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ARGUMENTS POUR LA LUTTE SOCIALE


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23.12.2025 à 16:48

Une interview de Maksym Butkevych.

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Nous reproduisons ci-dessous une interview de Maksym Butkevych, militant ukrainien des droits humains, libertaire, forcément connu de nos lecteurs réguliers : après avoir coordonné la campagne pour la libération d’Alexandre Koltchenko et Oleg Sentsov, il fut prisonnier de la Russie après s’être engagé dans l’armée ukrainienne lors de l’invasion, et il a fallu faire campagne […]
Texte intégral (7812 mots)

Nous reproduisons ci-dessous une interview de Maksym Butkevych, militant ukrainien des droits humains, libertaire, forcément connu de nos lecteurs réguliers : après avoir coordonné la campagne pour la libération d’Alexandre Koltchenko et Oleg Sentsov, il fut prisonnier de la Russie après s’être engagé dans l’armée ukrainienne lors de l’invasion, et il a fallu faire campagne pour le sauver ; il l’a été, lors d’un échange de prisonnier. Maksym est aujourd’hui, on peut le dire, devenu, sans l’avoir recherché, une autorité morale en Ukraine et au delà. Nous avions diffusé les premières interventions de Maksym libéré, mais là, il a eu le temps de récupérer et de prendre du recul, d’où l’intérêt supplémentaire de cet entretien. Cette interview a été réalisé par la chaine Svoboda, d’où viennent les deux photos illustrant cet article, et la traduction, du russe, est due à Perrine Poupin, que nous remercions. La rédaction.

Deux remarques encore sur des termes traduits. « Télémarathon » traduit le canal centralisé d’informations sur la guerre dans les principaux médias ukrainiens. Quand au mot russe tapik, tout lecteur algérien ou français se rappellera son équivalent : c’est la « gégène » de Massu et de Le Pen père …

« Le régime de Poutine n’est pas tombé du ciel »

Maksym Butkevych est un journaliste et défenseur des droits humains ukrainien. En 2022, il s’est porté volontaire pour aller au front, a été capturé par l’armée russe et a passé plus de deux ans en captivité en Russie. La propagande russe qualifiait Butkevych de « nazi » et de « commandant d’un détachement punitif ». En 2024, il est revenu en Ukraine à la suite d’un échange et, en 2025, il a reçu le prix Václav Havel. Après son retour de captivité, Boutkevitch a raconté les conditions de détention cruelles dans les camps russes et les violences directes dont lui-même et d’autres prisonniers ukrainiens ont été victimes.

Sur la chaîne de télévision « Nastoyashchee Vremya », Maksym Boutkévitch a parlé des tortures et des viols subis en captivité, des « bons Russes », de la responsabilité des Russes dans la guerre, des actions du Centre territorial de recrutement en Ukraine et de la politique de Volodymyr Zelensky.

— Cette année, vous avez reçu le prix Václav Havel. Vous vous rendez souvent à divers événements et conférences où vous croisez des Russes qui ont quitté le pays et s’opposent au régime. Quelles sont vos relations avec eux ?

— Elles varient d’une personne à l’autre. Pour commencer, je tiens à dire que j’ai toute une série de collègues et d’amis russes, hommes et femmes, qui ont été ou sont encore impliqués d’une manière ou d’une autre dans le mouvement de défense des droits humains. On me demande parfois : « Y a-t-il de bons Russes ? ». Et il ne s’agit pas de l’opposition professionnelle, mais plus généralement : y a-t-il de bonnes personnes parmi les Russes ? Pour moi, cette question n’a pas de sens. Notamment parce que lorsque j’ai été autorisé à recevoir des colis et du courrier pendant ma captivité, cela a été possible avant tout grâce à des personnes en Russie. Elles l’ont fait, il y a des gens comme ça là-bas. Il y a ceux qui travaillent non par peur, mais par conscience. Ils agissent en essayant de défendre les droits de l’homme. Souvent, ils le font en silence, avec persévérance, en serrant les dents. Simplement parce qu’ils sont convaincus que quelqu’un doit faire ce travail. Je ne peux qu’admirer ces personnes. Et il y a des personnes, d’origine russe, qui se penchent sur la question de la responsabilité de la population russe dans ce qui s’est passé, dans l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, et qui se penchent sur la question de la culpabilité. Ce sont des questions très difficiles.

— As-tu une réponse à la question de la culpabilité et de la responsabilité ?

— Il y a une responsabilité. Et elle ne s’inscrit pas nécessairement dans un cadre juridique. Le philosophe allemand Karl Jaspers, qui a donné une série de conférences sur la culpabilité de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, a souligné qu’il existe une responsabilité juridique, mais aussi une responsabilité éthique et métaphysique.

— Qui est responsable ?

— La responsabilité incombe à ceux qui ont contribué à cette guerre agressive ou qui n’ont rien fait pour l’empêcher, l’arrêter ou aider ses victimes.

— Et qui est coupable ?

— Cela dépend du degré de responsabilité. En premier lieu, la culpabilité incombe à ceux qui ont déclenché la guerre et l’ont activement soutenue. Je note que Hannah Arendt, une autrice qui s’est beaucoup intéressée à cette question, a écrit que si l’État agit au nom de ses citoyens, ceux-ci partagent la responsabilité des actions de cet État. Que vous le vouliez ou non. La seule façon d’échapper à cette responsabilité est de renoncer à sa citoyenneté.

Pour revenir à ta question, c’est sûr que j’ai plus de facilité à trouver un terrain d’entente avec les Russes qui non seulement comprennent ce qui s’est passé le 24 février 2022, ce qui s’est passé en février 2014, à qui appartient la Crimée, mais qui comprennent aussi que la Russie essaie de se reconstruire comme l’empire qu’elle a toujours été. Car la Russie sans l’Ukraine n’est pas une empire, c’est le royaume de Moscou. Bon, plus la Sibérie, en quelque sorte. L’histoire a fait que la Russie tend vers la forme impériale.

Et si l’on parle d’une Russie non impériale, il faut changer le format même de son existence. C’est avec ceux qui sont d’accord avec cela que je m’entends le plus facilement. Le plus difficile pour moi est de trouver un terrain d’entente avec les Russes – je ne parle pas ici des pro-Poutine, avec lesquels il n’y a par définition aucun terrain d’entente possible – qui disent que le tsar est mauvais, que les boyards sont mauvais, mais que le peuple est bon. Que toute la responsabilité incombe au « régime criminel » et que le peuple « ne veut pas la guerre ». Qu’il suffit de remplacer les mauvais par les bons, et alors tout ira bien.

— En quoi, selon toi, ont-ils tort ?

— Le régime de Poutine n’est pas quelque chose qui est tombé du ciel. C’est le fruit et la réponse à une demande bien précise d’au moins une partie importante de la société russe. Aujourd’hui, des forces mythiques, en harmonie évidente avec les actions impérialistes agressives des dirigeants russes, sont depuis longtemps réveillées et actives dans la société russe. Le reste de la société est passif. Pas tout le monde, mais une grande partie. Elle ne se considère pas responsable des horreurs commises par la Russie en Ukraine. Elle estime notamment que, puisqu’elle n’a pas de liberté, elle n’a pas non plus de responsabilité. Mais la responsabilité existe toujours.

— Même sans liberté ?

— Je pense qu’il existe tout de même une certaine marge de liberté. La liberté de ne pas être d’accord demeure. Sous quelles formes cette désapprobation se manifeste-t-elle ? C’est une autre question.

— Passons à ta propre privation de liberté. En Ukraine, tu es un défenseur des droits de l’homme connu, tu t’es toujours occupé de tous les opprimés. Comment, avec de telles convictions, as-tu pu prendre les armes ?

— Parce que c’est aussi une forme de protection, aussi étrange que cela puisse paraître. Parce que je comprenais parfaitement que si la Russie gagnait, il n’y aurait tout simplement plus de défense des droits humains, ce serait la fin. Au fil des années, grâce à notre travail de plaidoyer, à nos manifestations et à notre action éducative, nous avons tout de même réussi à obtenir beaucoup de choses. Nous nous en sortons très bien, surtout par rapport à la grande majorité des autres pays de l’ex-Union soviétique. Nous avons la liberté de réunion pacifique, la liberté d’expression, la protection contre la discrimination, la liberté politique, l’activisme civique. Tout cela aurait tout simplement disparu si la Russie avait pris le dessus. Et il n’aurait bien sûr été question d’aucune défense des droits humains. Tout le peuple ukrainien aurait été lésé. En réalité, il était clair dès le début qu’il s’agissait de détruire l’Ukraine en tant que telle. Il fallait défendre les droits humains. La seule façon d’y parvenir à ce moment-là était de prendre les armes.

— As- tu déjà tué quelqu’un ?

— Je ne me suis jamais retrouvé dans une situation où j’aurais été directement confronté à des tirs ennemis. L’artillerie nous bombardait principalement. Nous devions nous terrer dans le sol.

— Tu t’es demandé si tu étais moralement prêt à tuer ?

— Oui. J’y ai pensé à plusieurs reprises. Je comprenais que cela représentait un certain problème pour moi et que je devrais faire face à ce problème après avoir accompli cet acte nécessaire.

— Tu as été fait prisonnier à l’été 2022. Dans l’une des premières vidéos publiées par les propagandistes russes, tu racontes comment cela s’est passé : « À ce moment-là, nous étions déjà sans eau depuis 24 heures, l’état du personnel était critique, nous n’avions plus rien à manger depuis longtemps. C’est alors qu’un des deux éclaireurs qui nous avaient amenés la veille est venu nous voir. Il nous a informés que nous étions encerclés et qu’il fallait nous rendre au point de rendez-vous avec lui le plus rapidement possible. [Lorsque nous sommes sortis], cet éclaireur nous a dit que nous étions complètement encerclés, qu’il était prisonnier et que nous étions dans leur ligne de mire. En fait, c’est votre frère d’armes, un militaire ukrainien, qui vous a livré aux ennemis. Savez-vous ce qu’il est devenu ?

-D’après les dernières informations dont je disposais, au printemps ou à l’été dernier, je crois, il était toujours prisonnier.

— Que ressens-tu à son égard ?

— Je souhaite de tout cœur qu’il soit libéré le plus rapidement possible. Je souhaite cela à tous nos prisonniers, quels qu’ils soient. J’ai ressenti un certain malaise, car nous avons ensuite partagé la même cellule pendant un certain temps. Il était évident qu’il ne voyait aucun problème dans ce qu’il avait fait. Mais il y avait autre chose. En plus du fait qu’il avait bien sûr été battu après sa capture…

— Les Russes ?

— Les Russes, oui. Ils lui ont dit que s’il nous livrait comme prisonniers, il nous sauverait la vie. À ce moment-là, toute la région était déjà encerclée et ils avaient commencé le nettoyage. Et il disait qu’il nous avait sauvé la vie. C’est peut-être vrai.

— Raconte-moi comment tu as été violemment battu pour la première fois.

— C’était encore sur la route vers Louhansk, le lendemain de notre capture. C’était l’un des officiers russes, manifestement le commandant, car ses ordres étaient exécutés sans discussion par les autres. Il essayait sans cesse de provoquer les prisonniers pour qu’ils fassent une déclaration imprudente, aient une réaction émotionnelle, il les humiliait, les insultait. Quand il entrait dans la pièce où nous étions détenus, nous devions nous mettre à genoux, les mains derrière le dos.

J’étais le seul officier, le commandant de la plupart des gars qui se trouvaient là. Cet officier russe est entré avec un soldat des forces spéciales et m’a dit que celui-ci partait en mission pour tuer mes frères d’armes et que je devais lui souhaiter bonne chasse. Je pense qu’il avait l’intention de filmer la scène. J’ai répondu que je ne pouvais pas faire cela. À la question « pourquoi », j’ai répondu qu’en tant qu’officier des forces armées ukrainiennes, je ne pouvais pas souhaiter bonne chasse à un soldat des forces spéciales russes.

Il est revenu avec un bâton en bois et a déclaré que nous allions maintenant apprendre l’histoire de L’Ukraine. Il a sorti son téléphone portable de sa poche et a commencé à lire un texte dont le contenu ressemblait beaucoup au discours de Vladimir Poutine. C’était la version russe de l’histoire de l’Ukraine. Elle disait que la Russie avait formé l’Ukraine moderne à l’intérieur de ses propres frontières. Après avoir lu deux ou trois phrases, il désignait du doigt un prisonnier de guerre agenouillé devant lui, qui devait répéter mot pour mot, sans bafouiller, le passage qu’il venait de lire. Si quelqu’un bafouillait, marquait une pause, confondait des mots ou oubliait des noms géographiques, je recevais un coup de ce bâton en bois sur l’épaule.

— Donc, ce n’était pas ton subordonné qui était battu, mais toi ?

— C’est moi qu’ils ont frappé, moi seul pour tous. En tant qu’officier, en tant que commandant. À un moment donné, j’ai compris qu’il allait me casser l’épaule. Il a dit qu’il ne le ferait pas. Il avait raison. Il était clair que ce n’était pas la première fois qu’il faisait ça. Il savait exactement où frapper. Ma main a enflé, puis est devenue rouge, comme un bloc de bois gonflé, et pendant trois semaines, j’ai eu du mal à m’en servir. Puis j’ai commencé à perdre connaissance à cause de la douleur. J’ai tenu bon pendant un certain temps, sachant que si je perdais connaissance, il s’en prendrait à quelqu’un d’autre. Mieux vaut qu’ils frappent un seul plutôt que deux, pensais-je. Puis ils ont commencé à nous préparer pour nous charger dans des camions. Je garde des cicatrices de cette agression. Je porte en moi la version poutinienne de l’histoire de l’Ukraine. Mais ensuite, il a quand même enregistré une vidéo avec nous. Il a sorti son téléphone, nous a ordonné de dire « Gloire à la Russie » et « Nous souhaitons bonne chasse aux forces spéciales russes, désolés de ne pas l’avoir fait ce matin ».

— Beaucoup de prisonniers libérés racontent avoir subi des violences sexuelles pendant leur captivité ou leur détention en Russie. As-tu reçu de telles menaces ?

— Oui, pendant ce premier interrogatoire dans le cadre de l’affaire pénale. Après un coup au foie. Et ce coup était un coup de poing, bien placé, avec un élan, et il [celui qui menait l’interrogatoire] avait un gant tactique avec des boules métalliques. Ça coupe le souffle. Les larmes montent aux yeux. C’est très douloureux. Et là, l’un des interrogateurs s’est penché vers moi et m’a dit à l’oreille : « Si tu pleures maintenant, je te (traduction d’un mot grossier en un mot correct) fourrerai mon pénis dans la bouche. » Après cela, il a commencé à raconter à son collègue (en comptant manifestement sur le fait que je l’entendais) comment, quelques jours auparavant, dans ce même bureau, il avait violé analement deux soldats étrangers de l’armée ukrainienne avec une matraque électrique. Et il lui a demandé s’il avait déjà vu de tels exemples auparavant. Son interlocuteur a répondu que non. Il a dit : « Eh bien, si tu as de la chance aujourd’hui, tu vas en voir ». Voilà le genre de menaces qui ont été proférées.

— Quelle est la torture la plus horrible dont vous ayez entendu parler ? Ou dont vous ayez été témoin ?

— Tout le monde s’accorde à dire que le plus horrible, c’est le courant électrique. Il s’agit soit d’un « tapik », soit d’une machine permettant de faire exploser des mines à distance, qui fonctionne également à l’électricité.

Le « tapik » est le plus souvent utilisé. Il s’agit d’un téléphone militaire de campagne qui fonctionne grâce à une manivelle qui, lorsqu’on la tourne, actionne une machine à dynamo qui produit du courant électrique. Ainsi, les fils reliés à un autre téléphone assurent la communication. Mais les fils peuvent être connectés non pas à un téléphone, mais aux pouces des mains et des pieds, aux parties génitales, aux narines, aux oreilles, ou encore insérés dans l’anus. Et, en fait, cela était fait de manière systématique et régulière à un nombre assez large de personnes.

Heureusement, je n’ai pas vécu cela, on m’a seulement menacé, on m’a mis un « tapik » devant moi, mais on ne l’a pas utilisé. Cette douleur est décrite comme pratiquement insupportable. Surtout si on asperge la personne d’eau en même temps. Et, bien sûr, il y a les violences sexuelles, qui sont terribles : ils violaient les gens avec divers objets, des matraques, des bouteilles vides.

— Est-ce une pratique courante ?

— En tout cas, j’en ai entendu parler à plusieurs reprises [par d’autres prisonniers].

— Nous, les journalistes, regardons souvent les vidéos publiées par les propagandistes, notamment les soi-disant « aveux » et « expériences d’enquête ». De telles vidéos ont également été publiées avec ta participation. Raconte-nous comment elles sont enregistrées.

— Lorsque les soi-disant enquêtes ont eu lieu, tout était très simple. On nous a conduits à l’endroit où, selon leur version, j’avais commis le crime dont on m’accusait. Le dossier pénal indiquait que le 4 juin 2022, j’avais aperçu deux habitantes locales dans la ville de Severodonetsk. Et comme elles étaient originaires du Donbass, j’avais décidé de les tuer à l’aide d’un lance-grenades. Mais j’étais tellement mauvais tireur au lance-grenades que j’ai raté mon coup et que je ne les ai que blessées, tout en endommageant le cadre de la fenêtre. Mais le 4 juin, j’étais à Kyiv ! Et il existe de nombreuses preuves à cet égard. Notre unité n’a jamais été à Severodonetsk pendant la guerre totale. Je n’aurais donc pas pu commettre cet acte. Cependant, ces femmes semblent bien exister. Elles ont effectivement été blessées. Mais elles ont été blessées, comme le montrent clairement les pièces du dossier pénal, à la suite d’un tir de mortier sur leur quartier par les forces russes.

— Et voici l’expérience menée par l’enquêteur, qui vous conduit à cette maison…

— On m’emmène là-bas, on m’attache avec des menottes à un policier militaire russe. On m’amène devant la maison et on me dit : « Lève la main, montre cette fenêtre ». Puis on me fait traverser la rue : « Baisse la main, montre ce trou ». C’est tout. Et puis il y a eu ce qu’on appelle un entretien, après la condamnation. Deux représentants du Comité d’enquête de la Fédération de Russie sont arrivés. L’un d’eux était en tenue de camouflage et cagoulé, avec l’inscription « Comité d’enquête » dans le dos. Le second était en civil. Ils m’ont donné une feuille avec des questions et des réponses, m’ont dit d’apprendre les réponses, de poser la feuille devant moi et, dans la mesure du possible, sans la consulter, de donner les réponses préenregistrées aux questions préenregistrées. À ma question de savoir quand et où cela serait diffusé, ils ont répondu que c’était pour leurs archives. Bien sûr, quelques jours plus tard, je l’ai vu sur NTV.

— Max, qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi sur le plan moral pendant ces deux ans et demi d’emprisonnement ?

— La première chose, c’est quand j’ai finalement accepté de signer un témoignage contre moi-même. C’était une décision très difficile à prendre. Parmi les options qui m’étaient proposées, c’était sans aucun doute la plus rationnelle. Je ne comprenais pas à quel point ceux qui m’interrogeaient bluffaient lorsqu’ils proféraient leurs menaces.

— De quoi t’ont-ils menacé ?

— Ils m’ont menacé de m’abattre immédiatement dans la cour du centre de détention provisoire. Ils m’ont menacé de m’emmener sur le lieu de notre enquête et de m’abattre si je tentais de m’enfuir. Ou bien, ils m’ont dit qu’ils m’enfermeraient dans une cellule avec des détenus qui coopèrent avec l’administration et qu’ils leur donneraient pour instruction de me maltraiter. Et que chaque matin et chaque soir, je maudirais ma décision de ne pas coopérer. Que je ne serais pas échangé. Et que si jamais je sortais de là, je serais brisé physiquement et moralement. Une autre option m’a été proposée : « Tu signes, nous te condamnons comme criminel de guerre et nous t’échangeons très rapidement. »

— Tu as choisi la deuxième option ?

— Oui. Parce que je comprenais que ces gens pouvaient causer beaucoup de tort. Sortir vivant et, si possible, indemne de la captivité est l’une des principales tâches qui incombent à tout prisonnier. En outre, je croyais, je comprenais et j’espérais que mes aveux en captivité en Ukraine ne seraient pas pris au sérieux. Néanmoins, cette décision était difficile à prendre. Pendant longtemps, je me suis demandé si j’avais pris la bonne décision. Et puis, il y avait aussi la question de savoir ce qui avait été le plus difficile. Bien sûr, la première période de captivité a été particulièrement difficile, dans la partie du centre de détention provisoire de Lougansk où étaient détenus les prisonniers de guerre.

Le plus dur était le sentiment de peur. Pas la douleur, mais précisément la peur, comme l’attente de la douleur. Elle était commune à nous tous. Je n’avais probablement jamais éprouvé autant de nuances de peur que celles que j’ai ressenties là-bas. Je craignais qu’à un moment donné, ce ne soit plus moi qui contrôle ma peur, mais elle qui me contrôle. Heureusement, cela ne s’est pas produit.

— Avez-vous reçu des informations pendant votre captivité ? Comment avez-vous appris ce qui se passait ?

— Pendant les neuf premiers mois, je ne savais rien de ce qui se passait. Nous étions détenus incommunicado (en isolement total, sans correspondance ni aucun contact avec le monde extérieur – NV) jusqu’à ma condamnation effective. Puis, une fois condamné, j’ai été transféré dans une autre partie de la prison, où étaient détenus les accusés criminels. Ils avaient une télévision qui fonctionnait 24 heures sur 24. Il était parfois possible d’obtenir quelques bribes d’information à partir de ce flux de propagande.

Parfois, par exemple, les journaux télévisés rapportaient avec bravoure les progrès des troupes russes victorieuses près de telle ou telle localité, infligeant des pertes aux unités des « nazis ukrainiens », comme le disaient les propagandistes russes. Et on comprenait alors que cette localité était toujours sous notre contrôle ! Ou encore, lorsque le putsch de Prigojine a eu lieu, un bandeau défilant est soudainement apparu au milieu du documentaire, appelant tous les combattants de la société militaire privée Wagner à ne pas exécuter les ordres criminels. Nous avons alors compris que quelque chose se passait. Mais il fallait bien sûr deviner beaucoup de choses.

— Je veux que tu me racontes comment tu as réussi à donner des cours aux autres dans ce contexte.

— Oui… Je pratiquais certaines techniques mentales : composer des textes dans ma tête dans différentes langues, rédiger des prières. Notamment en anglais. Et dans l’une des cellules, nous avons commencé à apprendre l’anglais. Je n’avais jamais enseigné cette langue auparavant. Mais dans ma cellule, j’avais des étudiants. Et l’un d’entre eux, le plus assidu, a fait de bons progrès. À la fin, il décrivait des situations imaginaires en anglais : comment il faisait des visites guidées dans une ville médiévale européenne, puis entrait naturellement dans un pub et commandait un whisky. Même si nous n’avions ni textes à lire, ni stylos ni papier pour écrire, cela fonctionnait quand même.

— Qui est ton élève ?

— C’est un officier supérieur de la police nationale ukrainienne, à la retraite. Il était en détention préventive.

— Il a été libéré, le sais-tu ?

— Je ne sais pas, malheureusement.

— Quel a été ton premier désir après la captivité ?

— La première chose qui m’a frappé après la captivité, c’est la douche. Une douche où l’on peut régler la pression et la température, où l’eau ne coule pas en jet sur la tête, mais à l’aide d’un pommeau. Et où il n’y a pas une file d’hommes nus qui attendent que vous vous mouilliez légèrement pour ensuite vous savonner, mais où vous pouvez simplement vous tenir debout et sentir les jets d’eau couler sur votre peau. En plus, tu peux mettre de la musique qui ne résonne pas dans ta tête, mais qui vient de l’extérieur – ça m’a mis dans un état de choc positif.

— Max, tu as participé à la Révolution du granit, à la Révolution orange et à la Révolution de la dignité. À chaque fois, les gens sont descendus dans la rue pour défendre leur droit de vivre dans un pays démocratique avec des valeurs européennes. Et voilà que tu sors de captivité en Russie, et en Ukraine, le président et le parlement tentent de limiter les pouvoirs des organes anticorruption (NABU et SAP), il y a le téléthon « Єдині новини » (« Nouvelles unifiées »). L’opposition, représentée par l’ancien président Petro Porochenko, accuse Zelensky d’usurpation du pouvoir. Y a-t-il des signes d’usurpation du pouvoir par Volodymyr Zelensky ou son équipe ?

— Il est évident qu’il y a eu une certaine centralisation des décisions. Mais je ne vois rien qui puisse être qualifié d’« usurpation ». Car l’usurpation, c’est l’appropriation illégale et la concentration du pouvoir. À mon avis, seuls les partisans des discours russes peuvent actuellement parler de cela, car tout est légal et légitime. Et le fait qu’il ne puisse y avoir d’élections dans des conditions de loi martiale et d’occupation d’une partie du pays est un fait. Et puis, entendre de tels discours, c’est tout simplement merveilleux ! Car quand on vit dans le champ d’information de la télévision russe, où l’on entend sans cesse « nous gagnons », « nous allons de l’avant », « nous avons un grand leader qui nous guide de manière infaillible et irréprochable »… On y entend constamment : « Bien sûr, il y a des corrompus ici et là, mais Poutine est au-dessus de toute critique, et nos vaillantes forces de l’ordre s’occupent des corrompus. Nous sommes encerclés par des ennemis qui veulent nous détruire, mais nous ne les laisserons pas faire, nous leur montrerons à tous, tout va bien chez nous, et ça ira encore mieux. Là-bas, Sobianine ouvre un nouveau cercle, et les succès sur le front sont impressionnants. Et cela 24 heures sur 24.

Et puis tu sors, tu te retrouves en Ukraine, et là, les titres parlent d’« horreur et de cauchemar », de « corruption dans le pays », de « restriction des droits et libertés », de « procureurs qui achètent leur incompétence » … Et vous comprenez que c’est la liberté d’expression. Hourra.

— Je ne poserai pas de question sur la liberté de réunion, car nous avons tous vu les récentes « manifestations avec des panneaux en carton » [manifestations de masse de la jeunesse contre la corruption et en défense des agences anticorruption et de la séparation des pouvoirs, NDR], qui ont rassemblé des milliers de personnes…

— Oui, et il est intéressant de noter que les autorités n’ont même pas tenté de les disperser, de les interdire, de les empêcher de se réunir ou quoi que ce soit d’autre…

— Oui, je n’ai pas de questions à ce sujet. Mais il existe dans le pays le “télémarathon Edyny Novyny” (“Nouvelles unifiées”) : toutes les chaînes de télévision qui appartenaient à différents oligarques sont regroupées en une seule chaîne. Et selon les témoignages de journalistes licenciés, de l’opposition et de diverses organisations de surveillance, l’opposition ayant un point de vue différent ou toute personne critiquant le pouvoir n’y est pas admise. Peut-on parler de liberté d’expression totale dans de telles conditions ?

— Nous n’avons bien sûr pas une liberté d’expression totale, et cela ne peut pas être le cas, surtout en temps de guerre. En effet, nous avons l’interdiction de divulguer certaines informations. Même ceux qui auraient besoin de ces informations pour leur travail n’y ont souvent pas accès. Mais cela se justifie en temps de guerre, que voulez-vous. Dans un contexte de centralisation du système décisionnel, il y a inévitablement une certaine influence sur le paysage médiatique, bien sûr. En principe, il n’y a probablement aucun domaine chez nous où tout est parfait. Mais chez nous, tout va plutôt bien, et il y a certainement des choses auxquelles nous pouvons aspirer.

En même temps, toutes les plateformes médiatiques qui ne dépendent pas du « télémarathon » sont assez libres et se développent assez librement. De plus, dans notre pays, la télévision ne joue pas du tout le même rôle qu’en Fédération de Russie. Là-bas, le contrôle de la télévision équivaut au contrôle des esprits, et Internet est secondaire. Étrangement, Internet est davantage un divertissement pour la grande majorité de la population. Ce n’est pas le cas chez nous. Chez nous, Internet est avant tout une source d’information. La télévision est importante, mais elle n’est pas monopolistique ni le principal moyen de formation de la conscience. C’est pourquoi, même si nous voulions utiliser le « marathon unique » pour vraiment serrer les vis dans les têtes, cela ne fonctionnerait tout simplement pas.

— En tant que personne qui travaille dans les médias depuis de nombreuses années, pensez-vous qu’il faille mettre fin à l’histoire du « télémarathon » ?

— Il n’y a pas de mal à se faire plaisir. J’aime beaucoup cette citation de la poète et chanteuse américaine Ani DiFranco : « Chaque instrument est une arme, si on le tient correctement ». Au début de l’invasion à grande échelle, le télémarathon était nécessaire pour harmoniser la diffusion de l’information et s’entraider, étant donné que de nombreuses rédactions n’étaient pas en mesure de fonctionner à plein régime. Est-ce encore nécessaire aujourd’hui, après plus de trois ans et demi de guerre à grande échelle ? Honnêtement, je ne vois pas cette nécessité.

— Il existe en Ukraine un problème majeur qui, à mon avis, polarise la société ukrainienne : le travail du Centre territorial de recrutement. Les gens discutent constamment des vidéos montrant le travail des employés du Centre territorial de recrutement. Pour être honnête, il faut noter que ces vidéos sont souvent diffusées par les médias de propagande russes. Mais il n’en reste pas moins qu’il existe des cas où des agents du Centre territorial de recrutement abordent des hommes dans la rue et recourent à la force physique, outrepassant clairement leurs pouvoirs. Voyez-vous un problème à cela ? Et si oui, voyez-vous comment le résoudre ?

— Honnêtement, je ne me considère pas comme un expert dans ce domaine. C’est un problème. Il s’agit plutôt de plusieurs problèmes entremêlés. Dans le domaine de l’information, on a l’impression que cela se produit couramment en Ukraine. Mais, honnêtement, je n’ai été témoin d’aucun cas de « busification » cette année (d’ailleurs, je n’aime pas le mot « busification »). Et je vis en Ukraine.

Oui, j’ai des connaissances qui se sont retrouvées dans les forces de défense de cette manière. Mais elles étaient prêtes à cela. Lorsque mes collègues étrangers viennent à Kyiv, ils me demandent : « D’où viennent tous ces hommes qui se promènent dans vos rues ? ». En effet, mes amis et amies qui combattent depuis 2022-2023 m’écrivent souvent : « Je n’aime pas venir à Kyiv, car il y a beaucoup de ressources mobilisables dans les rues ». Et je leur réponds que je ne sais jamais qui sont ces personnes, dans quelle mesure leur présence ici est justifiée et légitime.

En tout cas, d’un côté, je pense qu’il y a un problème de communication. Et le recours à la force pour mobiliser les gens n’est, à mon avis, pas assez réfléchi, c’est le moins qu’on puisse dire. Récemment, on a commencé à utiliser des caméras embarquées (caméras à la poitrine – NV) dans le travail et à enregistrer les actions des employés du Centre territorial de recrutement. À mon avis, c’est un bon pas en avant. Au moins, les critiques atteignent quelqu’un sous cette forme. Mais est-ce que ça résout le problème ? Non.

— Parce qu’il y a un autre problème : le manque de personnel dans l’armée.

— Oui, bien sûr. Cela s’explique par le fait que, excusez-moi, en termes de ressources humaines (je n’aime pas non plus cette expression), nous ne sommes pas comparables. La guerre pour la survie contre la Russie est une guerre contre un ennemi qui dispose de ressources incomparablement supérieures.

Mais, encore une fois, pourquoi est-ce que je parle d’un manque de communication ? Après tout, il s’agit ici de la motivation de ceux qui s’engagent encore dans les forces de défense, de la manière dont cela se passe et du fait que nous ne connaissons toujours pas nos pertes, les chiffres exacts étant classés secrets. Mais les ressources propagandistes russes créent l’image selon laquelle s’engager dans les forces de défense ukrainiennes revient presque à coup sûr à être tué ou blessé. Ceci est bien sûr totalement faux, c’est un mensonge. Donc, oui, ce problème doit être résolu, il faut peut-être changer l’approche même de la mobilisation, mais je serais trop présomptueux si je disais maintenant que je sais comment.

— Au fait, as-tu déjà rendu visite cette année aux Russes qui sont prisonniers en Ukraine ?

— Oui, je n’en ferai pas un secret. J’ai visité l’un des centres de détention des prisonniers de guerre russes en Ukraine. Bien sûr, je voulais comparer les conditions dans lesquelles ils se trouvent avec celles dans lesquelles nous nous trouvions. Dire que la différence est évidente, c’est ne rien dire. Le contraste est frappant.

— En quoi consiste-t-il ?

— En Ukraine, toutes les colonies pénitentiaires actuelles ou anciennes se ressemblent. Les centres où sont détenus les Russes ont été créés sur la base d’anciennes institutions pénitentiaires. Les prisonniers de guerre russes ont une alimentation normale, ils ont la possibilité d’acheter des produits alimentaires et des articles de première nécessité. Ils achètent avec l’argent qu’ils gagnent en travaillant. Les gens travaillent et reçoivent un salaire en échange. Bien sûr, en Russie, ce n’était pas le cas. Dans la colonie, nous travaillions, mais il n’était bien sûr pas question de salaire.

— Avez-vous vu, savez-vous ou avez-vous entendu dire que les Ukrainiens maltraitaient les prisonniers de guerre russes ?

— Je n’ai pas entendu parler de telles situations, en tout cas en ce qui concerne les lieux de détention des prisonniers de guerre russes. D’autant plus que toutes ces institutions sont régulièrement visitées par le Comité international de la Croix-Rouge, des représentants de la Mission des Nations unies pour les droits de l’homme, d’autres organisations de défense des droits de l’homme et des représentants des ambassades. En effet, ces centres ne détiennent pas seulement des citoyens russes, mais aussi des citoyens d’autres États qui, se trouvant en Russie, sont partis combattre contre l’Ukraine. Et les représentants des ambassades de ces États y ont accès. C’est pourquoi je pense que même si l’un des employés de ces centres avait envie de manifester son hostilité, il n’en aurait tout simplement pas la possibilité.

Nous savons qu’il y a eu des rapports internationaux faisant état de cas de mauvais traitements infligés à des prisonniers de guerre russes. Il s’agit généralement de situations survenues immédiatement après leur capture. Et pourtant, pour autant que je sache, l’État ukrainien réagit à ces informations. Des enquêtes internes sont menées ou des procédures pénales sont ouvertes. Car contrairement à l’État agresseur, pour nous, le droit international humanitaire et la troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre ne sont pas des mots vides de sens.

— Imaginons : sur le front, un soldat ukrainien que les Russes voulaient tuer, dont la femme a été violée, dont la ville natale est occupée, fait prisonnier un soldat russe au combat et lui dit poliment : « Veuillez mettre vos mains derrière le dos, vous êtes prisonnier de guerre, je vais vous lire vos droits » ?

— Nous comprenons bien sûr que des excès peuvent se produire dans ce genre de situation. Si tant est qu’ils se produisent. Mais maltraiter les soldats ennemis qui se sont rendus ne sert à rien, cela ne change rien. Ce n’est pas de la justice, c’est de la vengeance, et c’est tout autre chose.

— Et toi, tu veux te venger ?

— Non, mais je veux que justice soit faite.

— Qu’est-ce qui serait juste pour toi dans cette guerre ?

— C’est un concept très complexe. Il y a une composante juridique. Pour moi, il est important que ceux qui ont pris part à la guerre aux côtés de l’État agresseur, ceux qui ont donné des ordres criminels, ceux qui ont commis des actes génocidaires à l’encontre des Ukrainiens et des Ukrainiennes, soient poursuivis pénalement. Qu’il y ait un tribunal pour juger les faits d’agression, ce tribunal spécial qui est actuellement en cours de création dans le cadre du Conseil de l’Europe. C’est important pour moi. Et il est important pour moi qu’une évaluation internationale appropriée soit donnée à ce qui se passe : qu’il ne s’agit pas simplement d’une guerre locale entre deux États, mais d’une guerre agressive, impérialiste et génocidaire menée par la Russie contre l’Ukraine.

— Le lauréat russe du prix Nobel, ancien rédacteur en chef du journal Novaya Gazeta, Dmitri Mouratov, a demandé aux présidents russe et ukrainien d’échanger les prisonniers politiques russes contre les Ukrainiens condamnés. Il a notamment déclaré : « S’il vous plaît, échangez vos civils : les partisans du « monde russe » emprisonnés en Ukraine contre les opposants à la guerre emprisonnés dans les prisons et les camps russes. » Que penses-tu de cette idée ?

— En tant qu’ancien condamné par la Fédération de Russie, je ne peux bien sûr que sympathiser avec les personnes qui ont été condamnées en Russie pour leur position antiguerre et, a fortiori, pour leurs actions antiguerre. Mais pour être honnête, cet appel m’a paru quelque peu étrange pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’État doit avant tout prendre soin de ses citoyens. Actuellement, trop de citoyens ukrainiens sont emprisonnés dans les territoires occupés ou en Russie même. Et il faut bien sûr les libérer.

Le problème avec les échanges, c’est qu’on peut échanger des prisonniers de guerre. Mais les civils des territoires occupés ne devraient pas être emprisonnés. On ne devrait pas pouvoir les condamner pour leurs opinions et pour le fait qu’ils sont citoyens de leur pays. Si nous commençons à les échanger contre des citoyens ukrainiens, nous risquons d’ouvrir la boîte de Pandore : toute la population des territoires ukrainiens occupés par la Russie deviendrait alors une réserve d’échange presque infinie.

Deuxièmement, il y a cet appel étrange de dire que l’Ukraine doit rendre ses citoyens à la Russie et récupérer les Russes. Je ne comprends pas très bien comment cela pourrait se passer. J’ajouterai qu’il existe en Ukraine un programme gouvernemental appelé « Je veux rejoindre les miens ». Il a suscité des réactions assez controversées de la part de nombreux défenseurs des droits humains. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une initiative de l’État ukrainien : si des Ukrainiens et des Ukrainiennes condamnés pour collaboration, trahison ou coopération avec la Russie souhaitent se rendre en Russie, ils s’inscrivent dans une base de données appropriée et peuvent être extradés.

Admettons, même en acceptant un instant la proposition de M. Mouratov, d’échanger maintenant tous les prisonniers politiques russes contre tous ceux qui sont détenus en Ukraine pour collaboration avec l’ennemi. De nouveaux prisonniers politiques apparaîtront. En Russie, la machine répressive ne fait que s’accélérer, et c’est un processus sans fin. L’Ukraine doit récupérer, libérer ses citoyens, qu’il s’agisse de prisonniers de guerre ou de civils. Mais la proposition d’échanger des Ukrainiens contre des Russes me semble quelque peu étrange.

— Je vais te poser une question à laquelle, je pense, tu n’as pas de réponse. Je pense que personne n’a de réponse à cette question. Mais les téléspectateurs nous la posent sans cesse. Quand la guerre prendra-t-elle fin ?

— Je ne sais pas. Tant qu’il n’y aura pas de garanties de sécurité pour l’Ukraine, la guerre ne sera pas terminée. Dans le meilleur des cas, il y aura des trêves, après lesquelles elle se poursuivra. Il doit y avoir des mécanismes réels pour assurer la sécurité de l’Ukraine.

Et dans l’idéal, bien sûr… Que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi me pardonnent. Je pense que la guerre doit se terminer par l’effondrement de la Russie sous sa forme actuelle. Ce serait alors une garantie de sécurité. Mais ce n’est clairement pas à l’ordre du jour pour le moment.

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22.12.2025 à 13:04

La crise planétaire de l’impérialisme nord-américain et ses conséquences (2ᵉ partie), par Vincent Présumey.

aplutsoc

L’équation du pouvoir en Europe vue par Trump, Musk, Vance et Hegseth … La bande néofasciste de Washington a des équations à résoudre. Clairement, le document sur la stratégie de sécurité nationale, rendu public le 4 décembre dernier, désigne en bloc l’Europe comme ennemie, tout en appelant à contenir la Chine pour lui imposer un […]
Texte intégral (2267 mots)

L’équation du pouvoir en Europe vue par Trump, Musk, Vance et Hegseth …

La bande néofasciste de Washington a des équations à résoudre. Clairement, le document sur la stratégie de sécurité nationale, rendu public le 4 décembre dernier, désigne en bloc l’Europe comme ennemie, tout en appelant à contenir la Chine pour lui imposer un partage hégémonique, et en ne disant pas grand-chose de la Russie, allié implicite.

Un site étatsunien spécialisé, Defense One, a affirmé le 9 décembre avoir eu connaissance d’une « version longue » de ce document, expurgée avant sa publication, contenant explicitement trois points précis. Les démentis de la Maison blanche semblent formels et la fuite a tout d’une fuite arrangée pour enfoncer le clou et envoyer un ballon d’essai. Je résume ces trois points non dans l’ordre où ce site les présente, mais en partant du plus général pour zoomer sur l’Europe.

De ce point de vue, le premier point consiste à écrire crûment que « l’hégémonie était irréalisable », à savoir l’unipolarité étatsunienne fantasmée après la fin du Pacte de Varsovie et de l’URSS. Disons franchement que là, Trump a raison (mais il n’a pas de mérite particulier à ça) : l’ « été indien » des illusions impérialistes iréniques (années 1990), puis la fuite en avant des années Bush suite aux crimes de masse du 11 septembre 2001, ont en réalité, après l’effondrement du bloc stalinien, conduit non pas à l’apothéose, mais à l’effondrement progressif, de la domination étatsunienne mondiale, ouverte à partir de la crise de 2008.

Par rapport à ce qui est écrit dans le document publié le 4 décembre, ce premier point n’est pas vraiment un scoop, juste une confirmation. Il en va autrement des deux autres points, qui ajoutent des éléments diplomatiques clefs.

Au niveau mondial, nous avons l’idée de dépasser à la fois le « G7 », qui remonte aux années 1970 et, élargi ou non à la Russie et à d’autres pays, socle du « G20 », reste par son origine et son noyau une construction euro-atlantique (plus le Japon), et les BRICS, en formant un nouveau machin qui s’appellerait le Core 5, ou « Noyau des 5 », les 5 étant : États-Unis, Russie, Chine, Inde, Japon. Il serait même précisé que la première mission du Core 5 serait de consolider le statu quo contre les peuples au Proche et Moyen-Orient en recentrant la région sur un axe secondaire (secondaire par rapport aux hégémons du Core 5, et donc également découplé de l’Iran) entre Israël et l’Arabie saoudite.

On notera évidemment l’exclusion totale de quelque puissance européenne que ce soit, et bien entendu de l’UE en tant que telle, de ce dispositif mondial de gouvernance hégémonique multipolaire et impériale, le Japon étant rattrapé au passage pour équilibrer la Chine et pour le dissuader des tentations d’alliance de revers européenne contre la Chine, la Russie et la Corée du Nord.

Exclusion également du Brésil et du Mexique pourtant partisans de la multipolarité impérialiste mondiale : Washington ne tient pas à ce qu’ils y participent, « corollaire Trump de la doctrine Monroe » oblige !

L’ordre mondial des partenariats impériaux ainsi postulé suppose l’exclusion définitive de l’Europe et repose sur cette exclusion. Aussi le troisième point, sous la formule clownesque Make Europa Great Again, envisagerait explicitement d’éloigner, voire de faire rompre, quatre États qui combattraient l’immigration et défendraient  « la liberté d’expression » (sic), d’avec l’UE : l’Italie, l’Autriche, la Hongrie et la Pologne.

Orientation complétée par le soutien aux partis qui veulent restaurer les valeurs traditionnelles, contre l’islam, la gauche et le wokisme, autrement dit l’extrême droite, partout en Europe.

S’articulent là deux axes d’attaque : le dessin d’une contre-UE et l’appui au RN et à l’union des droites en France, à l’AfD allemande, etc. Tous ces éléments se retrouvent dans l’ensemble des discours de MM. Trump et surtout Musk (malgré leur fâcherie), Vance, Hegseth, dans l’année écoulée.

Pourquoi, au-delà de l’idéologie et des obsessions de ces personnages, les cercles dirigeants actuels de l’impérialisme nord-américain veulent-ils mettre l’extrême droite au pouvoir en Europe et démanteler l’UE ?

Il y a là deux objectifs, le premier relevant des besoins de l’impérialisme US affaibli, le second des besoins fondamentaux du capital au XXI° siècle.

Premièrement donc, expulser les impérialismes européens, définitivement, du club des grandes puissances mondiales qu’ils ont autrefois fondé ; le besoin étatsunien vital pourrait être qualifié ici de « concurrentiel ».

L’UE n’est ni un proto-État, ni une union réelle et profonde des États et des centres capitalistes européens, et c’est une construction, comme on dit souvent, technocratique, autrement dit non démocratique, effectuée par ces États. Cependant, elle recouvre des peuples dont les aspirations sont communes, et rencontre l’aspiration européenne des Ukrainiens et d’autres peuples « de l’Est » comme les Géorgiens. Exprimant de manière déformée la possible union des nations européennes et servant d’appareil diplomatique commun aux principales puissances européennes, elle est, à ce double titre, considérée comme à effacer par les néofascistes de Washington.

L’autre objectif, plus profond et que nous devons bien distinguer du premier, car nous n’avons aucune raison de défendre les impérialismes européens, est la destruction des acquis et conquêtes sociales, démocratiques, civilisationnels, culturels, de l’histoire et de la lutte des classes européennes, considérés, à juste titre, comme dangereux, incompatibles avec leurs prétendues valeurs traditionnelles, par les néofascistes de Washington – et de Moscou.

Leurs traditions sont des mythes, les valeurs démocratiques, sociales, laïques, et leur universalité postulée mais irréalisée, l’affirmation des droits et de leur contenu social, sont par contre d’authentiques traditions, c’est-à-dire des produits historiques, pour lesquels les peuples peuvent se battre.

Ce qu’ils font : la résistance ukrainienne porte cela, et les soulèvements démocratiques en Serbie et en Bulgarie, portant une vague de manifestations dans toute l’Europe centrale et balkanique, montrent clairement de quoi ont peur les Trump, les Musk, les Vance, les Hegseth – et les Poutine.

et vue par Poutine.

L’équation du pouvoir en Europe vue par Trump and co vise donc à porter au pouvoir l’extrême droite, car son arrivée au pouvoir correspondra, sous les slogans chauvins et racistes, à sceller la décadence, signée par le refus (impuissant, mais meurtrier) des migrations – celles du « Sud », mais aussi, de plus en plus, les réfugié.e.s d’Ukraine.

Or, cette équation, dont le « meilleur » promoteur à ce jour est J.D. Vance, est exactement la même du point de vue de Poutine. Dans la liste des « bons » États du document « fuité » du 9 décembre, nous avons la Hongrie d’Orban, dont les liens avec Poutine sont anciens, et l’Italie de Meloni, un cas intéressant, un pivot.

Giorgia Meloni est au pouvoir depuis octobre 2022. Cette héritière assumée du fascisme n’a pas à ce jour bouleversé les rapports sociaux et les relations de droit en Italie, même sur la « question migratoire ». En fait, diverses combinaisons gouvernementales associant extrême droite et droite extrême existaient de longue date en Italie. Meloni au pouvoir s’est pour ainsi dire alignée sur la Commission européenne, et s’est faite « pro-ukrainienne ». Mais depuis l’investiture de Trump II, elle s’est fait son principal relai européen, et, par ce biais, se rapproche à nouveau de Poutine.

La convergence « européenne » d’Orban et de Meloni fait ainsi écho à l’axe Trump/Poutine.

Ce dernier s’est lui-même coincé dans une logique militariste. Malgré Trump, malgré les « affaires de corruption » (qui éclatent parce que les libertés démocratiques et la volonté de la population le permettent), l’Ukraine résiste. L’affaire de Koupiansk est exemplaire : la Russie proclame la prise de la ville, quelques jours plus tard Zelensky va s’y faire photographier, le général russe « victorieux » a été liquidé…

L’impérialisme russe a sa propre logique, mais l’orientation générale de Washington visant à l’affaiblissement européen colle parfaitement avec elle. Il ne veut pas d’un simple cessez-le-feu, mais voudrait au moins, soutenu par Trump, tenir tout le Donbass, ce que la nation ukrainienne refuse et refusera. Il voudrait tenir tout le Donbass et à moyen terme anéantir toute l’Ukraine, vitrifier la Géorgie – c’est en cours -, et, engagé dans une logique de fuite en avant et de revendications impériales « existentielles », stimulées par la politique étatsunienne, il prépare notoirement l’attaque des pays baltes, qui pourrait opérer simultanément à l’attaque US contre le Venezuela, ou contre le Groenland et donc le Danemark.

L’attaque des pays baltes est possible, non pas malgré, mais à cause du fait que les armées russes sont enlisées en Ukraine. D’une part, ce serait une tentative de reprise de l’expansion et de sortie de l’enlisement. D’autre part, la militarisation de l’économie et de la société se sont très fortement aggravées et impliquent une telle dynamique agressive.

Une telle attaque « testerait » l’OTAN et l’UE : les États-Unis et les relais étatiques européens désignés dans le document « fuité » paralyseraient, ou serviraient d’alibi, à la paralysie de toute réaction effective. La Pologne, la Finlande et la Suède devraient, elles, réagir, et seraient la cible d’attaques « préventives ». Enfin, l’Atlantique, pour paralyser les flottes nucléaires française et britannique, aurait toutes les chances d’être une base d’attaque lui aussi. En somme, une guerre baltique serait bien une guerre européenne. Même si la Russie cherchait « seulement » à reconstituer la sphère de domination soviétique, la sujétion qu’implique une telle attaque, si elle est victorieuse et si ses conséquences sont pérennisées, seraient dévastatrices pour toute l’Europe centrale et orientale, et contraindrait l’impérialisme allemand à choisir entre sa neutralisation ou son intervention, alors même que la césure entre l’ancienne RDA et le reste de l’Allemagne, incarnée par l’AfD et attisée par Musk et par Vance, réapparaîtrait.

Bref, c’est tendanciellement l’ensemble des résultats des révolutions partielles des années 1989-1991 qui seraient menacés par une guerre russe, même « limitée » à la Baltique, et cela, en relation avec la politique de Washington. La résistance ukrainienne est le pivot qui bloque ce basculement possible, envers lequel les peuples serbe, bulgare, slovaque, hongrois… se mobilisent déjà comme par anticipation.

À l’aune de ces perspectives, les manifestations autonomes de l’UE sont faibles, et elles ne peuvent que l’être, reflétant l’incapacité et la non-volonté des impérialismes européens, bousculés, comprimés et menacés à faire face à une situation qui les dépasse. Le plan Réarm-Europe, qui ne vise pas à aider l’Ukraine et à battre Poutine mais à doper le secteur capitaliste des armements, ce qui n’est pas la même chose, la formation d’une « coalition des volontaires » et les nombreuses palinodies autour de l’expropriation des avoirs russes gelés, rejetée par le gouvernement réactionnaire belge (avec le soutien du PTB, ce nouveau défenseur du capital privé s’il est russe !!!), illustrent ces contradictions.

C’est dans le cas de Macron qu’elles sont les plus vives. Macron est à la fois celui qui alerte sur une possible guerre russe en Europe, et le premier qui accourt s’il peut jouer le rôle de l’impérialisme français en sandalettes « dialoguant » avec Poutine. Sa propre base en France est plus fragile que jamais. Voulant se présenter comme le dernier barrage à l’extrême droite, il lui a ouvert la route, tentant de refaire de la V° République française un régime autoritaire et illibéral à la Orban – il a échoué, mais il a dopé le RN plus que quiconque ne l’a jamais fait.

La méthode contre Trump et Poutine passera bien par les armes, par une politique militaire démocratique, mais elle ne sera jamais celle des impérialismes européens, mais elle sera celle des peuples européens, des poussées sociales en France ou en Belgique aux manifestations de masse de la jeunesse et de la nation serbe.

VP, le 22/12/2025.

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22.12.2025 à 11:28

1973-2025 – Les leçons du Chili.

aplutsoc

Après le coup d’État de l’armée chilienne et de la CIA du 11 septembre 1973, la question des leçons du Chili fut stratégique. La leçon évidente était que la politique d’Unité populaire ou de Front populaire avait laissé, comme en Espagne en 1936, le corps des officiers comploter à ciel ouvert, créant ainsi les conditions […]
Texte intégral (845 mots)

Après le coup d’État de l’armée chilienne et de la CIA du 11 septembre 1973, la question des leçons du Chili fut stratégique. La leçon évidente était que la politique d’Unité populaire ou de Front populaire avait laissé, comme en Espagne en 1936, le corps des officiers comploter à ciel ouvert, créant ainsi les conditions de la défaite. Mais l’alternative, déjà, n’aurait pas été un second Cuba – je parle du Cuba gelé par sa stalinisation, pas de l’authentique révolution cubaine de 1959 – mais l’approfondissement de la démocratie, c’est-à-dire la destruction de l’appareil d’État capitaliste par les larges masses auto-organisées – elles l’étaient de plus en plus – et armées – elles ne l’étaient pas. Quelle qu’ait été l’histoire politique des auteurs, le petit livre Front populaires d’hier et d’aujourd’hui, de Charles Berg et Stéphane Just, ne manque pas d’acuité et d’actualité. Au nom de la démocratie, la leçon inverse fut tirée par le PC italien qui théorisa alors ce qu’il faisait déjà depuis longtemps, à savoir le « compromis historique », dont l’aboutissement sera la liquidation des partis issus du mouvement ouvrier en Italie.

Aujourd’hui, les leçons du Chili sont non moins importantes. Attention, la défaite n’a pas l’ampleur de celle de septembre 1973, mais comme alors, c’est la lutte des classes sur tout le continent qui se joue en partie ici : les Trump, Bolsonaro, Milei et Kast veulent généraliser leur domination, pour l’instant non assurée et en péril aux États-Unis même.

La leçon du Chili en 2025 rejoint au fond celle de 1973 : on ne peut aller de l’avant si l’on refuse de détruire l’appareil d’État capitaliste, mais la condition de cette destruction réside dans la compréhension qu’il s’agit de démocratie et pas de « radicalité ». Il ne s’agit ni de refaire Cuba, ni encore moins le Venezuela !

Leçon plus précise encore : toute arrivée au pouvoir, par la voie des urnes soutenue par l’explosion de la rue comme ce fut ici le cas [2018-2019], de forces de « gauche », « radicales » et « insoumises » aussi bien que « réformistes » et « social-libérales », n’aboutira pas à la victoire, mais à la défaite, si les larges masses mobilisées n’entreprennent pas la destruction démocratique de l’appareil d’État capitaliste. Et aucun déballage verbal gauchiste n’y changera rien. De l’extrême gauche au centre gauche, la défaite est au bout du chemin (y compris sous la forme Maduro, où c’est « la gauche au pouvoir » qui constitue la dictature capitaliste), même si elle est toujours provisoire étant donné la formidable résilience des larges masses.

Il faut donc aider le mouvement réel à faire ce qu’il tend à faire, mais, à ce jour, n’a réalisé que très rarement. Le Hirak algérien a rencontré ce mur, aucune force politique organisée ne cherchant à l’aider à le renverser : organiser lui-même, en prenant la place de l’appareil d’État et en engageant donc sa destruction, l’élection d’une assemblée constituante. Récemment encore, au Népal comme à Madagascar, les révolutions « GenZ » ont montré qu’elles sont capables de renverser le pouvoir en place, mais pas encore d’organiser par elles-mêmes un autre pouvoir et un autre État.

D’où l’importance, bien entendu, du facteur subjectif organisé : non pas les très nombreux embryons autoproclamés de partis révolutionnaires qui sont autant d’obstacles, mais l’action commune et le libre débat impulsé par des centres politiques et des réseaux permettant d’aller vers la représentation politique directe de la majorité exploitée et opprimée.

D’où l’importance, sur cette voie, des évolutions politiques en cours, dans le feu de la bataille démocratique de masse, aux États-Unis, de New York à Seattle : les formes concrètes du « parti ouvrier » ou du « troisième parti » se développent dans les cadres du Parti démocrate, l’un des deux grands partis capitalistes, et en les faisant sauter : c’est le mouvement réel, n’en déplaise à l’agressivité sectaire.

Et la France est précisément un État clef, impérialiste quoique déclassé, où la question du remplacement de l’appareil d’État de la V° République par une assemblée constituante imposée par l’auto-organisation, constitue le seul débouché démocratique possible de la longue crise de régime actuelle. C’est à résoudre cette équation qu’Aplutsoc s’attache et appelle.

VP, le 22/12/2025.

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21.12.2025 à 18:22

Il n’y aura pas de trêve des confiseurs. Laurent Degousée.

aplutsoc2

Sous la bûche, les braises de la colère sociale rougeoient en attendant un retour de flamme l’an prochain ? Le mouvement réel ne va manifestement pas s’éteindre avec les fêtes de fin d’année alors que les efforts de la classe politique sont tournés eux vers les scrutins à venir. Le budget de la Sécurité Sociale […]
Texte intégral (595 mots)

Sous la bûche, les braises de la colère sociale rougeoient en attendant un retour de flamme l’an prochain ? Le mouvement réel ne va manifestement pas s’éteindre avec les fêtes de fin d’année alors que les efforts de la classe politique sont tournés eux vers les scrutins à venir.

Le budget de la Sécurité Sociale a été adopté, délesté de ses aspects les plus négatifs, et il en sera de même pour celui de l’Etat, par l’intermédiaire d’une loi spéciale, comme il y a un consensus de fait entre les partis pour assurer la stabilité jusqu’aux municipales.

Ce scrutin va hâter la recomposition politique, qui atteindra sa pleine expression en 2027 :

– à droite avec l’union en question, qui peut pâtir de l’approche divergente entre Le Pen et Bardella sur ce point ;

– à gauche avec la machine de guerre électorale qu’est La France Insoumise, qui va aimanter les autres forces hors Parti Socialiste et joue le rapport de force au premier tour pour mieux négocier au second ;

– au centre enfin, qui a son nouveau champion en la personne de Sébastien Lecornu d’autant plus si Edouard Phillipe est définitivement démonétisé par la perte l’an prochain de sa mairie du Havre.

En attendant, les licenciements continuent (un exemple, moins médiatique que ceux de Brandt, Teisseire ou Erasteel, à retrouver ici) tout comme les grèves sur les conditions de travail, avec celle emblématique des agent-es du Musée du Louvre qui aura duré plusieurs jours et contraint leur Ministère de tutelle à lâcher du lest, et sur les salaires dont à la Fnac, l’entreprise du commerce la plus organisée syndicalement.

On peut ajouter à cette liste la mobilisation des AESH pour la revalorisation de leur statut par l’Education Nationale, celle nationale de trois jours du travail social ainsi que la Journée sans nous des travailleurs/euses sans-papiers, dont la manifestation parisienne du 18 décembre dernier a fait le plein en dépit de la nuit tombée.

Egalement la lutte des agriculteurs, qui dépasse les clivages syndicaux et passera les fêtes après avoir contraint le gouvernement et l’Union Européenne à manœuvrer en crabe tant au sujet de la crise sanitaire que du Mercosur : une telle agitation lors des fêtes est tout sauf négligeable et montre, au contraire, toute l’instabilité de la situation.

21/12/2025.

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21.12.2025 à 18:07

La crise planétaire de l’impérialisme nord-américain et ses conséquences (1° partie), par Vincent Présumey.

aplutsoc2

Aggravation de la crise aux Etats-Unis. Deux documents récents donnent le cadre global de la politique étatsunienne sous Trump II : le texte de la Maison blanche sur la stratégie de sécurité nationale sorti fin novembre et son « explication de texte » par Pete Hegseth. La ligne générale se résume comme suit. Premièrement, renonciation à l’hégémonie mondiale […]
Texte intégral (3292 mots)

Aggravation de la crise aux Etats-Unis.

Deux documents récents donnent le cadre global de la politique étatsunienne sous Trump II : le texte de la Maison blanche sur la stratégie de sécurité nationale sorti fin novembre et son « explication de texte » par Pete Hegseth.

La ligne générale se résume comme suit.

Premièrement, renonciation à l’hégémonie mondiale et à l’unilatéralisme, mais rôle revendiqué pour les Etats-Unis de premier violon parmi les grands hégémons (d’où l’enjeu existentiel de l’alliance russe pour équilibrer la Chine), et de plate-forme maintenue des flux mondiaux de capitaux et logistiques.

Deuxièmement, revendication de domination absolue des Amériques, de Cuba et du Venezuela au Canada et au Groenland : c’est le « corollaire Trump de la doctrine Monroe », autrement dit le gros bâton, étendu à l’Amérique du Nord, et impliquant que les autres impérialismes, russe, chinois ou européens, laissent tomber ce continent de gré ou de force.

Troisièmement, « porte ouverte » imposée en Asie-Pacifique, sorte de containment de la Chine pour lequel Inde, Europe, Japon, Australie, et même Russie, sont conviés comme auxiliaires. La porte ouverte prédatrice est également préconisée pour l’Afrique. Le Proche-Orient est désigné – ce n’est pas la première fois, Obama déjà …- comme prenant trop de place à ce jour dans la politique US.

Enfin, et c’est central : Regime change en Europe, vers l’extrême droite, et en accord avec Poutine. Ceci concerne directement la France, entre autres.

C’est la guerre à l’Europe au moyen de l’extrême droite. Sa finalité est double : reléguer définitivement les impérialismes européens (allemand, britannique, français) au second voire troisième ou dernier rang, mais aussi, mais surtout, casser les classes ouvrières et les peuples européens, leurs conquêtes démocratiques, sociales, culturelles, y compris les libertés conquises lors des révolutions de 1989-1991 en Europe centrale et orientale.

La politique intérieure de Trump II correspond à cette nouvelle forme de politique impérialiste mondiale.

Le principal point d’intersection entre politique mondiale et politique intérieure est l’appel à supprimer l’immigration, avec la reprise concernant l’Europe du mythe du « grand remplacement ». A travers les attaques violentes de ICE (Immigration and Customs Enforcement, police de l’immigration et des frontières, qui a recruté largement dans les couches fascisantes depuis l’avènement de Trump II) contre les migrants, ce sont toute la classe ouvrière des Etats-Unis et tous les droits démocratiques qui sont visés, et les couches nationales ciblées, amérindiennes, métisses et latinos, sont les mêmes sur le sol étatsunien et dans les actes de piraterie militaire dans les Caraïbes.

L’élimination des « freins et contrepoids » qui sont au fondement de la constitution étatsunienne, coup d’Etat rampant, a largement commencé et nous en avons documenté les étapes dans Aplutsoc : longues vacances du Congrès, non consultation de celui-ci lors de la « guerre de 12 jours » contre l’Iran en juin dernier, décision de la Cour suprême le 27 juin faisant que lorsqu’un tribunal conclut que le pouvoir exécutif a outrepassé ses pouvoirs il ne peut pas pour autant sanctionner ledit pouvoir, et interventions d’ICE, de la garde nationale, voire de l’armée, à Los Angeles, Chicago, Portland, y compris des tentatives à New York …

Cependant, le coup d’Etat rampant est en train de se gripper. La raison fondamentale en est la résistance démocratique de masse et le fait que le caractère majoritaire de celle-ci est frontal, massif, incontournable, se vérifiant à la fois dans les manifestations de rue et dans les scrutins locaux, mais de portée nationale, comme à New York et Seattle le 4 novembre dernier. Un autre facteur clef, à l’extérieur des Etats-Unis, est le fait que l’Ukraine ne plie pas devant la Russie.

Le Congrès, malgré ses vacances fréquentes imposées par son speaker Mike Johnson, a finalement voté deux lois battant Trump en brèche, malgré la peur des élus républicains. L’une a fait peu de bruit mais elle a son importance : c’est une loi bipartisane rétablissant les droits syndicaux des fonctionnaires fédéraux mis à mal par le commando DOGE mené par Elon Musk en début de mandat. Elle résulte du lobbying de l’AFL-CIO dont les sommets sont par ailleurs inactifs.

L’autre a au contraire fait beaucoup de bruit : c’est l’obligation faite à Pam Bondi, procureure générale de Trump, de publier les Epstein files, ce qu’elle a fait, contrainte et forcée, avec retard, et avec des censures et caviardages massifs, invérifiables et probablement illégaux pour beaucoup d’entre eux, le 19 décembre à minuit (heure américaine).

Comme on pouvait s’y attendre les photos, vidéos et écrits les plus « compromettants » pour Trump, dont nul ne doute de leur existence, ont été censurés, mais même ainsi sa présence dans le monde réservé d’Epstein est largement attestée. Par le mensonge ostensible, il se grille peu à peu.

Nullement par hasard, le 19 décembre fut aussi la date du rassemblement annuel de Turning Point USA à Phoenix, le mouvement MAGA de jeunesse, où Trump n’était justement pas invité (son fils l’était), et où l’élu républicain Ben Shapiro a attaqué Tucker Carlson pour avoir invité le nazi explicite Nick Fuentes dans son émission.

A l’applaudimètre, Tucker Carlson et Steve Bannon ont ensuite largement battu Shapiro, montrant qui a pris la main dans la base MAGA, à savoir ceux dont Marjorie Taylor Greene, violente égérie du mouvement qui se dit aujourd’hui menacée de mort par Trump, dit tout haut ce qu’ils pensent : non aux interventions extérieures, assez du soutien à Israël – et antisémitisme avéré et débridé -, et distanciation « morale » envers Trump à cause des Epstein files.

Cherchant à dominer, en surplomb, cet affrontement, J.D. Vance, allié à Erica Kirk (veuve de Charlie Kirk), laisse s’exprimer le courant qui va vers l’abandon de Trump, courant que la Heritage Foundation n’a pas non plus condamné.

Erika Kirk a appelé à la candidature de Vance pour 2028, ce qui veut dire qu’ils se projettent dans l’après-Trump, qui pourrait donc s’accélérer.

Ils entérinent à l’avance le probable échec du coup d’Etat rampant de Trump II, signifiant qu’il ne sera pas candidat à un troisième mandat ce qui aurait voulu dire réviser ou piétiner la constitution, et aussi qu’il est en train d’échouer à truquer ou militariser les prochaines élections Mid-terms.

Les rumeurs collatérales sont significatives. Charlie Kirk a été assassiné par un jeune désaxé lié au mouvement nazi de Nick Fuentes. La campagne de terreur accusant la « gauche radicale » de l’avoir tué, en mode « incendie du Reichstag », que Trump avait envisagée, a été désamorcée dans l’œuf. La rumeur qui circule à présent est que l’assassinat aurait été un coup monté par … les Juifs ! Autre rumeur, celle du remariage d’Erika Kirk avec J.D. Vance !

Si Trump a encore le pouvoir de censurer les Epstein files, son pouvoir intérieur est clairement en train de s’effriter rapidement. Et soulignons bien ce fait central : le renversement de Trump est maintenant une question féministe centrale. Quelle que soit la suite, c’est là un fait décisif dans l’histoire des luttes sociales à l’échelle mondiale.

Dans ces conditions, les interrogations portent sur une intervention extérieure, une guerre, pour le remettre en selle. Mais il est probable qu’au stade où en sont les choses une guerre ne résoudrait pas mais aggraverait immédiatement la crise intérieure.

Pression sur l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale et les Antilles.

La guerre est de toute évidence en préparation contre le Venezuela, mais, définie de manière confuse comme guerre au narcotrafic, elle serait susceptible d’extension et de dégâts collatéraux dans toutes les Antilles et en Colombie.

La table-ronde tenue sur Radio France par Thomas Posado et notre camarade Fabrice Andreani est fort éclairante sur les circonstances réelles de cette grande provocation. Il en ressort deux points qu’il est indispensable de développer.

D’une part, la population vénézuélienne rejette très majoritairement Maduro, sa dictature, son régime, sa corruption, qui est devenue un repoussoir absolu à l’échelle de tout le continent, mais elle n’est absolument pas disposée à accepter une ingérence impérialiste et ne suivra pas l’alignement sur Trump de la « prix Nobel de la paix » Maria Corina Machado. Ce qui se passerait en cas d’intervention est donc totalement imprévisible. Le régime et les campistes dans le monde se rengorgent en affirmant que des centaines de milliers de volontaires affluent. C’est vrai mais, comme le signale F. Andreani, ce sont … des personnes âgées, cadres du régime. Nous pouvons dire que la tentative de confisquer la résistance anti-impérialiste par Maduro ne ferait qu’affaiblir celle-ci et que le fait de repousser une éventuelle invasion appellerait son renversement.

D’autre part, la menace contre le Venezuela ne se situe pas dans le cadre « campiste » ancien d’un affrontement entre un pays qui défierait les Etats-Unis aux côtés de la Russie, de la Chine et de Cuba, avec ceux-ci. En fait, même l’embargo pétrolier a des gros trous, la firme Chevron pouvant trafiquer au Venezuela. Mais surtout, ce que Trump voudrait « dealer », c’est le partage du monde avec, en l’occurrence, surtout Poutine (la Chine étant présente, plus discrètement mais, par ses capitaux, plus massivement) : je prends le Venezuela – et ensuite Cuba – et je fais tout pour te livrer l’Ukraine, et si tu attaques dans la Baltique, je te laisserai faire.

C’est pourquoi le mouvement démocratique aux Etats-Unis et la résistance des peuples d’Amérique du Sud concourent à éviter une possible attaque russe sur la Baltique.

Mais le fait principal de ces derniers jours en Amérique du Sud est hélas la victoire du pinochetiste et fils de nazi José Antonio Kast aux présidentielles chiliennes, le 14 décembre dernier, par 58,16% contre 41,84% à la communiste Jeannette Jara, candidate d’une coalition allant de la démocratie chrétienne à la gauche radicale, avec 85% de participation – le vote étant obligatoire.

Ce résultat est tout sauf une surprise. L’ascension de Kast s’est faite par étapes, ayant été battu par G. Boric en 2021 avec 44,1% des voix. La présidence Boric, portant au pouvoir une sorte de nouveau front populaire, a engendré une double déception, sociale et démocratique, et la poussée d’extrême droite ou « populiste de droite » au premier tour du scrutin de 2025 faisait en fait craindre un second tour pire encore, l’ensemble des candidats extrémistes et/ou populistes totalisant 73,15% des suffrages face aux 26,85% de J. Jara, qui a donc en fait remonté la pente, mais pas suffisamment, obtenant même un nombre de voix supérieur à celui de Boric en 2021.

La déception sociale est évidemment liée à l’absence de toute rupture avec le capitalisme et les marchés, mais la déception démocratique qui se combine avec elle est un facteur décisif : ce sont des mobilisations de masse, sociales, démocratiques et féministes, qui avaient imposé, en octobre 2020, le vote pour un processus constituant et donc une nouvelle constitution, par une majorité écrasante de près de 79% sur 51% de votants, Katz représentant alors les battus.

C’est à la suite de cette première victoire démocratique qu’une première assemblée constituante fut élue en mai 2021, mais elle ne sera jamais une assemblée souveraine. L’appareil d’Etat et la constitution de Pinochet datant de 1981 sont restés en place, et son projet de constitution, qui était fort progressiste concernant les droits des femmes et des indiens Mapuches, laissait le pouvoir d’Etat en place, avec une double chambre et un pouvoir présidentiel fort doté y compris de pouvoirs législatifs. Cette « abyssale défaite » a été, de fait, organisée par Boric et la coalition qui le soutenait. Elle enclenche les défaites qui l’ont suivie.

Dans les bilans politiques diffusés parmi les milieux militants, nous avons une version « insoumise » et une version « extrême gauche » de la même analyse sommaire, qui nous disent que les dirigeants du gouvernement Boric ressemblaient trop à des socialistes français, les premiers expliquant ainsi l’échec de la « révolution citoyenne » par les urnes que prétend mener à bien J.L. Mélenchon s’il devient président de la V° République, les seconds que les formes d’auto-organisation populaire ont été mises sous le boisseau au motif qu’il y avait une assemblée constituante.

Alexis Corbière touche au fond du problème lorsqu’il écrit, dans le communiqué de L’APRES :

« Parmi les faiblesses du gouvernement Boric, qui n’avait pas de majorité à l’assemblée nationale, il y eut en premier lieu l’échec cinglant de la révision constitutionnelle : la constitution actuelle est encore celle de Pinochet, la nouvelle ayant été rejetée par référendum après le travail novateur d’une Assemblée constituante. Cela a pesé lourd.

Les commentaires sarcastiques, qu’on a pu entendre en France, aussi ignorants que pédants sur l’échec d’une prétendue « gauche molle », sont donc simplistes. »

Oui, la logique de la défaite découle de l’échec du premier référendum constituant. Mais comment expliquer celle-ci ?

Nous pensons que l’explication « gauchiste » ou « insoumise » selon laquelle la démocratie a endigué le soulèvement populaire (version gauchiste) ou selon laquelle Boric, d’abord encensé comme un émule de Mélenchon, serait devenu un « social-démocrate » (version insoumise), ne tiennent pas la route.

Tout au contraire en effet, l’échec de Boric, découlant du refus de faire de la constituante une vraie constituante souveraine, ne tient pas à un trop plein de démocratie ou à de la mollesse « social-démocrate », mais au manque de radicalité démocratique sur la question du pouvoir d’Etat : une constituante souveraine doit être une assemblée qui gouverne, qui n’est pas cantonnée à l’écriture d’un texte constitutionnel, et dont l’élection n’est pas encadrée par l’Etat en place, ses officiers tortionnaires et ses préfets, mais est organisée par le peuple, ses comités, de grève, de quartiers, ses AG et ses communautés.

Là est la question : cette constituante qui a échoué, entrainant le cycle des défaites, était une constituante octroyée et pas souveraine – exactement comme prévu dans le programme de LFI depuis sa fondation !

Nous touchons là à la question cardinale de toute révolution contemporaine, rencontrée en Algérie lors du Hirak : la question du pouvoir et la question de la démocratie sont une seule et même question sans quoi on ne comprend plus rien ni à l’une ni à l’autre.

De plus, quand on explique aux Chiliens qu’il faut à gauche plus de « radicalité », ce qu’ils entendent, et souvent ce que veulent dire ces donneurs de leçons, est qu’il faut faire comme au Venezuela de Maduro. Or, celui-ci est le repoussoir absolu, l’anti-modèle, la dictature capitaliste corrompue, le pays que fuient des millions et des millions de réfugiés qui, dans les Etats-Unis de Trump comme dans le cône Sud de l’Amérique du Sud, sont désignés par toute la droite comme vecteurs des narcotrafics, des maladies et de l’insécurité.

Il ne faut pas plus de « radicalité » en soi, il faut plus de démocratie à savoir l’auto-organisation et la souveraineté populaire dans les faits et non dans les mots, c’est-à-dire la destruction de l’appareil d’Etat capitaliste, son corps des officiers et sa bureaucratie. Nous avons affaire à la même question en France avec l’appareil d’Etat de la V° République, du président aux préfets et recteurs : une constituante souveraine en France ne sera pas l’antidote « démocratique » à l’auto-organisation populaire, elle ne pourra exister qu’en allant de pair avec elle !

Intervenant après l’évitement de la défaite par Milei en Argentine, il est évident que cette défaite de notre camp social renforce la réaction sur tout le continent, et appelle le vote de couches atomisées composées notamment de jeunes hommes en colère susceptibles d’être lancés dans la fuite en avant barbare du masculinisme et du néofascisme. L’Amérique du Sud ne comporte plus que deux gouvernements suffisamment forts pour être réellement indépendants des Etats-Unis, en dehors des régimes corrompus du Venezuela et du Nicaragua et de celui, vermoulu, de Cuba : le Brésil de Lula et le Mexique de Claudia Sheinbaum, tandis que le mandat de G. Petro, affaibli, touche à sa fin en Colombie. Il nous faudra revenir sur leur situation et leurs orientations.

Suite de cette chronique demain.

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19.12.2025 à 12:59

Dans le canton de Vaud, le plus grand mouvement social des trente dernières années. Antoine Chollet.

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Des poussées grévistes massives, de forte portée politique, ont eu lieu ces dernières semaines en Belgique et dans le canton suisse de Vaud (Lausanne). Il est important que les militants ouvriers et syndicalistes en France se saisissent de ces informations, auxquelles les organisations françaises ne sont souvent guère ouvertes, malgré la proximité géographique et, largement, […]
Texte intégral (2012 mots)

Des poussées grévistes massives, de forte portée politique, ont eu lieu ces dernières semaines en Belgique et dans le canton suisse de Vaud (Lausanne). Il est important que les militants ouvriers et syndicalistes en France se saisissent de ces informations, auxquelles les organisations françaises ne sont souvent guère ouvertes, malgré la proximité géographique et, largement, linguistique, alors que les camarades, surtout en Wallonie, à Bruxelles et en Suisse romande, suivent, eux, la lutte des classes en France ! Dans ce cadre, nous publions un article du camarade Antoine Chollet, de Lausanne et animateur de Pages de Gauche.

Antoine Chollet, enseignant-chercheur à l’Université de Lausanne, militant du Syndicat des services publics (SSP)

Le canton de Vaud, en Suisse occidentale, vient de vivre l’une de ses plus grandes grèves depuis des décennies, par sa longueur et son étendue. Elle a mobilisé les secteurs public et parapublic (établissements partiellement financés par l’État, nombreux dans le secteur de la santé par exemple) contre un budget d’austérité présenté par le gouvernement au début de l’automne. Les salariés mobilisés ont fait 12 jours de grève pour les plus mobilisés, les derniers jours se sont déroulés lors d’une grève reconductible qui a fini par faire céder le Conseil d’État (le gouvernement), lequel a fini par retirer ses deux décisions les plus contestées. L’une prévoyait une baisse de 0,7% de tous les salaires (à l’exception des plus bas) et l’autre s’attaquait aux enseignants en fin de carrière.

Cette situation inédite est la combinaison de plusieurs éléments, certains profonds et d’autres plus conjoncturels, voire anecdotiques. Commençons par les derniers. Lors des précédentes élections cantonales en 2022, le gouvernement, qui est composé de sept membres, a basculé à droite. L’une des membres socialistes du précédent gouvernement, en charge de l’éducation et devenue très impopulaire auprès de son électorat, n’a pas été réélue, laissant la place à une candidate inconnue d’un parti ne disposant d’aucun siège au parlement. La droite désormais majoritaire l’a placée à la tête d’un département stratégique, celui des finances. Des relations difficiles avec son administration, doublée d’une probable incompétence et d’un manque total d’expérience politique, l’ont conduit à perdre d’une part la confiance de ses six autres collègues du gouvernement et à être réduite de facto à un statut de ministre sans portefeuille, et à se retrouver avec une commission d’enquête parlementaire contre elle pour abus d’autorité, commission qui délivrera ses conclusions en janvier 2026 et pourrait conduire à des poursuites pénales. Par ailleurs, l’une des deux membres socialistes du gouvernement a annoncé cet automne sa démission pour raison de santé, une élection complémentaire étant fixée pour le mois de mars 2026. Contrairement à l’habitude, le Conseil d’État vaudois connaît des temps troublés et est donc entré dans ce débat budgétaire considérablement affaibli.

Par ailleurs, la mauvaise gestion du département des finances a conduit à des comptes 2024 légèrement déficitaires, ce qui a contraint le gouvernement à activer des mesures extraordinaires en cours d’année et à réviser son budget 2026 afin de rétablir l’équilibre des finances. Ces décisions n’ont aucune justification économique ou financière. L’économie du canton de Vaud est en excellente forme, l’État n’a presque pas de dette et même plusieurs milliards de francs [suisses] de réserves (dans lesquelles il pourrait donc puiser pour éponger un déficit passager), et une fiscalité très faible pour les entreprises et les grandes fortunes (encore affaiblie pendant des années par une application illégale de règles fiscales en faveur des plus riches). Cependant, le canton de Vaud, comme d’autres en Suisse, a dans sa constitution un mécanisme automatique en cas de déséquilibre des comptes, qui s’impose au gouvernement. Cette mesure privant les parlements de leurs compétences budgétaires a comme autre conséquence logique que seule une politique « cyclique » est possible. Lorsque l’économie et les rentrées fiscales se contractent, l’État doit aggraver la situation au lieu de l’atténuer (en gros, la Suisse et ses cantons fonctionnent comme les États-Unis avant la crise de 1929 et n’échappent aux conséquences de cette politique désastreuse qu’en profitant de leur statut de parasites dans l’économie mondiale).

Il faut ajouter à cela que dès le début de la législature, en rupture avec la politique cantonale menée depuis le début du siècle, la droite a cru qu’elle pouvait s’appuyer sur sa double majorité parlementaire et gouvernementale pour décider seule, et de manière il faut le dire très agressive et revancharde. Cela l’a progressivement isolée dans une bulle la rendant imperméable aux informations du terrain, et elle a été aidée en cela par une presse et des médias dans l’ensemble très serviles à son égard.

Fin septembre, le gouvernement a donc présenté son projet de budget, sans aucune consultation des syndicats alors même qu’il comportait des réductions de salaires. Cette tentative de passage en force a évidemment provoqué l’indignation des salariés et de leurs organisations syndicales, qui ont rapidement mis en place des mesures de lutte. L’objectif était dans un premier temps de demander au Conseil d’État l’ouverture de négociations. Face à son entêtement, des mesures plus fortes ont dû être décidées, d’abord avec une première journée de grève le 18 novembre, puis deux la semaine d’après (25 et 26 novembre), avant de passer à une grève reconductible tout à fait inédite dans la fonction publique vaudoise à partir du 8 décembre et qui s’est prolongée, pour les derniers lieux de travail, jusqu’au 17 décembre, jour du vote du budget au parlement. Ces journées de grève ont été ponctuées de quatre très grosses manifestations dans les rues de Lausanne et d’actions inédites : des rassemblements devant le siège du parlement, qui avait commencé son examen du budget le 2 décembre. Le premier rassemblement a donné lieu à quelques bousculades de députés de droite étant venus provoquer les manifestants, événements qui ont évidemment été montés en épingle par les partis de droite et la presse alors que la police, pourtant présente sur place, n’a signalé aucune violence et n’a reçu aucune plainte.

À la 25e heure ou presque, le Conseil d’État a fini par céder, sous la pression combinée de la rue, du nombre de grévistes, des écoles fermées depuis une semaine et de la minorité de gauche en son sein qui l’a apparemment menacé d’une « rupture de collégialité » (une communication publique d’un désaccord au sein d’un gouvernement sinon tenu à la collégialité de tous ses membres, événement extrêmement rare dans le canton de Vaud et qui ne s’est plus produit depuis les années 1990) s’il n’abandonnait pas les mesures les plus contestées. Vendredi 15 décembre en fin d’après-midi, le gouvernement a donc publié un communiqué indiquant qu’il retirait ses deux décrets et espérait le retour à un débat apaisé pour la seconde lecture du budget au parlement. Faisant preuve une dernière fois d’une maladresse politique consommée, il a assorti son message de menaces contre les salariés qui poursuivraient la grève et qui s’exposeraient à des représailles, puisque le gouvernement considérait désormais la grève comme illicite. Son recul a évidemment été reçu froidement par les partis de droite, ulcérés de voir que « leur » Conseil d’État aurait « cédé à la rue ».

Le budget a finalement été adopté le 17 décembre, après un débat plus électrique qu’à l’accoutumée, par une curieuse coalition de circonstance entre le Parti libéral-radical (PLR, droite économique), l’UDC (extrême droite, qui avait pourtant assuré qu’elle ne voterait pas un budget révisé sous la « contrainte » des manifestants), le Parti vert-libéral (droite à prétention écologiste, évidemment usurpée) et, plus étrangement, une partie des Verts, qui prouvent une nouvelle fois que leur boussole politique est parfois défaillante.

Les raisons de la mobilisation

Ces incohérences et hésitations dans la gestion gouvernementale ont alimenté le mouvement, mais ne l’expliquent évidemment pas. On peut avancer deux explications convergentes.

Les politiques de baisses fiscales mises en place depuis des années, avec l’assentiment, voire la participation active du parti socialiste, a réduit le financement des services publics, confrontés à des retards d’investissement et à des sous-effectifs parfois inquiétants, en particulier dans le secteur de la santé. Le développement d’une gestion managériale prétendument inspirée du secteur privé a évidemment, comme partout, aggravé les problèmes en créant de multiples dysfonctionnements.

Par ailleurs, les syndicats de la fonction publique ont depuis maintenant plusieurs années conduit de multiples campagnes sur différents sujets, gagnant des membres et se rendant à la fois plus visibles et plus crédibles auprès de la population et des salariés. Les secteurs les plus mobilisés durant ce mouvement – les lycées, les hautes écoles, les écoles primaires et secondaires – sont aussi ceux dans lesquels un travail syndical de longue haleine a été réalisé ces dernières années.

Ce travail de long terme est venu rencontrer des exaspérations accumulées dans un grand nombre de secteurs, attisées par des maladresses à répétition du gouvernement (dont on a, par exemple, appris qu’il dépensait des sommes indécentes en transport automobile ), qui ont conduit à cette mobilisation d’une ampleur inouïe.

La fin de la législature, jusqu’aux élections de 2027, va maintenant prendre un tour complètement différent. Tout d’abord, le Conseil d’État ressort considérablement affaibli de cette séquence, tout comme les partis de droite qui ont fait mine un temps de s’en désolidariser. Ensuite, les syndicats sortent renforcés de cette lutte, ayant gagné des centaines (et peut-être même des milliers) de membres, ce qui est gigantesque en comparaison d’autres mouvements de lutte ces dernières années.

Enfin, comme toujours, les semaines d’enthousiasme qu’ont vécues des milliers de personnes à travers tout le canton vont laisser une marque profonde. Sur de nombreux lieux de travail on a assisté à une véritable resocialisation des salariés, et aussi parfois des usagers des services publics. L’atomisation qui tue le collectif s’est soudain arrêtée et a laissé place à d’innombrables initiatives surgissant de partout. Chaque jour apportait son lot de nouvelles idées d’actions, dont la réalisation était immédiatement prise en charge par des collectifs formés sur le moment. Cette expérience doit être soigneusement préservée, car nous savons toutes et tous qu’elle resservira.

Informations sur le mouvement de l’automne 2025 (Syndicat des services publics) : https://vaud.ssp-vpod.ch/themes/pour-la-survie-des-services-publics-et-parapublics/

Pour un éclairage écrit pendant le mouvement (le 8 décembre) : https://pagesdegauche.ch/vaud-lirresponsabilite-gouvernementale/

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