12.05.2025 à 18:15
Contre la V° République : ni Chef ni Meute ! VP.
aplutsoc2
Texte intégral (2400 mots)
On parle beaucoup ces jours-ci du livre La meute, de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou – Flammarion, 22 euros, mais pas toujours disponible car manifestement un succès de librairie – sorti quelques jours après l’émission Envoyé Spécial sur le même sujet : LFI.
Les uns disent que les « révélations » qu’il contient les consternent. Bon, quand Fabien Roussel prend un air contrit pour dire qu’en somme, on dirait une secte, on peut sans doute parler d’hypocrisie …
Les autres, du côté de LFI, ou mieux encore de sa garde prétorienne et police politique interne, le POI, sont en mode « complot médiatique de ceux qui ont peur de nous, car nous sommes la vraie menace contre leur domination ». On peut sans doute parler là de fantasmes de gens cherchant à se rassurer …
Ce livre est une addition de faits et de témoignages établis d’une manière journalistique tout à fait professionnelle, et dont quiconque connait un peu l’objet dont il traite ne doutera pas un seul instant, d’autant (comme dans mon cas, mais je n’ai rien d’original à cet égard) qu’il savait déjà tout ou presque (1).
Le sujet est à vrai dire plus restreint que LFI. Si certains de ses membres, notamment sur les réseaux sociaux, se comportent en meutes, la meute dont il est ici question est plus restreinte que la masse militante : c’est une faide (suite féodale), où, comme on dit en langue allemande, une Gefolgschaft, à savoir la troupe ou la « truste », l’équipe de jeunes fidèles au Chef et l’escortant (« jeunes » en ce sens qu’ils sont tous et toutes plus jeunes que lui).
Ce livre nous présente plein d’anecdotes et de récits de vie concernant Jean-Luc Mélenchon et environ vingt à trente personnes formant ce premier cercle ou tournant autour, cette cour ou quelque nom qu’on lui donne, centrée sur lui. Même s’il y a ça et là des formulations heureuses (ex. : à la fin de l’avant-dernier chapitre, la mise en opposition abyssale entre le désir de « faire la révolution » et l’ambition d’être président de la V° République), il ne faut pas y chercher des explications historico-politiques ou l’analyse sociologique d’un tel phénomène pour laquelle je me permets de renvoyer à mes propres articles. Le tout reste très factuel tout en donnant une impression d’ensemble désastreuse, mais conforme à la réalité. L’intérêt est souvent psychologique, et il est réel.
Ledit phénomène est ancien. Dans les années 1990, j’ai participé à je ne sais combien d’« universités d’été », « rencontre-débats » et autres « assises » dont J.L. Mélenchon était l’un des acteurs principaux. J’ai pu noter tout de suite ses talents oratoires, et, peu après, leurs limites : les ficelles étaient toujours les mêmes. Mais elles faisaient vibrer un parterre d’admirateurs où se détachait une phalange d’élus, presqu’exclusivement masculine, qui le suivait, effectivement, en meute. Phénomène pas propre à Mélenchon mais qui était le plus prononcé, dans les milieux socialistes critiques, avec lui. Si l’on parvenait à passer par-dessus ce corps des officiers, chose pas toujours évidente car, déjà, la meute entendait garder pour elle le lien privilégié au Chef, on pouvait encore discuter avec lui à égalité, de façon normale, mais cela s’est fait de plus en plus difficile au fil du temps.
Un jour, au bar, entouré d’une dizaine d’admirateurs lui collant aux baskets, il m’avait toisé ostensiblement en s’écriant : « Je sais reconnaître un périscope ! ». Je dois dire que je n’ai compris cette histoire de périscope que quelques minutes plus tard : il venait de me désigner à sa faide comme un « sous-marin » ! Ce que je n’étais pas, mais comme j’intervenais, à tort ou à raison, en exprimant ce que je pensais au lieu de l’imiter, je devais constituer un danger.
Dans La Meute, on apprend d’ailleurs que lors de sa première rencontre avec Clémentine Autain, à la même époque, il lui avait dit qu’elle faisait de « l’entrisme » : une sorte de test pour casser un peu l’interlocuteur afin, ensuite, de mieux passer alliance et rechercher l’allégeance. Ce type de relations m’ayant toujours, non seulement répugné, mais surtout complément échappé, à l’instar par exemple des hiérarchies de l’Education nationale, j’ai d’autant plus résolument continué à vouloir être un « sous-marin » … de moi-même, comme nous devrions tous l’être !
La lecture de La Meute ne comporte qu’un seul membre de la truste féodale des années 1990, Jérome Guedj. Car l’autre caractéristique de ce type de groupement est le renouvellement de leurs membres, chaque tournant du Chef entrainant soit des départs, soit des exils, toujours sanctionnés par une rupture ostensible et volontairement blessante du côté du Chef : le Chef se définit justement comme Chef par ce pouvoir de blesser.
C’est ce qui permet, plus tard, d’écrire des livres, car les blessés, pieds écrasés et autres exilés veulent bien témoigner, parfois pudiquement, voire anonymement. L’une de leur motivation provient d’ailleurs de la schadenfreude qu’ils éprouvent à dénigrer, plaindre ou prédire la chute de ceux qui leur ont succédé. Ils observent que la recherche de la docilité conduit à la sélection privilégiée des imbéciles. Observation qu’il faut d’ailleurs amender : les Bompart et même les Panot ne sont pas des imbéciles, mais ils se réduisent eux-mêmes, dans leur servitude volontaire dépeinte par ce La Boétie dont le Chef a fait le nom de leur Institut, à l’état d’Imbéciles du Chef, qui définit bien leur statut très honorable et très précaire …
Le plus intéressant de ce livre est la dégradation qu’il donne à voir et à penser dans ce qu’il appelle la meute et que j’appellerai donc plutôt la cour, qui en interne est parfois désignée du surnom de l’Imperium. Non seulement Ruffin et Autain, qui ont toujours été à une certaine distance, mais Corbière, Garrido, Simonnet, qui n’ont jamais totalement renoncé, sans doute, à parler et donc à penser par eux-mêmes, n’en sont plus, cependant que deux vieux compagnons du Chef décédaient, François Delapierre (dont l’épouse, Charlotte Girard, sera excommuniée par le Chef) puis Bernard Pignerol, mais on note l’ascension de personnages douteux, et on se prend d’une certaine pitié pour le Chef vieillissant, qui tombe dans les rets d’une médiocrité arriviste, avide, vulgaire et réactionnaire aussi évidente que Sophia Chikirou : quelle honte !
Les dénonciateurs du livre auront beau jeu de dire que les chapitres tournant autour de celle-ci tiennent de Gala, ou d’un mauvais roman-photo sur les amours ancillaires du patriarche en son automne. Mais on leur rétorquera que c’est criant de vérité et que les auteurs sont bien obligés d’en parler puisque c’est cela qui fait maintenant la politique du Chef et donc de LFI !
Et c’est, certes, plus grotesque que gaulois …
Il y a d’ailleurs pire : le « Bénalla de Mélenchon » – les connaisseurs d’un autre passé se diront aussi : « le Malapa de Mélenchon (2) » ! – Sébastien Delogu, le gars qui ne sait pas qui était Pétain, propulsé chauffeur et garde du corps mais aussi député (quelle image du peuple transparait-elle dans de tels choix ?) : « A qui veut l’entendre, il se vante de collectionner les femmes. « Il reçoit des messages privés de tous les côtés, des meufs de la téléréalité, des Russes … çà rend dingue », raconte un ancien proche. » Ouais …
Et observons que l’ascension du POI comme garde rapprochée, amorcée en 2022 mais vraiment scellée dans la défense d’Adrien Quatennens, l’homme à claques, à la fin de cette même année 2022, est concomitante de la place prise par une Chikirou voire par un Delogu. Les fins de règne sont les plus ravageuses. Pauvre Chef …
Voilà donc pour cet ouvrage. Maintenant, la vraie question, c’est : est-ce bien ce livre (et l’émission d’Envoyé spécial) qui suscite une interrogation générale sur LFI ? Indépendamment de leur intérêt propre (à cet égard Envoyé spécial met plus en exergue le rôle, devenu central, du POI, que La Meute), le livre et l’émission ne sont pas des causes, mais des symptômes, des révélateurs, au plus des facteurs d’accélération. Ni plus, ni moins. Et vu la posture de repli défensif, « en tortue », prise par LFI en jouant les persécutés envers « les médias », même pas sûr que ça accélère quoi que ce soit.
Voici l’essentiel : le moment où livre et émission arrivent, et qui a précédé leur arrivée, est le moment où le désir d’unité contre le risque RN et contre la politique antisociale et les dénis de démocratie de Macron est en train de se tourner contre Mélenchon, perçu, au niveau des gens ordinaires, comme un obstacle qui pourrait faire élire Le Pen ou Bardella, ou l’héritier de Macron.
Sans donner trop d’importance anticipée aux sondages, on évoquera bien sûr ici le sondage de Regards indiquant la possibilité qu’une candidature de gauche unie, voire d’une candidature de gauche unie hormis LFI, pourrait accéder au second tour d’une présidentielle, ce qui n’apparaît plus être le cas pour une candidature LFI, c’est-à-dire Mélenchon, même s’il avait le soutien de toute la gauche.
Ce sont les mêmes couches sociales et électorales qui ont fait la poussée de Mélenchon au premier tour de 2022, car elles voulaient barrer la route à Le Pen et tenter d’éviter un nouveau second tour Macron/Le Pen, dont le réflexe défensif et le désir d’unité se tournent de plus en plus contre Mélenchon, et par sa faute.
Ceci avait commencé avant la formation du NFP les 9 et 10 juin 2024 et l’a conditionnée. Ce qui, au passage, nous indique la différence entre la NUPES, accord de sommets dans lequel J.L. Mélenchon était le plus fort, et le NFP, où l’accord des sommets, précaire et contesté, est imposé par la volonté majoritaire montant d’en bas.
La situation internationale, surtout depuis ce qu’il est convenu d’appeler « la scène du Bureau ovale » (Vance et Trump aboyant sur Zelensky), en faisant prendre conscience de l’Axe Trump/Poutine surplombant le risque d’extrême droite en Europe et celui du RN en France, accentue fortement cette évolution car si Mélenchon pouvait apparaître, en 2017 et déjà plus difficilement en 2022, comme susceptible de battre le RN au second tour, ce n’est à présent plus du tout le cas, et son attitude envers l’Axe Trump/Poutine est évidemment perçue par les larges masses, qui ont du flair, comme problématique.
La question de l’unité pour gagner, de plus en plus, pose la question du retrait de Mélenchon, qui ne sera pas président de la V° République et c’est tant mieux, car, depuis 2016, son orientation politique conduirait à une super-V° République intégrative et répressive, et non une VI°.
La base de LFI, elle aussi, veut l’unité pour gagner. Il faut miser là-dessus, inutile de demander à Mélenchon de renier Chikirou, Delogu et le POI, il n’y a qu’une seule chose à lui demander et s’il le faut à lui imposer : l’unité et donc son retrait, ou sa minorisation.
Au passage, LFI explosera ? Très bien, que cent fleurs s’épanouissent !
Mais cette demande n’aura de crédibilité que si elle-même ne roule pas pour un autre Chef et n’est pas arrimée à l’horizon présidentiel !
Il s’agit d’en finir avec la V° République, d’aller vers ce processus constituant que tous les grands mouvements sociaux récents, Gilets jaunes, retraites, ont commencé à dessiner !
Voila le défi, voila le sujet à discuter vraiment.
VP, le 12/05/25.
(1) Je n’ai relevé qu’une erreur, p. 326, où le russe Sergueï Oudaltsov est dit « emprisonné en Russie depuis 2011 ». En fait, cet « opposant de gauche », qui se réclame de Staline et considérait Navalny comme son ennemi principal, devant Poutine, a fait trois ans de prison et a été parfois victime d’acharnement pénal des services de sécurité depuis, écopant de plusieurs courtes peines de prison, tout en développant son orientation politique favorable aux guerres de Poutine qui devraient selon lui aider à remettre en place une économie à la soviétique. En tant qu’opposant russe ayant la faveur de J.L. Mélenchon, Alexeï Sakhnin l’a remplacé en 2022 car celui-ci, pour qui Crimée et Donbass sont russes, a toutefois condamné l’agression du 24 février, ce qui le rendait plus présentable, puis a quitté la Russie.
(2) Lionel Malapa avait été le garde du corps de Pierre Lambert et responsable du SO central de l’OCI.
12.05.2025 à 10:42
« Comment la gauche va gagner », par LD.
aplutsoc2
Texte intégral (540 mots)
C’est pour répondre à cette lancinante question, y compris par l’affirmative, que le journal Fakir, fondé par François Ruffin, journaliste et réalisateur bien connu devenu depuis député, a tenu, le 30 avril dernier, une soirée. Prévu initialement à la Bourse du travail de Paris, sa délocalisation à la dernière minute de l’événement aux docks de Pantin n’aura pas compromis son succès avec près de trois cent participant-es.
La soirée était formellement divisée en trois tables rondes consacrées d’abord à comment rassembler les différentes couches de notre camp social, en particulier autour de la valeur travail, à la démocratie, dont celle de l’abstention qui prévaut au sein des classes populaires devant le vote RN puis de gauche, et sur comment combattre l’alliance entre l’extrême droite et l’extrême argent, avec l’intervention d’une quinzaine de personnalités qu’iels soient élu-es communistes, écologistes, voire insoumis-es critiques, militant-es syndicaux ou associatifs.
Difficile de résumer les près de trois heures de son contenu, qu’on peut d’ailleurs visionner ici, mais l’auteur de ces quelques lignes, qui en était, a retenu ce qui suit :
Il a été question d’uberisation avec Arthur Hay, ancien livreur, Danielle Simonnet ou Leila Chaibi qui se mobilisent pour une transposition mieux-disante socialement de la directive européenne sur le statut des travailleurs des plateformes. Egalement de ségrégation spatiale, pas seulement dans les quartiers qu’on dit populaires mais dans les campagnes, et de lutte pour l’hégémonie culturelle alors que le vote RN est un vote de déclassement plus que sur un contenu sécuritaire, voire identitaire. Signalons aussi le succès à l’applaudimètre de l’intervention de François Boulo, ex-avocat et fort de son expérience dans le mouvement composite des gilets jaunes, pour qui on ne fera pas l’économie d’aller vers cet électorat et de devoir combattre l’oligarchie, également au plan européen, en cas d’accession au pouvoir.
Il nous reste deux ans, peut être même moins tant les emballements que nous avons connu ces dernières années sont monnaie courante, pour que la gauche ne soit pas réduite à un signifiant vide, limitée à appeler à voter pour le candidat le moins droitier au second tour des élections, mais redevienne une, voire la, force politique centrale en réhabilitant à cet effet des pratiques de socialisation.
Ce qui revient en filagramme, c’est comment passer du ressentiment à l’espoir, changer concrètement la vie du plus grand nombre en sortant y compris pour cela de la bulle et des grands discours dans lesquels nombre de militant-es s’ébaudissent, de sorte d’amorcer l’indispensable rupture au plan économique, inespérable du fait de mener des luttes sociales et écologiques d’ampleur qui n’aient pas juste valeur de témoignages mais gagnantes : vaste programme !
LD
11.05.2025 à 15:22
La crise des Rohingyas et la question nationale : une perspective marxiste. Par Ro Nur Sadaque.
aplutsoc
Texte intégral (1328 mots)
La situation critique du peuple Rohingya est l’une des crises humanitaires les plus urgentes aujourd’hui. En tant que minorité ethnique et religieuse du Myanmar, les Rohingyas sont confrontés à une discrimination systématique, à la violence de l’État et à des déplacements forcés. Notre apatridie est le résultat du processus d’exclusion de la Birmanie, ancré dans l’héritage colonial et les luttes de pouvoir post-indépendance.
D’un point de vue marxiste, il est utile d’analyser la crise des Rohingyas à la lumière de l’ouvrage de Vladimir Lénine sur « la question nationale ». Ce faisant, nous pouvons examiner la place des nationalités et des groupes ethniques opprimés dans la lutte plus large contre le capitalisme et l’impérialisme.
Contexte historique de l’oppression des Rohingyas
Les Rohingyas forment un groupe ethnique majoritairement musulman originaire de l’État de Rakhine, au Myanmar. Malgré des documents historiques confirmant notre présence dans la région depuis des siècles, le gouvernement birman refuse de nous reconnaître comme citoyens. La loi sur la citoyenneté de 1982 a institutionnalisé notre exclusion en nous refusant toute reconnaissance juridique, en nous rendant apatrides et en nous privant de droits fondamentaux tels que la liberté de circulation, d’éducation et d’emploi.
Cette exclusion est profondément liée au processus de construction nationale postcoloniale du Myanmar. Depuis l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni en 1948, les élites militaires et politiques du pays, dominées par la majorité ethnique bamar, ont promu une identité nationale rigide fondée sur le nationalisme bouddhiste. Ce cadre a positionné les Rohingyas comme un « autre intérieur » et a facilité leur persécution systématique. Les violences de masse se sont intensifiées en 2017, lorsqu’une répression militaire brutale, justifiée par des attaques présumées d’insurgés, a contraint plus de 700 000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh.
La question nationale et l’apatridie des Rohingyas
Dans la pensée marxiste, la « question nationale » concerne la relation entre les nationalités opprimées et la lutte plus large contre le capitalisme et l’impérialisme. Lénine soutenait que l’autodétermination nationale était essentielle aux mouvements socialistes, mais mettait en garde contre l’instrumentalisation du nationalisme pour diviser la classe ouvrière.
La crise des Rohingyas illustre cette dynamique, où l’identité ethnique est manipulée au service des intérêts de la classe dirigeante birmane.
i. L’exclusion ethnique comme outil de pouvoir des élites
L’exclusion des Rohingyas sert la classe dirigeante birmane en détournant la lutte des classes vers des divisions ethniques. La junte militaire et les élites nationalistes exploitent le sentiment anti-Rohingya pour consolider leur pouvoir, détournant l’attention des injustices économiques plus vastes et des luttes de la classe ouvrière. En présentant les Rohingyas comme une « menace étrangère », l’État favorise l’unité de la majorité bamar tout en réprimant toute dissidence plus large.
ii. Le rôle du capitalisme et de l’impérialisme mondiaux
La crise des Rohingyas n’est pas seulement un problème national : elle est intimement liée aux intérêts capitalistes mondiaux. Malgré les condamnations internationales, l’armée birmane bénéficie de contrats d’armement et d’investissements économiques de puissances régionales et mondiales. La Chine et l’Inde, par exemple, entretiennent des partenariats économiques avec le gouvernement birman, motivés par leurs intérêts stratégiques en matière de ressources naturelles et de routes commerciales.
De même, le Bangladesh, qui accueille près d’un million de réfugiés rohingyas à Cox’s Bazar, est confronté à des pressions économiques et politiques exploitées par les puissances mondiales. L’afflux de réfugiés pèse lourdement sur les ressources du pays, créant une dépendance à l’aide internationale. Des organisations comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et la Banque mondiale fournissent une aide humanitaire, mais cette aide est souvent liée à des intérêts géopolitiques plus larges, renforçant la position du Bangladesh dans la hiérarchie économique mondiale.
Les réfugiés rohingyas à Cox’s Bazar : une crise dans la crise
Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés au monde, abrite près d’un million de réfugiés rohingyas dans des quartiers surpeuplés et sous-financés. Si le Bangladesh a initialement offert un refuge, les conditions se sont détériorées en raison des contraintes financières, des tensions politiques et de la négligence internationale.
• Des conditions de vie précaires : Les réfugiés rohingyas sont confrontés à des pénuries alimentaires, à des soins de santé inadéquats et à un manque d’opportunités d’emploi (remarque : le manque de mesures de sécurité incendie et de sensibilisation à la sécurité en cas de catastrophe naturelle a entraîné plusieurs incendies dans le camp).
• Des problèmes de sécurité : Des groupes armés et des trafiquants d’êtres humains exploitent les conditions de vie difficiles dans les camps. Les menaces envers les jeunes augmentent, tout comme les violences contre les Rohingyas dans le camp, certains Rohingyas étant même assassinés.
• Pressions politiques et économiques : Le gouvernement bangladais, confronté à l’opposition nationale, restreint de plus en plus la mobilité et l’accès à l’éducation des Rohingyas. Il a même interdit l’accès des voitures au camp, empêchant ainsi toute intégration à long terme. La crise de Cox’s Bazar illustre comment les réfugiés deviennent autant des pions de la politique capitaliste au Bangladesh que dans celle du capitalisme mondial. Les pays riches refusent de réinstaller un nombre important de Rohingyas, tandis que des puissances régionales comme la Chine et l’Inde privilégient leurs propres intérêts stratégiques au détriment des causes profondes de la crise.
Appel à la solidarité et à la résistance
D’un point de vue marxiste, la crise des Rohingyas n’est pas seulement une question ethnique ou humanitaire : elle est profondément liée à l’oppression étatique, au capitalisme et à l’impérialisme. Les élites dirigeantes du Myanmar exploitent le nationalisme ethnique pour se maintenir au pouvoir, tandis que les forces capitalistes mondiales profitent de l’instabilité et des politiques d’aide.
Pour résoudre la crise, les solutions doivent aller au-delà de l’aide humanitaire et s’attaquer aux forces structurelles qui favorisent l’exclusion des Rohingyas.
Cela implique :
• de remettre en question l’emprise de l’armée birmane sur le pouvoir et de révéler ses liens avec le capitalisme mondial ;
• de défendre l’autodétermination des Rohingyas et de garantir leur reconnaissance comme membres à part entière de la société. En défendant l’autodétermination des Rohingyas, le mouvement ouvrier birman peut saper le nationalisme bouddhiste au sein de la classe ouvrière ;
• de renforcer la solidarité entre les groupes opprimés du Myanmar, du Bangladesh et d’ailleurs, et de lier la lutte des Rohingyas à des mouvements anticapitalistes plus larges.
En fin de compte, la crise des Rohingyas nous rappelle brutalement que l’oppression ethnique est indissociable de la lutte des classes. Une solution juste exige le démantèlement des structures du nationalisme ethnique, de l’oppression étatique et de l’exploitation capitaliste mondiale qui entretiennent leur marginalisation.
Publié originellement le 15 février 2025.
Source : https://links.org.au/rohingya-crisis-and-national-question-marxist-perspective
11.05.2025 à 14:57
La tempête sans fin : conflit, pouvoir et survie dans l’État d’Arakan, au Myanmar.
aplutsoc
Texte intégral (1200 mots)
Présentation
Nous publions la traduction de cet article de Ro Nur Sadaque pour répondre à la sollicitation de son auteur et en raison de l’intérêt qu’il présente, la situation des Rohingyas étant mal connue en France.
Document
L’État d’Arakan est une région aux paysages époustouflants et aux royaumes anciens, mais il est devenu synonyme de l’un des conflits les plus longs et les plus brutaux au monde. La lutte entre les Rakhines, à majorité bouddhiste, et les Rohingyas, musulmans, n’est pas seulement un affrontement ethnique ou sectaire local, mais un microcosme de la guerre civile birmane, où nationalismes concurrents, intérêts géopolitiques et instincts de survie s’entrechoquent.
Cet article explore les origines, l’évolution et les conséquences dévastatrices du conflit d’Arakan, en examinant le rôle des groupes armés, des puissances régionales et des économies parallèles qui entretiennent la violence. Il explore également le coût humain, notamment pour les femmes et les enfants, et évalue la possibilité d’une paix durable dans un pays où la guerre est devenue un mode de vie.
Racines historiques : d’un royaume à une zone de conflit.
La région d’Arakan était autrefois un royaume bouddhiste indépendant, doté d’une riche histoire d’échanges commerciaux et culturels avec le Bengale. Des communautés musulmanes, dont les ancêtres des Rohingyas, y ont vécu pendant des siècles, servant comme commerçants, soldats et administrateurs sous les rois arakanais.
La domination britannique (1824-1948) a exacerbé les tensions ethniques en encourageant la migration des musulmans bengalis pour la main-d’œuvre, modifiant ainsi la démographie de l’Arakan. Après l’indépendance, le gouvernement nationaliste birman a considéré les Rohingyas comme des immigrants illégaux et les a déchus de leur citoyenneté en 1982.
Les violences intercommunautaires de 2012 ont marqué un tournant, avec des affrontements meurtriers entre bouddhistes rakhines et Rohingyas. Les « opérations de nettoyage » menées par l’armée birmane en 2017, dans ce que les Nations Unies ont qualifié d’« exemple classique de nettoyage ethnique », ont forcé plus de 700 000 Rohingyas à se réfugier au Bangladesh. Fondée en 2009, l’Armée d’Arakan (AA) a d’abord combattu aux côtés de l’Armée de l’Indépendance Kachin (KIA) avant de se concentrer sur l’État de Rakhine. Après le coup d’État de 2021 au Myanmar, l’AA a exploité la faiblesse de la junte, s’emparant de vastes territoires et imposant sa propre gouvernance.
Stratégie militaire de l’Armée d’Arakan (AA)
L’Armée d’Arakan est passée d’une tactique de frappes éclair à des offensives de grande envergure, utilisant des drones, de l’artillerie et des armes saisies sur la junte. En 2024, elle contrôlait 60 % de l’État d’Arakan.
L’Armée d’Arakan prétend lutter pour l’autonomie de l’État d’Arakan, mais est accusée d’expulser systématiquement les Rohingyas des territoires conquis. Les massacres de Buthidaung et de Maungdaw font écho aux opérations menées par la junte en 2017.
Manquant désespérément de main-d’œuvre, la junte a contraint les Rohingyas à rejoindre des milices, les dressant contre l’Armée d’Arakan – une tactique qui a exacerbé la haine intercommunautaire.
La résistance rohingya : entre survie et militantisme
L’Armée du salut rohingya de l’Arakan (ARSA), créée en 2016, a lancé des attaques contre des postes de police en 2017, déclenchant la riposte génocidaire de l’armée. Bien qu’affaiblie en 2025, l’ARSA reste active dans les zones frontalières.
L’Organisation de solidarité rohingya (OSR), soutenue par l’Arabie saoudite dans les années 1980, a refait surface ces dernières années, mais manque de soutien populaire. Ses combattants opèrent désormais comme mercenaires pour diverses factions.
Bien qu’ils n’aient pas d’armée, les villageois rohingyas ont organisé des groupes d’autodéfense, utilisant des armes improvisées pour résister aux incursions de l’AA.
La crise humanitaire : un état d’urgence permanent
Plus de 1,2 million de Rohingyas sont des réfugiés, dont 500 000 ont été déplacés depuis 2024. Le Bangladesh refuse toute nouvelle entrée, laissant des milliers de personnes bloquées dans des champs de mines le long de la frontière.
L’armée bangladaise et la junte birmane ont bloqué l’aide alimentaire, provoquant la famine dans le nord de l’État de Rakhine. Médecins Sans Frontières signale des taux alarmants de mortalité infantile due à la malnutrition.
Une enquête de 2025 a révélé que 80 % des réfugiés rohingyas souffraient de syndrome de stress post-traumatique, et que les taux de suicide avaient triplé depuis 2022.
Géopolitique : le jeu des grandes puissances en Arakan
La Chine arme l’AA pour protéger son port de Kyaukphyu, mais soutient publiquement la junte pour maintenir une couverture diplomatique. L’Inde soutient la junte pour contrer l’influence chinoise, mais ferme les yeux sur le trafic de drogue de l’AA vers le Manipur. Le Bangladesh exige le rapatriement des Rohingyas, mais profite de l’économie criminelle des camps, notamment du trafic d’êtres humains.
La guerre de l’ombre : drogue, armes et seigneurs de la guerre.
L’AA finance sa guerre par la production de yaba (méthamphétamine), exportant en contrebande pour 3 milliards de dollars par an vers les pays voisins.
Les armes chinoises et indiennes affluent vers l’État de Rakhine via la Thaïlande et le Manipur, les courtiers prélevant des commissions à chaque passage de frontière.
Des personnalités comme Dil Mohammed dirigent les camps de réfugiés, comme Cox’s Bazar, par la violence, contrôlant la distribution de l’aide et les routes de la drogue.
Quel avenir : L’Arakan connaîtra-t-il un jour la paix ?
Les offres de la Birmanie de reprendre les Rohingyas sont vaines sans garanties de citoyenneté.
L’AA réclame l’autonomie, mais son exclusion des Rohingyas risque d’engendrer un conflit perpétuel.
La Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice ont tardé à traduire les auteurs en justice, encourageant ainsi de nouvelles atrocités.
À moins que les puissances mondiales n’interviennent résolument, le cycle de violence en Arakan se poursuivra, laissant une nouvelle génération hériter de ses cicatrices.
L’auteur peut être contacté à l’adresse suivante : rohingyaemergencyresponseteam@gmail.com
Source : https://links.org.au/unending-storm-conflict-power-and-survival-myanmars-arakan-state
11.05.2025 à 12:42
Gaza, Palestine : éviter le pire, empêcher ce génocide, imposer la reconnaissance d’un État palestinien, C’EST MAINTENANT !
aplutsoc
Lire la suite (308 mots)
L’offensive israélienne sur Gaza vise de plus en plus ouvertement à affamer/tuer/chasser la population ; la Cisjordanie est menacée ensuite du même sort. Mais en même temps les craquements dans la société, dans l’État, dans l’armée, israéliens, n’ont jamais été aussi importants. Et l’incertitude diplomatique est grande car même Washington hésite devant une fuite en avant qui conduirait à une catastrophe non seulement pour les Palestiniens menacés de génocide, mais pour Israël.
Refusant de voir les contradictions internes à la société et à l’État israéliens, traitant les Palestiniens comme un peuple sans agentivité propre voué aux bombardements, et soutenant les soi-disant « anti-impérialistes » du prétendu « Axe de la résistance » Iran-Hezbollah-Houthis-Hamas, alors même que la révolution syrienne vient de chasser Bachar el Assad, le « mouvement pro-palestinien » est à la croisée des chemins : soit persister dans l’impasse et n’apporter aucune aide réelle aux Palestiniens, soit peser MAINTENANT.
- Exiger la reconnaissance diplomatique d’un État palestinien est nécessaire, mais la voie pour y parvenir passe tout de suite par :
- Exiger MAINTENANT la protection armée des convois humanitaires à Gaza afin de briser la famine artificielle et de permettre à la vraie résistance palestinienne, celle du peuple qui ne veut pas partir, de continuer et d’affronter la domination du Hamas !
- Soutenir MAINTENANT les protestataires, déserteurs, refuzniks, objecteurs et démocrates israéliens, parents des otages, pour que Netanyahou soit renversé et jugé !
IL EST POSSIBLE D’ÉVITER LE PIRE ET DE GAGNER.
MAINTENANT.
Le 11 mai 2025.
10.05.2025 à 08:35
A nouveau sur guerre et révolution : Gaza, Inde/Pakistan, méthode, par Vincent Présumey.
aplutsoc2
Texte intégral (2810 mots)
Dans mon article de l’autre jour, vendredi 2 mai, j’ai parcouru quatre zones clefs – Europe, Proche et Moyen Orient, mer de Chine, Inde/Pakistan – et conclut sur la nécessité d’une stratégie révolutionnaire concrète visant la question du pouvoir politique partout, par la défensive humaine, sociale, écologique et militaire d’abord, conduisant, car c’est le mouvement réel des plus grandes masses humaines, à la révolution prolétarienne démocratique.
Depuis le 2 mai, les affrontements que l’on craignait entre Inde et Pakistan ont commencé : bombardements indiens, avec des pertes significatives dans l’aviation indienne dont un Rafale vendu par la France et un Sukhoi par la Russie, abattus par des missiles vendus par la Chine, puis riposte pakistanaise, et, à l’heure où sont écrites ces lignes, nouvelle « riposte » indienne. Les soutiens ouverts ou honteux de Modi prétendaient que la « punition des terroristes » conduisait à la « désescalade », c’est pour l’instant le contraire qui a lieu.
Depuis le 2 mai, il est de plus en plus ouvertement question, dans les milieux juifs pro-israéliens eux-mêmes, du fait qu’un génocide a commencé à Gaza. C’est en effet un génocide que préconisent le ministre Ben Gvir et d’autres, partisans explicites de la famine à Gaza, des massacres et expulsions en vue de la réoccupation de Gaza, plan qui est évidemment et à peu près ouvertement préparé depuis le début des « opérations » en octobre 2023, et qui se contrefout totalement tant des otages du Hamas que des Palestiniens de Gaza manifestant contre le Hamas au péril de leur vie, qui sont des gêneurs pour les génocidaires israéliens.
Depuis le 2 mai, le défilé de Moscou le 9 mai a confirmé et renforcé l’Axe, non pas Trump/Poutine, mais Poutine/Xi, faisant de Poutine le pivot des deux axes (et soutenant Netanyahou : pas un mot sur Gaza chez les soi-disant « anti-impérialistes », dont Lula, rassemblés à Moscou). Trump a perdu sa première guerre avec la Chine et n’a pas séparé Russie et Chine, au contraire.
En outre, Poutine n’est pas pressé à accepter le cessez-le-feu en Ukraine que Trump lui a confectionné, ce qui oblige ce dernier à paraître « fâché ». Dans mon article du 2 mai était avancée l’idée qu’un arrêt des combats et tout ce qui pourrait mettre en avant une démobilisation représente un risque énorme pour Poutine, donc qu’un tel cessez-le-feu risque en fait de le pousser à ouvrir un nouveau front. Cette idée est exacte, mais elle explique aussi qu’il freine le cessez-le-feu actuellement proposé par Trump, avalisé par les puissances européennes, et tactiquement accepté par Zelensky.
La tentative de concevoir une stratégie révolutionnaire intégrant pleinement la dimension militaire a pris forme, pour nous, surtout à propos de l’Europe, en raison bien sûr de l’expérience ukrainienne et en comprenant la nouvelle centralité de l’Europe dans la lutte des classes à l’échelle mondiale, causée par la réaction impérialiste barbare qui vise à l’étouffer et l’asservir. La perspective d’une union non impérialiste des peuples européens, sauvant leurs conquêtes sociales, démocratiques et culturelles, doit être ouverte maintenant par le combat pour armer l’Ukraine tout de suite afin de battre Poutine, et pour sauver les Palestiniens.
Sauver les Palestiniens : questions militaires et démocratiques au Proche-Orient.
Sauver les Palestiniens est une question urgente immédiate. Le « mouvement pro-palestinien » tel que le campisme de la gauche et de l’extrême gauche l’ont façonné et relancé depuis le 7 octobre 2023, est de ce point de vue une arrière-garde barrant la voie à l’aide réelle aux Palestiniens, qui sont pour lui non un peuple combattant pour sa liberté, mais un fétiche « anti-impérialiste » et « antisioniste ». Ce mouvement a fait du « génocide » une formule fétiche brandie en fait dès avant le 7 octobre 2023, et n’a pas fait de différence entre Biden et Trump, au plein avantage de Trump. Malgré sa relative massivité dans la jeunesse étudiante, ces travers l’ont désarmé et isolé contre une répression bien réelle. Il est maintenant dans l’impuissance alors que le génocide arrive pour de bon, ce qu’il n’a empêché en rien.
Sauver les Palestiniens demanderait une campagne concrète pour des convois humanitaires protégés militairement allant aider les Gazaouis, combinée à l’exigence de l’arrêt de toute aide militaire à Israël, alors que c’est l’Ukraine qui en a besoin. Les Israéliens mobilisables et une très grande proportion des soldats et officiers ne suivent plus Netanyahou, et une telle initiative finirait de faire éclater l’affrontement interne israélien. L’enjeu de cet affrontement est l’Etat de droit pour les Israéliens eux-mêmes, mais comme il conduit soit à la dictature de Netanyahou, soit à sa chute (et à son jugement), cette dernière issue est celle qui sauverait les Gazaouis. Elle serait aussi la plus dangereuse pour le Hamas car les Gazaouis sauvés le contesteront d’autant plus – et là se trouvent les dernières chances de sauver les otages survivants.
La défense de la révolution syrienne est l’autre question clef de cette région, complétement étrangère au « mouvement propalestinien ». Question démocratique et question militaire sont étroitement liées en Syrie : processus électoral constituant et non pas renvoi des élections libres à plus tard, et formation d’une armée nationale populaire prenant la place des milices en absorbant la plupart d’entre elles, sont deux questions associées l’une à l’autre. La difficulté des courants de gauche syrien à les poser est significative : ils parlent de la nécessité d’un Etat de droit, d’une centralisation des armes, d’une justice transitionnelle, toutes choses valables et justes, mais qui demandent un regroupement des forces pour une assemblée nationale syrienne et une armée nationale syrienne, maintenant.
La situation au « Proche Orient » montre la connexion entre démocratie et armée, assemblées constituantes et armées nationales. Je viens d’employer le pluriel, car le raisonnement valable pour la Syrie l’est aussi pour le Liban, et, en fait, pour la Palestine : contre le Hamas et, par-delà le Hamas, contre la tradition des milices qui l’ont précédé et lui ont ouvert la voie, celles des organisations nationalistes arabes de forme stalinisante (Fatah, FPLP, FDPLP …), l’organisation directe du peuple donc son armement (alors que la confiscation de toute possibilité de combat direct du peuple est symbolisée par les souterrains du Hamas interdits aux civils voulant se protéger des bombes israéliennes), et l’élection de représentants, donc l’articulation entre l’exigence de reconnaissance d’un Etat palestinien, et celles d’une armée nationale et d’une assemblée constituante nationale, ne devraient-elles pas être mises en avant ?
Remarquons que cette perspective, seule à même d’aller dans le sens de la mise en œuvre effective des droits nationaux des Palestiniens, implique l’existence à moyen terme de deux Etats, palestinien et israélien, avec garantie des droits démocratiques pour la totalité de leurs résidents. S’accrocher à la formule de l’Etat unique judéo-palestinien dans ces conditions conduit à s’opposer à tout pas en avant réel pour les Palestiniens.
En Syrie, la construction d’un armée nationale et l’adhésion à un processus constituant national (élections libres) est dans l’immédiat aussi l’intérêt des habitants, kurdes et non kurdes, de la zone contrôlée par les FDS, qui est celle où la révolution renversant Bachar a connu le plus de résistance puisque l’appareil d’Etat dirigé par le PYD, malgré les fantasmes campistes sur une terre promise dans la « commune du Rojava », était et est en réalité le dernier morceau de l’ancien régime, certes bien secoué et déjà modifié.
La question nationale kurde existe cependant bien au-delà de la Syrie, mais les forces politiques monopolisant la représentation des Kurdes – les deux partis bourgeois du Kurdistan irakien et le PKK-PYD – ont toutes renvoyé à la saint-glin-glin une unité éventuelle du Kurdistan (cette renonciation ayant pris la forme, dans le cas du PKK, du ralliement au supposé « confédéralisme démocratique »). Nul doute que cette question se reposera, et que pour en discuter, une sorte de congrès ou de convention nationale kurde, par-delà les frontières, sera à un moment donné nécessaire, et que tous ces appareils politico-militaires n’en voudront pas. Mais au moment actuel l’intérêt des Kurdes passe par leur pleine participation au possible processus démocratique syrien, faisant suite à la victoire populaire formidable qu’a été et que reste la chute de Bachar el Assad.
Israël tente de manipuler, en se servant y compris d’anciens hommes de Bachar, les druzes du Sud de la Syrie se sentant menacés par les milices sunnites. En fait, la fuite en avant génocidaire israélienne aurait tout à craindre d’une participation effective des druzes de Syrie au processus national, constituant et militaire, souhaitable et possible en Syrie. Les druzes ne forment pas, dans leur conscience, une nationalité, mais un groupe religieux et culturel. Leur participation à la démocratie en Syrie rayonnerait sur ceux du Liban, du Golan et d’Israël, et c’est bien la question de la restitution du Golan à la Syrie, occupé depuis 1967, qui pourrait alors s’imposer.
La réalisation d’espaces démocratiques, et donc militaires, nationaux, syrien, libanais et palestinien, les relations entre druzes à travers Syrie, Liban et Israël, la libre discussion de l’avenir des Kurdes par-dessus les frontières, sont compatibles avec l’existence d’un Israël laïque et démocratique, reconnaissant le tort fait aux expulsés palestiniens de son territoire tout en s’assumant comme refuge juif contre l’antisémitisme, dont la population majoritairement (mais non exclusivement) judéo-israélienne ne serait plus alors un groupe colonial et colonialiste, mais l’un des peuples de cette région riche en cultures humaines. C’est là la seule possibilité de survie d’Israël.
Contre la guerre indo-pakistanaise.
Un autre cas de figure est celui de l’Inde et du Pakistan. Dans les conflits armés, la recherche de la révolution – car c’est de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ? – peut passer par des positions variables, défensistes, pacifistes, défaitistes, bellicistes …
Le cas indo-pakistanais, à première vue, est un cas où s’impose une position « pacifiste », à condition de préciser, tant ce mot, comme bien d’autres, est galvaudé, que l’on entend par là l’opposition sociale, ne reculant pas devant les moyens y compris armés, si le rapport des forces le permet, à la politique des gouvernants.
En effet, de part et d’autre, les gouvernants ont enclenché le processus susceptible de leur échapper en dérapant, pour étouffer les situations intérieures : un Modi à la légitimité entamé en Inde, depuis les dernières élections, qui menace les fondements sécularistes (le terme est plus approprié que laïque) de l’Inde en s’en prenant aux musulmans, et un pouvoir pakistanais confronté notamment à des mouvements de masse des peuples baloutches et pachtounes, sans oublier, en outre, la situation postrévolutionnaire au Bangladesh, et l’effritement inexorable du pouvoir militaire au Myanmar devant les guérillas populaires.
Il faut ajouter à ce tableau le fait que l’existence même du Pakistan – il a été créé pour ça – est définie par son opposition à l’Inde (l’inverse n’est pas vrai) et par la division artificielle des peuples cachemiri, pendjabi et sindhi. Une perspective démocratique porte aussi, dans cette région, une révision des formes étatiques et des frontières existantes, mais elle ne passe pas par la guerre entre les Etats, mais par l’affrontement social et politique dans chacun d’entre eux – à cet égard, les manifestations au Pakistan contre les bombardements indiens ne doivent pas tromper, elles peuvent se retourner contre le pouvoir.
Modi, en Inde, menace les fondements démocratiques du pays conquis par sa lutte pour l’indépendance contre le colonialisme britannique. Les deux pouvoirs sont de plus en plus instables – instabilité de l’Etat lui-même au Pakistan, du gouvernement central en Inde. C’est pourquoi le risque est réel que leurs dirigeants poursuivent dans une voie qui peut mener à des explosions nucléaires, alors que la majorité des peuples rejette cette fuite en avant. La voie de la paix pourrait donc passer ici par la révolution renversant les deux pouvoirs – ce qui n’est pas, on le voit, purement et simplement « pacifiste » comme issue !
Question de méthode.
On pourrait poursuivre en discutant de l’Asie orientale et d’autres régions, mais il me semble à ce stade plus important d’insister sur la méthode.
Prenons le cas proche-oriental : j’ai notamment tenté ici de dessiner des perspectives stratégiques concrètes valant la peine que l’on se mobilise pour elles, car elles sont réalisables – la chute de Bachar a bien été réalisée, non ? – pour une région réputée la plus difficile, la plus inextricable (« l’Orient compliqué », comme disent les experts … occidentaux !).
Tentative sans aucun doute trop « algébrique », offerte à la critique et à la discussion. Mais n’est-il pas nécessaire et urgent de raisonner ainsi, globalement ?
La manière « transitoire » de dessiner des perspectives politiques stratégiques adoptée ici, tente de reproduire pour le Proche Orient la méthode que nous avons déjà, plus nettement, dessinée pour l’Europe (mais incomplètement là aussi, soyons modestes, il faut poursuivre ce travail). Elle se situe à mi-chemin des deux écueils, qui, eux, sont très répandus.
L’un de ces écueils est la perspective théorique ultra-révolutionnaire en or massif ou en béton armé : « Etats-Unis socialistes du Proche et du Moyen Orient ! », « une seule Palestine juive et arabe, laïque et démocratique » ! – bref, révolution mondiale tout de suite et on rase gratis (en fait, on aura à s’occuper de l’effondrement de la biosphère …).
L’autre écueil est, inversement, le pragmatisme de l’immédiat, proposant des réformes et des initiatives, souvent locales, fort louables, sur le terrain de l’organisation immédiate de la survie. Cela, c’est nécessaire, c’est la base, mais en faire l’unique horizon, c’est se priver des possibilités d’en sortir.
Le point commun aux deux écueils est que l’un comme l’autre évite d’aborder la question du pouvoir politique, alors même que quand l’existence des peuples est en cause – et c’est le cas pour les Palestiniens de la manière la plus urgente, mais aussi pour les Syriens, les Libanais, les Kurdes, les Israéliens – c’est LA question (cela l’est déjà dans toutes les sociétés capitalistes en crise !). Question qui, il faut le préciser, ne se limite pas à celle du gouvernement mais contient celle de la forme politique globale, donc de la démocratie et de l’armée, voies concrètes de tout « contenu de classe ».
J’ai la faiblesse de penser que nous avons besoin de débats stratégiques plutôt que de débats académiques. Il faut certes prendre le temps de la discussion, mais en se hâtant. Procéder en ayant peur des réflexions stratégiques, en les traitant de « thèses », en soupçonnant ce qui émane déjà d’un débat collectif de constituer on ne sait quelle menace sectaire, en fixant des étapes c’est-à-dire en les imposant, donc en imposant le surplace préservant les quant-à-soi, c’est courir le risque, dans le meilleur des cas, de réaliser une sorte de Monde Diplomatique non campiste (mais à diffusion confidentielle), ce qui ne servirait en fait à rien car les échanges et traductions de textes théoriques existent déjà, même s’il faut les multiplier et les diffuser.
VP, le 10/05/25.
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