet, this is a dubious measure of sustainability if emissions per phones have actually increased. This is why we should always worry about decoupling claims that look at the intensity of GDP without referring to absolute sustainability thresholds. 

[6] Here is the full passage: “Those who argue that decoupling emissions from GDP cannot happen fast enough are extrapolating from the historical association of emissions and growth. If historical trends routinely and straightforwardly predicted our economic future, then much of the risk that we know to be endemic to the stock market and the financial sector would not exist, as the past would be a sure guide to what’s coming next.” I wonder: How else can social scientists try to make sense of the future if not by looking at the past? The comparison with the stock market is particularly specious. It would be like arguing you cannot predict future temperatures because the weather is changing all the time. 

[7] See The political economy of degrowth (2019, pp. 360-363)A response to Alessio Terzi: Degrowth for good. Dismantling capitalism to save humanity from climate catastrophe (April 2023), A response to Kenta Tsuda: Welcome to degrowth (September 2021), or Response to Saurabh Arora and Andy Stirling: Snails Don’t Bite or: Why you should not worry about degrowth turning imperial (May 2021). 

[8] The hyperlink used by Daniel Driscoll points to a 2-page research article published in 2018 in Socius. Authored by two PhD students, the article tracks the Google search frequency of the phrase “will i be deported” in the United States to see whether these queries occur more frequently during immigration policy changes. The paper only displays one raw search in a single graph without further analysis and there is no discussion whatsoever on methodology. As weak as this is, it is still stronger than Daniel Driscoll’s patchy comparison of a popular sentence (“how to get rich”) with an academic term (“degrowth”). 

[9] For a taste of “empirically grounded, actionable solutions” (Daniel Driscoll argues that degrowth has none), see these recent papers on food and land systemsurban mobilityforestrytourismhousingfashion, and many more (to go further, see this online database of degrowth papers). For a systematic review of degrowth policy proposals, see Fitzpatrick et al. (2022). For a general outlook on degrowth research, see Hickel et al. (2022) and Kallis et al. (2018).  

13.02.2024 à 09:57

Réponse à Gabriel Attal : Bienvenue au club de l’anti-décroissance

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Breaking news : Gabriel Attal, le nouveau Premier ministre du gouvernement d’Emmanuel Macron, est contre la décroissance. « Jamais je ne l’accepterai », a-t-il déclaré pendant son discours de politique générale à l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024. Même chose le lendemain au Sénat où il a affirmé vouloir faire transition « sans brutalité, sans invectives, sans décroissance ». Cette rhétorique anti-décroissance ne devrait […]
Texte intégral (6010 mots)

Breaking news : Gabriel Attal, le nouveau Premier ministre du gouvernement d’Emmanuel Macron, est contre la décroissance. « Jamais je ne l’accepterai », a-t-il déclaré pendant son discours de politique générale à l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024. Même chose le lendemain au Sénat où il a affirmé vouloir faire transition « sans brutalité, sans invectives, sans décroissance ». Cette rhétorique anti-décroissance ne devrait surprendre personne car c’est un rite de passage réglé comme du papier à musique. De la même manière que l’on brise une bouteille de champagne contre la coque d’un navire avant son lancement, à chaque nouvelle investiture il est de bonne coutume de fustiger ceux qui osent critiquer la croissance. 

En 2014, Emmanuel Valls ne voulait pas « casser la croissance » se différenciant, comme il l’affirmera plus tard, de cette « partie de la gauche [qui] se fourvoie dans la décroissance ». En 2016, Bernard Cazeneuve s’engageait à placer la France à « l’avant-garde de la croissance verte », ce qui, il précisera quelques années après, « ne se fera pas en organisant la décroissance ». En 2017, Édouard Philippe appelait à construire « la croissance économique de demain » et en 2019, il clarifiait ne pas être « un défenseur de la décroissance ». En 2020, Jean Castex nous invitait à croire à « la croissance écologique, pas à la décroissance verte », et en 2022, c’était Elisabeth Borne qui déclarait qu’elle ne « croyait pas un instant que cette révolution climatique passe pas la décroissance ». 

Disons-le d’emblée, c’est un tabassage à l’aveugle. En les lisant, il est évident que ces ministres ne maîtrisent pas le sujet (points bonus pour Jean Castex qui, en parlant de « décroissance verte », invente un terme qui n’existe même pas). Même Bruno Le Maire, qui en tant que ministre de l’économie devrait être le plus compétent en la matière, a toujours été à côté de la plaque (voir mes précédentes réponses en 2023 et 2022). Après dix ans de persécution conceptuelle, force est de constater que le niveau du débat au sein du gouvernement sur le sujet de la décroissance est resté au niveau zéro.[i]

Délit d’obsession de croissance 

L’originalité du terme « décroissance » lorsqu’il émerge en 2002, c’est de pointer du doigt la relation malsaine que nous entretenons avec la croissance économique. La décroissance est « un mot de dissensus », explique Vincent Cheynet, l’un des créateurs du terme. Le politologue Paul Ariès le qualifie de « mot-obus » pour « anéantir l’idéologie de la croissance », et l’économiste Serge Latouche parle lui de « décolonisation de l’imaginaire de la croissance ». La décroissance est avant tout une objection de croissance, c’est-à-dire une critique de cette fascination étrange que certaines sociétés ont pour l’accroissement économique. À en lire les déclarations de politique générale des Premiers ministres de la dernière décennie[ii], la mise en garde des décroissants est toujours aussi pertinente aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a vingt ans. 

Face à une croissance économique « plus faible que prévue » et de « perspectives de croissance [qui] se dégradent », Elisabeth Borne veut « bâtir les conditions d’une croissance forte ». Bernard Cazeneuve veut « soutenir la croissance », investir « pour la croissance », et « agir au service de la croissance ». Édouard Philippe encourage « la croissance des entreprises » et demande aux universités de construire « la croissance économique de demain ». Manuel Valls fera tout pour ne pas « casser la croissance » et « remettre l’Union Européenne sur le chemin de la croissance ». Jean Castex cherche « les gisements de croissance futurs » pour « recréer les conditions d’une croissance économique plus robuste, plus innovante, écologique et plus solidaire ». Gabriel Attal lui aussi a soif de croissance : il a pour intention de « libérer la croissance » pour avoir « plus de croissance ». Ça ferait un jeu d’alcoolredoutable : dès qu’un Ministre dit « croissance », tu bois.

Le plus surprenant, c’est qu’on parle de croissance sans jamais vraiment définir de quoi, pour qui, et pourquoi. Nous avons à faire à ce que la sociologue Dominique Méda appelle la « mystique de la croissance », une dévotion totale à une entité abstraite et mystérieuse. On a la version jedi d’Édouard Philippe qui « croit [en la] force de la croissance », la réflexologie superstitieuse de Manuel Valls qui cherche à la « stimuler »[iii] et ses tautologies (« sans croissance pas de confiance, et sans confiance, pas de croissance »), et l’incantation de Gabriel Attal : « produire, produire, produire, produire » qui n’est pas sans rappeler le « growth growth growth » de Liz Truss, l’ancienne Première ministre du Royaume-Uni. Le journaliste Stéphane Foucart dirait que c’est l’économie qui devient religion ; une « idolâtrie de la croissance » selon Rowan Williams, ancien archevêque de Canterbury. 

Mais la croissance est une divinité absurde. Tout d’abord parce qu’elle se mesure en points de Produit Intérieur Brut (PIB), un indicateur « grossier et trompeur », selon Dominique Méda, spécialiste de la comptabilité nationale. L’économiste Éloi Laurentrésume bien la situation : « la croissance comptabilise fidèlement une part de plus en plus insignifiante des activités humaines : les biens et les services mais pas leur répartition ; les transactions marchandes mais pas les liens sociaux ; les valeurs monétaires mais pas les volumes naturels ». Le PIB, nous dit l’économiste de l’OFCE, est « borgne quant au bien-être économique, aveugle au bien-être humain, sourd à la souffrance sociale et muet sur l’état de la planète » (Pour aller plus loin, Chapitre 1 : La vie secrète du PIB, dans Ralentir ou périr.) 

À quoi bon produire plus de tout, tout le temps, et toujours plus vite ? C’est ridicule. Cette « obsession pathologique du PIB » (l’expression vient d’un rapport récent de l’Organisation Mondiale de la Santé), nous transforme en Sisyphe, condamné à pousser notre PIB jusqu’à épuisement. Trêve de spiritualité économique : invoquer cet esprit de la croissance est une pratique archaïque qui aurait dû disparaître de nos priorités politiques pour être remplacé par des agendas plus sophistiqués comme ceux de la santé sociale, du bien-être, ou bien même du développement durable

L’argent vert 

L’écologie a le vent en poupe chez nos Premiers ministres. « Le climat est probablement le domaine où le besoin de régulation se fait le plus pressant », disait déjà Manuel Valls en 2014. En 2016, Bernard Cazeneuve annonçait que « la France s’est placée à l’avant-garde de la protection de la planète ». Edouard Philippe voulait « renouer avec l’esprit de conquête », « embrasser avec enthousiasme l’incroyable défi » de la transition écologique, et « faire de l’écologie une priorité de l’ensemble de nos politiques publiques ». Jean Castex appelait la France à « redevenir une grande nation industrielle avec et par l’écologie » en « [mettant] l’écologie au cœur de notre action et de nos territoires ». Elisabeth Borne s’engageait à « gagner la bataille du climat » et à« prendre en compte l’impact environnemental de toutes nos mesures ». Quant à Gabriel Attal, il veut « accélérer encore notre transition écologique ».

On pourrait se réjouir de ces déclarations retentissantes mais elles atteignent très vite leur limite. C’est une version économique de la loi de l’instrument : si le seul outil que vous avez est le PIB, vous tendez à voir tout problème comme une question de croissance. Pour Manuel Valls, « la croissance, c’est aussi l’économie verte », une transition énergétique qui constitue « une formidable opportunité économique ». Bernard Cazeneuve se veut « à l’avant-garde […] de la croissance verte ». Jean Castex « croit en la croissance écologique ». Elisabeth Borne veut une « croissance durable » et Gabriel Attal défend « une écologie de la croissance » qui permettrait de faire « rimer climat avec croissance ».

Je ne vais revenir ici ni sur les limites de la croissance verte comme stratégie de transition écologique,[iv] ni sur l’échec des politiques environnementales françaises[v]. J’aimerais plutôt noter à quel point il est étrange d’interpréter la crise environnementale avec le prisme d’un indicateur monétaire de comptabilité nationale. Ça serait l’équivalent d’essayer de faire un régime en mesurant la vitesse de circulation du sang dans le corps, ce qui n’aurait aucun intérêt. Un régime se calcule en calories et en kilogrammes, avec un objectif final de bonne santé. De la même manière, la transition écologique n’est pas une histoire d’euros mais plutôt d’énergie, de matériaux, et d’écosystèmes, avec un objectif final de soutenabilité et de bien-être.  

La croissance verte est un concept simplet sans fondations scientifiques solides ; une punchline passe-partout que l’on retrouve principalement dans les discours politiques aux côtés d’autres termes tout aussi superficiels.[vi] Les politiciens l’adorent mais les scientifiques eux n’y croient pas.[vii] À quoi ça sert d’avoir des Objectifs du Développement Durable si l’on ne se concentre que sur une seule cible : la croissance du PIB. De ce point de vue, la vision ministérielle de la soutenabilité socio-écologique est en régression. On est passé du développement durable dans les années 1980, un concept qualitatif avec une profondeur éthique, à l’économie verte au début des années 2000, une vision plus utilitariste et productiviste de la soutenabilité, et enfin à la croissance verte dans les années 2010, le summum du simplisme : verdir le PIB. Quel sera la prochaine étape de processus d’abêtissement conceptuel : l’argent vert ? 

La question du modèle social 

Gabriel Attal est catégorique : « la décroissance, c’est la fin de notre modèle social. C’est la pauvreté de masse. Jamais, je ne l’accepterai ». Même son de cloche chez Elisabeth Borne : « je ne crois pas un instant, que cette révolution climatique passe par la décroissance […] car sans activité, nous ne pourrions plus le financer [le modèle social] ».[viii] C’est aussi le cheval de bataille d’Emmanuel Macron qui ne manque pas une occasion de justifier pourquoi il est « à fond opposé » à la décroissance.[ix]

Là aussi, la logique du discours peine à convaincre.[x] Comme si la priorité du gouvernement était d’améliorer ce fameux « modèle social ». Rappelons ici que le rapport final du comité chargé d’évaluer les réformes de la fiscalité du capital d’Emmanuel Macron démontre que ses politiques n’ont eu pour résultat qu’une hausse significative des inégalités, tout ça sur fond d’augmentation de la pauvreté. Niveau social, on aura vu mieux. Au lieu de chercher aveuglement à faire croître le gâteau, on pourrait plutôt questionner sa répartition. Pour les retraites, les 30 % des ménages les plus privilégiés reçoivent presque la moitié du budget retraite national, alors que la moitié la plus pauvre se partage 35 % des pensions. On retrouve des situations similaires pour l’accès au logement, à l’éducationla santé, et au budget carbone. Produire et consommer moins ne risque pas de générer « une pauvreté de masse » car il y aujourd’hui en France largement assez de revenu national pour que tout le monde vive bien. La pauvreté qui subsiste n’est pas une question de production mais plutôt de distribution.[xi] Pour être socialement acceptable, la décroissance devra être proportionnelle, prenant en compte des responsabilités différenciées et des niveaux plus ou moins haut de capabilité. 

Au contraire, renforcer notre modèle social demanderait justement des actions allant à l’encontre des objectifs de croissance, comme la démarchandisation des Ehpad, des crèches, des médicaments, et des revues scientifiques, des activités aujourd’hui contrôlées par des entreprises à but lucratif qui excellent dans l’art de faire croitre les euros mais aux dépends de la qualité du service. Préfère-ton des activités vaches à lait qui ravissent les comptables nationaux ou bien la logique plus prudente de la sollicitude qui vient placer le bien-être avant les profits ? Diffusons également un malentendu coriace comme quoi les services publics seraient dépendants des activités privées. C’est très bien expliqué par Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques de l’Insee, et son collègue Étienne Debauche dans un article limpide que l’on peut lire en moins de dix minutes. Cessons donc de pointer du doigts la proportion des dépenses publiques dans le PIB pour justifier l’austérité, une erreur analytique déjà bien comprise par de nombreux économistes (voir, par exemple, Jean GadreyJean-Marie Harribey, et Francisco Vergara).[xii]

Il faut sortir de ce raisonnement parfaitement circulaire : « faire preuve d’une responsabilité budgétaire irréprochable » (= réduire les dépenses publiques) pour stimuler la croissance afin de « financer le modèle social » (= augmenter les dépenses publiques). Il est absurde de penser qu’il faudrait faire croître l’économie dans son ensemble avec toutes ces choses dont nous n’avons pas besoin, seulement pour récupérer quelques miettes à réinvestir dans ces choses que nous voulons. Faut-il vendre de plus en plus de SUVspour récolter quelques euros de TVA à investir dans le traitement des maladies respiratoires ? A-t-on besoin d’un secteur publicitaire en pleine expansion pour payer les salaires de nos agricultrices ? Qui, en dehors de Total, oserait affirmer qu’il faille augmenter les ventes d’énergie fossile pour financer les énergies renouvelables ? Cette stratégie de la croissance du problème qui finance sa solution est une pyramide de Ponzi.  

Si l’objectif est véritablement de rehausser le niveau de vie des français, essayer frénétiquement de « produire, produire, produire, produire » est une bien piètre stratégie. Penser que le PIB augmente le bien-être, c’est regarder le doigt qui montre la Lune. Pour construire une économie du bien-être, arrêtons d’aduler les revenus monétaires et concentrons-nous sur la qualité de vie. Pourquoi s’obstiner à stimuler/libérer/réarmer le PIB alors que l’on pourrait directement axer nos politiques publiques sur des budgets bien-être ? Ne serait-ce pas ça la défense véritable de notre modèle social ? 

***

Triste de constater que mêmes 50 ans après le rapport Meadows, les débats autour de la croissance sont encore jonchés de malentendus. Pourtant, dès 1972, quelqu’un comme Valéry Giscard d’Estaing, pourtant opposé à ce qu’on appelait à l’époque « l’anti-croissance » pouvait résumer précisément de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, cette opposition critique a été remplacé par un balayement de la main dogmatique, sans connaissance aucune de cette chose qu’il faudrait supposément détester. 

Mon objectif ici n’est pas d’éduquer nos Premiers ministres. La récurrence de ces malentendus est la preuve parfaite que nous avons à faire ici à un angle mort idéologique. Ils ne savent pas ce qu’est la décroissance parce qu’ils ne veulent pas savoir. Et c’est cette politique de l’ignorance qui devrait nous inquiéter. Tourner le dos à la décroissance et les précieux travaux scientifiques qui en découlent en pleine crise écologique est aussi insensé que de raccrocher au nez des pompiers au beau milieu d’un incendie. Je suis finalement assez d’accord avec Édouard Philippe : « Je crois dans la science, je voudrais qu’elle ait plus de place dans le débat public, que nos décisions soient davantage éclairées par elle ».


[i] Je recommande vivement la lecture de l’article du politiste Luc Semal paru le 6 février dans Le Monde : « Agiter l’épouvantail de la décroissance comme l’a fait Gabriel Attal, contribue à un ‘climato-dénialisme’ insidieux ».

[ii] Voici le nombre de fois que le mot « croissance » est mentionné dans les déclarations de politique générale : Manuel Valls (8 fois), Bernard Cazeneuve (4 fois), Jean Castex (4 fois), Édouard Philippe (4 fois pour sa première déclaration en 2017 et 2 fois dans celle de 2019), Elisabeth Borne (3 fois), et Gabriel Attal (8 fois dans son discours à l’Assemblée nationale et 0 fois dans son discours au Sénat). 

[iii] « Sans une croissance plus forte, nous ne ferons rien. Et la croissance ne se décrète pas. Elle se stimule, avec pragmatisme et volontarisme » (discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale, 2014). 

[iv] Voir Chapitre 2 : L’impossible découplage. Les limites écologiques de la croissance dans Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance (septembre 2022) ainsi que ma récente réponse à Hannah Ritchie : How I Learned to Stop Worrying and Love Economic Growth (janvier 2024). 

[v] Gabriel Attal s’enflamme : « depuis 2017, nous avons été la majorité la plus écologique de l’Histoire de la Vème république ». Rappelons que, suite au procès de l’Affaire du Siècle, le Conseil d’État a condamné l’État français en juillet 2021 pour inaction climatique, lui ordonnant de prendre « toutes mesures utiles » pour atteindre les objectifs climatiques inscrits dans la loi, et cela avant le 31 mars 2022. En mai 2023, le Conseil d’État interpelle à nouveau le gouvernement : les mesures nécessaires n’ont toujours pas été prises. Il le contraint à présenter un plan climatique précis avant juin 2024. 

Rappelons aussi que la cible de réduction des -55% est loin d’être « radicale », contrairement à ce pense le nouveau Premier ministre. En effet, (1) cet objectif ne prend pas en compte les émissions importées (56 % des émissions françaises), (2) il est inférieur aux recommandations des scientifiques qui demandent des réductions oscillant entre – 60 % – 70% , (3) il ne prend pas en compte la responsabilité historique des pays riches (l’Union Européenne est à elle-seule responsable de 25 % des émissions cumulées depuis la révolution industrielle), et (4) il ignore la notion d’équité qui demanderait des efforts beaucoup plus importants aux pays les plus riches pour permettre de libérer une partie du budget carbone mondial pour le développement des pays du Sud. 

Pour la biodiversité, selon le rapport La biodiversité française en déclin, les principales pressions sur le monde du vivant n’ont pas été réduites significativement en France, et se sont, pour certaines, intensifiées pendant la dernière décennie. Les populations d’insectes, par exemple, ont diminué de 70 à 80 % en Europe, en partie à cause de l’usage des pesticides qui a augmenté de +25 % entre 2010 et 2018 pour ensuite se stabiliser en 2021 au même niveau qu’en 2011. Face à cette situation, Gabriel Attal propose de mettre en pause le plan Ecophyto qui visait une réduction de 50 % de l’usage des pesticides d’ici 2030.

L’une des causes principales des pertes de biodiversité est l’artificialisation des sols qui, selon le Ministère de la transition écologique, augmente de 1,5 % par an en France métropolitaine depuis 1982. C’est dans ce contexte que Gabriel Attal félicite l’Assemblée nationale d’avoir « assoupli » la stratégie de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) pour que « la lutte nécessaire contre le dérèglement climatique ne soit pas un frein au développement des territoires ». 

[vi] Des concepts vides de sens comme l’écologie punitivel’écologie de la brutalitéou l’écologie de la privation sont opposés à d’autres concepts tout aussi superficiels (et jamais définis) comme l’écologie populairel’écologie des solutions, ou l’écologie à la française. À ce niveau de rhétorique, c’est plus proche du slam que de la politique.

[vii] C’est le résultat d’une étude de 2022 publiée dans le Journal of Cleaner Production. Ses auteurs ont interrogé les employés (1 593 personnes) de la principale agence environnementale allemande (Umweltbundesamt), parvenant à montrer que moins de 2 % d’entre eux croyaient en la croissance verte, et cela en alternative avec la décroissance (53 % des personnes interrogées) ou l’a-croissance (45 % des réponses). Même résultat pour une étude de 2023 publiée dans Nature sustainability qui a examiné un panel international de 789 chercheurs en politiques climatiques. Conclusion : seulement 27 % des répondants s’identifient au concept de croissance verte, alors que c’est 45 % pour l’a-croissance et 28 % pour la décroissance. Le soutient pour la croissance verte est particulièrement faible chez les chercheurs européens (14 %) et dans les pays de l’OCDE (16 %).

[viii] Voir aussi la réponse d’Elisabeth Borne à l’université d’été du Medef en 2023 après qu’un journaliste lui demande si la transition écologique allait se faire sans décroissance : « Alors moi, vous savez, je pense que tous ceux qui prônent la décroissance devraient dire que la décroissance, c’est remettre en cause notre modèle social. [Applaudissements]. Et je ne sais pas s’il existe une Française ou un français qui accepterait que l’on remette en cause ce bien très précieux qu’est notre modèle social. Donc sans décroissance je confirme » (10min23-12m31).

[ix] « Pourquoi ? Parce que tout ce qu’on vient de se dire-là qui est très important n’existe pas avec la décroissance. Parce qu’on produit pour financer un modèle social et un État providence. Et donc, tous ceux qui disent qu’il y a une urgence climatique, et donc qu’il faut arrêter tout ce qui pollue, arrêter tout ce qui notre ancien modèle du jour au lendemain face au climat. Je leur dis, très bien, quel est votre schéma social ? Qui vous finance le grand âge ? Qui vous finance la maladie ? Qui vous finance l’éducation ? Personne. Parce qu’il faut produire. » Discours d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Pau le 18 mars 2022.  

[x] Pour un traitement plus complet de cette question, voir pp. 253-255 dans Ralentir ou périr, pp. 430-439 dans The political economy of degrowth, et ma Réponse à David Cayla : Décroire pour décroître

[xi] La seule situation qui justifierait la croissance de l’activité totale, c’est si nous n’avions en France pas assez de biens et services pour satisfaire les besoins de toute la population. C’est loin d’être le cas. L’économiste Pierre Concialdi calcule le revenu national minimum qui permettrait à toute la population française de vivre décemment. En 2021, ce revenu minimum nécessaire correspondait à 56 % du revenu national (pp. 120-122 dans Ralentir ou périr).

[xii] Gabriel Attal veut « faire preuve d’une responsabilité budgétaire irréprochable » et vise un retour sous les 3 % de déficit public d’ici 2027, et cela car « la dette publique est une épée de Damoclès au-dessus de notre modèle social, au-dessus de la capacité à agir des jeunes générations ». Le Premier ministre veut « repasser sous les 3 % de déficit public d’ici 2027 avec plus de croissance, plus d’activité à la maîtrise de nos dépenses ». Pour gagner du temps, j’invoque ici Nicolas Dufrêne qui dans l’excellent La dette au XXIème siècle : Comment s’en libérer (2023) tord le cou à cette idée fausse comme quoi la dette publique serait une menace au bien commun et un poids pour les générations futures.

26.01.2024 à 16:35

A response to Hannah Ritchie:  How I Learned to Stop Worrying and Love Economic Growth  

tparrique

This piece is not going to be my usual point-by-point debunking. First, I’ve been doing plenty of that already (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13) and there is nothing special in Hannah Ritchie’s Not the End of the World (2024) that would warrant a specific response. After listening to her interview with Rachel Donald on the Mongabay podcast, it is evident that the […]
Texte intégral (4682 mots)

This piece is not going to be my usual point-by-point debunking. First, I’ve been doing plenty of that already (12345678910111213) and there is nothing special in Hannah Ritchie’s Not the End of the World (2024) that would warrant a specific response. After listening to her interview with Rachel Donald on the Mongabay podcast, it is evident that the author’s understanding of degrowth is insufficient to engage in a constructive debate.[1] In the book, degrowth is only discussed once, in a 2,5-page long section where it is described as one idea that “won’t fix our problems.” According to her, this is because (a) growth is gradually decoupling from environmental pressures (the usual green growth hypothesis), and (b) because degrowth is socially untenable in a world where there is not enough income to eradicate poverty via redistribution alone (a hackneyed misinterpretation of degrowth, originally from a 2017 blog post by Branko Milanović). 

My main reason for engaging with Hannah Ritchie’s book is a bit more subtle. In the conclusion, the author worries about how much energy is wasted fighting among environmentalists of different stripes, and that’s something I’m increasingly concerned about. Degrowthers, eco-modernists, collapsologists, ecofeminists, Transition Towners, survivalists, ecosocialists, green new dealers, etc. Everyone is convinced to have found the best solution. They’re like the super-heroes of The Avengers, except that they don’t fight together but against each other.[2] While there is value in healthy debate, these feuds too often degenerate into egocentric cockfights that damage the popularity of the very idea of sustainability.    

Before being all nice and compromising, I just want to state for the record that there are a few arguments in the book that I find deeply problematic, sometimes scientifically inaccurate, sometimes politically naïve, or just unconvincing. But I won’t address them here, at least not the ones that do not directly relate to degrowth. My mission instead is to show that the concept of degrowth (which is unfortunately misrepresented in the book) could in fact fix the very problem that Hannah Ritchie wants to solve.[3]

Degrowth is ecologically unnecessary 

Hannah Ritchie’s first argument is that degrowth is not necessary because high-income countries are currently managing to lower their ecological footprint while growing their GDP. 

“[N]ew technologies are allowing us to decouple a good and comfortable life from an environmentally destructive one. […] In rich countries carbon emissions, energy use, deforestation, fertiliser use, overfishing, plastic pollution, air pollution and water pollution are all falling, while these countries continue to get richer. The idea that these countries were more sustainable when they were poorer is simply not true” (p.33, italics in original).

“Environmental action is often framed as at odds with the economy. It’s either climate action or economic growth. Pollution versus the market. This is just wrong. Countries have slashed air pollution while growing their economies at the same time. Lower pollution, better health and a stronger economy? That sounds like the perfect sales pitch to me” (p.48, italics in original)

Before searching for agreement, let’s state two major disagreements. The first one has to do with the very definition of economic growth. One could debate whether Gross Domestic Product (GDP) is a good proxy for “a good and comfortable life” or a “strong economy,” and whether its growth should be systematically considered an enrichment (see, for example, this paper estimating “wasted GDP” in the United States, or another measuring the Index of Sustainable Economic Welfare for EU-15). Second, I would be curious to see actual studies (and not only the raw, unanalysed numbers from Our World in Data she uses throughout the book) showing proof that the environmental pressures she mentions are actually “all falling,” especially at times when GDP soars. Indeed, studies reviewing the scientific literature show that there is no absolute decoupling concerning material footprints (e.g., 12), which is perhaps the most impactful environmental indicator since it accounts for more than 90% of damages on human health and biodiversity. 

But let us admit for now that Hannah Ritchie is right and that GDP is indeed decoupling from all environmental pressures. The real question, as she herself writes, is “whether we can decouple these impacts fast enough” (p.35).[4] In the Mongabay podcast, she admits that the observed rates of decoupling are far from sufficient. A prime example is greenhouse gases. A 2023 study led by Jefim Vogel shows that only eleven countries[5] in the world have experienced an absolute decoupling of GDP and consumption-based greenhouse gases. Concerning the pace of emission reductions, these frontrunners would on average take more than 220 years to achieve near carbon neutrality, emitting 27 times their remaining 1.5°C fair-shares in the process. (This is only one study but there are many more, the consensual view being that the observed rates of decoupling are nowhere near the kinds of emission cuts we need to mitigate climate change.) 

It is in this precise context that degrowth[6] becomes useful. The benefits of a downscaling of production and consumption is that it directly reduces the use of natural resources on top of what can be achieved with eco-innovations. In that sense, the two approaches are not strictly incompatible. Degrowth introduces “avoid” strategies, ways of slowing down certain economic activities like commercial aviation, car and meat production, or advertising. These savings are additional to those achieved via “improve” strategies like carbon compensation, electric cars, and meat alternatives. This is like a diet where you cut down on fat and sugary products (degrowth) while also changing the way you eat, shifting from processed food to homemade meals or taking smaller bites and taking the time to chew the food well before swallowing (green growth). All efficiency gains are welcome, but if they are alone not enough (which is the case today), why not complement them with sufficiency strategies? 

Degrowth comes with its own political, social, and economic challenges, which is another discussion altogether, but it has the benefits of being fast, effective, and reversible. It is fast because it impacts footprints today. Closing national flight routes means less planes in the air today, compared to technological improvements in fuel efficiency that unfolds over longer periods of time. Degrowth is an exnovation protocol which consists in phasing out polluting infrastructure in the here and now. Additionally, as Jason Hickel argues, scaling down certain sectors and products could liberate factors of production which could then be remobilised in projects that accelerate the ecological transition. Think of the workers, factory lines, materials and energy being wasted manufacturing gas-guzzling SUVs when they could, if that category of product were to dwindle, focus on designing high-quality, low-emission buses and trains. Said differently, the more exnovation, the faster the innovation. 

Degrowth is also effective by design or, one could say, fail-safe. If the most sustainable resource is the ones we can afford not using, there is a real case for minimising production and consumption as much as possible, starting with goods and services that contribute little to overall wellbeing. Compared to uncertain efficiency gains dependant on the speed and composition of technological progress, a reduction in production and consumption directly reduces production and consumption. This is why degrowth is considered a precautionary approach, one that focuses on preventing damage. The reduction in resource use and environmental impact is not an expected result, it is the very objective of its policy design. I’m not saying that this direct, planned downscaling of production and consumption is possible everywhere and for everything (these are the social uncertainties of degrowth). But, when applicable, it has the benefit of being relatively less uncertain than relying on technological progress. As Beth Stratford writes in a piece trying to reconcile the two sides of the growth debate: “you don’t need to be a degrowth advocate to recognise the risks involved with relying solely on decoupling.” 

Finally, degrowth has the advantage of being reversible. Anything we scale back today is something we can possibly resume producing in the future if new, cleaner technology allows it. Today, there are no ways of flying without emitting greenhouse gases, hence the need to fly less if we want to reduce the emissions of aviation. But if, at some point in the future, someone invents a new low-emission, low-material, low-everything plane, then we can sure start again flying more

Let me do a short recap before switching to Hannah Ritchie’s second criticism of degrowth. If we do away with the question as to whether economic growth is a good indicator of prosperity and whether growth is actually decoupling from all environmental pressures in rich countries, there is room for agreement between degrowth-inspired sufficiency strategies and green growth-inspired efficiency measures. The essential point to grasp here is that the resource-cutting measures advocated in the name of green growth are more likely to be effective in a smaller, non-growing economy compared to a situation where levels of production and consumption constantly increase. 

Degrowth is socially untenable

Here is the second reason, according to Hannah Ritchie, why degrowth “won’t fix our problems.” Even if producing and consuming less was ecologically necessary, it would remain socially problematic because the world cannot afford to see its overall level of wealth decrease. 

“Degrowth argues that we can redistribute the world’s wealth from the rich to the poor, giving everyone a good and high standard of living with the resources already at our disposal. But the maths doesn’t check out. The world is far too poor to give everyone a high standard of living today through redistribution alone.” […] “If we pooled together all the money and assets – the wealth – of every country and individual in the world, there’s simply not enough to go around. The global economy would have to be at least five times bigger than it is today. Let me say that again: for everyone in the world to live on or close to the poverty line of rich countries, the global economy would need to increase five-fold! A world without any economic growth would remain a very poor one. A world with degrowth would be even worse” (pp.33-34, italics in original).

This narrative suffers from several problems. First, no one argues that all nations should stop growing. This would be ecologically ineffective because the majority of the world ecological footprint can be traced to a minority of wealthy households. This would also be socially unfair because one should expect regions of the world where needs remain unmet to further develop their productive capacities in order to secure decent living standards, meaning access to adequate housing, enough food, clean energy and water, sufficient healthcare, public transportation, etc. 

Her second point is also mistaken: no one argues that the global South should only receive that portion of global income being degrown in the global North. World GDP is not a pie to be divided between humans; it is only an indicator of income flows, one that hides a diversity of different models of provisioning which only have in common the fact that they need energy, materials, and ecosystem services to function. (These misconceptions could have easily been avoided with a cursory reading of the literature on degrowth in relation to the global South – for example, 1234.)  

The logic of degrowth is actually more sophisticated. One must lower global environmental pressures because we have already breached several planetary boundaries, that’s a fact. But one must do this while eradicating poverty, an objective that is consensual on both sides of the growth debate. This situation brings two conundrums. First problem: the remaining ecological budgets are not large enough to sustain both high-footprint lifestyles in already-rich regions of the world and an energy- and material-intensive process of development in places where needs remain unmet. Second problem: the nature-intensive lifestyles of the global rich exacerbate environmental disasters, which are predominantly suffered by low-income populations. The world’s poorest find themselves constrained both by resource scarcities and ecosystem collapse, making it almost impossible for them to achieve any kind of prosperity. Hence the degrowth credo: reducing resource consumption in affluent parts of the world to free up biophysical budgets for those who need it most while slowing down the ecological damage imposed to those who need it the least.

This applies to very concrete things. Take flying, for example, which causes 2% of global emissions. Only 2-4% of the world population fly internationally and roughly 10% fly at all. In 2018, there were almost 2 billion plane trips; high-income countries accounted for 40% of these trips and 1% of world population (around 70 million people) accounted for half of all these emissions. What these numbers show is that access to flying is unequally distributed in the world. A planned degrowth strategy would impose frequent flyers to fly less in order to reduce the overall number of flights, part of this saved-up carbon budget then becoming available for people needing access to more resources. To be very concrete, I, a rich French citizen, give up my week-end flight to Stockholm so that someone from today’s very poorest may one day have the possibility to visit another country, or just use that carbon-equivalent energy to do something else more essential. 

Bottom line: degrowth is a strategy to accelerate the decrease of ecological footprints for the world’s richest, and this in order to leave as much breathing space for poorer populations who may need more energy, land, material, water, etc. in the years to come. Again, this is not conflicting with green growth measures to make economic growth in low- and middle-income countries as biophysically efficient as possible. Actually, it makes it easier: a planned degrowth in the global North would facilitate sustainable development in parts of the world where development is most urgently needed.  

***

Perhaps the title of this piece is a bit too provocative. Even if Hannah Richie falls within the usual eco-modernist discourse, she is not obsessed with economic growth. This builds a good basis for agreement. Hannah Ritchie’s main objective is to decouple wellbeing from environmental pressures, which is the very raison d’être of degrowth, a French concept which emerged in 2002 as “décroissance soutenable et conviviale (convivial and sustainable degrowth; for a history, see The political economy of degrowth, Chapter 5). In fact, the newer generation of degrowth-inspired studies have produced many useful insights as to how to socially prosper with lighter footprints, either looking at food and land systemsurban mobilityforestrytourismhousingfashion, and many more (to go further, see this online database of degrowth papers). 

The growth question will remain controversial. That’s good if it keeps academics on both sides of the debate on their toes. But not all elements of that controversy are completely polarised. In fact, as the sustainability literature advances, I see more and more points of convergence where, given a bit of semantic compromising from each side, we could join forces in order to find new, better ways of making sustainability mainstream. To quote from Beth Stratford’s insightful text one last time, “let us reach a truce and build a mass movement to take on the real enemies of environmental justice. The stakes are too high to do anything else.”


[1] Here is an extract from the dialogue between Hannah Ritchie and Rachel Donald (from 11 min 20 to 13 min 15):

H.R.: “In rich countries, growth or degrowth, I’m very agnostic…” 

[At this moment, Rachel Donald intervenes to clarify what degrowth means.]

R.D.: […] “low and middle-income countries do need to grow their economies in order to raise their standards of wellbeing […] But in order to do this within planetary boundaries, we need to cap the continued expansion of the economic growth of wealthier countries, which has gone far and beyond wellbeing]. 

H.R.: “Okay, I’m not strictly advocating degrowth in rich countries. You could say I’m agnostic to growth. There are a range of different metrics that we can focus on and that are more appropriate to focus on. You need global growth but in rich countries, I’m agnostic. If that’s the definition of degrowth, then okay, that’s degrowth.” 

R.D.: “It seems a bit surprising to me that you don’t understand the definition of degrowth when you lambasted it in the book as not being a solution. 

H.R.: “Hm. No, that’s what I said in the book. I said we need global growth because we need low and middle-income countries to grow and then, in rich countries, there are massive welfare benefits to redistribution, whether you have very strong economic growth or not in these countries does not really matter if you’re focusing on other metrics. […] I don’t believe in this North Star of GDP growth in rich countries as what we should be maximising, growth at all costs. Economic growth is just the increase in value of goods and services within an economy, and if rich countries are doing that in a way that is reducing carbon emissions and becoming more efficient, while their GDP grows, then I’m not against that. My focus is not on whether GDP and rich countries should be falling or rising. Often, degrowth is framed as it has to fall. My point is that it doesn’t have to fall.”

[2] I should say that this is not always the case. For example, the Wellbeing Economy alliance founded by Katherine Trebeck (The Economics of Arrival: Ideas for a Grown-Up Economy, 2019) is a good example of an initiative effectively building bridges between different schools of thought. One could also mention the Next System Project, which has united a diversity of critical minds in a broad discussion about system change (see, for example, the commons economycommoningeconomic democracyparticipatory economics, or energy democracy). The books Pluriverse: A Post-development Dictionary (2019) and Degrowth in Movement(s): Exploring Pathways for Transformation (2020) are also good examples of how to build alliance between different epistemic communities.   

[3] Beth Stratford has made a similar point in “Green growth vs degrowth: are we missing the point?” (2020): “For some this is a compelling and entertaining debate. But it is not going to be settled in a timeframe that is useful for maintaining a habitable planet. In the meantime, these adversaries are in danger of delivering a major own goal. Because the more time we spend in nerdy (and sometimes venomous) exchanges about decoupling, the less time we have to build the broad-based movement we need to take on the vested interests who benefit from the status quo.” Her main claim is that “there is more that unites than divide us,” and her point about strategic urgency is all the more valid in war-ridden 2024 than it was in 2020 when she published the piece. 

[4] Here is the full quote: “Economic growth is not incompatible with reducing our environmental impact. In this book I’ll show that we can reduce our environmental impact and reverse our past damage while becoming better off. The big question here is whether we can decouple these impacts fast enough” (p.35). See also this extract from the chapter on climate change: “this doesn’t mean that rich countries are making reductions anywhere close to fast enough. They can, and should be, making them much faster. But it shows us that reducing emissions is possible. And it does not have to mean tanking the economy at the same time” (p.81, italics in original).

[5] In her TED talk “Are we the last generation – or the first sustainable one?” (April 2023), Hannah Ritchie says that “a long list of countrieshave increased GDP while reducing their emissions” (04min21, italics added). In the climate change chapter of the book, one section is titled: “Many countries have grown their economies while reducing their emissions – and not because they’re sending their emissions overseas” (p.80, italics added). Saying that a “long list” or “many countries” are experiencing an absolute decoupling of GDP growth from consumption-based emissions is a problematic overstatement.

[6] For a review of the literature on degrowth, see 12345.

11.12.2023 à 16:50

Réponse à Bruno Le Maire : Dévendre la croissance

tparrique

De la même manière que Don Quichotte faisait la guerre aux moulins qu’il méprenait pour des monstres, le ministre de l’Économie et des Finances est en pleine croisade contre la décroissance. J’ai pourtant déjà essayé d’être pédagogue en janvier 2022 avec Réponse à Bruno Le Maire : Appauvrissement, asservissement, et autres malentendus sur la décroissance, mais rien ne […]
Texte intégral (5683 mots)

De la même manière que Don Quichotte faisait la guerre aux moulins qu’il méprenait pour des monstres, le ministre de l’Économie et des Finances est en pleine croisade contre la décroissance. J’ai pourtant déjà essayé d’être pédagogue en janvier 2022 avec Réponse à Bruno Le Maire : Appauvrissement, asservissement, et autres malentendus sur la décroissance, mais rien ne fait. Entêté, l’économiste en chef de la nation continue sans relâche ses campagnes de désinformation sur la décroissance. Décryptons ici une de ses récentes communications en ligne, copié-collé d’une partie de son discours d’ouverture lors des Rendez-vous de Bercy se tenant le 5 décembre 2023 sur le sujet « Croissance et Climat ». 

Rappelons-aussi le contexte. Nous sommes au milieu d’une vaste controverse faisant suite à la campagne « épargnons nos ressources » lancé par l’ADEME. Dans une série de quatre spots publicitaires diffusés du 14 novembre au 4 décembre, des « dévendeurs » venaient déconseiller à des clients d’acheter un poloun smartphoneune ponceuse, et un lave-linge afin de « soulager les ressources de la planète ». Cette campagne, qualifiée de « maladroite » par Bruno Le Maire, avait attiré les foudres du Medef qui s’était empressé de fustiger « les thèses décroissantes endossées par l’État ». Raison de plus pour le ministre de l’économie de réaffirmer haut et fort son « combat » contre la décroissance. 

« Croissance et climat sont compatibles ! Je ne crois pas à l’idéologie de la décroissance et je la combattrai

Le verbe « croire » est approprié car Bruno Le Maire fait bien ici un acte de foi. Mais la décroissance n’est pas une croyance. C’est une théorie scientifique qui postule qu’une contraction des activités économiques serait plus efficace pour faire baisser les pressions environnementales que les stratégies existantes visant à verdir la croissance. Dans Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance (synthèse de ma thèse de doctorat The political economy of degrowth), je la définis comme une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. 

La décroissance n’est pas plus idéologique que la croissance. Ce sont tous deux des phénomènes socio-économiques : une baisse ou une augmentation des niveaux de production et de consommation. S’entêter à toujours vouloir faire croître – ou toujours vouloir faire décroître – l’économie est une posture dogmatique. Le pragmatisme vise la juste mesure : considérer la production et la consommation comme un moyen et non pas comme une fin. Dans certaines situations, il faut développer la capacité productive afin de pouvoir satisfaire des besoins insatisfaits – c’est le cas des pays pauvres aujourd’hui. Dans d’autres situations, c’est le cas de la France et d’autres pays à haut-revenus, un ralentissement économique peut s’avérer bénéfique s’il permet d’atteindre des objectifs écologiques et sociaux. 


« L’économie et l’écologie ont la même racine. Ce sont les deux faces d’une même médaille, celle de notre présence sur terre ».

L’économie et l’écologie ont la même racine mais elles n’ont pas les mêmes exigences. L’écologie est une histoire d’énergie, de matière, d’espèces vivantes et d’écosystèmes. C’est un monde régit par des lois inaliénables comme celles de la pesanteur, de l’évolution, ou de la thermodynamique. L’économie, par contre, ne répond qu’à des lois socialement construites comme la coutume du premier arrivé, premier servi, la TVA, ou bien le Traité de Maastricht. Une seule certitude : les règles de l’économie ne peuvent pas contredire les lois du monde réel. On peut décréter une loi autorisant les gens à respirer sous l’eau ou bien à voler, mais cela ne nous donnera ni des ailes ni des branchies. 

La poursuite d’une croissance infinie dans un monde fini est une contradiction. De la même manière qu’un organe sain ne survit pas longtemps dans un corps mourant, il ne peut exister d’économie prospère dans une biosphère qui s’effondre (ou du moins pas longtemps). Le décret d’attribution des responsabilités du ministre de l’économie demande à Bruno Le Maire de « promouvoir la croissance » de l’économie française, un objectif frontalement opposé au décret d’attribution du ministre de la transition écologique qui doit assurer la « protection de la nature et de la biodiversité ». Nous faisons face en France à l’étrange cas du docteur Soutenabilité et de M. croissance.


« Elles sont au cœur d’une interrogation fondamentale qui traverse toutes les sociétés développées : celle du concept de croissance. La croissance pour quoi ? La croissance comment ? La croissance au service de qui ? Cette croissance ne peut plus être faite contre notre planète. La croissance doit être construite avec la planète. Il faut dès lors inventer une nouvelle croissance, plus innovante, plus respectueuse de la biodiversité, capable de ralentir le réchauffement climatique et capable de permettre des adaptations tout de suite. Car il est indispensable de faire ralentir le réchauffement et il est tout aussi indispensable de s’y adapter dès maintenant ».

L’interrogation fondamentale qui traverse toutes les sociétés n’est pas la croissance mais plutôt la prospérité, c’est-à-dire notre capacité collective à contenter des besoins afin de vivre de la manière la plus agréable possible. La croissance économique est une interrogation secondaire, presque administrative. N’oublions pas d’ailleurs que ce que l’on appelle « croissance » réfère simplement à l’augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB), un indicateur vieux de cent ans qui ne fait que mesurer l’agitation monétaire sans regarder la nature, les activités non-monétaires, les inégalités, et le bien-être. 

À quoi bon faire croître le PIB si cela n’augmente pas la qualité de vie ? À quoi bon défendre si fermement un indicateur quantitatif qui, dans le cas de la France, a déjà perdu toute relation avec les niveaux de santé et d’éducation, l’efficacité de la démocratie, le bonheur et la convivialité du vivre-ensemble ? L’obsession du gouvernement pour le PIB est un dogme contre-productif. Peu importe que cette croissance soit verte, circulaire, ou décarbonée ; si elle ne permet pas d’améliorer le bien-être de la population (ou pire : si elle vient la dégrader), alors c’est une mauvaise stratégie de développement. Notre mode de vie actuel n’est pas soutenable et il va falloir se réorganiser afin de pouvoir satisfaire les besoins de tous sous les seuils des limites planétaires. Ce grand défi du maintien et de l’amélioration de la qualité de vie sous contraintes biophysique, voilà l’interrogation qui devrait animer nos sociétés.  


« Cette nouvelle croissance est d’autant plus nécessaire que nous ouvrons sinon la voie à ceux qui prêchent la décroissance. Elle est dangereuse, car elle conduit à l’appauvrissement, aux inégalités, au repli sur soi, à la perte de connaissances ».

La décroissance conduit à l’appauvrissement si et seulement si l’on considère, comme Bruno Le Maire, que la croissance constitue la définition même de la richesse. Mais c’est faux. Le PIB ne mesure pas la richesse économique (ce n’est qu’un indicateur de flux qui donne un ordre de grandeur de la valeur ajoutée monétaire pendant une période donnée) ; et il mesure encore moins les richesses sociales et écologiques qui sont complètement ignorées dans sa méthode de calcul.

Selon une récente note de l’insee, la part de la population française qui vit sous le seuil de pauvreté est passée de 7,5 % en 2000 à 8,3 % en 2021. D’autres rapports comme celui de l’Observatoire des Inégalités et du Secours Catholique détaillent également une nette augmentation de la pauvreté en France. Débarrassons-nous de cette vision binaire et simpliste : la décroissance n’est pas plus source d’appauvrissement que la croissance est source d’enrichissement.  

On peut très bien réduire le revenu national total tout en le redistribuant plus équitablement, une stratégie qui serait plus rapide et efficace pour réduire les inégalités que la croissance actuelle qui enrichit essentiellement les plus aisés. Selon un rapport d’Oxfam, pour 100 euros de richesses créés en France depuis dix ans, 35 euros ont été captés par les 1% les plus riches et 32 euros par les 9% suivants. À l’inverse, les 50% les plus pauvres n’ont reçu que 8 euros. Selon le dernier rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital (octobre 2023), cette tendance d’enrichissement des déjà-riches est en accélération grâce aux réformes menés par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Une majorité de la population aurait donc de bonnes raisons de s’opposer à cette croissance qui concentre les richesses en haut, tout en faisant ruisseler les coûts écologiques et sociaux vers le bas, des coûts qui, je le rappelle, ne sont pas comptabilisés dans le PIB (si ils l’étaient, notre maigre croissance économique apparaîtrait comme une croissance anti-économique, c’est-à-dire une situation où les coûts de la croissance sont supérieurs à ses bénéfices). 

Je ne vois pas en quoi une réduction sélective de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique mènerait à une « perte de connaissance ». Là-encore, le ministre de l’économie attribue des pouvoirs magiques à un phénomène beaucoup moins prodigieux qu’il n’y parait. Si l’on veut augmenter la connaissance – et je sais de quoi je parle, c’est mon métier –, il nous faut plus de chercheurs et plus de ressources affiliées à la recherche. Au lieu de récupérer des miettes en taxes diverses sur la publicité, les transactions immobilières, et la spéculation financière pour sous-payer quelques poignées de chercheurs, et si on arrêtait de former des armées de publicitaires, d’agents immobiliers, et de traders ? Et même sans cela, nul besoin de faire croître le gâteau pour investir dans la recherche. En 2020, la dépense nationale de recherche et développement expérimental était de 56,5 milliards d’euros, un chiffre qui pourrait considérablement augmenter si les grandes entreprises arrêtait de polluer nos espaces publics avec de la publicité inutile (33,8 milliards d’euros de dépenses publicitaires en France en 2019).  

Quant au « repli sur soi », il dépend plus de relations géopolitiques et d’échanges culturels que du simple thermomètre du PIB. Là encore, Bruno Le Maire véhicule une pensée magique selon laquelle le totem du PIB aurait des facultés surnaturelles. Le véritable repli sur soi qu’il conviendrait d’organiser aujourd’hui, c’est le rapatriement des productions polluantes que nous avons graduellement délocalisé à l’étranger. La part des importations et des exportations ne représente qu’un tiers du PIB français mais les émissions importées constituent 56 % de notre empreinte carbone. La relocalisation d’une partie de notre production en France n’est pas un acte égoïste ; au contraire, c’est une stratégie responsable pour accompagner les pays du Sud dans une transition vers des modèles de développement centrés sur la satisfaction des besoins de leurs propres populations. 

« Est-ce que vous croyez vraiment que les Etats-Unis s’engageront dans la décroissance? Que les pays en développement s’engageront dans la décroissance ? » [Phrase présente dans la version écrite du discours, mais pas dans la communication sur les réseaux sociaux.]

Si seulement Bruno Le Maire avait lu la copie de Ralentir ou périr que ma maison d’édition lui a gracieusement envoyé. Il aurait découvert que je théorise la décroissance dans une logique de « contraction et de convergence » : décroissance pour les privilégiés (la contraction) et croissance pour ceux qui en ont le plus besoin (la convergence). Dans un monde aux contraintes environnementales de plus en plus serrées, nous devons partager nos budgets écologiques de manière plus équitable. Si les pays du Sud ont besoin de davantage de ressources pour construire les infrastructures essentielles au bien-être, il faudra faire décroître les économies des pays du Nord. Dit autrement, la décroissance des pays déjà-riches est une condition sine qua non pour la prospérité des pays les plus pauvres.

Quant aux États-Unis, nous retrouvons ici un discours de délai climatique bien connu : peu importe ce que nous faisons car la France ne représenterait qu’une infime portion des émissions globales (argument redoutablement démystifié par Bon Pote). Ne détournons pas le regard : notre objectif est de réduire l’empreinte écologique française. Les États-Unis font face à leur responsabilité dans la crise climatique et nous faisons face à la nôtre. Pour l’instant, la stratégie française est loin d’être efficace (rappelons que le gouvernement a été condamné à deux reprises pour « inaction climatique »). C’est ça le sujet. 

Et puis, depuis quand est-ce qu’on attend les américains pour agir ? A-t-on attendu les américains pour faire des conventions citoyennes pour le climat, pour interdire la location des passoires thermiques, et pour criminaliser l’obsolescence programmée ? Non. La France peut être fière d’être pionnière sur certains fronts en matière de transition écologique mais elle pourrait faire beaucoup plus.  

Une fois la transition terminée, notre économie sera plus résiliente et agile, plus à même de contenter notre population dans un monde aux ressources limitées et aux écosystèmes dégradés. Si seulement on pouvait revenir à la publication du rapport des Limites à la croissance de 1972 pour entamer une transition ambitieuse vers une économie circulaire sans énergie fossiles ? Nous serions aujourd’hui dans une position géopolitiquement plus confortable, sans risque de pénuries de métaux rares et d’embargo d’énergies fossiles, sans effondrements de biodiversité, souverain en termes d’énergie renouvelables et de matériaux recyclés. Une économie du bien-être frugale et prospère. Malheureusement, nous n’avons pas de machine à remonter le temps. Nous accumulons un demi-siècle de dépassement écologique, et il va maintenant falloir se lancer dans un régime macroéconomique sans précédent pour ramener notre empreinte écologique en dessous de la capacité de charge des écosystèmes. 


« Elle est fausse, car la France a prouvé que nous pouvions découpler croissance et émission de gaz à effet de serre. Entre 2005 et 2018, notre pays a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de près de 20 % tandis que sa richesse nationale augmentait de 15 % ».

Bruno Le Maire choisi ses chiffres avec précaution afin de pouvoir faire de la France une véritable campagne de greenwashing macroéconomique en faveur de la croissance verte. Cela me rappelle une campagne publicitaire de KLM qui se félicitait « d’œuvrer pour un avenir plus durable pour l’industrie de l’aviation » en recyclant les dosettes de café à bord de ses avions. Le véritable problème d’une telle déclaration est que le ministre de l’économie ne regarde qu’une seule couleur du Rubik’s Cube : le carbone. Mais nous savons bien qu’une véritable transition écologique doit faire baisser toutes les pressions environnementales en dépassement des limites planétaires, une tâche infiniment plus difficile que la simple baisse des gaz à effet de serre. Ce que la France doit prouver, c’est qu’il est possible de produire et consommer plus chaque année tout en faisant suffisamment baisser l’extraction des matériaux, les prélèvements en eau, l’usage des sols, la demande énergétique, les pollutions locales, la déforestation, la perte de biodiversité, etc., et cela en plus des gaz à effet de serre.

Nous en sommes très loin. Selon Eurostat, l’empreinte matière de la France n’a pas bougé depuis 2010 et reste à 13,2 tonnes par habitant, un niveau deux à quatre fois plus élevés que le niveau jugé soutenable dans la littérature scientifique (12).[i] Si l’on peut se réjouir d’une baisse de l’intensité matière par unité de PIB (car le PIB a augmenté sur la même période), cela ne constitue pas une véritable victoire car l’empreinte totale ne diminue pas et reste donc à un niveau où elle menace la santé des écosystèmes. C’est un cas de découplage par le haut où seulement la courbe économique augmente alors que nous avons besoin d’un découplage par le bas, une situation où c’est l’usage des ressources naturelles et des impacts sur l’environnement qui diminue. 

Une autre situation tout aussi inquiétante concerne l’érosion de la biodiversité. Selon le rapport La biodiversité française en déclin, les principales pressions sur le monde du vivant n’ont pas été réduites significativement en France, et se sont, pour certaines, intensifiées pendant la dernière décennie. Le risque d’extinction des espèces de faune et de flore menacé a augmenté de près de 14 % en moins de dix ans (la liste rouge des espèces menacées en France estime que 17,6 % des espèces évaluées sont menacées). Les populations d’insectes, par exemple, ont diminué de 70 à 80 % en Europe, en partie à cause de l’usage des pesticides qui a augmenté de +25 % entre 2010 et 2018 pour ensuite se stabiliser en 2021 au même niveau qu’en 2011. L’une des causes principales des pertes de biodiversité est l’artificialisation des sols qui, selon le Ministère de la transition écologique, augmente de 1,5 % par an en France métropolitaine depuis 1982. Selon le Portail de l’artificialisation des sols, 137 658 hectares ont été artificialisé entre 2013 et 2019, un peu près l’équivalent de la superficie de la Guadeloupe. 

Et même pour le carbone, la bataille est loin d’être gagnée. Selon les données du Citepa, les émissions territoriales françaises étaient de 550 MtCO2e en 2005 et de 440 MtCO2e en 2018, soit effectivement une baisse de 20 %. Quant au PIB, il a en effet augmenté de 15 % sur la période, passant de 1 982 à 2 289 milliards d’euros. Ce que Bruno Le Maire oublie d’indiquer, c’est que ces chiffres n’incluent que les émissions sur le territoire national, ce qui ne représente que 44% de l’empreinte carbone française. Situation similaire pour les prélèvements d’eau dont 47 % provient de l’étranger et des matériaux importés qui représentent 34 % de notre empreinte matière (26 % pour les minerais non-métalliques et la quasi-totalité de tous les métaux et énergies fossiles que nous consommons). 

C’est un peu facile de verdir notre économie si l’on délocalise les productions les plus polluantes à l’étranger. Selon les chiffres du Ministère de la transition écologique, l’empreinte carbone française est passée de 11 tonnes par habitant en 2005 à 9,2 tonnes en 2018, soit une baisse de 16 % seulement. Plus inquiétant, entre 2018 et 2022, les émissions territoriales ont baissé de 8,2 % alors que l’empreinte carbone n’a pas baissé du tout – elle est toujours en 2022 à 9,2 tonnes, le même niveau qu’en 2018. 

Il faut ensuite mettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre en perspective. Dans le cadre du green deal Européen, la France s’est donné l’objectif de réduire ses émissions territoriales de 55% par rapport aux niveaux d’émissions en 1990. Vu que la France émettait 539 MtCO2e en 1990, elle doit donc redescendre sous le seuil des 243 MtCO2e d’ici 2030. Nous en sommes très loin et cela demanderait une accélération sans précédent des baisses annuelles des émissions.

Mais même ce miracle serait insuffisant. L’effort réel d’atténuation du changement climatique est en fait beaucoup plus important car (1) il faudrait prendre en compte les émissions importées (56 % des émissions françaises) et (2) plutôt viser les cibles dictées par les scientifiques du climat (entre -60 % -70%) que celles obtenues par compromis politique comme le -55 % de la Commission Européenne. (3) Il faudrait aussi prendre en compte la responsabilité historique des pays riches (l’Union Européenne est à elle-seule responsable de 25 % des émissions cumulées depuis la révolution industrielle) (4) et, pour des raisons d’équité, réserver une partie du budget carbone restant pour le développement des pays du Sud, ce qui amènerait la cible de réduction à l’horizon 2030 entre -95 % et – 145 %.  

C’est ce contexte de réductions d’émissions – et d’empreintes – extrêmement rapides et ambitieuses qui nous amènent à parler de décroissance économique. Si nous n’arrivons pas à faire suffisamment baisser notre empreinte écologique totale tout en produisant et consommant davantage (c’est le cas de la France aujourd’hui), il va falloir ralentir les activités économiques. On peut se poser mille questions sur le comment (et beaucoup d’entre elles sont actuellement explorées par des chercheurs spécialisés sur la décroissance qui ont développé une littérature conséquente sur le sujet), mais on ne peut pas balayer de la main le scénario de la décroissance comme une simple « idéologie ». 


« C’est donc possible et la France fait, de ce point de vue, figure de modèle. La France doit renouer avec ce qui est le cœur de sa culture : la raison, la science, l’esprit de conquête ».

Personnellement, je pense que c’est impossible. Je suis ouvert à cette possibilité théorique, même si plusieurs années passées à débattre du sujet m’ont plutôt réconforté dans l’idée que l’hypothèse de la croissance verte n’avait pas de fondation scientifique solide. Et même si elle était théoriquement possible, cela ne la rendrait pas forcément faisable dans le peu de temps qu’il nous reste pour faire transition. Penser que ce retour sous le seuil des limites planétaires adviendra dans les années qui viennent, et cela contre les indications de nombreuses études académiques citées dans le dernier rapport du giec, est une énorme prise de risque. Si nous avons tort, nous contribuerons à causer un effondrement écologique irréversible qui rendra une grande partie de la planète inhabitable. Je trouve que la décroissance est une stratégie plus prudente. Produire et consommer moins dès aujourd’hui pour prévenir les risques écologiques, quitte à se permettre de recontinuer à produire et consommer davantage dans le futur si la santé des écosystèmes et notre capacité à les protéger s’améliore.

D’ailleurs, devinez d’où vient la décroissance ? Surprise : la décroissance soutenable et conviviale est un concept français qui a émergé au début des années 2000. La décroissance devrait rendre Bruno Le Maire fier. En effet, elle est motivée par l’argument raisonnable du partage équitable des ressources, et s’est construite à partir de la science de l’écologie politique et en prolongation de l’esprit de conquête sociale de Mai 68. Raison, science, et esprit de conquête – cocorico. Aujourd’hui, la France rayonne à l’étranger de son postcapitalisme : le monde nous envient notre Économie Sociale et Solidaire, nos monnaies alternatives, nos Territoires Zéros Chômeurs de Longue Durée, nos Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif, notre Convention Citoyenne pour le Climat et nos Conventions des Entreprises pour le Climat, ainsi que nos brillantes chercheuses, entrepreneuses, et activistes qui démontrent tous les jours que le futur de l’économie reste à inventer.  


« Elle doit être en tête des pays décarbonés en Europe en 2040. Elle a le meilleur bilan, elle doit avoir la plus grande ambition ».

S’entêter à vouloir faire grossir son PIB est tout le contraire de l’ambition. C’est une vieille stratégie devenue obsolète, surtout dans un pays déjà-riche comme la France. Au lieu de réinventer notre modèle économique à force d’innovation, Bruno Le Maire clique frénétiquement sur le bouton « PIB » en espérant que, magiquement, transition se fasse. Soyons plus ambitieux que ça. Et si, au lieu de suivre les objectifs insuffisants du green deal européen, nous poursuivions des cibles climatiques compatibles avec la science qui prennent en compte les questions d’équité ? Et si nous rejoignons dès aujourd’hui la coalition des gouvernements pour une économie du bien-être, qui à l’instar de la Finlande, l’Islande, l’Écosse et la Nouvelle Zélande ont remplacé le PIB par des indicateurs de prospérité sociale et écologique ? Et si nous étions le premier pays à ouvertement déclarer une situation d’urgence écologique qui puisse justifier une stratégie de décroissance soutenable et conviviale ? 


[i] La Global Material Flows Database annonce des chiffres légèrement différents : une baisse de l’empreinte matière de 6 % entre 2005 (1 223 639 400 tonnes) et 2018 (1 144 571 500 tonnes). Si l’on prend en compte la croissance démographique française pendant la période (de 63,19 millions de personnes à 67,16 millions), on se retrouve avec une empreinte matière évoluant de 19,3 tonnes par habitant en 2005 à 17 tonnes en 2018, soit une baisse de 12 %. Notons que malgré cette baisse, ces chiffres restent bien supérieurs à l’empreinte matière estimée par Eurostat (13,2 tonnes).

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