05.09.2025 à 23:00
Les plans de l'Élysée pour l'après 8 septembre
Marc Endeweld
Texte intégral (858 mots)
En guise de rentrée politique (et médiatique), on a droit au chaos. On se demande pourquoi Bayrou se fait hara-kiri en décidant d'engager la responsabilité de son gouvernement lors d'un vote de confiance à l’Assemblée. Hollande, un de ses plus fidèles alliés, se lamente et exprime son désarroi en contestant la décision. L’ancien président socialiste ne « comprend pas comment » Macron « a pu laisser Bayrou prendre une telle initiative ».
Ça fait pourtant des mois qu’Emmanuel Macron attend cette heure, lui qui, en décembre dernier, avait été poussé par François Bayrou lui-même à le nommer à Matignon. Rappelons qu’à l’époque, celui que le président voyait comme Premier ministre, c’était Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Et s’il y a bien une chose que Macron déteste, c’est être poussé dans ses derniers retranchements. Raison pour laquelle il se plait ces dernières semaines à souligner à certains collaborateurs comme « Mediapart fait du bon travail ». Ne cherchant pas à cacher sa délectation à voir son Premier ministre empêtré dans le scandale Bétharram.
Le président à nouveau au centre de l’attention
30.08.2025 à 12:49
La justice selon Kristell Niasme : la protégée de Retailleau « au dessus des lois » ?
Marc Endeweld
Texte intégral (8773 mots)
C’est la figure montante de LR. Nommée en mai dernier secrétaire générale adjointe du mouvement par Bruno Retailleau, Kristell Niasme est partout. Depuis son élection à la tête de la mairie de Villeneuve Saint-Georges, petite bourgade du Val-de-Marne, en février 2025 (dans le cadre d’une municipale partielle), l’élue de droite multiplie les apparitions médiatiques, et intervient souvent sur les plateaux de CNEWS.
Bruno Retailleau voit dans la pourfendeuse de l’Insoumis Louis Boyard, le parfait symbole de cette « France des honnêtes gens » que le patron des Républicains s’efforce de promouvoir ces derniers mois. « Face à Boyard, tout le gratin de la droite s’est déplacé à Villeneuve pour la soutenir dans le cadre d’un front républicain », se souvient Philippe Gaudin, ancien maire divers droite de la ville. Le ministre de l’Intérieur n’a pourtant pas dû enquêter très loin sur sa nouvelle vedette. Les très nombreuses plaintes et signalements au nom de l’article 40 visant Kristell Niasme et son entourage que je découvre lors de mon enquête n’embarrassent visiblement pas le ministre de l’intérieur dans son opération de communication.
Une prise de guerre pour la droite LR
Philippe Gaudin, qui s’est retrouvé fin 2024 face à une fronde telle (plus du tiers de son conseil municipal a démissionné) qu’une élection partielle a dû être organisée en urgence assure qu’« elle est protégée ». Comme maire, Niasme démontre qu’elle sait jouer ses relations, un élu de l’opposition qui préfère conserver l’anonymat témoigne prudemment qu’« après son élection, elle a obtenu des policiers montés pour patrouiller dans la ville. Il y a eu aussi une école de Villeneuve qui a dû être évacuée du fait d’une fuite de fioul, et en quinze jours à peine, elle a réussi à récupérer plusieurs agelcos [baraquements temporaires]. En général, quand elle ouvre son téléphone, elle réussit à récupérer des choses, presque d’une manière disproportionnée ». Au cours de sa campagne éclair, elle reçoit l’aide d’un conseiller de Bruno Retailleau. Pour LR, Villeneuve-Saint-Georges est une prise de guerre déterminante. Kristell Niasme est conseillère départementale depuis juin 2021 et le contrôle par LR du Val-de-Marne ne se joue qu’à quelques sièges. Christian Cambon, le sénateur du coin, a d’ailleurs été reçu avec d’autres élus par Bruno Retailleau au ministère de l’intérieur le 27 août.
Objet de tous les égards par la droite francilienne et LR, Niasme se montre à la hauteur des espoirs qu’on place en elle puisqu’elle décide de réintégrer la commune de Villeneuve-Saint-Georges, jusqu’alors affiliée à une régie publique de l’eau, au SEDIF (Syndicat des Eaux d’Ile-de-France), dirigé d’une poigne de fer par André Santini, maire de droite d’Issy-les-Moulineaux, et en contrat avec la multinationale Veolia.
L’ex-chef de la police municipale sous « l’emprise psychologique » de Niasme
L’ascension fulgurante de Kristell Niasme à Villeneuve-Saint-Georges ne s’est pas faite sans heurts. Nommée à l’origine première adjointe de Philippe Gaudin, elle s’est vite retournée contre le maire élu en 2020 et une partie de son équipe. L’air devient irrespirable, et la situation échappe à tout contrôle. Dans cette ville de 35 000 habitants, la plus pauvre du Val-de-Marne, les esprits s’échauffent vite entre pro et anti Niasme. Une guerre de tranchées.

Dans ce cadre, le maire est alerté sur plusieurs irrégularités qui concernent des proches de Niasme, notamment Augustin Dumas, alors chef de la police municipale à laquelle l’adjointe au maire s’intéresse alors de près et elle côtoie certains agents, parmi lesquels Chainez Sghair. Quatre policiers municipaux finissent par invoquer leur droit de retrait. J’ai pu consulter un document de la DRH de la ville de Villeneuve Saint-Georges, daté du 2 décembre 2021, qui détaille des pratiques professionnelles « inappropriées ou en contradiction avec celles prévues par les pouvoirs de Police Municipale ». Plusieurs irrégularités sont ainsi listées : « l’usage plus ou moins régulier de la bombe lacrymogène alors que son recours ne serait pas toujours nécessaire », « provocations verbales, violences physiques (gifles, insultes) », « course-poursuite de véhicule motorisé insistante qui sortirait du cadre légal permis sur ce type de situation (« rodéos ») », « des rapports d’intervention ou procès-verbaux comportant des inexactitudes (infractions ajoutées par exemple) », « volume d’interpellation et de procès-verbaux (témoignages allant jusqu’à 160 procès-verbaux par jour) ».
Quelques temps après, Augustin Dumas est menacé par le maire d’une sanction disciplinaire, notamment pour avoir eu « recours régulièrement à des provocations verbales, à l’usage de la force sans justification envers des usagers contrevenants plaçants [ses] agents dans des situations de vulnérabilité sur la voie publique », indique un courrier de la mairie du 7 mars 2022 qui lui est adressé et que j’ai pu consulter. À l’époque, ces faits ne sont nullement contestés par l’intéressé, comme l’atteste l’un de ses courriers datant du 10 mars 2022 adressé à Philippe Gaudin et contre-signé par ce dernier : « Je les reconnais pleinement, et je tiens à préciser qu’ils se sont produits dans un contexte personnel difficile, au cours duquel j’étais sous l’emprise psychologique de Mme Kristell Niasme ».
Pourtant, quand je contacte Augustin Dumas aujourd’hui, il conteste ces éléments et ose me parler d’un « faux document » — alors que Philippe Gaudin me confirme l’authenticité de ce courrier —, précise ne pas avoir reçu de sanction au final, et m’affirme : « L’enquête administrative s’est éteinte. Et je n’ai rien reconnu. J’ai démontré que l’ensemble des éléments étaient erronés, et j’ai informé que je porterai plainte pour diffamation dès réception du compte rendu [de l’enquête] qui ne m’a jamais été communiqué »1.
C’est que peu de temps après, Augustin Dumas, encarté LR, a été recruté comme agent de la police municipale de Champigny-sur-Marne, ville dont le maire Laurent Jeanne, soutien de Valérie Pécresse est aussi conseiller régional. Dumas en est désormais le chef, et s’est manifestement de nouveau rapproché de Kristell Niasme, qu’il qualifie « d’amie » sur son profil Facebook, et rencontre régulièrement Bruno Retailleau en tant que délégué national du syndicat Alliance dont il est référent pour la police municipale. On aperçoit également le policier municipal sur CNEWS.
Près d’une vingtaine de plaintes déposées entre 2021 et 2025
En 2022 et dans les années suivantes, les tensions se multiplient donc à Villeneuve-Saint-Georges dans l’équipe municipale. Kristell Niasme et son entourage sont l’objet de multiples plaintes et signalements auprès du parquet de Créteil au nom de l’article 40 – qui impose aux agents publics, dans l’exercice de leurs fonctions, l’obligation de signaler sans délai au procureur tout fait délictueux ou criminel dont ils ont connaissance. Le maire Philippe Gaudin procède ainsi à trois signalements, à l’encontre d’Augustin Dumas pour ses agissements à la police municipale, mais aussi contre deux collaborateurs de mairie, soutiens de Kristell Niasme, qu’il accuse d’occuper des « emplois fictifs ».
En parallèle, les collaborateurs de mairie, notamment l’ancienne directrice de communication et le directeur de la sécurité publique, des policiers municipaux, mais aussi des élus locaux multiplient les plaintes et les signalements contre Niasme et ses soutiens. Entre 2021 et 2025, c’est près d’une vingtaine de plaintes – souvent pour des faits graves – qui ont été déposées auprès du parquet de Créteil. Or, une majorité d’entre-elles sont classées sans suite (près d’une dizaine) ou ne donnent même pas lieu à des enquêtes.
« Un peu naïvement, je pensais que l’article 40 était suffisamment important pour qu’il soit instruit. Quand je me suis déplacé au tribunal de Créteil, c’est là que j’ai appris que mes articles 40 et mes plaintes avaient été classées sans suite », témoigne aujourd’hui Philippe Gaudin, dépité. L’homme n’est pas un professionnel de la politique : c’est un ancien instituteur et principal de collège à la retraite. Le 17 juin dernier, il a procédé à une première saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
Mais il n’est pas le seul. Quatre autres élus et citoyens de Villeneuve Saint-Georges (certains ayant soutenu le candidat UDI ou la liste divers gauche à la dernière élection), tous justiciables, ont procédé à des saisines du CSM au cours du printemps dernier. Ils s’étonnent du classement sans suite de leurs plaintes par le parquet de Créteil. Mais dans leurs saisines que j’ai pu consulter, d’autres éléments interrogent. En effet, tous font état de propos rapportés et de discussions tenues en public, et devant témoins, entre Kristell Niasme et Chainez Sghair, l’ancienne policière municipale devenue collaboratrice au cabinet de la maire de Villeneuve-Saint-Georges.
Un « éventuel relais d’information au tribunal de Créteil » ?
Thiaba Bruni, ancienne conseillère municipale, et candidate aux élections municipales, qui a déposé plainte en janvier 2025 en pleine campagne, explique dans sa saisine du CSM du 7 mai que j’ai pu consulter : « j’ai été amenée à déposer deux plaintes [pour des faits de harcèlement et d’achat de voix] qui ont été classées sans suite dans des conditions troublantes ». Et d’expliquer dans son témoignage apporté à l’instance judiciaire : « Quelques semaines après le dépôt de ces plaintes, j’ai été contacté par téléphone par Madame Amal, une proche de Kristell Niasme. Cette dernière cherchait à s’enquérir du sort réservé à ces deux procédures, s’interrogeant sur leur éventuel classement sans suite. J’ai alors exprimé ma surprise, n’ayant à ce moment-là reçu aucune information officielle de la part du tribunal. J’ai été d’autant plus étonnée d’apprendre que certains colistiers de Madame Niasme avaient déjà affirmé que cette dernière ne s’inquiétait nullement de ces poursuites, convaincue qu’elles seraient écartées ».
Face à ces éléments, Thiaba Bruni fait état de son inquiétude auprès du CSM en ces termes : « À ce jour, je reste perplexe face à la célérité avec laquelle ces deux dossiers ont été clôturés. Je nourris des interrogations quant à la rigueur des investigations menées dans ces affaires. Plus encore, je suis troublée par le fait que des informations relatives à la procédure aient été accessibles à Madame Niasme bien avant qu’elles ne me soient communiquées, alors même que je suis la principale concernée ». Et de s’interroger sur « l’éventuelle existence de relais d’information au sein du Tribunal judiciaire de Créteil au profit de Madame Niasme ».
Menace de mort et « arrangement avec M. Retailleau »
De son côté, Mohamed-Lamine Tlamsi, responsable d’un collectif citoyen à Villeneuve-Saint-Georges, a également saisi le CSM. Les faits rapportés par ce dernier sont particulièrement graves. Dans sa saisine, il assure ainsi que « dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2025, Kristell Niasme a tenu à mon encontre des propos à caractère homophobe. Les forces de l’ordre sont intervenues. Le lendemain, lors de mon dépôt de plainte, j’ai croisé Mme Niasme qui m’a menacé de mort par un geste mimant un égorgement au sein du commissariat ». Dans sa plainte, il précise davantage la scène qui se serait déroulée dans la salle d’attente du commissariat : « Elle ne m’a pas adressé la parole, mais elle m’a menacé de mort en me faisant le signe d’une personne égorgée avec sa main en me fixant du regard ».
Au CSM, Mohamed-Lamine Tlamsi poursuit son témoignage édifiant : « Quelques jours plus tôt, Mme Chainez Sghair, militante auprès de Kristell Niasme et directrice de campagne de la candidate LR, m’a interpellé publiquement sur le marché de Villeneuve-Saint-Georges. Lors de cet échange, elle a affirmé que Mme Kristell Niasme bénéficierait d’un arrangement avec M. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qui aurait permis la nomination de M. Stéphane Hardoin, alors procureur de la République de Créteil, à la tête de l’IGPN. Elle laissait entendre l’existence d’un trafic d’influence politique ayant un impact direct sur le fonctionnement de la justice pénale ». Et d’ajouter très justement : « Ces propos jettent un discrédit inacceptable sur un ancien haut magistrat ».
De fait, l’ancien procureur de la République de Créteil, Stéphane Hardoin, est nommé par Bruno Retailleau en février 2025 à la tête de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale), trois semaines après l’élection municipale partielle de Villeneuve Saint-Georges. Cette semaine, j’ai cherché à le joindre à de multiples reprises, à la fois en envoyant plusieurs mails, mais aussi en appelant son ancien secrétariat au parquet de Créteil, ou même en contactant le sénateur Christian Cambon qui le connaît bien, ou en interrogeant le SICOP (le service d’information et de communication de la police nationale). Stéphane Hardoin n’a pas donné suite à mes sollicitations. Le procureur de la République de Créteil a-t-il connaissance de ces pressions faites par l’équipe de Kristell Niasme en son nom ? Est-il instrumentalisé à son insu ? Au parquet de Créteil, j’ai également cherché à joindre Didier Allard, substitut du procureur et chargé, selon mes informations, du secteur où se site Villeneuve-Saint-Georges. Lui non plus n’a pas donné suite.

J’ai interrogé ces deux magistrats sur les classements sans suite de plaintes et de signalements au nom de l’article 40, mais également sur des rendez-vous qui auraient eu lieu en 2024 entre Kristell Niasme et Stéphane Hardoin, ou encore sur le fait que Chainez Sghair a été par le passé stagiaire auprès d’une procureur de tribunal de Créteil. Mes demandes de précisions sont restées sans suite.
« Ne t’inquiète pas, je m’en occupe – tu ne crains rien »
Reste que le témoignage de Mohamed-Lamine Tlamsi n’est pas isolé. Car deux autres saisines du CSM font état de propos allant dans le même sens. C’est le cas d’un soutien de Daniel Henry, candidat divers gauche, qui rapporte lui aussi dans son témoignage au CSM datant du 24 avril 2025 un autre échange « aux alentours de janvier 2025 » entre Niasme « et l’une de ses collaboratrices » : « Alors qu’une conversation avait lieu sur la voie publique concernant une décision judiciaire défavorable à cette collaboratrice, Kristell Niasme a tenu les propos suivants, de manière audible et devant personnes : “Ne t’inquiète pas, je m’en occupe - tu ne crains rien” ». Et le justiciable de s’interroger : « Je m’inquiète de la légèreté avec laquelle une candidate à une fonction publique a pu évoquer une forme d’immunité personnelle ou de capacité d’intervention dans un dossier judiciaire ». Le 24 avril 2025, un autre témoignage apporté au CSM rapporte un dialogue entre Kristell Niasme et une collaboratrice : « Au cours de cet échange, Madame Sghair a exprimé son inquiétude concernant ses affaires judiciaires. Madame Niasme l’a alors assurée en lui affirmant que toutes les dispositions nécessaires avaient été prises auprès du ministre de l’Intérieur ainsi que du procureur de Créteil ». Contacté, l’attachée de presse de Bruno Retailleau n’a pas donné suite à mes sollicitations.
« Toutes ces plaintes ont disparu » au tribunal de Créteil
De son côté, Philippe Gaudin, l’ancien maire de Villeneuve-Saint-Georges, compte bien être reçu à l’automne par le CSM, pour que des enquêtes soient ouvertes au sujet des faits qu’il a dénoncés par le passé : « sur l’ensemble des plaintes et articles 40, je constate que les dossiers déposés ou adressés par mail au Procureur n’ont pas eu de suite et le bureau d’ordre n’a pas été informé des signalements déposés. Toutefois les dossiers déposés directement au SAUJ [Service d'Accueil Unique du Justiciable] de Créteil sont enregistrés et suivis par le bureau d’ordre qui instruit le dossier ». Et de préciser : « On croyait bien faire en déposant ces plaintes au cabinet du procureur. Et finalement, elles n’aboutissent pas. Toutes ces plaintes ont disparu, le bureau d’ordre du tribunal que j’ai rencontré récemment ne les retrouve pas sur les ordinateurs, dans les fichiers. Je vais saisir le Conseil supérieur de la magistrature, c’est scandaleux ».
« Moi j’ai fait mon boulot avec les articles 40. Pourquoi le procureur n’a pas bougé ? », se demande Gaudin. Le parquet de Créteil est-il à ce point désorganisé que des plaintes et signalements d’un élu de la République disparaissent de ses archives ?
Philippe Gaudin est d’autant plus remonté que les deux signalements qu’il a déposés dès 2024 au tribunal de Créteil concernant Kristell Niasme, relatent des faits particulièrement graves. En janvier de cette année-là, il sollicite le parquet pour « inscription frauduleuse sur les listes électorales », « prise illégale d’intérêt » et « recel de bien social ».
En effet, Kristell Niasme habite depuis 2016 sur la commune de Yerres en Essonne. J’ai pu consulter son contrat de location ainsi que des documents faisant état d’impayés datant de 2019 et 2024. Pour se porter candidat à une élection municipale, l’inscription aux listes électorales suffit (être contribuable ou gérant d’une entreprise peut permettre cette inscription). Mais pour se présenter à élection départementale, le fait d’habiter dans le département est obligatoire. Or ce n’est qu’en octobre 2023 que Kristell Niasme a officiellement déclaré habiter dans le logement social qu’occupe ses parents sur la commune de Valenton, dans le Val-de-Marne, alors qu’elle est par ailleurs administratrice du bailleur social Valophis depuis octobre 2021. Et finalement, ce n’est qu’en mars 2024 que l’élue a acheté à Villeneuve Saint-Georges une place de parking à hauteur de 3500 euros pour pouvoir justifier de son inscription sur les listes électorales. Autre problème : les revenus cumulés de Kristell Niasme (déclarés devant la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) et ceux de ses parents dépassent largement les plafonds pour bénéficier d’un logement PLAI. Interrogé sur tous ces éléments, le maire LR de Valenton, Métin Yavuz, et par ailleurs président de Valophis m’a dit se renseigner auprès de son directeur général avant de me répondre… ce qu’il n’a toujours pas fait à cette heure.
Suspicion de corruption et de trafic d’influence
Un autre signalement effectué par Philippe Gaudin en juillet 2024 contre Kristell Niasme concerne des faits plus graves encore, puisqu’il s’agit de « trafic d’influence » et de « tentative de corruption passive ». Là encore, selon mes informations, ce signalement n’a abouti à aucune enquête avant que la municipalité de Villeneuve-Saint-Georges ne porte plainte le 24 janvier 2025. Aujourd’hui, le bureau d’ordre du tribunal de Créteil assure que ce dossier « est parti en enquête ». Dans cette plainte que j’ai pu consulter, il est fait état du témoignage du dirigeant de Yuman, une société de promotion immobilière de Romainville, qui atteste que, début 2021, celle qui était première adjointe au maire chargée des « grands projets » a tenté de monnayer la conclusion d’un marché public : « Mme Niasme aurait proposé d’accomplir un acte relevant de sa fonction moyennant la fourniture d’un avantage déterminé en ce qu’elle aurait proposé d’octroyer un marché public à Yuman, en échange du versement d’une somme comprise entre 30 000 et 50 000 euros alors qu’elle disposait des délégations de fonction et de signature dans le domaine des Grands Projets de la mairie de Villeneuve Saint-Georges », est-il notamment écrit dans cette plainte. Interrogée sur tous ces faits comme sur les témoignages produits auprès du CSM, Kristell Niasme n’a pas répondu à mes sollicitations2.
Au cours du printemps, la maire de Villeneuve-Saint-Georges n’a pas hésité à défendre sa plus fidèle collaboratrice, Chainez Sghair (aujourd’hui au cabinet de la maire), auprès de la justice. Déjà condamnée à de multiples reprises pour diffamation, cette dernière a été poursuivie pour « harcèlement » par David Demichel, l’ancien directeur de la sécurité publique de Villeneuve-Saint-Georges, coupable à ses yeux de continuer à soutenir le maire de l’époque, Philippe Gaudin. C’est que durant de nombreux mois entre 2021 et 2022, Chainez Sghair a utilisé des faux comptes sur Facebook pour mener campagne contre le maire mais aussi contre le directeur de la sécurité publique. C’est ainsi que Kristell Niasme a écrit un courrier officiel en tant que maire de Villeneuve-Saint-Georges à la 9e chambre du tribunal de Créteil huit jours avant l’audience pour tenter de peser sur la décision de justice, expliquant aux magistrats que « l’avenir de cette jeune femme, qui a toujours aspiré à devenir policière, est fortement lié aux décisions que vous serez amené à prendre ». Et de conclure : « sachant pouvoir compter sur votre capacité à prendre une décision éclaircie ». Ces pressions n’ont pas suffi. Le 28 avril dernier, si Kristell Niasme s’est déplacée au tribunal, Chainez Sghair a été condamnée à 5000 euros de dommages et intérêts, cinq ans d’inéligibilité, et cinq ans d’interdiction de fonction publique. L’intéressée a fait appel de la décision.
« J’ai décroché un poste pour le procureur »
Mais ce n’est pas la première fois que la nouvelle maire de Villeneuve-Saint-Georges tente d’influer sur une décision de justice. Quelques jours plus tôt, le 1er avril, devant la cour d’appel de Paris, Chainez Sghair est alors jugée une nouvelle fois pour la dégradation de véhicules personnels de policiers municipaux de Villeneuve-Saint-Georges à l’automne 2021, des faits dont elle a été reconnue coupable en première instance, écopant de six mois de prison avec sursis. Cette fois-ci, Kristell Niasme a déclaré à la barre : « Je souhaite que les agents travaillent dans l’apaisement, tout a été difficile, ce type de différent ne devrait pas se régler devant le tribunal ». Sur le compte-rendu de l’audience que j’ai pu consulter, il est par ailleurs inscrit ces propos particulièrement surprenants que Chainez Sghair a tenu à la barre : « J’ai passé plusieurs concours, j’ai décroché un poste pour le procureur, quand j’ai eu le concours de la police des transports, j’ai écrit au magistrat. Ma procureur avait consenti pour retirer les mentions au TAJ [Traitement d’antécédents judiciaires]. J’ai bifurqué dans une collectivité voisine juste après (…) Je prévois de passer le concours d’officier ». Contactée, elle n’a pas donné suite à mes sollicitations.
Les semaines précédentes, l’un des plaignants, le policier municipal Mickaël Vernon avait adressé un courrier à la présidente de la cour d’appel de Paris pour retirer ses poursuites en appel, suscitant l’incompréhension du parquet général. Résultat, le 6 mai, Chainez Sghair a été relaxée dans ce dossier. Cependant, selon mes informations, le parquet a ouvert une enquête pour une éventuelle subordination de témoin.
Les mois précédents, Chainez Sghair a travaillé à l’état major de la police nationale à Evry alors qu’elle était déjà sous le coup de plusieurs condamnations. Dans sa plainte du 31 décembre 2024, Mohamed-Lamine Tlamsi affirme : « Je précise que Chainez Sghair, qui est secrétaire départementale de la police nationale de l’Essonne, m’a affirmé qu’elle avait accès au fichier des traitements des antécédents judiciaires (…) Cette dernière m’a dit qu’elle aurait ma peau, qu’elle avait accès aux différents fichiers dans le but de porter atteinte aux candidats et notamment à ma personne ».
« Si je retournais dans sa ville, ils sauraient me retrouver »
Chainez Sghair n’est pas le seul soutien de Kristell Niasme à user de menaces. Dans une plainte déposée le 21 février 2025 au commissariat de Villeneuve -Saint-Georges, le militant Manuel Correia, soutien d’Éric Colson, candidat UDI lors de la dernière élection municipale, qui a envoyé un courrier au tribunal administratif de Melun pour faire annuler les élections pour des irrégularités électorales (un recours qui a finalement été rejeté), fait état d’ « actes d’intimidation » : « M. O.T. m’a de nouveau interpellé et m’a lancé sur un ton équivoque “faites attention à votre gorge, à ne pas attraper froid". Sur le moment je n'ai pas compris le sens de cette phrase car je portais mon écharpe et il se faisait tard. Mais sur le chemin du retour à mon domicile, j'ai réalisé la portée de ces propos, qui, dans ce contexte précis, sonnent comme une menace implicite et inquiétante. »
Et le 26 juin 2025, Abdallah Benbetka, adjoint au maire de Vitry, fait un nouveau signalement auprès du tribunal judiciaire de Créteil, au nom de l’article 40 et a déposé une plainte au commissariat de Vitry. Dans celle-ci, le conseiller territorial qui avait remis en cause la sortie prématurée de la régie publique de l’eau à laquelle adhérait Villeneuve-Saint-Georges depuis plusieurs années, fait état lui aussi de menaces de la part de l’équipe de Kristell Niasme : « M. H a ouvert les hostilités en me demandant en quoi je me mêle de ce qui se passe à Villeneuve-Saint-Georges. M. K. de son côté vociférait tout autant sous l’oeil amusé de Mme Niasme qui n’intervenait pas pour calmer ses deux élus. À un moment, M. H. s’est permis de me déclarer que j’étais une “sale race de pute” alors que M. K m’indiquait que si je retournais dans sa ville ils sauraient me retrouver ». Le maire de Vitry, Pierre Bell Boch se rapproche de son adjoint pour prendre sa défense : « C’est alors que Mme Niasme a rétorqué que moi-même je m’étais rendu coupable, selon ses dires, d’un crachat à l’égard de son adjointe dans sa ville et qu’elle comptait déposer un article 40 auprès du parquet contre moi (…) une pure invention de sa part qui relève de la calomnie et de la diffamation ».
Quatre jours plus tard, Philippe Gaudin, l’ancien maire de Villeneuve-Saint-Georges envoie une lettre à la ministre de l’Éducation Nationale, pour lui faire état du comportement de Monsieur H, directeur d’école sur la commune : « Je ne suis pas surpris du comportement de M. H. Ayant subi moi-même son comportement agressif et des menaces, lors de la campagne municipale partielle de Villeneuve. En effet, il a fait irruption dans mon bureau sans y être invité, il m’a demandé de retirer ma liste faute de quoi je m’exposerais à des menaces et des représailles sur moi et mes proches collaborateurs ».
Voilà comme se fait la politique à Villeneuve-Saint-Georges. « Kristell Niasme se croit au dessus des lois », déplore un habitant. Manifestement, l’élue modèle de Bruno Retailleau a une bien drôle conception de la justice. Est-elle encouragée dans cette voie? Les magistrats vont-ils s’en saisir ? La « France des honnêtes gens » disent-il…
Après avoir interrogé Augustin Dumas par SMS avant publication de mon article, il a tenu à me préciser après publication qu’aucun conseil de discipline n’avait finalement été organisé, et qu’il n’avait donc pas reçu de sanction. Éléments confirmés par différentes sources. J’ai donc corrigé mon article à ce sujet à 16h ce samedi 30 août.
Sur ce point précis, l’ancien maire Philippe Gaudin me précise qu’à l’époque il avait bien décidé de mettre à pied Augustin Dumas, mais qu’il n’avait finalement pas pris une telle décision, car M. Dumas avait finalement prévu de prendre un poste à la police municipale de Champigny-sur-Marne. Par contre, Augustin Dumas va jusqu’à m’affirmer aujourd’hui que les deux courriers que je cite dans l’article, dont celui de la mairie à propos d’une prochaine sanction disciplinaire datant du 7 mars 2022, « sont faux », ce que conteste formellement Philippe Gaudin.
J’ai tenté de joindre Kristell Niasme au téléphone, puis je lui ai laissé un long SMS détaillant les faits recueillis au cours de mon enquête : saisines du CSM dans lesquelles elle est citée comme sa collaboratrice Chainez Sghair, à propos d’un éventuel arrangement avec Bruno Retailleau et le parquet de Créteil, classements sans suite de plaintes à son encontre, mais également sur les irrégularités concernant ses déclarations de logement, ou les accusations de corruption et de trafic d’influence à son encontre à propos d’un programme immobilier. Suite à ce SMS, je n’ai pas eu de retour de sa part. Rappelons qu’aucune condamnation de ces accusations n’ayant, à ce stade, donné lieu à une condamnation judiciaire. Kristell Niasme est bien sûr présumée innocente.
22.08.2025 à 18:20
Législative partielle de Paris : Thierry Breton s'est proposé pour être le suppléant de Rachida Dati
Marc Endeweld
Texte intégral (979 mots)
Décidément, ça se bouscule pour la législative partielle dans la 2ème circonscription de Paris qui doit avoir lieu les 21 et 28 septembre. Fin juillet, la ministre de la Culture et maire du 7e arrondissement de la capitale, Rachida Dati, a annoncé sa candidature à cette élection, lançant les hostilités contre Michel Barnier, qui brigue le même poste de député et a obtenu l’investiture des LR.
Dès fin juillet, Dati a affirmé qu’elle serait candidate « quoi qu’il arrive », accusant Barnier de se présenter pour servir des « ambitions présidentielles ». En retour, ce dernier l’a invitée à ne « pas se tromper » d’élection, estimant qu’elle avait « une ambition légitime » pour la mairie de Paris en 2026.
Une vraie comédie, car de Barnier, Rachida Dati n’en a cure : « En fait, en se déclarant candidate à cette législative partielle, elle fait le forcing pour être adoubée pour les municipales par toute la droite parisienne, les macronistes, et les partisans d’Édouard Philippe. Et pour cela, elle doit débrancher en amont Pierre-Yves Bournazel et Francis Szpiner, qui souhaitent également se présenter aux municipales décrypte l’une de ses connaissances. Cette candidature avec cette législative, c’est donc du bluff. Elle veut avant tout la mairie et avec la nouvelle loi, elle l’aura. Et au passage, elle cornérise Barnier comme député ».
Mais en plus de Barnier et de Dati, une troisième personnalité s’intéresse à ce scrutin. Il s’agit de Thierry Breton, l’ancien commissaire européen, qui a proposé cet été ses services et son soutien à… Rachida Dati.
Le projet d’un attelage Dati-Breton
21.08.2025 à 00:17
Jean-François Bohnert, patron du PNF, prépare sa sortie
Marc Endeweld
Texte intégral (1003 mots)
Ce n’est pas encore la rentrée politique. Mais Gérald Darmanin, le garde des Sceaux, a déjà fait sa rentrée en se déplaçant hier à Nîmes, officiellement pour inaugurer une extension de la maison d’arrêt, mais aussi pour rencontrer les magistrats du tribunal judiciaire de la ville. « Il s’agit de la première visite d’un ministre de la Justice au tribunal de Nîmes depuis près de 20 ans », constate la presse locale qui souligne que ce voyage aurait dû avoir lieu la semaine dernière déjà. Il est vrai que les problématiques locales s’accumulent : guerre des gangs avec fusillades à la clé et règlement de comptes sordide, grand banditisme en lien avec le trafic de drogue international… Dans la rubrique des faits divers, l’actualité récente fut dense à Nîmes et dans le Gard.
Mais ce voyage nîmois a également attiré l’attention de la haute magistrature. Car Gérald Darmanin a profité de sa visite pour rencontrer Xavier Bonhomme, le procureur général près la cour d’appel de Nîmes, qui est aussi depuis décembre 2024 président du conseil d’administration de l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), l’agence nationale spécialisée dans les biens mal acquis et les saisies criminelles dans les affaires d’économie souterraine ou de blanchiment d’argent. Or, le nom de ce spécialiste des circuits financiers opaques a été cité ces dernières semaines au sein du ministère de la Justice comme pouvant être un éventuel successeur à Jean-François Bohnert à la tête du Parquet National Financier (PNF).
Le PNF au centre de toutes les attentions
14.08.2025 à 02:07
[fiction] « House of cards » version Macron
Marc Endeweld
Texte intégral (11660 mots)
À l’époque, la proposition m’avait été faite par le directeur de la rédaction de La Tribune, Philippe Mabille, un pilier du quotidien économique et un journaliste qui aime autant la petite que la grande histoire : « ça t’intéresserait de faire une fiction d’été sur les débuts de Macron à l’Élysée ? ».
J’avais eu alors carte blanche pour raconter les premiers pas d’Emmanuel Macron rue du faubourg Saint-Honoré comme président, sur le mode de la fiction, à la manière des séries d’été de la grande époque des Échos qui adoraient proposer lors de la pause estivale, loin de l’actualité parisienne, ce genre de récit à ses lecteurs sur les coulisses du pouvoir politique et économique. Des vraies-fausses fictions, où s’entremêlaient vérités et situations vraissemblales, et où toutes les outrances de situation étaient permises, avec un seul but : amener finalement les lecteurs à toucher un peu plus du doigt la réalité d’une époque ou le fonctionnement indicible des coulisses, parfois « inatteignable » par un article de presse classique.
Par cet exercice, on touche du doigt les limites du journalisme, et notamment du « journalisme à la française », trop souvent légitimiste à l’égard des institutions politiques et oubliant un peu trop vite son rôle de contre-pouvoir. En télévision, le succès des séries américaines (ou étrangères) sur les coulissses des pouvoirs, politiques et économiques, et sur ce que les historiens appellent l’histoire immédiate, démontre en creux une attente du public, et notamment du public français, d’aller au-delà de la communication politique et des sacro-saints éléments de langage. On pense bien sûr aux classiques du genre comme The West Wing, House of Cards, Borgen, mais aussi, dans une version plus grand public, Scandal, qui a été inspirée par Judy Smith, une pro de la communication, qui a travaillé comme conseillère du président George H. W. Bushn sans oublier, bien sûr, l’indépassable The Wire, écrite par le journaliste David Simon et dont le sujet porte sur sa ville de Baltimore.
Sur des terrains plus sensibles d’ailleurs, comme celui de la grande criminalité internationale ou du renseignement, on peut penser à Gomorra, Narcos, The Americans, ou plus récemment, à Black Doves ou à La Diplomate, là encore les scénaristes américains ont réussi ces dernières années à ringardiser encore un peu plus la presse (mais aussi le cinéma classique, mais c’est un autre sujet), dans la mission de « donner à voir » au public, de jouer les petites souris de la démocratie. Mais même Hollywood s’est fait prendre à son propre piège : car dans l’ère de la post vérité et de la post covid, la réalité dépasse souvent la fiction.
Je vous propose donc aujourd’hui de relire ma « fiction d’été » écrite en 2020, car sur bien des aspects, il me semble qu’elle n’a pas si mal vieilli, au regard de la situation de la France et de son histoire politique récente. À travers cet exercice, j’avais rassemblé de nombreuses informations, voire quelques révélations recoupées, tout en profitant du mode fictionnel, pour inventer certaines mises en scène, ou au contraire relater certains coulisses tout à fait véritables. À vous de décrypter ce qui est de l’ordre de la fiction ou au contraire ce qui est de l’ordre des coulisses rapportés. Du côté de La Tribune, pour laquelle j’écrivais une chronique hebdomadaire et des enquêtes, Mabille avait alors respecté sa carte blanche, en publiant tel quel mon récit. Quelques mois après, à l’occasion d’un échange SMS avec Edwy Plenel, un des personnages qui apparaît dans mon récit, ce dernier m’avait remercié, sous forme de clin d’œil, de l’avoir cité…
Épisode 1 : Darmanin, ou la malédiction de l'Intérieur
À Lyon, de retour chez lui, Gérard Collomb n'arrête pas de ruminer et de se repasser le film du quinquennat. Il jette un oeil à ses cartons tout juste déménagés de la mairie après sa cuisante défaite aux Municipales face aux Verts. Dedans, quelques archives, des photos de lui durant la dernière présidentielle. Il soupire. Le vieux lion est amer. Fatigué, aussi. En 2017, il avait jeté toutes ses forces dans la bataille, au point de se retrouver quelques jours à hôpital après l'élection, pour cause de surmenage. Un an et demi plus tard, l'affaire Benalla éclate en plein été. À l'époque, il « règne » sur la place Beauvau, le ministère de l'Intérieur, enfin le croit-il. Il a surtout l'impression de se faire balader par l'Elysée et son cher ami « Manu ». Jamais, il n'aura d'explication franche de la part de son ancien champion à propos de ce jeune chargé de mission inconnu qui va provoquer une déflagration dans toute la République et semer le doute sur le pouvoir. Il se souvient encore des mots du président de la République qui a encore voulu le retenir en octobre 2018 quand il a annoncé son départ dans la presse : « Je t'ai sauvé la vie, c'est Philippe qui voulait te virer au moment de l'affaire Benalla ! »
Mais le charme est rompu. Gérard n'a plus confiance en son ancien poulain, il claque la porte d'une « maison » qu'il n'a jamais comprise. Quelques jours plus tard, il échange à son sujet avec son ami Bayrou : « Mais tu te rends compte François ? Comment-a-t-il pu me faire ça ? Il m'a demandé de démissionner, pour me faire porter le chapeau de ce Benalla ! » À l'autre bout du fil, le béarnais, toujours exilé à Pau, et mis en examen, compatit : « Oui, Gérard, je sais, il me l'a fait à l'envers à moi aussi. C'est un psychopathe. Et puis, tu as vu toute cette mafia sarkozyste autour de lui, c'est quoi ce délire ? Comment l'expliques-tu ? Je n'avais pas "acheté" cela en 2017. On s'est bien fait avoir ». Collomb a du mal à recoller les morceaux. Il sait que Nicolas Sarkozy poussait depuis le printemps 2018 Emmanuel Macron à le remplacer par Gérald Darmanin avec Frédéric Péchenard comme secrétaire d'Etat. Autant le grand flic sarkozyste a son respect, autant il considère le maire de Tourcoing comme un opportuniste, un "petit" Sarkozy. Collomb sait que cette option a pourtant longtemps tenu la corde à l'Elysée. À l'époque, il lui arrivait souvent d'appeler son vieil ami Michel Charasse, qui avait alors l'écoute du président de la République. « Michel, tu y comprends quelque chose, toi ? »
Bien sûr, que Michel comprend. L'ancien ministre de Mitterrand connaît sa Sarkozie sur le bout des doigts. Depuis la cohabitation avec Balladur, il s'est rapproché du ban et de l'arrière ban des réseaux sarkozystes de Beauvau. Il connaît les petits arrangements, les combines des uns et des autres. Il est devenu un spécialiste des complots, petits et grands, de la République. Alors, la perspective de voir Darmanin débarquer à l'intérieur, il préfère en sourire. Quand Gérard lui raconte que Macron lui a confié deux jours après l'article du Monde sur Benalla que tout cela n'était qu'un complot sarkozyste, il ne peut s'empêcher de partir dans un grand éclat de rires. « Gégé », comme l'appelle Brigitte Macron, ne comprend toujours pas : « Tu sais ce qu'Emmanuel m'a dit deux jours après l'article ? En réunion de crise ? Que tout cela n'était qu'un coup de Bernard Squarcini, l'ancien patron de la DCRI ! »
Le « squale », comme il est surnommé par le tout Paris, s'amuse également de l'anecdote. Comme le dit son ancien ami Sarko, « de la mauvaise pub, c'est toujours de la pub ». Justement, dans l'entourage de Sarkozy, on s'impatiente. Le tir de barrage mené par Bayrou auprès de Macron contre la candidature Darmanin à l'Intérieur n'a pas été apprécié. L'ancien président pourtant, reste étonnamment calme, serein. « Tout cela va mal finir. Ne bougez pas, pour l'instant », explique-t-il à ses affidés. L'ancien président rumine sa revanche contre François Hollande. Il ne cesse de pester contre la justice, les juges rouges, le Parquet National Financier ! Les premiers ennuis d'Emmanuel Macron ne sont pas pour lui déplaire, il peut ainsi distiller ses conseils auprès de l'intéressé, qui ne manque jamais de l'écouter, consciencieusement, comme l'élève qu'il était à Henri IV : toujours donner l'impression d'écouter l'autre, le mettre en valeur, le flatter. Macron sait comment gérer Sarkozy. Enfin, le croit-il. Les deux fauves se jaugent, se tournent autour...
Il aura donc fallu attendre près de deux ans pour que Darmanin accède enfin à Beauvau. Dès le lundi soir de sa nomination, il n'attend pas une seconde pour appeler son prédécesseur : « Comment tu vas Casta ? Pas trop dur ? ». Castaner bafouille. Lui, comme Collomb, n'a pas le moral. « J'ai tout donné à Emmanuel, et il me vire comme un malpropre », rumine-t-il. « Tu vas voir Casta, les flics, je vais fissa les mettre dans le droit de chemin. Ils ont besoin d'un chef. Je te le dis, tu étais trop sympa avec eux. Et puis, tu vas voir, les rouges, les anars, je vais les casser, ils vont avoir peur de moi ». Castaner encaisse. En même temps, il n'est pas mécontent de quitter le navire au moment où il semble de plus en plus tanguer vers la droite. Il se dit que les vacances pour lui tombent à pic. Il va pouvoir se remettre à s'amuser avec ses amis, loin des caméras, reprendre son vieux scooter sur la Côte d'Azur. Il a quand même une dernier corvée à finir. Alors qu'il commençait à rêvasser à la suite, la voix cassante du nouveau patron des lieux le réveille : « Allo Casta ? T'est toujours là ? Hein, alors, on est d'accord, j'arrive ce soir à Beauvau, et t'assures la passation de pouvoir, avec tout le tralala ? Ok ? ».
En se dirigeant vers la place Beauvau, Darmanin reçoit un coup de téléphone de Nicolas Sarkozy en personne : « Ah mon Gérald, je tenais à vous féliciter pour votre nomination. On va pouvoir travailler ensemble pour le bien de la France. Il y a tellement de choses à faire. Mais la partie va être difficile, même si on a Castex dans la place. Je compte sur vous. En tout cas, félicitations ». Darmanin ressent une joie intense dans tout son corps, comme s'il avait gagné une course. Il a coiffé au poteau tous les prétendants, mis de côté les récriminations du père Bayrou, qui pestait déjà contre les sarkozystes auprès d'Emmanuel Macron. Mais, surtout, il a pu parler droit dans les yeux avec le président de la République. Première fois qu'il passe autant de temps avec lui.... « Cher Gerald, je te le dis, d'homme à homme, aie confiance dans la justice de ce pays, et ce pays te soutiendra », lui lance d'une manière sibylline le chef de l'Etat lors de leur rencontre. Façon Mitterrand.
Ah, cette fameuse justice ! Elle qui le pourchasse depuis le début du quinquennat pour ce qu'il appelle, auprès de ses proches, ses « écarts de jeune homme ». Alors, forcément, le dernier coup de fil avant son arrivée lui fait l'effet d'une douche froide : « Allo monsieur le ministre, c'est le Premier ministre à l'appareil. Je voulais vous prévenir : d'un commun accord avec le président, on a décidé de nommer auprès de vous comme directeur de cabinet l'actuel coordonnateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre Bousquet de Florian. Je pense que c'est la meilleure solution. C'est un homme d'expérience. Il connaît bien la maison ». Silence du côté de Darmanin : il a beau être un jeune, il sait que Bousquet, ex patron de la DST sous Chirac, déteste de près ou de loin tout ce qui ressemble à la Sarkozie. Cela date de l'affaire Clearstream 2, et de son éviction par Bernard Squarcini. Pourtant, les choses ne sont pas encore faites.
À l'Elysée, Emmanuel Macron rencontre au même moment celui qu'il avait nommé en 2017 et qui n'a pas du tout envie de reprendre du service à l'Intérieur, pas à son âge : « Monsieur le président, cette proposition m'honore, mais j'ai également peur de vous laisser seul avec certaines personnes de votre entourage... » Ce à quoi le chef de l'Etat répond, martial : « Je vous arrête, Pierre. Prenez le comme un ordre. Et puis, j'ai besoin de vous, pour la suite ». Décidément, le chemin risque d'être long jusqu'en 2022. Mais pour Jupiter, le temps presse. En regardant Bousquet s'éloigner de son bureau, le président repense à ce blanc bec de Darmanin : « Au premier écart, je lui balance une balle dans la tête, se dit-il. Comme tous les autres, il sera mort avant de pouvoir s'envoler... » Pas sûr que les manifestations de féministes contre le ministre de l'Intérieur ne lui déplaisent vraiment. Le piège peut se refermer.
Épisode 2 : Brigitte et le «gang» des femmes
Ce soir-là, Roselyne Bachelot dîne avec la Première Dame à l'Atelier Éphémère, un petit restaurant du Touquet, situé à deux pas de la plage, rue Saint-Jean, à une centaine de mètres de la maison des Macron. Les deux femmes ne se connaissent pas très bien, mais ces deux-là s'entendent déjà à merveille. Et toutes les deux ne sont pas mécontentes de leur petit effet avec le remaniement. « Tu as vu ce que j'ai dit sur France Info ? Je leur ai répété que je ne me mêlais surtout pas de politique, et que je ne me sentais pas Première Dame... » Bachelot ne peut réprimer un petit rire nerveux : « Oui, c'est un peu comme moi qui avait dit que je ne reviendrai jamais en politique ! », lance spontanément l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. Brigitte Macron esquisse alors un sourire complice.
Les deux femmes s'étaient déjà croisées lors d'un vernissage de peintures, réalisées par le compagnon de l'un des collaborateurs de Brigitte. Paris est un village, et tout le monde se connaît. Un peu comme au Touquet. Des échos dans la presse ont rapporté que l'autre surprise du nouveau gouvernement, le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, s'était laissé convaincre par Brigitte Macron d'entrer au gouvernement. Après le ministre Jean-Michel Blanquer, « l'épouse du chef de l'Etat » telle qu'elle souhaite désormais être présentée, peut donc compter sur un nouvel allié au coeur du pouvoir. En réalité, Dupond-Moretti, au carnet d'adresses bien fourni, fut l'avocat de l'une de ses connaissances, la productrice Yamina Benguigui, par ailleurs meilleure amie de son plus proche confident, l'ancien animateur télé Bernard Montiel.
Une histoire de famille donc. « J'aime beaucoup sa femme Isabelle par ailleurs », ajoute-t-elle. Bachelot n'est pas dépaysée. Depuis qu'elle traîne sur les plateaux télé comme chroniqueuse, le show-biz, ça la connaît. « C'est vrai, elle est très gentille, mais je préfère quand même l'Opéra ! » s'exclame l'ancienne ministre de la Santé. « Bon, tu sais, on me présente comme la véritable ministre de la Culture, mais je veillerai à te soutenir dans tout ce que tu entreprendras », tient tout de même à dire Brigitte Macron, entre le fromage et le dessert. « Naturellement, je ferai attention à Stéphane, il est tellement engagé dans sa mission sur le patrimoine », répond opportunément Bachelot. On ne perd pas ses réflexes politiques.
« Comment vois-tu 2022 ? » demande alors Brigitte Macron à Roselyne Bachelot. « À l'heure actuelle, je pense que l'actuel président a toutes ses chances. Qui lui arrive à la cheville ? Sarkozy ? Il a ses ennuis avec la justice. Hidalgo ? Dati ? Ce n'est pas sérieux... », tranche immédiatement la ministre, tentant de montrer un maximum de loyauté à l'égard de son nouveau patron. Pas question de laisser poindre la moindre ambiguïté à ce sujet. Bachelot sait qu'en politique le choc des égos peut créer des étincelles. La Première Dame se laisse alors aux confidences : « Franchement, je ne sais pas s'il en a envie. Tellement d'énergie dépensée, et si peu de retours positifs. C'est vraiment un métier ingrat. Regarde le dernier plan européen, les médias expliquent qu'on doit tout à Angela Merkel ! C'est tellement injuste pour Emmanuel. Tout le monde a déjà oublié son discours de la Sorbonne. Et puis, je ne sais pas si c'est une bonne idée de se lancer de nouveau dans l'aventure de la présidentielle. Déjà que je n'ai pas aimé la précédente campagne... » Bachelot n'est pourtant pas dupe. Le coup du « attrapez-moi, ou je fais un malheur », elle le connaît par coeur : « Moi je pense que ton mari a la politique dans le sang. C'est un gagnant, ça se voit, c'est pour ça que je l'ai rejoint. De ce point de vue, il ressemble à Nicolas (Sarkozy), c'est un vrai animal politique et moi j'aime ça », conclut provisoirement la ministre.
Brigitte Macron embraye sur l'équipe de son président de mari : « Sa principale faiblesse, jusqu'à présent, ça a été son équipe. Pas assez solide, pas assez loyale, et puis tous ces "technos" arrogants autour de lui, qui l'empêchent toujours d'avancer dans ses projets, et qui ne sont pas en contact avec le pays », soupire-t-elle. Dans ce domaine, le départ d'Edouard Philippe n'est pas pour lui déplaire. Loin de là. Cela faisait des mois qu'elle alertait Emmanuel du double jeu de son Premier ministre. Dans son viseur également, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, coupable à ses yeux d'avoir trop joué en faveur de Matignon, et de son ancien directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas. « Très tôt, il s'est comporté comme le président bis, mais ce n'est pas son rôle ! » s'emporte-t-elle. A l'Elysée, le secrétaire général est aujourd'hui bien seul. De l'équipe originelle de 2017, il ne reste pratiquement plus que lui. « Au moins, moi, je sais rendre fidèle mes collaborateurs ! » ironise alors Brigitte Macron. Elle pense alors à ses chers Pierre-Olivier (Costa), Tristan (Bromet), et puis à Bruno (Roger-Petit), le conseiller mémoire de l'Elysée, dont son bureau jouxte les siens. « Ce sont mes mousquetaires. Ils m'ont toujours protégé », ajoute-elle.
Brigitte Macron s'enquiert alors de la santé de Bernadette Chirac. Ces dernières semaines, on l'a dit souffrante. Roselyne Bachelot n'a pas plus de détails. Alors qu'elle a récupéré la présidence de l'opération pièces jaunes, la Première Dame n'a que peu de nouvelles en dehors de celles que lui donne son amie Line Renaud. Car le clan autour de Claude Chirac, la fille adorée de l'ancien président, préfère mettre les Macron à distance. Déjà, lors des obsèques de Jacques Chirac à l'automne dernier, sa fille, habile communicante, avait mis à distance l'Elysée, malgré l'envie d'Emmanuel Macron de s'emparer de « l'événement ». La gardienne du temple avait imposé une cérémonie intime. Ce jour-là, le chef de l'Etat n'a prononcé aucun discours. Son nom ne fut même pas évoqué dans le communiqué de l'archevêché pour annoncer la cérémonie solennelle à Saint-Sulpice. Et surtout, crime de lèse-majesté, il n'a eu le droit à aucune image avec la famille. Durant quelques heures, le virevoltant Macron est apparu comme un président effacé. « Le jour des obsèques, j'ai compris pourquoi il ne pouvait pas gagner en 2022 », confie alors Jean-Louis Borloo, à l'un de ses amis. « Il ne faut jamais sous-estimer les femmes en politique ».
Épisode 3 : La République des initiés
Quelque part du côté de l'avenue d'Iéna, dans le « triangle d'or » parisien, entre la Seine et les Champs-Elysées, Alex tourne en rond dans le grand appartement qu'un de ses amis lui a prêté depuis qu'il est sorti de prison. Sa libération, il l'attendait depuis plusieurs semaines, et elle est intervenue, comme par ironie, un jour avant le confinement national décidé par le président Macron. Le 16 mars, l'intermédiaire Alexandre Djouhri, mis en examen dans le dossier du financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, fut ainsi libéré de la prison de Fresnes, pour raisons médicales. La nouvelle passa quasiment inaperçue au moment même où le pays tout entier sombrait sous l'épidémie de Covid-19. Les exégètes des coulisses parisiens se perdirent pourtant en conjectures.
Depuis, « Monsieur Alexandre » prend son mal en patience. Pour occuper son temps, il ne loupe aucune miette des dernières actualités politiques... « On l'a sauvé ! Son quinquennat était foutu, il n'avait plus rien à dire... », expose ainsi Alex à l'un de ses amis. La personne au centre de son attention ? Emmanuel Macron, bien sûr. C'est du reste ce que les sarkozystes du premier cercle aiment se dire depuis le dernier remaniement. Le policé Camille Pascal, ancienne plume de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, et ancien directeur de cabinet de Dominique Baudis au CSA, s'amuse de la situation, en envoyant le SMS suivant à son ancien patron : « Vous êtes revenu ? » De son côté, Alex est doublement satisfait, car son ancien avocat, maître Dupond-Moretti n'est autre que le nouveau garde des Sceaux. Il n'a pas essayé de le joindre bien sûr, il sait qu'il ne le prendra plus au téléphone. Comme l'ami Jean-Louis (Borloo) aime à le dire : « Toute la République a été mise sur écoutes par le PNF ! » Les masques sont tombés depuis les révélations du Point, mais cela faisait des années que l'ancien ministre de l'Écologie de Nicolas Sarkozy pestait contre ce qu'il considérait comme « le cabinet noir de François Hollande ».
Homme de gauche, de « sang mêlé », Dupond-Moretti, surnommé « Acquittator », n'est pas loin de penser la même chose. Les magistrats le craignent. L'un d'eux a d'ailleurs préféré raccrocher les crampons. Procureur en Guadeloupe, Jean-Luc Lennon fut par le passé en poste à Bastia, et avant encore, il fut un ancien flic dans les Hauts-de-Seine... De quoi former un magistrat chevronné. De quoi aussi lui apporter la « carte mentale » lui permettant de s'y retrouver dans ces entrelacs de relations qui forment notre République des initiés. Lui, comme d'autres, savent très bien comme interpréter les récentes promotions gouvernementales. Comme on dit, plus c'est gros, plus ça passe. C'est que maître Dupond-Moretti entretient notamment des liens d'amitié avec Thierry Herzog, l'avocat et ami de Nicolas Sarkozy. « Thierry est un fan de chanson française, il connaît Serge Lama par coeur », dit de lui son ami Eric. Ces derniers mois, Dupond-Moretti s'était également rapproché de Brigitte Macron. L'avocat a d'ailleurs eu comme cliente l'une de ses connaissances, la productrice Yamina Benguigui.
Dupond-Moretti, mais également Darmanin à l'Intérieur. Nicolas Sarkozy ne cesse de se réjouir de ces dernières nominations. Il revient de loin pourtant. À l'automne 2016, l'ancien président perdait les primaires de la droite. « Si j'avais gagné, jamais Macron n'aurait été élu. Mais, en 2022, ça ne va pas être le même scénario », se rassure-t-il. Sarkozy ne peut supporter de s'être fait griller la politesse par un jeune banquier de chez Rothschild. Mais il préfère jouer fair-play : « Il fait de son mieux. Les dernières nominations vont dans le bon sens », explique-t-il aux journalistes.
À l'automne 2016, pourtant, comme Alex aujourd'hui, Nicolas comptait ses amis. À l'époque, même certains de ses proches avaient tourné casaque. En septembre de cette année-là, le magazine Valeurs Actuelles l'avait invité à rencontrer plusieurs centaines de lecteurs dans le très chic Pavillon Royal, niché au coeur du bois de Boulogne. Sarkozy est alors d'une humeur de chien. Dans la loge, l'ambiance est glaciale. Dès les premières minutes, il fait mine de ne pas vouloir monter sur scène. Finalement, malgré quelques minutes de retard, il se lance devant les 500 participants au dîner. Après avoir fait son show durant plus d'une bonne heure, et avoir répondu aux dernières questions, Nicolas Sarkozy se lève pour dire au revoir, et reprend d'un coup le micro : « Je vous remercie, surtout je ne veux pas que vous pensiez que je suis un homme seul, je suis venu avec des amis politiques fidèles... J'ai des alliés. J'ai des collaborateurs... Véronique Waché, Sébastien Proto... Et il y a les amis. » Il se tourne vers Yves de Kerdrel, alors directeur général de Valeurs Actuelles : « Tu es un ami ». Puis s'oriente vers Camille Pascal, attablé dans l'assistance : « Et vous avez un ami que vous connaissez, lisez toutes les semaines... » Il demande à l'intéressé de se lever. Et conclut : « Ce message s'adressait bien à ceux auxquels il était destiné ».
À l'automne 2016, les co-actionnaires de VA, Charles Villeneuve comme Etienne Mougeotte, soutenaient Alain Juppé. Cinq ans plus tôt, alors que Nicolas Sarkozy était encore à l'Elysée, les deux compères avaient participé aux réunions du « groupe Fourtou », du nom du grand patron de Vivendi qui avait réuni communicants, chefs d'entreprises et autres « influenceurs » pour aider le président d'alors à se faire réélire. Parmi les participants du groupe Fourtou, on trouvait alors un certain Sylvain Fort, qui deviendra plus tard la plume d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Comme quoi, les transfuges sont toujours utiles en politique.... Et aujourd'hui, avec certains de ses proches au coeur même du pouvoir, Sarkozy compte bien en profiter : « Il est comme requinqué. Macron a du souci à se faire », observe un de ses proches. D'ailleurs, Sarko appelle constamment son ami le publicitaire Jacques Séguéla qui a inventé le slogan « Si c'est le chaos, c'est Sarko ». « T'as vu Jacques, j'ai repris ton idée pour mon dernier livre. Je l'ai appelé "Le temps des tempêtes". Je voulais vraiment te remercier, car je crois que j'ai retrouvé mon modjo. Et tu as raison, Macron n'est pas du tout à la hauteur ».
Épisode 4 : Nettoyage d’été à LREM
« C'est un peu un cul de sac, ce parti ! », lance un ancien d'En Marche en ce début d'été. À la rue Saint-Anne, où est situé le siège de LREM, la seule sortie de secours donne d'ailleurs sur l'entrée principale : il n'est pas possible de s'enfuir autrement... À « En Marche », ils sont pourtant nombreux à vouloir quitter le navire. À l'Assemblée, les réunions et autres déjeuners se transforment vite en bureaux des pleurs. Après la bérézina des municipales, les « marcheurs » ont vraiment le moral en berne. Le patron du mouvement, Stanislas Guerini, a décidé de se mettre en stand by : « on a vraiment l'impression que l'Elysée s'en fout royalement », expose-t-il à des amis. À l'Elysée, Alexis Kohler savoure : le secrétaire général n'a jamais été un chaud partisan de la sauvegarde d'un parti présidentiel. Son opinion était faite dès 2017. Le président lui-même ne croit plus qu'En Marche peut lui servir à quelque chose. « J'ai comme l'impression que Macron leur dit : les gars, continuez à foncer droit dans le mur... » se marre un ex-macroniste.
Alors ce matin, ça ne va décidément pas fort rue Saint-Anne. Sibeth Ndiaye vient pourtant d'arriver pour la première réunion de la « Commission nationale des talents » dont elle fait désormais partie. Sa mission est donc de trouver de nouveaux talents pour renflouer les forces vives d'En Marche. C'est pourtant loin de ses préoccupations actuelles. « J'ai déjeuné il y a quelques jours avec Cédric, il n'en pouvait plus d'attendre, c'est totalement inhumain ce que l'Elysée a fait subir aux secrétaires d'Etat ! », lance-t-elle, encore en mode post-trauma. À l'autre bout de la table, l'un des pontes de LREM, Jean-Marc Borello, patron du groupe SOS, et ami du couple présidentiel, la regarde avec amusement. Lui qui a commencé la politique au cabinet de Gaston Defferre à Marseille au début des années 1980, en a vu d'autre. « C'est la Vème République ma chère Sibeth », répond-il, un brin goguenard.
La frustration de Sibeth Ndiaye est pourtant ressentie par nombre de ses anciens collègues de la « bande de la Planche ». Ceux que l'on présentait comme les plus fidèles d'Emmanuel Macron se retrouvent bien esseulés depuis quelques mois. Leur « chef », Ismaël Emelien, est parti de l'Elysée début 2019. Et leur champion de substitution, Benjamin Griveaux, qui devait ravir la mairie de Paris, s'est retrouvé éjecté de l'arène parisienne après l'épisode peu glorieux de sa porn video dévoilée sur Internet. « Emmanuel n'est plus le même », raconte Sibeth à un ancien conseiller d'Arnaud Montebourg, qui opine : « On dirait qu'il s'est fait gouroutiser par Patrick Buisson comme durant la seconde partie du mandat Sarkozy ». Sibeth et son ancien camarade s'étaient retrouvés l'été dernier lors d'un week-end organisé par l'ancien ministre du Redressement productif qui s'était amusé à rassembler ses anciens collaborateurs. Sibeth, devenue Porte-parole du gouvernement, avait passé une tête au cours de ce week-end champêtre. Le temps de faire une photo avec Arnaud... et de se rappeler les bons souvenir du quinquennat Hollande, quand le PS existait encore, vraiment.
Sibeth a le vague à l'âme. Comme tous les bébés de la Planche, elle comme Emelien se cherchent un nouveau patron. Via une boucle Telegram, chacun y est d'ailleurs allé de son commentaire quand, en cours de confinement, leur ancien mentor Dominique Strauss-Kahn a publié un long texte sur l'épidémie de Covid-19 et ses conséquences économiques. « Quel souffle ! ». « Dominique est vraiment un grand homme ». « Lui a une stratégie, une vision ». « Et puis, il est crédible ». Ces derniers jours, le clan de la Planche s'est également amusé de voir que l'ex-socialiste Didier Guillaume s'est fait sortir du gouvernement alors qu'il avait accepté de renoncer à concourir aux municipales à Biarritz. « Encore un qui s'est fait avoir par le patron... », soupire un. « Vous vous rendez compte, Brigitte aura eu raison de nous ! » s'emporte un autre. Quand Telegram devient une thérapie de groupe... Pourtant, quand le président Macron leur envoie encore un message par ce même canal, tous répondent au garde à vous. « Comment tu vois les choses Ismaël ? ». « Tu peux me faire un mémo d'ici lundi ? ». « Faites-moi vos propositions ». Comme l'illusion de peser encore. Mais au fond d'eux, tous savent que le quinquennat n'est déjà plus le leur.
D'autres y croient encore. Leurs rivaux historiques dans la macronie, les jeunes de la « bande de Poitiers », ces anciens du MJS canal Cambadélis. À leur tête, l'ancien conseiller politique d'Emmanuel Macron à l'Elysée, Stéphane Séjourné, mais également les députés Pierre Pierson et Sacha Houlié. Quelques jours avant le remaniement, ceux-là espéraient encore pouvoir mettre la main sur En Marche. Ils multipliaient les réunions pour peaufiner leur OPA, se répartissaient déjà les postes, imaginaient encore un tournant social au quinquennat. Et puis, rien. Leur opération échoua avant même d'être lancée. À l'Elysée, un allié s'en est allé, le conseiller spécial Philippe Grangeon, annoncé sur le départ depuis de nombreux mois. Leur ancien camarade Aurélien Taché, qui a préféré partir d'En Marche avec quelques autres pour fonder un nouveau groupe à l'Assemblée, dénommé « écologie, démocratie, et solidarité », n'a pourtant cessé de leur répéter : « Je vous avais prévenu, il n'y a plus rien à attendre d'En Marche ». C'est l'avis du reste d'un autre député, l'entrepreneur lyonnais Bruno Bonnell qui avait rêvé, au tout début du quinquennat, de diriger ce nouveau parti mouvement. Depuis, lui comme d'autres tentent de tracer leur route sans se préoccuper du président. L'heure du grand déballage n'est pourtant pas encore venu.
Épisode 5 : L’Elysée entre chiens et loups
Ce soir d'août, c'est la fête à l'Elysée. Le couple Macron a invité les principaux ministres du gouvernement, mais également certains de ses plus fidèles soutiens. Après la période de l'épidémie de Covid-19, l'heure est à la détente auprès du chef de l'Etat. Le carton d'invitation indique 20h30. Les premiers invités arrivent par grappes, remontant la cour d'honneur, traversant ensuite les salons pour rejoindre le jardin. C'est sur la pelouse que les tables ont été dressées, des flambeaux ont été disposés un peu partout autour. Quand on s'éloigne des tables, les visages sont plongés dans une demi-obscurité d'été. Le président reste debout sur les marches qui amènent au jardin. À ses côtés, se tient Olivier Dussopt, cet ancien socialiste venu de l'Ardèche promu ministre délégué des comptes publics lors du dernier remaniement. Les deux hommes vont continuer à échanger à l'écart du reste des invités toute une partie de la soirée. De son côté, Brigitte Macron passe de table en table pour saluer les convives.
Tout d'un coup, des cris s'échappent de la salle des fêtes du palais : « C'est vous le sauvage ! », « Des années de colonisation pour aboutir à quoi ? À la guerre civile ! », « On ne gouverne pas la France pour les bobos ! », « Oh, mais le seigneur de Vendée n'est pas content ? » Piqués dans leur curiosité, certains des invités se rapprochent de la salle des fêtes. Un petit attroupement forme une sorte de cercle, comme pour assister à un combat de boxe. Au milieu de l'arène improvisée, on trouve le vicomte Philippe de Villiers en grande joute avec l'écolo soixante-huitard Daniel Cohn Bendit. « Cher monsieur, moi, j'ai l'écoute d'Emmanuel, il sait que l'Europe est le seul projet progressiste possible, le seul projet pour la France », assène ce dernier, pas mécontent de son petit effet « je suis l'ami du président ». « Vous voulez savoir ce qu'il me dit le Président ? Il me dit que j'ai bien raison de critiquer les technocrates, qu'ils soient de Paris ou de Bruxelles », lui répond de Villiers. Et l'homme de droite de tacler l'ancien gauchiste : « Et comment vous pouvez vous dire l'ami du président, alors que son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin cite explicitement un auteur d'extrême droite, Laurent Obertone, en parlant "d'ensauvagement" de la société... Ce n'est pas vraiment vos idées, non ? ».
Dany voit rouge : « Mais c'est le rôle d'un président de la République de parler à tous les Français ! Et Emmanuel n'a jamais dévié de son projet initial, il est toujours fidèle à ses discours de 2017, tenez, regardez ce qu'il a demandé à faire à Stora sur l'Algérie, c'est pas vraiment votre tasse de thé ce travail de mémoire sur l'Algérie, hein, monsieur le réactionnaire... Et puis, Emmanuel lui-même a parlé d'ensauvagement du monde lors de son discours des ambassadeurs en 2019, pas vrai Romain ? » Romain, c'est Romain Goupil, un des nombreux visiteurs du soir du président depuis le début du quinquennat. Le cinéaste, ex Mao, posté à côté de Cohn-Bendit, comme prêt à faire le coup de poing, opine immédiatement : « Oui, et l'ensauvagement du monde, c'était le thème de la géopolitologue Thérèse Delpech, notre amie avec Dany, qui était, comme nous, favorable à la guerre en Irak ! Car le seul avenir possible de la France passe par les Etats-Unis ».
« Ah bon ? Ah bon ? Les Etats-Unis de Trump continuent de vous faire rêver ? », répond immédiatement de Villiers. « Je n'ai pas l'impression que c'est le sentiment d'Emmanuel Macron qui essaye de trouver une nouvelle voie avec Vladimir Poutine ». « Mais que racontez vous là ? Poutine est un odieux personnage, qui a essayé de déstabiliser sa campagne en 2017 ! » éructe alors Goupil.
« Oh, vous savez l'essentiel est de retrouver le chemin de la concorde nationale, l'essentiel est de rétablir l'ordre républicain, notamment dans les écoles... », lance alors un nouveau venu dans la discussion. Il s'agit du politologue Laurent Bouvet, qui est venu accompagné de sa femme, Astrid Panosyan, cadre à Unibail, et l'un des piliers d'En Marche. « Et je crois qu'avec Brigitte Macron et Jean-Michel Blanquer, on a fait évoluer Emmanuel sur cette thématique. D'où son discours sur le séparatisme ». « Mais ce discours d'exclusion est affreux ! Il ne vise que l'Islam en réalité », s'énerve alors Cohn-Bendit. « Vous êtes un angéliste Daniel, et on a vu ce que ça a donné ces dernières années », lui répond Bouvet. « D'ailleurs, le président m'a commandé une note sur le sujet pour sa prochaine campagne ». « Ah bon ? Mais moi aussi ! Il m'en a demandé une sur la jeunesse ! » s'étonne une nouvelle fois Dany.
« Le "en même temps" macronien a encore frappé ! » s'exclame alors la journaliste Anna Cabana venue accompagner son compagnon Blanquer à la fête élyséenne. « Oui, c'est vrai, c'est comme Thiphaine Auzière qui lance une classe préparatoire privée dans le 16ème arrondissement... », ose alors Goupil. C'est le moment qu'a choisi Brigitte Macron pour arriver au milieu du petit groupe, accompagnée de son ami Bernard Montiel, l'ex-animateur de télévision. « On parle de ma fille ici ? Je suis très fière d'elle », expose alors la Première Dame suffisamment fort pour être entendue d'une bonne partie de l'assistance qui commence à se désagréger. Les convives reviennent alors dans le jardin pour déguster le dîner. Il est à peine 22 heures, mais Jean-Yves Le Drian préfère prendre congé, et regagner son appartement parisien. Il a encore un dernier conseil de Défense le lendemain matin avec le Président. De loin, il salue ce dernier, et s'engouffre rapidement dans sa voiture officielle. À l'intérieur, il regarde sa femme, et lui dit : « Tout cela ne fait pas encore un programme pour 2022. Je ne sais pas trop où l'on va entre Cohn-Bendit et De Villiers. Je crains que le président ne le sache pas lui-même ».
Épisode 6 : Tous sur écoute
Dans ses bureaux de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy exulte. Ses pires ennemis – les magistrats du pôle financier – sont pris la main dans le sac. Dans le cadre d'une enquête préliminaire entre 2016 et 2019, ils ont espionnés les téléphones de grands ténors du barreau parisien, qui ont pour caractéristique commune d'avoir appelé maître Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. Et il y a du beau monde : Dupond-Moretti, Veil, Haïk, Lussan, et Canu-Bernard. Les magistrats financiers se sont également intéressés à la « géolocalisation » des téléphones concernés. Un Big Brother grandeur nature opportunément révélé par Le Point deux semaines avant le remaniement. « On va l'utiliser comme prétexte pour supprimer le PNF ! », s'exclame l'ancien président auprès de l'un de ses amis venu lui rendre visite. Nicolas Sarkozy n'est pourtant pas étonné. Quelques jours plus tôt, il avait été tenu au courant que le dossier allait sortir... « On va le sortir. Tu fais ton indigné et Belloubet va demander une enquête », lui a même glissé son ami Macron, comme Sarkozy aime le répéter auprès de son entourage.
« Ton indigné. » Au sein du pouvoir, ils sont peu nombreux à conserver leurs illusions sur le respect de la loi concernant les écoutes et surveillances électroniques. Entre les multiples lois « antiterroristes » qui se sont multipliées depuis une vingtaine d'années et les évolutions technologiques, rien n'est plus facile aujourd'hui que d'espionner à distance. « Les smartphones sont devenus de véritables mouchards », avertit un policier spécialisé dans la sécurité informatique. L'arme fatale reste Pegasus, un logiciel israélien capable d'intercepter en temps réel l'écran de votre iPhone. Même plus besoin de passer par le GIC - le groupement interministériel de contrôle -, il suffit de se procurer le matos adéquat via des officines privées.
À l'Élysée, un obscur conseiller de la présidence, qui n'apparaît sur aucun organigramme officiel, ne se prive pas de laisser entendre que n'importe quel appareil peut être surveillé : « Vous savez, vos mails, c'est comme si vous écriviez un blog public », balance-t-il régulièrement aux journalistes. Pas de preuves d'écoutes, mais l'ambiance est à la parano. Au sein du pouvoir, ils sont désormais nombreux à programmer la minuterie de leurs différentes messageries pour supprimer automatiquement leurs messages, façon autodestruction des messages adressés à l'équipe de Mission Impossible. La Macronie n'est pas la seule à être parano. Mélenchon, Branco et consorts, tous sont persuadés d'être plus ou moins écoutés. Les exclus de la Macronie voient aussi des complots partout : « Les digues de l'État de droit ont vraiment sauté ! » s'exclame l'un d'eux. « Mais non, c'est l'esprit transgressif du Nouveau Monde. Ce sont tous les codes classiques qui ont sauté », lui rétorque un ministre encore bien en cours.
C'est que depuis la victoire d'Emmanuel Macron, on assiste à des rapprochements étonnants. Bousquet de Florian, jusqu'alors grand coordonnateur du renseignement à l'Élysée, patron de la fameuse task force, devenu directeur de cabinet de Gérald Darmanin, a décidé d'enterrer la hache de guerre avec son pire ennemi, Bernard Squarcini. « C'est normal, c'est l'union nationale ! », rigole l'ancien patron du renseignement intérieur. D'ailleurs, celui-ci avait également été pris la main dans le sac il y a dix ans. Ses services avaient espionnés les journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, pour tenter de découvrir quelles étaient leurs sources dans l'affaire Bettencourt. À l'époque, le scandale avait été énorme.
Aujourd'hui, Frédéric Veaux, l'ancien numéro 2 de la DCRI (à l'époque l'adjoint de Squarcini), est devenu le directeur général de la police nationale. Et sa compagne, la magistrate Véronique Malbec, est devenue la directrice de cabinet du nouveau Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Interrogé à l'époque par la justice sur l'affaire des fadettes, Frédéric Veaux avait répondu dans le vague : « Ayant pris mes fonctions au mois de janvier 2010, j'ai découvert un métier que je ne connaissais pas [...]. Il m'a fallu un peu de temps pour maîtriser tous les aspects : encore aujourd'hui il m'arrive d'apprendre des choses. » On dirait le ministre Dupond-Moretti qui a récemment expliqué à la télé qu'il était encore en phase d'apprentissage : « On avance à petits pas, on n'arrive pas là comme un cador. Tout le monde m'en aurait voulu d'ailleurs. Je n'ai pas honte de dire que j'apprends mon métier, j'en apprends les codes, ce ne sont pas les miens. »
Si vous cherchez un cador, vous le trouverez plutôt du côté de Nicolas Sarkozy. Mais même lui s'y perd depuis quelques semaines, oscillant entre « Mon ami Emmanuel » et « Macron n'est pas à la hauteur ». L'avocat d'affaires qu'il est redevenu doit également gérer la grosse affaire en cours au sein du capitalisme français. Ses amis Arnaud, Bernard et Vincent ont décidé en plein été de se tirer la bourre sur le dossier Lagardère. Il est loin le temps où Sarkozy président pouvait siroter tranquillement une orangeade sur le pont du yacht de Vincent sans être dérangé en dehors de quelques paparazzis. Là, il s'agit d'une affaire de gros sous. Et d'influence. « Quelle mouche a piqué Vincent ? Pourquoi a-t-il décidé de s'allier si rapidement avec Amber contre Arnaud et Bernard ? », se demande Sarko en essayant de s'endormir auprès de sa femme Carla Bruni. « Ces trois-là ne vont quand même pas me mettre des bâtons dans les roues pour mon grand retour. Il faut que je convoque Arnaud rue de Miromesnil dès mon retour à Paris. »
À l'Élysée, Emmanuel Macron regarde l'opération avec la plus grande attention, reprenant ses réflexes de banquier d'affaires qu'il n'a jamais vraiment perdu. Lui joue la carte Arnault contre Bolloré qui lui est devenu hostile dans les premiers mois du quinquennat. Si le clan breton avait réussi à se rapprocher du jeune candidat à la présidentielle, multipliant les dîners entre Yannick et le couple Macron, par l'entremise de Jacques Séguéla, l'ambiance n'est plus au beau fixe.
« Tu vois Alexis, le coup de Bollo, c'est du grand art. Mais cela m'inquiète. Autant je conserve une grande confiance à l'égard de Bernard Arnault – Brigitte est tellement proche de sa femme... – autant, je sais que Bolloré risque de nous faire des difficultés. Il n'y a qu'à voir l'antenne de CNews qui multiplie les sujets poujadistes et relaie sans nuances les réseaux d'extrême droite. » À l'écoute de ses mots, le secrétaire général de l'Élysée se permet d'interrompre son chef : « Justement, M. le Président, cela peut aussi vous servir dans votre stratégie "je suis votre sauveur face au déluge à venir". Cela permet de cliver au maximum le débat entre réactionnaires et progressistes. C'est ce que dirait Emelien du reste... ». « Ne me parle plus d'Emelien, cher Alexis. S'il y a bien un inspirateur à cette stratégie, il s'appelle Michel Charasse, mon ami et regretté Charasse, qui connaissait parfaitement le coup que Mitterrand avait déjà fait avec Jean-Marie Le Pen. Et c'est justement ce qu'avait tenté de faire Hollande à la fin de son quinquennat, sauf que je lui ai coupé l'herbe sous le pied. » « Oui, et Charasse, vous a bien aidé sur le volet justice d'ailleurs durant toute cette période... », répond Alexis Kohler. Énigmatique pour le profane. Emmanuel Macron, lui, a bien compris, et se met à rire, plus détendu que jamais. Pendant que ses ennemis s'angoissent d'être écouté et sombrent dans la parano, lui s'amuse à apparaître encore comme le grand ordonnateur. Quelle ironie après le trou d'air qu'il a connu pendant la crise des gilets jaunes où il était apparu si faible. À l'Élysée, le président savoure : autour de lui, c'est toujours un champ de ruines. « Tout est sous contrôle », songe-t-il en prenant congé de son secrétaire général.
Épisode 7 : Tête de Turc
Si Emmanuel Macron est inquiet, ce n'est pas par rapport à la situation française. Durant son séjour au fort de Brégançon, le jeune président s'est surtout préoccupé des événements internationaux. Car ça pète de tous les côtés, même si les médias français en parlent finalement assez peu. Des sujets pas assez vendeurs pensent sûrement les patrons des chaînes dites « tout info ». Sauf quand le chef de l'Etat décide du jour au lendemain de se déplacer à Beyrouth après la terrible explosion : là, les images de sa visite tournent alors en boucle. « Avec ta chemise blanche, tu étais magnifique », lui a même assuré Brigitte après ce coup diplomatique.
C'est pourtant dans les coulisses que tout se joue. Au Liban, Macron était accompagné de deux proches connaissances : Samir Assaf, un haut cadre dirigeant du groupe HSBC, et Rodolphe Saadé, le PDG et directeur général de la compagnie maritime CMA CGM. Ces deux franco-libanais connaissent le chef de l'État depuis assez longtemps. Le premier a même organisé en septembre 2016 un dîner de fundraising à Londres pour sa future campagne présidentielle. Quant à CMA CGM, elle s'est alliée en février dernier au groupe MSC pour faire une offre au gouvernement libanais afin de reprendre la gestion du port de Beyrouth. Car c'est un site clé pour le réseau de transport mondial de conteneurs.
Voilà pour le business. Pour l'heure, ce qui préoccupe le plus le président français, c'est son homologue turc qui multiplie les provocations en Méditerranée orientale et en Libye. Depuis que Macron a donné une interview à The Economist en novembre 2019, Erdogan est devenu l'ennemi public numéro 1 dans sa tête. « Pourquoi Donald Trump a laissé faire sur ce dossier le département d'Etat et le Pentagone ? » se demande chaque jour Macron. Une fois n'est pas coutume, le jeune président s'est laissé surprendre en pleine crise du Covid-19 : alors que toutes les télés du monde braquaient leur projecteur sur l'épidémie et la Chine, « l'Etat profond » américain décidait de jouer discrètement la carte turque contre les intérêts européens.
Quelques semaines plus tard, désormais installé au fort de Brégançon, Macron essaye d'interroger le président Trump lors d'un entretien téléphonique. Trump : « Manu, tu vois, moi, j'ai un vrai Etat profond contre moi. Toi, je me souviens que tu avais dénoncé l'été dernier l'Etat profond du Quai d'Orsay face à tes diplomates. Ces pauvres petites choses ! Je ne t'ai pas cru à l'époque, tu surjouais. Moi, j'ai vraiment des opposants au coeur du système. Et ces opposants ont décidé de me faire chier sur le moyen-Orient et la Libye. Désolé mon gars, mais j'avais d'autres chats à fouetter pendant ce temps là, et c'est vrai que j'ai laissé faire... Ils ont décidé de soutenir Erdogan et le gouvernement de Tripoli contre Haftar en Libye, et toi, eh bien, tu t'es retrouvé dans l'impasse ». Macron : « Et ça continue Donald ! J'ai beau avoir remis plusieurs fois Erdogan à sa place, rien n'y fait. Comment tu ferais toi ? Comment tu vois les choses ? »
Trump : « Moi, je vois surtout un président qui n'a plus de stratégie. Et qui ne sait plus où donner de la tête. Mais surtout, je vois très bien pourquoi Erdogan te renvoie toujours dans la position d'un petit garçon. Car il a toutes les cartes pour se le permettre en plus ! Désolé Manu de te le dire aussi franchement, mais Erdogan a longtemps eu davantage de respect pour Tsipras que pour toi. Et après tu t'étonnes que vous n'arriviez pas à avoir l'avantage au sein même de l'OTAN... Laisse-moi rire. Mais je pense surtout que les services turcs et la CIA se connaissent très bien et se parlent, sans parler des Algériens ! ». Macron : « Que veux tu dire ? » Trump : « Tu le sais parfaitement ». Macron (sur la défensive) : « Non, non, je ne vois vraiment pas. Si tu préfères les insinuations, je préfère raccrocher et appeler Angela » Trump : « Ah non, pas elle, je la déteste. Les Allemands ont d'ailleurs appris à nous détester ces dernières années. Ils n'ont toujours pas digéré les écoutes de la NSA. Mais ils n'ont pas les couilles de mettre leurs forces dans la bataille, et de t'aider à constituer l'armée européenne de tes rêves... » Macron (soupirant) : « Je sais, je sais... » Trump (interrompant Macron) : « Bon, Manu, faut que je te laisse, CNN a encore fait un sujet sur moi. Ils parlent d'Epstein. Ils veulent vraiment ma mort, ils ont tous essayé, la Russie, et maintenant la pédophilie, incroyable ! Plutôt qu'Angela, tu devrais appeler ton nouvel ami Poutine. Lui, en vrai, c'est un chic type. Il joue carte sur table, à l'ancienne. Comme au bon vieux temps de la guerre froide... Le KGB, eux, ils savaient jouer à la loyale. Comme la mafia en Italie pendant la seconde guerre mondiale... Ils nous ont tant aidé ceux-là, on l'oublie toujours. Allez, Manu, bye bye ».
Décidément, le président Macron ne se fait toujours pas à ce Trump qui ose écourter les conversations sans y mettre plus de formes, le traitant finalement comme bien peu de choses. Quoi ? Lui, le président français ? Il imagine Mitterrand et Reagan, Mitterrand et Bush, Bush junior et Chirac. Ça, ça avait de la gueule. Sans parler de De Gaulle et Kennedy. Même quand Français et Américains se détestaient, il restait entre eux toujours la classe. Aujourd'hui, avec Trump, on se croirait au fast food de la diplomatie. « Et puis, comment Donald peut-il dire que je n'ai pas moi-même en France un Etat profond que je dois brider, remettre à sa place, si je veux faire avancer les dossiers tels que je les ai décidés ? » Macron n'a toujours pas digéré le clash qu'il a dû gérer au printemps dernier avec Jean-Yves Le Drian, son ministre des affaires étrangères. En plein mois de mai, la cellule diplomatique de l'Elysée avait pourtant fini de le convaincre de prendre ses distances avec le maréchal Haftar en Libye... alors même qu'il l'avait reçu à l'Elysée le 9 mars.
Mais durant plusieurs jours, Le Drian et ses équipes, fervents supporters d'Haftar, firent le siège de l'Elysée pour que le président revienne sur sa décision de lâcher le maréchal. La hache de guerre finit par être enterrée quelques jours avant le remaniement, au moment même où Trump reprend l'avantage face au Département d'Etat et au Pentagone sur les dossiers Erdogan et Libye. Macron peut de nouveau apparaître comme l'homme d'aucun clan, et se présenter au monde comme le grand médiateur. Enfin, le croit-il. En attendant, il doit de nouveau se coltiner la politique intérieure. Au moment du remaniement, il propose ainsi le poste du ministère de l'Intérieur à Le Drian. Mais celui-ci ose lui répondre par une fin de non recevoir : « Si je ne peux pas nommer mon propre directeur de cabinet, en l'occurence Cédric Lewandowski, qui m'avait accompagné, comme tu le sais, à la Défense durant tout le quinquennat Hollande, je préfère refuser. Je crois que tu le comprendras aisément ». Lewandowski, pour Macron, reste un épouvantail. L'homme qui a réussi à résister à Bercy et à Alexis Kohler quand il était le puissant directeur de cabinet à Brienne. « Voilà, ça, c'est l'Etat profond, n'est-ce pas ma chérie ? » Macron s'est en fait endormi sur sa table de travail, et il lance sa question en se réveillant. Il est pourtant seul dans son bureau du fort de Brégançon. À chacun ses obsessions.
Épisode 8 : Un « monsieur X » pour 2022 ?
« Et si on te mettait, toi, à Matignon ? » La question du président Macron se veut innocente, mais pas tellement. Dans son bureau de travail, celui se situant à l'angle, il fait face en ce début d'été à son secrétaire général, le très discret Alexis Kohler. « Comme ça tu pourrais continuer à terroriser les directeurs d'administration en direct », poursuit le chef de l'Etat. « Je ne suis pas sûr d'être la bonne personne pour ce poste. Je préfère l'ombre. Et j'ai tellement de dossiers à gérer dans les prochains mois, j'ai besoin de rester sur le pont à l'Elysée, mais vous êtes le seul juge... »
En guise d'un secrétaire général à Matignon, le président décidera finalement d'y nommer un ancien secrétaire général adjoint, Jean Castex. Sans l'ombre d'un doute. Peu importe si l'image technocratique de l'exécutif se renforce à 600 jours de la présidentielle. Seule compte « l'efficacité » estime Emmanuel Macron. Et puis, dans ce domaine si restreint des « technos » seuls capables de gouverner l'Etat, il sait que lui seul peut faire l'affaire : « Quelle figure propose LR ou le PS ? Hollande ? Bertrand ? C'est une blague ! »
Ce dimanche de fin d'été, le président a demandé à Bruno Roger-Petit, son « conseiller mémoire », de l'accompagner en balade du côté du Touquet. Histoire de prendre l'air, loin de la capitale. « Bruno, comment tu vois les choses ? ». L'ancien journaliste s'exécute : « Monsieur le président, je pense que votre principal adversaire aujourd'hui, c'est l'inconnu. On pourrait se retrouver dans un scénario où un "monsieur X" apparaîtrait dans les derniers mois de la présidentielle... » À ces mots, le jeune président se raidit, sa mâchoire se contracte.
« Un "monsieur X" ? On a vu où ça a terminé du temps de de Gaulle ! Tu penses par exemple à un Ruffin qui pourrait coaliser ces satanés Gilets jaunes ? »
Face à l'interrogation présidentielle, « BRP » affine son scénario catastrophe : « Pas sûr que Ruffin ait la niaque pour se farcir Méluche. Vous avez d'ailleurs intérêt à ce que Mélenchon se présente. Comme Hidalgo, il peut neutraliser la gauche, car tous deux sont de véritables repoussoirs pour toute une frange de l'électorat. Mais je pense plutôt à Onfray... » Macron le coupe aussitôt : « Oui, Onfray, c'est un souci. J'ai vu qu'il avait été interviewé il y a quelques jours par Thinkerview sur Internet, il a déjà fait plus de 1 million de vues. Son discours prend à droite comme auprès d'une gauche déboussolée. Son profil m'inquiète ».
« En même temps, ça fait partie du plan, reprend le conseiller mémoire. Hystériser les extrêmes tout en les émiettant pour mieux apparaître comme le choix de la raison, comme le rempart face à l'extrémisme. C'est bien ce que proposait notre bon vieux Michel [Charasse]. On n'a rien inventé de mieux depuis Mitterrand ». Macron : « Oui, d'ailleurs, tu as vu ? J'en ai profité pour appeler Danièle Obono après cet article dépassant les bornes dans Valeurs Actuelles. Ils ne pourront plus dire que je n'appelle qu'Eric Zemmour ».
Le portable présidentiel se met tout d'un coup à sonner sans arrêt. Plusieurs SMS tombent. « Urgent. Mediapart vient de publier un nouvel article sur Alexis Kohler. Nous devons en parler rapidement. Clément L. » « Regarde Bruno, "les chiens" sont de nouveau de sortie. Là aussi, rien n'a changé depuis François Mitterrand. Edwy Plenel est toujours là. Parfois, je me dis que je n'aurais pas dû le chercher sur les questions fiscales lors du débat télé avec Bourdin... » « BRP » soupire : « Ah, Plenel ! ».
Le président reprend : « Tu sais ce que Philippe Grangeon avant son départ de l'Elysée me disait ? Que Plenel pourrait bien être ce Monsieur X ». BRP : « Ah oui, ce n'est pas bête. En bon vieux trotskiste, il doit rêver de se relancer en politique. Regardez Joffrin avec Hollande. Mais lui ne peut y aller que sur son nom. Et c'est vrai qu'il pourrait faire de l'ombre à Mélenchon, comme à Hollande. Il peut ratisser large, y compris des Gilets Jaunes qu'il a défendu dans un livre. Il faut se méfier du moustachu, Grangeon a raison. C'est aussi le sentiment de notre ami Bertrand Delais. Lui aussi pense que Plenel est en train de préparer un truc. Pour lui, c'est ce qui explique la cabale qu'ils ont lancé contre vous et Alexis, mais bon, ça ne change rien aux faits qui sont rapportés, tout de même... »
Emmanuel Macron n'écoute plus son fidèle conseiller. Son regard se perd dans l'écran de son smartphone. Alexis Kohler lui envoie des textos également. Mais ce n'est pas pour parler de Mediapart. C'est de nouveau pour parler du Liban. Le secrétaire général de l'Elysée lui demande de revenir d'urgence au Château pour évoquer discrètement le nouveau voyage du président français dans ce pays dévasté. « Là-bas, on est vraiment à deux doigts d'une guerre ». Ces mots de ses conseillers diplomatiques raisonnent dans sa tête. Car Emmanuel Macron connaît la situation pour le moins sensible en Méditerranée orientale. Et le jeune président français mesure à quel point l'histoire peut peser lourd en ces temps difficiles. « Cher Bruno, je suis obligé de te laisser à ces enfantillages, je dois rentrer à Paris. L'Histoire avec un grand H m'appelle. Alexis veut que je le rejoigne pour préparer notre nouvelle venue au Liban. Les grandes puissances nous attendent au tournant. Je dois être à la hauteur ». Après ces paroles grandiloquentes qui ressemblent à celles d'un Villepin, BRP voit alors débarquer les gorilles du service de la protection. Fini la balade avec le président. Un hélicoptère vient d'atterrir dans le champ voisin pour ramener d'urgence Emmanuel Macron à Paris. Lui n'a plus qu'à marcher pour retrouver sa voiture garée à plusieurs kilomètres de là. C'est ce qui s'appelle être au service de la République.
04.08.2025 à 01:18
[revue] : Ursula von der Leyen a l'habitude de perdre ses SMS
Marc Endeweld
Texte intégral (2125 mots)
Dans un article sidérant, le New York Times a révélé le 1er août que les SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le PDG de Pfizer, Albert Bourla, lors des négociations sur les vaccins contre la Covid-19 avaient tout simplement été effacés au cours de l’été 2023. Depuis trois ans, le quotidien réclame à la Commission d’avoir accès à ces SMS pour poursuivre ses investigations journalistiques dans l’affaire dite du « Pfizergate », ces négociations qui ont abouti au premier semestre 2021 à la signature du plus gros contrat conclu par l’Union Européenne de son histoire, un deal d’un montant de 35 milliards d’euros avec le laboratoire pharmaceutique contre la fourniture de 1,8 milliard de doses de vaccin.
« L’opacité entourant l’ensemble des négociations entre l’UE et Pfizer est en cause »
Face aux multiples refus de la Commission, le New York Times avait saisi en 2023 la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) pour accéder à ses échanges avec Albert Bourla, le PDG de Pfizer – des SMS susceptibles d’éclairer les conditions de négociation du fameux contrat avec le labo de Big Pharma. Au printemps dernier, la Cour de justice avait finalement donné raison aux journalistes du célèbre quotidien. Dans leur arrêt de mai 2025, les juges de la Cour soulignent que la Commission devait « fournir des explications crédibles permettant au public et à la Cour de comprendre pourquoi ces documents sont introuvables », compte tenu notamment de l’ampleur du contrat conclu avec Pfizer. Sur le site Euractiv, l’excellente journaliste Elisa Braun commente : « le scandale dépasse la simple question des SMS. C’est l’opacité entourant l’ensemble des négociations entre l’UE et Pfizer qui est en cause. Les détails des conditions financières ou du processus de discussion restent largement inaccessibles au public.»
C’est en fait dans une lettre envoyée le 28 juillet 2025 au New-York Times que la Commission européenne explique que si elle n’est pas en mesure d’accéder favorablement à la demande du quotidien américain, c’est qu’elle ne dispose pas des fameux SMS échangés entre von der Leyen et Bourla. Selon cette lettre, le chef de cabinet d’Ursula von der Leyen, Björn Seibert, aurait lu les messages « au cours de l’été 2021 » sur le téléphone de la présidente et aurait décidé de ne pas les archiver d'une manière qui les aurait rendus accessibles au public. Il a estimé que ces messages étaient uniquement destinés à planifier des appels pendant la pandémie. Cette décision intervient pourtant peu de temps après une première demande formelle d’accès à ces messages, déposée dès mai 2021 par le journaliste Alexander Fanta.
Les données des téléphones n’ont pas été sauvegardées
Toujours selon la lettre de la Commission, les SMS auraient disparu depuis au moins juillet 2023. Le téléphone de la présidente a été « remplacé plusieurs fois », sans que les données ne soient sauvegardées. Les anciens appareils ont été réinitialisés et recyclés, rendant toute récupération des messages impossible.
Ce n’est pas la première fois qu’Ursula von der Leyen perd ses SMS. En janvier 2020, le grand magazine allemand Der Spiegel racontait à ses lecteurs dans une enquête détaillée comment plusieurs SMS de l’ancienne ministre de la Défense (poste qu’Ursula von der Leyen a occupé de décembre 2013 à juillet 2019) avaient disparu et qu’ils ne pouvaient pas être transmis à une commission d’enquête du Bundestag, le parlement allemand, qui investiguait à l’époque sur la signature de contrats grassement rémunérés entre le ministère et des consultants externes.
Quand von der Leyen efface ses messages
Selon le rapport du ministère de la Défense dévoilé par Der Spiegel, les messages provenant du BlackBerry professionnel de von der Leyen ont été supprimés en août 2019 par la négligence d'un conseiller : « Le ministère affirme que le fonctionnaire responsable ignorait tout simplement que les SMS sur le téléphone du ministre pouvaient être pertinents pour la commission. Il a plutôt traité le téléphone de l'ancien commandant de la Bundeswehr comme n'importe quel autre appareil officiel du bureau, a supprimé les données et l'a renvoyé à l'entreprise exploitante pour destruction ». Mais on apprend également que von der Leyen aurait elle-même détruit tous ses messages sur un deuxième téléphone : « L'absence de messages sur son téléphone risque d'éveiller de nouveaux soupçons au sein de la commission d’enquête », commente Der Spiegel.
« Une fois de plus, personne au ministère n'est responsable de quoi que ce soit », déclare alors Tobias Lindner, membre du Parti vert et président de la commission d’enquête. Si von der Leyen a été disculpée en 2020 par le rapport final de l'enquête qui a conclu que ce sont des officiers supérieurs de l'armée et des responsables gouvernementaux qui avaient commis des violations, cet épisode illustre de nouveau le comportement pour le moins léger de von der Leyen et notamment son mépris pour les règles de transparence dans son activité politique.
Les critiques de la Cour des comptes européenne
Plus globalement, on s’aperçoit également avec cette affaire du « Pfizergate » que l’Union Européenne dans son fonctionnement est loin d’avoir acquis les standards de transparence de la démocratie américaine alors que les lobbys sont nombreux à Bruxelles pour tenter d’influer sur les décisions de la Commission ou sur les votes du Parlement européen.
En 2022, le média Politico, a fait ainsi état du rapport spécial de la Cour des Comptes européenne qui est particulièrement sévère quant aux conditions de négociation du contrat Pfizer et qui également très critique quant au refus de la Commision de divulguer les détails de cet épisode : « Nous avons eu accès aux documents pertinents de la Commission, à l’exception de ceux concernant la participation de la présidente de la commission aux négociations préliminaires avec Pfizer/BioNTech », note ainsi la Cour des comptes dans son rapport spécial.
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