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Olivier ERTZSCHEID

Maître de conférences en sciences de l'information

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03.12.2024 à 12:09

Universités en danger ? Et nos culs sont leurs poulets.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (2906 mots)

[au départ le titre de cet article était : « Universités mortes. Etudiantes à peine vivantes », puis la variante gastronomique s’est imposée]

Aujourd’hui, mardi 3 décembre 2024, et à l’initiative des présidents et présidentes d’université, c’est donc une journée « universités en danger ». Avec des modalités de mobilisation pour le moins très diverses et à mon sens très peu à la hauteur des enjeux du fracas qui nous attend.

A part un communiqué à peine tiède en mode « houlala c’est difficile », une adresse au 1er ministre pour avoir son arbitrage alors même qu’il n’est déjà plus 1er Ministre, seules quelques universités ont au moins eu la décence de déclarer cette journée « morte », c’est à dire de fermer ou en tout cas d’annuler les cours. Aucune à ma connaissance presqu’aucune (à l’exception de Clermont-Auvergne et peut-être de Lille ou de Montpellier) n’est allée jusqu’à organiser des débats, voire des manifestations. Dans la majorité et la plupart des autres on se contentera donc d’un service de presse dont le ministre Patrick Hetzel (pour autant qu’il ait vocation à demeurer en poste mais il y a malheureusement des chances) se cogne comme de sa première trahison des idéaux républicains.

Pourtant, et je n’ai de cesse de le répéter (mais je ne suis pas le seul hein …) le « projet » qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche en France est celui d’un effondrement, ou plus exactement d’un effondrement à court terme de tout ce qui est incapable de s’aligner sur les intérêts du capital et d’une rentabilité à très court terme. « L’impossibilité d’un compromis démocratique avec le capital« , comme le détaille très bien Romaric Gaudin dans Mediapart, s’aligne en tous points avec la nécessité d’une mise à mort programmatique de l’un des derniers espaces réflexifs dans lesquels il est encore possible d’un peu penser et analyser cette impossibilité et de ne pas s’interdire a priori de la combattre.

Je suis toujours tout à fait sidéré de cette forme d’incapacité d’agir et de faire collectif de quelque manière que ce soit à l’université même si j’ai aussi, depuis près d’un quart de siècle, eu le temps d’en comprendre, d’en analyser et d’en observer les causes. Des causes liées à la fragmentation à l’oeuvre dans les collectifs de travail via les méthodes d’un néo-management délétère, des causes liées à la mise en concurrence de tout, de toutes et tous et tout le temps (des activités de recherche, de publication, d’enseignement, etc.). Des causes, enfin, liées aux épuisements de luttes qui furent belles mais presque tout le temps infécondes et dans lesquelles sans cesse, sans cesse, nous reculâmes, que ce soit à l’échelle de l’avenir et du devenir de nos universités ou de questions sociétales qui les traversent (comme par exemple le recul de l’âge de la retraite).

Cette incapacité d’agir est d’autant plus flagrante et révoltante que nous avons entre nos mains une arme de contestation massive au travers, non pas de nos étudiantes et étudiants, mais de ce que vivent et traversent nos étudiantes et nos étudiants. Jamais la précarité n’a été aussi palpable, jamais les campus n’ont à ce point été autant de succursales des Restos du Coeur, jamais nos étudiantes et nos étudiants n’ont autant eu besoin de travailler pour financer leurs études, jamais cela n’avait eu un tel impact en terme d’échecs, d’abandons, de difficultés, jamais une classe d’âge n’avait été autant traversée et touchée par des questions de santé mentale. Jamais.

A force d’entendre la rengaine médiatique d’un wokisme islamo-gauchiste qui n’existe que dans l’esprit malade de quelques veules patrons de rédactions à la remorque d’idéologues d’êxtrême-droite (dont certaines et certains ont été et sont encore ministres ou plus que proches du pouvoir), à force aussi de nos épuisements et de nos renoncements précédents, nous sommes beaucoup à nous taire, ou à agir mais sans nécessité de le médiatiser, de le gueuler, de le faire voir et de le faire savoir.

Pourtant et où que le regard se tourne y compris à l’échelle internationale, on observe partout une situation de crise de l’enseignement supérieur qui est directement liée à l’opinion que les régimes droitards, libéraux et/ou autoritaires se font du rôle des universités et de leur place dans la société et qui ne peut être « qu’au service » (des intérêts du capital) ou asservie (aux mêmes).

Le projet politique actuel qui concerne les universités est une nécropolitique de tout ce qui, en elles, est vivant et fécond (regardez aussi ce qui se passe à l’échelle plus largement des politiques culturelles dans ce poste avancé de l’extrême droite conservatrice de la région des Pays de la Loire). Au mot d’ordre de certaines universités déclarées « mortes » en cette journée du 3 décembre fait écho l’ensemble des vivantes et des vivants qui les peuplent encore. Mais le tableau d’ensemble ne renvoie l’image que de morts-vivants.

Ce qui arrive ne relève pas de l’ordre du « choix » ou du « refus de choix » comme la communication des présidentes et présidents d’université le laisse supposer. Nous n’aurons pas à choisir entre le fait de diminuer les capacités d’accueil, ou alors de fermer certaines formations, ou alors de fermer certains sites dits « délocalisés », ou alors de ne pas remplacer les départs à la retraite, ou alors d’augmenter les frais d’inscription pour les étudiantes et les étudiants. La réalité c’est que face aux choix politiques actuels et à venir, nous devrons, et beaucoup d’universités devront dès la rentrée prochaine ou celle de l’année suivante, à la fois réduite leurs capacités d’accueil et aussi fermer certaines formations (notamment en sciences humaines et sociales) et aussi fermer certains sites délocalisés et aussi ne pas remplacer les départs à la retraite et aussi augmenter les frais d’inscription.

C’est pour cela que j’ai écrit hier soir aux presque 150 étudiantes et étudiants du département infocom où j’exerce. Je leur ai écrit ceci :

Chers étudiants et chères étudiantes,

J’outrepasse (légèrement) le cadre de mes fonctions pour faire suite au mail que vous avez reçu à la mi-journée de la présidence de Nantes Université sur la situation budgétaire catastrophique de l’ensemble des universités dans le cadre du financement qui leur est attribué par le gouvernement (gouvernement qui par ailleurs risque de tomber ce soir si la motion de censure est votée mais c’est presque un autre sujet car dans tous les cas, hélas, le budget des universités va malheureusement s’effondrer ou en tout cas chuter considérablement).

Ce mail de la présidente de Nantes Université se terminait par une série de points, que je vous remets ci-dessous, et qui sont présentés à raison comme ce qui, pour vos enseignant.e.s et l’ensemble des personnels que vous croisez dans vos quotidiens, est essentiel à préserver. Ces points, les revoici :

« A défaut, nos établissements seront exsangues et certains seront même dans l’incapacité de payer les salaires de leurs personnels.

  • Parce que nous ne voulons pas baisser les capacités d’accueil sur Parcoursup et donc le nombre de places pour les futurs bacheliers ;
  • Parce que nous ne voulons pas réduire notre offre de formations ;
  • Parce que nous ne voulons pas fermer des sites universitaires délocalisés ;
  • Parce que nous ne voulons pas revoir à la baisse, voire stopper la rénovation du patrimoine immobilier ;
  • Parce que nous ne voulons pas réduire le niveau de service, par exemple le nombre de bibliothèques universitaires, etc. »

Ces points, je vous invite surtout à les lire comme autant de menaces qui pèsent sur votre prochaine rentrée universitaire car malheureusement nous en sommes là aujourd’hui.

Oui aujourd’hui et si rien ne change nous devrons baisser nos capacités d’accueil sur Parcoursup, c’est à dire concrètement offrir moins de places à celles et ceux qui comme vous souhaitent intégrer ce BUT ou une autre formation de Nantes Université.

Oui aujourd’hui et si rien ne change nous devrons purement et simplement fermer certaines formations.

Oui aujourd’hui et si rien ne change la question du maintien de tous les sites que l’on dit « délocalisés » sera posée (La Roche sur Yon et Saint-Nazaire pour l’Université de Nantes).

Oui aujourd’hui et si rien ne change préserver un cadre d’étude agréable deviendra impossible faute de budget pour réaliser les travaux nécessaires (vous avez la chance d’étudier sur un Campus récent et bien équipé globalement mais parlez-en à vos camarades dans d’autres composantes de cette université ou d’autres, et voyez à quel point ces travaux sont parfois essentiels et urgents)

Oui aujourd’hui et si rien ne change nous devrons réduire les services universitaires qui vous sont proposés dans le cadre de vos études, qu’il s’agisse de l’offre disponible dans vos BU, des services de santé sur site, de l’aide à l’orientation, etc.

Oui aujourd’hui et si rien ne change et même si pour l’instant tout le monde s’efforce de le combattre et de le refuser, le risque est très grand de voir les frais d’inscription à l’université augmenter considérablement.

Vous savez aussi qu’à ce contexte national s’ajoute un contexte régional dans lequel la présidente de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, a annoncé vouloir supprimer 73% du budget de la culture. Et vous savez à quel point ces sept lettres, les lettres du mot « culture » sont le coeur, la trame et l’un des essentiels de la formation dans laquelle vous vous trouvez et que nous nous efforçons de vous transmettre et de partager avec vous. Cette suppression contre laquelle nous nous battons au quotidien signifie aussi très concrètement moins de stages, moins d’alternances, moins d’intervenants professionnels dans votre formation, moins d’horizons, moins de possibles, moins de découvertes, moins de culture pour vous toutes et tous.

Vous connaissez l’enthousiasme et la détermination de tou.te.s vos enseignant.e.s (ou vous allez apprendre à les découvrir). Nous allons donc, à notre niveau, faire tout ce qu’il est possible de faire pour combattre ce qui est présenté comme inéluctable mais qui est, avant tout, inacceptable.

Demain, mardi 3 décembre, ce sera donc une journée « Universités en danger ». Il y en aura probablement d’autres à venir. Je ne peux que vous inviter à bien mesurer l’ampleur des contraintes et des menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’université, c’est à dire aussi sur vous toutes et tous. Et vous inviter à en discuter entre vous et avec vos camarades, en infocom mais aussi dans les autres départements de l’IUT et du campus, et aussi chez vous, avec vos familles, vos proches.

Je vous invite aussi à être curieux et curieuses et à ne pas accepter ces discours que l’on vous présente trop souvent comme des évidences. Par exemple celui selon lequel « la culture coûte cher ». Oui la culture à un coût mais non la culture ne « coûte pas cher », elle rapporte aussi de l’argent car elle est un facteur d’attractivité pour l’emploi, le tourisme et plein d’autres secteurs.

Je vous invite enfin, si vous le souhaitez, à vous mobiliser de toutes les façons qui vous sembleront utiles, légitimes, nécessaires.

Cordialement à toutes et tous.

 

J’ai relu mon mail ce matin.

Nous sommes des putains de bisounours. Et plus on nous marche sur la gueule et plus le climax de notre mode de résistance consiste à refaire la peinture de l’arc-en-ciel.

Nous avons besoin de radicalité. Nous avons besoin de refaire collectif(s). Les gens que nous combattons ne sont pas, ne sont plus, de vaseux technocrates soupesant l’aune de leur efficience à la sordide vacuité des administrations dans lesquels ils se fondent. Nous combattons des gens déterminés à nous mettre à genoux. Nous combattons des gens qui n’en ont absolument plus rien à foutre nu niveau de souffrance de nos étudiantes et de nos étudiants (et des personnels qui les accompagnent). Nous combattons des idéologues puissants qui s’appuient sur d’inextricables et continus réseaux d’influence médiatiques et politiques. Nous combattons des gens prêts à mentir publiquement, à travestir toute forme de réalité au service de leurs agendas politiques, des gens qui pour la plupart n’ont absolument aucune d’expérience d’un quelconque passage par l’université publique pour eux pas davantage que pour leurs enfants. Nous combattons des gens pour qui nous sommes au mieux des étrangers et au pire des nuisances.

Et ce n’est ni une foutue banderole ni un tremblotant communiqué de presse qui les fera céder. En rédigeant cet article je réfléchissais à la dernière lutte sociale qui fut victorieuse dans notre pays et à l’échelle non pas d’un secteur ou d’une industrie mais d’une politique publique qui nous concerne et nous engage toutes et tous. Je n’ai trouvé que celle de l’abandon du projet dit du « Contrat première embauche » (CPE). Etudiantes et étudiants, lycéennes et lycéens étaient alors massivement descendus dans la rue. Et l’avaient emporté. Nous étions en 2006. L’année suivante, en 2007, c’est Valérie Pécresse alors ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement de François Fillon qui – avec notamment comme architecte Patrick Hetzel l’actuel ministre – promulguait la loi LRU dite loi « d’autonomie » qui ne visait qu’à créer les conditions de ce que nous observons aujourd’hui, c’est à dire l’organisation de tous les effondrements actuels d’une université publique exsangue face à laquelle la seule parole politique exprimée est celle d’un immense et cynique doigt d’honneur.

Nous combattons des gens déterminés et dont la détermination se renforce à proportion qu’approche l’échéance de voir leur projet en passe d’aboutir. Toute résistance se limitant à des banderoles, à des communiqués de presse et à des manifestations polies, ne leur procure rien d’autre qu’une jouissance immédiate. L’impulsion des combats à mener et de leurs modalités ne viendra jamais des présidentes et des présidents d’université qui sont incapables de trouver un autre espace que celui de la négociation de la durée de notre agonie et qui continuent de gratifier leurs bourreaux du titre « d’interlocuteurs ».

Si nous voulons mettre ces bourreaux à genoux et cesser de leur offrir la perspective de notre nuque, il faut commencer par nous relever. Et par envisager d’autres révoltes que celles des pas feutrés.

28.11.2024 à 14:24

Christelle Morançais, la région, les étudiantes, les universités.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (1838 mots)

J’ai reçu une lettre de Christelle Morançais. Enfin pas moi. Pas directement. C’est l’épicerie solidaire du Campus de l’université de Nantes à La Roche sur Yon qu’on a créé et qui depuis 4 ans et désormais tous les jeudis organise des distributions alimentaires pour éviter (un peu) aux étudiantes et aux étudiants de crever de faim et de misère, c’est cette épicerie solidaire qui a reçu une lettre. Cette lettre de Christelle Morançais elle dit ceci :

Des lettres comme ça il y a des centaines d’acteurs, de structures, d’associations, dans le domaine de la culture mais aussi des solidarités, du sport, de l’égalité homme-femme, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui ont reçu les mêmes. Nous on a de la chance parce qu’on a une lettre. D’autres n’ont eu qu’un SMS. Je vous jure que c’est vrai.

Cette lettre moi elle me fout dans une rogne qui va m’amener à qualifier Christelle Morançais pour ce qu’elle est ou en tout cas pour ce qu’elle représente politiquement dans le cas d’espèce, c’est à dire une saloperie de vérole qui me prend, qui nous prend, pas simplement pour des cons mais pour autant de torcheculs au service de la merde politique et idéologique qu’elle agite et qu’elle brasse.

C’est la troisième fois en quelques jours que je vous parle d’elle.

Il faut mesurer, mais vraiment, l’immense saloperie que constitue cette lettre et la politique qui la sous-tend. Tous les jeudis de toute l’année universitaire, avec quelques collègues et surtout avec tout un groupe d’étudiantes et d’étudiants formidables on décharge des putains de camions de la banque alimentaire, on les range dans notre épicerie, et on est là, jusqu’à 19 ou 20h pour permettre, toutes les semaines, à près de 160 étudiantes et étudiants de sentir un peu moins la vie chère et la misère. Toutes les putains de semaines. Entre deux cours, par tous les temps, comme on peut, avec des bénévoles quand ils et elles le peuvent. Toutes les putains de semaines. C’est pas toujours folichon ce qu’on leur propose aux étudiantes et aux étudiants, parce que comme tous les partenaires avec qui on bosse (banque alimentaire, restos du coeur, féminité sans abri, planning familial, etc) c’est super tendu. Tout le monde manque de tout. On aimerait pouvoir leur filer davantage, davantage de pâtes, de riz, de viande, de légumes, de produits d’hygiène. Mais on est là. Et on y reste. Et on tiendra. Parce que la misère qu’on observe, elle va avec la colère. Et la colère, Christelle Morançais, c’est un moteur d’action dont tu n’imagines même pas la force et l’inertie qu’elle permet de déployer. Et comme chacune de tes putains de décision fait monter notre colère, tu vas encore patauger dans la merde pendant longtemps.

Pour le reste on a compris et je l’ai déjà écrit dans les épisodes précédents. Tu mènes, Christelle Morançais, une putain de guerre idéologique, et tu es, Christelle Morançais, le poste avancé d’un projet civilisationnel d’extrême droite.

Mais ta lettre Christelle, cette lettre. Oh putain de bordel de merde. Ecrire à une épicerie solidaire d’un campus universitaire pour lui expliquer que tu vas cesser de lui donner de l’argent (tu n’en donnais déjà pas beaucoup d’ailleurs) bah à la rigueur pourquoi pas, t’es de droite, c’est la crise, tu préfère taper ici plutôt qu’ailleurs, pourquoi pas, c’est de la politique. Mais écrire cela au prétexte et au motif que tu dois te recentrer sur tes « priorités stratégiques » et que l’argent que tu nous enlèves, que tu enlèves à une association qui aide les étudiantes et les étudiants à bouffer chaque semaine, écrire que cet argent va te permettre de préserver tes « capacités d’investissement, notamment en direction de nos politiques en faveur (…) de notre jeunesse » … mais bordel Christelle, il faut vraiment avoir une capacité à prendre les gens pour des cons qui transcende ta propre capacité à l’être. La prochaine fois demande à ChatGPT de rédiger les courriers que tu envoies, il devrait être en capacité de faire preuve de davantage d’humanité ou d’en tout cas moins de cynisme ou de bêtise que toi.

« Comptant sur votre compréhension ». Ah bah là par contre non hein. Notre compréhension c’est mieux que tu ne comptes pas dessus et que tu ailles bien te faire cuire le cul. Va bien te faire cuire le cul sur le brasier de nos colères. Et chaque fois que tu sentiras la chaleur qui monte qui monte qui monte, imagine-moi, imagine-nous en train de souffler sur les braises.

L’argent de la Région, on va s’en passer. Tu ne nous laisses pas d’autre choix que ce qui est ton choix. Mais la catastrophe qui arrive, les étudiantes et les étudiants vont la prendre en pleine gueule et nous aussi. Cette catastrophe, en plus de celle qui touche les acteurs des solidarités avec qui on bosse, c’est ce qui est en train de se passer, pour les mêmes motifs (la crise, la dette, la baisse du budget, le gouvernement de tartignolles qui pilote tout ça), dans toutes les universités. Le compte X de France Universités (les présidents et présidentes d’universités qui sont pourtant bien à l’abri d’être des radicaux et des gauchistes) ressemble actuellement à un mix entre un rituel funéraire de l’université publique et un congrès de la CNT.

Morceaux choisis :

Et cela continue. C’est sans fin. Ici il manque 3 millions, là-bas il en manque 9. Derrière ces millions qui manquent il y a des contrats (déjà précaires) qui vont s’arrêter, il y a des formations qui vont fermer, il y a des services aux étudiantes et aux étudiants qui vont totalement disparaître, il y a l’offre des BU qui va encore diminuer.

Je joue souvent le rôle de Cassandre depuis près de 25 ans que je chronique (aussi) ma vie universitaire, mais cette fois-ci je vous promets que le mur, on a déjà commencé à le percuter. L’onde de choc elle arrive et tout le monde va la prendre dans la gueule à la rentrée de Septembre 2025 au plus tôt et de l’année suivante au plus tard. Parce que le peu de « fonds propres » que les universités récupèrent via l’apprentissage, ce modèle là est en cours d’explosion aussi : toutes les tendances sont à la baisse. Les milieux professionnels annoncent déjà dans plein de secteurs qu’ils arrêtent de recruter des alternants. Et il ne reste qu’une et une seule solution. Que jusqu’à présent les présidentes et présidents d’université se sont refusés à appliquer. Et cette solution c’est l’explosion des frais d’inscription à l’université publique. Toutes les universités sont concernées. Toutes. Et toutes sont dans l’urgence d’arbitrer ce choix mortifère : soit laisser exploser les frais d’inscription, soit laisser laisser détruire et fermer des pans entiers de formations et de services universitaires (et virer, laisser partir, ne pas renouveller tout un tas de collègues).

Et derrière, celles et ceux qui vont morfler le plus, ce sont nos étudiantes et nos étudiants. Qui continueront donc d’affluer encore plus nombreuses et nombreux dans les distributions alimentaires qu’organisent aujourd’hui, sous des modalités différentes, la plupart des universités. Et que cette céleste quiche vérolée de Christelle Morançais va arrêter de financer parce que sa priorité c’est d’investir notamment en direction de la jeunesse.

Alors une dernière fois, pour cette lettre que tu nous a adressé, et pour l’ensemble de ton oeuvre, VA BIEN TE FAIRE CUIRE LE CUL Christelle Morançais (et n’oublie pas de prendre avec toi Patrick Hetzel comme compagnon de Brasero fessier). Et compte sur moi pour continuer de souffler sur les braises.

27.11.2024 à 19:49

Christelle (Volde)Morançais. Heureuse qui communique.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (2273 mots)

Ce qui se joue à l’échelle de la région des Pays de la Loire (suppression annoncée de 73% du budget de la culture) fait actuellement l’objet d’un traitement et d’un émoi national. Traitement et émoi justifié tant la mesure est brutale et inattendue, et tant elle ne peut relever que de deux options : la première étant celle d’une authentique saloperie politique, la seconde celle d’une guerre culturelle et civilisationnelle assumée (une seule option au final donc …).

La communication de Christelle Morançais depuis le début de cette histoire et de l’annonce de cette décision « m’intéresse » dans le sens où elle est une formidable démonstration de l’option présentée ci-dessus.

Elle est aussi la continuité des déclarations de Kasbarian, Pécresse et autres queues de comètes politiques s’enthousiasmant de l’arrivée d’Elon Musk au comité de la hache du gouvernement Trump et appelant de leur voeux un partage de bonnes pratiques entre bourreaux. Ces gens ne sont hélas pas totalement réductibles à leur figure de pathétiques pitres, ils sont aussi le poste avancé d’un projet civilisationnel qui s’assume au mépris de toute forme de projet collectif non immédiatement soluble dans la religion ou dans l’entreprenariat au service du capital.

Pour le dire d’une phrase que j’emprunte à une interview de Naomie Klein dans Télérama : « La gauche n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. » J’en suis depuis longtemps convaincu mais chacun peut aujourd’hui l’observer et le documenter. Et observer surtout la vitesse à laquelle tout cela s’accélère.

Naomie Klein parle de ce qui s’est passé aux USA en préambule à l’élection de Trump, mais cette phrase s’applique parfaitement à ce qui se joue aujourd’hui en France et dont la Région Pays de la Loire n’est que la partie émergée.

Christelle Morançais ne souhaite conserver de la culture que la part événementielle dans laquelle pataugent ses Pygmalions et ses alliés ou en tout cas ceux qu’elle fantasme comme tels : un peu de Vendée Globe, beaucoup de Puy du Fou, et quelques vieilles pierres et antiques religiosités ici ou là. Pour le reste, pour le spectacle, vivant, pour les arts, vivants, pour les ouvriers et paysans de ces spectacles et de ces arts, vivants, rien d’autre que la sinistre perspective de la vallée du Mordorançais.

Actuellement invisible au regard d’une mobilisation qu’elle n’imaginait pas si forte (bah oui Cricri les gens vivants tiennent à le rester et leurs arts et leurs spectacles aussi), Christelle Morançais publie sur ses médias sociaux (LinkedIn, Facebook, X, …) des messages pleins d’une rhétorique qui est aussi de l’ordre de la hache. Il n’y aura aucune paix possible, aucun espace de négociation, elle en condamne à l’avance la possibilité même et faisant bien sûr peser la responsabilité de cette absence d’horizon sur ses opposants qu’elle caricature, qu’elle essentialise, qu’elle méprise.

Dès le 12 Novembre, dès que cette annonce commence à fuiter dans la presse, elle la présentait ainsi pour garder l’initiative de l’offensive (règle 1 de la communication de crise) :

 

La culture, dans sa rhétorique, devient instantanément soluble dans un « monopole« , lequel est aux mains « d’associations très politisées« , et lesquelles « vivent d’argent public« . Christelle Morançais sait parfaitement à qui elle s’adresse. Elle ne parle qu’à un seul électorat. Le sien et celui de l »échiquier politique qui s’étend de la droite conservatrice à l’extrême droite la plus radicale. Son chapelet n’est fait que de mensonges mais elle s’en moque, elle n’a jamais chercher à dire vrai, ni même à dire les faits, elle veut simplement dire à côté, dire pour affronter et non pour confronter, dire sans se soucier de se dédire (il faut relire les innombrables éditos, discours d’inauguration et autres temps politiques dans lesquels elle avait des trémolos dans la voix à l’évocation de ce même « monopole d’associations très politisées qui vivent d’argent public » et qu’elle n’avait pourtant de cesse de remercie et d’encenser pour leur capacité à « donner du sens à son projet politique », à être un « incomparable levier d’attractivité pour le territoire », et autres formules de circonstances). Si personne n’était dupe, le cynisme froid et calculé avec lequel elle assume aujourd’hui d’ainsi se dédire abîme profondément bien plus que la langue qui lui sert de véhicule, il abîme le sens du politique, il abîme la confiance dans la parole publique.

Deux jours après « l’intouchable monopole« , voici l’ombre de la crise (argument 1), le classique « c’est la faute de l’étage au-dessus » (argument 2) et le très Thatchérien « TINA » (There Is No Alternative ») également appelé « GOFY » (Go Fuck Yourself).

Notez qu’à l’échelle de X, l’espace discursif du débat se réduit et se limite aux seuls comptes que suit Christelle Morançais (donc à son fan-club de droitards militants).

L’étape suivante est celle, tout aussi classique en communication de crise, de l’inversion de la charge de la preuve et du retrait de l’espace de négociation. Décliné comme suit : « alors j’aurais bien aimé en discuter, mais bon y’a des gauchistes menaçants et hirsutes prêts à parler fort dans des micros en dansant sur des slogans pas contents, ce qui est une grave menace terroriste à l’ordre public donc je vais continuer de ne parler qu’aux gens qui sont d’accord avec moi ce sera plus pratique. Bisous, Cricri. » La preuve ci-dessous.

 

Et puis il y a l’apothéose.

Juste après la manifestation massive et inédite (plus de 3000 personnes, dès 8h30, sous la pluie – bah c’est Nantes quoi – un lundi matin), après l’explosion de la pétition (50 000 signatures en moins de 48 heures, près de 64 000 ce soir), Christelle Morançais nous ressort le coup de la dette (argument qui pourrait être « d’autorité » si seulement il parvenait à s’extraire d’une pure rhétorique autoritaire), et surtout Christelle Morançais nous met une photo, mais une photo, non mais sans déconner une photo … c’est un bijou. Un putain de bijou.

Vous l’avez ? Non ? Bon je vous la remets.

 

Petit cours (rapide et sans prétention) d’analyse d’image.

Première clé de lecture : tourner le dos. Tout le monde est de dos. Les manifestantes et manifestants, et les CRS. De dos et au loin. Politiquement le message est clair. Quand l’énonciateur d’un message (ici photographique) ne voit que le dos des CRS, c’est que c’est lui qu’il s’agit de protéger, c’est donc le placer au moins symboliquement du côté du droit. Il y a quelque chose et quelqu’un à protéger, et c’est l’énonciateur de la photo, c’est donc Christelle Morançais. Christelle Morançais qui tourne le dos à toute forme de dialogue et de négociation mais en restant de face (dans l’énonciation du cliché, puisqu’elle est dans le dos des CRS, elle fait « théoriquement » face aux manifestants). C’est démoniaque 😉

Deuxième clé de lecture : seul le premier plan compte. Et le premier plan ce sont les CRS .Les manifestantes et manifestants sont relégués dans un second plan qui a valeur d’arrière plan. « L’ordre, l’ordre, l’ordre« . Trois fois l’ordre, trois CRS, trois fois siglés « 3A ». Et oui. C’est pas une photo, c’est un hommage à Bruno Retailleau (ou à la Sainte Trinité, avec Cricri on sait jamais …).

Troisième clé de lecture : elle n’a pas de face. Pas un visage sur la photo. Pas une figure à laquelle s’accrocher. En pareil cas et dans pareille situation, c’est alors la figure, en absence, de Christelle Morançais qui s’impose, en creux, au spectateur.

Quatrième clé de lecture : dépolitiser en amalgamant. Aucun slogan n’est apparent (il en était pourtant de magnifiques, de drôles et de touchants). Aucune appartenance militante ou syndicale non plus à part un vague et amputé « FO ». Certes on « voit » des trucs colorés en arrière-plan (cl la 2ème clé de lecture) mais on ne distingue rien. Car c’est précisément tout l’enjeu. Effacer, gommer du débat ces tiers de confiance et de représentativité, ces corps intermédiaires que sont les collectifs militants, les syndicats et les organisations ou représentants politiques (il y en avait aussi dont pas mal de maires, justement, avec leurs écharpes). Une fois effacés il ne reste que des individus isolés, une foule indistincte que l’on peut à loisir qualifier de violents et « empêchant de garantir la sécurité aux abords de l’hôtel de Région« . Lolilol. De toutes les manifs nantaises, s’il y en a bien une dans laquelle le seul risque manifeste, le seul danger palpable, la seule menace ostensible, était de choper une bonne crève, et bah c’était celle-là.

Moralité ?

On aurait tort de sous-estimer la détermination de Christelle Morançais. Elle est celle de ceux qui osent tout en se rendant immédiatement reconnaissables. Mais cette détermination il faut l’interpréter pour ce qu’elle est vraiment. Christelle Morançais s’en contrefout de la culture. Elle a un projet qui est un projet de civilisation. Qui n’est rien d’autre qu’un projet de civilisation.

« La gauche n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. » (Naomie Klein). Grâce à Christelle Morançais, elle a une nouvelle occasion de le faire. Qu’elle le fasse vite. Et si elle devait tarder, n’attendons pas. Soyons radicaux, ou ne soyons plus rien.

18.11.2024 à 17:52

Christelle (mange tes) Morançais : Culture Killeuse en Pays de la Loire.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (3546 mots)

Christelle Morançais est la présidente de la région Pays de la Loire. C’est une femme de droite et c’est son droit (plutôt genre très à droite et cela l’est tout autant). Et la région, par la voix de sa présidente, a annoncé une coupe budgétaire tout à fait inédite et ahurissante puisque c’est près de 75% du budget dévolu à la culture et à l’action culturelle qui va être purement et simplement … supprimé. Des crédits qui avaient jusqu’aux dernière semaines, été actés et donc prévus et budgétisés par les acteurs culturels et associations qui avaient sollicité ces financements. Et puis là tout d’un coup : bah 3/4 des budgets annulés.

On connaissait les « cost-killers », on accueille dans la dreamteam des dépeceurs du bien public la Culture Killeuse Christelle Morançais. Là où cela devient (au choix) savoureux ou révoltant, c’est que les économies demandées par l’État à la présidente de Région étaient de l’ordre de 40 millions d’euros (ce qui est déjà colossal). Mais Christelle Morançais n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, et elle ajoute donc, de sa propre initiative, une tranche qui fait monter ces économies à 100 millions. Le résultat parmi les « centres de coût » qui vont le plus morfler, c’est donc 75% des fonds alloués à la culture qui seront supprimés dans le budget qui sera voté en Décembre.

Et Christelle Morançais assume. Et Christelle Morançais en est même fière. Et Christelle Morançais s’affiche partout où elle le peut (presse, Twitter, LinkedIn) avec l’argumentaire suivant :

Certains à gauche (ce qui est naturel) et dans la presse (ce qui l’est moins) assimilent les économies que la Région envisage de réaliser – de l’ordre de 100 millions d’euros – à un « choix » ou une « initiative », faisant croire que je me livrerais à une sorte de caprice gestionnaire…
Ceux-là s’acharnent à ne pas vouloir voir la réalité : la situation budgétaire de la France est catastrophique et les perspectives économiques mauvaises.
Dans ce contexte, alors que le Gouvernement ponctionne les collectivités (40 millions sur la Région en 2025) et que la croissance ralentit (et donc que les recettes de la Région, assises sur la TVA, reculent brutalement), faire des économies de fonctionnement, y compris de façon drastique, relève de tout sauf d’un choix ou d’un caprice : c’est une nécessité budgétaire, mais surtout un devoir moral vis-à-vis de nos enfants, de notre capacité à préparer l’avenir et de nos entreprises qui sont, aujourd’hui, en difficultés !
Le seul véritable choix que j’exerce dans cette affaire, et que j’exerce à fond, c’est d’assumer totalement ces économies, de refuser catégoriquement le discours ambiant, où il n’est question que d’augmenter les recettes (donc les impôts), et de voir l’opportunité de nous battre pour être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions.

 

Ok. Hold My Beer. Deux jours avant cette déclaration, toujours sur ses différents comptes en ligne, la même Christelle Morançais ne s’embarrassait pas de nuances en pointant ces associations « très politisées qui vivent d’argent public » et autres militants islamo-gauchisto-wokistophiles (ah bah c’est vrai que tout le monde ne peut pas militer et soutenir la Manif pour Tous, même si elle dit « avoir évolué sur ces questions » du mariage pour tous et de la PMA, faut croire que comme tant d’autres qui ont aussi « évolué » elle devait avoir piscine quand dans ces manifs des débiles en prière invoquaient Dieu pour tuer des PD).

La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais « détruire la culture » (la culture subventionnée, je précise) … Rien que ça ! Mais je m’interroge : quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public (y compris venant de collectivités dont les compétences légales en matière de culture sont très limitées) ; et à plus forte raison quand cet argent public n’existe plus ? Un système dont on constate, en plus, qu’il est, malgré les subventions dont il bénéficie, en crise permanente ! N’est-ce pas la preuve que notre modèle culturel doit d’urgence se réinventer ?  Attention : poser la question, c’est s’exposer à l’habituel procès en « fascisme » ou, c’est à la mode actuellement, en « trumpisme »… Mais j’assume, et cette question, je la pose clairement !

 

Avec l’ouverture d’esprit d’une porte fermée et la capacité au dialogue d’un mollusque mort, la place laissée au débat se résume donc à un procès en accusation de Trumpisme ou de fascisme si l’on à l’outrecuidance d’interroger ou de contester la mise à sac programmatique de toute la politique culturelle d’une région. Et l’on est aussi prié d’inventer un modèle dans lequel la culture serait rentable (alors du coup ça existe, ça s’appelle par exemple le théâtre privé, mais si on ne garde que la partie rentable de l’offre culturelle, bah en effet c’est pas exclu qu’on finisse Trumpisés ou fascistoïdes), et dont on voit bien qu’après la culture, Christelle Morançais aimerait bien aussi que l’école soit rentable, et l’université aussi, et puis l’hôpital tant qu’à faire, et tout un tas d’autres trucs que l’on nomme « communs » ou « services publics » mais qui n’ont pas la délicatesse de fonctionner sur le modèle des agences immobilières qu’elle a fondé et dirigé avec son mari avant de faire de la politique. Notez que moi j’ai rien contre les agents immobiliers, mais faudrait pas qu’elle se mette à avoir avec la culture la même relation que Stéphane Plaza a avec ses compagnes.

On peut penser ce qu’on veut du choix de la Région, de celui de sa présidente, et de l’orientation politique qui le sous-tend, le résultat palpable et concret c’est une mise à mort de la quasi-totalité de la politique d’action culturelle mise en oeuvre (et financée) à cette échelle. Une nécro-politique assumée. Les 3/4 des subventions et aides régionales disparaissant, on a aussi une bonne idée du type d’actions qui continueront d’être financées dans le quart restant (un indice ici) et qui ne manqueront pas de valoriser la part culturelle (ou cultuelle) si chère à la droite conservatrice dont elle est l’une des égéries, dans le sillage d’un Bruno Retailleau dont elle a récupéré le portefeuille lorsque celui-ci s’est fait gauler en flagrant délit de cumul de mandats. La région des pays de la Loire s’est d’ailleurs fait une sorte de spécialité de nommer à la culture des élues passées par un soutien plus qu’actif à la Manif pour Tous, dont par exemple Laurence Garnier qui oeuvra à ce portefeuille pendant 5 années, 5 années qui furent, pour les associations de lutte contre les discriminations, un pur enfer.

Mettre à mort de la sorte un secteur culturel dans son ensemble, le faire aussi brutalement et sans aucun espace de négociation, assumer l’effet domino que cela va produire (les départements et agglomérations, eux aussi soumis à de très fortes contraintes, n’attendaient que le désengagement de la Région pour annoncer à leur tour que « bon bah si la Région ne finance pas, on ne pourra pas financer non plus« ), et le faire avec le cynisme et la posture victimaire qui est celle de Christelle Morançais appelle a minima à une réaction nourrie et qui devrait s’étendre bien au-delà du secteur dit « culturel ». Ces gens n’ont honte de rien et il est évident que fracasser ainsi la politique culturelle dans une région est une politique de terre brûlée scrutée de près par l’ensemble des autres présidents et présidentes de région du même bord que Christelle Morançais (donc également très à droite).

Mais revenons un instant à ses éléments de langage et à la conclusion de sa pathétique homélie. Il s’agirait donc de faire sauter les 3/4 du budget de la culture pour, je cite et souligne « être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions. »

Et là je dis : « Pardon mais mange Tes Morts Christelle, mange bien tes morts Christelle Mange tes Morançais. » Car il faut en conclure que dans l’univers mental ou la vision politique de Christelle Morançais, primo, la culture ne produirait donc aucun emploi, ce qui est tout à la fois très très con et très très faux ; que, deuxio, la culture serait inutile à la jeunesse, ce qui est encore plus con et encore plus faux si tant est que cela soit possible ; et enfin, tertio, que la culture ne permettrait de penser aucune transition (sociale, démographique, écologique, économique, etc.) ce qui atteint un niveau de connerie en face duquel la moindre émission de Cyril Hanouna ressemble à un cours du Collège de France sur les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de Paladru.

Par-delà ce qui est donc clairement tout autant un programme qu’un naufrage idéologique et politique, quel dommage de n’avoir même pas le courage d’être simplement cynique et de patauger à ce point dans une telle pathétique insincérité.

Mais je veux aussi souligner en tant qu’universitaire islamo-gauchisto-wokisé, que le choix de Christelle Morançais de mettre à mort le secteur culturel à l’échelle de la région des Pays de la Loire aura bien sûr des impacts forts et massifs sur l’ensemble des étudiantes et étudiantes que nous formons et diplômons dans les universités et écoles (publiques ou privées) du territoire. Car ces structures culturelles, ces actions culturelles, nos étudiantes et nos étudiants vont s’y former lors de leurs stages ou de leurs alternances, ils et elles en sont aussi les acteurs et les actrices et les chevilles ouvrières. Beaucoup des responsables de ces structures sont d’ailleurs également des intervenantes et intervenants qui viennent irriguer nos cursus de formation en y apportant à la fois leur témoignage métier et leur expertise. Et puis je veux dire à Christelle Morançais, qu’il n’est pas un seul mois, pas une seule année où, à l’occasion de ces stages, de ces alternances, de ces interventions en cours, de ces passages dans des festivals, des scènes et des salles culturelles, pas une seule année ou un seul mois où nous n’avons d’étudiantes et d’étudiants qui ne bâtissent leur parcours professionnel mais aussi leur parcours de vie de manière sensible, curieuse, ouverte. Et que c’est bien là le travail d’une région et des impôts et taxes qu’elle lève ou perçoit que de permettre aussi cela.

On sait à quel point la culture et l’action culturelle sont plus que d’autres des secteurs en effet fragiles, parce qu’en effet pas toujours « rentables », d’où l’importance de les soutenir par des financements pérennes et qui leur laissent le temps d’éclore, de mûrir et de faire fructifier cet impalpable qui est un essentiel pour construire des citoyens et des citoyennes. Le mettre ainsi cyniquement à mort c’est abattre bien plus qu’un secteur « culturel », c’est aussi priver la jeunesse d’outils, de scénarii et de perspectives pour lui permettre d’imaginer ces fameuses « transitions » que Christelle Morançais semble avoir oubliées dans l’instauration de ce nouveau comité de la hache où elle s’attribue à la fois et avec une morbide jubilation le rôle du juge et du bourreau.

Par ailleurs, et puisque l’argumentaire de la présidente de Région fait état de « compétences légales des régions très limitées en matière de culture » (ce qui n’est pas inexact), il faut lui rappeler que les lycées sont, par contre, de plein droit dans le périmètre desdites « compétences légales de la Région. » Et que les lycéens et les lycéennes seront les premiers à souffrir de cette mise à mort de la culture qui là aussi, était un levier majeur de l’ensemble des actions pédagogiques mises en oeuvre dans ces établissements.

Il faut aussi rappeler à Christelle Morançais qu’à côté des ouvriers de Michelin et de tant d’autres qui prennent actuellement des charettes de licenciement dans la gueule, qu’à côté du monde paysan qui s’enfonce dans la misère des sillons de nos champs de subsistance, il y a aussi des ouvriers et des paysans de la culture, ce sont des techniciens, des régisseurs, des médiateurs et médiatrices, tout un tas de gens qui ne valent ni mieux ni moins que les ouvriers et que les paysans, tout un tas de gens que le choix de Christelle Morançais de supprimer les 3/4 du budget alloué à la culture va plonger dans la même misère, dans la même détresse, dans le même cauchemar que vivent leurs camarades ouvriers et paysans.

Quand la culture recule, quand sa légitimité comme service public est remise en cause, quand elle devient l’objet et le sujet d’une guerre culturelle se parant des atours d’une « efficacité » ou d’un « manque de choix », à chaque fois que l’on nous dit « qu’il n’y a pas d’autre alternative » en nous renvoyant à un dialogue impossible entre celles et ceux que l’on accuse d’islamo-gauchisto-wokisme et celles et ceux qui se verraient accusés de fascisme ou de Trumpisme en retour, on cesse de faire de la politique pour n’être plus que le masque sordide et laid d’un projet de société mortifère. On devient la politique de Christelle Morançais.

« La prière » écrivait le philosophe Alain, « c’est quand la nuit vient sur la pensée. » Les coupes budgétaires portées par Christelle Morançais augurent d’une nuit noire dont chacune et chacun aura a souffrir. A commencer par la jeunesse.

(Bruno et François, les parrains de l’ascension politique de Christelle Morançais, ceci expliquant aussi un peu cela)

 

[Mise à jour du 19 Novembre et des jours suivants] Pour vous tenir au courant des suites de cette affaire, vous pouvez notamment (je mettrai à jour au fur et à mesure) :

Rendez-vous si vous le pouvez lundi 25 Novembre à 8h30 à Nantes, devant l’hôtel de région. Manifestation à l’appel de la CGT Spectacle mais qui s’étend bien au-delà.

17.11.2024 à 18:38

X et son exode. Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (3222 mots)

C’est une nouvelle fois, c’est une nouvelle occasion. Se débat, se discute, s’organise le projet d’un grand départ. A l’occasion de l’élection de Trump et du rôle que Musk y joua, des réseaux concurrents, à commencer par Bluesky (fondé par Jay Graber après une initiative de Jack Dorsey** qui avait fondé Twitter) gagnent rapidement un nombre significatif de nouveaux comptes. Un million. Un exode numérique sans peine, sans drame, sans souffrance. Notez bien que je parle de nouveaux « comptes » et pas de nouveaux « utilisateurs ». Car pour devenir utilisateur d’une plateforme cela suppose à la fois d’en connaître ou d’en accepter les codes et les règles, mais aussi d’y contribuer un tant soit peu et autrement qu’en seule consultation. Être utilisateur c’est être impliqué dans un implicite d’usage autant que dans un explicite de consultation. De nouveaux comptes donc mais pas encore autant de nouveaux utilisateurs.

** Merci à celles et ceux qui m’ont signalé une erreur dans mon article initial qui indiquait à tort Jack Dorsey comme créateur de Bluesky

e-« X »-odus.

L’histoire des grandes plateformes numériques contemporaines nous renseigne sur le devenir de cet exode et nous engage à une grande prudence. Un exode que l’on décrit un peu trop vite comme massif : un million ce n’est pas tant que cela dans des écosystèmes qui en comptent près de 400 fois plus (et X est à ce titre l’un des plus petits écosystèmes numériques « massifs »), d’autant que rien n’est dit qualitativement de ce million et que l’on sait que tous les comptes ne se valent pas dans les dynamiques qu’ils englobent et dans les espaces expressifs qu’ils mobilisent. Un exode que l’on décrit également un peu trop vite comme définitif ou à sens unique : cet exode d’un million entre X et Bluesky n’équivaut pas diamétralement à un million de fermetures de comptes X. Il faut aussi rappeler que déjà un certain nombre de médias et d’institutions (universités par exemple) ont de fait quitté la plateforme ou cessé d’y publier et d’y interagir, et que pour autant, jamais cette même plateforme n’a été aussi puissante qu’aujourd’hui avec cette seule mais importante différence que sa puissance se déplace, qu’elle est désormais peut-être davantage exogène qu’endogène.

La particularité et le paradoxe des exodes numériques est qu’ils fonctionnent selon des modalités de colonisation bien plus que sur celles d’un exil : ils nous autorisent à continuer d’être présents dans l’espace que nous quittons autant que dans celui où nous arrivons. Ils ne nous engagent pas à quitter un territoire pour en rejoindre un autre.

L’exode de X qui s’explique par les outrances et la position de Musk à l’occasion de l’élection de Trump fait écho à beaucoup d’autres parmi lesquels celui qui frappa Twitter lors de son rachat par Musk, ou encore celui qui frappa Facebook à l’occasion de différents scandales.

Je le redis ici à l’échelle des plateformes numériques contemporaines, aucun exode jamais ne permit de générer autre chose qu’un vascillement très temporaire des plateformes originelles. Même si rien n’est jamais certain, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’il en sera autrement pour l’exode qui s’opère actuellement sur X.

S’il est si difficile de se départir davantage que de partir, c’est pour un ensemble de raisons sur lesquelles je vais un peu revenir mais c’est principalement pour celle que le copain-collègue Marc Jahjah analyse et documente avec la dimension sensible qui sert de cadre à toutes ses analyses :

Avec Twitter/X, la maison a progressivement changé d’habitants, de disposition, de règles, au point de devenir insalubre, infestée d’insectes, pleine de moisissures. La question est donc de savoir pourquoi nous acceptons encore de vivre dans un tel lieu, en dépit de notre santé.v Par exemple, je ne crois pas que la question soit de « ne pas leur laisser du terrain. » Peut-être, mais j’ai du mal à y voir la raison principale : autochtones d’un autre monde, ici ou ailleurs, nous ne sommes nulle part chez nous. Alors quoi ?

(…) c’est une question de « routines », mais au sens fort : elles sont les pitons qu’on plante dans la paroi trop grande du monde ; elles sont des prises, chèrement acquises, autour desquelles un agencement, un quotidien, s’organise, devient possible. D’où le piège. Vous m’enlevez cette « routine », vous m’enlevez tout ce qu’elle a permis de mettre en place. C’est pourquoi c’est si difficile de s’en défaire. Et pourtant, il le faut.

Quelque part, Leroi-Gourhan écrit que le rythme ou, disons, la « routine » est « faite pour céder ». Elle doit uniquement permettre d’explorer le monde, de partir à l’aventure, en regardant depuis le ciel les trous formés plus bas par les pitons. Mais nous sommes tous inégaux dans notre capacité à abandonner une routine. Partez, à votre rythme.

Partir, c’est (…) donner du sens à son expérience. C’est un « échappement » : un intervalle créé pour comprendre ce qui s’est passé. Donc merci à [celles et ceux] qui nous expliquent pourquoi ils partent. Que nous sommes honorés d’assister à leur départ. Car ils viennent nous dire au revoir, mais pas n’importe comment : en nous disant comment faire céder la routine ; en laissant une trace.

Faites-nous donc l’honneur de nous raconter cette histoire.

 

De mon côté, je me suis toujours efforcé de penser notre rapport aux plateformes numériques comme autant de biotopes et d’écosystèmes, dans le cadre d’une écologie de l’information qui doit beaucoup à la découverte, lors de mes années de thèse, à l’écologie de l’esprit de Gregory Bateson. Et depuis près d’un quart de siècle passé à fréquenter en observation participante la plupart de ces environnements, la plupart de ces plateformes, après mes propres tentatives d’en partir et d’y revenir, d’y faire voix ou de n’y être que passager, après tout cela j’en viens à me demander comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre ?

Twitter existe indépendamment de Jack Dorsey, et X indépendamment d’Elon Musk. Twitter aurait été différent sans Dorsey et X le serait encore plus incontestablement sans Musk. Mais X est avant toute autre chose la part d’un écosystème global et X n’existe pas sans l’ensemble des autres biotopes de cet écosystème. X n’existe pas sans l’ensemble des autres biotopes médiatiques qui en organisent la centralité, ou qui le combattent, ou qui lui donnent écho pour l’accabler ou le porter aux nues. X n’est pas « une » vision de la liberté d’expression qui serait celle de Musk et autoriserait toutes les dérives : X est un morceau (important) de l’étoffe d’Harlequin qui donne à voir la surface de ce que nous appelons la liberté d’expression et qui est une dynamique de discours autorisés ou interdits à l’aune de définitions et d’acceptions publiques un jour sanctuarisées par des lois mais qui se négocient en permanence dans des espaces sociaux, discursifs et militants qui en travaillent ou en sapent les contours.

Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre ?

Je me méfie suffisamment des métaphores le plus souvent moisies que l’on accole au numérique pour ne pas être prudent sur celle que je vous propose (Twittter n’est pas un bus, et internet n’est pas le far-west). Mais je choisis de la maintenir. Nous nous trompons si nous considérons que Twitter hier ou X aujourd’hui sont autant d’espaces forclos, c’est à dire d’espace dont nous pouvons être maintenus à l’extérieur parce qu’ils auraient été désignés comme devant être quittés, et l’auraient été parfois.

Bien sûr si nous en sommes les arbres et qu’ils sont notre forêt, cela ne signifie pas pour autant l’impossibilité d’en partir réellement comme un arrachement, comme une rupture de l’ensemble des racines qui nous y maintiennent. Mais il faut alors en effet en accepter au moins partiellement des modalités qui soient un peu brutales. Sans cette brutalité, sans cette radicalité, sans cet arrachement, nous restons. Les départs qui sont doux ne sont ni des exodes ni des séparations mais des voyages. Nous poussons une branche ou une racine ailleurs mais revenons et restons à notre point d’attache, à notre forêt d’appartenance. Point d’exode ou d’exil là-dedans. A peine un déplacement.

La difficulté de penser ces déplacements, ces voyages et ces exodes numériques, cette difficulté si paradoxale puisqu’ils semblent si faciles et si faisables à effectuer, puisqu’ils semblent tellement « à portée », cette difficulté tient entre autres à leur part numérique et à quelques-uns des principes invariants de ce que l’on appelait il y a plusieurs décennies « l’hypertexte » et qui est aujourd’hui décliné – mais pas effacé – dans nos hyper-socialisations et nos hyperaffects. La clé de l’ensemble de ces biotopes et écosystèmes numériques, massifs ou liminaires, globaux ou parcellaires, graphiques ou scriptuaires, la clé demeure celle des liens qu’ils trament et tissent en permanence avec eux-mêmes d’abord, et avec d’autres qu’eux-mêmes pour autant que nous en prenions notre part. Dans ses principes de l’hypertexte, Pierre Lévy parlait de « métamorphose« , de sa dimension fractale (« multiplicité et emboîtement des échelles »), « d’extériorité« , de « mobilité des centres« , autant d’éléments qui ne facilitent pas la possibilité d’un départ (ni d’ailleurs celle d’une arrivée), et il parlait enfin de « topologie« .

 

Nous revoilà dans la forêt. Nous revoilà comme un arbre. Pour quitter sincèrement X ou toute autre plateforme aujourd’hui, il faudrait renoncer aussi à l’ensemble de nos voisinages et de nos proximités. « Principe de topologie » écrit Lévy. La topologie c’est cette science mathématique dans laquelle « une tasse à café est identique à une chambre à air, car toutes deux sont des surfaces avec un trou. » Comme avec Facebook hier, notre problème avec le fait de quitter X aujourd’hui est également un problème topologique.

 

« Quitter X »  Allégorie topologique. 

 

 

Alors pour toutes celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas quitter X, il reste la possibilité de prendre racine ailleurs, l’hypertexte et nos hyper-relations et nos hyper-affects le permettent, heureusement. Je ne crois pas que Thread ou Bluesky aient vocation à devenir un de ces ailleurs pérenne mais je n’ai aucune certitude du contraire non plus. J’ai par contre l’absolue conviction que Mastodon, par son architecture décentralisée, par ses règles de modération (différentes selon les « instances » que vous choisirez), par les inter-relations qu’il permet, par son ancrage dans des formes de friction nécessaires en amont des interactions pour en diminuer la toxicité le plus souvent d’abord virale, j’ai la conviction que Mastodon est un biotope d’avenir à préserver et à habiter.

Mais ne venez pas sur Mastodon en attendant d’y retrouver les interactions, les relations ou même les affects qui étaient les vôtres sur Twitter ou sur X (ou même sur Thread ou Bluesky), car seule la déception serait alors au rendez-vous.

Voilà pourquoi je ne partage pas entièrement ou qu’en tout cas je nuance la tribune du collègue David Chavalarias enjoignant de quitter X en masse à l’occasion de l’investiture de Trump le 20 Janvier lorsqu’il écrit :

« L’important est de le faire en gardant notre audience, nos threads, notre capital social afin de ne pas perdre leur valeur sociale globale. Pour cela, il faut s’organiser, et cela commence maintenant ! D’ici le 20 janvier, des outils de migration nous permettront de transférer nos fils de discussion (threads) et notre audience (followers) de X vers d’autres réseaux où la liberté d’expression est assurée.« 

 

Partir et garder nos discussions, partir et garder nos followers, partir garder notre capital social ce n’est pas partir, c’est vivre mal l’expérience d’un déplacement raté. Parce que nos discussions, nos followers et notre capital social bâti sur Twitter puis sur X n’est pas tant le nôtre que celui de la plateforme. C’est un capital qui n’est pour l’essentiel modalisable (et par ailleurs monétisable) que sur cette plateforme et que très marginalement ailleurs. C’est là où une nouvelle fois les métaphores ont leur limites. On peut déménager d’une ville à une autre en gardant ou en tout cas en préservant en partie nos relations, nos amis et notre capital social, même si chacun qui a fait ces expériences à différents moments de sa vie en voit aussi les limites et les effacements. Mais quitter X pour Bluesky ou pour Mastodon ce n’est pas quitter Montauban pour Palavas ou Saint-Etienne (sachant par ailleurs qu’on ne devrait jamais quitter Montauban).

Arriver sur Mastodon c’est en effet arriver en migrant et en exilé. C’est accepter d’abord de ne pas en comprendre tous les codes et toute la langue. C’est prendre le temps de les découvrir. C’est affronter quelques – menues – complexité qui nous éloignent des linéarités verticales et brutales de Twitter et de X. C’est entrer en discussion avec la plateforme tout autant qu’avec ses utilisateurs et utilisatrices. Ce n’est pas une recopie ou une déclinaison d’habitudes anciennes, ce sont d’autres dynamiques qu’il faut accepter de découvrir avant qu’elles ne nous soient fécondes et en acceptant qu’elles ne le soient ni immédiatement ni systématiquement.

L’arbre qui cache les faux rêts.

Et au-delà de Twitter, de X, de Mastodon et de toutes nos autres forêts qui sont autant de faux rêts, en quitter certaines ou arriver dans d’autres ne réglera rien d’autre que le regard que nous portons sur nous (ce qui n’est, me direz-vous, déjà pas si mal, et ce qui peut même être parfois déjà un essentiel). Mais nos problèmes sont ailleurs. Quitter X c’est comme cesser de regarder CNews ou cesser de lire Valeurs Actuelles et le JDD. Cela n’est ni le programme ni le sursaut dont nous avons collectivement besoin dans ce qui se révèle aujourd’hui – comme rarement aussi explicitement dans l’histoire – comme une vraie guerre culturelle. Surtout s’il s’agit de refaire X ou Twitter ailleurs. Pour autant il faut se préserver. Alors partez ou restez, ici ou ailleurs, et restez-y ou revenez.

Mais comme l’écrivait Marc Jahjah, surtout, « Faites-nous donc l’honneur de nous raconter cette histoire. » 

Et j’ajoute : soyez attentifs et attentives. Soyez attentifs et attentives aux mouvements et aux bruits de vos forêts, de vos faux rêts. Soyez attentifs et attentives à celles et ceux qui partent autant qu’à celles et ceux qui restent. A celles et ceux aussi, citoyens ou citoyennes mais aussi médias et institutions qui annoncent leurs départs ou le fait que, comme The Guardian, ils ne s’exprimeront plus dans cet espace. (Ouest-France vient également d’annoncer suspendre ses publications). Ces circulations, ces déplacements, ces positions et ces postures sont aussi notre histoire commune et le périmètre mouvant de ce qu’il faut s’échiner à définir et à affirmer comme la possibilité d’une cause commune.

[Mise à jour du 29 Novembre] Très bon article à lire sur pourquoi Bluesky n’est (à ce jour) pas vraiment un réseau social décentralisé et pourquoi il vaut mieux, quitte à migrer, migrer sur Mastodon.

11.11.2024 à 18:04

De VivaTech à DictaTech. Naissance d’un Etat artificiel.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (2393 mots)

5ème épisode d’une série d’articles en lien avec les enjeux technologiques de l’élection américaine (mais pas que). Épisodes précédents de ces chroniques techno-américaines : 

  1. « Un doute profond. » 2 octobre 2024.
  2. « Dancing Trump. L’invention de la Beat Politique. » 19 Octobre 2024.
  3. « Elon Trusk et Donald Mump. Des mythos et une mythologie. » 3 Novembre 2024.
  4. « Donal Trump et l’invention du Fakecism. » 7 Novembre 2024.

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C’est une question obsédante et qui revient à chaque élection, à chaque révélation d’une manipulation de masse, à chaque question de société arbitrée ou minée par des choix que l’on dit « algorithmiques » mais qui sont l’habit de carnaval de bouffons dont les outrances sont la glue attentionnelle nécessaire à leur accession à la notoriété, puis au pouvoir.

Cette question c’est celle du moment où les plateformes ne seront plus simplement « un outil parmi d’autres » au service d’une stratégie de communication et d’un projet politique mais où elles deviendront la première part, la première modalité causale de cette stratégie et de ce projet.

Et chaque tremblement de terre électoral nous en rapproche. La dernière élection de Trump bien sûr, mais avant lui, déjà lui pour son premier mandat, mais aussi Bolsonaro, mais aussi Milei et tant d’autres. Chaque fois la démonstration supplémentaire qu’internet, le web, les plateformes et les algorithmes ne sont pas simplement de droite mais plus vraisemblablement d’extrême-droite et que la conversion, la conviction ou l’opportunisme politique de celles et ceux qui les possèdent rendent désormais de plus en plus inutiles et vains les outils de régulation, d’équilibre et de transparence pensés pour permettre d’en ouvrir le code. Le code n’est plus la dissimulation commode d’idéologies, il est la loi, comme l’avait déjà prophétisé Lessig au tout début des années 2000, et avant tout, il est la voix de celles et ceux qui possèdent les plateformes et les architectures techniques au sein desquelles il se déploie, au sein desquelles ils le déploient.

La part d’outils numériques initialement pensés comme autant de distractions sociales et d’émancipations discursives possibles (où chacun.e peut prendre la parole) est désormais la part manquante de nos démocraties.

Artificial State.

Et l’on voit avec évidence apparaître une sorte d’État artificiel (« Artificial State ») défini comme suit par Jill Lepore dans le New-Yorker (je souligne) :

« L’État artificiel n’est pas un gouvernement de l’ombre. Ce n’est pas une conspiration. Il n’y a rien de secret là-dedans. L’État artificiel est une infrastructure de communication numérique utilisée par les stratèges politiques et les entreprises privées pour organiser et automatiser le discours politique. C’est la réduction de la politique à la manipulation numérique d’algorithmes d’exploitation de l’attention, le renforcement du gouvernement par une architecture numérique appartenant à des entreprises privées, la réduction de la citoyenneté à un engagement en ligne minutieusement calculé. (…) les effets [des technologies numériques] sur le discours politique, la démocratie représentative et le gouvernement constitutionnel ont été, dans l’ensemble, néfastes. Les États démocratiques libéraux fabriquent des citoyens ; l’État artificiel fabrique des trolls.

(…)

L’État artificiel n’est pas vivant ; il ne peut être tué. Mais comme il s’agit d’une construction, il peut être démantelé si un nombre suffisant de personnes décident de le vendre en pièces détachées. D’autres systèmes très tenaces d’organisation des sociétés humaines ont déjà été démantelés par le passé. Le droit divin des rois, le féodalisme, la servitude humaine. Comparé à ces systèmes, celui-ci pourrait être facile. Il suffit de le nommer. »

 

Je crains que nommer cet « Artificial State » ne soit hélas pas suffisant, mais cela nous rappelle à quel point nous avons collectivement raté une occasion absolument majeure de démanteler ces plateformes au moment où le débat public permettait de considérer cette possibilité comme une option à la fois sérieuse et nécessaire, c’est à dire au lendemain (entre autres) du scandale Cambrige Analytica (vous pouvez à ce sujet relire mon article « Contre nous de l’algorithmie, l’étendard sanglant est levé » daté de Novembre 2017).

C’est probablement le scandale Cambridge Analytica (2016) qui fut le fondement et l’acte premier contemporain de cet « Artificial State », du Brexit à la première élection de Trump. Un État artificiel dans lequel l’automatisation des inégalités est un levier de politiques publiques, dans lequel les architectures techniques toxiques des plateformes sont des alliées objectives de l’émergence de consensus juxtaposés qui minent la possibilité des dissensus démocratiques, notamment pour les raisons pointées par Tarleton Gillespie dans « The Plateforme Metaphor, Revisited« , cité par Antonio Casilli) :

1) La prétendue horizontalité des plateformes numériques dissimule des structures hiérarchiques et les liens de subordination qui persistent malgré la rhétorique des “flat organizations” ;
2) L’insistance sur une structure abstraite cache la pluralité d’acteurs et la diversité/conflictualité des intérêts des différentes communautés d’utilisateurs. La responsabilité sociale des plateformes, leur “empreinte” sur les sociétés semble ainsi être effacée ;
3) (point #digitallabor) en se présentant comme des mécanismes *précis* et *autonomes*, les plateformes servent à occulter la quantité de travail nécessaire à leur fonctionnement et à leur entretien.

 

La question n’est pas tant de savoir si « oui ou non » nous sommes aujourd’hui déjà entrés dans une forme de techno-fascisme (voir mon article précédent à propos d’un Fakecism) ou de dictature technologique (DictaTech), mais de s’interroger sur l’addition de signaux qui présentent cet horizon comme plus que probable. Et ces signaux sont innombrables. Le dernier en date est celui du ton et du contenu des déclarations de JD Vance (vice-président de Trump) qui indique que « les États-Unis pourraient cesser de soutenir l’OTAN si l’Europe tente de réglementer les plateformes d’Elon Musk. » Plus précisément, il explique dans un entretien avec un influenceur repris et analysé par The Independent :

So what America should be saying is, if NATO wants us to continue supporting them and NATO wants us to continue to be a good participant in this military alliance, why don’t you respect American values and respect free speech?” Vance asked. “It’s insane that we would support a military alliance if that military alliance isn’t going to be pro-free speech. I think we can do both. But we’ve got to say American power comes with certain strings attached. One of those is respect free speech, especially in our European allies » 

 

Cette déclaration, qui n’est pas – encore – un communiqué de presse et ne vaut donc pas – encore – ce qui dictera la politique étrangère des USA, cette déclaration demeure inédite et inquiétante à plus d’un titre.

D’abord parce que pour la première fois elle fait passer le traitement accordé à une plateforme américaine comme un préalable au maintien d’une alliance militaire et ce dans un contexte de guerre. Et ce préalable est établi sur la base d’une appréciation « morale » qui tient au respect d’une conception de la « liberté d’expression ». Nous sommes donc très loin des scénarii diplomatiques plus classiques dans lesquels on pouvait conditionner un accord, y compris militaire, à la préservation d’intérêts économiques existants ou à la négociation d’autres à venir.

L’autre point marquant de ce renversement inédit tient à la nature même des plateformes désignées et qui sont « celles d’Elon Musk« . Car on sait le rôle que certaines des plateformes Muskiennes ont déjà joué dans le conflit Ukrainien (cf la liste de mes articles sur le sujet). Musk et son réseau de satellites Starlink fut en effet l’un des opérateurs clés dans certaines phases de cette guerre. Musk qui fut autant capable, à un mois d’intervalle, d’apparaître en sauveur en déployant son réseau Starlink au dessus de l’Ukraine, puis en bouffon lorsqu’il a défié Vladimir Poutine en combat singulier ; et qui depuis joue d’une position a minima ambivalente mais toujours – hélas – incontournable, capable d’interférer en pleine opération militaire pour l’entraver au bénéfice de la Russie ou d’applaudir au pseudo plan de paix présenté par Poutine.

En rachetant Twitter pour 44 milliards de dollars, Musk n’a pas simplement fait de « X » un outil d’influence électorale, politique, économique et militaire, mais un cheval de Troie qui le place, de fait, en situation d’arbitrer ou à tout le moins de considérablement peser dans des conflits géo-stratégiques qui engagent l’humanité toute entière bien plus que ses délires long-termistes de colonies de peuplement martiennes.

Aujourd’hui il est à la fois celui qui a permis et fabriqué non seulement l’accession au pouvoir de Trump mais sa réhabilitation numérique et morale par-delà l’ensemble des outrances qui avaient abouti à sa déplaterformisation première. Mais il est aussi celui dont on nous dit qu’il pourrait piloter une mission « d’audit » sur l’ensemble de l’administration US avec la claire intention d’y opérer des coupes franches qui, au regard de ce que l’on sait du mode de management de Musk dans ses diverses entreprises, risquent fort d’être violentes. Il est également celui qui a fait de la détestation de l’État le revers d’une médaille qui place sa galaxie d’entreprises parmi les premières bénéficiaires de la commande publique américaine. Et il est donc, enfin, celui dont les intérêts économiques et idéologiques deviennent à eux seuls, une part déterminante de la politique intérieure comme extérieure de la première puissance économique et militaire mondiale.

DictaTech 2025

En 2016, Donald Trump était porté au pouvoir pour son premier mandat. C’est alors, entre autres paramètres, la capacité d’utiliser et d’instrumentaliser la plateforme Facebook pour diffuser des publicités ciblées et autres « dark posts » auprès d’électeurs indécis dans certains états (scandale Cambridge Analytica) qui lui permit de remporter cette élection. En Janvier 2021 au lendemain d’une élection qu’il perdit, c’est encore au travers de Facebook et de Twitter qu’il encouragea les plus radicalisés de ses électeurs à prendre d’assaut le Capitole. Et en 2024 c’est la plateforme X qui non seulement joua un rôle déterminant dans sa réélection mais qui entend également jouer un rôle majeur dans les politiques publiques qui seront menées, et ce bien au-delà de la seule préservation des intérêts économiques du « plus grand capitaliste de l’histoire des Etats-Unis » qui la dirige. Et cela est entièrement nouveau.

En 2016 donc, pendant que Trump façonnait son élection au pouvoir au travers du scandale Cambridge Analytica, la France lançait en grandes pompes le salon ViVa Tech, « salon de l’innovation technologique et des Start-up, Peut-être serait-il temps et plus en accord avec un certain air du temps, de réfléchir à la première édition d’un salon DictaTech, salon de l’état artificiel, des algorithmes de l’oppression, de l’automatisation des inégalités et des architectures techniques toxiques. La bande-annonce est déjà prête. Rien à changer pour l’invité d’honneur.

 

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