13.11.2025 à 12:03
Mr Mondialisation
On en est là. Éruptions de joie et autres expressions de réjouissances. 42 personnes se sont noyées en mer suite à un naufrage au large de la Libye, très loin de la France. Mais voilà, ces personnes ne sont pas françaises, ce qui semble justifier des commentaires d’une malfaisance confondante. L’information publiée par le Figaro […]
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Hier 12 novembre 2025, le Figaro titrait : Naufrage au large de la Libye : 42 personnes présumées mortes. On apprend dans cet article que quarante-deux personnes sont décédées en mer après le naufrage d’une embarcation transportant plusieurs dizaines de migrants au large des côtes libyennes, selon un communiqué des Nations unies. Très loin de la France, donc.
Ce type de nouvelle est tristement banal. Entre 2 000 et 3 000 personnes meurent chaque année lors d’une tentative de traversée de la Méditerranée, principalement vers l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. De manière rituelle, Le Figaro informe son lectorat de la nouvelle. Mais ce n’est pas de l’étonnement ou de la tristesse que ceci génère, mais bien une effusion de joie. Et on ne parle pas de 2-3 messages isolés. 90% des commentaires fêtent la mort dans d’atroces souffrances d’êtres humains parfaitement anonymes. Hommes, femmes, enfants, vieillards. Une banalisation du mal qui en dit long sur l’état de cette presse autant que de la mentalité venimeuse de celles et ceux qui la lisent.


Ces commentaires révèlent aussi les composantes d’un narratif politique et médiatique fondé sur la désinformation, la haine et la déshumanisation. Quoi qu’on puisse individuellement penser des mouvements migratoires et des moyens de les gérer, rien ne justifie un tel manque d’humanité. Par ailleurs, il existe des causes et des faits qui ne peuvent être ignorés. Parmi les intox et sophismes communs distillés dans ces commentaires, on retrouve notamment : l’idée que l’arrivée de migrants sur les côtés françaises serait massive, la croyance que des associations humanitaires « subventionnées » faciliteraient l’arrivée des migrants ou encore que « la gauche » serait responsable de ces morts… Étudions ces questions pour y voir plus clair.
Première constatation, il n’existe pas de route maritime directe vers la France. Pratiquement aucune de ces embarcations n’arrivent sur les côtés françaises, bien surveillées et plus difficiles d’accès pour des raisons géographiques. Par ailleurs, l’ouverture de ports pour les navires humanitaires est toujours bloquée par la France.
Ainsi, le rapport UNHCR / IOM « Joint Annual Overview » (2023) indique seulement 260 arrivées sur les côtes françaises sur 212 100 tentatives, soit 0,12%. La part des traversées visant directement la France est pratiquement nulle. C’est tellement insignifiant que le rapport ne s’attarde même pas sur ces cas français. C’est un fait, la France n’est pas une cible pour les passeurs tant ses côtes sont radicalement gardées et les associations jugées « de gauche » n’ont pas le pouvoir d’y changer quoi que ce soit.

C’est une autre intox persistante : celle qui voudrait que « les ONG » soient financées par l’État ou l’Union européenne pour encourager les migrations. C’est totalement faux. En réalité, ces structures humanitaires sont quasi inexistantes en Méditerranée française, et ne reçoivent aucune subvention publique pour leurs opérations de sauvetage.
Les quelques navires humanitaires qui sillonnent encore la Méditerranée ne remplissent pas les doigts d’une main.

On retrouve principalement en mer SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières, deux ONG qui agissent en autonomie totale, souvent au prix de procédures administratives lourdes, d’interdictions de ports et d’une hostilité politique constante, y compris en France. Leur mission ? Sauver des vies, sans se préoccuper de la politique. Rien de plus, rien de moins. Dans le vide laissé par les États européens, ce sont ces équipages civils qui évitent chaque année des centaines morts. Ceux-ci manquent cruellement de moyens et ne peuvent que sauver une petite fraction des naufragés.
Parler de « business de l’immigration » ou d’une « industrie subventionnée du sauvetage » relève d’une désinformation pure et simple parsemée de racisme, martelée pour détourner les yeux de causes bien réelles : les guerres, la misère, les passeurs, l’exploitation des ressources, les dictatures et choix politiques sans oublier le changement climatique qui poussent des gens ordinaires à risquer leur vie pour fuir leur pays. Les morts sont si nombreux en mer que les motifs pour prendre un tel risque d’y laisser sa vie sont viscéraux, motivés par une situation humanitaire critique. L’idée que ces gens désespérés prennent le risque de mourir pour des droits sociaux fantasmés ne tient pas la route, d’autant que les aides existantes ne sont pas aussi alléchantes que le laisse entendre l’extrême-droite.

Autre idée reçue : « la gauche » encouragerait les traversées ou bloquerait toute politique migratoire. C’est faux, et les faits le montrent.
En France, aucune formation politique majeure n’a remis en cause la fermeture des frontières ni le durcissement continu des conditions d’accueil. Même les partis qui se réclament des valeurs humanistes se contentent de quelques déclarations symboliques, souvent timides, pour ne pas perdre une partie de leur électorat. Sur le terrain, le silence domine, et les politiques menées depuis plusieurs années ne diffèrent guère de celles de la droite ou de l’extrême droite sur le fond.
Depuis plus d’une décennie, la logique sécuritaire s’est imposée comme un consensus transversal. Elle s’habille de mots techniques : “lutte contre les passeurs”, “maîtrise des flux”, “gestion des frontières” mais masque une réalité brutale : celle d’un verrouillage généralisé de l’Europe. Derrière chaque décret, chaque accord bilatéral avec la Libye, la Tunisie ou le Maroc, c’est le même principe qui prévaut : empêcher les départs, à tout prix ! Affirmer que la gauche – dont le pouvoir politique est inexistant – encouragerait l’immigration dans un tel contexte relève du mensonge et de l’aveuglement idéologique.

Le paradoxe, c’est que ces politiques censées sauver des vies en “décourageant” les traversées les rendent au contraire plus mortelles que jamais, ce qui explique l’augmentation des décès en mer. Les routes changent, se rallongent, se déplacent vers des zones plus dangereuses pour éviter les contrôles. Là où les garde-côtes européens n’interviennent plus, les naufrages se multiplient dans le silence. Et pendant ce temps, les discours politiques comme médiatiques se contentent de désigner des coupables imaginaires : les ONG, “Bruxelles” (qui a bon dos), les humanistes, sans oublier une gauche fantasmée qui n’existe plus que comme repoussoir sémantique.
Dans les faits, la gauche institutionnelle a déserté la question migratoire et n’a de toute manière concrètement aucun pouvoir politique depuis longtemps. Elle ne propose plus ni projet alternatif, ni vision solidaire, ni parole claire sur ce que devrait être une politique humaine et rationnelle des migrations. Résultat : le terrain est laissé libre à ceux qui, depuis vingt ans, façonnent le débat avec des mots de peur : invasion, submersion, identité, frontière. Et dans ce brouhaha de certitudes anxieuses, la compassion s’efface, l’analyse se tait, et la raison abdique. C’est dans ce terreau fétide fondé sur l’ignorance que naissent les commentaires que vous lisez sur Le Figaro : désigner un coupable politique dont le pouvoir n’existe pas, fermer les yeux sur des pertes humaines évitables, et enfin se réjouir de la mort d’êtres humains.

On parle toujours des migrants, jamais des raisons qui les poussent à partir. Derrière chaque traversée, il y a pourtant un enchaînement de causes identifiables et singulières pour chaque individu : guerres civiles, effondrement économique, répression politique, désastre climatique, etc. Selon les données du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), près de 90 % des personnes qui tentent la traversée de la Méditerranée fuient des situations de crise aiguë. Ce ne sont pas des “aventuriers économiques” qui aspirent au RSA, mais des familles, des étudiants, des travailleurs, des enfants.
L’Afrique subsaharienne, par exemple, subit de plein fouet les effets conjugués du changement climatique et de l’instabilité politique : désertification, raréfaction de l’eau, conflits pour les ressources. En parallèle, les politiques commerciales et extractivistes menées par les pays riches maintiennent une dépendance structurelle. Dans ce contexte, partir devient souvent le seul horizon. Parlons aussi des thoniers géants Européens qui vident les stocks de poissons des côtes africaines, laissant des dizaines de milliers d’individus sans ressource. Et ces règles qui permettent aux causes migratoires de se perpétuer, la France et les pays européens en sont directement responsables pour des questions d’intérêts économiques supérieurs. Notre appétit capitaliste se moque bien de la souffrance locale qui pousse des individus à fuir leur pays. Et voilà comment NOS pauvres en viennent à détester d’AUTRES pauvres qui subissent les mêmes effets délétères d’un système injuste.

Ignorer ces causes par pure haine de l’autre revient à se tromper de combat. Les mêmes qui se réjouissent d’un naufrage prétendent “lutter contre l’immigration” sans jamais questionner les mécanismes qui la provoquent par pure fainéantise intellectuelle. Pas sûr même qu’ils seraient en mesure de lire et de comprendre cet article tant, ailleurs, on leur sert une soupe simplifiée en 3 mots niveau Pascal Praud : l’immigration nous menace. Les guerres alimentées par des ventes d’armes européennes, l’exploitation des terres africaines par des multinationales, le dérèglement climatique mondialisé, tant de causes sont directement liées à notre civilisation insatiable qui dicte les règles sans partage depuis trop longtemps.
Traverser les mers avec 50% d’y laisser sa peau, n’est pas un choix, c’est le symptôme d’un déséquilibre global. Oui, c’est une situation terriblement complexe qui demande des solutions tout aussi complexes. Tant qu’on refusera de regarder en face cette complexité, les morts continueront de s’accumuler, invisibles, loin des côtes françaises, mais au cœur même de notre indifférence collective. Se réjouir de la mort de gens dans la détresse, c’est le degré zéro de l’intelligence émotionnelle et une honte absolue envers ce qui fait fondamentalement de nous des humains. Et si nous ne sommes plus capables d’humanité la plus élémentaire, alors tout devient possible, surtout le pire.

– Mr Mondialisation
Sources
– Naufrage au large de la Libye : 42 personnes « présumées mortes » ; Le Figaro 12/11/25
-Migrants and Refugee Movements through the Central Mediterranean Sea in 2023 ; rapport de l’UNHCR, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
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13.11.2025 à 05:00
Mr Mondialisation
De consultant urbain à cofondateur d’un écovillage en Bretagne, Jean-Christophe Anna a tout quitté pour bâtir un autre modèle de société. À travers L’Archipel du Vivant et son MOOC sur la biorégion, il propose une alternative radicale à la transition écologique : reconstruire le monde à partir du vivant. Changer le monde à l’échelle planétaire […]
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Changer le monde à l’échelle planétaire ? Une illusion, selon Jean-Christophe Anna. Pour lui, la véritable révolution se joue localement, où les humains et non-humains réapprennent à cohabiter, voire à réhabiter. Entre utopie concrète et philosophie politique, il défend la biorégion comme réponse crédible à l’effondrement écologique et social en cours.

Jean-Christophe Anna : « Je me définis comme un rebelle amoureux du vivant et un utopiste biorégionaliste. Avant, j’étais un maillon du système, tout en étant conscient que nous vivions dans une société complètement folle et profondément inégalitaire.
En 2017, j’ai opéré une bascule aussi profonde que radicale. J’ai d’abord adopté tous les petits gestes : bannir le plastique, privilégier le local, bio et de saison, renoncer à l’avion… Après avoir été végétarien pendant un an, je suis devenu végan et antispéciste à l’automne 2018.
Cela n’a pas été sans conséquence sur mes proches. Aujourd’hui, je passe chaque semaine d’un univers à l’autre. Je vis entre deux mondes que tout oppose : une semaine ancrée dans le vivant, où j’habite dans une tiny house sans eau ni électricité, au sein d’un écovillage que j’ai cofondé en centre Bretagne ; et une semaine à Strasbourg, métropole urbaine avec sa pollution, ses injonctions à la consommation et ses rondes de policiers, gendarmes et militaires, où j’ai la garde alternée de mon fils de 14 ans. D’un côté, le monde de demain en train d’émerger ; de l’autre, celui d’aujourd’hui, en cours d’effondrement. »
Jean-Christophe Anna : « L’Archipel du Vivant est l’aboutissement d’une intense réflexion de trois ans, ponctuée d’expériences diverses et variées et de belles rencontres.
Dès ma bascule, j’ai rapidement compris que nous nous trompions de combat : le climat n’est qu’un symptôme et un facteur aggravant de la catastrophe écologique. Mais c’est le vivant qui est exterminé par la quasi-totalité des activités humaines. Le climat ne disparaîtra pas, il se dérègle. Le vivant quant à lui est en danger de mort.
Il faut alors tout repenser pour instaurer un système politique véritablement démocratique fondé sur de petites unités locales (les communes) plutôt que sur l’État-nation et sa démocratie représentative qui ni représentative, ni démocratique.
Jean-Christophe Anna : « L’Archipel du Vivant est une ONG dont la raison d’être est de créer une société au service du vivant en contribuant à l’émergence de biorégions.
Nous poursuivons deux missions. D’un côté, notre site internet vise à informer pour permettre une meilleure appréhension de la catastrophe écologique et la découverte du monde alternatif.
De l’autre, notre Mooc « Biorégion – Comment habiter autrement la Terre » qui est une formation en ligne de 7 semaines et notre aventure immersive « Biotopie – l’utopie biorégionale » de 5 jours en présentiel à l’école des Vivants, fondée par Alain Damasio, ont pour objectif d’impulser une dynamique biorégionale dans les territoires.

Une multitude de ces initiatives existent dans les ruralités, en marge du système dominant — écovillages, écolieux, recycleries, cafés associatifs, repair cafés, épiceries solidaires, monnaies locales, ZAD… Cependant, ces initiatives restent éparpillées, encore trop isolées les unes des autres.
Bien entendu, elles peuvent s’unir pour organiser une fête de village ou un événement culturel. Mais elles ne font pas système dans une perspective de résilience pour affronter l’effondrement et encore moins dans un objectif politique d’autonomie, d’autodétermination, d’affranchissement des institutions et de l’État-nation. Notre objectif est donc de mettre en lien ces initiatives, de les « archipéliser » pour les amener à s’organiser politiquement.
Éco-anarchiste, l’utopie biorégionale puise ses racines chez Élisée Reclus et Pierre Kropotkine. Elle a justement pour vocation finale de faire sécession avec l’État-nation. »
Jean-Christophe Anna : « La biorégion originelle est nord-américaine. Elle est née au milieu des années 1970. En France, ce concept est porté par quelques personnes et quelques organisations : Guillaume Faburel (Société écologique du post-urbain), Mathias Rollot, le collectif Hydromondes, et enfin Agnès Sinaï, Yves Cochet et Benoît Thévard (Institut Momentum). Nous ne sommes encore qu’une poignée à travailler dessus.
La première définition de la biorégion est l’œuvre d’Allen Van Newkirk en 1975, l’année de ma naissance. Nous avons donc, la biorégion et moi, fêté nos 50 ans cette année ! Ce mouvement a abouti à la rédaction d’un texte véritablement fondateur du biorégionalisme, coécrit par Peter Berg et Raymond Dasmann : Reinhabiting California publié en 1977.
Anticapitaliste, anti-étatique, anti-nationaliste et anti-raciste, le biorégionalisme entretient une très grande proximité avec d’autres courants écologistes : l’antispécisme et l’écologie décoloniale, le municipalisme libertaire et le décroissantisme, l’écologie profonde et l’écoféminisme. Comme le pense Doug Aberley, le biorégionalisme incarne une véritable démarche de résistance susceptible d’agréger l’ensemble des luttes écologiques, sociales et culturelles. »
Jean-Christophe Anna : « Une biorégion, c’est une région de vie, un territoire caractérisé par le vivant qu’il héberge, par les formes de vie qui y habitent et son harmonie écosystémique, hydrographique, géographique, topographique et climatique. La biorégion s’affranchit donc des frontières artificielles, administratives humaines pour épouser les contours du vivant.
« La biorégion est aussi une utopie, un projet politique d’autodétermination : une manière de repenser comment les humains habitent et réhabitent un territoire en respectant le vivant. »
La biorégion se caractérise par la souveraineté et l’autonomie de la plus petite unité politique pour tout sujet qui relève de son périmètre. Seules les questions qui concernent toute la biorégion ou la confédération de biorégions, celles relatives par exemple à la santé, l’éducation ou la justice, sont traitées au niveau de chaque biorégion ou au niveau de la confédération.
Dans une logique de démocratie directe, chaque unité politique locale est systématiquement sondée avant la prise de toute décision. Plusieurs allers-retours entre l’assemblée globale et l’unité locale vont alors se succéder avant que la décision soit adoptée.
Au Chiapas zapatiste dont l’organisation politique est proche de la philosophie biorégionale, les mandats sont courts, impératifs, révocables, non reconductibles et non rétribués. Ils sont exercés par des personnes qui ne sont en aucun cas des professionnels de la politique. »

Jean-Christophe Anna : « Contrairement à l’État-nation dont les frontières sont censées le mettre à l’abri de toute menace étrangère ou aux idées de repli sur soi véhiculées par l’extrême droite, la biorégion n’est pas un territoire fermé.
Elle n’a pas vocation à se protéger de l’extérieur, mais à accueillir l’altérité, notamment les personnes migrantes, et pas uniquement les réfugié·es climatiques, mais aussi les personnes qui quitteront les villes lorsque ces dernières seront devenues inhabitables. La biorégion constituera alors un espace refuge.
En outre, la biorégion a également pour ambition de créer une société libérée de tout rapport de pouvoir et de domination, aussi bien entre humains et non humains que dans les rapports inter-humains. »
Jean-Christophe Anna : « Après de nombreux échanges avec Guillaume Faburel – avec qui j’ai travaillé au sein de la Société écologique du post-urbain, nous avons, en 2022, co-organisé deux séminaires dédiés spécifiquement à la biorégion, avec plusieurs associations dont le Réseau RELIER, l’Institut Momentum, HALEM ou encore le Mouvement Colibris.
Il en est sorti l’appel « Concevoir une biorégion depuis son espace écologique de vie.«
Nous avons défini plusieurs repères adaptés à la configuration géographique européenne et à la descente énergétique et matérielle liée à l’effondrement de notre civilisation : un diamètre de 20 à 30 km (selon la topographie), 20 000 à 40 000 habitants, environ 4 300 m² par personne pour garantir l’autonomie (alimentation, chauffage, habitat). Tout le monde ne va pas nécessairement mettre les mains dans la terre pour la cultiver, mais cette surface individuelle est viable, à condition bien sûr que l’artificialisation cesse un jour.
Nous avons alors eu l’idée de concevoir un Mooc afin de toucher un maximum de monde avec une formule en ligne plus souple qu’une formation classique physique. La première session a débuté en janvier 2024 et nous venons d’achever la quatrième session. »
Jean-Christophe Anna : « MOOC signifie Massive Open Oline Course, donc en français « une formation en ligne, ouverte à toutes et tous. » Avec ce MOOC, nous proposons une découverte théorique de l’utopie biorégionale.
Il s’articule autour de cinq grands enjeux : L’extermination du vivant, notre manière d’habiter la Terre (ville, métropole…), l’effondrement et les risques systémiques, les dominations et les oppressions systémiques et pour finir le déni démocratique. Chaque semaine, les participant·es explorent des modules et sous-modules multimédias, à savoir trois sous-modules par module, un défi à relever, et une rubrique « pour aller plus loin ».
S’appuyant sur du contenu théorique, notre Mooc Biorégion a également une forte dimension interactive avec des visios hebdomadaires et une communauté en ligne sur Mattermost. Les participant·es peuvent ainsi interagir directement. D’autant plus que toutes les personnes inscrites aux différentes sessions du Mooc sont localisées sur une carte GogoCarto. Plusieurs d’entre elles se sont déjà rencontrées sur leur territoire.
Le tout représente environ 20 heures d’autoformation pour la formule basique, et jusqu’à 40 heures pour la formule enrichie. Les contenus restent accessibles pendant plusieurs mois jusqu’à la session suivante. Les visios sont animées par des facilitatrices et des facilitateurs formé·es par Fertiles. Cette année, nous avons ajouté une approche émotionnelle en abordant chacun des cinq grands enjeux, avec des questions comme « Comment vivez-vous l’extermination du vivant ? »
Les retours sont très positifs : nous adaptons le contenu au fil des sessions. À ce jour, 340 à 350 personnes ont participé au MOOC. »
Jean-Christophe Anna : « Il fonctionne sur le principe d’une participation libre et consciente. Lors de chaque session, nous comptons entre 60 et 80 personnes inscrites. Parmi elles, environ 25 à 40 personnes s’engagent vraiment dans le Mooc jusqu’au bout. Ce sont elles qui contribuent financièrement. »
Jean-Christophe Anna : « Afin de compléter cette première approche biorégionale théorique en ligne, nous invitons les participantes et participants à prolonger l’expérience dans une aventure immersive opérationnelle qui se déroule en présentiel sur 5 jours.
« La prochaine édition de cette aventure « Biotopie » aura lieu du 23 au 29 novembre en Centre-Bretagne, à Mellionnec. »
Ce sera une immersion complète, avec un escape game pour trouver des réponses concrètes aux immenses défis à relever, un jeu de l’entraide, proposé par notre partenaire Adaptation Radicale, simulant un effondrement, une réflexion collective sur les habitudes, les besoins, les atouts et faiblesses, les leviers et les freins, la co-construction d’une stratégie biorégionale, une cartographie créative du territoire biorégional, l’écriture d’un récit utopique et sa mise en scène théâtrale avec notre partenaire futurs proches, une reconnexion au vivant en forêt avec notre partenaire Identi’Terre, la découverte d’initiatives alternatives locales et des soirées conviviales et artistiques, notamment avec notre partenaire Frissons Sauvages. »
Jean-Christophe Anna : « Notre ambition est de donner aux participantes et participants une boîte à outils afin d’impulser une dynamique biorégionale dans leurs territoires respectifs.
Dans l’idéal, il faudrait que plusieurs biorégions déclarent leur indépendance de manière simultanée ou rapprochée dans le temps au moment-même où l’effondrement atteindra son stade ultime. Ou du moins qu’elles déstabilisent l’État.
Car si une biorégion devait avoir des velléités sécessionnistes de manière trop isolée, elle serait immédiatement écrasée par les forces de l’ordre en subissant la folie répressive totalement décomplexée du gouvernement français. »
Jean-Christophe Anna : « Après deux premiers livres pour y partager mon constat Le climat n’est pas le bon combat, et un autre Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie, je travaille actuellement sur un récit utopique d’anticipation.
L’action principale de ce roman se déroule en 2047. L’ère biorégionale a succédé à l’ancienne ère, celle du système dominant actuel qui s’est effondré et des États-nations qui ont disparu. On y découvre les différentes facettes d’une confédération de trois biorégions, 12 ans après leur déclaration d’indépendance. C’est à nous désormais d’écrire un nouveau récit collectif, d’inventer nos propres règles pour nous mettre au service du vivant ! »
– Propos recueillis par Maureen Damman
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Mr Mondialisation
80 %. C’est le pourcentage d’espèces « vivantes » qu’abritent forêts et sols français, mais aussi celui de l’augmentation de la mortalité des arbres en 10 ans, d’après l’inventaire forestier national. Deuxième puits mondial de carbone après l’océan, la forêt séquestre 1,5 fois plus de carbone que ce que les États-Unis émettent annuellement. Beaucoup d’essences sont […]
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L’inventaire forestier national est sans appel : les conséquences du changement climatique se traduisent par une très forte augmentation de la mortalité des arbres, passant de 7,4 millions de mètres cube par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013 à 13,1 Mm3/an entre 2013 et 2021. Leur croissance est aussi impactée, avec une baisse significative de 4 % : « la surface forestière touchée actuellement par le dépérissement est équivalente au cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années », conclut sinistrement l’inventaire.
Sur le podium des espèces les plus touchées par la mortalité se retrouve d’abord l’épicéa, devant le châtaignier et le frêne. Sur la période 2018-2022, la production de bois d’épicéa est inférieure aux coupes et à la mortalité, très fortement liées à un petit coléoptère, le scolyte, qui profite du prolongement des saisons chaudes et des hivers doux pour proliférer, se loger et se nourrir dans les épicéas communs.
Roulement de tambours : comment lutte-t-on à l’heure actuelle contre les scolytes ? En faisant des coupes d’épicéa. Un cercle vicieux donc, comme on en compte beaucoup dans les problématiques du changement climatique.

De la même manière, le frêne souffre de la chalarose, causée par le champignon Hymenoscyphus fraxineus, qui apprécie la compagnie d’un autre coléoptère : l’agrite du frêne. Aucune mesure de traitement n’existe en dehors de coupes et d’abattage pour éviter la propagation de ce duo meurtrier.
Certains frênes montrent heureusement une résistance naturelle à la maladie, un espoir pour la sélection et la plantation de souches plus résistantes, et pour le phénomène de « résistance croisée » – la résistance à l’un aide à résister à l’autre – selon le chercheur Michael Eisenring.
Enfin, le châtaignier dispute la troisième place avec le pin, le chêne, le sapin, et bien d’autres, tous victimes de parasites, sécheresses et feu de forêts.
Les forêts françaises ne font pas exception et les mêmes constats sont dressés partout dans le monde. Sans parler de la déforestation qui a augmenté, en Amazonie, de 33 % par rapport à 2023 selon les données de l’Institut National de Recherche Spatiales (INPE), l’Afrique n’est pas en reste, avec, sur la période 2010-2020, une disparition nette de 3,94 millions d’hectares de forêts, un chiffre en hausse par rapport aux décennies précédentes et très supérieur à celui de l’Amérique du Sud (2,60 millions d’hectares), selon la fondation FARM.

Il fut un temps où, basé sur les « performances » des puits de carbone des dernières décennies, on crut à l’augmentation infinie de leur capacité à le séquestrer. Malheureusement, ces capacités ont chuté en 2023, entre autres, à cause des sécheresses et incendies. (De quoi nous rappeler certains scenarii sur la croissance infinie). Les premières hypothèses avancèrent que 2023 était l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une très forte concentration de CO2 dans l’atmosphère – près de 86 % par rapport à 2022 – jusqu’à ce que l’été 2024 dépasse celui de 2023.
L’inventaire forestier national de l’IGN confirme ces données sur la dernière décennie étudiée : « le puits [ndlr les forêts] s’est établi à 40 millions de tonnes de CO2 par an en moyenne sur la période 2013-2021, diminuant d’un tiers en une décennie ». Pire, certaines forêts pourraient émettre plus de CO2 qu’elles n’en capturent, ce qui, d’après Philippe Ciais, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, pourrait se produire d’ici 2026, si les tendances observées depuis quinze ans se poursuivent.

L’idée est simple comme bonjour : planter des arbres adaptés aux nouvelles conditions climatiques d’un lieu donné. Par exemple, dans la moitié nord de la France, qui subit aussi des sécheresses de plus en plus fréquentes, les chênes verts ou tauzins qui consomment peu d’eau, pourraient assister leurs cousins locaux. Une équipe de scientifiques a créé les jardins partagés, espaces de cohabitation entre des espèces d’ici et d’ailleurs.
Alexis Ducousso, généticien à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, raconte :
« Nous y avons planté 107 populations d’arbres venant de toute l’Europe, avec l’objectif d’évaluer ce “mélange” sur trente ans. Nos résultats montrent notamment que le chêne sessile est particulièrement adaptable : il s’épanouit sans broncher de l’Écosse à la Turquie. De même, le sudiste chêne pubescent peut migrer vers les Hauts-de-France sans trop de problème. »
Malheureusement, la migration montre ses limites : un arbre qui a besoin de moins d’eau pour vivre en bonne santé humidifie moins la forêt. Pour les autres essences ou pour les animaux, aussi ceux que nous sommes, ce type d’arbres serait moins efficace pour contrer les canicules, et pourrait même accélérer les sécheresses. Idem, si l’on donne plus de place aux pins et aux eucalyptus, très inflammables, ne pourrait-on pas augmenter les feux de forêts ?

La mangrove – écosystème côtier tropical typiquement caractérisé par des arbres et des arbustes adaptés à des conditions de variations de salinité et de niveaux d’eau – stocke jusqu’à 4 fois plus de carbone que les forêts.
En plus de stocker du carbone, les mangroves protègent les littoraux des tempêtes, freinent l’érosion des côtes, filtrent les pollutions et sont de véritables nurseries pour la biodiversité marine. Pourtant, on ne cesse de les détruire partout dans le monde, pour l’élevage intensif de crevette en Asie ou pour le charbon de bois en Afrique, si ce n’est pour les constructions littorales déjà fragilisées par l’érosion.

Restaurer les écosystèmes forestiers à leur état sauvage permet de créer des forêts diversifiées. Ces forêts sont naturellement caractérisées par une multitude de processus écologiques complexes qui leur confèrent une grande résilience face aux perturbations.
Parmi les défenseurs les plus remarquables de cette cause se trouve le botaniste Francis Hallé. Particulièrement connu pour son engagement en faveur du retour des forêts primaires en Europe, Hallé souligne que les forêts primaires, qui n’ont jamais été touchées par les activités humaines, sont essentielles non seulement pour la biodiversité, mais aussi pour la santé écologique globale de la planète. Elles agissent comme des réservoirs de biodiversité, des puits de carbone et des protecteurs naturels contre l’érosion des sols et les catastrophes naturelles.

En Europe, l’une des dernières forêts considérées véritablement primaires celle de Bialowieza, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, n’a subi aucune transformation anthropique depuis au moins huit cents ans. Sa protection est donc cruciale, non seulement pour la conservation de ses centaines d’espèces de faune et de flore, mais aussi comme symbole et modèle de ce que pourraient être d’autres forêts si elles étaient laissées à leur propre dynamique.
Pourtant, certains défendent l’idée de donner un prix, et donc une valeur aux forêts, pour les faire « exister » dans le système capitaliste actuel. Dans un podcast de France Culture, intitulé faut-il donner un prix à la nature pour la protéger ?, Catherine Aubertin, économiste de l’environnement explique le concept de service écosystémique de la manière suivante : « Les écologues ont introduit la notion de service écosystémique afin de défendre la nature. Cette notion englobe l’ensemble des services que la nature peut fournir aux populations, comme par exemple la production alimentaire. Le concept a été créé pour capter l’attention des décideurs politiques. Aujourd’hui, on assiste à l’émergence du principe du pollué-payeur… » L’une des approches consiste à attribuer un prix ou une valeur monétaire à la nature, de façon similaire à ce qui a été envisagé pour la problématique climatique.

Parce qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays, les entreprises sont des personnes, alors que ni les animaux, ni les végétaux ne le sont, l’avocat sud-africain Cormac Cullinan, fondateur du mouvement des droits du vivant, cherche à donner une personnalité juridique à la forêt.
De nombreuses initiatives vont déjà dans ce sens : la Nouvelle-Zélande accorde au fleuve Whanganui le statut d’entité vivant en 2017, l’Ouganda reconnaît des droits à la nature en 2019, la lagune espagnole Mar Menor obtient le statut de personnalité juridique en 2022. De quoi inspirer les Français, qui ont demandé une déclaration des droits de la Loire en 2024.
– Maureen Damman
Photo de Ron Lach. Pexels.
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Mr Mondialisation
L’extrême droite promeut l’idée que les « élites intellectuelles » seraient déconnectées du reste de la population et qu’il serait plus sain de bâtir une société fondée sur le « bon sens paysan ». Une rhétorique qui a pour but de construire une réalité parallèle en marge des faits étudiés. Ce rejet des choses de l’esprit et même du […]
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Ce rejet des choses de l’esprit et même du savoir, qui est d’ailleurs l’une des caractéristiques majeures de l’extrême droite, selon l’historien Michel Winock, permet de se baser, non plus sur des phénomènes tangibles et des recherches de spécialistes, mais sur un « bon sens », qui n’est qu’un simple ressenti pas forcément en adéquation avec la vérité. L’efficacité de ce procédé doit néanmoins interroger sur les sentiments éprouvés par ceux qui adhèrent à ce genre de discours et sur le comportement des intellectuels envers le reste de la population.
Évoquer le « bon sens » en politique fait figure d’expression quasi magique, puisqu’elle renvoie à quelque chose que chacun d’entre nous pourrait apprécier. Ce qui apparaît évident relève du « bon sens ». Et pour autant, il n’en s’agit pas moins d’opinions.
Toutefois, en plaçant son message de ce côté, une personne peut réussir à donner l’illusion que ses démarches, son discours et ses orientations politiques seraient tout simplement incontestables. Cet argument, qui n’en est pas un, est particulièrement prisé à droite, il a d’ailleurs été employé d’Emmanuel Macron à Gérald Darmanin en passant par Donald Trump. Ce dernier avait même été jusqu’à promettre une « révolution du bon sens ».
Cette méthode s’inscrit, en outre, dans la droite lignée du « there is no alternative » de Margaret Thatcher. Dans les deux cas, on affirme qu’une idéologie politique est vraie, non pas parce qu’elle se fonde sur quelque chose de tangible, mais simplement parce que toutes les autres idées seraient irréalistes, déconnectées, utopistes, wokistes, extrémistes, etc. Tout bonnement à l’encontre du « bon sens ».
La référence au « bon sens paysan » permet quant à elle d’évoquer une activité que l’on imagine pragmatique et appuyée sur l’expérience, loin des grandes théories de la ville et des intellectuelles. Et ce, même s’il existe pourtant des tonnes de savoirs agricoles et de connaissances scientifiques applicables à ce domaine.
Dans les faits, que ce soit les politiciens libéraux et d’extrême droite, ou les partisans de l’exploitation industrielle, tous cachent derrière le « bon sens paysan » des doctrines précises basées sur une idéologie dominante. Ce « pragmatisme » est d’ailleurs employé aussi bien pour taper sur les normes écologiques agricoles, selon eux « déconnectées », que sur les droits des travailleurs.
En fin de compte, la figure du paysan n’est là que pour renforcer une image de proximité avec les classes populaires et avec un métier perçu comme simple, loin des grands discours intellectuels.
Dans un monde de plus en plus complexe où il devient difficile d’appréhender pleinement une spécialité, si l’on n’en est pas un expert, de nombreuses personnes ont pu développer une sensation d’incompréhension et d’isolement. Observer des individus évoquer des sujets auxquels on ne parvient plus à saisir grand-chose entraîne un sentiment de rupture entre ceux qui détiennent le savoir et les autres.
Si à cela, on ajoute un abandon total sur le plan économique avec des services publics en berne et des dirigeants issus des classes les plus riches, il apparaît facile pour certains populistes d’exploiter ce sentiment à des fins politiques.
Revenir au « bon sens paysan » ce serait alors retourner au réel, au concret, à des choses que tout le monde côtoie. Et il est bien plus aisé de capter l’attention avec ce discours qu’avec de longues explications scientifiques, sociologiques ou philosophiques.
Nier le réel à des fins conservatrices, c’est le credo de l’extrême droite pour poursuivre son agenda réactionnaire. En premier lieu face au dérèglement climatique auquel sont opposés des arguments, soient disant, de « bon sens » : « il fait froid aujourd’hui, où est le réchauffement ? » ou « on va bien s’adapter ». Mais il existe le même type d’exemples sur l’immigration qui « coûterait de l’argent » ou qui « engendrerait de la délinquance », alors que les études prouvent le contraire.
De façon identique, la sociologie est également ignorée et méprisée au profit de « l’expérience personnelle » qui ferait plus foi que des recherches poussées. C’est ainsi qu’au nom du « bon sens », il faudrait « travailler plus », « baisser les impôts » « faire comme nos voisins européens », ou encore dénoncer les chômeurs et les « assistés » qui profiteraient de la société.
Peu importe qu’il existe des données chiffrées et des études pour contester ce genre d’affirmation. Ceux qui oseraient les remettre en cause seraient dénués de « bon sens », « déconnectés » ou « irréalistes ». Et l’argument semble se suffire à lui-même.
Si cette technique fonctionne si bien, c’est d’abord parce qu’il est beaucoup plus facile de tout simplifier que de décrypter et analyser une situation complexe. Selon la loi de Brandolini : démentir une intox prend 10 fois plus d’énergie que de la diffuser. Non pas parce que les gens seraient trop stupides pour comprendre, mais parce que la société capitaliste est organisée de telle façon que l’activité professionnelle et l’intendance avalent tout et que le temps pour réfléchir en profondeur n’est tout bonnement plus disponible.
Pire, de nombreux journaux, médias et émissions se mettent même au service de la bêtise en érigeant l’argument du « bon sens » en alpha et oméga de la pensée. Des programmes type « café du commerce », comme celles de Pascal Praud, ou bien « les grandes gueules » en sont des fers de lance. Dans un monde complexe où il est difficile de comprendre les choses, il est bien plus facile de se raccrocher à ce type de contenu qu’aller lire une étude du GIEC de 4 000 pages.
Que l’on parle des zones rurales, des quartiers défavorisés ou des Français en général, délaissés par les pouvoirs publics dans de nombreux secteurs, nombre de personnes peuvent éprouver un sentiment d’abandon et de colère envers les individus perçus comme « l’élite », qu’elle soit intellectuelle ou financière.
Pour l’extrême droite, il n’est pas compliqué de créer un amalgame entre les intellectuels, les chercheurs, les « têtes pensantes » et les politiciens responsables de cette situation. Apparaît alors un antagonisme entre le « bon sens des petites gens » et la déconnexion totale des « élites intellectuelles ». Un procédé, du reste, déjà usé dans les années 50 par le poujadisme, doctrine du nom de son instigateur, Pierre Poujade.
Et le mépris d’une fraction des plus aisés à l’encontre des plus pauvres n’a rien de fictif, Emmanuel Macron s’en est d’ailleurs lui-même fait une spécialité. En réaction, une défiance grandissante qui s’illustre, par exemple, à travers le mouvement antivax. Autrement dit, une partie des dirigeants sont eux-même responsable du dédain qu’ils suscitent après avoir maltraité ou pris de haut une partie de la population.
La rupture démocratique et le manque d’honnêteté journalistique ne sont d’ailleurs pas non plus étrangers au phénomène. Pour retrouver un écho au sein de la population, il apparaît donc nécessaire d’endiguer ces fléaux.
Dans ce contexte, la dépolitisation ne peut que proliférer à travers le pays (et c’est, au demeurant, le souhait de nombreux politiciens) ; les ressentis remplacent donc les faits et un fossé se creuse entre les « experts » et les Français.
Avec l’explosion de l’individualisme et du culte de la « liberté absolue », n’importe qui devient légitime pour donner une opinion sur tout, y compris s’il n’a aucune connaissance dans la matière. Un sondage a d’ailleurs aujourd’hui presque plus de valeur qu’une recherche scientifique.
Or, dans beaucoup de secteurs, il faut des années d’études et d’expérience pour comprendre un tant soit peu le sujet. Une réalité d’autant plus frappante que les champs de compétences sont de plus en plus fragmentés au sein de domaines très vastes.
Malgré la complexité du phénomène et les dangers liés au détournement du « bon sens », il existe une lueur d’espoir : en mettant l’accent sur l’esprit critique, l’éducation et l’accès à l’information, il est possible de rapprocher le savoir du quotidien de chacun. Le véritable « bon sens » pourrait alors redevenir celui qui s’appuie sur la réalité, la réflexion et le dialogue, et non sur des ressentis ou des idéologies simplistes.
– Simon Verdière
Photo de couverture de The Walters Art Museum sur Unsplash
The post Mythe du « bon sens paysan » : la manipulation de l’extrême droite first appeared on Mr Mondialisation.10.11.2025 à 12:28
Mr Mondialisation
Alors que la guerre au Soudan s’enlise dans le silence médiatique, les souffrances civiles atteignent des niveaux inédits. L’association Justice & Paix revient sur les racines historiques, politiques et géopolitiques de cette guerre d’ingérences. Avez-vous déjà entendu parler de la guerre au Soudan ? Pas du conflit au Darfour au début des années 2000, ni […]
The post Le Soudan, champ de bataille des puissances étrangères first appeared on Mr Mondialisation.Avez-vous déjà entendu parler de la guerre au Soudan ? Pas du conflit au Darfour au début des années 2000, ni de la séparation du Sud-Soudan en 2011, mais bien de la guerre qui a éclaté depuis le 15 avril 2023. La réponse est probablement non. Cela n’est pas étonnant : ce conflit est largement marginalisé, tant sur les plans médiatique, politique qu’humanitaire.
Pourtant, le conflit au Soudan est aujourd’hui considéré comme « le théâtre de la crise humanitaire la plus importante et la plus dévastatrice au monde », selon la présidente de l’UNICEF. Dès lors, pourquoi la Belgique ne s’est-elle pas impliquée dans la conférence internationale sur le Soudan coorganisée par l’Union africaine, l’Union européenne, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne à Londres le 15 avril 2025 ?
Après deux ans de conflit, les agences des Nations Unies dressent un bilan funeste de la situation humanitaire. La guerre au Soudan détient également le triste record de la plus grande crise de déplacement au monde et de famine aujourd’hui officiellement reconnue.
Depuis la fin octobre 2025, la situation s’est encore aggravée avec la prise de la ville d’El Fasher, capitale du Nord-Darfour, par les Forces de soutien rapide (FSR). Selon plusieurs organisations et témoins, les combats ont fait des milliers de mort·es civil·es. Des groupes médicaux locaux affirment que des milliers de personnes sont toujours piégées dans la ville, privées d’eau, de nourriture et de soins.
Des journalistes sur place décrivent un processus systématique et intentionnel de nettoyage ethnique visant les communautés non arabes, notamment les Fur, Zaghawa et Barti, marqué par des exécutions sommaires et des déplacements forcés.
Les survivant·es évoquent des scènes de massacre rappelant celles du Darfour au début des années 2000. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains a fait état de « violations graves et systématiques », sans toutefois employer pour l’instant le terme de génocide. Ce mot, rappelons-le, a une définition juridique stricte : il suppose l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Mais son utilisation n’est pas nouvelle au Soudan : le Congrès américain l’avait déjà employé en 1999 et 2004, et le secrétaire d’État, Colin Powell l’avait officiellement reconnu en 2004 pour qualifier les crimes commis au Darfour.
Cette reconnaissance avait conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à saisir la Cour pénale internationale, qui a finalement retenu la qualification de génocide dans le second mandat d’arrêt émis contre Omar el-Béchir en 2010.
Pour comprendre la catastrophe actuelle, il faut remonter aux dynamiques historiques et politiques profondes, héritées de la période coloniale.
Dès le XIXe siècle, le territoire soudanais est dominé par une double emprise ottomane et égyptienne, puis colonisé par les Britanniques à la fin du siècle. Le condominium anglo-égyptien met en place une politique de « diviser pour mieux régner », connue sous le nom de Southern policy, qui sépare le sud chrétien et animiste du nord musulman et arabophone.
À l’indépendance, en 1956, ces fractures resurgissent et plongent le pays dans deux longues guerres civiles entre le nord islamique et les populations noires africaines chrétiennes du sud, conflits qui mèneront à la sécession du Sud-Soudan en 2011. Mais la marginalisation ne s’arrête pas là. D’autres régions, telles que le Kordofan, le Nil Bleu ou encore le Darfour, sont laissées pour compte sur les plans politique et économique.
C’est de cette marginalisation qu’éclate en 2003, la rébellion au Darfour. Le président Omar el-Béchir fait appel aux milices Janjawid, responsables d’atrocités massives contre les civils : viols, massacres, déportations et politique de la « terre brûlée ».
La Cour pénale internationale ouvre alors une enquête pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, émettant un mandat d’arrêt contre el-Béchir. Les Janjawid, intégrés en 2013 dans les forces de sécurité sous le nom de Forces de soutien rapide (FSR), forment aujourd’hui le cœur du conflit actuel. Leur chef, Hemetti, ancien chef de guerre au Darfour, est devenu l’un des principaux opposants du général al-Burhan.
La révolution populaire de 2019 met fin à 30 ans de dictature et fait naître l’espoir d’une transition démocratique. Mais ce rêve s’effondre en 2021 lorsqu’un coup d’État, mené conjointement par les FAS et les FSR, interrompt le processus.
Les deux généraux se partagent alors le pouvoir, avant que leurs rivalités n’éclatent au grand jour autour du contrôle des ressources naturelles : or, pétrole, gomme arabique, et de l’appareil d’État. Le 15 avril 2023, les affrontements se propagent de Khartoum à l’ensemble du pays, mettant fin à tout espoir de démocratie.
Le conflit ne se limite pas aux frontières soudanaises. Les Émirats arabes unis sont accusés de soutenir les FSR, tandis que les FAS reçoivent l’appui de l’Égypte, de l’Iran, du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite selon des intérêts géopolitiques et économiques divergents. Cette multiplicité d’ingérences transforme le Soudan en terrain d’affrontement régional, prolongeant le conflit et complexifiant toute perspective de paix.
Malgré l’ampleur du drame, la réponse internationale reste timide et fragmentée. Les initiatives diplomatiques peinent à aboutir. La conférence internationale sur le Soudan organisée à Londres en avril 2025 visait à mobiliser 6 milliards de dollars d’aide humanitaire, mais seulement 960 millions ont été annoncés. Aucune mesure concrète n’a suivi, les belligérants refusant de cesser les hostilités.
La situation soudanaise illustre le désintérêt international face aux crises sans retombées géopolitiques majeures. L’absence de la Belgique à cette conférence en dit long sur le désengagement européen. Pourtant, face à une telle urgence humaine, cette indifférence est intenable.
Alors que la guerre s’enlise, il est urgent de rompre le silence assourdissant. Derrière les chiffres, il y a des vies : des familles déplacées, des enfants affamé·es, des femmes violentées. Ces souffrances sont le résultat de décennies de fractures historiques, d’une lutte de pouvoir impitoyable et d’une impunité internationale.
La Belgique ne peut plus se contenter d’observer. En tant qu’État membre de l’Union européenne, siège d’institutions internationales et partenaire privilégié des pays du Golfe, elle a une responsabilité morale et politique dans la recherche d’une issue au conflit. Bruxelles doit plaider activement pour l’ouverture de couloirs humanitaires sécurisés, soutenir les cessez-le-feu sous l’égide de l’Union africaine, et exiger la transparence sur les flux d’armes et de financement impliquant ses alliés régionaux, notamment les Émirats arabes unis.
Elle doit également accroître sa contribution à l’aide humanitaire, aujourd’hui dramatiquement sous-financée. Enfin, la diplomatie belge peut jouer un rôle moteur au sein de l’Union européenne pour porter la question soudanaise devant le Conseil de sécurité de l’ONU et défendre la mise en place de sanctions ciblées contre les responsables de crimes de guerre.
Mais au-delà des gouvernements, les citoyen·nes peuvent aussi avoir un rôle à jouer. Soutenir les campagnes du HCR, du Programme alimentaire mondial ou de Médecins Sans Frontières, relayer les informations, interpeller leurs élus et leurs médias : autant d’actes concrets pour briser l’indifférence.
En Belgique, plusieurs organisations agissent directement ou en appui aux acteurs sur le terrain : Caritas International, Handicap International, Oxfam Belgique, l’Opération 11.11.11, Médecins du Monde Belgique ou encore CNCD–11.11.11, qui appellent toutes à renforcer l’aide humanitaire et la pression diplomatique. Ces structures belges jouent un rôle clé dans la sensibilisation, la collecte de fonds et le plaidoyer auprès des autorités nationales et européennes.
Pour mieux comprendre, plusieurs ressources permettent aussi de saisir la profondeur du drame soudanais : « Sudan’s Forgotten War » (BBC, 2024), sur le quotidien à Khartoum assiégée ; « Darfour : les cicatrices de la guerre » (France 24), retraçant les origines du conflit ; « Blood Gold » (Al Jazeera, 2025), sur les enjeux économiques de la guerre. Parmi les lectures récentes à découvrir : « Soudan : anatomie d’un effondrement » de Magdi El Gizouli et « La guerre des généraux » de Clément Deshayes.
Parce que le silence tue autant que les armes, le Soudan fait partie de ces crises oubliées qui méritent toute notre attention et notre solidarité.
– Gabrielle Caillet / Justice & Paix
Photographie d’en-tête : Écolières de l’école primaire Nurul Islam pour filles (2016) – GPE/Kelley Lynch/Flickr.
The post Le Soudan, champ de bataille des puissances étrangères first appeared on Mr Mondialisation.07.11.2025 à 22:01
Maureen Damman
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu et/ou vous avez un coup de mou ? Voici 10 bonnes nouvelles à ne surtout pas manquer. 1. Mamdani élu, cheh Trump ! Zohran Mamdani a été élu à New York, malgré une campagne d’islamophobie relayée jusque dans les médias français. Son programme est axé sur […]
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Zohran Mamdani a été élu à New York, malgré une campagne d’islamophobie relayée jusque dans les médias français. Son programme est axé sur le logement abordable, la gratuité des transports publics, une fiscalité redistributive, ainsi que le renforcement des services municipaux. (Politis)
Le Parlement européen a décerné le prix Sakharov 2025 à deux journalistes emprisonnés, l’un au Bélarus et l’autre en Géorgie, pour leur courage dans des contextes de répression politique. Ce prix souligne la lutte pour la liberté de la presse et la défense des droits humains dans des pays où l’expression libre est sévèrement restreinte. (Libération)
En 2025, malgré un essoufflement des grandes manifestations, la mobilisation climatique des jeunes se maintient, notamment par des actions et initiatives locales. (Alternatives Economiques)
Le Brésil a connu une baisse historique de 11 % de la déforestation en Amazonie, avec une diminution record des surfaces détruites selon les chiffres du système PRODES (INPE). C’est un signal positif à l’approche de la COP30, témoignant d’efforts renforcés de surveillance et de protection de la forêt amazonienne. (Consoglobe)
Pour la première fois en Allemagne, les alternatives végétales comme les schnitzels à base de plantes sont devenues moins chères que les produits carnés et laitiers. Cette tendance découle de la baisse des coûts de production et d’une demande croissante, facilitant la transition vers une alimentation plus durable. (FAZ)
La baleine franche, parmi les espèces les plus menacées, donne des signes fragiles mais encourageants de renaissance en 2025, avec une hausse de 2 % de la population par rapport à l’année précédente, soit environ 384 individus, selon les données relayées par ScienceAlert. (Science-et-vie)

Qui a dit que le foot n’était pas écolo ? Des clubs de football en France misent désormais sur le covoiturage et les mobilités douces pour inciter les supporters à adopter des modes de transport moins polluants, tout en renforçant la convivialité lors des déplacements vers les matchs. (Vert)
à Thiviers, en Dordogne, entre 200 et 300 personnes ont manifesté contre l’extension d’une carrière de quartz portée par l’entreprise Imerys, qui concerne 40 hectares en zone forestière, une parcelle naturelle protégée au titre du Plan local d’urbanisme. Elles s’inquiètent également des procédés d’exploitation et d’affinage chimiques associés. (Reporterre)
Après les incendies qui ont ravagé plus de 17 000 hectares dans les Corbières (Aude) en août 2025, agriculteurs, habitants, bénévoles et chasseurs se mobilisent pour reverdir et régénérer le territoire. L’opération « Refleurir les Corbières » vise à semer des engrais verts pour protéger les sols mis à nu, lutter contre l’érosion et préparer des pâturages pour le printemps. (Basta)
À l’été 2025, la « Maison de la diversité » a ouvert ses portes à Lyon dans le quartier de la Croix-Rousse. Il s’agit d’une résidence dédiée aux personnes LGBTQI+ de plus de 55 ans, visant à rompre leur isolement social et lutter contre les discriminations qui marquent encore cette génération. (Basta)
YouTube annonce une section dédiée à la santé mentale des adolescents avec des contenus pédagogiques, témoignages et ressources validées, visant à soutenir la prévention et l’accompagnement des jeunes confrontés à des troubles psychiques. (Santé ouest)
– Mauricette Baelen
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