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ENQUÊTES ÉCOSOPHIQUES

Emmanuel PONT

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24.11.2020 à 10:01

L’étude qui contredit Jancovici ? Analyse d’un scénario 100% renouvelable

Emmanuel Pont

Texte intégral (4208 mots)

L’étude qui contredit Jancovici ? Analyse d’un scénario 100% renouvelable

C’est un débat sans fin en France : faut-il forcément des centrales nucléaires pour décarboner notre système électrique ? Peut-on couvrir notre consommation principalement avec de l’éolien et du solaire ? Jean-Marc Jancovici est connu pour ses positions pronucléaires, et propose un calcul d’ordre de grandeur qui semble invalider la généralisation des renouvelables. Problème : un certain nombre d’études détaillent des “mix énergétiques” bon marché à 100% de renouvelables, en particulier celle du CIRED qui vient de sortir pour la France (notée par la suite Shirizadeh et al.). C’est l’occasion de revenir sur le débat en analysant cette étude en parallèle de l’article de Jancovici.

Le cadre du débat

C’est la règle non négociable : le réseau électrique doit toujours être équilibré, chaque instant la production égale à la consommation. Notons que la question se pose à l’échelle européenne, les réseaux étant interconnectés. Aujourd’hui le réseau électrique et les moyens de productions sont dimensionnés pour à la fois couvrir le pic de charge, quand la consommation est maximale, et être réduits à la baisse si nécessaire. En France le pic de charge est généralement en début de soirée l’hiver, autour de 100 GW : on a donc construit assez de centrales pour le couvrir. On dispose de plusieurs grands leviers pour équilibrer production et consommation sans construire plus de centrales :

  • stocker l’énergie quand on en a trop. Problème : aujourd’hui le stockage est cher (batteries) ou difficile à développer (barrages)
  • lisser la consommation, par exemple via les tarifs heures creuses / pleines, ou la limiter pendant les pics
  • arrêter la production quand on n’en a pas besoin, ce qui est plus ou moins facile et rentable selon le type de centrale

Aujourd’hui c’est plutôt simple d’équilibrer : il suffit d’arrêter ou démarrer des centrales en fonction de la consommation. Cela devient beaucoup plus complexe quand la majorité de la production dépend du vent et du soleil, et c’est donc l’enjeu principal du choix des moyens de production électrique décarbonés pour l’avenir. La grande question est celle du coût plutôt que de la faisabilité, qui ne fait pas vraiment débat (on peut aller très loin si l’on met les moyens, par exemple en achetant beaucoup de stockage pour couvrir l’intermittence). Le grand intérêt de cette nouvelle étude est d’explorer les incertitudes autour de ce coût en fonction de ses hypothèses, en plus de valider l’équilibre du système proposé. Si par exemple le stockage se révèle plus cher que ce qu’on estimait, on sait ici combien cela coûte pour garder le système équilibré.

Notons d’emblée que Jancovici et Shirizadeh et al. ne répondent pas exactement à la même question. Le premier se place dans les conditions actuelles (article de 2017 et chiffres des dernières années) alors que le second vise un système électrique en 2050 (en cohérence avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à cette date). L’avantage de partir de chiffres actuels fiables est aussi l’inconvénient de ne pas prendre en compte les évolutions futures, et réciproquement !

Nous allons nous pencher sur leurs méthodes de calcul respectives.

Méthodologie Jancovici

Jean-Marc Jancovici utilise des chiffres récents pour la consommation, les rendements, les coûts et les technologies. Les stations de pompage-turbinages (imaginez deux barrages l’un en dessous de l’autre) sont le mode de stockage privilégié, en supposant qu’on pourra noyer quelques vallées et déplacer leurs habitants. Les chiffres sont la plupart bien sourcés, mais pas toujours avec la référence exacte.

Son calcul suit les étapes suivantes :

  1. Remplacer la production globale annuelle du nucléaire avec du solaire ou de l’éolien. Il en déduit la capacité nécessaire en divisant par les facteurs de charge actuels (rapport entre la production réelle d’une centrale et son maximum théorique).
  2. Il y ajoute une estimation des coûts de réseau pour raccorder ces capacités et distribuer l’électricité produite, avec le même ratio que l’Allemagne aujourd’hui (1€ de réseau à construire pour 1€ de centrale éolienne ou solaire)
  3. Il estime la puissance de stockage nécessaire comme la différence entre la production maximale et le minimum de consommation (plus importante que l’inverse). Pour la capacité de stockage il considère la variabilité des productions et estime la quantité à prévoir de 50% de la production annuelle pour l’éolien et 80% pour le solaire (la production totale étant égale à celle du nucléaire, il faut la répartir sur toute l’année).
  4. Il multiplie par coûts et durée de vie pour avoir le coût global par an du système. Voici le tableau de résultats :

Le grand intérêt du modèle est sa simplicité : il est entièrement compréhensible et vérifiable par n’importe qui dispose de quelques bases sur le sujet, par exemple tout ingénieur généraliste.

Ce calcul souffre pourtant de limites énormes en voulant simplifier la complexité du système électrique. En particulier l’estimation de la capacité de stockage n’a aucun rapport avec le fonctionnement réel du réseau, oublie les autres énergies (28% de la production française), et considère qu’il faut stocker toute production excessive d’électricité tout en la répartissant sur une année entière (on peut très bien “débrancher” une éolienne du réseau, ce qu’on appelle l’écrêtage, on ne le fait juste pas aujourd’hui car le prix de rachat est garanti). Elle semble donc grossièrement surestimée. Il y a aussi probablement à redire sur les différents coûts estimés.

Jean-Marc Jancovici teste ensuite l’effet de variations importantes de coûts du renouvelable ou du nucléaire et conclut que sa conclusion tient toujours. Je ne suis pas du tout convaincu par cette astuce habituelle de consultant : tester la sensibilité aux paramètres d’un calcul d’ordre de grandeur très grossier ne rend pas le résultat rigoureux.

L’auteur a le mérite de se pencher sur un sujet technique peu populaire mais important : la stabilité en fréquence. Elle est aujourd’hui assurée principalement par le nucléaire et les barrages au fil de l’eau, qui sont connectés au réseau 100% du temps et gardent pour ce besoin une partie de leur puissance en réserve. Dans un monde à majorité éolien et solaire cela devient beaucoup plus complexe, et nécessite par exemple des batteries (qui sont de plus en plus utilisées pour la tenue en fréquence et autres services système).

Méthodologie Shirizadeh et al.

Dès le début de leur présentation les auteurs prennent soin de se distinguer d’une étude sur un mix 100% renouvelable qui avait alimenté les débats, celle de l’ADEME. Ils semblent d’ailleurs éviter par leurs hypothèses les critiques que Jean-Marc Jancovici ou Sylvestre Huet avaient exprimées sur cette étude, notamment un exportateur miraculeux qui vient répondre aux pics de consommation, et des hypothèses de lissage de la consommation très optimistes. Celle-ci est aussi revue par les pairs, et le modèle tout comme les données sont publics.

Shirizadeh et al. détaillent précisément leurs hypothèses et leurs sources, qui sont tous des études publiées ou des rapports gouvernementaux. Leur source pour la consommation est le scénario de l’ADEME, qui prévoit une stabilité de la consommation totale. Pour la technologie, les coûts et les rendements leur source principale est le scénario 2050 de la commission européenne. Enfin ils utilisent 18 ans de données météorologiques (2000–2017) pour calculer la variabilité de la production au niveau départemental.

L’étude, les résultats et les sources du modèle sont disponibles en ligne. Voici leur raisonnement :

  1. Ils construisent un modèle de mix électrique qui équilibre l’offre et la demande sur les 18 ans mesurés (calculés au pas horaire). Notons qu’ils se permettent d’écrêter la production quand elle dépasse la consommation, contrairement à Jancovici, pour un total de 11% de la production sur l’année.
  2. Ils calculent les coûts à partir des projections et adaptent le mix pour le minimiser (notons qu’ils partent d’un coût brut du production sans stockage et réseau, ajoutés à côté, et donc ne tombent pas dans l’erreur fréquente de le considérer comme un coût complet).
  3. Ils testent la sensibilité à l’année météo parmi les 18 années mesurées et concluent qu’il faut bien prendre en compte la diversité des situations, la “pire année” pour les renouvelables est celle qui dimensionne principalement le système
  4. Il testent la sensibilité au coût des technologies sur l’année 2006, qui a été la pire pour les renouvelables. Celle-ci s’avère faible : autour de +-5% sur le coût global pour des variations de coûts entre +-25% et +-50% sur les technologies (intervalles qui correspondent bien aux différences entre coût actuel et coût projeté). Il s’avère que le surcoût d’une technologie peut être en partie compensé en installant plus des autres. Si vous trouvez que les coûts estimés sont trop optimistes, vous pouvez jouer avec sur la page dédiée pour voir comment cela influe sur le mix énergétique optimal et le coût global du système.

Voici leurs conclusions pendant la présentation :

Et la répartition de la production et des coûts obtenue :

La méthodologie est clairement beaucoup plus rigoureuse que celle de Jancovici, se rapproche du fonctionnement réel des réseaux, et permet de prendre en compte finement la complexité du système énergétique. Pour calculer le besoin de stockage il n’y a pas d’autre moyen que simuler les historiques de production et de consommation, les règles de trois ne nous diront pas grand-chose. Le pas horaire est un bon niveau pour un scénario à 30 ans (aujourd’hui au jour le jour la prévision d’équilibrage est faite à un pas de 30 minutes).

J‘ai analysé l’étude sans rentrer dans le détail du code du modèle, n’ayant ni le temps ni l’expertise, mais le diable peut se cacher dans les détails. Ce n’est pas rare que des erreurs de calcul soient trouvés des années plus tard dans les publications qui utilisent des modèles numériques complexes, personne ne les revoit jamais au niveau de détail qui permettrait de vraiment les valider. Même si l’étude a été revue par des pairs et affiche des résultats cohérents avec la littérature, il faudra attendre les analyses d’experts du sujet pour être sûr de la correction du résultat.

En fait, même après analyse il est n’est pas toujours facile d’y voir clair. Par exemple une étude de 2017 présente un certain nombre de limites à la possibilité du 100% renouvelable, mais elle a été lourdement critiquée dans une autre publication. J’ai pu croiser des experts qui jurent par l’une ou par l’autre : lesquels croire ? J’atteins les limites de mes compétences d’ingénieur Supélec qui a suivi le sujet avec attention sans en être non plus spécialiste.

Parmi les marques de fiabilité on peut noter que l’étude a été présentée aux professionnels du secteur en France, dans plusieurs conférences, et est publiée dans la revue internationale la plus prestigieuse du domaine.

Revenons sur les hypothèses de Shirizadeh et al.

C’est un intérêt des publications scientifiques, les auteurs présentent d’eux-mêmes les limites principales qu’ils identifient dans leurs travaux :

On peut en ajouter quelques autres.

L’intervalle de sensibilité semble bien dosé pour les technologies existantes, mais la méthanation est encore expérimentale, jamais déployée à grande échelle, et la source du coût estimé un rapport de début 2017 d’un cabinet de conseil. Cela semble la principale incertitude technologique du modèle.

Les prix sont estimés dans le contexte actuel, c’est-à-dire un monde principalement fossile. Que se passe-t-il lorsqu’on doit produire des éoliennes dans un monde alimenté par des éoliennes ? La question est posée lors du wébinaire, mais l’étude mentionnée par les auteurs prévoit un passage de 12 à 6 du taux de retour énergétique. C‘est beaucoup !

Ne sont pas abordés les rendements décroissants de l’éolien, les meilleurs emplacements étant occupés en premier (ce qui peut aussi expliquer les facteurs de charges supérieurs aux Etats-Unis évoqués lors des questions). Est-ce trop optimiste d’estimer des gains de facteur de charge autour de 30% sur 30 ans ? Je ne sais pas, mais cet ordre de grandeur est bien couvert par l’étude de sensibilité.

Les coûts semblent calculés sur la base des projections pour 2050, alors qu’atteindre cette production nécessitera des dizaines d’années d’investissements progressifs, sur des technologies moins avancées et donc moins efficaces. La transition coutera donc probablement nettement plus cher.

La simulation n’inclut pas la question des services système comme la stabilité en fréquence, qui seront plus sollicités dans un système majoritairement renouvelable (les auteurs gardent la proportion actuelle de réserves par source d’énergie). Se pose plus généralement une question du coût de la complexité dans un monde où la production est répartie entre des milliers de centrales, même si les centrales à biogaz permettent de garder une bonne réactivité. Le système résultant est probablement très loin du “low-tech”.

Les auteurs n’ont pas estimé la sensibilité à la consommation, pour laquelle ils reprennent le scénario de l’ADEME. Ce scénario prévoit une légère baisse de la consommation alors qu’on doit en même temps électrifier la plupart des usages de combustibles fossiles, et repose donc sur des choix plus politiques que purement techniques (isolation, efficacité du transport, de l’industrie, sobriété …). Il aboutit aussi à un profil de consommation un peu plus lisse que celui actuel, ce qui doit changer nettement le besoin de stockage (c’est le pic de charge qui dimensionne le système). Notons que l’ADEME est en cours de revue de ces scénarios pour les affiner. Un début de réponse sur la question de la compatibilité avec une consommation plus élevée par l’auteur ici.

Enfin se posent plusieurs questions systémiques plus larges, qui sont rapidement abordées lors des questions et que les auteurs pensent explorer plus en détail à l’avenir :

  • Quel espace utilisé par les éoliennes, le solaire et la biomasse ? Après calculs, le scénario prévoit de multiplier par 5 la puissance installée d’éoliennes terrestres, par 12 de photovoltaïque. Pour le biogaz (qui est produit soit directement soit par méthanation) la puissance installée est de deux fois la capacité actuelle de centrales à gaz, et la production de 3% du total contre 7% pour le gaz aujourd’hui. Si ce scénario minimise le coût, les émissions et le nucléaire, minimise-t-il vraiment l’impact environnemental ?
  • Pourra-t-on généraliser ce système dans un monde aux ressources limitées ? Si les terres rares ne devraient pas être un problème la question se pose pour d’autres ressources et je n’ai pas été convaincu par la réponse des auteurs : l’enjeu est global plutôt que local, à l’échelle française on peut tout faire si on oublie le reste du monde.

Notons que certains coûts sont politiques avant d’être financiers, notamment l’installation d’éoliennes ou de nouveaux barrages.

A quel point ces limites remettent-elles en cause l’étude ? Je ne pense pas vraiment mais ces questions méritent des travaux complémentaires. De toute façon tout scénario pour 2050 est forcément très prospectif. Même si les auteurs se sont appliqués à bien expliciter les incertitudes on peut légitimement s’interroger sur le point auquel ce genre de projections doit guider les choix de société aujourd’hui.

Conclusion

Shirizadeh et al. sont nettement plus rigoureux sur le point crucial de l’équilibrage du réseau, mais on fait face à un paradoxe courant en modélisation : le modèle simple est moins puissant mais plus facilement compréhensible, le modèle complexe semble plus proche de la réalité mais son résultat repose sur plus d’hypothèses.

Les deux articles ne répondent pas exactement à la même question. Leurs réponses ne sont pas non plus incompatibles :

  • Avoir un système 100% renouvelable semble coûter très cher aujourd’hui (on le constate en Allemagne qui a pris cette voie, avec un résultat climatique médiocre)
  • Il sera possible d’avoir un mix 100% renouvelable abordable en 2050, si la consommation est contenue, si les progrès technologiques importants qu’on estime possibles aujourd’hui se réalisent (en particulier sur le biogaz et la méthanation) et plus globalement si toutes les limites de cet exercice ne le transforment pas trop en pratique.

Comme souvent, les désaccords entre “gens sérieux” portent principalement sur des hypothèses concernant le futur, pour lequel ils ne disposent pas de boule de cristal (contrairement à Marcel du café du commerce). Là où je trouve Jancovici critiquable, c’est qu’il semble donner trop de portée à son résultat, qui n’est qu’un ordre de grandeur très discutable et ne portant que sur le présent. Quant à l’étude du CIRED, il faut aussi bien comprendre sa portée : ce n’est pas une prévision, c’est un exercice construit sur des hypothèses qui par nature ne pourront pas être indiscutables.

Le faible coût du stockage est très intéressant, cela signifie qu’il n’est pas indispensable de baisser la consommation pour équilibrer le système (cela pourrait l’être pour d’autres raisons). Revenons à “l’affaire Dreyfus” franco-française de l’énergie, le nucléaire. Je tire aussi une autre conclusion de ce coût du stockage : si l’intermittence est compensée facilement alors le nucléaire est beaucoup moins économiquement incompatible avec le renouvelable que ce qu’on entend souvent. Shirizadeh et al. n’incluent pas de nucléaire dans leur modèle, mais arrivent à un coût proche du parc français actuel. Enfin, ce n’est pas dans l’étude, mais si le nucléaire pose moins de questions systémiques il souffre aussi de son lot d’incertitudes comme sur les générations futures de réacteurs. Encore d’excellentes raisons de prendre du recul face à l’envahissant débat technique “nucléaire contre renouvelables” ! Dans ce monde fatalement rempli d’incertitudes le jugement de Salomon de 50% de nucléaire en France ne semble pas si mauvais, et évite une sortie précipitée du nucléaire tout en expérimentant la montée en charge des renouvelables.

Cette perspective pose par contre la question très politique du pilotage économique, souvent discutée par Jancovici et à mon avis beaucoup plus intéressante pour le citoyen. Aujourd’hui les directives européennes ont métamorphosé le marché de l’électricité, qui est devenu un marché libre piloté par les coûts marginaux des différents producteurs et un prix instantané qui fluctue violemment. On ne voit pas bien comment cela pourrait fonctionner quand la grande majorité des moyens est à coût marginal nul, ce qui s’applique aussi au nucléaire (qui souffre en plus de cycles d’investissements très longs). On ne voit pas non plus comment ce marché pourrait nous y amener sans être dénaturé par des politiques inefficaces comme les garanties de prix (qui empêchent l’écrêtage et coûtent très cher). Pas de chance, ce sont les deux grandes voies technologiques pour décarboner l’électricité (ou, dans le cas de la France, y rester). Comment y arriver m’inquiète beaucoup plus que les nuances entre les deux.

Merci à l’auteur de l’étude Behrang Shirizadeh, à Rodolphe Meyer (Le Réveilleur) et à Bon Pote pour leurs relectures !


L’étude qui contredit Jancovici ? Analyse d’un scénario 100% renouvelable was originally published in Enquêtes écosophiques on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.

18.11.2020 à 11:42

Le climat après la fin du mois, Christian Gollier

Emmanuel Pont

Texte intégral (9401 mots)

Le monde merveilleux de l’économie du climat : “le climat après la fin du mois” de Christian Gollier

Christian Gollier est directeur de la Toulouse School of Economics, président de l’association européenne des économistes de l’environnement, et un habitué de la presse sur le sujet de l’économie du climat. Bref, la star en France quand on cherche à en savoir plus sur la question. Pourquoi est-ce important ? Principalement parce que derrière ce sujet technique se cachent les grands enjeux politiques du réchauffement climatique : à quel point veut-on faire des efforts aujourd’hui pour éviter des effets catastrophiques plus tard ? Que faire en priorité pour réduire les émissions sans trop réduire le reste de l’économie ? Loin d’être uniquement une discipline académique, l’économie du climat aura de plus en plus de poids politique alors que le climat devient un enjeu de société de plus en plus important. Christian Gollier est notamment un des auteurs du groupe III des derniers rapports du GIEC, qui présente une synthèse des travaux scientifiques sur les politiques de réduction des émissions.

J’avais regardé et apprécié plusieurs des conférences de l’auteur, et attendais donc son livre avec impatience. “Le climat après la fin du mois” affiche l’objectif louable mais acrobatique d’être à la fois un livre de vulgarisation et un livre politique. Il y présente les bases de l’économie du climat, mais prend aussi parti pour une seule famille de solutions, donne aussi des opinions beaucoup plus politiques et y règle ses comptes avec un certain nombre de gens ou d’idées.

Si j’en parle ici, c’est que bien que ce livre soit rempli de réflexions intéressantes et animé d’une ouverture appréciable, il m’a aussi laissé avec beaucoup de questions et un agacement tenace. J’y réagis en tant que “citoyen non expert”, public cible semble-t-il. J’ai de bonnes bases en économie et en écologie, mais sans être professionnel et encore moins spécialiste de l’économie du climat. Cet article a donc été relu par plusieurs amis économistes, que je remercie.

1. Les bases de l’économie du climat

Après une présentation classique des grands principes et enjeux du réchauffement climatique, on entre rapidement dans le vif du sujet :

  • le principe des “externalités” : quand les acteurs économiques ne prennent pas en compte les conséquences de leurs actions pour d’autres qu’eux
  • les taxes dites “pigouviennes” qui viennent compenser ces conséquences et suivent ainsi le principe pollueur-payeur
  • l’intérêt du signal prix en soi, qui incite à changer ses achats indépendamment de l’utilisation du produit de la taxe

C’est clair et bien mené. La “solution” naturelle de l’économie est donc de faire payer les émissions par leurs responsables. Pour être le plus efficace, c’est-à-dire pénaliser le moins possible l’activité économique, le montant de la taxe doit être fixé au prix estimé de leurs dégâts (50€/t) .

L’ensemble du livre est en conséquence traversé d’une inquiétude de “trop en faire” qui sonne curieusement par rapport à l’inquiétude face au réchauffement climatique, d’autant plus quand on doute comme moi du prix de 50€/t, qui est ici la limite entre l’action insuffisante et l’action inefficace.

C’est dommage car ce débat est aussi pertinent, par exemple sur l’argent qu’on investit dans les renouvelables pour aujourd’hui un gain climatique infime, que Christian Gollier présente bien. Ce calcul aide aussi à se positionner par rapport aux taxes. Christian Gollier préfère largement les taxes, plus “efficaces” que des normes qui reviennent souvent à payer très cher la tonne de CO2 évité. Les taxes sont aussi moins “autoritaires” car elles portent uniquement sur les émissions (et donc les dommages à l’environnement) sans se positionner sur les usages.

Enfin, faut-il préférer les taxes carbone ou les marchés ? Les différences entre ces deux instruments proches sont bien présentées. Les deux reposent sur le même principe de signal prix, mais suivent des modalités de mise en œuvre et de pilotage différentes.

Christian Gollier considère inéluctable de devoir collectivement se serrer la ceinture d’une manière ou d’une autre, en réponse au signal prix qui rendra les produits polluants (les plus efficaces) plus chers. En particulier il ne compte pas sur les miracles technologiques comme certains de ses collègues facilement caricaturaux, avec une prudence face aux énergies renouvelables justifiée par le coût élevé du stockage.

Ce plaidoyer pour le prix du carbone m’a pourtant laissé avec de nombreuses questions :

  • que devient-il quand on prend en compte les nombreuses limites aux hypothèses d’efficacité des marchés ? (qui sont abordées seulement à la fin du livre)
  • pourquoi ne pas être pigouvien jusqu’au bout et considérer que, s’il faut taxer les gens pour payer des écoles et des hôpitaux, autant taxer des choses nuisibles comme la pollution plutôt que des activités bénéfiques à la société, comme le travail ? Où est la limite ?
  • comment mettre en œuvre concrètement les taxes carbone, présentées mystérieusement comme “transparentes et non manipulables” (p127) ?
  • au-delà des quelques anecdotes qui nous sont présentées, quelles preuves de son efficacité en conditions réelles, en particulier que la taxe “stimulerait l’innovation, les emplois et la croissance, éviterait de faire grossir le secteur public ou de choisir les gagnants et perdants” ?

Mais ce n’est pas mon principal problème avec le prix du carbone …

2. Soit un prix de 50€ par tonne de CO2

“Le climat après la fin du mois” est construit d’une étrange façon. Après avoir présenté rapidement les enjeux du réchauffement climatique, Christian Gollier nous indique que le coût des dégâts climatiques est de 50€ la tonne de CO2, “consensus des économistes” et prix qui permettra d’évaluer les politiques sur le sujet. Après ce tableau des risques plutôt inquiétant, on nous demande donc de croire à un chiffre étonnamment faible ! Pourquoi s’embête-t-on autant si moins d’1% du PIB français suffit à compenser nos émissions ? Cette dissonance ne semble pas dérange l’auteur. Ayant croisé un certain nombre de critiques sur ce genre de calculs, j’ai essayé de retenir mon scepticisme et j’attendais avec impatience le chapitre sur la question … qui n’arrive en fait qu’à la fin du livre ! C’est fâcheux car la plupart de ses raisonnements sont construits sur ce chiffre. J’ai eu le sentiment désagréable de traverser la majorité du livre sans aucune autre perspective ou ordre de grandeur, dans un brouillard complet éclairé seulement par la boussole des 50€/t.

En fait ce livre est rempli d’occasions où l’affirmation d’un moment, souvent partielle ou caricaturale, est très fortement modérée et même parfois contredite quelques pages plus loin. Pourquoi présenter la première conclusion, ou pourquoi ne pas indiquer d’emblée qu’on fait face à un dilemme ? Ces contradictions m’ont rappelé furieusement la manière curieuse dont on apprend l’économie, par rapport aux autres sciences. Par exemple quand on apprend la mécanique newtonienne, on peut lui faire confiance tant qu’on ne regarde pas des objets très petits ou très rapides. Quand on apprend la concurrence pure et parfaite … on apprend aussi un peu plus tard que pour mille et une raisons elle ne s’applique jamais, et plus on creuse plus on s’aperçoit que c’est compliqué et qu’on est loin du modèle basique. Ce qui n’empêchera pas un certain nombre de politiques, “chroniqueurs”, “éditorialistes”, et même parfois “économistes” de l’invoquer à tort et à travers dans le débat public (généralement pour défendre certaines politiques). De même pour beaucoup de “grands principes de l’économie”, dont en plus la validité varie avec le temps et les circonstances, par exemple le risque que les aides sociales désincitent au travail. Pas étonnant que personne n’y comprenne grand-chose et que personne ne soit d’accord. L’économie me semble la seule science où la connaissance des bases peut obscurcir la compréhension du monde au lieu de l’éclaircir. Une excellente raison de rester prudent sur les sujets dont on n’est pas expert, au lieu de proférer des généralités qui feraient frémir ses collègues économistes des communs, de la santé ou du travail :

Les prés communaux ont été privatisés pour mieux les gérer (p86) [historiquement c’est surtout une appropriation par les riches et puissants]
Les gens meurent aux urgences car trop de gens y viennent pour des bobos, étant remboursés par la sécu (p87) [seulement 6% des visites, et les plus courte]
les entreprises n’ont pas intérêt à recruter des travailleurs dont la productivité est inférieure au salaire minimum, ce qui constitue la raison majeure du chômage en Europe (p346) [un combat d’arrière-garde]

3. Économistes VS gilets jaunes

Christian Gollier se plaint à de multiples reprises que “les gens n’aiment pas les économistes”. Il offre pourtant lui-même un certain nombre d’occasions. Celle qui m’a le plus agacé, reprise abondamment tout au long du livre, est de considérer le mouvement des gilets jaunes comme une révolte aveugle contre la taxe carbone. Cette réflexion courante de café du commerce (ou en l’occurrence de la buvette de TSE ?) piétine pourtant le travail de tous les gens qui ont cherché plus intelligemment à comprendre ce mouvement complexe, par exemple ici ou , et elle agace d’autant plus quand elle est assénée par des gens que, sociologiquement, tout oppose à la plupart des gilets jaunes. Et encore plus dans un livre qui en tire manifestent son titre, qu’on attendait beaucoup plus sérieux sur la question. On croule sous les généralisations aberrantes comme :

les gilets jaunes affichaient deux positions absolument contradictoires à ce sujet, puisqu’ils exigeaient que cette taxe soit affectée à des projets de lutte contre le changement climatique et en même temps qu’elle n’augmente pas la pression fiscale (p118)
le mouvement des gilets jaunes s’appuie sur cette fausse idée que la lutte contre le changement climatique pourrait accroitre le bien-être des générations futures en même temps que le leur (p153)
les gilets jaunes revendiquent leur exemption de la taxe carbone parce qu’ils sont trop pauvres pour la payer (p211)

Évidemment, ne vous attendez pas à trouver une quelconque mention de l’ISF ou de tous les autres facteurs qui ont contribué à faire naître ce mouvement. C’est dommage, car à de nombreuses autres occasions l’auteur évite de tomber dans la caricature, par exemple :

la libre concurrence ne génère un optimum social que sous certaines conditions très restrictives, et n’offre aucune garantie sur l’inégalité (p53)

Christian Gollier reconnaît bien l’importance de ce sujet des inégalités, qui est effectivement le cœur de la question des gilets jaunes. Il est pourtant cantonné à un sous-chapitre, qui est excellent, mais qu’on aurait aimé beaucoup plus développé que ses 5 malheureuses pages. La conclusions est expédiée et aussi vite oubliée : il vaut mieux éviter de mélanger les politiques écologiques et redistributives, et il “suffit” de redistribuer pour compenser les effets des taxes. Comment, combien, en particulier quand on va au delà des 50€/t ? On ne le saura pas. Ce chapitre bien documenté laisse penser que Gollier a en fait très bien compris la question des gilets jaunes, mais dans ce cas pourquoi invoquer des caricatures pendant tout le reste du livre ?

J’ai en fait peur que trop souvent l’“éditorialiste” Mr Gollier, habitué des pages opinions d’une presse économique très orientée idéologiquement, prenne le pas sur le docteur Gollier, beaucoup plus rigoureux et politiquement ouvert. Ainsi le premier se positionne trop facilement sur un certain nombre de débats en caricaturant méchamment ses opposants (“concours Lépine”), sans donner une seule chance à leurs arguments. L’analyse se limite à “ils n’ont pas compris l’intérêt du signal prix”. Pour un livre grand public cela me semble à la fois inutile et malvenu. C’est le même éditorialiste qui reprend des affirmations complètement fausses qu’on croise régulièrement dans la presse libérale, par exemple :

le club de Rome prédisait la fin du pétrole pour l’an 2000 (p42) [ce sont les réserves prouvées à l’époque]
la plupart des scientifiques sont beaucoup plus réservés et s’expriment rarement sur le lien nécessairement statistique qui existe entre l’observation d’événements climatiques extrêmes et le changement climatique (p362) [Au contraire]

4. Haro sur la décroissance

En fait, s’il y a quelque chose que Christian Gollier désapprouve encore plus que les gilets jaunes, c’est la décroissance. C’est littéralement le premier sous-chapitre après les bases sur le réchauffement :

Si vous n’êtes pas familier du terme, lisez cet article. La décroissance est ici présentée comme repoussoir par opposition à une politique climatique sensée. Dans l’introduction Christian Gollier s’oppose pourtant aux promesses de “croissance verte”, que reproche-t-il donc à la décroissance ? Tout cela :

les économistes n’émettent pas de jugement sur ce que consomment les gens dès lors que ça n’affecte pas les autres
ils défendent une décroissance des seules consommations qui génèrent plus de coûts sociaux que de bénéfices sociaux
plutôt qu’une sobriété généralisée, il s’agit de rendre la consommation des seuls biens et services générateurs d’externalités négatives plus sobre. On pourrait qualifier cette approche de théorie de la décroissance rationnelle

J’avoue être décontenancé par ces faibles arguments. Toutes les consommations ont un impact écologique, et je ne vois aucune différence de principe avec les positions de la plupart des “décroissantistes” que j’ai pu lire. Ils ont juste une autre évaluation des coûts et bénéfices sociaux : quand Christian Gollier prône une “décroissance sélective” (titre du sous-chapitre suivant), eux estiment que la “sélection” en question sera assez large et la décroissance assez forte pour que l’effet soit général. L’ordre de grandeur change la perspective : cela implique et nécessite des changements sociétaux importants, pas seulement des rustines. Est-ce cela qui repousse l’auteur ?

Il y a pourtant beaucoup de travaux scientifiques passionnants sur la décroissance, qui sont aussi très loin de ces caricatures.

Christian Gollier me semble un décroissantiste refoulé (beaucoup plus que la plupart des économistes de gauche, traditionnellement d’inspiration keynésienne), et je suis perplexe devant la violence de ses avis comme

Entre l'inaction trumpienne et l'apocalypse décroissantiste, il existe un chemin optimal pour réduire nos émissions de CO2.Christian Gollier: "Soyons honnêtes, la transition énergétique nous coûtera à tous de l'argent" | L'Echo https://t.co/OehNw1FzKM

Oui, les verts décroissantistes nous mèneront à la dictature.Il existe aussi un mouvement écologiste compatible avec nos valeurs de liberté et de prospérité. Celui qui soutient l'idée d'un prix pour le carbone. https://t.co/cDXFcHgZfu

Il n’y a pourtant pas de raison qu’un instrument ou un autre change le fond du problème, comme il le dit lui-même :

qu’on en passe par une taxe carbone, des permis négociables, des normes […], tout cela sera attentatoire à notre pouvoir d’achat (p15)

5. Les enjeux politiques

Alors, comment accepter politiquement les efforts nécessaires pour le climat ?

Christian Gollier a raison d’insister sur les sacrifices car ils sont beaucoup trop facilement oubliés dans des programmes politiques remplis de promesses douteuses de transition sans peine. Cependant, s’il insiste si lourdement c’est probablement pour une raison rhétorique qui me semble beaucoup moins innocente : faire porter au “consommateur moyen” la responsabilité de l’inaction climatique. Cette position est affichée plus clairement ailleurs :

Dear @GernotWagner, the question is not whether @exxonmobil likes the carbon tax or not, but rather whether those who will actually pay it, the consumers, like it or not.And yes, no credible policy without first exiting coal."The Exxon Tax" https://t.co/K7iUOzNUVf

On dit souvent en économie qu’“à la fin c’est toujours le consommateur qui paye”, et j’ai peur que cette idée soit appliquée un peu rapidement ici, avec notamment des exemples fallacieux comme les gens qui meurent de faim à cause des biocarburants. Si par exemple le monde de l’aviation fait tout pour éviter les taxes carbone (avec succès jusqu’ici) c’est bien parce que cela coûtera aussi à ses actionnaires et employés. Ils ont d’ailleurs beaucoup plus à y perdre que les consommateurs, qui pourront toujours partir en vacances (80% des vols) un peu moins loin avec des moyens de transport moins carbonés. Et évidemment “le consommateur” de l’aviation n’est pas l’humain moyen, c’est un mode de transport utilisé de manière extrêmement disproportionnée par les riches.

On attend donc avec impatience de savoir qui exactement va devoir se serrer la ceinture … pour apprendre un peu plus tard qu’effectivement les taxes carbone touchent en proportion nettement plus les pauvres que les riches, car ils consomment une plus grande part de leurs revenus et l’utilisent en proportion plus pour l’essence ou le chauffage. On se rend compte aujourd’hui que c’est encore bien pire que ce qu’on pensait, les pauvres payant en proportion de leurs revenus trois fois plus que les riches !

Que pense vraiment le “consommateur moyen” ? On nage ici dans la plus grande confusion, où un jour “les Français” sont opposés à l’écologie alors que quelques pages plus loin ils sont particulièrement motivés :

62% des Français considèrent que la politique à mener pour ces prochaines années doit “donner la priorité au pouvoir d’achat, quitte à aller moins rapidement sur la transition énergétique (p50)
Au niveau politique, les candidats écologistes au premier tour des élections présidentielles n’ont jamais pu jouer autre chose qu’un rôle de figurant (p186)
L’écologie c’est aujourd’hui une préoccupation de “bobos”. Il n’y a pas de forte mobilisation de la société en faveur des générations futures (p187)
l’erreur a été de croire que, comme l’expriment tous les sondages d’opinion depuis des années, l’opinion publique était particulièrement motivée pour agir sur le climat (p191)
on ne peut pas rejeter sur les politiques la responsabilité de l’échec de réformes dont le peuple ne veut pas (p192)
Les Français placent le climat comme leur source d’inquiétude la plus importante (p195)

On peut aussi citer un autre sondage : 53 % des Français pensent qu’il faut complètement revoir notre système économique et sortir du mythe de la croissance infinie. Quasi tous les sondages d’opinion montrent que les Français sont en majorité prêts à agir pour l’écologie (comme le dit l’auteur), mais uniquement si les efforts sont répartis d’une manière considérée comme juste. C’est le point politique fondamental, complètement oublié par l’éditorialiste Gollier, trop occupé à critiquer “le peuple” pour son égoïsme et son inconséquence. C’est dommage que ce concept de justice soit absent, il y a pourtant tout ce qu’il faut pour construire une notion de justice climatique en partant du principe pollueur-payeur qui est aussi la base du raisonnement économique. J’ai du mal à croire que cet oubli, donc la primauté accordée à l’efficacité économique, soit accidentel.

Christian Gollier est très pessimiste sur la démocratie et sa capacité à prendre en compte les intérêts futurs. Il semble donc dans un premier temps adhérer aux idées des très rares tenants de la dictature verte, mais considère que notre seul espoir d’à la fois sauver le climat et échapper à cette dictature verte serait la taxe carbone !

Heureusement la plupart des économistes ne partagent pas cette recommandation attentatoire aux libertés individuelles, mais proposent plus simplement une taxe carbone pour forcer les gens à endosser leur responsabilité envers l’avenir de l’humanité (p190)
La réalité est qu’il n’existe pas d’antidote au mal de l’individualisme dans le respect des libertés individuelles et des principes démocratiques (p192)

La réponse au problème de l’égoïsme était pourtant un peu plus tôt dans le livre, quand Christian Gollier décrit clairement les “problèmes de coopération” comme le dilemme du prisonnier. Pour ces problèmes l’approche individuellement égoïste mène à la catastrophe, et l’action pour le climat en fait partie. Pour prendre un terme qui n’est pas mentionné ici, la majorité des gens sont des “coopérateurs conditionnels” plutôt que des égoïstes : ils sont prêts à des sacrifices pour l’intérêt général s’ils les considèrent justes et réciproques. Cette perspective modère aussi fortement la question de la responsabilité individuelle et la dichotomie simpliste entre action individuelle et collective : pas de salut sans arrangement de société et donc de structure pour l’organiser, pas de coopération si les gens ne sont pas prêts à des efforts individuels. Christian Gollier oublie pourtant d’appliquer ce prisme à de nombreuses occasions à la suite, par exemple les gilets jaunes qui refusent une fiscalité écologique considérée comme injuste. J’ai peur que le choix de voir un sujet comme un problème de compétition ou de coopération soit souvent d’abord idéologique, en fonction du contexte et du résultat du raisonnement.

La chapitre sur la politique se conclut sur un magnifique renversement des responsabilités en associant redistribution et opposition aux efforts !

Il faudra compenser ceux qui ne sont pas prêts à faire des efforts … qui pourraient être convaincus par une fiscalité écologique à fort effet redistributif (p192)

La suite de la réflexion sur la compensation arrive à la fin du livre, avec les considérations sur les gagnants et les perdants et le “constat” qu’en France nous sommes mauvais pour compenser les perdants, alors que cette approche “win/win” permettrait de débloquer les réformes. Là encore le terme qui manque est la justice, et le pragmatisme affiché du principe de compensation des perdants par les gagnants me semble cacher soit une grande naïveté politique, soit un cynisme éhonté. Si je jette mes déchets dans votre jardin, n’est-ce pas “win/win” de me payer pour arrêter ? Va-t-on vraiment vers un monde meilleur si c’est la solution qu’on met en avant ? Ou ne préférez-vous pas qu’en plus d’arrêter je vous compense pour les dégâts, alors que la compensation serait une injustice scandaleuse ? Le statu quo est rarement juste, il est en général à l’avantage des riches et puissants. Les gagnants sont aussi très bons pour définir ce qui est un gain ou une perte, justifier leurs gains, et défendre la solution “pragmatique” qui favorise leur intérêt. En plus sur le sujet du climat ce sont les principaux responsables du problème. Veut-on vraiment les compenser, et par exemple faire pour l’industrie fossile (ce que Christian Gollier suggère) comme autrefois on a compensé les propriétaires d’esclaves ? S’étonnera-t-on de “l’égoïsme” des gilets jaunes qui se révolteront si cela arrive un jour ?

Et les entreprises ? Jusqu’ici Christian Gollier a affiché une forte opposition à toute norme ou autre mesure qui ne passe pas par un prix du carbone, et fait porter l’entière responsabilité du réchauffement et des sacrifices attendus sur les épaules du consommateur. Le dernier chapitre aborde enfin les entreprises. Surprise ! Alors que les consommateurs sont des égoïstes irrémédiablement piégés par la tragédie des communs, Christian Gollier garde espoir que les entreprises pourraient être bien intentionnées :

Il y a donc une place pour la RSE [Responsabilité Sociétale des Entreprise]. J’ai décrit ailleurs la possibilité de faire appel aux motivations intrinsèques de gens, en terme d’image de soi ou d’amour propre, pour les inciter à faire le bien. La RSE participe du même mécanisme fondé sur le désir de certaines entreprises à faire le bien sans que cela soit directement motivé par la recherche du gain. (p339)

J’avoue avoir éclaté de rire en lisant ce passage. Dans l’histoire de l’écologie les entreprises ne se sont certainement pas caractérisées par leur altruisme …

Le reste du chapitre présente de manière factuelle les limites du libéralisme, les enjeux de la RSE, de la “finance responsable”, et la responsabilité salariale. Ses résultats ne font pas plaisir, comme les fuites entre pays dans une économie ouverte ou l’intérêt financier d’être un investisseur irresponsable …

6. Accord de Paris et politique climatique internationale

Nul n’est prophète en son pays : j’ai trouvé Christan Gollier beaucoup plus clairvoyant sur les questions internationales que pour la France, et ce chapitre est particulièrement bien documenté et efficace. Il présente :

  • la disparité internationale des opinions publiques et des politiques sur la question
  • la “tragédie des communs” et les fuites de carbone entre pays
  • l’histoire des accords internationaux
  • les limites de l’accord de Paris, qui n’impose aucune contrainte aux Etats
  • les complexités de l’application du prix du carbone à l’international
  • les enjeux de responsabilité, de distribution et de développement
  • le concept de justice climatique
  • les compensations entre pays
  • le projet de coalition volontaire de pays pour le climat
  • les principes du droit climatique

J’avoue avoir été frappé par le point auquel ce chapitre montre en creux les faiblesses des réflexions sur la France. Quand l’éditorialiste Gollier est mis au placard, le professeur Gollier peut être très bon. La justice climatique arrive enfin : il n’y a pas de raison que les riches aient droit à une plus grande part d’atmosphère que les pauvres, et que les déséquilibres énormes d’émissions soient un obstacle aux accords internationaux. L’auteur reconnaît aussi les problèmes que peut causer un prix unique du carbone entre des pays riches et pauvres, et propose un système de compensation fondé sur ce prix. Merci ! Il y admet même que la mise en place serait extrêmement complexe. Il ne reste plus qu’à réaliser que les États ne sont pas peuplés d’“individus moyens”, et appliquer la même réflexion au débat national et aux gilets jaunes … C’est aussi dans ce chapitre que sont mentionnés pour la première et seule fois (p228) les lobbies, qui en l’occurrence sont accusés par l’auteur de bloquer les réformes du marché européen du carbone ! Découvrira-t-on un jour que ce ne sont pas les gilets jaunes qui ont financé des décennies de climato-scepticisme et d’obstruction politique ?

7. Le coût du carbone

Nous arrivons enfin au prix du carbone à l’avant-dernier chapitre, au titre provocateur “en ferions-nous trop pour les générations futures ?” Comme le dit l’auteur :

50 euros par tonne de CO2 […] cette valeur constitue la clé de voûte de toute politique climatique, comme il apparaît clairement dans ce livre

Je vais donc entrer un peu plus dans le détail, et présenter les enseignements de ce chapitre selon les principales questions soulevées par le calcul de ce prix.

7.1 Que mesurer ?

L’objectif de l’économie est d’optimiser le “bien-être social”, mais comment le mesurer ? Et comment additionner les mesures de bien-être individuel ? Christian Gollier rappelle les principes de calcul du “coût de la vie” (qui souffre pourtant du problème précédent : pourquoi devrait-il être une moyenne nationale ?), et note qu’il est proportionnel au PIB.

Le problème de l’inégalité (qui revient à arbitrer entre le yacht de Bill Gates et la vie de quelques milliers de Nigériens) est détourné par l’argument très discutable que les pauvres préféreraient dépenser l’argent autrement que pour le climat. Ce sont majoritairement les riches qui polluent : il ne s’agit pas de choisir entre donner de l’argent aux pays pauvres pour qu’ils se développent ou pour qu’ils réduisent leurs émissions, mais de réduire les émissions des pays riches dans tous les cas. Je trouve cette rhétorique particulièrement perverse, elle prend l’inégalité du monde comme justification des faibles efforts pour les pauvres, ce qui ne fera qu’empirer cette inégalité.

Pour résoudre ce dilemme l’auteur présente le principe de l’utilitarisme : considérer qu’un même euro est plus utile à un pauvre qu’à un riche. Il repousse néanmoins (très rapidement) une société 100% égalitaire pour des questions d’incitation au travail et à la création de richesse. Quel est le bon niveau ?

Christian Gollier affirme que plus on est riche, plus le réchauffement climatique peut coûter cher. C’est peut-être vrai en valeur absolue (un cyclone aux États-Unis coûte plus cher en dollars qu’un cyclone au Bangladesh) mais cela masque le fait principal : les pays pauvres sont de loin les plus fragiles face au réchauffement climatique.

L’auteur accepte sans détours la faiblesse du PIB pour mesurer le bien-être social et admet qu’on ne sait pas donner de valeur à la nature ou à la biodiversité. Il rejette à raison les arguments de type “la vie à tout prix” et reconnaît les limites éthiques énormes sur le sujet, mais pense qu’il faut quand même agir en fonction de cette sorte de mesure, à défaut d’avoir mieux, en essayant de corriger leurs biais comme on peut.

A quel point les modèles économique sont-ils utilitaristes ? J’ai un peu cherché et c’est, semble-t-il, très variable en fonction du choix des auteurs, tout comme la plupart des paramètres du modèle. On n’en saura malheureusement pas plus, notamment quel réalignement a été effectué pour arriver aux 50€/t.

L’exemple proposé d’analyse coûts-bénéfices de la réduction de la vitesse sur routes est très intéressant. Christian Gollier note que le coût principal est celui du temps, et préfèrerait d’ailleurs une valeur encore plus élevée pour ce temps. C’est pourtant la raison pour laquelle des experts du sujet mettent en doute ce calcul, car à long terme les temps de trajet sont stables, les gens choisissant juste de voyager un peu moins loin. Si vous pensiez qu’il suffit simplement de comparer des coûts c’est un peu plus compliqué, un résultat peut être vrai à court terme et faux à long terme. C’est la même chose pour le calcul des coûts des différentes sources d’énergie, qui n’ont de sens que dans leur système.

7.2 Comment calculer les dégâts ?

Christian Gollier reconnaît l’incertitude et les divergences énormes sur ce calcul, sans rentrer dans le détail. Pourtant l’intervalle indiqué, 1–5% de PIB pour un réchauffement de 4°C, laisse dubitatif. Pourquoi s’embêter autant si le scénario du pire coûte aussi peu ? Comment le concilier avec par exemple

cela impliquera un changement assez radical des modes de vie (p363)

Par ailleurs, pourquoi compter en PIB alors qu’on vient de présenter les limites de cette mesure, combien de morts dans des pays pauvres cela inclut-il ? Je ne sais pas à quel point ces résultats sont le “consensus” des économistes. Par exemple une étude récente appréciée par Christian Gollier cite d’autres publications avec des résultats beaucoup plus élevés, par exemple 10% du PIB pour 3°C.

Je note que ces estimations initiales ont été violemment critiquées par des climatologues, et aussi très discutées dans le monde de l’économie.

Je suis sûr que Christian Gollier connaît ces débats. Pourquoi reprend-il des chiffres aussi bas sans mettre le sujet sur la table ? Amis climatologues, nous savons qu’il y a des incertitudes énormes sur les scénarios de réchauffement, mais pouvez-vous donner des “ordres de grandeur” de ce qu’on risque ? Les économistes, eux, ne s’en privent pas, et pèsent ainsi beaucoup plus dans le débat public. Par exemple (proposition personnelle non scientifiquement contractuelle) : à +6°C la France risque de ressembler à l’Algérie d’aujourd’hui, avec une majorité du pays désertique et une petite bande méditerranéenne au nord. Le lecteur avisé comprendra très bien que ça ne colle pas vraiment avec une réduction de PIB de seulement 8% par rapport à un scénario sans réchauffement, et encore moins quand on imagine les conséquences politiques de cette transformation, en France et ailleurs.

Par ailleurs les dégâts sont calculés en 2100 pour la plupart des modèles, mais en fait le réchauffement climatique fera sentir ses effets pendant très longtemps. Dans une étude récente qui ressemble très fort à une attaque sur le principe du calcul, des chercheurs estiment un coût à très long terme de 100 000$ par tonne …

7.3 Comment compter les risques catastrophiques par rapport au scénario moyen ?

Christian Gollier reconnaît bien l’incertitude énorme sur les dommages, mais n’aborde pas clairement la distribution des risques. C’est dommage, il semble attaquer une caricature du catastrophisme éclairé de Dupuy pour balayer la question :

cette approche catastrophique du réchauffement climatique n’a pas de fondement scientifique (p276)

Il n’y a pourtant pas forcément besoin de science complexe pour expliquer le principe : par exemple s’il y a 1% de chance qu’on se dirige vers une “planète étuve” majoritairement inhabitable par l’Homme et irréversible, on devrait être prêt à payer très cher pour diminuer ce risque, quel que soit le scénario moyen. C’est aussi le cœur du travail d’un des plus célèbres économistes du climat, Martin Weitzman, qui note que la distribution des risques climatiques est foncièrement déséquilibrée vers la catastrophe en raison de l’incertitude sur les boucles de rétroaction. Gollier revient pourtant à la même idée un peu plus loin à travers son article sur la “valeur d’option réelle”, et note l’intérêt du principe de précaution face à l’incertitude scientifique.

7.4 Comment compter des coûts aujourd’hui par rapport à des bénéfices futurs ?

Ou, en d’autres termes, à quel taux actualiser les bénéfices futurs ? Ce paramètre est l’un des plus importants, de petites différences de taux pouvant avoir un effet gigantesque au bout de plusieurs décennies.

Christian Gollier est un spécialiste de la question et nous présente l’équation de Ramsey, qui est une règle éthique pour calculer un taux d’intérêt en fonction de la préférence pour le présent, la croissance économique, et l’aversion aux inégalités entre générations. Sans surprise il y a de nombreux débats sur la question, qui expliquent en majorité les différences entre les résultats les plus célèbres, par exemple de Stern ou Nordhaus. Christian Gollier défend d’ailleurs une position éthiquement progressiste (et semble-t-il minoritaire même si c’est celle de Ramsey) : considérer la préférence pour le présent comme nulle quand il s’agit de choix de société, c’est-à-dire qu’on ne doit pas préférer notre bien-être à celui des générations futures. Après avoir expliqué les principes de l’estimation de l’aversion aux inégalités, il se positionne pour un taux d’actualisation de 4% qui correspond à un taux de croissance futur de 2%, et une aversion moyenne aux inégalités. C’est aussi le taux moyen obtenu par un sondage d’économistes réalisé en 1998, mais le sondage dans l’étude récente déjà citée est beaucoup plus bas (médiane à 2,5%).

J’ai beaucoup de mal avec ce raisonnement sur l’égalité portant sur des “humains moyens” purement fictifs. Les responsables du réchauffement climatique sont très largement les riches, alors que ses victimes futures seront principalement des pauvres, qui sont très loin de rattraper le niveau de vie des premiers. L’argument égalitariste devrait donc au contraire plaider pour plus d’action pour le climat. Ce calcul semble pourtant la méthode la plus populaire pour estimer les taux d’intérêt, ai-je mal compris quelque chose ?

Les 4% de Christian Gollier rejoignent les 4% observés en moyenne sur les marchés, et l’auteur se félicite de cette heureuse coïncidence … pour reconnaître juste après que ce résultat “repose sur du sable”, celui de prévisions de croissance à 100 ans. Il propose deux raisonnements pour mieux maîtriser cette incertitude : la réduction du risque (baisser le taux par précaution, mais pourquoi cela ne devrait-il pas être compris dans la fonction de dommages ?) et l’effet d’assurance (les dégâts diminuent aussi s’il y a moins de croissance, donc ce n’est pas si rentable d’être prudent), qui ont des effets opposés et se neutraliseraient. Le problème de ces raisonnements est qu’ils reposent eux aussi sur des scénarios de croissance : l’hypothèse de précaution est une croissance de 1% par an au lieu de 2%, mais que se passe-t-il si nos enfants sont moins riches que nous (par exemple à cause de la fin de l’énergie pas chère ) ? De même l’effet d’assurance est étudié en partant d’une distribution de croissance ... J’ai donc du mal à suivre la conclusion que cela rend le taux de 4% “solide” .

7.5 Comment le prix du carbone doit-il évoluer ?

On l’apprend ici avec surprise et irritation : ce prix présenté comme une référence tout au long du livre doit augmenter pour de nombreuses raisons, notamment la croissance exponentielle des dégâts climatiques et la répartition progressive de l’effort. Le rapport “Quinet 2” sur la politique climatique française recommande un prix de 775€/t pour 2050 ! Dans ce cas, quel sens y a-t-il à invoquer régulièrement ce faiblard 50€/t pour juger d’investissements sur des décennies, comme :

à 50€/t de CO2 le gaz reste une source d’énergie socialement désirable (p352)

Quand on construit une centrale ou un gazoduc c’est pour au moins 50 ans. Quand on équipe un bâtiment c’est pour encore plus. Même une chaudière c’est au moins 10 ans. Et pourquoi s’inquiéter autant de mesures un peu plus chères, ce qui revient juste à prendre quelques années d’avance sur le planning de réduction ? L’auteur est particulièrement remonté contre les normes imposées à l’automobile, mais entre les durées de R&D et le temps de renouvellement du parc on les comprend beaucoup mieux.

En plus, Christian Gollier remarque que cette augmentation très rapide implique une insuffisance des efforts à court terme, à moins de compter sur des hypothèses très optimistes d’”innovations vertes” qui viendraient réduire fortement le coût des efforts climatiques futurs. Rappelons que l’auteur était plutôt sceptique sur ce scénario quelques chapitres plus tôt, notamment en raison du problème de l’intermittence qui grève sérieusement les scénarios de transition énergétique par les renouvelables (p172) et pour lequel on ne voit pas de bonne solution à l’horizon. Il indique ici (p323) qu’il a réalisé des études qui justifient ce pari technologique. J’avoue être dubitatif : Christian Gollier n’est pas chercheur dans l’un des nombreux domaines techniques liés à l’énergie, et n’a pas plus de boule de cristal sur les progrès technologiques futurs que vous et moi. Prolonger certaines tendances peut être facilement trompeur, par exemple le coût au MWh des énergies renouvelables qui oublie toute considération systémique.

7.6 Quelle priorité politique ?

La question n’est pas posée explicitement, mais ce chiffre de prix du carbone doit-il prendre le pas, comme cela est sous-entendu tout au long du livre, sur des objectifs politiques comme par exemple limiter le réchauffement à 2°C ou atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Christian Gollier reconnaît à la fin que son 50€/t est insuffisant pour atteindre ces deux objectifs, et il qualifie d’ailleurs la cible de 1,5°C de “ridicule”, ce qui fera sans doute plaisir aux climatologues …

L’auteur reconnaît explicitement le dilemme politique pour le taux d’actualisation :

il faudrait être fou pour prétendre fonder nos responsabilités envers les générations futures sur une règle de Ramsey qui suppose une croissance certaine pour toujours (p304)

Effectivement, et ce n’est pas le cas que pour la règle de Ramsey mais pour tous les éléments du calcul du prix du carbone, qui sans exception souffrent d’incertitudes gigantesques et insolvables. Le résultat combiné de toutes ces incertitudes peut-il vraiment être considéré comme “raisonnable”, qualificatif employé par l’auteur pour son prix de 50€/t ? Peut-on les réduire sans faire appel à une boule de cristal, sans parler de questions éthiques qui n’auront jamais de réponse indiscutable ? Cette critique existe déjà dans la littérature économique, mais elle me semble très minoritaire malgré les interrogations fugaces des auteurs principaux sur la normativité de leurs résultats.

Corollaire de cette incertitude : on peut choisir les paramètres du modèle pour obtenir le résultat qu’on veut, qu’il soit de plus ou moins agir. On peut donc aussi piocher dans la littérature scientifique pour justifier n’importe quelle position. Seuls les experts seront capables de tirer les fils pour comprendre pourquoi deux études utilisant le même modèle arrivent à des recommandations radicalement différentes.

Après la lecture de ce chapitre je ne peux que me féliciter d’avoir été sceptique de ce prix de 50€/t pendant la majorité de la lecture, et je regrette d’autant plus que Christian Gollier n’ait pas choisi d’aborder la question plus tôt pour éclairer le lecteur sur le niveau d’incertitude autour du prix “efficace” du carbone. Évidemment, cela aurait aussi fortement modéré un certain nombre de conclusions de ces chapitres précédents …

La question se pose d’autant plus quand l’ordre de grandeur de 50€/t repose sur des hypothèses qui semblent très discutables, et alors qu’un certain nombre d’études récentes aboutissent à des résultats très différents :

An emerging literature is starting to accumulate and shows that the cost of action is lower than the cost of inaction.see: (1/N)Hänsel, et al. 2020. " Climate Economics Support for the UN Climate Targets ". Nature Climate Change 1 9. https://t.co/02zrWA8aXz.

Je ne sais pas à quel point ces nouveaux résultats représentent un changement de position de la majorité des économistes, en tout cas cela n’a pas encore vraiment atteint le débat public et le reste du monde de l’économie. Ainsi une publication récente de la Banque de France part d’un “consensus des économistes” d’une baisse de 8% du PIB pour un réchauffement de 6°C …

Il n’y a pas de réponse absolue à la question politique, et Christian Gollier affirme qu’“il faut prendre des décisions en situation d’incertitude”. Certes, mais on n’est néanmoins pas obligé de fonder ces décisions sur de mauvaises normes. En réfléchissant à la question j’ai revu cet article sur les effets de réchauffement de l’aviation (qui sont au total environ trois fois celui du kérosène brulé), dont voici le résultat :

Pour résumer, l’aviation cause environ 4% du réchauffement de l’humanité, avec une barre d’erreur entre 2% et 6%. Si la barre d’erreur était entre 1% et 99%, ce résultat aurait-il un sens ? Serait-il un bon guide pour réduire les émissions de l’aviation ? Aurait-il même été publié ?

J’aurais tendance à penser que la bonne norme dans cette situation d’incertitude radicale (terme que Christian Gollier utilise en conférence mais pas dans le livre) doit être principalement éthique (comme le principe de précaution) plutôt qu’un calcul de prix qui devrait passer au second plan. Peut-on fiabiliser le calcul de prix en utilisant des hypothèses très prudentes (dans le sens de la prise en compte des risques), comme cela semble le cas dans les études plus récentes indiquées plus haut ? C’est certes mieux, mais cela ne nous dit que ce qu’on a déjà déterminé par ailleurs : qu’on devrait faire des efforts importants pour limiter le réchauffement à +2°C au maximum.

Cela ne veut pas dire renoncer aux taxes carbone ou aux analyses économiques sur les meilleurs moyens de réduire nos émissions. Il n’y a pas de raison de reprocher aux économistes d’utiliser leurs outils, en revanche on peut s’interroger sur le poids politique de leurs résultats par rapport à d’autres disciplines, d’autant plus quand ils ne présentent pas clairement les limites de ces résultats. Il est indispensable de préciser clairement ces hypothèses et limites si on ne veut pas que le débat soit confisqué par des experts. A ce sujet je reste fasciné par Nordhaus qui, après avoir annoncé que le réchauffement “optimal” est de 4°C, regrette que les États ne fassent pas assez pour le climat… Finissons par cette citation de Keynes, qui reste toujours d’actualité :

les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière

8. Conclusion

Je ressors de ce livre avec un sentiment mitigé. Le professeur Gollier, celui que j’avais vu en conférence, peut être passionnant, mais je n’aime pas du tout l’éditorialiste Gollier. Si j’ai pu être très négatif sur un certain nombre d’aspects du livre, il faut quand même en souligner la largeur, ainsi que la qualité d’un certain nombre de passages. J’ai pourtant aussi laissé un certain nombre de remarques de côté.

“Le climat après la fin du mois” est une bonne présentation à la fois des intérêts de l’économie climatique et des modes de pensée des économistes, mais aussi involontairement de leur limites et faiblesses. Le prix du carbone peut être un bon outil … mais il faut bien prendre en compte toutes ses conséquences, et ses effets sur les inégalités. Toutefois il souffre de trop d’incertitudes insolvables pour être un bon guide des choix de société à long terme, en particulier du niveau “optimal” d’effort pour le climat.

Le problème de structure sur le prix du carbone et l’omniprésence de réflexions politiques ruinent malheureusement les ambitions pédagogiques de ce livre. On aurait pu suivre un cours où l’on progresse peu à peu dans la connaissance, sauf qu’ici les conclusions politiques sont annoncées et déterminées dès le début. On en est réduit à suivre un “déroulement logique” qui passe par de nombreuses inexactitudes embarrassantes et évite soigneusement de remettre en question ces conclusions. Ce raisonnement ne convaincra que ceux qui sont déjà d’accord ou adhèrent à une idéologie compatible.

Ce n’est pas un hasard si Christian Gollier est un habitué des pages opinions des Échos, qui ne le publient pas pour la beauté du débat d’idées. Demander des efforts modestes pour le climat et la compensation des entreprises polluantes est un positionnement très clair sur les gagnants et les perdants, quel que soit le raisonnement économique qui vise à les justifier. Je n’ai pas de raison de penser que Christian Gollier soit mal intentionné, je pense même qu’il l’est plutôt bien. Est-il trop habitué à écrire dans ces journaux qui font preuve d’un esprit critique très sélectif ? Je ressors malheureusement avec l’impression d’avoir vu un apprenti sorcier qui voudrait être roi et j’ai une certaine inquiétude que cet état d’esprit prévale dans les travaux du groupe 3 du GIEC.


Le climat après la fin du mois, Christian Gollier was originally published in Enquêtes écosophiques on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.

28.10.2020 à 15:31

Le problème avec l’article du Guardian sur le méthane océanique

Emmanuel Pont

Texte intégral (990 mots)

The Guardian vient de publier un article sur le méthane océanique, qui a fait amplement réagir dans la communauté de l’écologie :

Des gisements de méthane gelés dans l'océan Arctique - connus sous le nom de " géants endormis du cycle du carbone " - commencent à être libérés. C'est un gaz 28 fois plus puissant que le CO2.Est-ce que nos politiques ont bien compris où était la crise ? https://t.co/M3DpJ0kTht

Plusieurs climatologues réputés ont aussitôt répondu pour dénoncer l’alarmisme de cet article :

A massive international team of researchers recently published a major assessment of global methane emissions, using a combination of site-specific data and satellite measurements. They found - as of 2017 - that there was no detectable increase in Arctic methane emissions. https://t.co/qQmi5gIKvW pic.twitter.com/sIijjPErwf

Cet article (alarmiste) ne s'appuie sur aucune publication scientifique. Il n'y a pas d'évidence pour l'instant d'une augmentation des émissions de méthane en Arctique. Voir https://t.co/YpadTMC7pA https://t.co/b6byjEzQIU

J’avoue avoir été étonné par ces réactions, les émissions de méthane jusqu’en 2017 ne sont pas le sujet, c’est le début forcément faible d’un phénomène, et l’article du Guardian cite les scientifiques impliqués qui disent à peu près la même chose :

At this moment, there is unlikely to be any major impact on global warming
The scientists stressed their findings were preliminary

Qu’en penser donc ? Les climatologues sont-ils des “rassuristes” ? Après discussions avec mon ami Loïc Giaccone, je vous livre nos réflexions.

Il n’y a rien de faux dans l’article, mais en fait il manque le contexte, à la fois dans l’article et dans les réponses :

  1. La boucle de rétroaction du méthane océanique est connue depuis longtemps. On estime que son effet sera modeste, notamment en raison de la lenteur du phénomène. L’hypothèse d’un dégagement brutal semble très peu probable.
  2. L’existence de “points de bascule” ou de “boucles de rétroaction” n’implique (très probablement) pas l’apocalypse, par contre ce sont quand même des problèmes sérieux car ils vont rendre de plus en plus difficile de stabiliser le climat. Pour en savoir plus lisez cet article de Loïc.
  3. Cela fait des années que sont mesurés des dégagements ponctuels de méthane, certains ayant lieu depuis des millénaires, qui semblent marginaux et ne viennent donc pas remettre en cause les connaissances actuelles
  4. Les mesures préliminaires présentées dans l’article sont peut-être “significativement plus importantes que ce qui a été mesuré jusqu’ici”, mais il faudra attendre la version publiée et l’analyse scientifique pour vraiment en comprendre la portée (qui n’est pas forcément importante). Ce que disent aussi les scientifiques dans l’article :
The scale of methane releases will not be confirmed until they return, analyse the data and have their studies published in a peer-reviewed journal.

Le principal problème avec l’article du Guardian est donc plutôt journalistique :

  • ne pas rappeler les bases scientifiques, mais décrire uniquement le risque
  • publier ce résultat comme si c’était la première mesure d’échappement de méthane océanique
  • publier un résultat préliminaire qui pour l’instant n’apporte rien de nouveau
  • présenter le tout sous un titre ambigu, qui sera très largement compris comme annonciateur d’une catastrophe

Ce problème journalistique est subtil : quand on a le contexte scientifique en tête, l’article est correct (mais du coup pas très intéressant). Quand on ne le maîtrise pas, comme la majorité des lecteurs, c’est une annonce de catastrophe. Le Guardian sait probablement très bien ce qu’il fait, et a construit l’article pour créer un sentiment anxiogène. Il est donc tout à fait raisonnable de l’accuser d’alarmisme, et on comprend beaucoup mieux pourquoi des climatologues y ont réagi (même si leur réponse n’éclairera pas forcément leurs lecteurs).

Après, l’alarmisme est-il un bon moyen d’alerter sur le risque du réchauffement climatique ? C’est un autre débat pour un autre jour.


Le problème avec l’article du Guardian sur le méthane océanique was originally published in Enquêtes écosophiques on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.

26.06.2020 à 18:20

Faut-il critiquer les propositions de la convention citoyenne pour le climat ?

Emmanuel Pont

Texte intégral (1672 mots)

Faut-il critiquer les propositions de la convention citoyenne pour le climat ?

Depuis une semaine ces propositions font les gros titres et déchainent les télécrates habituels. Malgré d’évidentes bonnes intentions, faut-il s’arrêter sur les limites du travail ? Mes réflexions pas encore tranchées sur la question.

Pitié, avant de dire n’importe quoi sur le sujet, lisez au moins la liste rapide des propositions (5 minutes de lecture), ou le détail sur https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/

On n’en parle pas assez, mais il faut reconnaître les réussites de cet exercice.

150 pékins tirés au hasard et représentatifs de la population française sont assez touchés par le problème pour proposer en 6 mois un programme qui fait hurler de rage de nombreux défenseurs du statu-quo, et qui va beaucoup plus loin que les mesures ridiculement insuffisantes/hypocrites de notre gouvernement actuel. “Beaucoup ont pris une gifle en découvrant l’ampleur des défis climatiques. Beaucoup ont changé de point de vue, voire de métier !

Mieux, ils ont évité de tomber dans la fable éco-scientiste, doctrine dominante qui aujourd’hui de toute évidence ne marche pas, et qui ressemble de plus en plus à une vilaine excuse pour ne rien faire. La convention a su sortir du débat purement technologique et tendre vers la question politique importante : la société dans laquelle nous voulons vivre. Effectivement, quand les critiques crient aux “khmers verts décroissants”, ils ont très bien compris la menace envers le statu-quo économique et sociétal. La position de la convention confirme les sondages : la majorité des gens semble avoir compris qu’il faudra de toute façon se serrer la ceinture, et qu’il vaut mieux choisir intelligemment comment plutôt que se le laisser imposer par certains intérêts économiques ou des catastrophes écologiques. En l’occurrence la “sagesse populaire” (qui n’est pourtant pas toujours au rendez-vous sur l’écologie) a largement dépassé les éditocrates parisiens.

Enfin la convention a su proposer un large panel de mesures. Ce n’est pas suffisant pour éviter que les médias fassent un totem d’une seule, mais cela signifie bien qu’il n’y aura pas une solution magique unique, que la réduction des émissions concernera la majorité de notre société et de notre mode de vie. Tout mesure prise seule est évidemment insuffisante.

Si l’objectif de la CCC était de faire bouger les lignes, bousculer un débat enlisé, et enfin donner une légitimité politique à la décroissance (car au delà du vilain mot c’est bien ce dont il s’agit quand on veut revoir les priorités de notre mode de vie), c’est une extraordinaire réussite. Et même si les médias insistent lourdement sur la mesure la moins populaire, les autres sont largement soutenues.

Après je m’interroge, dans ce cas n’aurait-il pas été préférable de mettre franchement les pieds dans le plat et proposer des mesures qui répondent vraiment à l’objectif, aussi impopulaires soient-elles ? Par exemple :

Maintenant, quand on se penche sur le détail des mesures, à la fois sur le fond et sur leur applicabilité juridique (à lire pour chaque proposition sur le site, par exemple pour l’écocide), il y a beaucoup à redire. Cela n’empêche pas d’apprécier la démarche, mais si l’exercice était de trouver un compromis entre acceptabilité politique et efficacité des mesures je ne le trouve pas si réussi, tout du moins sur ce second point.

Je vois quatre grandes catégories de problèmes :

  1. De nombreuses mesures sont en l’état trop vagues pour être traduites en droit, ou incompatibles avec certains points de la constitution ou des réglementations existantes. Le site contexte propose une revue transverse, mais les analyses du comité légistique de la convention semblent plus précises et plus négatives. J’avoue que les objections fortes soulevées me laissent interloqué : les membres de la convention ont-ils pu échanger avec ces juristes avant de rendre leur copie ?
  2. Ces mesures ne sont pas chiffrées, et me semblent très en deçà de leur objectif d’une réduction des émissions de 5% par an (excellent objectif, dont il faudrait plus parler). Le seul “chiffrage” qui existe est un nombre d’étoiles dans le rapport final, assorti d’un bref commentaire qui va ici encore parfois à l’encontre des recommandations (“L’impact de ces propositions sur les émissions sera sans doute limité car les emballages uniques représentent une part faible des émissions, et les alternatives sont parfois tout aussi carbonées, voire davantage.”) Même interrogation : les membres de la convention ont-ils pu échanger avec les auteurs du “chiffrage” ?
  3. Les propositions semblent très cosmétiques et beaucoup plus proche du programme de certaines ONG / lobbies que des recommandations étayées. On en croise à la fois des extrêmement larges (trop vagues) et des portant sur des points de détail. Je ne sais pas si mon échantillon est représentatif, mais je n’ai pas croisé un seul expert d’un sujet qui trouve que les recommandations sur son domaine sont pertinentes, à part ceux qui ont directement participé à la convention (et encore).
  4. Quitte à mettre les pieds dans le plat, pourquoi choisir de mettre de côté les sujets qui fâchent comme le nucléaire ou les taxes ? Il y aurait un vrai débat démocratique à avoir dessus au lieu de les fourrer une fois de plus sous le tapis et laisser la place aux caricatures habituelles. Ce sont pourtant des choix importants pour la décarbonation, et je regrette le rejet général de l’outil taxe. 6 mois à part temps sont-ils assez pour se faire un avis ? je ne suis pas sûr.

J’aurais aimé différencier clairement les critiques construites des attaques ridicules au nom de la liberté et autres accusations de “khmers verts”, mais les secondes s’appuient en général sur les premières et sont donc un peu moins nulles que ce à quoi je m’attendais. Je ne m’étendrai pas sur les sophismes habituels comme la privation de liberté ou le faible poids de la France, qui ont été mille fois détruits et ne s’adressent plus qu’aux déjà convaincus.

Je partage le désir que ces propositions soient traduites en lois et décrets efficaces et se révèlent le début d’une vraie transition vers une société plus soutenable, mais en fait j’ai peur pour la suite. Peur que la reprise “sans filtre” de ces propositions se traduise en lynchage public et en débats toujours plus clivants. Peur que les mesures les plus pertinentes du lot soient noyées dans le bruit autour des plus emblématiques. Peur que le gouvernement se serve des critiques légitimes envers certaines mesures pour exclure toutes celles qui l’embêtent. Peur que celles mises en place ne soient que des lois cosmétiques de plus, ou des usines à gaz nuisibles. Peur que l’exemple de cet exercice de démocratie participative ne serve à tuer les initiatives en la matière. Peur qu’il soit transformé en un sondage de luxe sur ce que les gens sont prêts à accepter pour sauver le climat.

Je ne veux pas jeter la pierre aux participants, qui ont fait de leur mieux avec les faibles moyens et le très faible temps qu’ils ont eu à leur disposition. Mais malheureusement les bonnes intentions ne suffisent pas.

Après je remarque qu’aujourd’hui la plus grande controverse, la vitesse sur autoroute, n’est pas sur le fond (qui est peu discutable, avec une subtilité) mais sur l’acceptabilité politique. Avec ce résultat pour l’instant surprenant que la majorité des gens sont pour les mesures de la convention, sauf l’abaissement de vitesse. Je ne prétends donc à aucune conclusion généralisante, et reste dans l’interrogation.


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