07.04.2025 à 16:52
Mathieu Maisonneuve, Professeur de droit public, Aix-Marseille Université (AMU)
Un décret signé par Donald Trump vise à interdire aux femmes transgenres de participer à toute compétition sportive, quel que soit le sport, et y compris au niveau amateur. Derrière une justification centrée sur la protection des femmes sportives, qui seraient confrontées à une concurrence déloyale si elles affrontaient des femmes transgenres, il y a une vision idéologique qui, pour Washington, a vocation à être appliquée dans le monde entier.
Le 5 février dernier, le président Trump a signé un décret visant à « maintenir les hommes en dehors du sport féminin ». Son but est clair : en faire bannir les personnes trans MtF (Male to Female). Selon ce texte, les compétitions féminines devraient être réservées aux personnes « appartenant, au moment de la conception, au sexe qui produit les grandes cellules reproductives », à savoir les ovocytes. Exit donc les femmes trans (puisqu’elles sont nées de sexe masculin), et même la plupart des femmes intersexes (lesquelles présentent des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas à la division binaire des sexes).
Que l’on ne s’y trompe pas. L’équité des compétitions féminines ou l’intégrité physique des autres participantes, que la participation des femmes trans menacerait et que le décret mentionne pour justifier leur exclusion radicale, ne sont que des prétextes. Si le sujet divise politiquement, il existe au moins une certitude scientifique et juridique : de tels objectifs, pour légitimes qu’ils sont, ne peuvent rationnellement justifier le bannissement de toutes les sportives transgenres, quels que soient leur parcours de transition et leur âge, dans tous les sports, à tous les niveaux de compétition.
Comparer physiquement à des hommes cisgenres les femmes trans ayant, en plus d’une transition sociale, effectué une transition hormonale (ou eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle) repose sur une fausse équivalence. Traiter de la même façon les filles trans prépubères et les femmes trans ayant connu les effets de la puberté masculine a tout d’une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant sportif. Assujettir les échecs ou le tir sportif à la même règle que l’haltérophilie ou la boxe fait fi des plus élémentaires spécificités sportives. Mélanger les compétitions « élite » et « loisir » ignore que l’important est parfois seulement de participer.
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Le décret pourrait ainsi concrètement conduire, en apportant une réponse simpliste à une question complexe, à ce qu’une jeune fille trans âgée de 8 ans (la prise de conscience de la dysphorie de genre peut parfaitement intervenir dès l’enfance et, s’il peut en aller autrement pour une transition médicale, il n’y a pas d’âge minimum pour effectuer une transition sociale) ne puisse prendre part à des compétitions scolaires féminines de bowling. Ce cas fictif n’est guère éloigné de cas réels, nés de l’application de lois adoptées par de nombreux États républicains, actuellement contestées en justice, au motif qu’elles seraient contraires à la clause d’égale protection de la Constitution américaine et au titre IX de l’Education Amendments Act de 1972 (qui prohibe en principe toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes et activités d’éducation bénéficiant d’une aide financière fédérale).
Bien que l’actuelle composition de la Cour suprême rende tout pronostic délicat, plusieurs des juridictions saisies, y compris des cours d’appel fédérales, se sont montrées sensibles à l’argument, relevant le caractère disproportionné des lois contestées. Il n’est pas impossible que le décret du président Trump, que deux adolescentes du New Hampshire ont été les premières à attaquer, connaisse le même sort.
La généralisation abusive à laquelle procède le décret contesté ne constitue en réalité rien d’autre que la manifestation d’un dogmatisme assumé.
L’exclusion promue l’est avant tout, ainsi que le texte ne le cache pas, pour des raisons de « dignité » (celle des sportives cisgenres qui subiraient l’« humiliation » de devoir participer aux mêmes compétitions que des sportives trans) et de « vérité » (alternative, est-on tenté d’ajouter).
En réalité, il ne s’agit pas de protéger le sport féminin. Il s’agit d’exploiter la prétendue évidence (même parmi les électeurs démocrates, 67 % la partageraient selon un sondage effectué en janvier 2025) de l’avantage compétitif injuste dont disposeraient les sportives trans (que le titre du décret qualifie d’« hommes ») par rapport à leurs concurrentes cis (qui, elles, seraient de « vraies femmes »), pour dénoncer plus généralement le « délire » que constituerait le fait de s’affranchir du « bon sens » au nom de l’« idéologie du genre ».
En l’état de la science, la seule vérité est qu’il est « absurde » de donner une réponse unique à la question de la participation des femmes et filles transgenres aux compétitions féminines. Avant la puberté, ou même après pour les enfants qui auraient eu accès à des bloqueurs de puberté, il existe un quasi-consensus scientifique selon lequel les filles et les garçons ont peu ou prou les mêmes capacités physiques, à tout le moins qu’il n’existe pas de différences liées au sexe telles qu’il serait injuste de les faire concourir ensemble. Après la puberté, l’avantage physique dont disposeraient les hommes sur les femmes est très variable d’un sport à un autre, voire parfois inexistant. Et même dans les sports où il est acquis que les effets de la puberté masculine jouent un rôle déterminant, il n’est nullement exclu, sauf peut-être dans certaines disciplines, que l’équité sportive ne serait pas préservée en dépit de la participation d’athlètes ayant suivi une transition hormonale. Le débat reste ouvert.
On aurait tort, de notre côté de l’Atlantique, de se contenter de sourire (jaune) face à la transphobie qui motive le décret présidentiel sur le sport féminin. Il n’entend pas seulement rallier à sa vision ostracisante l’ensemble du sport américain. Il prétend y convertir le sport mondial.
Le secrétaire d’État des États-Unis est ainsi chargé de promouvoir au niveau international, aux Nations unies ou ailleurs, l’adoption de normes d’exclusion. Il lui est en particulier demandé d’utiliser tous les moyens appropriés pour que le Comité international olympique (CIO) adopte des règles empêchant qu’à l’avenir une femme transgenre, voire intersexe, puisse prendre part à des événements sportifs dépendant de lui, même sous condition d’avoir réduit son taux de testostérone.
Le principe d’indépendance du mouvement sportif, lequel est censé s’opposer à toute ingérence politique dans son fonctionnement, résistera-t-il à l’offensive américaine annoncée ? On peut l’espérer. L’arrêt que rendra prochainement la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Caster Semenya, née de la contestation des règles de la Fédération internationale d’athlétisme relatives à l’éligibilité des sportives intersexuées, y aidera peut-être.
Le bras de fer en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Los Angeles est en tout cas déjà engagé. Le décret prévoit en effet de refuser l’entrée aux États-Unis à toute personne transgenre ou intersexe désireuse de s’y rendre pour participer à des compétitions féminines. Or de tels refus seraient contraires aux promesses faites par le gouvernement américain au stade de la candidature pour l’organisation des Jeux de 2028 et reprises dans le contrat de ville hôte.
Cette dernière, comme les États-Unis, s’est engagée non seulement à ce que toute personne titulaire d’une carte d’identité et d’une accréditation olympique puisse entrer sur le territoire américain, mais aussi, plus largement à respecter les principes fondamentaux et les valeurs de l’olympisme – à commencer par le principe de non-discrimination. Si ce principe n’interdit pas nécessairement toute différence juridique de traitement, encore faut-il, selon un standard à peu près universellement admis, qu’elle repose sur une justification objective et raisonnable. Soit l’exact inverse de celle fondant le décret signé par le président Trump.
Mathieu Maisonneuve est membre du comité d'experts sur la transidentité dans le sport de haut niveau
07.04.2025 à 16:52
Lauren Bakir, Ingénieure de recherche CNRS, Université de Strasbourg
En février dernier, le Sénat a voté une proposition de loi visant à « assurer le respect du principe de laïcité dans le sport ». Pourtant, selon de nombreux juristes et associations de protection des droits humains, ce texte risque au contraire de dévoyer la laïcité et de discriminer les femmes qui portent le voile. Qu’en est-il ?
En 1905, la France adopte la loi de séparation des Églises et de l’État après des débats houleux entre les parlementaires antireligieux et les parlementaires favorables à une loi de liberté. C’est cette seconde approche qui est adoptée, suivant la célèbre phrase du rapporteur de la loi, Aristide Briand : « Notre loi est une loi de liberté, qui fait honneur à une assemblée républicaine ». Une cinquantaine d’années plus tard, l’article 1 de la Constitution de 1958 déclare que la France est une République laïque.
Au-delà des mots et des textes généraux, qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Juridiquement, cela signifie que trois éléments sont garantis : la neutralité de l’État, l’égalité entre les cultes, et la liberté de religion. Cette dernière, constamment remise en cause depuis quelques années, implique à la fois la liberté de croire, de ne pas croire, d’extérioriser ses convictions individuellement – par le port d’un voile par exemple – ou collectivement – participer à des cérémonies religieuses par exemple.
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La liberté de religion est le principe et trouve comme limite, comme toute liberté fondamentale, l’ordre public et le respect des droits d’autrui. La neutralité de l’État justifie quant à elle que, de longue date, les personnes exerçant des missions de service public (enseignants à l’école publique, médecins et infirmiers à l’hôpital public, forces de l’ordre, etc.) sont elles-mêmes tenues à la neutralité : elles ne peuvent exprimer leurs convictions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions.
Pourtant, depuis quelques années, une confusion entre neutralité de l’État et liberté de religion des personnes s’est imposée dans le débat public.
Le 15 mars 2004 est adoptée une loi qui interdit aux élèves de l’école publique de porter des signes manifestant « ostensiblement une appartenance religieuse ». Le 10 octobre 2010, c’est la dissimulation du visage dans l’espace public qui est interdite. Le 8 août 2016, est adoptée la loi Travail qui permet aux employeurs d’insérer dans le règlement intérieur de leur entreprise une « clause de neutralité » : celle-ci permet de restreindre le port de signes convictionnels (religieux, politiques, philosophiques) aux salariés, à certaines conditions (il faut notamment que l’entreprise poursuivre une politique de neutralité, et que l’interdiction ne concerne que les salariés en contact avec la clientèle).
En dépit de la formulation neutre des textes de loi – qui visent tantôt les signes religieux, tantôt la dissimulation du visage, tantôt les signes convictionnels –, c’est bien le port du voile qui motive politiquement ces interdictions, et c’est bien aux femmes qui portent le voile que ces interdictions, une fois entrées en vigueur, s’appliquent en grande majorité.
Si les textes juridiques ne mentionnent pas le voile directement, c’est parce que dans un État de droit libéral et démocratique, certaines règles sont à respecter lorsque les autorités souhaitent limiter nos libertés fondamentales.
L’État de droit a vocation à éviter la tyrannie d’une majorité sur les minorités, à ériger des garde-fous pour éviter l’arbitraire inhérent à tout exercice du pouvoir. L’État de droit implique donc que toute restriction de liberté soit justifiée, proportionnée, nécessaire, adaptée au but poursuivi. Il n’est donc pas possible de viser une religion en particulier, ou un genre en particulier.
La réalité politique et sociale est toute autre : dans les discours politiques, c’est bien le port du voile qui est visé. Qualifié tantôt d’instrument de soumission des femmes, tantôt d’étendard de l’islamisme – des accusations extrêmement graves et, surtout, strictement déclaratives –, c’est bien le port du voile qui occupe et anime le personnel politique.
Dans les faits, ce sont également les femmes qui portent un voile qui sont impactées : elles sont contraintes d’enlever leur voile à l’entrée de l’école, de l’entreprise, ou s’adaptent en cherchant une activité professionnelle n’impliquant pas de nier une partie de leur identité.
Dans un arrêt rendu en juin 2023, le Conseil d’État distingue deux catégories de sportifs. D’un côté, les joueurs sélectionnés pour jouer en équipe de France sont soumis au principe de neutralité du service public, la Fédération étant délégataire d’une mission de service public. D’un autre côté, les autres licenciés ne sont pas soumis au principe de neutralité du service public mais aux statuts des Fédérations. Celles-ci déterminent les règles de participation aux compétitions qu’elle organise, parmi lesquelles les règles permettant d’assurer, pendant les matchs, la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu (par ex. réglementation des équipements et des tenues).
C’est sur cette base que le Conseil d’État juge que la Fédération française de football a pu interdire, dans l’article 1 de ses statuts, le port, pendant les matchs, de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », cette interdiction étant « nécessaire pour assurer leur bon déroulement des matchs, en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport ». Pour résumer, les joueurs hors équipe de France sont soumis aux statuts des Fédérations : s’agissant de la Fédération française de football, cela signifie que pendant les matchs, les joueurs ne peuvent porter de signes exprimant leurs convictions.
Il convient de souligner que juridiquement, une telle interdiction est discutable, le risque d’affrontement ou de confrontation découlant d’un éventuel port de signe convictionnel n’ayant jamais fait l’objet d’études précises. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie et devrait rendre sa décision avant la fin de l’année 2025.
Il faut également rappeler qu’en novembre dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies, dont une des missions est de contrôler la conformité de nos législations nationales avec nos engagements internationaux, a relevé « avec préoccupation l’élargissement de telles restrictions, telles les interdictions dans le domaine sportif qui, […] dans la pratique, auraient un impact discriminatoire sur les membres des minorités religieuses, notamment les femmes et les filles de confession musulmane », invitant la France à revoir sa copie.
Si cette proposition de loi était votée par l’Assemblée nationale et était promulguée, cela conduirait à systématiser l’interdiction du port du voile dans toutes les compétitions, y compris celles des amateurs. À la distinction actuelle entre joueurs sélectionnés en équipe de France et « représentant », d’une certaine façon, l’État – incluant une obligation de neutralité –, et la liberté laissée aux différentes fédérations dans leurs statuts, se substituerait une interdiction générale concernant toutes les sportives.
La France serait alors le seul pays à nier la liberté de religion des femmes de confession musulmane qui décident de porter le voile de façon aussi étendue. Si le premier ministre considérait le 18 mars qu’il y avait « urgence de légiférer sur le sujet », il semble avoir depuis changé d’avis. Ce revirement de situation ne signifie pas que ce dossier est abandonné. Il dépendra, en réalité, de la conjoncture politique.
Lauren Bakir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
07.04.2025 à 11:28
Gérard Hirigoyen, Professeur émérite Sciences de Gestion, Université de Bordeaux
Même si le marché des bureaux traverse une crise profonde – 5 millions de mètres carrés inoccupés en 2024 –, il reste toujours attractif. La principale raison ? Sa valeur reste immatérielle… et non purement financière. Focus sur le quartier de la Défense à Paris qui connaît un taux de vacances de 15 %, mais qui reste un symbole de la puissance économique de la France.
Le quartier de la Défense, l’un des quartiers d’affaires les plus importants au monde, second en Europe en volume d’activités financières après la City de Londres, n’échappe pas à la crise d’ampleur constatée sur l’investissement dans la classe d’actifs « bureaux ».
Ce marché, après avoir doublé en moins de dix ans, et fait de la France l’un des premiers marchés européens, présente plus de 5 millions de mètres carrés inoccupés en Île-de-France. Le taux de vacance est désormais positionné à 3,6 % dans le quartier central des affaires de Paris (le VIIIe et une partie des Ier, IIe, IXe, XVIe et XVIIe), à 13,7 % dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements. En petite couronne, le taux de vacance monte à 23,5 % et 15 % à la Défense.
En 2024, le marché des bureaux en Île-de-France traverse une phase de mutation profonde. Les zones périphériques de Paris doivent se réinventer face aux défis d’une suroffre et d’une transformation accélérée des usages. Certains plaident même pour une transformation massive des immeubles de bureaux en logements. Une telle initiative est-elle pour autant adaptée et souhaitable pour la Défense, et in fine généralisable ? Alors que l’investisseur comme l’occupant ou encore le financeur sont tous de plus en plus à la recherche de performance durable, investir dans l’immobilier de bureaux à La Défense peut-il être un acte de finance durable ?
La valeur de l’immobilier de bureaux ne se résume pas à la valeur économique directe issue des loyers. Sa valeur d’utilité obtenue par la somme des cash flows (ou flux de trésorerie) actualisés est assise sur une valeur immatérielle qui le transcende. Autrement dit, l’argent ne prend de la valeur au fil du temps grâce aux intérêts, mais aussi pour d’autres raisons plus impalpables.
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Comme la valeur de la tour Eiffel ne saurait être estimée qu’à l’aune d’un flux de trésorerie futur sur les tickets vendus, le quartier de la Défense n’est pas qu’un quartier d’affaires. Il est le symbole du pouvoir de la France dans le monde et de sa capacité à l’influencer. Réduire l’emprise spatiale de ce quartier, envisagez d’en modifier son identité, entrainerait irrémédiablement une évolution substantielle de l’image de la France en matière de centre de décision et de recherche, donc de terre innovante.
Dans ses bureaux se déroulent des activités tertiaires : principalement y sont abrités les sièges sociaux d’entreprises, le développement de la recherche ou encore de l’éducation. Lorsqu’il est évoqué la possibilité de reconfigurer ce quartier pour le revaloriser, il est nécessaire de prendre en compte l’impact sur la valeur territoriale d’un tel projet. L’objectif : intégrer une valeur symbolique générative d’émotions au calcul de la performance ESG.
Investir à la Défense en veillant à améliorer la durabilité des actifs permet aux parties prenantes engagées, acteurs des secteurs financiers et/ou immobilier, d’accroître leur performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG), d’améliorer de facto leur performance financière, du fait de l’émergence d’une valeur « verte » additionnelle ou rectificative de la « décote brune ». L’actif immobilier prend de la valeur s’il respecte les exigences environnementales. A contrario, il perd de la valeur si d’importants travaux de mise en conformité sont à réaliser.
La réhabilitation d’un immeuble vide contribue de manière plurielle à son environnement : création d’emplois directs ou indirects, suppression de la pollution visuelle d’un immeuble délabré et insalubre, etc. Par ricochet, la valeur financière de l’actif, une fois l’opération menée, s’en trouvera renforcée par une contribution à l’attractivité retrouvée du quartier. Mais le périmètre de la création de valeur et l’impact d’un tel investissement ne s’arrêtent pas là.
Davantage que le seul développement du télétravail imputé à la pandémie de Covid-19, l’immobilier de bureaux connaissait déjà une situation de suroffre. Sur la période 2008-2018, on observe en Île-de-France une décorrélation des courbes de croissance d’emplois de bureaux et de création de surfaces de bureaux. Pour chaque emploi de bureau, 49 m2 sont créés en moyenne, contre 28 m2 sur la période 1999 à 2007.
Ce phénomène est-il finalement la démonstration sous nos yeux de la conséquence du déracinement des entreprises, relevée dans l’étude « Vers un grand déracinement des entreprises françaises cotées ? » Ou simplement l’illustration d’une gouvernance dysfonctionnelle de la part des investisseurs empreinte de biais cognitifs et émotionnels, laissant se déployer une suroffre ?
Un investisseur n’est pas uniquement considéré comme un être raisonnable, mais un être d’émotions. Il bénéficie d’une valeur émotionnelle issue du symbole que représente un actif comme un bureau à la Défense. Monétisable du fait d’une désirabilité de l’actif recouvrée, la valeur émotionnelle viendra augmenter la valeur financière.
La finance deviendrait réellement durable, en permettant, par son engagement patriotique, la transmission du patrimoine français matériel et immatériel aux générations futures ? Sous réserver qu’elle inclut également dans ses pratiques une gouvernance globale ?
Alors que les conventions fiscales peuvent favoriser l’investissement en immobilier hors de France, alors que d’aucuns envisagent d’accroître sa taxation en France, et dans un contexte de refonte de l’IFI, qui osera alors encore se risquer à qualifier l’investissement immobilier en France « d’improductif » ?
Cet article a été co-rédigé par Pascal Weber, présidente de Walreus.
Gérard Hirigoyen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
07.04.2025 à 11:28
Romaric Servajean-Hilst, Professeur de stratégie et management des achats et de l'innovation collaborative Kedge Business School, Chercheur-associé au Centre de Recherche en Gestion i3 de l'Ecole polytechnique, Kedge Business School
Face aux risques de rupture d’approvisionnement et aux besoins des États, la notion de souveraineté impose d’être prise en compte à tous les niveaux des entreprises concernées, dans l’intérêt général.
« Souveraineté » est un mantra qui revient de manière appuyée dans les discours politiques comme dans ceux des dirigeants d’entreprises. Les grands chamboulements politiques, géopolitiques et économiques des dernières années et des dernières semaines, voire des derniers jours, la remettent au cœur du jeu. Le Conseil d’État y a consacré son étude annuelle en 2024 et a fait de nombreuses propositions pour améliorer la souveraineté de l’État.
Pour autant, il reste encore à pousser la réflexion jusqu’à l’échelle des entreprises françaises et de la manière dont les employés s’en emparent au quotidien.
En France, le principe de souveraineté est au cœur de l’article 3 de la Constitution de 1958. Il consiste à assurer l’autonomie de la nation française dans l’exercice de son autorité. Rechercher une souveraineté dans la santé, la défense, l’agriculture, l’accès à l’énergie du peuple revient à assurer l’autonomie d’approvisionnement de chaque filière. C’est ce qui permet aux citoyens d’accéder sans risques aux produits et services associés.
Ainsi, l’État peut être amené à sécuriser certains actifs clés. Cela a été le cas en 2024 à travers l’acquisition de certains actifs d’Atos achetés par la France, afin de garantir l’autonomie de fonctionnement de systèmes militaires stratégiques. Cela peut aussi se jouer à l’échelle de plusieurs pays alliés.
À lire aussi : Quelle technologie de batterie pour les voitures électriques ? Un dilemme de souveraineté industrielle pour l’Europe
Or, assurer l’autonomie d’une filière, depuis la matière première jusqu’au consommateur, passe par la maîtrise des différents maillons de ses chaînes d’approvisionnement qui sont fragmentées géographiquement et d’un point de vue organisationnel. L’autonomie n’étant pas l’autarcie, la souveraineté n’est pas affaire de fermeture mais de maîtrise de l’ouverture. À l’échelle étatique, cette maîtrise se trouve diluée par l’économie de marché et la mondialisation. Aussi, la gestion de la souveraineté est de facto en grande partie transférée vers les entreprises, sous un contrôle étatique variable, à travers les différentes filières industrielles.
Pour une entreprise, être autonome équivaut à savoir assurer la résilience de sa chaîne d’approvisionnement face aux crises successives et à venir. Il faut pouvoir assurer la continuité de sa production, donc pouvoir maîtriser ses chaînes d’approvisionnements. Les défauts de souveraineté sont apparus de manière douloureuse au gré des crises successives d’approvisionnement survenues depuis le Covid-19. Quand, par exemple, le canal de Suez a été bloqué par l’échouage du porte-conteneurs Ever-Given, des chaînes de production automobiles européennes ont été mises à l’arrêt, faute de composants électroniques disponibles.
Par ailleurs, les États accroissent également leurs demandes dans ce sens, à l’aide de règlements, de subventions ou d’engagements contractuels. Et cela se traduit par exemple par la relocalisation d’une usine de paracétamol ou par des campagnes de prospection afin d’extraire du lithium sur le sol français. Mais, cela suffit-il pour assurer la souveraineté ?
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Pour une entreprise, assurer la souveraineté de ses produits (ou services) nécessite de maîtriser tous les éléments de ses chaînes d’approvisionnement et de valeur : depuis les matières premières jusqu’au produit final, ainsi que l’outil de production et les pièces de rechange, mais aussi les savoirs et savoir-faire pour les élaborer, les faire fonctionner et les améliorer. Pouvoir proposer des pâtes alimentaires demande de maîtriser son approvisionnement en blé dur, et en amont des semences et autres intrants. Mais il faut également s’assurer que les pétrins, laminoirs et extrudeurs seront toujours en état de transformer la farine de blé en pâtes. Et, plus le produit est complexe, plus l’entreprise est grande et plus il est difficile de garder la maîtrise sur tous ces éléments, ainsi que le relève le baromètre de la souveraineté 2025.
Il s’agit d’abord de savoir cartographier l’ensemble des étapes et des parties prenantes de ses chaînes d’approvisionnement et de valeur liées à chaque produit pour lequel il y a un besoin de souveraineté. Puis, il faut choisir les niveaux d’autonomie recherchés pour chacune des étapes, savoir s’il faut les réaliser en interne ou recourir à des prestataires externes. Dans ce dernier cas, il s’agit de bien choisir ses contributeurs, en premier lieu ses fournisseurs, et d’évaluer leur fiabilité. Faut-il acheter local ou dans des pays amis ? Faut-il se concentrer sur une seule source ou bien diversifier son portefeuille ? Ces questions doivent se poser à tous les instants du cycle de vie d’un produit souverain. Il s’agit alors d’apporter des réponses s’appuyant sur des critères aussi bien économiques que géostratégiques. Par exemple, en ne sous-traitant pas l’ensemble de ses activités de chaudronnerie dans des pays à bas coût, les savoir-faire ne sont pas perdus et peuvent être développés quand ils sont nécessaires. L’intérêt général est en jeu. Et, il se joue dans tous les maillons de l’entreprise.
Développer la souveraineté impose de se pencher à nouveau sur la conception des produits et des modes de production après des décennies de mondialisation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, General Electric, manquant de matières premières, de main-d’œuvre qualifiée et de certains composants clés aux États-Unis, avait mis en place une méthode pour revoir la conception de ses produits sans certains éléments. Ainsi, fabriquer aujourd’hui des puces électroniques « Made in Europe » exige d’innover sur les produits comme sur les procédés de production, et de créer de nouvelles alliances, voire de créer de nouvelles manières d’évaluer la rentabilité de ces industries très capitalistiques.
Puis au quotidien dans l’entreprise, conserver sa souveraineté s’appuie sur une vigilance constante quant à la santé et la situation de ses fournisseurs, de leurs fournisseurs et des fournisseurs de leurs fournisseurs… Il s’agit de savoir identifier les signaux faibles de défaillances financières comme logistiques qui pourraient apparaître sur chacun des maillons de la chaîne d’approvisionnement. Il s’agit aussi de surveiller les éventuelles menaces en cas de changement de stratégie ou de propriété de ces parties prenantes.
Cela requiert alors des capacités d’analyse et de projection dans un environnement changeant et instable. Il faut aussi être capable de nouer des alliances avec ses fournisseurs, voire ses concurrents, pour apporter des réponses collectives, à l’échelle de grands projets structurants – comme c’est le cas par exemple dans le domaine du spatial en Europe – mais aussi du grain de sable qui peut bloquer un engrenage complexe. Chaque élément est important.
Le Conseil d’État dans son rapport de 2024 a souligné qu’il était nécessaire de renforcer au niveau de l’État la citoyenneté afin de permettre un exercice plein de la souveraineté. Il met également en avant le besoin de renforcer les compétences techniques et scientifiques des Français. Pour pouvoir déployer ces propositions, ainsi que les autres, à un niveau étatique et macro-économique, et les rendre effectives, il conviendrait de les enrichir par un apprentissage du management de la souveraineté à tous les échelons de l’entreprise.
Cela passe notamment par une sensibilisation particulière des fonctions dirigeantes et financières. Cela doit aussi passer par la sensibilisation et la formation des fonctions en charge de l’innovation, des achats et de la logistique. Ce sont leurs analyses et leurs décisions qui permettent d’abord d’assurer l’autonomie et la sécurité des produits et services souverains, à court comme à long terme. La souveraineté dans l’entreprise est une question de citoyenneté comme de gestion des ressources externes comme internes, matérielles et humaines.
Cet article a été écrit en collaboration avec Antoine Chaume, élève-ingénieur à l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace - Sup'aéro
Romaric Servajean-Hilst ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
07.04.2025 à 11:27
Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education
Nicolas Dufour, Professeur affilié, PSB Paris School of Business
Certains collaborateurs sont déterminants pour l’entreprise. Comment les bichonner à l’ère du télétravail ? L’hybridation des modes présentiel et distanciel permet-elle de les fidéliser ? Ou, au contraire, ouvre-t-elle la boîte de Pandore ?
Dans leur essai Le Risque collaborateur clé. Réduire les impacts liés à l’absence d’un ou de plusieurs collaborateurs clés, à paraître aux éditions Gereso en avril, Caroline Diard, professeure associée au département droit des affaires et RH de TBS Education, et Nicolas Dufour, professeur affilié au CNAM, aident les entreprises à s’armer pour faire face à cette situation.
Les derniers chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) confirment un ancrage du télétravail dans les pratiques organisationnelles : 22 % des salariés du privé télétravaillent au moins une fois par mois.
Il n’est plus question du télétravail que nous avons connu avant le confinement de mars 2020. Les accords d’entreprise se sont multipliés. Ils sont désormais fréquemment formalisés et objet de dialogue social. On assiste également à une forme d’acculturation au télétravail qui a permis de repenser l’expérience collaborateur.
On parle désormais de travail hybride. L’hybridation produit une imbrication des temps et des espaces. Il est désormais entendu que l’exercice d’une activité peut être effectué pour partie en présentiel et pour partie à distance. Le lieu d’exercice peut être varié : le domicile, un train, un avion, un espace de coworking, une salle d'attente. Au-delà de cette déspatialisation, les temps sont également multiformes et imbriqués – temps de travail, temps social, temps domestique, temps familial, temps de loisir.
Le risque collaborateur clé est l’un des principaux risques en ressources humaines (RH). Si l’adage « les cimetières sont remplis de gens irremplaçables » est souvent mis en avant, la gestion de ce risque recoupe des réalités bien diverses. Le collaborateur clé peut être défini comme « celle ou celui qui possède un savoir-faire, une technique, une expertise et/ou des responsabilités uniques qui en font un élément indispensable ». Deux notions au moins sont donc au cœur de ce concept : la rareté – voire le caractère unique du personnage en question – et l’apport en termes de ressources pour l’entreprise – financières ou d’expertise.
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Le risque « collaborateur clé » peut se manifester de plusieurs manières : absence, décès, départ à la retraite, démission, révocation, conflit avec l’employeur, etc. Ce sujet, loin d’être nouveau, a été abordé dans différents champs que sont les sciences de gestion, le management des ressources humaines, l’assurance, le contrôle interne, le service juridique. Nous proposons aujourd’hui de dédier un livre à cette thématique : Le risque collaborateur clé : réduire les impacts liés à l’absence d’un ou de plusieurs collaborateurs clés.
Si toutes les organisations peuvent être confrontées au risque collaborateur clé, toutes ne sont pas nécessairement armées face à ces situations. L’enjeu de notre ouvrage est double : la prise de conscience d’un risque devenu incontournable et les moyens pour tenter de réduire les impacts liés à l’absence non planifiée d’un ou de plusieurs collaborateurs clés.
L’hybridation est devenue un élément de la marque employeur. Outil d’attractivité et de fidélisation, il est un fort levier de rétention.
Les collaborateurs clés disposent de compétences et d’expertises qui sont considérées comme rares, voire uniques, par leur entreprise. Ils sont fréquemment abordés par des cabinets de recrutement et peuvent saisir de nombreuses opportunités. Une démission de collaborateur clé pourrait mettre en danger la poursuite de certaines missions.
Certains de ces collaborateurs pourraient être tentés d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs dans un contexte relativement favorable pour l’emploi. Au quatrième trimestre 2024, le taux de chômage est quasi stable à 7,3 %. Alors que les entreprises sont confrontées à de nombreuses démissions et ruptures conventionnelles, elles ont tout intérêt à communiquer sur les possibilités en matière de lieu d’exercice du travail – domicile, nomadisme, coworking, présentiel entreprise, résidence secondaire.
Le risque d’invisibilité – en dehors des cadres contractuels traditionnels – créé par l’hybridation pourrait à l’inverse créer un danger pour l’organisation. Loin du collectif de travail, le collaborateur clé peut saisir d’autres opportunités professionnelles. Le travail en coworking peut lui permettre de tisser des liens utiles pour son employabilité et lui offrir des perspectives de carrière à l’extérieur. Il pourrait aisément être « débauché », loin des yeux de l’entreprise.
« En matière de télétravail, la décision radicale de retour en arrière pourrait pousser de nombreux collaborateurs clés à la démission. Une telle vision serait pourtant un très mauvais calcul dans une période où de nombreux secteurs peinent à recruter et où l’hybridation permet de renforcer la marque employeur comme facteur d’attractivité. D’après France Travail, 57,4 % des entreprises seraient concernées. Ne lâchons pas le télétravail, cela nous priverait d’une opportunité de concilier vie personnelle et professionnelle, de limiter les déplacements et d’adopter une démarche responsable, et surtout de retenir les hommes clés. »
Les attentes sont fortes en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Concernant les hommes clés, il serait pertinent d’accéder à toute demande en matière d’hybridation, et ce même si le télétravail n’est pas formalisé dans l’entreprise.
Les services RH ont tout intérêt à être inventifs pour retenir les collaborateurs clés. On pense notamment à la mise en place de télétravail à l’étranger, par exemple.
L’hybridation est devenue un élément de rétribution au même titre qu’une prime variable, un complément retraite, l’épargne salariale. Il s’agit d’offrir une flexibilité à la fois temporelle et géographique, avantage non pécuniaire susceptible d’être privilégié par les collaborateurs clés souhaitant envisager un lieu de vie qui est éloigné de l’entreprise par exemple.
L’hybridation n’est heureusement pas l’unique voie de satisfaction des collaborateurs clés. L’aménagement du temps de travail, la souscription d’un abonnement de coworking, un package de rémunération innovant, pourraient répondre aux attentes des collaborateurs clés.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
07.04.2025 à 11:27
Hachmi Ben Ameur, Directeur de recherche, Professeur, INSEEC Grande École
Selma Boussetta, Maître de conférences en finance, Université de Bordeaux
Et si une certaine vertu payait ? Les entreprises ayant une politique ESG volontaire seraient moins affectées par les chocs boursiers exogènes. Parmi les raisons qui l’expliquent figurent notamment la qualité des liens qu’elles nouent avec leurs parties prenantes.
Les pratiques ESG (relatives aux critères environnement-social-gouvernance, ndlr) des entreprises cotées sont devenues un enjeu central dans l’analyse des marchés financiers, car les investisseurs intègrent de plus en plus ces critères dans leurs décisions d’allocation de capital. Cette évolution influence directement la capacité des entreprises à attirer des financements, à réduire leur coût du capital et à bénéficier de primes de valorisation sur les marchés boursiers.
Les agences de notation ESG et les gestionnaires d’actifs accordent une importance croissante à ces critères, considérant qu’ils reflètent non seulement la performance extrafinancière des entreprises, mais aussi leur potentiel de création de valeur à long terme. Dans ce contexte, il est essentiel d’analyser l’impact des pratiques ESG sur la résilience financière des entreprises.
Sur les marchés boursiers américains, après une année 2020 exceptionnelle, la pandémie de Covid-19 a exercé un choc exogène qui les fit reculer de près de 30 points. Cet événement inédit nous donne l’occasion de comprendre l’influence du score ESG sur la résilience financière des entreprises cotées à deux niveaux. D’une part, à travers la sévérité des pertes liées au cours de l’action et d’autre part sur leur capacité de rebond post-crise. Notre étude, portant sur 1 508 entreprises cotées aux États-Unis entre décembre 2019 et juin 2021, montre que les entreprises disposant d’un meilleur score ESG ont bénéficié d’une plus grande confiance des investisseurs. Cette perception favorable du marché a permis de limiter la baisse du cours de leurs actions et d’accélérer leur retour au niveau d’avant crise.
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Notre étude nous a permis de comprendre que toutes les composantes ESG ne jouent pas un rôle significatif sur le potentiel de résilience des entreprises. Ainsi, si les composantes RSE du score ESG exercent une influence forte, ce n’est pas le cas de la dimension qui relève de la gouvernance. Concrètement, la résilience accrue s’explique par l’action conjointe de quatre facteurs :
Premièrement, les entreprises fortement engagées en ESG sont généralement mieux préparées à gérer les risques, ce qui leur permet de mieux traverser les périodes de turbulence économique. Elles sont souvent mieux préparées à faire face à des situations imprévues, comme une crise sanitaire, grâce à des plans de continuité d’activité bien élaborés et une réactivité accrue face aux changements rapides du marché.
À lire aussi : Effectuer des investissements responsables, ce n’est pas renoncer à leur rentabilité
Deuxièmement, les entreprises fortement engagées en ESG bénéficient souvent d’une meilleure réputation, ce qui constitue indéniablement un atout majeur pendant les crises. La fidélité des clients et la confiance des parties prenantes sont renforcées, ce qui aide ces entreprises à maintenir leurs revenus et investissements même en période difficile.
Troisièmement, les bonnes pratiques ESG impliquent souvent des relations plus solides avec les employés et les fournisseurs. Cela peut se traduire par une plus grande réactivité et une meilleure collaboration lorsqu’il est nécessaire d’adapter rapidement les opérations en réponse à une crise.
Quatrièmement, les entreprises qui sont à l’avant-garde de l’innovation notamment dans le développement de produits ou services plus durables envoient un signal positif aux investisseurs qui leur prêtent volontiers de meilleures capacités de résilience face aux crises environnementales. Ces entreprises sont plus aptes à répondre plus efficacement aux défis émergents.
L’article souligne que du point de vue des entreprises, investir dans le capital environnemental et social pourrait les aider à résister à de futurs chocs et représenter une forme d’assurance efficace en période de crise. Pour les investisseurs, les politiques environnementales et sociales pourraient diminuer le risque d’exposition des entreprises en cas de crise. Les résultats suggèrent que les gestionnaires devraient se concentrer sur les pratiques environnementales et sociales pour améliorer la résilience financière, ce qui pourrait se traduire par des avantages concurrentiels significatifs.
Dit autrement, le capital environnemental et social d’une entreprise est tout aussi important que son capital financier pour évaluer sa capacité à surmonter les crises et à sur-performer à l’avenir. Il devrait à ce titre être de plus en plus scruté par les investisseurs dans leur choix de portefeuille.
Alors que les défis environnementaux et sociaux prennent une importance croissante, il est intéressant de considérer la manière dont les entreprises et les marchés valorisent les pratiques ES. À l’avenir, il pourrait devenir impératif pour les entreprises non seulement d’adopter des stratégies ES en réponse aux attentes des parties prenantes, mais aussi comme un élément essentiel de leur survie et de leur prospérité dans un environnement commercial, de plus en plus incertain et volatile.
Les innovations dans le domaine de la durabilité, mais aussi les bonnes pratiques RSE, peuvent non seulement contribuer à la résilience financière, mais aussi stimuler la croissance économique et le développement social. En définitive, cette réflexion doit inciter les entreprises à repenser leurs modèles et les investisseurs à réévaluer leurs critères d’investissement, en mettant un accent plus prononcé sur les pratiques durables et responsables, non seulement pour leur impact social et environnemental positif, mais également pour leur potentiel de création de valeur à long terme.
Selma Boussetta a reçu des financements de ANR JCJC.
Hachmi Ben Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.