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Michaël ZEMMOUR
Enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 (Centre d'Economie de la Sorbonne) et chercheur associé à Sciences Po (LIEPP)
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15.01.2025 à 19:08

Sans suspension de la réforme de 2023 il ne restera qu'un an à négocier (63 ou 64 ans)

zemmour

Le premier ministre a annoncé hier dans son discours de politique générale qu'il souhaitait remettre la question des retraitez en négociation, sans toutefois suspendre celle-ci. Un coup d'oeil au calendrier d'application de la réforme montre qu'il ne restera plus grand chose à négocier : le dernier tiers de la réforme ; celui qui porte l’âge limite de 63 ans à 64 ans, et qui n’aura des conséquences sensibles qu’après 2027. Le reste de la réforme (la montée jusqu’à 63 ans et l’allongement de la durée de cotisations) sera déjà (presque) entièrement appliqué.

On peut noter en propos tout d'abord que les termes de la négociation annoncée sont tout sauf favorables pour les syndicats opposés à la réforme:  le premier ministre a annoncé par avance qu'en l'absence d'accord la réforme resterait inchangée. On voit mal dans ces conditions pourquoi le patronat (pour qui le statut quo est sans doute la meilleure option pour le moment) s'engagerait dans la recherche d'un accord remettant en cause la réforme et mobilisant de nouvelles ressources pour le système de retraite. Ce n’est pas l’objet de ce billet de revenir sur ces points (développés en partie dans cette interview à Médiapart) mais je voudrais revenir ici sur un implicite contenu dans le calendrier annoncé par le premier ministre.

En effet, un des points clés est que la réforme n’est ni suspendue ni arrêtée, et que le premier ministre envisage en cas d’accord (à ce stade relativement peu probable), de le mettre en œuvre par une loi prise au second semestre 2025 (à l’été ou dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026).

Or on sait que le temps joue pour la réforme : d’une part à mesure que le temps avance la réforme s’applique à de nouvelles générations et les paramètres effectifs avancent, d’autre part les caisses de retraites disent et redisent qu’il faut près de 6 mois pour mettre en œuvre un changement législatif ou réglementaire).

Ces deux éléments nous donnent une bonne indication sur ce qu’il restera à discuter de la réforme des retraites : l’âge de 63 ou de 64 ans…et c’est (presque) tout. En effet l’âge de 63 ans et la durée de cotisations de 43 annuités seront déjà (presque) entièrement effectif à l’issue de la négociation.

En admettant le scénario d’une loi votée à l’été ou à l’automne, celle-ci ne pourra s’appliquer qu’en 2026. A cette date, il sera déjà trop tard pour la génération 1963 dont l’âge aura été porté à 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation à 42 ans et demi. Si on « ne revient pas en arrière », le mieux qui pourra alors être fait c’est d’arrêter les compteurs pour la génération 1964 à ces deux paramètres : 62 ans et 9 mois, et 42 ans et demi. Sans trop d’imagination (je force à peine le trait) on peut penser que ces paramètres seraient arrondis … soit 63 ans et 43 annuités.

Un graphique montre l'avancée de la durée de cotisation requise (axe de droite) et de l'âge légal (axe de gauche). L'axe des abscisse indique l'année de mise en oeuvre. Des étiquettes sur les axes indiquent les générations concernées. A l'année 2026, l'age minimal de la retraite dépasse 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation 42 ans et demi. La génération 1963 a déjà commencé à faire valoir ses droits

Lecture: En 2026, la génération 1963 aura déjà commencé à partir en retraite, l'âge minimal de la retraite sera déjà de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation requise de 42 ans et demi.

Autrement dit dans ce scénario (fictionnel) ce qui pourrait faire l’objet des discussions c’est la question de fixer comme âge minimal 63 ou 64 ans. La réforme « Touraine accélérée » (c’est-à-dire le passage à 43 annuités de cotisations à un rythme très rapide) et le retour à l’âge de départ à 62 ans seraient presque mécaniquement exclus de la discussion.

Si c’est bien cela, les modifications ne concerneront que les générations 1966 et suivantes (les seules dont l’âge minimal prévu dépassait 63 ans). Et elle se verront bien applique la durée de cotisation de 43 ans. Ce qu’il restera à négocier représente donc en gros financièrement un tiers de la réforme de 2023.

Autre remarque d’importance : aucune modification de la réforme n’aura de conséquence financière sensible avant la présidentielle 2027… C’est sans doute avant tout pour cela d’ailleurs que l’hypothèse d’un arrêt de la réforme a été écarté. Pour mémoire, cet artifice avait déjà été utilisé par Emmanuel Macron quand il avait ramené l’âge cible de la réforme de 65 à 64 ans : il était prêt à revenir sur la partie de la réforme qui n’avait pas de conséquence budgétaire à l’horizon de son mandat.  

Bien sûr il sera toujours possible de « revenir en arrière » sur les paramètres (en 1981 l’âge minimal de départ à taux plein a été abaissé), mais il est tout de même politiquement plus fréquent d’arrêter une réforme avant qu’elle ne s’applique qu’une fois mise en œuvre. La négociation s’annonce déjà difficile, le plus probable n’est pas vu d’ici qu’elle aboutisse à un abaissement des paramètres qui seront déjà effectifs.

 

 

Texte intégral (1050 mots)

Le premier ministre a annoncé hier dans son discours de politique générale qu'il souhaitait remettre la question des retraitez en négociation, sans toutefois suspendre celle-ci. Un coup d'oeil au calendrier d'application de la réforme montre qu'il ne restera plus grand chose à négocier : le dernier tiers de la réforme ; celui qui porte l’âge limite de 63 ans à 64 ans, et qui n’aura des conséquences sensibles qu’après 2027. Le reste de la réforme (la montée jusqu’à 63 ans et l’allongement de la durée de cotisations) sera déjà (presque) entièrement appliqué.

On peut noter en propos tout d'abord que les termes de la négociation annoncée sont tout sauf favorables pour les syndicats opposés à la réforme:  le premier ministre a annoncé par avance qu'en l'absence d'accord la réforme resterait inchangée. On voit mal dans ces conditions pourquoi le patronat (pour qui le statut quo est sans doute la meilleure option pour le moment) s'engagerait dans la recherche d'un accord remettant en cause la réforme et mobilisant de nouvelles ressources pour le système de retraite. Ce n’est pas l’objet de ce billet de revenir sur ces points (développés en partie dans cette interview à Médiapart) mais je voudrais revenir ici sur un implicite contenu dans le calendrier annoncé par le premier ministre.

En effet, un des points clés est que la réforme n’est ni suspendue ni arrêtée, et que le premier ministre envisage en cas d’accord (à ce stade relativement peu probable), de le mettre en œuvre par une loi prise au second semestre 2025 (à l’été ou dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2026).

Or on sait que le temps joue pour la réforme : d’une part à mesure que le temps avance la réforme s’applique à de nouvelles générations et les paramètres effectifs avancent, d’autre part les caisses de retraites disent et redisent qu’il faut près de 6 mois pour mettre en œuvre un changement législatif ou réglementaire).

Ces deux éléments nous donnent une bonne indication sur ce qu’il restera à discuter de la réforme des retraites : l’âge de 63 ou de 64 ans…et c’est (presque) tout. En effet l’âge de 63 ans et la durée de cotisations de 43 annuités seront déjà (presque) entièrement effectif à l’issue de la négociation.

En admettant le scénario d’une loi votée à l’été ou à l’automne, celle-ci ne pourra s’appliquer qu’en 2026. A cette date, il sera déjà trop tard pour la génération 1963 dont l’âge aura été porté à 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation à 42 ans et demi. Si on « ne revient pas en arrière », le mieux qui pourra alors être fait c’est d’arrêter les compteurs pour la génération 1964 à ces deux paramètres : 62 ans et 9 mois, et 42 ans et demi. Sans trop d’imagination (je force à peine le trait) on peut penser que ces paramètres seraient arrondis … soit 63 ans et 43 annuités.

Un graphique montre l'avancée de la durée de cotisation requise (axe de droite) et de l'âge légal (axe de gauche). L'axe des abscisse indique l'année de mise en oeuvre. Des étiquettes sur les axes indiquent les générations concernées. A l'année 2026, l'age minimal de la retraite dépasse 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation 42 ans et demi. La génération 1963 a déjà commencé à faire valoir ses droits

Lecture: En 2026, la génération 1963 aura déjà commencé à partir en retraite, l'âge minimal de la retraite sera déjà de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation requise de 42 ans et demi.

Autrement dit dans ce scénario (fictionnel) ce qui pourrait faire l’objet des discussions c’est la question de fixer comme âge minimal 63 ou 64 ans. La réforme « Touraine accélérée » (c’est-à-dire le passage à 43 annuités de cotisations à un rythme très rapide) et le retour à l’âge de départ à 62 ans seraient presque mécaniquement exclus de la discussion.

Si c’est bien cela, les modifications ne concerneront que les générations 1966 et suivantes (les seules dont l’âge minimal prévu dépassait 63 ans). Et elle se verront bien applique la durée de cotisation de 43 ans. Ce qu’il restera à négocier représente donc en gros financièrement un tiers de la réforme de 2023.

Autre remarque d’importance : aucune modification de la réforme n’aura de conséquence financière sensible avant la présidentielle 2027… C’est sans doute avant tout pour cela d’ailleurs que l’hypothèse d’un arrêt de la réforme a été écarté. Pour mémoire, cet artifice avait déjà été utilisé par Emmanuel Macron quand il avait ramené l’âge cible de la réforme de 65 à 64 ans : il était prêt à revenir sur la partie de la réforme qui n’avait pas de conséquence budgétaire à l’horizon de son mandat.  

Bien sûr il sera toujours possible de « revenir en arrière » sur les paramètres (en 1981 l’âge minimal de départ à taux plein a été abaissé), mais il est tout de même politiquement plus fréquent d’arrêter une réforme avant qu’elle ne s’applique qu’une fois mise en œuvre. La négociation s’annonce déjà difficile, le plus probable n’est pas vu d’ici qu’elle aboutisse à un abaissement des paramètres qui seront déjà effectifs.

 

 

04.01.2025 à 01:11

Jalons pour une analyse de la réforme du RSA

zemmour

Il est difficile de savoir à l’avance toute l’étendue des conséquences de la réforme qui entre en vigueur. Je livre ici quelques éléments de réflexion, mais cette interprétation reste très incertaine. La réforme ne va vraisemblablement pas obliger la plupart des allocataires du RSA à travailler gratuitement (même si le cas n’est pas exclu), mais elle va faire par défaut considérer tout allocataire du RSA comme un chômeur, inscrit à France travail, et passible de sanction s’il ne se conforme pas aux injonctions qui lui seront faite. Il existait par le passé déjà des « droits et devoirs » et des sanctions, mais toute personne au RSA n’étaient pas considérée par défaut comme relevant du contrôle des chômeurs, en cela c’est une rupture qui peut avoir des conséquences sociales graves. Cette réforme parachève une évolution d’une décennie au cours de laquelle les objectifs de réduction et d’atténuation de la pauvreté pour elle-même ont été délaissés, au point de subordonner toute la politique sociale à la politique de l’emploi à tout prix. L’application de la réforme risque de plus d’être très hétérogène selon les départements.

La réforme du RSA entre en vigueur en janvier 2025[1]. Si celle-ci est très certainement porteuse de dangers pour les allocataires, j’ai encore du mal à saisir comment elle va être appliquée et je pense surtout que son application n’est pas encore complètement déterminée, dépendant fortement de ce qu’en feront les département (ce qui en fait en partie le danger pour les allocataires).

Je prends donc ici des notes, comme jalons pour des analyses à venir de la réforme, à la fois pour partager mes réflexions et questions, mais aussi pour recevoir des éclairages et des précisions et surtout correction d’éventuelles lectrices ou lecteurs mieux informés.

Avant de rentrer dans le détail des mesures, il faut noter que cette réforme est symptomatique d’une transformation de la politique sociale qui date d’au moins 2017[2] : la politique sociale n’est plus une politique autonome avec ses objectifs propre (réduire la prévalence et l’intensité de la pauvreté par exemple), mais celle-ci est entièrement subordonnée à la politique du marché du travail : s’il faut choisir, on dégradera les conditions sociales en espérant forcer une reprise rapide d’emploi. C’était déjà manifeste lorsqu’en 2018 le relèvement de la prime d’activité a relevé le revenu des travailleurs pauvres sans améliorer la situation des allocataires du RSA sans emploi ; c’était encore évident lorsque les réformes de l’assurance chômage ont délibérément diminué le montant mensuel des allocations chômage de 20% en moyenne, au nom d’un effet (non probant) sur la reprise d’emploi. La loi plein emploi parachève cette évolution, en faisant que tout personne recevant le RSA est considérée par défaut comme demandeuse d’emploi soumise à un contrôle de son comportement de recherche d’emploi, passible de sanction dont on mesure encore mal le caractère arbitraire.

Listons maintenant les principales mesures contenues dans la réforme :

  1. Le changement sans doute le plus important de la réforme est l’inscription automatique de tout allocataire à France travail, par défaut.

Ce changement est le plus important au sens où il est le plus susceptible d’affecter massivement un grand nombre d’allocataires.

Auparavant, la privation de ressource donnait droit par défaut au RSA, et ce droit au RSA était assorti d’obligations (les « droits et devoirs »), qui pouvaient (ou non) être associée à la recherche d’emploi[3].  Jusqu’en 2024, il était de la responsabilité des départements d’orienter les allocataires du RSA, vers un parcours d’accompagnement personnalisé, qui pouvait être opéré par France travail (c’est le cas de 41% des allocataires[4]), ou par différents services sociaux au niveau des collectivités. Et tant que l’allocataire n’avait pas bénéficié d’une orientation vers un accompagnement, sa situation de demandeur d’emploi ou non n’était pas préjugée (ce qui parait plutôt normal, il existe bien des situations ou des personnes sans ressources ne relèvent pas immédiatement de la recherche d’emploi).

Demain, l’attribution du RSA déclenchera automatiquement une inscription administrative à France travail. Autrement dit, tout allocataire du RSA sera considéré par défaut comme demandeur d’emploi, jusqu’à preuve du contraire.

L’inscription automatique de 59% des allocataires qui ne l’étaient pas auparavant (+1,8millions de personnes) à France travail a plusieurs conséquences prévisibles :

  • Une réorganisation (ou désorganisation ?) de France travail qui va voir arriver un nombre de nouveaux inscrits sans précédent.
  • Pour une partie des nouveaux inscrits, cette inscription à France travail sera en grande partie « transparente » : pour ne pas saturer les conseillers France travail, et parce que nombre des allocataires ne sont pas en situation immédiate de chercher un emploi (pour des raisons sociales, de santé…), ces allocataires seront immédiatement redirigés (sur décision ou par des algorithmes) vers les services sociaux départementaux, locaux ou les structures d’accompagnement (par exemple les missions locales), qui était précédemment chargés de leur suivi. Les allocataires seront donc administrativement inscrits à France travail, mais suivis ailleurs.

Pourtant cette inscription obligatoire pourrait changer beaucoup de chose : la procédure pour savoir qui va être suivi en pratique par quel organisme va être modifiée dans chaque département ; certains départements vont sans doute tenter de rester au plus près de ce qui se faisait par le passé ; d’autres, à l’occasion de la réforme, changer leur dispositif d’orientation, en revoir les critères (qui doit aller où…). Or ce choix d’orientation, sans doute en grande partie guidé par des critères automatisés (des algorithmes), sont lourds de conséquences pour les allocataires.

Il est donc a priori difficile à ce stade de savoir d’une part quels vont être les critères effectifs qui seront appliqués, et d’autre part, si le fait d’avoir un opérateur commun (France travail) va conduire à une harmonisation de l’orientation (dans une version sans doute très mécanique), ou au contraire si l’hétérogénéité des pratiques va être exacerbée par les décisions que prendront les départements. 

  1. L’obligation de quinze heures d’activité

Cette obligation, très médiatisée, y compris par les promoteurs de la réforme a sans doute été mal interprétée, même si elle comporte des dangers réels. Il ne s’agit pas, au moins pas nécessairement d’obliger les allocataires à travailler gratuitement[5].

Cette obligation est la nouvelle forme d’obligation de recherche d’emploi de tous les demandeurs d’emploi inscrits à France travail[6] et pas uniquement les allocataires du RSA. Autrement dit c’est la (nouvelle) façon dont le législateur définit l’obligation, pour toute personne inscrite à France travail de chercher activement un emploi, sous peine de sanction. Ce que la réforme change, c’est donc i) la forme que prend l’obligation de recherche d’emploi des inscrits à France travail ii) qu’elle soumet tous les allocataires du RSA par défaut aux obligations des demandeurs d’emploi.

Mais aucun organisme aujourd’hui n’est en mesure d’encadrer pendant 15h hebdomadaire les 6 et bientôt 8 millions de personnes inscrites à France travail. Il n’y a tout simplement pas assez de ressources pour cela.

On peut donc penser (mais je n’ai pas de certitude, et la situation peut être très variable d’un allocataire à l’autre et d’un département à l’autre), que dans la plupart des cas, cette obligation va se prendre la forme suivante :

  • Le plus souvent des « feuilles de temps », c’est-à-dire que les personnes devront justifier (ou être en mesure de justifier en cas de contrôle) qu’elles ont recherché des offres, envoyé des CV, etc. en quantité suffisante.
  • La participation obligatoire à certaines activités, des plus utiles aux plus coercitives (suivi sanitaire et social, formation, bilan de compétence, atelier de rédaction de CV, suivi individuel, groupe de motivation…)

On ne peut pas exclure que dans certains cas, des départements, particulièrement mal inspirés, tentent d’interpréter la loi pour imposer des activités qui s’apparenteraient à du travail (gratuit), dans des structures publiques associatives ou privées ; il restera à voir si la justice jugera ce comportement légal au regard du droit français et international du travail. Dans un futur proche il n’est pas pensable que cela (le travail obligatoire gratuit) s’applique massivement : faire travailler des personnes de manière contrainte, qui plus est en grande difficulté sociale, demande des moyens, une organisation, un encadrement. Mais le fait que cela ne soit pas le cas général ne rend pas le danger moins réel et moins grave, à la fois pour les personnes concernées et parce qu’il créerait un précédent.

  1. Cette inscription obligatoire va créer un levier très arbitraire pour intimider, ou priver de ressources les allocataires

En effet, en considérant par défaut, avant même leur premier entretien avec un travailleur social, tout allocataire du RSA comme une personne en recherche d’emploi, devant justifier de 15h d’activité, on crée une base pour des sanctions nombreuses, par suspension ou réduction (on dit « modulation ») de l’allocation pour toute personne qui ne se sera pas présentée à l’heure dite, n’aura pas participé au bon atelier, ou n’aura pas le bon jour convaincu son vis-à-vis de la bonne foi de ses démarches[7]. Ce type de sanction existe bien sûr déjà, leur pratique pourrait s’intensifier.

Tous les départements n’auront pas la même attitude, mais on peut déjà pointer au moins trois écueils.

  • Le premier est d’ordre social : priver une personne effectivement sans ressource monétaire d’une aide minimale, est un acte de maltraitance grave, dangereux pour elle et sa famille (oui les enfants subissent directement les conséquences de ces sanctions, de l'ordre de 800 000 ménages allocataires ont au moins un enfant à charge).
  • Le second est budgétaire : le budget du RSA représente une charge financière importante pour les départements. Dans un contexte particulièrement contraint, le risque que certains départements voient dans la politique de sanction des allocataires une source d’économie potentielle est évident.
  • Le troisième encore une fois est l’hétérogénéité du traitement selon les départements. En particulier, comme les sanctions aux allocataires sont présentées comme des outils de « remobilisation » des allocataires, on imagine bien que certains départements n’utiliseront pas cet outil tandis que d’autres y verront un « levier » pour leur politique d’accompagnement et d’insertion. 

En conclusion, la réforme qui entre en vigueur porte évidemment pour les allocataires beaucoup plus de dangers que de promesses d’amélioration. Les éventuels aspects positifs pourraient venir d’un raccourcissement des délais d’orientation vers l’accompagnement ou de moyens supplémentaires mis sur cet accompagnement, mais ceux-ci semblent faibles et risquent d’être au mieux neutralisés par les autres aspects de la réforme. Par ailleurs les résultats de la littérature [8], comme le travail plus récent d'Arthur Heim soulignent qu'il ne faut pas attendre de miracle d'un accompagnement renforcé assorti de menace de sanction.

La dénonciation de cette réforme est légitime et nécessaire : ce n’est pas parce qu’on ne sait pas à l’avance quelle sera l’étendu de ses effets qu’il est acceptable de durcir encore le sort fait aux allocataires du RSA, ni souhaitable de créer de nouvelles inégalités de traitement entre l’allocataire du Bas-Rhin et celui du Rhône. Pour autant ce n’est sans doute pas exactement la réforme qui a été présentée politiquement comme la réforme instaurant des travaux gratuits pour les allocataires du RSA. C’est d’abord une réforme qui dégrade le droit à un secours minimal pour le subordonner toujours davantage à des opérations de contrôle et de sanction sur le marché du travail, dans la lignée de réformes précédentes en France et de ce qui peut exister de peu enviable en Angleterre ou en Allemagne.

 

PS: malgré une communication abondante, la diversité des formes prise par les "expérimentations" de la réforme dans les territoires pilotes ne permettront sans doute pas de comprendre par avance, quelles seront les conséquences de la réforme au niveau national. 

 

Merci à Ulysse Lojkine et Arthur Heim pour leur relecture et remarques (les erreurs restantes sont de mon fait).

 

[1] Un descriptif et un commentaire sont donnés dans cet article du Monde.

[2] Voir Le système français de protection sociale, Repères, La Découverte, co-écrit avec J. C. Barbier et B. Théret.

[3] Voir par exemple cette publication DREES : Aurélien Boyer (DREES, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) (2023, décembre). Un bénéficiaire du RSA sur cinq reste les dix années suivantes dans la prestation. Études et résultats, 1287. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-jeux-de-donnees/etudes-et-resultats/un-beneficiaire-du-rsa-sur

[4] Voir Pierre-Yves Cabannes et Opale Echegu (dir.) (DREES) (2024, juillet). Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution - Édition 2024. Panoramas de la DREES. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/241022_Minima_Sociaux_2024

[5] Il est difficile de ne pas se dire que l’interprétation sans doute fallacieuse (« la réforme va obliger les allocataires du RSA a du travail gratuit ») a été entretenue sciemment par une partie du camp présidentiel – dans un discours de stigmatisation des allocataires déjà utilisés par Nicolas Sarkozy du temps de la création du RSA. Et qu’elle n’a pas été démentie par une opposition sans doute inattentive qui a par simplicité préféré dénoncer ce risque réel, mais peut-être pas aussi central, que d’envisager tous les enjeux du texte.  

[6] Merci à Aurélien Boyer qui le premier m’a alerté sur ce point il y a plusieurs mois.

[7] A ce sujet vous pouvez lire « Chômeurs vos papiers » , de Claire Vivès, Luc Sigalo Santos, Jean-Marie Pillon, Vincent Dubois, Hadrien Clouet, aux éditions Raisons d’agir ! qui souligne, notamment qu’un des effets de la multiplication des contrôles (ciblés sur certain publics de Pôle emploi) est de faire perdre la confiance des usagers envers les travailleurs de l’institution : quand vous n’avez pas les codes et que vous êtes effrayés, vous confondez vite (à tort ou à raison), la personne chargée de vous conseiller et celle qui vous contrôle, et donnez la réponse que vous croyez qu’on attend de vous, plutôt que de partager les informations qui seraient utiles.

[8] La menace de sanction augmente la participation et l'inscription aux dispositifs et diminue le nombre de bénéficiaire, sans que l'on sache dire s'il s'agit de non recours accru ou de retour à l'emploi. Chareyron, S., Le Gall, R et L’Horty, Y. (2022) . Droits et devoirs du RSA : l’impact des contrôles sur la participation des bénéficiaires. Revue économique, Vol. 73(5), 735-759. https://doi.org/10.3917/reco.735.0735.

Une revue de littérature bien plus détaillée peut être trouvée dans la thèse récemment soutenue d'Arthur Heim.

 

Texte intégral (3104 mots)

Il est difficile de savoir à l’avance toute l’étendue des conséquences de la réforme qui entre en vigueur. Je livre ici quelques éléments de réflexion, mais cette interprétation reste très incertaine. La réforme ne va vraisemblablement pas obliger la plupart des allocataires du RSA à travailler gratuitement (même si le cas n’est pas exclu), mais elle va faire par défaut considérer tout allocataire du RSA comme un chômeur, inscrit à France travail, et passible de sanction s’il ne se conforme pas aux injonctions qui lui seront faite. Il existait par le passé déjà des « droits et devoirs » et des sanctions, mais toute personne au RSA n’étaient pas considérée par défaut comme relevant du contrôle des chômeurs, en cela c’est une rupture qui peut avoir des conséquences sociales graves. Cette réforme parachève une évolution d’une décennie au cours de laquelle les objectifs de réduction et d’atténuation de la pauvreté pour elle-même ont été délaissés, au point de subordonner toute la politique sociale à la politique de l’emploi à tout prix. L’application de la réforme risque de plus d’être très hétérogène selon les départements.

La réforme du RSA entre en vigueur en janvier 2025[1]. Si celle-ci est très certainement porteuse de dangers pour les allocataires, j’ai encore du mal à saisir comment elle va être appliquée et je pense surtout que son application n’est pas encore complètement déterminée, dépendant fortement de ce qu’en feront les département (ce qui en fait en partie le danger pour les allocataires).

Je prends donc ici des notes, comme jalons pour des analyses à venir de la réforme, à la fois pour partager mes réflexions et questions, mais aussi pour recevoir des éclairages et des précisions et surtout correction d’éventuelles lectrices ou lecteurs mieux informés.

Avant de rentrer dans le détail des mesures, il faut noter que cette réforme est symptomatique d’une transformation de la politique sociale qui date d’au moins 2017[2] : la politique sociale n’est plus une politique autonome avec ses objectifs propre (réduire la prévalence et l’intensité de la pauvreté par exemple), mais celle-ci est entièrement subordonnée à la politique du marché du travail : s’il faut choisir, on dégradera les conditions sociales en espérant forcer une reprise rapide d’emploi. C’était déjà manifeste lorsqu’en 2018 le relèvement de la prime d’activité a relevé le revenu des travailleurs pauvres sans améliorer la situation des allocataires du RSA sans emploi ; c’était encore évident lorsque les réformes de l’assurance chômage ont délibérément diminué le montant mensuel des allocations chômage de 20% en moyenne, au nom d’un effet (non probant) sur la reprise d’emploi. La loi plein emploi parachève cette évolution, en faisant que tout personne recevant le RSA est considérée par défaut comme demandeuse d’emploi soumise à un contrôle de son comportement de recherche d’emploi, passible de sanction dont on mesure encore mal le caractère arbitraire.

Listons maintenant les principales mesures contenues dans la réforme :

  1. Le changement sans doute le plus important de la réforme est l’inscription automatique de tout allocataire à France travail, par défaut.

Ce changement est le plus important au sens où il est le plus susceptible d’affecter massivement un grand nombre d’allocataires.

Auparavant, la privation de ressource donnait droit par défaut au RSA, et ce droit au RSA était assorti d’obligations (les « droits et devoirs »), qui pouvaient (ou non) être associée à la recherche d’emploi[3].  Jusqu’en 2024, il était de la responsabilité des départements d’orienter les allocataires du RSA, vers un parcours d’accompagnement personnalisé, qui pouvait être opéré par France travail (c’est le cas de 41% des allocataires[4]), ou par différents services sociaux au niveau des collectivités. Et tant que l’allocataire n’avait pas bénéficié d’une orientation vers un accompagnement, sa situation de demandeur d’emploi ou non n’était pas préjugée (ce qui parait plutôt normal, il existe bien des situations ou des personnes sans ressources ne relèvent pas immédiatement de la recherche d’emploi).

Demain, l’attribution du RSA déclenchera automatiquement une inscription administrative à France travail. Autrement dit, tout allocataire du RSA sera considéré par défaut comme demandeur d’emploi, jusqu’à preuve du contraire.

L’inscription automatique de 59% des allocataires qui ne l’étaient pas auparavant (+1,8millions de personnes) à France travail a plusieurs conséquences prévisibles :

  • Une réorganisation (ou désorganisation ?) de France travail qui va voir arriver un nombre de nouveaux inscrits sans précédent.
  • Pour une partie des nouveaux inscrits, cette inscription à France travail sera en grande partie « transparente » : pour ne pas saturer les conseillers France travail, et parce que nombre des allocataires ne sont pas en situation immédiate de chercher un emploi (pour des raisons sociales, de santé…), ces allocataires seront immédiatement redirigés (sur décision ou par des algorithmes) vers les services sociaux départementaux, locaux ou les structures d’accompagnement (par exemple les missions locales), qui était précédemment chargés de leur suivi. Les allocataires seront donc administrativement inscrits à France travail, mais suivis ailleurs.

Pourtant cette inscription obligatoire pourrait changer beaucoup de chose : la procédure pour savoir qui va être suivi en pratique par quel organisme va être modifiée dans chaque département ; certains départements vont sans doute tenter de rester au plus près de ce qui se faisait par le passé ; d’autres, à l’occasion de la réforme, changer leur dispositif d’orientation, en revoir les critères (qui doit aller où…). Or ce choix d’orientation, sans doute en grande partie guidé par des critères automatisés (des algorithmes), sont lourds de conséquences pour les allocataires.

Il est donc a priori difficile à ce stade de savoir d’une part quels vont être les critères effectifs qui seront appliqués, et d’autre part, si le fait d’avoir un opérateur commun (France travail) va conduire à une harmonisation de l’orientation (dans une version sans doute très mécanique), ou au contraire si l’hétérogénéité des pratiques va être exacerbée par les décisions que prendront les départements. 

  1. L’obligation de quinze heures d’activité

Cette obligation, très médiatisée, y compris par les promoteurs de la réforme a sans doute été mal interprétée, même si elle comporte des dangers réels. Il ne s’agit pas, au moins pas nécessairement d’obliger les allocataires à travailler gratuitement[5].

Cette obligation est la nouvelle forme d’obligation de recherche d’emploi de tous les demandeurs d’emploi inscrits à France travail[6] et pas uniquement les allocataires du RSA. Autrement dit c’est la (nouvelle) façon dont le législateur définit l’obligation, pour toute personne inscrite à France travail de chercher activement un emploi, sous peine de sanction. Ce que la réforme change, c’est donc i) la forme que prend l’obligation de recherche d’emploi des inscrits à France travail ii) qu’elle soumet tous les allocataires du RSA par défaut aux obligations des demandeurs d’emploi.

Mais aucun organisme aujourd’hui n’est en mesure d’encadrer pendant 15h hebdomadaire les 6 et bientôt 8 millions de personnes inscrites à France travail. Il n’y a tout simplement pas assez de ressources pour cela.

On peut donc penser (mais je n’ai pas de certitude, et la situation peut être très variable d’un allocataire à l’autre et d’un département à l’autre), que dans la plupart des cas, cette obligation va se prendre la forme suivante :

  • Le plus souvent des « feuilles de temps », c’est-à-dire que les personnes devront justifier (ou être en mesure de justifier en cas de contrôle) qu’elles ont recherché des offres, envoyé des CV, etc. en quantité suffisante.
  • La participation obligatoire à certaines activités, des plus utiles aux plus coercitives (suivi sanitaire et social, formation, bilan de compétence, atelier de rédaction de CV, suivi individuel, groupe de motivation…)

On ne peut pas exclure que dans certains cas, des départements, particulièrement mal inspirés, tentent d’interpréter la loi pour imposer des activités qui s’apparenteraient à du travail (gratuit), dans des structures publiques associatives ou privées ; il restera à voir si la justice jugera ce comportement légal au regard du droit français et international du travail. Dans un futur proche il n’est pas pensable que cela (le travail obligatoire gratuit) s’applique massivement : faire travailler des personnes de manière contrainte, qui plus est en grande difficulté sociale, demande des moyens, une organisation, un encadrement. Mais le fait que cela ne soit pas le cas général ne rend pas le danger moins réel et moins grave, à la fois pour les personnes concernées et parce qu’il créerait un précédent.

  1. Cette inscription obligatoire va créer un levier très arbitraire pour intimider, ou priver de ressources les allocataires

En effet, en considérant par défaut, avant même leur premier entretien avec un travailleur social, tout allocataire du RSA comme une personne en recherche d’emploi, devant justifier de 15h d’activité, on crée une base pour des sanctions nombreuses, par suspension ou réduction (on dit « modulation ») de l’allocation pour toute personne qui ne se sera pas présentée à l’heure dite, n’aura pas participé au bon atelier, ou n’aura pas le bon jour convaincu son vis-à-vis de la bonne foi de ses démarches[7]. Ce type de sanction existe bien sûr déjà, leur pratique pourrait s’intensifier.

Tous les départements n’auront pas la même attitude, mais on peut déjà pointer au moins trois écueils.

  • Le premier est d’ordre social : priver une personne effectivement sans ressource monétaire d’une aide minimale, est un acte de maltraitance grave, dangereux pour elle et sa famille (oui les enfants subissent directement les conséquences de ces sanctions, de l'ordre de 800 000 ménages allocataires ont au moins un enfant à charge).
  • Le second est budgétaire : le budget du RSA représente une charge financière importante pour les départements. Dans un contexte particulièrement contraint, le risque que certains départements voient dans la politique de sanction des allocataires une source d’économie potentielle est évident.
  • Le troisième encore une fois est l’hétérogénéité du traitement selon les départements. En particulier, comme les sanctions aux allocataires sont présentées comme des outils de « remobilisation » des allocataires, on imagine bien que certains départements n’utiliseront pas cet outil tandis que d’autres y verront un « levier » pour leur politique d’accompagnement et d’insertion. 

En conclusion, la réforme qui entre en vigueur porte évidemment pour les allocataires beaucoup plus de dangers que de promesses d’amélioration. Les éventuels aspects positifs pourraient venir d’un raccourcissement des délais d’orientation vers l’accompagnement ou de moyens supplémentaires mis sur cet accompagnement, mais ceux-ci semblent faibles et risquent d’être au mieux neutralisés par les autres aspects de la réforme. Par ailleurs les résultats de la littérature [8], comme le travail plus récent d'Arthur Heim soulignent qu'il ne faut pas attendre de miracle d'un accompagnement renforcé assorti de menace de sanction.

La dénonciation de cette réforme est légitime et nécessaire : ce n’est pas parce qu’on ne sait pas à l’avance quelle sera l’étendu de ses effets qu’il est acceptable de durcir encore le sort fait aux allocataires du RSA, ni souhaitable de créer de nouvelles inégalités de traitement entre l’allocataire du Bas-Rhin et celui du Rhône. Pour autant ce n’est sans doute pas exactement la réforme qui a été présentée politiquement comme la réforme instaurant des travaux gratuits pour les allocataires du RSA. C’est d’abord une réforme qui dégrade le droit à un secours minimal pour le subordonner toujours davantage à des opérations de contrôle et de sanction sur le marché du travail, dans la lignée de réformes précédentes en France et de ce qui peut exister de peu enviable en Angleterre ou en Allemagne.

 

PS: malgré une communication abondante, la diversité des formes prise par les "expérimentations" de la réforme dans les territoires pilotes ne permettront sans doute pas de comprendre par avance, quelles seront les conséquences de la réforme au niveau national. 

 

Merci à Ulysse Lojkine et Arthur Heim pour leur relecture et remarques (les erreurs restantes sont de mon fait).

 

[1] Un descriptif et un commentaire sont donnés dans cet article du Monde.

[2] Voir Le système français de protection sociale, Repères, La Découverte, co-écrit avec J. C. Barbier et B. Théret.

[3] Voir par exemple cette publication DREES : Aurélien Boyer (DREES, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) (2023, décembre). Un bénéficiaire du RSA sur cinq reste les dix années suivantes dans la prestation. Études et résultats, 1287. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-jeux-de-donnees/etudes-et-resultats/un-beneficiaire-du-rsa-sur

[4] Voir Pierre-Yves Cabannes et Opale Echegu (dir.) (DREES) (2024, juillet). Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution - Édition 2024. Panoramas de la DREES. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/241022_Minima_Sociaux_2024

[5] Il est difficile de ne pas se dire que l’interprétation sans doute fallacieuse (« la réforme va obliger les allocataires du RSA a du travail gratuit ») a été entretenue sciemment par une partie du camp présidentiel – dans un discours de stigmatisation des allocataires déjà utilisés par Nicolas Sarkozy du temps de la création du RSA. Et qu’elle n’a pas été démentie par une opposition sans doute inattentive qui a par simplicité préféré dénoncer ce risque réel, mais peut-être pas aussi central, que d’envisager tous les enjeux du texte.  

[6] Merci à Aurélien Boyer qui le premier m’a alerté sur ce point il y a plusieurs mois.

[7] A ce sujet vous pouvez lire « Chômeurs vos papiers » , de Claire Vivès, Luc Sigalo Santos, Jean-Marie Pillon, Vincent Dubois, Hadrien Clouet, aux éditions Raisons d’agir ! qui souligne, notamment qu’un des effets de la multiplication des contrôles (ciblés sur certain publics de Pôle emploi) est de faire perdre la confiance des usagers envers les travailleurs de l’institution : quand vous n’avez pas les codes et que vous êtes effrayés, vous confondez vite (à tort ou à raison), la personne chargée de vous conseiller et celle qui vous contrôle, et donnez la réponse que vous croyez qu’on attend de vous, plutôt que de partager les informations qui seraient utiles.

[8] La menace de sanction augmente la participation et l'inscription aux dispositifs et diminue le nombre de bénéficiaire, sans que l'on sache dire s'il s'agit de non recours accru ou de retour à l'emploi. Chareyron, S., Le Gall, R et L’Horty, Y. (2022) . Droits et devoirs du RSA : l’impact des contrôles sur la participation des bénéficiaires. Revue économique, Vol. 73(5), 735-759. https://doi.org/10.3917/reco.735.0735.

Une revue de littérature bien plus détaillée peut être trouvée dans la thèse récemment soutenue d'Arthur Heim.

 

27.10.2024 à 22:08

En novembre, l'Etat va augmenter le SMIC en baissant les exonérations...ou l'inverse

zemmour

Il y a quelques temps j'avais fait un billet pour souligner un problème concernant le lien entre SMIC et exonération de cotisations employeur:

Quand l'Etat augmente le SMIC, le barème des exonérations augmente, et les employeurs de salariés au-dessus du SMIC (dont les salaires n'ont pas augmenté autant que le SMIC voient leur cotisations sociales baisser).

Comme je le soulignais, un des problème de ce système est qu'il constitue une forte désincitation pour l'Etat à augmenter le SMIC: en effet augmenter le SMIC lui coûte, non seulement en tant qu'employeur, mais également et surtout en exonérations de cotisations (dont la facture augmente).

Il semble que cet effet pervers appartienne désormais au passé:

En novembre, le SMIC va être (faiblement) revalorisé de 2%, grosso modo l'inflation, c'est à dire quasiment le minimum obligatoire ( si quelqu'un sait pourquoi en novembre cette année, plutôt qu'au 1er janvier...) .

Mais les exonérations vont continuer à être calculées sur le montant du SMIC au 1er janvier 2024. Autrement dit, le barème des exonérations va être sous-indexé. On peut ainsi lire dans le PLFSS (p.28-29) que dès le premier novembre le "point de sortie" des allègements généraux sera désormais à 1,57 SMIC et non à 1,6 SMIC.

Selon le PLFSS le gain réalisé en baisse d'exonérations permet juste de compenser le fait que le montant en euros des exonérations au niveau du SMIC va augmenter (le taux d'exonération baisse légèrement, mais le montant exonéré est quand même plus élevé du fait de la hausse du SMIC). [Si quelqu'un a le détail du calcul (du gain et de la dépense), je suis intéressé car les différents effets ne me semblent pas si clairs]

Autrement dit pour la première fois depuis longtemps, l'Etat va revaloriser le SMIC, sans en supporter un surcoût indirect via les exonérations (il supportera tout de même le coût en tant qu'employeur).

Ajoutons à cela que depuis le 10 octobre, les sommes versées sous forme de "Prime de partage de la valeur" sont inclues dans l'assiette du calcul des exonération (autrement dit un employeur ne peut plus augmenter le volume des exonérations auquel il a le droit en versant de la PPV plutôt que du salaire - même si il continue de profiter d'autres niches sociales liées à la PPV). Mise en oeuvre d'une des pistes avancées notamment dans le rapport Gautié Lerais pour l'IRES, commandé par la CFDT.

Tout ceci reste relativement marginal, par rapport à la petite révolution que constitue la refonte (et à la diminution ) des exonérations de cotisations employeur prévue pour 2025 et 2026, dans la foulée de l'important rapport Bozio Wasmer, mais c'est une autre histoire.

 

 

Texte intégral (533 mots)

Il y a quelques temps j'avais fait un billet pour souligner un problème concernant le lien entre SMIC et exonération de cotisations employeur:

Quand l'Etat augmente le SMIC, le barème des exonérations augmente, et les employeurs de salariés au-dessus du SMIC (dont les salaires n'ont pas augmenté autant que le SMIC voient leur cotisations sociales baisser).

Comme je le soulignais, un des problème de ce système est qu'il constitue une forte désincitation pour l'Etat à augmenter le SMIC: en effet augmenter le SMIC lui coûte, non seulement en tant qu'employeur, mais également et surtout en exonérations de cotisations (dont la facture augmente).

Il semble que cet effet pervers appartienne désormais au passé:

En novembre, le SMIC va être (faiblement) revalorisé de 2%, grosso modo l'inflation, c'est à dire quasiment le minimum obligatoire ( si quelqu'un sait pourquoi en novembre cette année, plutôt qu'au 1er janvier...) .

Mais les exonérations vont continuer à être calculées sur le montant du SMIC au 1er janvier 2024. Autrement dit, le barème des exonérations va être sous-indexé. On peut ainsi lire dans le PLFSS (p.28-29) que dès le premier novembre le "point de sortie" des allègements généraux sera désormais à 1,57 SMIC et non à 1,6 SMIC.

Selon le PLFSS le gain réalisé en baisse d'exonérations permet juste de compenser le fait que le montant en euros des exonérations au niveau du SMIC va augmenter (le taux d'exonération baisse légèrement, mais le montant exonéré est quand même plus élevé du fait de la hausse du SMIC). [Si quelqu'un a le détail du calcul (du gain et de la dépense), je suis intéressé car les différents effets ne me semblent pas si clairs]

Autrement dit pour la première fois depuis longtemps, l'Etat va revaloriser le SMIC, sans en supporter un surcoût indirect via les exonérations (il supportera tout de même le coût en tant qu'employeur).

Ajoutons à cela que depuis le 10 octobre, les sommes versées sous forme de "Prime de partage de la valeur" sont inclues dans l'assiette du calcul des exonération (autrement dit un employeur ne peut plus augmenter le volume des exonérations auquel il a le droit en versant de la PPV plutôt que du salaire - même si il continue de profiter d'autres niches sociales liées à la PPV). Mise en oeuvre d'une des pistes avancées notamment dans le rapport Gautié Lerais pour l'IRES, commandé par la CFDT.

Tout ceci reste relativement marginal, par rapport à la petite révolution que constitue la refonte (et à la diminution ) des exonérations de cotisations employeur prévue pour 2025 et 2026, dans la foulée de l'important rapport Bozio Wasmer, mais c'est une autre histoire.

 

 

20.06.2024 à 18:29

Politique économique : le Nouveau Front populaire dessine un changement de cap

zemmour

Texte acceptée par Le Monde le 15/06, qui a finalement décidé ne pas le publier, je le pose donc ici un peu tard.

Le programme du Nouveau Front Populaire publié ces jours ci indique une direction de politique économique claire : il s’agit de reprendre le chemin d’une politique sociale et d’investissement (public et privé), articulée à une politique fiscale qui vise à (re) remplir les caisses d’une part et à instaurer davantage de justice fiscale d’autre part. C’est une réorientation marquée par rapport à la politique actuelle.  Est-ce que les mesures sont crédibles : oui, les pistes de financement aussi. Est-ce que tout pourra être mis en œuvre et selon quel calendrier, on verra bien. Dans tous les cas, la situation économique est incertaine et ce, quel que soit le gouvernement qui sera nommé.

La bonne question n’est pas celle du « sérieux » – la politique actuelle à maints égards n’est pas sérieuse ni socialement, ni économiquement, ni budgétairement - mais de savoir quel est le cap de politique économique que nous choisissons pour faire face aux incertitudes et répondre aux questions écologiques et sociales qui se posent. Car oui, il y a le choix.

Le débat sur le réalisme est à côté du sujet

On pourrait résumer le programme du NFP ainsi: suspendre l’application des réformes anti-sociales, redonner du pouvoir d’achat aux ménages, renforcer les services publics, récupérer de l’argent sur le patrimoine, et générer en retour des effets économiques vertueux. Cette politique tourne le dos à celle mise en œuvre depuis 2017 dont l’orientation principale, revendiquée par Bruno Le Maire, est la baisse des prélèvements obligatoires et l’horizon la réduction du rôle de la protection sociale et des services publics dans l’économie ; politique menée à un rythme rapide, comme une fuite en avant à la recherche vaine d’un retour de la croissance et qui ne récolte qu’une baisse de la productivité.

Une large partie des critiques sur le sérieux du programme du NFP provient de commentateurs pour qui le seul débat économique valable est de savoir s’il faut d’abord définancer les retraites, l’école, les deux en même temps, ou si on n’ajouterait pas encore un peu de baisse de prélèvements sur les entreprises, pour la route. Et lorsque ces réformes sont évaluées scientifiquement, qu’on en démontre le coût social ou le peu d'efficacité économique, le plus souvent ces personnes haussent les épaules et passent à la suivante. Évidemment, une autre politique économique est possible.

Des mesures sociales tout à fait à portée de main

Si on considère les principales mesures proposées par le Nouveau Front Populaire, elles apparaissent tout à fait envisageables, sans doute d’ailleurs un peu plus modérées que le programme de la NUPES en 2022, pour tenir compte de la dégradation depuis des comptes publics.

Pour ne prendre que quelques mesures sur les sujets que je connais le mieux : suspendre la réforme des retraites de 2023 pour revenir à 62 ans immédiatement est tout à fait faisable, d’autant que la réforme a à peine commencé d’être appliquée (cela représente environ 0,8 point de PIB en 2032 pour le système de retraite et c’est en grande partie financé par la hausse prévue des cotisations de 0,6 points pour les employeurs et 0,6 points pour les salariés[1]). Il est prudent de ne pas s’engager trop avant sur le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous, même s’il apparaît évident que pour certaines personnes et certains métiers pénibles aujourd’hui quasiment pas reconnus, la baisse de l’âge de départ devrait être appliquée rapidement. 

Annuler les réformes de l’assurance chômage est également très facilement faisable, la précédente n’étant même pas encore complètement montée en charge et la prochaine n’étant pas encore appliquée.

Revaloriser le point d’indice de la fonction publique de 10% est un choix budgétaire non négligeable dont il s’agit de prendre conscience de l’ampleur, à hauteur de 0,8 points de PIB selon certaines estimations. Cette priorité constitue bien une partie de la réponse aux graves difficultés de recrutement que connaissent actuellement les services publics, en particulier les deux plus importants que sont la santé et l’éducation, dont les concours ne font plus, du tout, le plein. Cela sera sans doute plus utile pour l’avenir que la baisse de la fiscalité pour les ménages les plus aisés.

L’indexation des salaires, elle, existe sous une certaine forme chez nos voisins Belges, qui ne s’en plaignent pas, et cela mériterait qu’on s’y penche pour en affiner les caractéristiques techniques.

Côté recettes on peut voir plus loin

Côté recettes, là aussi les pistes sont claires : récupérer des moyens sur les patrimoines des millionnaires et milliardaires par le retour à un impôt sur la fortune et l’instauration d’un impôt élevé sur les très hautes successions. Il est également urgent de revenir sur certaines niches fiscales ayant peu d’effet positif et très coûteuses.

C’est peut-être de ce côté-là d’ailleurs que le programme mériterait d’être approfondi. Un passage en revue systématique de la politique fiscale depuis 2017 pourrait donner des pistes de financement utiles.  En effet, depuis 2017, les baisses de prélèvements obligatoires décidées par les différents gouvernements s’élèvent à près de 70 milliards d’euros par an. Ces 70 milliards ont eu deux contreparties : une baisse (ou un ralentissement du financement) des protections collectives (retraite, chômage, services publics), mais également un creusement du déficit public. Selon l’OFCE, de l’ordre de 40 Mds d’euros de baisse de recettes depuis 2017 n’ont jamais été compensés. Alors que le déficit est en 2023 à 5,5% du PIB ces mesures non compensées représentent environ 1,4 point de PIB[2], ce qui n’est budgétairement pas très sérieux.

Selon la même logique, revenir sur le CICE et le pacte de responsabilité, mis en place sous François Hollande, ou sur la baisse de la CVAE plus récente pourrait donner davantage de marge de manœuvre. Certes, ce n’est pas parce ces mesures fiscales étaient contestables, qu’on peut les supprimer toutes, et d’un coup :  les entreprises, même si elles n’en avaient pas besoin, s’y sont accoutumées. Mais il y a de la marge pour commencer tout de suite, et récupérer des montants conséquents.

C’est pour cela qu’une revue paraît opportune pour savoir jusqu’où et à quel rythme on peut remonter la pente dévalée au cours des dernières années. De manière intéressante, certains amendements aux dernières lois de finance de la majorité présidentielle, le rapport Bozio-Wasmer en cours de rédaction, ou encore la Cour des comptes esquissent déjà des pistes en ce sens.  

N’esquivons pas le débat démocratique sur la politique à mener

Ce qui serait “sérieux”, et démocratique, c’est que les médias d’information utilisent le temps de cette élection pour mettre en perspective les visions de politiques économiques alternatives des trois pôles : la baisse des prélèvements et des dépenses sociales de LREM, espérant faire revenir de la croissance, sa version amplifiée par le RN assortie d’une politique économique xénophobe motivée par des orientations racistes, et le changement de cap proposé par le Nouveau Front Populaire qui fait le pari d’une réorientation écologique et sociale, appuyée par la fiscalité et dans une perspective keynésienne.

Si le front populaire gagne, il aura alors à sa disposition tous les moyens de l’Etat pour calibrer, orchestrer, séquencer les mesures de son programme, et proposer des décisions à arbitrer. La feuille de route est suffisamment claire pour que cela démarre vite, l’administration sait faire. Un programme est là pour définir un cap, le début du chemin et un horizon, en l’espèce celui du NFP trace des perspectives claires et enthousiasmantes.

 

 

[1] Chiffrage auteur d’après simulateur du COR.

[2] OFCE : https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/les-crises-expliquent-elles-la-hausse-de-la-dette-publique-en-france/

Texte intégral (1569 mots)

Texte acceptée par Le Monde le 15/06, qui a finalement décidé ne pas le publier, je le pose donc ici un peu tard.

Le programme du Nouveau Front Populaire publié ces jours ci indique une direction de politique économique claire : il s’agit de reprendre le chemin d’une politique sociale et d’investissement (public et privé), articulée à une politique fiscale qui vise à (re) remplir les caisses d’une part et à instaurer davantage de justice fiscale d’autre part. C’est une réorientation marquée par rapport à la politique actuelle.  Est-ce que les mesures sont crédibles : oui, les pistes de financement aussi. Est-ce que tout pourra être mis en œuvre et selon quel calendrier, on verra bien. Dans tous les cas, la situation économique est incertaine et ce, quel que soit le gouvernement qui sera nommé.

La bonne question n’est pas celle du « sérieux » – la politique actuelle à maints égards n’est pas sérieuse ni socialement, ni économiquement, ni budgétairement - mais de savoir quel est le cap de politique économique que nous choisissons pour faire face aux incertitudes et répondre aux questions écologiques et sociales qui se posent. Car oui, il y a le choix.

Le débat sur le réalisme est à côté du sujet

On pourrait résumer le programme du NFP ainsi: suspendre l’application des réformes anti-sociales, redonner du pouvoir d’achat aux ménages, renforcer les services publics, récupérer de l’argent sur le patrimoine, et générer en retour des effets économiques vertueux. Cette politique tourne le dos à celle mise en œuvre depuis 2017 dont l’orientation principale, revendiquée par Bruno Le Maire, est la baisse des prélèvements obligatoires et l’horizon la réduction du rôle de la protection sociale et des services publics dans l’économie ; politique menée à un rythme rapide, comme une fuite en avant à la recherche vaine d’un retour de la croissance et qui ne récolte qu’une baisse de la productivité.

Une large partie des critiques sur le sérieux du programme du NFP provient de commentateurs pour qui le seul débat économique valable est de savoir s’il faut d’abord définancer les retraites, l’école, les deux en même temps, ou si on n’ajouterait pas encore un peu de baisse de prélèvements sur les entreprises, pour la route. Et lorsque ces réformes sont évaluées scientifiquement, qu’on en démontre le coût social ou le peu d'efficacité économique, le plus souvent ces personnes haussent les épaules et passent à la suivante. Évidemment, une autre politique économique est possible.

Des mesures sociales tout à fait à portée de main

Si on considère les principales mesures proposées par le Nouveau Front Populaire, elles apparaissent tout à fait envisageables, sans doute d’ailleurs un peu plus modérées que le programme de la NUPES en 2022, pour tenir compte de la dégradation depuis des comptes publics.

Pour ne prendre que quelques mesures sur les sujets que je connais le mieux : suspendre la réforme des retraites de 2023 pour revenir à 62 ans immédiatement est tout à fait faisable, d’autant que la réforme a à peine commencé d’être appliquée (cela représente environ 0,8 point de PIB en 2032 pour le système de retraite et c’est en grande partie financé par la hausse prévue des cotisations de 0,6 points pour les employeurs et 0,6 points pour les salariés[1]). Il est prudent de ne pas s’engager trop avant sur le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous, même s’il apparaît évident que pour certaines personnes et certains métiers pénibles aujourd’hui quasiment pas reconnus, la baisse de l’âge de départ devrait être appliquée rapidement. 

Annuler les réformes de l’assurance chômage est également très facilement faisable, la précédente n’étant même pas encore complètement montée en charge et la prochaine n’étant pas encore appliquée.

Revaloriser le point d’indice de la fonction publique de 10% est un choix budgétaire non négligeable dont il s’agit de prendre conscience de l’ampleur, à hauteur de 0,8 points de PIB selon certaines estimations. Cette priorité constitue bien une partie de la réponse aux graves difficultés de recrutement que connaissent actuellement les services publics, en particulier les deux plus importants que sont la santé et l’éducation, dont les concours ne font plus, du tout, le plein. Cela sera sans doute plus utile pour l’avenir que la baisse de la fiscalité pour les ménages les plus aisés.

L’indexation des salaires, elle, existe sous une certaine forme chez nos voisins Belges, qui ne s’en plaignent pas, et cela mériterait qu’on s’y penche pour en affiner les caractéristiques techniques.

Côté recettes on peut voir plus loin

Côté recettes, là aussi les pistes sont claires : récupérer des moyens sur les patrimoines des millionnaires et milliardaires par le retour à un impôt sur la fortune et l’instauration d’un impôt élevé sur les très hautes successions. Il est également urgent de revenir sur certaines niches fiscales ayant peu d’effet positif et très coûteuses.

C’est peut-être de ce côté-là d’ailleurs que le programme mériterait d’être approfondi. Un passage en revue systématique de la politique fiscale depuis 2017 pourrait donner des pistes de financement utiles.  En effet, depuis 2017, les baisses de prélèvements obligatoires décidées par les différents gouvernements s’élèvent à près de 70 milliards d’euros par an. Ces 70 milliards ont eu deux contreparties : une baisse (ou un ralentissement du financement) des protections collectives (retraite, chômage, services publics), mais également un creusement du déficit public. Selon l’OFCE, de l’ordre de 40 Mds d’euros de baisse de recettes depuis 2017 n’ont jamais été compensés. Alors que le déficit est en 2023 à 5,5% du PIB ces mesures non compensées représentent environ 1,4 point de PIB[2], ce qui n’est budgétairement pas très sérieux.

Selon la même logique, revenir sur le CICE et le pacte de responsabilité, mis en place sous François Hollande, ou sur la baisse de la CVAE plus récente pourrait donner davantage de marge de manœuvre. Certes, ce n’est pas parce ces mesures fiscales étaient contestables, qu’on peut les supprimer toutes, et d’un coup :  les entreprises, même si elles n’en avaient pas besoin, s’y sont accoutumées. Mais il y a de la marge pour commencer tout de suite, et récupérer des montants conséquents.

C’est pour cela qu’une revue paraît opportune pour savoir jusqu’où et à quel rythme on peut remonter la pente dévalée au cours des dernières années. De manière intéressante, certains amendements aux dernières lois de finance de la majorité présidentielle, le rapport Bozio-Wasmer en cours de rédaction, ou encore la Cour des comptes esquissent déjà des pistes en ce sens.  

N’esquivons pas le débat démocratique sur la politique à mener

Ce qui serait “sérieux”, et démocratique, c’est que les médias d’information utilisent le temps de cette élection pour mettre en perspective les visions de politiques économiques alternatives des trois pôles : la baisse des prélèvements et des dépenses sociales de LREM, espérant faire revenir de la croissance, sa version amplifiée par le RN assortie d’une politique économique xénophobe motivée par des orientations racistes, et le changement de cap proposé par le Nouveau Front Populaire qui fait le pari d’une réorientation écologique et sociale, appuyée par la fiscalité et dans une perspective keynésienne.

Si le front populaire gagne, il aura alors à sa disposition tous les moyens de l’Etat pour calibrer, orchestrer, séquencer les mesures de son programme, et proposer des décisions à arbitrer. La feuille de route est suffisamment claire pour que cela démarre vite, l’administration sait faire. Un programme est là pour définir un cap, le début du chemin et un horizon, en l’espèce celui du NFP trace des perspectives claires et enthousiasmantes.

 

 

[1] Chiffrage auteur d’après simulateur du COR.

[2] OFCE : https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/les-crises-expliquent-elles-la-hausse-de-la-dette-publique-en-france/

31.05.2024 à 12:17

Combien de personnes perdraient leur indemnisation du fait de la réforme ?

zemmour

Le gouvernement annonce une nouvelle réforme de l’assurance chômage, sans en détailler les effets sociaux, alors qu’il chiffre précisément les économies qu’il compte réaliser (3,6 Md d’euros par an à terme). En l’absence d’une documentation précise de la réforme on peut toutefois calculer des ordres de grandeur sur le nombre de personnes concernées par une perte de droits. À un premier niveau, tous les salariés sont concernés par la réforme parce qu’elle diminue la protection que confère l’assurance chômage). Parmi les personnes sans emploi un mois donné, la réforme réduirait le nombre d’indemnisés de 230 000 personnes chaque mois, pour créer seulement, selon le gouvernement 90 000 emplois.

L’ensemble des salariés concernés par une perte d’assurance

À un premier niveau c'est l’ensemble des salariés qui est concerné par une perte de protection. En effet l’assurance chômage ne vaut pas uniquement pour les prestations qu’elle verse effectivement aux personnes au chômage. Elle constitue aussi une protection pour l’ensemble des salariés en emploi, « au cas où » le risque de perte d’emploi se réaliserait. C’est bien le principe d’une assurance (même d’une assurance sociale), que d’offrir une protection, et donc de constituer une forme de sécurité, même lorsque le risque est encore virtuel.

Le risque chômage, bien que très inégalement distribué (les moins qualifiés, les salariés les plus jeunes, les seniors notamment sont particulièrement touchés), est un risque effectif pour l’ensemble des salariés du privé et les contractuels du public (hors CDI). En pratique, à l’échelle d’une carrière, plus de la moitié des salariés fait l’expérience d’une période relativement longue (50 jours ou plus) de chômage indemnisé.

De l’ordre de 230 000 personnes indemnisées en moins un mois donné du fait de la réforme

Le gouvernement annonce viser, en régime de croisière des économies de 3,6 Md d’euros. Or l’UNEDIC estime pour 2024 le budget des indemnités chômage à 34 Md d’euros soit de l’ordre de 10 % du montant total des allocations versées.

Or la réforme joue principalement sur le droit à indemnisation, en limitant d’une part l’accès à l’assurance chômage (8 mois d’emploi nécessaires sur 20 mois pour être indemnisé, au lieu de 6 mois sur 24 mois actuellement), en raccourcissant les durées maximales d’indemnisation (-3 mois par rapport à la situation actuelle pour les moins de 53 ans ; -7,5 mois pour les 53-54 ans, -12 mois pour les 55-56 ans, 4,5 mois pour les plus de 57 ans).

En somme, la réforme réalise principalement des économies en excluant les demandeurs d’emploi de l’indemnisation, à l’entrée dans l’indemnisation ou en précipitant la sortie d’indemnisation. La réforme aura sans doute aussi des effets sur les montants d’allocation (à la baisse ou à la hausse selon les cas), du fait du changement de période de référence mais les économies réalisées de ce côté seront sans doute plus modestes (au contraire de ce qui s’est passé avec la réforme de 2019-2021 qui a considérablement baissé le montant des droits).

En simplifiant raisonnablement, on peut donc estimer qu’une réforme qui réalise 10% d’économie principalement en limitant les périodes d’indemnisation, va donc un mois donné réduire de 10% le nombre de personnes indemnisées. C’est-à-dire de l’ordre de 230 000 personnes en moins indemnisées chaque mois[1]

Il s’agit là d’un ordre de grandeur : cela peut être un peu moins si le montant des allocations était fortement affecté à la baisse ; mais c’est probablement un peu plus, car les personnes qui seront le plus touchées par la perte de droits (jeunes, précaires, chômeurs de plus d’un an[2]), sont aussi les personnes ayant des indemnités plus faibles (il faut donc qu’ils soient plus nombreux touchés pour réaliser les mêmes économies).

Mais ce chiffre peut tout de même être mis en perspective : le gouvernement a dit (il semblerait qu’il ne le dise plus…) envisager une réduction du chômage de l’ordre de 90 000 personnes un mois donné du fait de sa réforme (ce qui correspondrait à une baisse de chômage de…0,3 point[3]). On peut discuter de cette estimation (je n’en connais pas la source) mais ce qu’on peut dire, c’est que le nombre de personnes qui vont perdre leur indemnité chômage est de l’ordre de deux fois et demi supérieur.

 

Graphique en bâton. A gauche une barre représentant 90 000 créations d'emplois (estimations gouv). A droite une barre représentants 230 000 pertes d'indemnisations

Lecture : Les économies réalisées par la réforme en plein régime se font par l’exclusion de l’ordre de 230 000 personnes de l’indemnisation chaque mois. Le gouvernement dit viser la création de 90 000 emplois par cette mesure.

Il ne s’agit bien sûr là que d’ordres de grandeur[4], le mieux serait que le gouvernement publie ses calculs.

Il faut garder en tête par ailleurs, que si la réforme conduit à réduire le chômage, c’est en partie au prix d’un salaire moindre ou d’emplois courts, ce qui n’est pas une bonne chose même du point de vue du fonctionnement du marché du travail, mais c’est un second sujet.

Merci à C. Carbonnier, M. Grégoire et C. Vivès pour leur relecture. Les coquilles et erreurs qui restent sont de mon fait.

 

 

 

 

 

 

 

[1] De mars 2023 à février 2024 il y a eu en moyenne 2,3 millions de personnes indemnisées chaque mois par l’assurance chômage, hors personnes en formation

[2] À l’inverse les seniors vont perdre sans doute beaucoup plus que la moyenne ce qui peut aller dans l’autre sens.

[3] On fait l’hypothèse que 90 000 correspond à une baisse du chômage, mais peut être que derrière ce chiffre le gouvernement fait référence à autre chose.

[4] Je fais par exemple l’hypothèse qu’il s’agit d’un chiffrage statique, c’est-à-dire que les 90 000 emplois supplémentaires ne sont pas comptés comme source d’économie.

Texte intégral (1259 mots)

Le gouvernement annonce une nouvelle réforme de l’assurance chômage, sans en détailler les effets sociaux, alors qu’il chiffre précisément les économies qu’il compte réaliser (3,6 Md d’euros par an à terme). En l’absence d’une documentation précise de la réforme on peut toutefois calculer des ordres de grandeur sur le nombre de personnes concernées par une perte de droits. À un premier niveau, tous les salariés sont concernés par la réforme parce qu’elle diminue la protection que confère l’assurance chômage). Parmi les personnes sans emploi un mois donné, la réforme réduirait le nombre d’indemnisés de 230 000 personnes chaque mois, pour créer seulement, selon le gouvernement 90 000 emplois.

L’ensemble des salariés concernés par une perte d’assurance

À un premier niveau c'est l’ensemble des salariés qui est concerné par une perte de protection. En effet l’assurance chômage ne vaut pas uniquement pour les prestations qu’elle verse effectivement aux personnes au chômage. Elle constitue aussi une protection pour l’ensemble des salariés en emploi, « au cas où » le risque de perte d’emploi se réaliserait. C’est bien le principe d’une assurance (même d’une assurance sociale), que d’offrir une protection, et donc de constituer une forme de sécurité, même lorsque le risque est encore virtuel.

Le risque chômage, bien que très inégalement distribué (les moins qualifiés, les salariés les plus jeunes, les seniors notamment sont particulièrement touchés), est un risque effectif pour l’ensemble des salariés du privé et les contractuels du public (hors CDI). En pratique, à l’échelle d’une carrière, plus de la moitié des salariés fait l’expérience d’une période relativement longue (50 jours ou plus) de chômage indemnisé.

De l’ordre de 230 000 personnes indemnisées en moins un mois donné du fait de la réforme

Le gouvernement annonce viser, en régime de croisière des économies de 3,6 Md d’euros. Or l’UNEDIC estime pour 2024 le budget des indemnités chômage à 34 Md d’euros soit de l’ordre de 10 % du montant total des allocations versées.

Or la réforme joue principalement sur le droit à indemnisation, en limitant d’une part l’accès à l’assurance chômage (8 mois d’emploi nécessaires sur 20 mois pour être indemnisé, au lieu de 6 mois sur 24 mois actuellement), en raccourcissant les durées maximales d’indemnisation (-3 mois par rapport à la situation actuelle pour les moins de 53 ans ; -7,5 mois pour les 53-54 ans, -12 mois pour les 55-56 ans, 4,5 mois pour les plus de 57 ans).

En somme, la réforme réalise principalement des économies en excluant les demandeurs d’emploi de l’indemnisation, à l’entrée dans l’indemnisation ou en précipitant la sortie d’indemnisation. La réforme aura sans doute aussi des effets sur les montants d’allocation (à la baisse ou à la hausse selon les cas), du fait du changement de période de référence mais les économies réalisées de ce côté seront sans doute plus modestes (au contraire de ce qui s’est passé avec la réforme de 2019-2021 qui a considérablement baissé le montant des droits).

En simplifiant raisonnablement, on peut donc estimer qu’une réforme qui réalise 10% d’économie principalement en limitant les périodes d’indemnisation, va donc un mois donné réduire de 10% le nombre de personnes indemnisées. C’est-à-dire de l’ordre de 230 000 personnes en moins indemnisées chaque mois[1]

Il s’agit là d’un ordre de grandeur : cela peut être un peu moins si le montant des allocations était fortement affecté à la baisse ; mais c’est probablement un peu plus, car les personnes qui seront le plus touchées par la perte de droits (jeunes, précaires, chômeurs de plus d’un an[2]), sont aussi les personnes ayant des indemnités plus faibles (il faut donc qu’ils soient plus nombreux touchés pour réaliser les mêmes économies).

Mais ce chiffre peut tout de même être mis en perspective : le gouvernement a dit (il semblerait qu’il ne le dise plus…) envisager une réduction du chômage de l’ordre de 90 000 personnes un mois donné du fait de sa réforme (ce qui correspondrait à une baisse de chômage de…0,3 point[3]). On peut discuter de cette estimation (je n’en connais pas la source) mais ce qu’on peut dire, c’est que le nombre de personnes qui vont perdre leur indemnité chômage est de l’ordre de deux fois et demi supérieur.

 

Graphique en bâton. A gauche une barre représentant 90 000 créations d'emplois (estimations gouv). A droite une barre représentants 230 000 pertes d'indemnisations

Lecture : Les économies réalisées par la réforme en plein régime se font par l’exclusion de l’ordre de 230 000 personnes de l’indemnisation chaque mois. Le gouvernement dit viser la création de 90 000 emplois par cette mesure.

Il ne s’agit bien sûr là que d’ordres de grandeur[4], le mieux serait que le gouvernement publie ses calculs.

Il faut garder en tête par ailleurs, que si la réforme conduit à réduire le chômage, c’est en partie au prix d’un salaire moindre ou d’emplois courts, ce qui n’est pas une bonne chose même du point de vue du fonctionnement du marché du travail, mais c’est un second sujet.

Merci à C. Carbonnier, M. Grégoire et C. Vivès pour leur relecture. Les coquilles et erreurs qui restent sont de mon fait.

 

 

 

 

 

 

 

[1] De mars 2023 à février 2024 il y a eu en moyenne 2,3 millions de personnes indemnisées chaque mois par l’assurance chômage, hors personnes en formation

[2] À l’inverse les seniors vont perdre sans doute beaucoup plus que la moyenne ce qui peut aller dans l’autre sens.

[3] On fait l’hypothèse que 90 000 correspond à une baisse du chômage, mais peut être que derrière ce chiffre le gouvernement fait référence à autre chose.

[4] Je fais par exemple l’hypothèse qu’il s’agit d’un chiffrage statique, c’est-à-dire que les 90 000 emplois supplémentaires ne sont pas comptés comme source d’économie.

25.04.2024 à 15:00

Parmi les générations en activité, plus d’une personne sur deux fait l’expérience du chômage au cours de sa carrière

zemmour

Qui est concerné par l'expérience du chômage ? L'observation des données de retraite indique que parmi les générations actuellement sur le marché du travail, plus d'un salarié sur deux fait l'expérience du chômage au cours de sa carrière (c'est à dire valide au moins un trimestre de retraite au titre du chômage de la préretraite, formation ou reconversion).

Dans un récent billet, Mathieu Grégoire soulignait que l’assurance chômage n’était pas l’affaire d’une minorité mais l’affaire de tous les salariés. En effet l’assurance chômage constitue une sécurité pour l’ensemble de salariés, car elle « couvre » un risque, le risque d’être privé de salaire du fait d’une perte d’emploi, qui concerne l’ensemble des salariés, avec des degrés d’exposition diverse.

Mais quelle est la part des personnes qui au cours de leur carrière font un passage par le chômage ? La réponse n’est pas évidente, mais, comme me l’a indiqué Henri Martin, statisticien spécialiste des inégalités, un élément de réponse peut se trouver dans les données de retraite : l’échantillon inter-cotisants 2017, dont les données agrégées sont mises à disposition par la DREES permet de savoir pour chaque génération et pour chaque âge, quelle est la part des personnes qui ont validé au moins un trimestre de retraite au titre du chômage, de la préretraite, de la reconversion ou de la formation. Les règles ont pu évoluer dans le temps mais au termes des règles actuelles, valider un trimestre au titre du chômage, implique d'avoir connu un épisode de chômage indemnisé d'au moins cinquante jours.

Les données montrent qu'à l'air du chômage de masse, le fait de vivre au moins un épisode de chômage est une expérience majoritaire :

En 2017, à 30 ans plus d’une personne sur trois avait validé un trimestre de retraite au titre du chômage. A 50 ans, une personne sur deux avait validé un trimestre de retraite au titre du chômage (Graphique 1).  Les données montrent par ailleurs que les femmes de plus de 45 ans sont nettement plus nombreuses que les hommes à avoir validé des trimestres de chômage (5-8 points de plus). Un écart qu'on ne retrouve pas aux âges inférieurs.

 

Graphique 1 :

Part des personnes ayant validé au moins un trimestre au titre du chômage en fonction de l'âge en 2017. La courbe est croissante de 20 ans à 50 ans ou elle dépasse 50%, puis décroit aux âges plus avancés.

Source : EIC 2017, DREES. Lecture : En 2017, les personnes de 50 ans était légèrement plus de 50%, à avoir validé au moins un trimestre utile de retraite au titre du chômage, de la formation, de la reconversion ou de la préretraite.

Une approche par génération souligne que les générations déjà en retraite (1958 sur le Graph 2) ont été un peu moins exposé au chômage (environ 45% de personnes concernées en fin de carrière). Mais pour les générations encore sur le marché du travail (génération 1968, 1978 et 1988 sur le graphique 2), elles sont toutes les trois sur un sentier qui conduira  plus d’une personne sur deux à valider au moins un trimestre de retraite via le chômage.

Graphique 2 :

Part de personne ayant validé un trimestre de chômage en fonction de l'âge par génération. Les générations 1958 1968 1978 et 1988 sont représentées. La courbe est concave, croit en fonction de l'âge et atteint environ 45% à 60 ans pour la génération 1958. Elle atteint 50% à 50 ans pour la génération 1968. Les générations suivantes suivent une trajectoire proche de la génération 1968.

Source : EIC 2017, DREES. Lecture : à 40 ans, environ 35% des personnes de la génération 1958 avait validé au moins un trimestre utile de retraite au titre du chômage, de la formation , de la reconversion ou de la préretraite.

Cette statistique rapide doit bien sûr être lue avec précaution, il ne s’agit pas d’une comptabilisation parfaite du temps passé au chômage: d’une part les trimestres considérés dans les données peuvent concerner d’autres situation que le chômage (préretraite, reconversion, formation rémunérée) ;  mais surtout, ne sont comptabilisés ici que les  « trimestres utiles » : les personnes qui auraient connu une période de chômage dans l’année mais auraient par ailleurs déjà validé quatre trimestres de retraite par leur seuls revenus d’activité ne seraient pas comptabilisés. en pratique cela veut dire que les personnes qui valident une année un trimestre au titre du chômage ont connu une longue période sans emploi (il suffit d'un mois en emploi au SMIC à temps plein pour valider un trimestre). De plus cette statistique inclut également les fonctionnaires, et seraient donc sans doute plus élevée si on se restreignait aux seuls salariés du privé.

Il reste qu’on peut affirmer avec un bon degré de certitude que l’expérience du chômage à un moment de la carrière est une expérience majoritaire parmi les salariés, et à ce titre la protection de l’assurance chômage (et les réformes de l’assurance chômage) concernent l’ensemble des salariés.

En revanche, bien-sûr, le risque de perte d’emploi à une date donnée, ou le risque de chômage de longue durée est particulièrement concentré sur les salariés les plus modestes et les contrats les moins protecteurs. Au passage ce sont aussi les salariés qui ont le plus grand risque de tomber en dehors des critères d’indemnisation de l’assurance chômage (durée d’emploi insuffisante, épuisement des droits, etc.).

 

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Texte intégral (1132 mots)

Qui est concerné par l'expérience du chômage ? L'observation des données de retraite indique que parmi les générations actuellement sur le marché du travail, plus d'un salarié sur deux fait l'expérience du chômage au cours de sa carrière (c'est à dire valide au moins un trimestre de retraite au titre du chômage de la préretraite, formation ou reconversion).

Dans un récent billet, Mathieu Grégoire soulignait que l’assurance chômage n’était pas l’affaire d’une minorité mais l’affaire de tous les salariés. En effet l’assurance chômage constitue une sécurité pour l’ensemble de salariés, car elle « couvre » un risque, le risque d’être privé de salaire du fait d’une perte d’emploi, qui concerne l’ensemble des salariés, avec des degrés d’exposition diverse.

Mais quelle est la part des personnes qui au cours de leur carrière font un passage par le chômage ? La réponse n’est pas évidente, mais, comme me l’a indiqué Henri Martin, statisticien spécialiste des inégalités, un élément de réponse peut se trouver dans les données de retraite : l’échantillon inter-cotisants 2017, dont les données agrégées sont mises à disposition par la DREES permet de savoir pour chaque génération et pour chaque âge, quelle est la part des personnes qui ont validé au moins un trimestre de retraite au titre du chômage, de la préretraite, de la reconversion ou de la formation. Les règles ont pu évoluer dans le temps mais au termes des règles actuelles, valider un trimestre au titre du chômage, implique d'avoir connu un épisode de chômage indemnisé d'au moins cinquante jours.

Les données montrent qu'à l'air du chômage de masse, le fait de vivre au moins un épisode de chômage est une expérience majoritaire :

En 2017, à 30 ans plus d’une personne sur trois avait validé un trimestre de retraite au titre du chômage. A 50 ans, une personne sur deux avait validé un trimestre de retraite au titre du chômage (Graphique 1).  Les données montrent par ailleurs que les femmes de plus de 45 ans sont nettement plus nombreuses que les hommes à avoir validé des trimestres de chômage (5-8 points de plus). Un écart qu'on ne retrouve pas aux âges inférieurs.

 

Graphique 1 :

Part des personnes ayant validé au moins un trimestre au titre du chômage en fonction de l'âge en 2017. La courbe est croissante de 20 ans à 50 ans ou elle dépasse 50%, puis décroit aux âges plus avancés.

Source : EIC 2017, DREES. Lecture : En 2017, les personnes de 50 ans était légèrement plus de 50%, à avoir validé au moins un trimestre utile de retraite au titre du chômage, de la formation, de la reconversion ou de la préretraite.

Une approche par génération souligne que les générations déjà en retraite (1958 sur le Graph 2) ont été un peu moins exposé au chômage (environ 45% de personnes concernées en fin de carrière). Mais pour les générations encore sur le marché du travail (génération 1968, 1978 et 1988 sur le graphique 2), elles sont toutes les trois sur un sentier qui conduira  plus d’une personne sur deux à valider au moins un trimestre de retraite via le chômage.

Graphique 2 :

Part de personne ayant validé un trimestre de chômage en fonction de l'âge par génération. Les générations 1958 1968 1978 et 1988 sont représentées. La courbe est concave, croit en fonction de l'âge et atteint environ 45% à 60 ans pour la génération 1958. Elle atteint 50% à 50 ans pour la génération 1968. Les générations suivantes suivent une trajectoire proche de la génération 1968.

Source : EIC 2017, DREES. Lecture : à 40 ans, environ 35% des personnes de la génération 1958 avait validé au moins un trimestre utile de retraite au titre du chômage, de la formation , de la reconversion ou de la préretraite.

Cette statistique rapide doit bien sûr être lue avec précaution, il ne s’agit pas d’une comptabilisation parfaite du temps passé au chômage: d’une part les trimestres considérés dans les données peuvent concerner d’autres situation que le chômage (préretraite, reconversion, formation rémunérée) ;  mais surtout, ne sont comptabilisés ici que les  « trimestres utiles » : les personnes qui auraient connu une période de chômage dans l’année mais auraient par ailleurs déjà validé quatre trimestres de retraite par leur seuls revenus d’activité ne seraient pas comptabilisés. en pratique cela veut dire que les personnes qui valident une année un trimestre au titre du chômage ont connu une longue période sans emploi (il suffit d'un mois en emploi au SMIC à temps plein pour valider un trimestre). De plus cette statistique inclut également les fonctionnaires, et seraient donc sans doute plus élevée si on se restreignait aux seuls salariés du privé.

Il reste qu’on peut affirmer avec un bon degré de certitude que l’expérience du chômage à un moment de la carrière est une expérience majoritaire parmi les salariés, et à ce titre la protection de l’assurance chômage (et les réformes de l’assurance chômage) concernent l’ensemble des salariés.

En revanche, bien-sûr, le risque de perte d’emploi à une date donnée, ou le risque de chômage de longue durée est particulièrement concentré sur les salariés les plus modestes et les contrats les moins protecteurs. Au passage ce sont aussi les salariés qui ont le plus grand risque de tomber en dehors des critères d’indemnisation de l’assurance chômage (durée d’emploi insuffisante, épuisement des droits, etc.).

 

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