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16.07.2025 à 16:41

La montée du fascisme de la fin des temps

Naomi Klein · Astra Taylor

L'idéologie dominante de l'extrême droite est devenue un survivalisme monstrueux, destructeur et suprématiste, expliquent Naomi Klein et Astra Taylor dans un article récent devenu incontournable, dont Terrestres publie la traduction en français. Elles appellent à construire un mouvement suffisamment fort pour l'arrêter.

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Texte intégral (10347 mots)
Temps de lecture : 26 minutes

Traduction réalisée par Nicolas Haeringer de « The rise of end times fascism », un article de Naomi Klein et Astra Taylor paru dans The Guardian le 13 avril 2025.

La mouvance des cités-États privées n’en croit pas ses yeux1. Pendant des années, elle a défendu l’idée radicale que les ultra-riches, rétifs à l’impôt, devraient créer leurs propres fiefs high-techs – qu’il s’agisse de pays entièrement nouveaux sur des îles artificielles dans les eaux internationales (des « implantation maritimes ») ou de « villes libres » dédiées aux affaires, telles que Próspera, une communauté fermée adossée à un spa de l’ouest sauvage sur une île du Honduras2.

Pour autant, en dépit du soutien de figures majeures du capital-risque telles que Peter Thiel et Marc Andreessen, leurs rêves libertariens radicaux ne cessaient de s’enliser : il semble que la plupart des riches qui ont un peu d’estime d’eux-mêmes ne souhaitent en réalité pas vivre sur des plateformes pétrolières flottantes, même s’ils y paieraient moins d’impôts. Quand bien même Próspera serait un lieu de villégiature agréable, propice à des « améliorations » physiques3, son statut extra-national est actuellement contesté devant les tribunaux.

Ce réseau autrefois marginal se retrouve aujourd’hui brusquement à frapper à des portes grandes ouvertes, au cœur même du pouvoir mondial.

Le premier signe que la chance tournait remonte à 2023, quand Donald Trump, alors en pleine campagne, sortait de son chapeau l’idée d’organiser une compétition, qui déboucherait sur la création de dix « villes libres » sur des terres fédérales. À l’époque, ce ballon d’essai est passé inaperçu, noyé dans le déluge quotidien de déclarations outrancières. Mais depuis que le nouveau gouvernement a pris ses fonctions, ceux qui aspirent à créer de toutes pièces de nouveaux pays mènent une campagne de lobbying intense, déterminés à ce que l’engagement de Trump devienne réalité.

« À Washington, l’ambiance est vraiment électrique », s’est récemment enthousiasmé Trey Goff, le secrétaire général de Próspera, après s’être rendu au Capitole. La législation ouvrant la voie à de nombreuses cités-États privées devrait être finalisée d’ici la fin de l’année, affirmait-il alors.

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Inspirés par leur lecture tronquée du philosophe politique Albert Hirschman, des personnalités comme Goff, Thiel et l’investisseur et essayiste Balaji Srinivasan promeuvent ce qu’ils appellent « l’exit » – soit le principe selon lequel ceux qui peuvent se le permettre auraient le droit de se soustraire aux obligations de la citoyenneté, en particulier aux impôts et aux réglementations contraignantes. En remodelant et renouvelant les vieilles ambitions et les anciens privilèges des empires, ils rêvent de briser les gouvernements et de diviser le monde en havres hyper-capitalistes. Ceux-ci seraient dépourvus de démocratie, sous le contrôle exclusif des ultra-riches, protégés par des mercenaires privés, servis par des robots intelligents et financés par les cryptomonnaies.

On pourrait penser qu’il y une contradiction à ce que Trump, élu sur son programme-étendard « l’Amérique d’abord », accorde du crédit à cette vision de territoires souverains dirigés par des milliardaires rois divins. De fait, on a beaucoup parlé des luttes de pouvoir que mènent Steve Bannon, porte-parole du courant MAGA [Make America Great Again, ndt], fier populiste patriote, contre les milliardaires ralliés à Trump qu’il traite de « technoféodalistes » qui « n’ont rien à foutre de l’être humain » – et encore moins de l’État-nation. De fait, les conflits au sein de la coalition bancale et bizarroïde montée par Trump sont à l’évidence légion, et ont récemment culminé à propos des droits de douane4. Pourtant, les visions sous-jacentes ne sont pas forcément aussi incompatibles qu’elles n’en ont l’air.

Pour le dire crûment, les personnes les plus puissantes au monde se préparent pour la fin du monde, une fin dont elles accélèrent frénétiquement l’arrivée.

Le contingent des « aspirants créateurs de pays » envisage très clairement un avenir défini par les chocs, les pénuries et l’effondrement. Leurs domaines privés, ultra-modernes, ne sont rien d’autre que des capsules de sauvetage fortifiées, conçues pour qu’une petite élite puisse profiter de tout le luxe imaginable, et bénéficie de chaque opportunité d’optimisation humaine susceptible de leur offrir, ainsi qu’à leurs enfants, un avantage décisif dans un avenir de plus en plus barbare. Pour le dire crûment, les personnes les plus puissantes au monde se préparent pour la fin du monde, une fin dont elles accélèrent frénétiquement l’arrivée.

En soi, ce n’est guère différent de la vision, plus orientée vers les masses, de « nations forteresses », qui définit la droite dure partout dans le monde, de l’Italie à Israël en passant par l’Australie et les États-Unis. À l’ère des périls permanents, les mouvements ouvertement suprémacistes de ces pays veulent transformer ces États relativement prospères en bunkers armés. Des bunkers dont ils sont déterminés à brutalement expulser et emprisonner les êtres humains indésirables (même si cela passe par un confinement à durée indéterminée dans des colonies pénitentiaires extra-nationales, à l’instar de l’île de Manus5 ou de Guantánamo). Leurs promoteurs sont également sans pitié dans leur volonté de s’accaparer violemment les terres et les ressources (eau, énergie, minerais critiques) qu’ils estiment indispensables pour absorber les chocs à venir.

Pawel Czerwinski sur Unsplash.

Au moment où les élites de la Silicon Valley, autrefois laïques, découvrent Jésus, il est remarquable que ces deux visions l’État-privé à pass-priorité et la nation-bunker à marché de masse – partagent tant avec l’interprétation fondamentaliste Chrétienne de l’Enlèvement biblique, soit le moment où les fidèles sont censés être élevés au paradis, vers une cité dorée, tandis que les damnés seront abandonnés ici-bas, pour endurer la bataille apocalyptique finale.

Si nous voulons être à la hauteur de ce moment critique de l’histoire, nous devons admettre que nous ne faisons pas face à des adversaires similaires à ceux que nous connaissons. Nous faisons face au fascisme de la fin des temps.

Revenant sur son enfance sous Mussolini, le romancier et philosophe Umberto Eco notait dans un article célèbre que le fascisme souffre généralement d’un « complexe d’Armageddon » : une obsession à anéantir ses ennemis lors d’une grande bataille finale. Mais le fascisme européen des années 1930 et 1940 avait aussi un horizon : la vision d’un âge d’or à venir, après le bain de sang. Un âge qui, pour ses partisans, serait pacifique, champêtre et pur. Ce n’est plus le cas.

Si nous voulons être à la hauteur de ce moment critique de l’histoire, nous devons admettre que nous ne faisons pas face à des adversaires similaires à ceux que nous connaissons. Nous faisons face au fascisme de la fin des temps.

Conscients que notre époque est marquée par des risques existentiels réels – de la catastrophe climatique à la guerre nucléaire, en passant par l’explosion des inégalités et l’IA déréglementée – mais impliqués financièrement et idéologiquement dans l’aggravation de ces menaces, les mouvements d’extrême droite contemporains n’ont aucune vision crédible d’un avenir prometteur. L’électeur moyen ne se voit offrir que les réminiscences d’un passé révolu, aux côtés du plaisir sadique de la domination sur un ensemble toujours plus vaste de semblables déshumanisés.


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Ainsi de l’administration Trump, qui se voue à diffuser son flux ininterrompu de propagande (réelle ou générée par IA), dans le seul but de diffuser ces contenus obscènes. Les images de migrants pieds et poings liés embarqués dans des avions pour être expulsés, avec en fond sonore les bruits de chaînes et de menottes qui s’entrechoquent sont présentées par le compte X officiel de la Maison Blanche comme de l’« ASMR », soit un son conçu pour calmer le système nerveux. Ce même compte rapportait la détention de Mahmoud Khalil, un résident permanent américain impliqué dans le campement pro-palestinien de l’Université Columbia, avec ce commentaire extatique : « SHALOM, MAHMOUD ». Ou encore les nombreuses séances photos sadiques-chics de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, qui pose tour à tour sur un cheval à la frontière américano-mexicaine, devant une cellule de prison bondée au Salvador ou brandissant une mitraillette lors de l’arrestation d’immigrants en Arizona.

Dans une époque où les catastrophes se multiplient, l’idéologie dominante de l’extrême droite a pris la forme d’un survivalisme monstrueux et suprémaciste.

Certes, ce constat est terrifiant par sa dureté. Mais il permet de dégager de puissantes perspectives pour la résistance. Parier à ce point-là contre l’avenir – tout miser sur le bunker – implique ni plus ni moins que de trahir nos devoirs envers les autres, envers les enfants que nous aimons, envers toute autre forme de vie avec laquelle nous avons la planète en partage. Ce système de croyance est intrinsèquement génocidaire, et il trahit les beautés et merveilles de ce monde. Nous sommes convaincues que plus les gens comprendront à quel point la droite a succombé à ce complexe d’Armageddon, plus ils et elles prendront conscience que tout est désormais remis en cause, et plus ils et elles seront prêt·es à résister.

Nos adversaires savent parfaitement que nous entrons dans une ère d’urgence, mais ils y répondent en optant pour des illusions aussi mortelles qu’égocentriques. Séduits par l’illusoire sécurité d’un apartheid bunkérisé, ils choisissent de laisser la Terre brûler. Notre tâche est donc de construire un mouvement aussi large que profond, aussi spirituel que politique, qui soit suffisamment puissant pour stopper ces traîtres irrationnels. Un mouvement enchâssé dans une indéfectible solidarité les unes envers les autres, au-delà de nos nombreuses différences et divergences, et envers cette planète aussi miraculeuse que singulière.

Nos adversaires savent parfaitement que nous entrons dans une ère d’urgence, mais ils choisissent de laisser la Terre brûler.

Il y a peu, seuls les fondamentalistes religieux saluaient avec enthousiasme les signes avant-coureurs de l’apocalypse, qui annonçaient l’Enlèvement tant attendu. Trump a désormais confié des rôles décisifs à des personnes qui adhèrent à cette orthodoxie, en particulier à plusieurs Chrétiens sionistes qui considèrent le recours à la violence annihilatrice par Israël pour étendre son emprise territoriale non pas comme une atrocité illégale, mais comme une preuve bienvenue que la Terre Sainte se rapproche des conditions propices au retour du Messie et à l’accession des fidèles au royaume céleste.

Mike Huckabee, le nouvel ambassadeur de Trump en Israël, est étroitement lié au sionisme chrétien, tout comme Pete Hegseth, son ministre de la Défense. Noem et Russell Vought, les architectes du Projet 20256 qui dirigent désormais l’organisme chargé de gérer les ministères et de préparer le budget, sont tous deux de fervents défenseurs du nationalisme chrétien. Même Peter Thiel, homosexuel et connu pour être un bon vivant, a récemment été entendu en train de spéculer sur l’arrivée de l’Antéchrist (spoiler : il pense qu’il s’agit de Greta Thunberg, nous y reviendrons plus bas).

Tareq Ajalyakin sur Unsplash.

Pas besoin de prendre la Bible à la lettre, ni même d’être croyant, pour être un fasciste de la fin des temps. De nombreuses personnes non-croyantes ont désormais adopté la vision d’un avenir qui se déroule de manière à peu près identique : un monde qui s’effondre sous son propre poids, où une poignée d’élus survit puis prospère dans diverses arches, bunkers et « communautés libres » fermées. Dans leur article de 2019 intitulé « Left Behind : Future Fetishists, Prepping and the Abandonment of Earth », les spécialistes des sciences de la communication Sarah T. Roberts et Mél Hogan décrivaient l’attirance pour un Enlèvement séculier : « Dans l’imaginaire accélérationniste, l’avenir ne se définit pas par la réduction des risques, les limites ou la réparation ; il s’agit au contraire d’une politique qui nous mène tout droit vers un affrontement final ».

De nombreuses personnes non-croyantes ont adopté la vision d’un monde qui s’effondre, où une poignée d’élus survit puis prospère dans diverses arches, bunkers et « communautés libres » fermées.

Elon Musk, dont la fortune s’est considérablement accrue aux côtés de Thiel à PayPal, incarne cet ethos de l’implosion. Nous avons affaire à quelqu’un qui, lorsqu’il regarde les merveilles du ciel étoilé, n’y décèle que des opportunités de remplir ce monde inconnu avec ses propres poubelles spatiales. Bien qu’il ait redoré sa réputation en alertant sur les dangers de la crise climatique et de l’intelligence artificielle, lui et ses sbires du soi-disant « Département de l’efficacité gouvernementale » (DOGE), passent dorénavant leur temps à aggraver ces mêmes risques (et de nombreux autres) en sapant toutes les réglementations environnementales et en taillant dans l’ensemble des agences de régulation dans le but apparent de remplacer les fonctionnaires fédéraux par des chatbots.

Qui a besoin d’un État-nation opérationnel quand l’espace – apparemment l’obsession première d’Elon Musk – nous appelle ? Mars est devenu son arche laïque, qu’il estime être essentielle pour la survie de la civilisation humaine, par exemple grâce au transfert de la conscience vers une intelligence artificielle globale. Kim Stanley Robinson, l’auteur de la série de science-fiction La Trilogie de Mars, qui aurait pour partie inspiré Musk, ne mâche pas ses mots quant aux dangers des fantasmes du milliardaire sur la colonisation de Mars. Il s’agit, dit-il, « tout simplement d’un danger moral qui crée l’illusion que nous pouvons détruire la Terre mais nous en sortir quand-même. C’est totalement faux. »

À l’instar des croyants millénaristes qui espèrent échapper au monde physique, l’ambition de Musk de faire advenir une humanité « multiplanétaire » n’est possible qu’en raison de son incapacité à apprécier la splendeur multispécifique de notre unique maison. À l’évidence indifférent aux extraordinaires richesses qui l’entourent, ainsi qu’à la préservation d’une Terre bouillonnante de diversité, il utilise son immense fortune pour construire un futur dans lequel une poignée d’humains et de robots survivraient péniblement sur deux planètes arides – la Terre radicalement appauvrie et Mars terraformée. De fait, dans un étrange détournement du message de l’Ancien Testament, Musk et ses copains milliardaires de la tech, dotés de pouvoirs quasi divins, ne se contentent pas de construire les arches. Ils font à l’évidence de leur mieux pour provoquer le déluge. Les leaders de la droite contemporaine et leurs riches alliés ne se contentent pas de tirer profit des catastrophes, dans la lignée de la stratégie du choc et du capitalisme du désastre. Ils les provoquent et les planifient d’un même mouvement.

Les leaders de la droite contemporaine et leurs riches alliés ne se contentent pas de tirer profit des catastrophes, dans la lignée de la stratégie du choc et du capitalisme du désastre. Ils les provoquent et les planifient d’un même mouvement.

Qu’en est-il néanmoins de la base électorale du mouvement trumpiste MAGA ? Ils et elles ne sont pas tous·tes suffisamment croyant·es pour être honnêtement convaincu·es par l’idée de l’Enlèvement, et n’ont pour l’essentiel évidemment pas les moyens de s’offrir une place dans l’une des « villes libres », encore moins dans une fusée. Pas d’inquiétude ! Le fascisme de la fin des temps offre la promesse de nombreuses arches et de nombreux bunkers plus accessibles, largement à portée des petits soldats.

Écoutez le podcast quotidien de Steve Bannon – qui se présente comme le média privilégié du MAGA – et vous serez gavé·e d’un unique message : le monde devient un enfer, les infidèles détruisent les barricades et l’affrontement final approche. Soyez prêts. Le message prepper/survivaliste devient particulièrement explicite lorsque Bannon se met à faire la pub des produits de ses partenaires. Achetez du Birch Gold, dit Bannon à son auditoire, car l’économie américaine, surendettée, va s’effondrer et que vous ne pouvez pas faire confiance aux banques. Faites le plein de plats préparés chez My Patriot Supply (« Mon Épicerie Patriote »). Ne manquez plus votre cible en vous entraînant à tirer chez vous, grâce à ce système de guidage laser. En cas de catastrophe, rappelle-t-il, la dernière chose que vous voulez est de dépendre du gouvernement – sous-entendu : surtout maintenant que les « DOGE boys » le démantèlent pour le vendre à la découpe.

Bien sûr, Bannon ne se contente pas d’inciter son public à construire ses propres bunkers. Il défend en même temps une vision des États-Unis comme un bunker à part entière, dans lequel les agents de l’ICE [Immigration and Customs Enforcement] rôdent en ville, dans les entreprises et sur les campus, faisant disparaître toute personne considérée comme ennemie de la politique et des intérêts états-uniens. La nation bunkerisée constitue le cœur du programme MAGA et du fascisme de la fin des temps. Dans cette logique, la première chose à faire est de renforcer les frontières nationales et d’éliminer tous les ennemis, étrangers comme nationaux. Ce sale travail est désormais bien engagé, le gouvernement Trump ayant, avec l’aval de la Cour suprême, invoqué l’Alien Enemies Act pour expulser des centaines de migrants vénézuéliens vers Cecot, la tristement célèbre méga-prison située au Salvador. L’établissement, dans lequel les prisonniers sont rasés de près et où s’entassent jusqu’à 100 personnes dans une cellule remplie d’austères lits de camp, opère en vertu d’un « état d’exception » destructeur des libertés fondamentales, promulgué pour la première fois il y a plus de trois ans par Nayib Bukele, le premier ministre chrétien sioniste fan de cryptomonnaies.

La nation bunkerisée constitue le cœur du programme MAGA et du fascisme de la fin des temps.

Bukele a proposé d’appliquer le même système de tarification à l’acte aux citoyens états-uniens que le gouvernement aimerait plonger dans un trou noir judiciaire. Interrogé à ce propos, Trump a récemment répondu : « J’adore ça ». Rien d’étonnant à cela : [la prison de haute sécurité] Cecot7 est le revers maléfique, mais évident, du fantasme de la « ville de la liberté » – un lieu où tout est à vendre et où aucune procédure régulière n’a droit de cité. Nous devrions nous préparer à un surcroît de sadisme de ce genre. Dans une déclaration terrifiante de franchise, le directeur par intérim de l’ICE, Todd Lyons, a déclaré lors de la Border Security Expo 2025 qu’il aimerait voir advenir une approche plus « marchande » de ces expulsions : « Comme Amazon Prime, mais avec des êtres humains ».

La surveillance policière des frontières de la nation bunkerisée est la fonction première du fascisme de la fin des temps. Mais la seconde n’est pas moins importante : le gouvernement états-unien doit s’accaparer toutes les ressources dont ses citoyens ainsi protégés pourraient avoir besoin pour faire face aux épreuves à venir. Il peut s’agir du canal de Panama. Ou les routes maritimes du Groenland, dont la banquise fond à toute vitesse. Ou les minerais essentiels de l’Ukraine. Ou l’eau douce du Canada. Nous ne devrions pas tant l’envisager comme une forme éculée d’impérialisme, que comme une méga-anticipation de type survivaliste (super-sized prepping) à l’échelle d’un État-nation. Oubliées les vieilles lubies coloniales consistant à apporter la démocratie ou la parole de Dieu – quand Trump observe le monde avec convoitise, il entend accumuler des réserves en vue de l’effondrement de la civilisation.

Sipan Hota sur Unsplash.

L’état d’esprit bunkerisé explique aussi les incursions controversées de J.D. Vance dans la théologie catholique. Le vice-président, dont la carrière politique doit beaucoup à la générosité du survivaliste en chef Peter Thiel, a raconté sur Fox News que, selon le concept chrétien médiéval de l’ordo amoris (qui se traduit à la fois par « ordre de l’amour » et « ordre de la charité »), l’amour n’est pas à ceux qui survivent à l’extérieur du bunker : « On aime sa famille, puis on aime son voisin, puis on aime sa communauté, puis les concitoyens de son propre pays. Et après cela, on peut se concentrer et donner la priorité au reste du monde. » (Ou pas, comme tend à le montrer la politique étrangère du gouvernement Trump.) Pour le dire autrement : en dehors du bunker, nous ne devons rien à qui que ce soit.

Bien que ce courant s’appuie sur des courants anciens de l’aile droite – justifier l’exclusion par la haine n’est pas vraiment nouveau sous le soleil ethno-nationaliste – nous n’avons encore jamais fait face à une tendance apocalyptique au plus haut d’un gouvernement. Les grands discours sur la « fin de l’histoire » de l’après guerre froide sont rapidement remplacés par la certitude que nous faisons vraiment face à la fin des temps. Même si le DOGE se drape d’un argument d’efficacité économique, et même si les sbires d’Elon Musk rappellent les jeunes « Chicago boys » formés aux États-Unis qui ont conçu la stratégie du choc pour la dictature d’Augusto Pinochet, il ne s’agit plus de la vieille alliance entre néolibéralisme et néoconservatisme. Il s’agit d’un nouveau fourre-tout millénariste vénérant l’argent, qui affirme qu’il faut détruire la bureaucratie et remplacer les humains par des robots afin de réduire « le gaspillage, la fraude et les abus » – et aussi parce que la fonction publique est le dernier refuge des démons qui résistent à Trump. C’est là que les « tech bros » fusionnent avec les « TheoBros », un véritable groupe de suprémacistes chrétiens hyper-patriarcaux ayant des liens avec Pete Hegseth et d’autres membres du gouvernement Trump.

Quand Trump observe le monde avec convoitise, il entend accumuler des réserves en vue de l’effondrement de la civilisation.

Comme toujours avec le fascisme, le fantasme apocalyptique contemporain transcende les clivages de classe, et unit les milliardaires à la base MAGA. Grâce à des décennies de tensions économiques croissantes renforcées par les discours bien orchestrés opposant les travailleurs entre eux, nombreux sont ceux qui ressentent, à juste titre, qu’ils n’ont plus les moyens de se protéger contre la désintégration qui les entoure – peu importe le nombre de repas préparés qu’ils stockent. Mais on leur offre des compensations affectives : ils peuvent ainsi se réjouir de la fin des politiques dites DEI (diversité, équité et inclusion) en soutien à l’égalité des chances, s’enflammer pour les expulsions de masse, saluer le refus de soins d’affirmation de genre, conspuer les enseignant·es et les soignant·es qui prétendent en savoir plus qu’eux ou applaudir la déréglementation économique et écologique comme une manière de prendre une revanche sur les gauchistes [the libs, littéralement « les libéraux »]. Le fascisme de la fin du monde est un fatalisme sinistrement festif — le dernier refuge de ceux qui préfèrent célébrer la destruction plutôt qu’imaginer un monde sans suprématie.

C’est aussi une spirale infernale qui s’auto-entretient : les attaques féroces de Trump contre chacune des structures censées protéger le public – des maladies, des aliments néfastes ou des catastrophes – ou même simplement l’alerter lorsqu’un danger approche, ne font que renforcer la légitimité du survivalisme, aussi bien chez les élites que parmi les classes populaires, tout en ouvrant de multiples nouvelles opportunités de privatisation et de profits pour les oligarques qui alimentent et propagent le démantèlement de l’État social et régulateur.

Au début du premier mandat de Trump, The New Yorker enquêtait sur un phénomène qu’il qualifiait de « survivalisme apocalyptique pour ultra-riches ». Il était déjà clair à l’époque que, dans la Silicon Valley et à Wall Street, les survivalistes les plus sérieux parmi l’élite se préparaient aux bouleversements climatiques et à l’effondrement social en achetant de l’espace dans des bunkers souterrains sur mesure, ou en construisant des résidences de secours en altitude, dans des lieux comme Hawaï (où Mark Zuckerberg présente son abri souterrain de 1500 m2 comme un simple « petit refuge ») ou en Nouvelle-Zélande (où Peter Thiel a acquis près de 200 hectares, mais a vu son projet de complexe survivaliste de luxe rejeté en 2022 par les autorités locales, car trop disgracieux).

Ce millénarisme s’entremêle à un ensemble d’obsessions intellectuelles propres à la Silicon Valley, nourries par une vision eschatologique selon laquelle notre planète fonce droit vers un cataclysme, et qu’il serait donc temps de faire des choix difficiles quant aux parties de l’humanité qui pourront être sauvées. Le transhumanisme est l’une de ces idéologies, qui englobe aussi bien de petites « améliorations » humain-machine que la quête du transfert de l’intelligence humaine dans une intelligence artificielle générale chimérique. On y trouve aussi l’« altruisme efficace » et le « long-termisme », deux courants qui ignorent les politiques de redistribution pour venir en aide aux plus démunis ici et maintenant pour leur substituer une approche coûts-bénéfices visant à faire le « bien » à très long terme.

Le fascisme de la fin du monde est un fatalisme sinistrement festif – le dernier refuge de ceux qui préfèrent célébrer la destruction plutôt qu’imaginer un monde sans suprématie.

Bien qu’elles semblent de prime abord anodines, ces idées sont irrémédiablement imprégnées d’inquiétants biais raciaux, validistes et sexistes quant aux parties de l’humanité qui mériteraient d’être améliorées et sauvées, et celles qui pourraient au contraire être sacrifiées au nom d’un prétendu bien commun. Elles ont également en commun un désintérêt marqué pour la nécessité urgente de s’attaquer aux causes profondes de l’effondrement – un objectif pourtant responsable et rationnel, que nombre de personnalités influentes rejettent désormais ouvertement. À la place de l’« altruisme efficace », Marc Andreessen, un habitué de Mar-a-Lago, et d’autres, prônent désormais « l’accélérationnisme efficace » soit « la propulsion délibérée du développement technologique » sans aucun garde-fou.

En attendant, des philosophies encore plus sombres trouvent un écho grandissant. Parmi celles-ci, les élucubrations néoréactionnaires et monarchistes du programmeur Curtis Yarvin (une autre référence intellectuelle majeure pour Peter Thiel), l’obsession du mouvement pro-nataliste pour l’augmentation drastique du nombre de bébés « occidentaux » (une des marottes d’Elon Musk), ou encore la vision du « gourou de l’exit » Balaji Srinivasan : un San Francisco techno-sioniste, où les entreprises et la police s’allieraient pour épurer politiquement la ville de ses libéraux et faire place à un État d’apartheid en réseau.

Marek Pavlík sur Unsplash.

Comme l’ont écrit les spécialistes de l’Intelligence Artificielle Timnit Gebru et Émile P. Torres, bien que les méthodes soient nouvelles, ce « paquet » de lubies idéologiques « descend directement de la première vague de l’eugénisme », qui voyait déjà une élite restreinte décider de quelles parties de l’humanité méritaient d’être préservées, et lesquelles devaient être éliminées, écartées ou abandonnées. Jusqu’à récemment, peu de gens y prêtaient attention. À l’image de Próspera – où l’on peut déjà expérimenter des fusions humain-machine, comme implanter la clé de sa Tesla dans sa main – ces courants de pensée semblaient n’être que les lubies marginales de quelques dilettantes fortunés de la baie de San Francisco prompts à brûler leur argent et leur sagesse. Ce n’est plus le cas.

Ces lubies idéologiques « descendent directement de la première vague de l’eugénisme », qui voyait déjà une élite restreinte décider de quelles parties de l’humanité méritaient d’être préservées, et lesquelles devaient être éliminées, écartées ou abandonnées.

Trois changements matériels sont venus renforcer l’attraction apocalyptique du fascisme de fin des temps. Le premier est la crise climatique. Si certaines personnalités en vue persistent à nier ou minimiser la menace, les élites mondiales, dont les propriétés en bord de mer et les centres de données sont directement menacés par la montée des eaux et la hausse des températures, connaissent parfaitement les risques en cascade d’un monde en surchauffe. Le second est le Covid19. Les modèles épidémiologiques prédisaient depuis longtemps la possibilité d’un choc sanitaire planétaire dévastateur dans notre monde en réseau. Son avènement a été interprété par de nombreux puissants comme un signal : nous sommes officiellement entrés dans « l’Ère des Conséquences », pour reprendre la terminologie des analystes militaires états-uniens. Le temps des prédictions est derrière nous : l’effondrement est en cours. Le troisième changement est le développement fulgurant de l’intelligence artificielle. L’IA a longtemps été associée à des cauchemars de science-fiction et de machines qui se retournent contre leurs créateurs avec une efficacité brutale — des peurs qu’expriment, non sans ironie, ceux-là mêmes qui conçoivent ces outils. Ces crises existentielles se superposent aux tensions croissantes entre puissances nucléaires.

Rien de cela ne peut être relégué au rang d’un délire paranoïaque. Nous sommes nombreux·ses à ressentir au plus profond de nous l’imminence de l’effondrement avec une telle acuité que nous faisons face en nous plongeant dans des histoires de bunkers post-apocalyptiques, via des séries telles que Silo sur Apple TV ou Paradise sur Hulu. Comme le rappelle l’analyste et éditorialiste britannique Richard Seymour dans son dernier ouvrage, Disaster Nationalism : « L’apocalypse n’a rien d’une simple fantaisie. Après tout, nous vivons déjà dedans, entre les virus meurtriers et l’érosion des sols, la crise économique et le chaos géopolitique. »

Le projet économique de Trump 2.0 est un monstre à la Frankenstein, assemblé à partir des industries qui alimentent toutes ces menaces : les combustibles fossiles, l’armement, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle insatiables en ressources énergétiques. L’ensemble des acteurs de ces secteurs savent pertinemment qu’il est impossible de construire le monde-miroir artificiel promis par l’IA sans sacrifier le monde réel : ces technologies consomment bien trop d’énergie, trop de minéraux critiques et trop d’eau pour pouvoir coexister avec la planète dans un équilibre un tant soit peu viable. En avril dernier, l’ancien dirigeant de Google, Eric Schmidt, a reconnu devant le Congrès que les besoins énergétiques « considérables » de l’IA devraient tripler dans les prochaines années et qu’ils seraient majoritairement comblés par les énergies fossiles, le nucléaire ne pouvant être déployé assez rapidement. Ce niveau de consommation, qui revient à incinérer la planète, serait à ses yeux indispensable pour permettre l’émergence d’une intelligence « supérieure » à l’humanité — une divinité numérique surgissant des cendres d’un monde abandonné.

Le projet économique de Trump 2.0 est un monstre à la Frankenstein, assemblé à partir des industries qui alimentent toutes ces menaces : les combustibles fossiles, l’armement, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle insatiables en ressources énergétiques.

Et ils sont inquiets — mais pas des menaces qu’ils déchaînent. Ce qui empêche les dirigeants de ces industries imbriquées les unes aux autres de dormir, c’est la possibilité d’un sursaut civilisationnel, c’est-à-dire la possibilité que les efforts coordonnés des gouvernements parviennent enfin à freiner leurs activités prédatrices avant qu’il ne soit trop tard. Car pour eux, l’apocalypse ce n’est pas l’effondrement : c’est la régulation.

Le fait que leurs profits reposent sur la destruction de la planète permet de comprendre pourquoi les discours bienveillants sont en reflux dans les sphères du pouvoir, au profit d’un mépris de plus en plus assumé pour l’idée même que nous sommes liés par des liens réciproques pour la simple raison que nous partageons une humanité commune. La Silicon Valley en a fini avec l’altruisme, qu’il soit « efficace » ou non. Mark Zuckerberg rêve d’une culture qui valorise « l’agressivité ». Alex Karp, un associé de Peter Thiel à la tête de la société de surveillance Palantir Technologies, fustige l’« auto-flagellation perdante » de ceux et celles qui remettent en question la supériorité américaine ou les mérites des armes autonomes (et donc les juteux contrats militaires qui ont fait sa fortune). Elon Musk explique à Joe Rogan que l’empathie est « la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale » ; et, après avoir échoué à acheter une élection pour la Cour suprême du Wisconsin, râle au motif qu’« il devient de plus en plus évident que l’humanité n’est qu’un support biologique (biological bootloader) pour la super-intelligence numérique. » Autrement dit, nous, humains, ne sommes rien de plus que du grain à moudre pour Grok, son IA. (Il nous avait prévenus : il est « dark Maga ». Et il est loin d’être le seul.)

Peter Olexa sur Unsplash.

Dans une Espagne asséchée, accablée par le stress climatique, un des collectifs appelant à un moratoire sur les nouveaux data-centrer de données est baptisé Tu Nube Seca Mi Río – en français : « ton nuage assèche mon fleuve ». Ce constat ne vaut pas que pour l’Espagne.

Un choix indicible et sinistre est en train d’être fait sous nos yeux et sans notre consentement : les machines plutôt que les humains, l’inanimé plutôt que le vivant, le profit avant tout le reste. Les mégalomanes de la tech ont discrètement renié leurs engagements vers la neutralité carbone à une vitesse effarante, pour se ranger derrière Trump, prêts à sacrifier les ressources et la créativité réelles et précieuses de ce monde sur l’autel d’un royaume virtuel et vorace. C’est le dernier grand pillage — et ils se préparent à affronter les tempêtes qu’ils convoquent eux-mêmes. Et ils tenteront de calomnier et de détruire quiconque se mettra en travers de leur route.

Le fait que leurs profits reposent sur la destruction de la planète permet de comprendre pourquoi les discours bienveillants sont en reflux dans les sphères du pouvoir.

La récente tournée européenne de J.D. Vance en est un bon exemple : le vice-président a tancé les dirigeants mondiaux pour leur prétendue « inquiétude excessive » face aux dangers de l’IA destructrice d’emplois, tout en demandant que les discours néonazis et fascistes ne soient plus censurés sur Internet. Il a tenté une remarque censément drôle – mais qui a laissé le public de marbre : « la démocratie américaine a survécu à dix ans de remontrances de Greta Thunberg, vous pouvez donc bien supporter Elon Musk quelques mois. »

Son propos rappelle ceux de son mécène tout aussi dénué d’humour, Peter Thiel. Dans des entretiens récents portant sur les fondements théologiques de son idéologie d’extrême droite, le milliardaire chrétien a comparé à plusieurs reprises la jeune et infatigable militante climatique à l’Antéchrist — qui, selon lui, était présenté par la prophétie comme portant un message trompeur de « paix et de sécurité ». « Si Greta réussit à convaincre tout le monde sur Terre de faire du vélo, c’est peut-être une solution au changement climatique, mais cela revient à passer de la peste au choléra8 », a-t-il déclaré avec gravité.

Pourquoi Greta ? Pourquoi maintenant ? La peur apocalyptique de la régulation, qui viendrait affecter leurs super-profits, l’explique en partie. Pour Thiel, les politiques climatiques fondées sur la science, telles que Greta Thunberg et d’autres les réclament, ne pourraient être appliquées que par un « État totalitaire » — ce qui serait, à ses yeux, une menace bien plus grave que l’effondrement climatique (plus problématique encore, les impôts liés à de telles politiques seraient « très élevés »). Mais il y a peut-être autre chose qui les effraie chez Greta Thunberg : son engagement inébranlable envers cette planète, et envers toutes les formes de vie qui l’habitent — à l’opposé des simulations numériques générées par l’IA, des hiérarchies entre les vies dignes ou non de survivre, ou encore des fantasmes d’évasion extra-planétaire que nous vendent les fascistes de la fin des temps.

Un choix indicible et sinistre est en train d’être fait sous nos yeux et sans notre consentement : les machines plutôt que les humains, l’inanimé plutôt que le vivant, le profit avant tout le reste.

Elle est déterminée à rester, tandis que les fascistes de la fin du monde l’ont déjà quittée, au moins dans leur tête — reclus dans des abris opulents, transcendés dans l’éther numérique, ou en route pour Mars.

Peu de temps après la réélection de Trump, l’une d’entre nous a eu l’opportunité d’interviewer Anohni, l’une des rares artistes qui cherche à déployer une pratique artistique autour de cette pulsion de mort qui caractérise notre époque. Interrogée sur ce qui, selon elle, relie la volonté des puissants de laisser la planète brûler à leur obsession de contrôler le corps des femmes et des personnes trans comme elle, elle a fait référence à son éducation catholique irlandaise : « C’est un mythe très ancien que nous sommes en train de jouer et d’incarner. C’est l’accomplissement de leur Enlèvement. C’est leur fuite hors du cycle voluptueux de la création. C’est leur fuite loin de la Mère. »

Comment sortir de cette fièvre apocalyptique ? Commençons par nous entraider mutuellement pour affronter la profonde perversité que porte l’extrême droite dans chacun de nos pays. Pour avancer efficacement, nous devons comprendre une chose essentielle : nous faisons face à une idéologie qui a abandonné l’idéal et les promesses de la démocratie libérale ainsi que la possibilité même de rendre ce monde vivable – une idéologie qui a abandonné la beauté du monde, ses peuples, nos enfants, les autres espèces. Les forces que nous affrontons ont fait la paix avec les destructions de masse : elles trahissent ce monde et toutes les vies humaines et non humaines qu’il abrite.

Enis Can Ceyhan sur Unsplash.

Nous devons également opposer à leurs récits apocalyptiques une histoire bien plus forte sur la nécessité de survivre aux temps difficiles qui nous attendent, sans laisser personne de côté. Un récit capable de priver le fascisme de la fin des temps de son pouvoir horrible, et de mobiliser un mouvement prêt à tout risquer pour notre survie collective. Un récit non pas de fin, mais de renouveau ; non pas de séparation ni de suprématie, mais d’interdépendance et d’appartenance ; non pas de fuite, mais d’enracinement et de fidélité à cette réalité terrestre troublée dans laquelle nous sommes pris et liés les un·es aux autres.

Ce sentiment assez simple n’a en soi rien de nouveau. Il est au cœur des cosmologies autochtones et constitue l’essence même de l’animisme. Si l’on remonte suffisamment loin dans le temps, chaque culture et chaque foi possède sa propre tradition de respect envers le caractère sacré de l’ici, sans quête illusoire d’une terre promise toujours lointaine et inaccessible. En Europe de l’Est, avant les anéantissements fascistes et staliniens, le Bund, mouvement socialiste juif, s’organisait autour du concept yiddish de Doikayt [« hereness », que l’on peut traduire en français par « diasporisme » ou encore « la pertinence d’être là où l’on est »]. L’artiste et autrice Molly Crabapple, qui lui consacre un livre à paraître, définit le Doikayt comme le droit de « lutter pour la liberté et la sécurité là où l’on vit, envers et contre tous ceux qui souhaitent notre disparition » — plutôt que d’être forcé à chercher refuge en Palestine ou aux États-Unis.

Nous devons opposer à leurs récits apocalyptiques un récit capable de priver le fascisme de la fin des temps de son pouvoir horrible, et de mobiliser un mouvement prêt à tout risquer pour notre survie collective. Un récit non pas de fin, mais de renouveau.

Peut-être est-il temps de réinventer une version universelle et moderne de cette idée : un engagement envers le droit à l’« ici » de cette planète malade, envers ces corps vulnérables, envers le droit de vivre dignement où que nous soyons, même lorsque les secousses inévitables nous obligent à bouger. Cette idée peut être fluide, affranchie du nationalisme, enracinée dans la solidarité, respectueuse des droits autochtones et libérée des frontières.

Ce futur impliquerait sa propre apocalypse, sa propre fin du monde et sa propre révélation — bien différente, toutefois. Car, comme l’a fait remarquer la chercheuse spécialiste de la police Robyn Maynard : « Pour rendre possible la survie planétaire sur Terre, certaines versions de ce monde doivent disparaître. »

Nous sommes arrivés à un moment clef : la question n’est plus de savoir si l’apocalypse aura lieu, mais quelle forme elle prendra. Les sœurs activistes Adrienne Maree et Autumn Brown l’expliquent dans un récent épisode de leur podcast au nom prophétique : « How to Survive the End of the World » (« Comment survivre à la fin du monde »). Alors que le fascisme de la fin des temps mène une guerre totale sur tous les fronts, de nouvelles alliances sont indispensables. Plutôt que de nous demander : « Partageons-nous tous et toutes la même vision du monde ? », Adrienne nous invite à poser une autre question : « Ton cœur bat-il, et as-tu l’intention de vivre ? Alors viens, et nous réglerons le reste ensemble, de l’autre côté. »

Pour avoir la moindre chance de tenir tête aux fascistes de l’apocalypse — avec leurs cercles concentriques étouffants d’« amour ordonné » — nous devrons construire un mouvement indiscipliné animé par un amour fervent pour la Terre : fidèle à cette planète, à ses peuples, à ses créatures, et à la possibilité d’un avenir vivable pour toutes et tous. Fidèle à l’ici. Ou, pour reprendre les mots d’Anohni, cette fois en parlant de la déesse en laquelle elle place désormais sa foi : « T’es-tu demandé un instant si ce n’était pas là sa meilleure idée ? »


Image d’accueil : Marek Pavlík sur Unsplash.

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Notes

  1. Cités-États privées traduit « corporate city states » dans la version originale. Les autrices parlent ensuite de « freedom cities », traduit ici par « villes libres ». Toutes les notes sont du traducteur.
  2. Próspera est une enclave libertarienne privée, située au nord du Honduras sur l’île de Roatan.
  3. « Body upgrade » en anglais, qui emprunte au champ lexical des logiciels (« mise à jour corporelle »).
  4. Pour rappel, l’article original a été publié le 13 avril 2025.
  5. Île de Papouasie Nouvelle-Guinée sur laquelle l’Australie avait installé un camp de réfugiés.
  6. Il s’agit du programme préparé par la Heritage Foundation pour préparer l’élection de Donald Trump et s’assurer que son second mandat permettre de durablement transformer l’administration et la société étatsuniennes.
  7. Pour Centro de Confinamiento del Terrorismo, « centre de confinement du terrorisme ».
  8. L’expression originale est « out of the frying pan into the fire », soit passer d’une situation horrible à une situation pire encore.

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28.06.2025 à 11:24

« ChatGPT, c’est juste un outil ! » : les impensés de la vision instrumentale de la technique

Olivier Lefebvre

Le déploiement de l’IA semble inéluctable. Et alors ? « On est libre de l’utiliser ou non. » « Tout dépend de l’usage qu’on en fait. » « Trop tard, les jeunes l’utilisent déjà. » Dans cette analyse, Olivier Lefebvre reprend les termes du débat et rappelle que l’IA est une technologie, insérée dans un système technique : l’adopter fait changer la société.

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Texte intégral (9993 mots)
Temps de lecture : 20 minutes

L’arrivée des IA génératives (IAg1) suscite de nombreux débats dans l’espace public et dans différents milieux professionnels qui s’interrogent sur leurs risques et leurs potentialités. Un lieu commun revient régulièrement dans ces discussions : une IAg serait « juste un outil »2. Cette affirmation s’inscrit dans une vision dite « instrumentale » de la technique, qui draine avec elle plusieurs présupposés : dans le sens commun, un « instrument » est un objet « neutre » qui reste sous le « contrôle » de son utilisateur et dont les effets ne dépendent que de l’usage qu’on en fait. Dans le cadre des débats sur les IAg, cette vision instrumentale et les discours qui la véhiculent produisent de puissants effets de cadrage : ils concentrent la réflexion sur les seuls usages finaux et tendent à invisibiliser de nombreux aspects cruciaux dont il est pourtant nécessaire de tenir compte si l’on souhaite penser les effets de ces technologies dans toute leur complexité.

Ce texte propose de caractériser ces effets de cadrage, ceux-ci se situant principalement sur deux plans. Le premier plan concerne l’effacement des « conditions de possibilités » de ces technologies, c’est-à-dire l’invisibilisation – en particulier auprès de leurs utilisateur·ices – de l’ensemble des dispositifs matériels et sociaux nécessaires à leur usage. Le second plan concerne l’occultation de la manière dont ces technologies transforment et structurent la société. La vision instrumentale, qui repose sur le postulat que les utilisateurs conservent en dernière instance la maîtrise et le contrôle sur les technologies, ne tient pas compte des contraintes sociales qui s’exercent sur les individus et orientent leurs usages.

Précisons que l’enjeu de la réflexion n’est pas ici terminologique ou conceptuel : le terme de technologie a été choisi pour désigner les « techniques » en général, du marteau à l’IA, en passant par l’automobile. Le terme d’« outil » est quant à lui réservé pour citer l’utilisation qui en est faite – et que ce texte critique – dans les débats sur les IAg.

Enfin, parce qu’il est souvent frustrant de se sentir démuni·e face à ces discours qui nous invitent à « ne pas s’inquiéter, car c’est juste un outil » dès lors qu’on émet la moindre réserve sur ces technologies, ce texte a également pour objectif d’apporter quelques arguments pour y répondre.

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L’écrasement des différences

Commençons par une observation : le déploiement d’une technologie ne s’accompagne pas systématiquement d’un discours instrumentaliste. Si cette idée est répétée avec tant d’insistance au sujet des IAg, c’est précisément parce que leur arrivée suscite de nombreux débats, et plus encore des inquiétudes, que l’argument instrumentaliste cherche à désamorcer. Rabattre cette technologie bien particulière dans le champ général et indifférencié des « outils » permet de circonscrire la réflexion dans un cadre connu et donc rassurant. « C’est juste un outil » : sous-entendu « comme les autres », « n’ayez pas peur ».

Il faut pourtant rappeler cette évidence : tous les « outils » ne sont pas de même nature. Les technologies reposant sur de vastes infrastructures matérielles en réseau3, les techniques ayant le pouvoir d’augmenter de façon considérable la portée et la puissance de l’agir humain4, les machines assurant des tâches complexes en ne requérant qu’une supervision, etc. ne peuvent pas être pensées dans les mêmes termes qu’un outil comme, par exemple, un marteau.

Le raisonnement selon lequel « l’IA ne serait qu’un outil », revient pourtant à mettre sur un même plan le couteau à pain, le smartphone, l’avion, le marteau, Internet, la bombe atomique et la brosse à cheveux. Un tel écrasement des différences entre ces technologies constitue déjà un premier effet de cadrage, car ce qui les différencie est à bien des égards plus déterminant que ce qui les rassemble.

Le raisonnement selon lequel « l’IA ne serait qu’un outil » revient à mettre sur un même plan le couteau à pain, le smartphone, l’avion, le marteau, Internet, la bombe atomique et la brosse à cheveux.

L’occultation des conditions de possibilité de l’IAg

Les différences entre un simple outil, comme par exemple un marteau, et une IA générative apparaissent en effet clairement dès lors qu’on examine leurs conditions de possibilités respectives, c’est-à-dire l’ensemble des matériaux, des infrastructures, des institutions, des pratiques sociales, etc. tout ce qui est nécessaire à l’existence de ces technologies.

Dans une économie mondialisée, l’analyse des conditions de possibilité d’un simple marteau fait immédiatement intervenir de nombreux acteurs répartis en différents coins du globe. Pour autant, l’empreinte matérielle de cet outil demeure limitée et ses conditions sociales de production sont tout ce qu’il y a de plus ordinaire. De surcroît, la production et l’utilisation d’un marteau serait possible dans une économie localisée.

Ce n’est clairement pas le cas des objets numériques. En effet : quelles sont les conditions de possibilité d’une IAg, telle que ChatGPT ?

L’inventaire peut commencer par les datacenters, dont les constructions se multiplient afin d’accueillir le déploiement de ces technologies5, aboutissant à une croissance vertigineuse des besoins en électricité6. Ces nouvelles infrastructures drainent avec elles des réseaux de télécommunication7, des usines de production de composants électroniques, des mines8, etc. Si la matérialité de l’IA et du numérique en général9 est une réalité dont on prend progressivement conscience10, cette préoccupation se réduit bien souvent à une simple invitation à un usage « réfléchi », dont on observe l’inefficacité à infléchir les trajectoires insoutenables de l’impact environnemental du numérique.

Mine de lithium à Salar del Hombre Muerto, Argentine. Wikimedia.

Car dans le même temps, les entreprises du secteur tablent de leur côté sur une croissance exponentielle des usages. En effet, dans l’inventaire des conditions de possibilités de ChatGPT ne figure pas seulement ce qui lui permet de fonctionner, mais également ce qui a permis de le mettre au point : des milliards de dollars11 investis en salaires d’ingénieurs en IA, en infrastructures de calcul pour entraîner les modèles, en activité de R&D pour développer des calculateurs ad hoc12, etc.

Ces investissements ont été réalisés dans une perspective de rentabilité. Or, s’il n’est pas sûr que les profits escomptés par les acteurs de la Big Tech se traduisent en croissance économique13, cette situation participera nécessairement à donner forme au déploiement futur de l’IA, malgré tous les éventuels appels à la modération ou au discernement.

À cela s’ajoute l’exploitation humaine pour l’entraînement et la modération des modèles14 : des millions de personnes vivant essentiellement dans des pays du Sud sont payées quelques centimes de dollar pour labeliser des données. Comme le dit Sébastien Broca, « sans la globalisation des chaines de valeur et la persistance de logiques néocoloniales, l’IA générative n’existerait pas »15.

Il faut également tenir compte du pillage d’une immense quantité d’œuvres protégées par droits d’auteurs16, sans oublier les données d’interaction avec les IAg, dont chaque utilisateur autorise qu’elles puissent contribuer à son apprentissage. Chaque utilisation individuelle de ChatGPT repose sur cet ensemble de conditions, sociales et matérielles.

Cet inventaire pèse déjà lourd, excessivement plus lourd qu’un marteau. On doit pourtant élargir encore le champ de l’analyse pour qu’elle soit complète. Il est logique d’intégrer dans les conditions de possibilité des IAg l’Internet et le numérique en général. C’est en effet uniquement parce que le numérique a pris cette place centrale dans nos sociétés, parce que ses infrastructures sont répandues de manière si diffuse, parce qu’Internet s’est trouvé être le réceptacle d’autant de données et de « connaissances », parce qu’une part toujours plus grande du monde est numérisée, que les IAg ont pu être développées.

Planter un clou avec un marteau n’engage physiquement que l’utilisateur du marteau, le clou et le support. Effectuer une requête sur ChatGPT mobilise au contraire une gigantesque infrastructure.

Enfin, pour souligner l’incommensurabilité, notamment sur le plan matériel, entre les IAg et un simple marteau, on peut également délimiter le périmètre physique de leur usage. Planter un clou avec un marteau est une action qui n’engage physiquement que l’utilisateur du marteau, le clou et le support sur lequel celui-ci est planté. Effectuer une requête sur ChatGPT, mobilise au contraire une gigantesque infrastructure faite de logiciel, de réseaux et de calculateurs : un système complexe.

Dire comme on l’entend souvent qu’une IAg « c’est juste un outil » a donc pour effet d’invisibiliser la majeure partie des dispositifs matériels et sociaux qui soutiennent ce qu’il paraît plus approprié de qualifier de « système ».

Massimo Botturi sur Unsplash.

L’occultation des effets de structuration sociale par les IAg

La vision instrumentale de la technique considère que les effets d’une technologie sont intégralement déterminés par les usages qu’en font les individus. Elle part du principe que si personne n’utilisait une technologie, celle-ci n’aurait aucun effet et tendrait à disparaître17. Appliqué au domaine des IAg, ce raisonnement s’accompagne du discours selon lequel les IAg ne sont in fine que ce que l’on en fait et que le principal, sinon l’unique sujet sur lequel il faudrait s’accorder concerne la distinction entre les « bons » et les « mauvais » usages.

Pourtant, plusieurs arguments tendent à montrer que les effets sociaux des IAg – et c’est le cas de nombreuses autres technologies – ne sont pas seulement la somme des effets des usages individuels. Dit autrement, penser les effets sociaux de l’IAg par le seul prisme de ses usages conduit à occulter les mécanismes par lesquels la société toute entière se transforme sous l’effet d’une technologie.

La dépendance au sentier

L’histoire du déploiement progressif de l’automobile fournit une excellente illustration de ces mécanismes. Ce déploiement s’est accompagné du développement de nombreuses infrastructures, autant matérielles (les routes, les réseaux de transports de pétrole, etc.) que socio-économiques (l’industrie automobile, l’industrie pétrolière, les banlieues résidentielles, etc.) selon un principe d’auto-renforcement : le développement des infrastructures vient structurer les modes de vie autour de cette technologie, engendrant une forme de dépendance sociale qui contribue à son tour à accroître le développement de ces infrastructures.

La notion de dépendance au sentier est employée pour décrire ce phénomène, soulignant comment des déploiements techniques passés ont un effet structurant sur le futur des sociétés : le futur d’un système socio-technique est déterminé par la trajectoire qu’il a suivie dans le passé.

La question du bon et du mauvais usage individuel de la voiture n’a aujourd’hui pas vraiment de sens : cet usage est en partie imposé.

En donnant forme à un monde adapté à l’automobile, celle-ci s’est rendue incontournable pour ce monde-là et nos sociétés en sont devenues dépendantes, entraînant un effet de verrouillage socio-technique. Dans ce contexte, l’automobile n’est dès-lors plus un simple instrument que les individus auraient le libre choix d’utiliser ou non. Par conséquent la question du bon et du mauvais usage individuel de la voiture n’a aujourd’hui pas vraiment de sens : une partie de cet usage est imposée et pour celle-ci on n’a pas le loisir de se demander s’il est bon ou mauvais.

Le numérique est également un parfait exemple d’une technologie se déployant selon un processus de dépendance au sentier. Son omniprésence dans nos sociétés est le résultat d’une trajectoire qui a vu se développer progressivement les infrastructures de télécommunication et les terminaux (ordinateurs, smartphone, etc.) au fur et à mesure que les usages se multipliaient et s’encastraient dans les modes de vie et les pratiques sociales, modifiant les manières de s’informer, de communiquer, d’étudier, de travailler, de se distraire, etc., selon un mécanisme d’auto-renforcement. 

Lorsque des seuils de déploiement ont été franchis, certaines activités du quotidien n’ont plus été possibles que par la médiation du numérique, engendrant un verrouillage socio-technique. On peut penser aux ENT (Espaces Numériques de Travail), qui se sont imposés dans les collèges et lycées pour accéder par exemple aux devoirs, sans possibilités de contournement18.

L’IA en général, et les IA génératives dont il est plus particulièrement question dans ce texte, constituent un prolongement de la trajectoire socio-technique du numérique : c’est parce que le numérique imprégnait nos sociétés et leurs organisations19 que les IAg ont pu être développées et qu’elles se déploient avec une telle rapidité. Pour que cela ait lieu, il était en effet a minima nécessaire que les données d’apprentissage soient disponibles sur Internet et que l’usage d’applications sur smartphone ou par Internet fassent partie des habitudes sociales.

Jacob Mindak sur Unsplash.

Comment les IAg peuvent devenir incontournables

La question que l’on peut alors se poser est de savoir quelle dépendance au sentier vont engendrer les IA génératives : quelles formes prendront les mécanismes d’auto-renforcement ? Pour quelles pratiques sociales leur usage deviendra-t-il incontournable ?

Une illustration de cette logique d’auto-renforcement s’observe actuellement dans les débats sur l’usage des IAg dans l’enseignement supérieur. Au motif que les étudiant.es les utilisent de toute façon déjà, mais surtout que ces « outils » seront communément utilisés dans leur future activité professionnelle, on voit se multiplier les formations, à destination des étudiant.es et des personnels enseignants, pour intégrer les IAg dans les pratiques pédagogiques et pour maîtriser « l’art du prompt20 ». Cette préoccupation, parfaitement légitime au demeurant, qui vise à doter les étudiant.es des compétences qui leur seront nécessaires car elles seront devenues incontournables, contribue de manière certaine à rendre l’usage de ces technologies effectivement nécessaire et incontournable. Dit autrement, ce qui rend véritablement inéluctable le déploiement d’une technologie, c’est la croyance partagée dans son aspect inéluctable.

Concernant le caractère incontournable des IAg, sans s’essayer à des prédictions hasardeuses, l’histoire récente du numérique, et notamment les effets de verrouillages socio-techniques qui se sont produits lorsque des seuils de généralisation de l’usage ont été franchis, peut nous donner quelques indices de ce qui pourrait advenir. Ce caractère incontournable pourrait prendre une forme stricte, l’usage de l’IAg étant nécessaire pour réaliser une activité : si par exemple l’unique moyen de communication avec un service commercial ou administratif est un Chatbot, et qu’il n’est proposé aucune possibilité de contournement. Il pourrait également s’agir d’une forme moins stricte : si tout le monde (ou presque) utilise une IAg, ne pas l’utiliser devient trop pénalisant et on finit par l’utiliser. Ce dernier cas, qui est de loin le plus répandu, échappe presque par définition à la vision instrumentale, car celle-ci ne tient pas compte des effets que produisent les usages d’une technologie sur… celles et ceux qui ne l’utilisent pas (encore) !

Ce qui rend véritablement inéluctable le déploiement d’une technologie, c’est la croyance partagée dans son aspect inéluctable.

Si les élèves d’une classe sont autorisés à utiliser ChatGPT pour « chercher des idées » ou « améliorer leur texte » dans le cadre d’un devoir à rendre dans un temps fortement contraint, un élève qui ferait le choix de se passer de ChatGPT serait de facto pénalisé. À partir du moment où ChatGPT est autorisé, il tend à devenir incontournable. 

Si au sein d’un service d’une entreprise ou d’une administration, l’usage de l’IAg se généralise pour assister les employés dans les tâches de rédaction de rapports de type formel, car il est constaté que cela fait gagner du temps sans que les destinataires ne s’en plaignent, alors le standard de productivité au sein de ce service se trouve de facto redéfini. Une personne qui désirerait éviter de recourir à l’IAg serait moins productive que les autres. Elle pourrait finir par être contrainte de l’utiliser afin de se conformer au standard de productivité demandé.

Il existe une immense variété de pratiques sociale dont la norme sera ainsi progressivement modifiée par la généralisation des usages de l’IAg. On peut d’ailleurs remarquer que dans une société valorisant la productivité (autant dans la sphère économique que dans la sphère individuelle), le déplacement de la norme sociale sous l’effet des IAg sera globalement orienté dans une unique direction : celle qui laisse escompter les gains de productivité les plus grands.

C’est la multiplication des situations dans lesquelles les IAg deviennent incontournables – que cela soit de manière stricte ou parce qu’il devient trop pénalisant de ne pas les utiliser – qui contribue à engendrer ce phénomène de dépendance sociale et ce mécanisme de dépendance au sentier.

Une dépendance à l’IA qui reste encore essentiellement à venir

L’une des raisons pour lesquelles l’argument affirmant que « l’IAg c’est juste un outil » peut être martelé sans rencontrer de forte opposition réside dans la relative nouveauté de cette technologie.

Si tout le monde peut aisément mesurer aujourd’hui combien l’automobile a radicalement transformé les modes de vie, les paysages, l’urbanisme, etc., ces bouleversements ne se sont pas faits en un jour. La dépendance de nos sociétés au « tout voiture » est le fruit d’un processus qui s’est étalé sur plusieurs dizaines d’années.

En comparaison, nous n’en sommes encore qu’au tout début des IAg21 et certains arguments soutenus par la vision instrumentale peuvent à l’heure actuelle difficilement être démentis. En effet, malgré les diverses incitations à utiliser les IAg et à s’y former dans le milieu professionnel, elle n’est pas une technologie incontournable : on peut légitimement avoir le sentiment qu’on est libre de l’utiliser ou non.

@add_rien_20 sur Unsplash.

C’est pourquoi il faut insister sur l’idée que ce qui peut sembler aujourd’hui n’être « qu’un outil comme un autre » (si l’on fait abstraction des conditions de possibilités, ce qui n’est pas rien) est à l’évidence voué à transformer radicalement les modes de vie, à structurer de nombreuses pratiques sociales autour de son utilisation et à engendrer un puissant phénomène de dépendance au sentier, d’une manière que les usages actuels ne laissent en rien présager. Les analyses des usages des débuts de l’histoire d’une technologie perdent leur pertinence lorsque les mécanismes de structuration sociale commencent à se faire sentir. Plusieurs signaux laissent penser que nous y sommes. 

L’intention « rassuriste »

On mesure donc à quel point l’idée de contrôle de l’outil, présupposée par la vision instrumentale de l’IA, est problématique. D’une part, une technologie comme l’IA « fait » beaucoup plus que la seule intention de ses utilisateurs finaux : elle les guide, les contraint, les rend dépendant, ouvre des possibles et en ferme d’autres, absorbe des compétences, etc. D’autre part, ses effets sociaux ne se réduisent pas à ce que ses utilisateurs en font, ne serait-ce que par les effets qu’elle produit même chez ceux qui ne l’utilisent pas, comme on vient de le voir. D’ailleurs, et sans s’inquiéter de la contradiction, les tenants des discours présentant les IAg comme de simples outils, s’accordent généralement pour affirmer que ces technologies « changent radicalement le monde » dans lequel on vit. Prendre cette affirmation au sérieux implique de réviser largement l’idée qu’elles seraient de « simples outils », puisque l’on comprend bien que « changer le monde » implique une dynamique autrement plus complexe que la simple somme des usages finaux.

La vision instrumentale des IAg porte avec elle une forme de « rassurisme » sur la capacité de contrôle et de maîtrise que les usagers finaux peuvent avoir des objets techniques. 

Que ce « rassurisme » soit intentionnel ou qu’il soit l’effet d’une vision naïve de la technique, le résultat est le même : il participe de la banalisation – voire de la promotion – de cette technologie, nous empêchant de penser la complexité de ses effets et d’adopter les mesures appropriées. Il s’inscrit également dans un discours plus global sur l’inéluctabilité de cette technologie, lequel nous affirme qu’elle est « déjà-là » et que « la question n’est plus de savoir s’il faut s’opposer, mais comment on va vivre avec »22, produisant un sentiment de résignation et de totale impuissance. L’idée est en somme que nous n’avons d’autre choix que de nous adapter, mais qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur du futur que cette technologie nous bâtit.

La vision instrumentale des IAg porte avec elle une forme de « rassurisme » sur la capacité de contrôle et de maîtrise que les usagers peuvent avoir des objets techniques. 

Il faut par ailleurs relever le paradoxe suivant : les promoteurs de ces technologies et les patrons de la Big Tech, qui n’ont de cesse d’affirmer qu’il ne s’agit que d’« outils », soutiennent également que l’IA représente un « risque existentiel » pour l’humanité et qu’il est urgent de réglementer ce secteur. Comme le montre Thibault Prévost23, le paradoxe se résout lorsque l’on découvre l’intention qui anime les tenants de ces discours apocalyptiques, qui visent à prendre intégralement en main le devenir de ces technologies : l’IA est trop complexe et trop dangereuse, laissez-nous faire.  

Azaqui3 sur Unsplash.

Comment tenir une critique radicale du « rassurisme » sans céder aux discours apocalyptiques qui nous maintiennent dans un état d’aveuglement quant aux dimensions matérielles et sociales décrites précédemment ?

Il s’agirait de penser lucidement ce que l’on perd et ce que l’on gagne au déploiement de ces technologies, pas seulement en tant qu’utilisateur, mais aussi en tant que société. On ne peut évidemment pas prédire comment les IAg transformeront la société et les individus qui la composent, il n’existe pas de déterminisme technique absolu, mais on peut néanmoins anticiper certains effets indésirables et s’organiser dès à présent pour tenter de les contenir.

Prenons un exemple : le principe de la génération automatique de texte, qui constitue la fonction élémentaire des IAg, transforme le rapport à l’écriture d’un texte24. Or, l’écriture est une activité fondamentale pour le développement de certaines capacités cognitives : esprit de synthèse, logique argumentaire, réflexivité, etc. Que penser d’une technologie qui développe la compétence « écrire le bon prompt » au prix de l’élimination du processus cognitif si singulier que constitue le passage de la pensée à l’écrit ? Comme le formulent efficacement deux enseignant·es : « on nous propose donc de nous libérer de la condition même de notre émancipation »25. Comment s’assurer du maintien et même du développement des compétences d’écriture sans assistance d’une IAg, quand bien même celle-ci serait plus « efficace » pour les réaliser ? En pédagogie comme ailleurs, ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage, ce n’est pas le résultat mais l’expérience vécue pour le produire. Il s’agirait donc de faire l’inventaire de ce que l’on pourrait perdre avec la généralisation des IAg et auquel on tient pourtant, pour trouver les moyens de le conserver. 

Ces considérations ne concernent pas le seul domaine de la pédagogie et de l’apprentissage. Parmi ce que les individus pourraient perdre avec les IAg, figure aussi le sens qu’ils trouvent dans certaines de leurs activités. Dans une société la valeur d’une activité humaine se mesure à son utilité et à l’efficacité avec laquelle elle est réalisée, les IAg représentent un moyen additionnel au service de cette logique. Par-delà les conséquences environnementales et sociales d’une telle perspective, se profile un risque de perte de sens. Comme le suggérait Hannah Arendt, « l’utilité instaurée comme sens engendre le non-sens »26.

Il existe une forme particulière de dépendance à la technologie, déjà largement constatée avec les smartphones, les réseaux sociaux et le numérique en général : l’addiction des individus à ces technologies.

Donnons un dernier exemple d’un effet indésirable, duquel il serait souhaitable de se préserver : l’addiction aux IAg. Il existe en effet une forme particulière de dépendance à la technologie, déjà largement constatée avec les smartphones, les réseaux sociaux et le numérique en général : l’addiction des individus à ces technologies. Ce phénomène, qui tient sans doute en partie à certaines propriétés de l’artefact, est savamment entretenu et amplifié par divers aspects de son design visant à maximiser le « taux d’engagement » des utilisateur·ices. Malgré leur arrivée récente, les IA génératives sont déjà largement utilisées comme compagne ou compagnon virtuel, entraînant des situations de dépendance affective considérablement plus puissantes qu’avec d’autres dispositifs numériques27. C’est dès aujourd’hui qu’il conviendrait d’imaginer et de mettre en œuvre des moyens de réduire ces risques d’addiction (en bridant d’une manière ou d’une autre ces technologies et leurs usages), et pas le jour éventuel où, comme avec « les écrans », le verrouillage socio-technique se trouve doublement cadenassé par des phénomènes addictifs.

Le problème des discours « rassuristes » est que non seulement ils évacuent des problématiques dont il serait nécessaire de débattre, mais en outre, en propageant un cadre d’analyse des effets sociaux des technologies totalement inadapté, puisque reposant sur une vision instrumentale, ils sapent les possibilités même d’un débat éclairé. Les discours « rassuristes » contribuent à nous maintenir dans cet état de « somnambulisme technologique » décrit par le philosophe Langdon Winner28.

Ashim D’Silva sur Unsplash.

Savoir contrer la « rhétorique de l’outil »

Au terme de ce parcours, sommes-nous mieux « outillé·es » pour démentir l’affirmation selon laquelle « ChatGPT, c’est juste un outil », comme nous en formulions l’intention en introduction ?

Si l’occasion se présente, on pourra commencer par rappeler les conditions de possibilité de ChatGPT, qui sont totalement invisibilisées par ce discours, et qui montrent qu’il s’agit plus d’un système complexe que d’un simple outil.

Ensuite, il pourra être utile d’exposer une brève histoire du développement de l’automobile, qui illustre le phénomène de dépendance au sentier. Celle-ci pourra être suivie par quelques exemples de pratiques sociales pour lesquelles l’usage du numérique est aujourd’hui incontournable, afin de souligner le fait que les futurs usages et effets de ChatGPT ne seront pas simplement un reflet étendu et amplifié des usages actuels et de ce qu’on peut constater de leurs effets.

La question n’est pas tant de savoir si tel usage est « pratique » ou pas, mais de déterminer si l’on souhaite contribuer à ce système et au monde qu’il façonne.

Enfin, on pourra faire remarquer l’intention « rassuriste » de ce discours, particulièrement inadaptée pour mener un débat éclairé sur ces technologies porteuses d’enjeux considérables. La question n’est donc pas tant de savoir si tel usage particulier est « pratique » ou pas, mais de déterminer si l’on souhaite contribuer à ce système et au monde qu’il façonne, pour pouvoir bénéficier de ce côté « pratique ».

Il faut sans doute se préparer à s’entendre dire : « la question n’est plus de savoir comment s’opposer à ChatGPT mais plutôt comment vivre avec ! »29. Cette phrase ne saurait clôturer le débat. Les deux postures, celle consistant à s’opposer (de manière raisonnée et circonstanciée) à l’IA et celle cherchant à « vivre avec », ne sont pas contradictoires. Nos sociétés sont traversées de dynamiques néfastes auxquelles on s’oppose tout en cherchant à vivre avec : des inégalités, des discriminations, des rapports de domination, des pollutions, des dégradations environnementales, des déséquilibres planétaires, etc. Le risque étant que, parce qu’elles sont considérées comme un simple « outil », les IAg continuent d’être adoptées de façon irraisonnée, et viennent renforcer ces dynamiques néfastes.

L’auteur remercie Guillaume Carbou pour les discussions stimulantes et les suggestions judicieuses.


Image d’accueil : photo de Manuel sur Unsplash.

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Notes

  1. Les IA génératives constituent un type particulier de système d’Intelligence Artificielle, destiné à générer du texte, des images, des sons, sur la base d’un modèle de langage large (LLM pour Large Language Model) entraîné sur un vaste corpus de données.
  2. On peut lire cette assertion dans des contextes aussi variés que des chartes d’utilisation de l’IA à l’Université (voir celle de l’Université Orléans, de l’Université de Franche Comté, dans le projet de charte élaboré par EdTech France), un dossier spécial IA du « programme national d’éducation au numérique des jeunes et des familles » et dans d’innombrables articles de presse et posts sur les réseaux sociaux qui proposent des astuces pour tirer « le meilleur parti de ces outils ».
  3. Alain Gras, Les macro-systèmes techniques, Que Sais-Je ?, PUF, 1997.
  4. Hans Jonas, Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, 1979 [1990].
  5. « This is the state of play in the global data centre gold rush », Weforum, avril 2025.
  6. « Data centres will use twice as much energy by 2030 — driven by AI » Nature, avril 2025. Voir également « Les géants du numérique se convertissent au nucléaire… » (Le Monde, septembre 2024) au sujet de la relance et du développement du nucléaire pour répondre à ces nouveaux besoins en électricité.
  7. Voir notamment Camille Morel, « Les câbles sous-marins », CNRS éditions, 2023, sur les enjeux qui entourent ces infrastructures de l’Internet.
  8. Celia Izoard, « L’esprit qui dévorait la matière », Ecologie & Politique, 2024.
  9. On peut se référer sur ces sujets au séminaire du groupe de travail Matérialité du Numérique du Centre Internet et Société.
  10. Voir par exemple les travaux conjoints de l’ADEME et de l’ARCEP sur l’estimation de l’empreinte environnementale du numérique.
  11. Julien Pillot, Pourquoi la bulle de l’IA ne devrait pas éclater… malgré des inquiétudes légitimes, The Conversation, décembre 2024.
  12. Voir par exemple la progression de NVIDIA, leader des calculateurs dits GPU : « Nvidia, une progression fulgurante… », Le Monde, 27 février 2025.
  13. The impact of Artificial Intelligence on productivity, distribution and growth, rapport OCDE, 2024.
  14. Voir Antonio Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Seuil, 2019, et pour une référence plus récente spécifiquement sur le travail de modération du modèle de ChatGPT, l’article de Billy Perrigo dans le Time (18 janvier 2023) au sujet de l’exploitation de travailleurs kenyans.
  15. Sébastien Broca, Pris dans la toile. De l’utopie d’Internet au capitalisme numérique, Seuil, 2025.
  16. Voir « Pourquoi les images de ChatGpt imitant le studio Ghibli font polémique », Le Monde, 31 mars 2025 et « Intelligence artificielle : Meta poursuivi en France pour violation des droits d’auteur », 12 mars 2025.
  17. Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément penser, la dissuasion nucléaire, qui agit par définition en l’absence d’usage à proprement parler, ne viole pas directement ce principe. L’usage de la technologie consistant dans ce cas à développer des armes nucléaires et à informer ses voisins qu’on est prêt à s’en servir.
  18. Pour donner un autre exemple récent parmi des tant d’autres, le tarif préférentiel pour les 12-26 ans sur les trains régionaux de la région Occitanie, dit +=0, requiert nécessairement la possession d’un smartphone, une application devant être activée à chaque montée et descente du train.
  19. Au point d’ailleurs que le fonctionnement de celles-ci en dépende, on sait les perturbations et blocages qu’entraînent une cyber-attaque ou une coupure d’Internet.
  20. Un « prompt » désigne la question ou la commande transmise à une IAg, l’équivalent d’une requête sur un moteur de recherche.
  21. Rappelons que ChatGPT n’a été proposé au grand public que fin 2022.
  22. « À l’heure des IA, la révolution silencieuse des examens : « La question n’est plus de savoir s’il faut s’opposer, mais comment on va vivre avec » », Le Monde, 8 avril 2025.
  23. Thibault Prévost, Les prophètes de l’IA. Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse, Lux, 2024.
  24. Voir par exemple « l’expérience d’écriture » relaté par le philosophe italien Andrea Colamedici, qui se présente comme le traducteur de Jianwei Xun, un auteur fictif. Le livre « Hypnocratie » (PhiloMag, 2025) a en effet été écrit en interagissant avec diverses IAg. Avec un style et des analyses concernant la facticité de notre rapport au monde qui rappellent celles des penseurs situationnistes, l’ouvrage peine à convaincre de la solidité de ses concepts. Le fait que certain·es y aient vu l’œuvre « de l’un des plus brillants philosophes de sa génération » devrait les faire réfléchir à leur propension à se laisser hypnotiser par des discours artificiels.
  25. « L’IA, junk food de la pensée | Academia », Christophe Cailleaux et Amélie Hart.
  26. Dans La condition de l’Homme moderne, 1958.
  27. Voir l’étude du MIT : « AI companions are the final stage of digital addiction ». Cette étude mentionne notamment un projet de loi adopté dans l’état de Californie pour limiter les « fonctionnalités addictives » des ChatBot et qui autorise les utilisateurs à poursuivre les entreprises opérant ces systèmes si un tort leur est causé par l’usage d’un ChatBot qui ne respecterait pas la réglementation (voir « Kids are talking to AI companions », Washington Post, 1er avril 2025).
  28. Langdon Winner, « La baleine et le réacteur », 1986.
  29. Conclusion de la chronique « un monde connecté » par le journaliste François Saltiel, le 8 mai 2025, France Culture. De façon ironique, celle-ci était consacrée à l’amplification des inégalités sociales par ChatGPT (la question étant donc, si l’on en croit le journaliste, de savoir comment vivre avec).

L’article « ChatGPT, c’est juste un outil ! » : les impensés de la vision instrumentale de la technique est apparu en premier sur Terrestres.

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26.06.2025 à 11:00

L’amour au temps du mythe

Alessandro Pignocchi

Pour les peuples animistes, le temps du mythe est cet âge initial où les êtres adoptent des formes distinctes et négocient le genre de relation qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Et si c’était pareil pour le couple ? Et si ça valait aussi pour l’engagement envers des ami·es ou un territoire ? Un strip d’Alessandro Pignocchi aussi beau que surprenant.

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Texte intégral (2962 mots)
Temps de lecture : < 1 minute

Un nouveau strip d’Alessandro Pignocchi, à retrouver également sur son blog Puntish.

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