20.11.2024 à 17:10
Stéphanie Tchiombiano, Maitresse de conférence associée dans le département de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Maëlle de Seze, Chercheuse en santé mondiale et science politique, Université de Bordeaux
De nombreux États recrutent des soignants étrangers pour pallier le manque de personnel au sein de leurs systèmes de santé. Au détriment, parfois, des pays d’origine. Pour s’assurer que tous tirent bénéfice de cette situation, diverses solutions sont explorées, entre recommandations éthiques, accords bilatéraux ou mesures incitatives.
La pénurie mondiale de soignants, particulièrement criante pendant le pic de la pandémie de Covid-19 et les discussions sur les lois cherchant à réguler l’immigration, en France comme ailleurs, ont remis à l’agenda la question des mobilités internationales des professionnels de santé.
Pendant la crise Covid, plusieurs pays européens ont sollicité l’aide médicale de Cuba, d’autres ont envoyé des émissaires faire du recrutement actif de soignants dans des pays où la pénurie de professionnels de santé était déjà extrêmement grave, une pratique allant à l’encontre de toutes les recommandations internationales en termes de recrutement de professionnels de santé.
Selon le point de vue que l’on adopte, l’émigration des soignants peut être considérée comme un problème pour les pays d’origine qui voient leurs personnels partir pour l’étranger, ou comme une source d’opportunités, à la fois pour les professionnels de santé concernés, pour les systèmes de santé des pays d’accueil, voire pour les pays originaires, lorsque ces flux sont régulés et encadrés. Quels sont les garde-fous qui existent pour s’en assurer ?
Le nombre de médecins et d’infirmiers nés à l’étranger a augmenté de 20 % dans les années 2010, par rapport à la décennie précédente. Actuellement, on considère qu’un médecin sur six exerçant dans les pays de l’OCDE a été formé à l’étranger.
Les mobilités de ces personnels sont complexes et ne se résument pas à de simples flux « Sud-Nord » qui résulteraient uniquement d’un phénomène de « fuite des cerveaux » (« brain drain » en anglais).
Le cas de l’Afrique du Sud est particulièrement édifiant : les médecins étrangers y représentent plus de 10 % de la main-d’œuvre médicale totale et le gouvernement traite des demandes d’enregistrement de médecins provenant de plus de 60 pays. Si le Nigeria est le principal pays d’origine de ces médecins qui migrent en Afrique du Sud (devant le Royaume-Uni, Cuba et la République démocratique du Congo), il est étonnant de constater qu’à l’inverse, 17 % des médecins exerçant au Nigeria sont étrangers (par ailleurs, 50 % des médecins nés à l’étranger qui y exercent viennent d’Asie, 29 % viennent d’Afrique, 14 % viennent d’Europe et 4 % viennent d’Amérique).
Le Nigéria est donc à la fois un pays « importateur » de médecins et, dans le même temps, un pays « exportateur », puisque certains médecins nigérians font à l’inverse le choix de partir, espérant trouver de meilleures conditions de travail aux États-Unis ou au Canada, par exemple. L’espoir d’un meilleur salaire occupe une place centrale dans leurs choix. L’herbe est souvent plus verte ailleurs, et les dynamiques migratoires délicates à décoder…
La mobilité accrue des professionnels de santé ne s’explique pas uniquement par l’épidémie de Covid-19. Elle est également liée à l’augmentation des échanges mondialisés et à l’internationalisation des formations (facilitée par des dispositifs de reconnaissance des diplômes de plus en plus nombreux, même si leur absence est encore souvent un frein).
Elle est aussi renforcée par les inégalités économiques entre les pays, les différences en termes de conditions d’exercice, de conditions de travail et de conditions de vie.
Les raisons qui poussent les soignants et leurs familles à la migration peuvent être variées, au-delà du salaire : certains décident de migrer pour des raisons sécuritaires, d’autres, car ils ne reçoivent pas leurs attributions de postes, d’autres encore parce qu’ils ne peuvent pas pratiquer la médecine dans de bonnes conditions, etc.
Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, les professionnels de santé travaillent dans des conditions souvent difficiles, avec des statuts parfois précaires et des systèmes de santé qui n’ont pas toujours les moyens de créer des postes en nombre suffisant ou de retenir les professionnels de santé en zones rurales et reculées.
En comparaison, les perspectives d’emploi dans les pays à revenu plus élevé sont plus attractives, en particulier lorsque des émissaires de ces pays démarchent à l’international pour recruter en période de stress aigu sur les systèmes de santé (comme durant l’épidémie de Covid-19).
Si la pénurie de soignants est mondiale, certaines régions du monde sont plus touchées que d’autres. En 2013, les professionnels de santé manquants dans la région « Afrique » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) représentaient un quart de la pénurie mondiale de soignants.
En 2030, l’OMS estime que ce chiffre augmentera pour atteindre 52 %. Avec la région de la Méditerranée orientale (20 %) et la région de l’Asie du Sud-est (19 %), ces trois régions représenteront 90 % de la pénurie mondiale de personnels de santé en 2030.
Comment atténuer les effets négatifs de ces mobilités sur les systèmes de santé des pays d’origine, en particulier lorsque ces pays sont en situation de pénurie critique de professionnels de santé, sans priver pour autant les individus de leurs droits à migrer ? Plusieurs pistes sont actuellement explorées.
L’OMS a mis en place des dispositifs comme le Code de pratique mondial qui fixe quelques « règles du jeu » éthiques : ne pas nuire aux systèmes de santé des pays d’origine, respecter des principes de transparence, d’équité, de durabilité, tenir compte du droit à la santé des populations, respecter les droits individuels et la liberté des professionnels de santé qui souhaitent migrer, etc.
Une liste d’appui et de sauvegarde des personnels de santé est régulièrement mise à jour, pointant les pays où la pénurie de professionnels de santé est la plus critique et la densité de soignants la plus faible. Le recrutement actif de professionnels de santé de ces pays est théoriquement proscrit et ce sont les pays prioritaires pour les actions de la communauté internationale visant à lutter contre la pénurie de soignants.
Il s’agit aussi, avec les directives opérationnelles de l’OIT (Organisation internationale du travail), de s’assurer que les conditions de recrutement et de travail de ces professionnels de santé étrangers respecteront des normes éthiques.
En France, par exemple, des professionnels de santé sont régulièrement embauchés dans le système hospitalier en dessous de leurs qualifications, avec des salaires inférieurs ou de moins bonnes conditions de travail que leurs collègues nationaux.
La création d’une carte de séjour « talents-professions médicales et de la pharmacie », entrée en vigueur en France en janvier 2024, entretient l’idée de professionnels de santé formés à l’étranger comme variables d’ajustement de la pénurie nationale. Ce type de carte de séjour, qui doit être renouvelé tous les quatre ans, maintient par ailleurs les professionnels de santé dans une précarité relative et nuit à leur intégration durable dans le système de santé.
Pour les pays d’accueil, les mesures mises en place peuvent viser à faciliter les arrivées (via par exemple des procédures spécifiques de visas permettant aux professionnels de santé migrants de se stabiliser plus rapidement dans le pays d’accueil), ou encore à proposer des allègements fiscaux en reconnaissance de l’apport des soignants migrants.
Des accords bilatéraux peuvent être mis en place entre pays d’accueil et pays d’origine, instaurant non seulement des mécanismes compensatoires financiers (au bénéfice des États qui forment massivement des professionnels employés par d’autres États), mais aussi des dispositifs de formation linguistique ou d’aide à l’intégration.
C’est par exemple le cas du programme allemand « Triple win » qui a passé des accords avec sept pays : Inde, Vietnam, Tunisie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Philippines, et Jordanie.
Certains pays d’accueil ont également mis en place des dispositifs de formation et d’enseignement structurés pour les agents de santé migrants, à l’exemple de l’Irlande, dont le système de santé dépend fortement de personnels de santé notamment originaires du Pakistan et du Soudan.
Pour concilier cette nécessité avec son engagement envers le Code de pratique mondial de l’OMS, le gouvernement irlandais a lancé un programme de formation postuniversitaire de deux ans – l’International Medical Graduate Training Initiative (IMGTI) – à l’intention des médecins pakistanais.
L’objectif global est qu’à court terme, ces diplômés acquièrent une expérience de formation clinique qui leur est autrement inaccessible, afin d’améliorer à long terme les services de santé dans leur pays d’origine.
Conscients des enjeux liés à la mobilité des professionnels de santé, de plus en plus de pays mettent en place des politiques spécifiquement dédiées à ces questions. Il peut s’agir pour les pays d’origine de mesures incitatives visant à convaincre les soignants de ne pas partir, ou à faire revenir ceux qui sont partis à l’étranger (comme le programme chinois d’aide au retour « Young Thousand talents »).
Pour les pays d’accueil, les mesures mises en place peuvent viser à faciliter les arrivées (via par exemple des procédures spécifiques de visas permettant aux professionnels de santé migrants de se stabiliser plus rapidement dans le pays d’accueil), ou encore à proposer des allègements fiscaux en reconnaissance de l’apport des soignants migrants.
Toutefois, les pays à revenu élevé, et notamment la France, doivent également « jouer le jeu » et accepter de ne pas pratiquer le recrutement international actif alors qu’ils ont d’autres moyens à leur disposition afin de lutter contre la pénurie relative de professionnels de santé à l’intérieur de leurs frontières (augmentation du nombre de places en formation et en stage, accroissement du nombre de postes de fonctionnaires au sein du service public hospitalier, etc.).
Soulignons que le droit international est non contraignant sauf accord explicite du pays concerné. Le respect des recommandations et bonnes pratiques dépend donc du bon vouloir des États et du risque « réputationnel » qu’ils courent en ne respectant pas ces principes.
Il faut retenir de ces expériences l’idée générale de mettre en place des dispositifs incitatifs plutôt que contraignants pour répondre aux différents déséquilibres (nationaux, régionaux, internationaux). La mobilité des professionnels de santé est un fait, il nous semble qu’elle doit globalement être considérée comme une opportunité (échange de pratiques venant de cultures médicales différentes, mise en place de réseaux internationaux, etc.).
Les soignants migrants traversent souvent de nombreuses difficultés d’ordres administratif, financier, familial, etc. Obtenir une équivalence à la hauteur de leurs diplômes et de leurs qualifications par exemple peut prendre des années, même lorsque les candidats sont excellents.
Il ne s’agit donc pas de mettre en place de nouvelles entraves, de chercher à limiter les mobilités, mais plutôt de les accompagner de mesures incitatives et de mécanismes compensatoires afin de rétablir une forme d’équilibre.
Tant qu’il y aura des situations paradoxales où des pays à revenus faibles financent la formation de nombreux professionnels de santé qui vont ensuite pratiquer ailleurs, ces États ne parviendront pas à diminuer leur propre pénurie nationale de professionnels de santé et les inégalités en matière de densité de soignants continueront à croître.
Le présent article est en lien avec une étude "Les métiers de la santé de demain", réalisée pour le think tank Santé mondiale 2030 (http://santemondiale2030.fr) et financée par l'Agence Française de Développement. Stéphanie Tchiombiano a été la coordinatrice de ce think tank de 2016 à 2023.
Maëlle de Seze était salariée du think tank Santé mondiale 2030 de février 2022 à février 2023 afin de réaliser l'étude "Les métiers de la santé de demain", qui portait en partie sur les données présentées dans l'article.
20.11.2024 à 17:09
Bing Bai, Doctorant en Marketing à l'Université de Montpellier - Attaché d'enseignement à l'EDHEC Business School, Université de Montpellier
Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _ Directrice des Programmes MSc Marketing et MSc Digital Marketing & Data Analytics, Grenoble École de Management (GEM)
Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier
The bottled water market has seen explosive growth – up 73% over the last decade – making it one of the fastest-growing industries globally. However, this growth comes at a significant environmental cost. Plastic waste, greenhouse gas emissions from production and distribution, and the overexploitation of water resources all contribute to an escalating ecological crisis. Reducing reliance on bottled water is, therefore, an urgent challenge.
Public awareness of this issue has grown. A 2020 study by Futerra and OnePulse found that 80% of respondents were willing to change their habits to combat climate change, and 50% specifically considered cutting back on plastic use. Despite this, little attention has been given to communication strategies designed to reduce bottled water consumption.
Our research suggests that asking people questions about their future behaviour – a psychological effect known as a self-prophecy – may inspire meaningful change. In a study involving 269 participants in the United States, researchers investigated whether this tactic could reduce bottled water purchases.
Self-prophecies work by prompting individuals to predict their future actions (e.g., “Will you recycle your packaging?”). This triggers cognitive dissonance: the discomfort of recognising a gap between one’s values and behaviours. People often resolve this tension by adjusting their actions to align with their beliefs.
Our study uncovers the emotional mechanism that links self-prophecy prompts to pro-environmental actions, with anticipated guilt serving as the key driver. American social psychologist Leon Festinger, in his seminal work A Theory of Cognitive Dissonance, describes dissonance as a state of psychological discomfort that spurs behavioural change. While Festinger does not explicitly identify the nature of this discomfort, later theorists highlighted guilt as one of the emotions that dissonance can trigger under specific circumstances.
Building on this idea, we hypothesised that people anticipate guilt when they foresee themselves failing to engage in environmentally responsible actions, particularly when such behaviours align with their normative beliefs – social or cultural expectations of what constitutes appropriate behaviour. This anticipated guilt, we argue, motivates individuals to adopt eco-friendly practices to avoid experiencing the negative emotion.
To test this theory, we conducted an experiment measuring guilt in participants exposed to an advertisement featuring a prediction question designed to discourage bottled water purchases. Those who viewed the ad experienced higher levels of anticipated guilt compared to participants in a control group who saw an ad without the prediction element. Crucially, this guilt significantly reduced their intention to buy bottled water, demonstrating how emotional anticipation can influence behaviour.
We investigated two key factors that influence the effectiveness of self-prophecy techniques: normative beliefs and the motivations that drive people to act.
Research has long established the power of normative beliefs in shaping behaviour. People who strongly adhere to their beliefs are not only more likely to predict that they will act in accordance with them but also more likely to follow through. Our study delved into how different types of norms – descriptive (what most people do), injunctive (what is socially expected), and personal (internal moral standards) – affect intentions.
Our findings reveal that these three types of norms significantly influence feelings of anticipated guilt. Participants generally believed that reducing plastic bottle consumption was common, socially expected and aligned with their personal convictions. The stronger these norms, the more intense the anticipated guilt when participants considered non-compliance. However, the act of posing a prediction question did not amplify the salience of these norms during decision-making. This suggests that such questions do not inherently guide participants toward behaviour aligned with their normative beliefs.
We also examined approach motivation, the drive to seek positive experiences or rewards, measured through behavioral approach system (BAS) scores. Individuals with high scores are typically goal-oriented, pursuing both tangible rewards (e.g., acquiring objects) and abstract achievements (e.g., altruism). This heightened drive helps them actively close the gap between their personal objectives and actions.
Surprisingly, our study found that individuals with lower sensitivity to rewards and less drive to seek positive experiences felt greater guilt than their more motivated counterparts. Why? These individuals, while less motivated to act, became acutely aware of the gap between their behaviours and personal norms when prompted by the prediction question. This awareness, despite their inertia, triggered a stronger sense of guilt, which in turn increased their intention to reduce plastic bottle use.
On the other hand, those with higher BAS scores seemed naturally adept at aligning their actions with their norms, minimising cognitive dissonance. Their proactive approach to achieving personal goals reduced the likelihood of experiencing guilt, as they had already taken steps to bridge the gap between their intentions and behaviours.
Our study offers promising insights for environmental awareness efforts, suggesting that prediction-based questions can effectively encourage eco-friendly behaviours. This approach, easily adaptable by government agencies and NGOs, has the potential to make sustainability messaging more impactful.
Interestingly, the study did not find a connection between normative beliefs – what people perceive as socially accepted behaviours – and the success of self-prophecy techniques. Had such a link been observed, individuals with stronger normative beliefs might have adjusted their behaviours more significantly in line with societal norms. However, existing research consistently highlights the pivotal role of personal norms – deeply held beliefs about right and wrong – in shaping intentions and ecological actions.
We therefore recommend designing campaigns that emphasise personal responsibility and the consequences of inaction. For example, messages that underscore the urgency of environmental issues and the importance of individual contributions can amplify the effectiveness of self-prophecy interventions.
While the study primarily examined behavioural intentions rather than actual behaviours, previous research supports the long-term impact of self-prediction techniques on real-world actions. For instance, interventions have been shown to improve recycling rates over four weeks and boost gym attendance for up to six months. These findings underscore the power of a simple question to engage emotional drivers and inspire lasting sustainable practices.
Bing Bai has received funding from the Responsible Marketing and Well-Being Chair at the University of Montpellier.
Laurie Balbo et Marie-Christine Lichtlé ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
20.11.2024 à 16:26
Dominic Rohner, Professor of Economics and André Hoffman Chair in Political Economics and Governance, Geneva Graduate Institute, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
In recent years, armed conflicts have frequently made global headlines, but media coverage has largely focused on just a few highly publicised wars. These conflicts represent only the tip of the iceberg: more than 50 countries are currently suffering from shocking levels of armed violence, many of which receive little to no public attention. These include the ongoing violence in Sudan, Somalia, the Democratic Republic of Congo, Myanmar, the Central African Republic and Yemen.
Many of these “forgotten wars” occur in countries with high poverty, significant interethnic inequalities and fragile states. Often, they are not sites of great power rivalry – one of the reasons they are largely “forgotten” by both the media and policymakers worldwide. Academia has not overlooked them, however: hundreds of recent studies examine policies that can make a real difference in such conflicts. As discussed in my new book, The Peace Formula: Voice, Work and Warranties, three factors have been found to matter most for sustainable peace.
First, a society must guarantee civil liberties and political representation for all regardless of ethnicity, gender, religion or sexual orientation. Excluded or discriminated-against groups are far more likely to form insurgent movements to challenge the state, whereas inclusive, power-sharing institutions are strongly associated with long-term peace and stability.
Second, the presence of a productive economy and a well-educated, healthy population with the means to earn a decent living are key. When opportunities are scarce and large segments of society are impoverished and desperate, they become easier prey for warlords or authoritarian leaders seeking to recruit fighters. Consequently, policies that strengthen education, healthcare and labour market access have a significant impact in promoting peace.
Third, security guarantees and robust state capacity are essential for implementing effective public policies and reducing the risk of coups or organised crime taking advantage of power vacuums. When citizens feel secure, state legitimacy is strengthened, making political and economic progress possible.
But even if one recognises these factors, the question remains: how can the international community enact positive change? Imposing regime change from outside typically backfires. However, when a reform window opens within a country and a well-intentioned government works toward positive change, it creates an opportunity for the international community to help. Substantial financial investment following the Marshall Plan model, along with support for emerging state capacities, can have a significant impact. UN peacekeeping forces have been shown to greatly enhance security, particularly for civilians.
These elements can make a crucial difference on the ground. Take the ongoing war in Sudan: after Omar al-Bashir’s autocratic regime ended in 2019, a window of opportunity for positive change briefly opened, leading to the initiation of a series of reforms under new prime minister Abdallah Hamdok. These included the obtainment of IMF financing, macroeconomic reforms and the removal of fuel subsidies. While the reforms aimed for fiscal stabilisation, they did not bring immediate relief to the economic hardship suffered by wide parts of the population, making it challenging to maintain lasting large-scale support for the government and its reforms. Also, the government never achieved full control over security and remained at the mercy of the military.
This period of transition to civilian rule was cut short in the fall of 2021, when a series of coups ushered in a new era of tension and violence. The situation deteriorated further in April 2023, when full-scale war broke out between the Sudanese Armed Forces and the Rapid Support Forces, the army’s former paramilitary allies. This power struggle has reportedly killed tens of thousands of people, and there are now more than 14 million displaced people in Sudan or across its borders. The war continues with devastating intensity, and in recent days, reports have emerged of mass killings and sexual violence in villages in Al Jazirah state in eastern Sudan.
Stopping the fighting and finding a political solution is the top priority. Once an armistice is reached, a long-term roadmap for sustainable peace will be essential to ensure that the current humanitarian catastrophe never happens again. Ensuring a democratic voice for everyone is vital in any country, but it is especially critical in the context of Sudan, which has severe ethnic divisions and a history of ethnically motivated violence, with, among others, the Masalit people and other non-Arab communities in the Darfur region repeatedly targeted. The state has a duty to protect the lives and rights of all its inhabitants, and it is crucial to put everything possible in place to prevent ethnic cleansing.
An economy that generates sufficient jobs is important everywhere, but particularly in Sudan, where poverty remains high and not everyone benefits equally from natural resource windfalls. While the extraction of fossil fuels poses a significant risk of conflict and rent-seeking – both generally and in oil-rich Sudan – a robust economy that extends beyond the sector is crucial, as it offers important employment opportunities without the same negative side effects as fossil fuel extraction.
Once a future civilian government is established, the international community can provide large-scale financial help. An International Growth Centre report highlights great opportunities for domestically producing a wide range of imported goods, including food and textiles, as well as boosting exports.
In terms of exports, Sudan’s geographical position close to Egypt, Ethiopia and the Gulf States is a major asset. The diversification of exports, such as a range of agricultural commodities and livestock, holds significant potential, and value-added activities could be stepped up. Sudan is the world’s largest producer of gum arabic but only gets a dismal share of the value chain. With more processing activities, a bigger share of this market could be secured.
There must also be strong security guarantees that enable a civilian government to implement reforms and build state capacity without the threat of military coups. Not only could UN peacekeepers protect a civilian government from military takeovers, but they would also help safeguard all civilians, regardless of their ethnicity. Of course, a key challenge for the UN is to obtain large enough contingents of peacekeeping troops from member states. This highlights the paramount importance of international solidarity.
If there is a roadmap to pacifying forgotten wars, why hasn’t it been followed more often? One issue is that many politicians prioritise short-term objectives. Striking an unsustainable deal with a despot or winning the favour of a significant yet unsavoury regime may seem appealing to leaders, especially before an election campaign. It has been argued that al-Bashir, who ruled Sudan for decades, had only been able to cling to power due to foreign support.
In contrast, investing substantial resources to lay the groundwork for long-term peace in a country far from the spotlight may be seen as less politically advantageous. The full benefits of, for example, building schools or improving the health system accrue only after some time. While some leaders may genuinely care about doing good, many are more focused on doing well. To change this dynamic, scrutiny from local and global civil society, as well as public opinion, is essential to realign incentives for our leaders, shifting their focus from short-term gains to sustainable foundations for peace. Independent, high-quality media and engaged citizens can serve as catalysts for such positive change.
Dominic Rohner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 17:04
Nathalie Devillier, Docteur en droit international, Auteurs historiques The Conversation France
Le procès de l’assassinat de Samuel Paty se poursuit devant la cours d’assise spéciale de Paris. Un certain nombre d’accusés comparaissent pour avoir mené une campagne de haine sur les réseaux sociaux avant le meurtre. Depuis 2020, de nouvelles lois – européennes et françaises – sont entrées en vigueur pour lutter contre les violences en ligne. Que retenir de ces législations ? Sont-elles efficaces ?
Le procès de l’assassinat de Samuel Paty a débuté lundi 4 novembre. Sur le banc des accusés se trouvent notamment ceux qui ont créé la polémique et intentionnellement faussé la réalité d’un des cours de l’enseignant portant sur la liberté d’expression. Dans une vidéo, le père d’une élève qui sera jugé durant le procès avait appelé à écrire à la direction de l’établissement « pour virer ce malade » et livrait publiquement le nom du professeur, son numéro de téléphone portable et l’adresse du collège.
Les insultes, menaces et commentaires haineux contre l’enseignant et la directrice du collège inondèrent les réseaux sociaux Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, YouTube, TikTok, Google… devenus de véritables tribunaux virtuels.
Suite à l’émoi suscité par ces événements, la France a adopté en 2021 plusieurs lois pour contrer la haine en ligne, notamment l’article surnommé « Samuel Paty » de la loi sur le respect des principes de la République qui criminalise les actes d’intimidation et d’entrave au travail des enseignants par la diffusion de messages haineux.
Plus largement, ces dernières années, de multiples initiatives législatives, à l’échelle française et européenne ont cherché à responsabiliser les plates-formes de contenus, les réseaux sociaux mais aussi les utilisateurs pour limiter les impacts de la violence en ligne.
Entré en vigueur en 2023, le Règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) a notamment pour objectif d’endiguer la viralité de contenus violents pour éviter d’y exposer les utilisateurs. Il exige aussi la publication de rapports de transparence par les réseaux sociaux et plates-formes de partage tels que Facebook, Google Search, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, X (anciennement Twitter) et YouTube.
En vertu de ce texte, les réseaux sociaux doivent aussi donner des informations sur leurs équipes de modération de contenu, mettre en place des mécanismes de signalement des contenus illicites et fournir des informations sur le fonctionnement de leurs algorithmes de recommandation.
Ce partage d’informations sur le fonctionnement des algorithmes devrait permettre aux utilisateurs de mieux comprendre et contrôler ce qu’ils voient en ligne. Il est surtout utile pour le Centre européen pour la transparence algorithmique qui contrôle l’application du règlement.
Les plates-formes doivent également évaluer et réduire les risques systémiques pour la sécurité publique et les droits fondamentaux liés à leurs algorithmes comme la propagation de la haine en ligne. Ces éléments doivent figurer dans les rapports émis à la disposition de la Commission européenne. Dans le cas contraire, ou si les actions des plates-formes ne reflètent pas suffisamment les attentes du DSA, c’est la Commission européenne qui prendra l’attache de l’entreprise et procédera en cas d’inertie de celle-ci à un rappel à la loi public. C’est précisément ce qu’a fait Thierry Breton en août dernier en s’adressant à Elon Musk.
Un outil de dénonciation permettant aux employés ou autres lanceurs d’alerte de signaler les pratiques nuisibles des très grandes plates-formes en ligne et des moteurs de recherche a été mis en place.
Avant ces nouvelles mesures, ces entreprises n’étaient soumises qu’à un code de conduite non juridiquement contraignant et dont les résultats avaient atteints leurs limites.
Comment évaluer l’efficacité de ces mesures ? Nous le saurons bientôt, la Commission européenne a ouvert, le 18 décembre 2023 une procédure contre X (ex-Twitter) après avoir mené une enquête préliminaire pour non respect de l’obligation de transparence et des défaillances dans la modération de contenus. X interdit aussi aux chercheurs éligibles d’accéder de manière indépendante à ses données conformément au règlement. La société encourt une amende pouvant aller jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial et, en cas de manquements répétés, elle peut voire l’accès à son service restreint dans l’Union européenne.
Aujourd’hui, l’épée de Damoclès des sanctions financières et surtout le blocage du service sur le territoire européen font peser un risque économique et réputationnel que les plates-formes souhaitent éviter. Plusieurs procédures formelles ont été lancées par la Commission européenne contre le réseau social X en 2023, TikTok, AliExpress et Meta cette année.
En France, la loi « Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique » (SREN) promulguée en mai 2024 sanctionne les plates-formes qui échouent à retirer les contenus illicites dans un délai rapide (75 000 euros d’amende) et met aussi en place des mécanismes pour mieux sensibiliser et protéger les utilisateurs contre les dangers en ligne.
Cela se traduit par l’information des collégiens en milieu scolaire et des parents en début d’année. Une réserve citoyenne du numérique (rattachée à la réserve civique) est également instaurée avec pour but lutter contre la haine dans l’espace numérique et à des missions d’éducation, d’inclusion et d’amélioration de l’information en ligne. Ce dispositif qui constitue un moyen officiel d’alerte auprès du procureur de la République aurait été le bienvenu il y a 4 ans, au moment de l’affaire Paty. À l’époque, seuls la médiation scolaire et le référent laïcité du rectorat avaient été actionnés, sans effet.
Les plates-formes en ligne ont des obligations légales croissantes issues du règlement européen et de la loi SREN pour prévenir et réagir au cyberharcèlement et aux contenus illicites, avec une responsabilité à plusieurs niveaux.
L’obligation de modération proactive signifie que les plates-formes doivent mettre en place des systèmes pour détecter, signaler et retirer rapidement les contenus haineux, violents, ou incitant au cyberharcèlement. C’est l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) qui veille à ce que les éditeurs et fournisseurs de services d’hébergement de sites retirent effectivement ces contenus et conduit des audits pour vérifier la conformité aux règles. Cette obligation, issue du règlement européen sur les services numériques et de la loi SREN, sera mise en œuvre grâce à la publication d’un rapport annuel le nombre de signalements effectués. À ce jour, le premier rapport n’a pas été publié.
Les hébergeurs qui ont connaissance du caractère illicite du contenu et qui n’informent pas les autorités compétentes, par exemple, le procureur de la République, ni bloqué l’accès à cette publication, encourent des sanctions allant jusqu’à 250 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement pour le dirigeant.
Les plates-formes doivent également sensibiliser leurs utilisateurs aux risques de cyberharcèlement et fournir des outils pour signaler facilement les contenus et comportements nuisibles. C’est le cas par exemple sur X, Facebook, Instagram.
En France, le cyberharcèlement est un délit sévèrement puni par des lois visant à lutter contre le harcèlement moral et les actes répétés de violence en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Une personne coupable de harcèlement moral encourt jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Si la victime est mineure, ces peines sont alourdies à trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Des peines plus graves peuvent s’appliquer en cas d’incapacité de travail de la victime ou si les actes conduisent au suicide ou à la tentative de suicide, avec une sanction maximale de dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende.
Pour protéger les victimes de harcèlement groupé, en 2018 la loi Schiappa avait introduit un délit de « harcèlement en meute » ou raid numérique, visant à pénaliser les attaques concertées de multiples internautes contre une victime, même si chaque participant n’a pas agi de façon répétée.
La loi SREN prévoit également que les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement peuvent se voir interdites de réseaux sociaux pendant six mois ou un an en cas de récidive. Ce bannissement inclut la création de nouveaux comptes durant la période d’interdiction. Les plates-formes risquent des amendes allant jusqu’à 75 000 € si elles ne bannissent pas les utilisateurs condamnés pour cyberharcèlement ou ne bloquent pas la création de nouveaux comptes pour les récidivistes.
Nathalie Devillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 17:01
Sophie Renault, Professeur des Universités en Sciences de Gestion et du Management, IAE Orléans
Les calendriers de l’avent sont un véritable terrain de jeu pour les marques. Des produits de beauté aux sextoys en passant par les friandises pour chiens ou chats : retour sur un phénomène marketing !
Du latin adventus qui signifie la venue, l’avent fait référence aux quatre dimanches menant jusqu’à la naissance de Jésus. Nés au XIXᵉ siècle, les calendriers de l’avent étaient un moyen d’ajouter un peu de magie à l’impatience des enfants. Leur création est attribuée à une tradition allemande, où les familles placent quatre bougies sur une couronne de sapin, allumant une bougie chaque dimanche de décembre jusqu’à Noël.
Ce rituel a donc progressivement évolué au profit de calendriers illustrés. C’est au début du XXe siècle que les premiers calendriers avec de petites portes ou fenêtres sont apparus. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pénurie de papier impose d’interrompre momentanément leur production. Les calendriers de l’avent sont à nouveau fabriqués à l’après-guerre notamment par les éditions Sellmer avec le fameux modèle « La petite ville » aujourd’hui encore commercialisé. Au fil du temps, des calendriers contenant des douceurs, généralement des chocolats, sont devenus un incontournable des fêtes de fin d’année.
Aujourd’hui, le calendrier de l’avent a évolué en une véritable opération marketing. Il s’agit de capter l’attention des consommateurs bien avant le jour de Noël et de transformer l’attente en un moment de plaisir quotidien. Bien loin de se limiter à la cible des enfants, les marques ont développé une multitude de calendriers destinés aux adultes… et le phénomène prend chaque année davantage d’ampleur. Décliné en thés, bijoux, bougies, semences, outils, sauces piquantes ou bien encore chaussettes de superhéros, le calendrier de l’avent n’est plus seulement une préparation spirituelle et/ou festive, il s’agit d’un produit de consommation s’inscrivant dans une dynamique expérientielle.
Le packaging joue ici un rôle essentiel : en soignant l’esthétique et le design de leur calendrier, les marques maximisent l’impact émotionnel du produit. La perspective de la découverte quotidienne d’un produit fait replonger les cibles dans leurs souvenirs d’enfance. Tandis que l’offre a évolué, le principe, quel que soit l’âge de la cible, reste en effet similaire : créer une attente, offrir une surprise, procurer du plaisir, et ce… quel que soit le budget. On peut ainsi trouver des calendriers à des prix très accessibles, mais aussi des modèles prestigieux comme celui proposé en 2024 par Dior. Baptisé « La malle des rêves », le calendrier est affiché au prix de 2 900 euros.
Du côté des adultes, le marché de l’avent s’avère être un terrain de jeu immensément plus vaste que pour la cible des enfants dominée par les sucreries et les jouets. Parmi les domaines ayant investi le marché, la beauté occupe une place de choix. La plupart des marques de cosmétiques (L’Oréal, Lancôme, Benefit…) dont les marques de distribution spécialisées (Sephora, Yves Rocher, Marionnaud…) ont le ou les leur(s).
Chaque fenêtre renferme une version miniature ou classique de soin, maquillage ou bien encore parfum, permettant aux consommateurs de tester des produits et de se laisser tenter par de futures acquisitions. Afin de mettre en perspective la stratégie de valorisation adoptée par les marques, prenons l’exemple du calendrier proposé en 2024 par L’Oréal. Tandis que ledit calendrier est proposé au prix psychologique de 89,99 euros, la marque met en perspective la valeur dite « réelle » de 256 euros. Le calcul de cette valeur s’appuie sur la somme des prix moyens des produits vendus à l’unité. Par contraste, le prix de 89,99 euros apparait comme une opportunité exceptionnelle générant alors la perception d’une économie significative.
À l’image de L’Oréal, la plupart des marques de cosmétiques adoptent cette stratégie leur permettant d’attirer et/ou de fidéliser une clientèle tout en augmentant leur notoriété. De nombreux consommateurs y voient ce faisant un hymne à la surconsommation. Cet avis en ligne à propos d’un calendrier de produits cosmétiques illustre notre propos : « Encore 4 cases à la poubelle ? Au bout de plusieurs années, je n’achète plus ce calendrier, car je n’utilise jamais les rouges à lèvres rouges ! » La diversité des produits proposés implique en effet un risque de gaspillage.
Si les produits de beauté sont désormais bien établis sur le marché de l’avent, ce sont aussi des produits moins conventionnels, si l’on garde à l’esprit le caractère spirituel originel, qui investissent le marché des calendriers de l’avent. Typiquement, le calendrier de l’avent Bières & découvertes propose aux amateurs la dégustation de nouvelles saveurs. Dans cette mouvance, de multiples autres offres alcoolisées font leur percée sur le marché.
Dans un autre registre, destiné à ceux qui cherchent un cadeau original pour pimenter leurs activités de couple en attendant Noël, Dorcel propose un calendrier avec la promesse suivante : “Chaque jour, le désir s’intensifie, dévoilant des surprises toujours plus audacieuses et captivantes. Case après case, le plaisir monte crescendo, menant à une expérience sensorielle ultime pour un Noël inoubliable”. Attendre Noël n’aura jamais été aussi enivrant ! Et pas question de laisser nos animaux de compagnie en reste : eux aussi peuvent maintenant participer à l’attente fébrile de Noël avec des calendriers dotés de friandises.
Le succès de ces offres repose sur leur aspect ludique, mais aussi sur la sensation de nouveauté et d’expérience offerte à chaque consommateur. Les calendriers de l’avent sont devenus un moyen pour les marques de se démarquer, de créer un lien particulier avec leur clientèle et de proposer une expérience. Le phénomène s’inscrit également dans une tendance plus large, celle des kidults ou adulescents, ces adultes qui conservent des goûts et des intérêts d’enfants, cherchant à retrouver la magie de leur jeunesse à travers des objets ludiques et des expériences nostalgiques.
Les calendriers de jouets, par exemple, ne sont plus seulement réservés aux enfants. Les amateurs de Lego ou de Playmobil adultes sont nombreux, et les marques ont su capter cette demande. Les calendriers Lego Harry Potter ou Star Wars sont ainsi devenus des incontournables pour les fans de ces univers, qu’ils soient petits ou grands. L’engouement des adultes pour ces calendriers s’inscrit dans une quête de nostalgie qui résonne fortement dans une époque marquée par le stress et les incertitudes.
Le marketing d’influence joue un rôle clé dans la mise en avant de ces calendriers. Les unboxing de calendriers de l’avent sont devenus une tradition sur TikTok ou Instagram, créant une véritable attente chez les consommateurs et stimulant ainsi les ventes de ces produits. L’influenceur Cyril Schreiner a par exemple mis en ligne en octobre 2024 deux vidéos successives pour montrer tout d’abord le calendrier de l’avent conçu par Netflix, puis certaines de ses 24 surprises issues de sept séries populaires dont Stranger Things et Bridgerton. La rareté de certaines éditions et l’engouement généré par ces vidéos, souvent diffusées dès la mise sur le marché des calendriers, participent à la création d’un sentiment d’urgence, poussant les consommateurs à acheter au plus vite. Il n’est ainsi pas rare que le contenu des calendriers soit dévoilé dès septembre.
Les influenceurs jouent également sur l’aspect authentique et spontané de ces ouvertures voire renouvellent le genre : c’est le cas de Léna Situations qui en 2020 pour Maybelline n’a pas ouvert les cases du calendrier, mais les a au contraire remplies dans une vidéo vue plus de 1,3 million fois sur YouTube. Voir une personnalité qu’on apprécie s’enthousiasmer devant une « surprise » crée un lien émotionnel fort et donne l’impression que chaque calendrier est une expérience à ne pas manquer. Certains influenceurs déploient en outre leur propre calendrier sous forme de jeux-concours. Il s’agit alors sur la période de l’avent de faire gagner des produits à leur communauté. Les marques profitent de ces mises en scène pour élargir leur audience, susciter des envies et renforcer leur image de marque.
In fine, les calendriers de l’avent s’inscrivent dans une stratégie marketing redoutablement efficace, permettant aux marques d’occuper le terrain avant Noël, de renforcer leur visibilité et de susciter un engouement continu. Qu’il s’agisse de (se) faire plaisir, de découvrir de nouveaux produits ou de participer à une tendance partagée sur les réseaux sociaux, les calendriers de l’avent se réinventent, devenant les incontournables de décembre. Derrière chaque petite porte, c’est bien plus qu’une simple surprise qui attend le consommateur : c’est une stratégie de fidélisation et de séduction qui se déploie. Le phénomène ne s’arrête pas à Noël ! Jouant sur la proximité phonétique entre avent et avant, ce sont également des calendriers de l’après qui sont désormais proposés.
Calendriers de l’avent ou de l’après… les marketers trouvent toujours une case de plus à ouvrir dans nos habitudes de consommation.
Sophie Renault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 17:01
Pauline Munten, Researcher and Teaching Assistant in Marketing, Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Joëlle Vanhamme, Professeur de marketing, EDHEC Business School
Valerie Swaen, Professeure ordinaire, présidente du Louvain Research Institute in Management and Organizations (LouRIM), Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Louer des vêtements plutôt que les acheter a tout de la bonne idée pour l’environnement. La réalité est plus complexe car ne pas acheter et avoir un comportement responsable ne sont pas synonymes. Loin de là.
Louer ses vêtements plutôt que les acheter serait meilleur pour la planète ? À l’heure où l’industrie textile est pointée du doigt pour son impact environnemental, des services de location de vêtements promettent aux consommateurs de renouveler constamment leur garde-robe tout en réduisant leur empreinte carbone. Mais cette solution est-elle vraiment aussi écoresponsable qu’elle en a l’air ?
C’est la question que pose notre récent travail de recherche. Nous avons choisi d’examiner les effets cachés des comportements des consommateurs qui utilisent ces services d’économie collaborative basés sur l’accès aux biens (access-based services, ou ABS), et non sur leur possession.
Nos études qualitative et quantitative mettent ainsi en lumière une réalité surprenante : la location de vêtements, loin de toujours réduire l’empreinte écologique, peut en réalité encourager une consommation accrue chez certains types de consommateurs ! En cause ? L’effet rebond, un phénomène qui se produit lorsque les gains environnementaux attendus sont réduits, annulés, voire inversés, par des comportements compensatoires des consommateurs.
Ces enjeux s’inscrivent dans un débat plus large sur les limites des solutions perçues comme écologiques et sur la manière dont consommateurs et entreprises peuvent réagir afin d’éviter les pièges d’une surconsommation qui ne dit pas son nom.
Les services basés sur l’accès reposent sur une idée simple : au lieu de posséder un bien, le consommateur en profite temporairement en échange du paiement d’une contribution monétaire. La possession n’est plus un impératif. Ce changement de paradigme a été rendu possible par la montée en puissance des plates-formes numériques dans les transports (Uber), l’hébergement de loisir (Airbnb), l’électroménager, et plus récemment, la mode.
La location de vêtements, autrefois réservée à des occasions spéciales comme les mariages ou les galas, est désormais accessible pour le quotidien. Des plates-formes comme Le Closet ou Coucou permettent aux consommateurs de louer des vêtements de marque pour quelques jours ou quelques semaines, avant de les retourner pour en louer de nouveaux.
Les consommateurs apprécient particulièrement la flexibilité et la variété qu’offrent ces services. Ils peuvent ainsi suivre les tendances de la mode sans s’engager à long terme, tout en participant à un modèle de consommation présenté comme plus responsable. La production textile est en effet l’une des industries les plus polluantes, en particulier depuis l’avènement de la fast fashion. En principe, s’abonner à un service de location de vêtements devrait avoir pour résultat non seulement de limiter la quantité de vêtements produits, mais aussi d’en prolonger la durée de vie en les proposant à plusieurs utilisateurs successifs.
En interrogeant 31 utilisateurs de plates-formes franco-belges de location de vêtements, nous avons identifié divers effets rebond qui « détricotent » l’idée selon laquelle il est nécessairement plus durable de louer ses vêtements plutôt que de les acheter.
Les effets rebond se produisent lorsque des gains d’efficacité ou des pratiques censées être durables, comme la location de vêtements, mènent paradoxalement à une augmentation de la consommation.
L’accès facilité, la variété et le faible coût des vêtements loués peuvent encourager une utilisation plus fréquente du service, voire des achats impulsifs de vêtements (certains achètent même les vêtements qu’ils ont loués !), ce qui peut annuler les bénéfices environnementaux attendus de la location par rapport à l’achat (effet rebond direct).
D’autre part, une personne qui économise de l’argent en louant des vêtements peut utiliser ces fonds pour acheter d’autres biens ou services dans d’autres catégories de produits (produits high-tech, voyages, équipements pour la maison, etc.), augmentant ainsi sa consommation totale et son empreinte écologique.
Il est crucial de comprendre que ces effets ne sont pas homogènes et varient selon les groupes de consommateurs et leurs motivations psychologiques. C’est ce que montre notre étude quantitative réalisée auprès de 499 utilisateurs.
Ainsi, l’étude révèle deux groupes, parmi les cinq identifiés lors de l’analyse, représentant environ un quart des utilisateurs de services de location de vêtements, qui sont particulièrement enclins à présenter des effets rebond négatifs.
Le groupe des « chercheurs de stimulation et de plaisir » (7 %) est caractérisé par une forte recherche de stimulation et des motivations hédonistes et est principalement composé d’hommes. Pour eux, la location de vêtements ne diminue pas leur consommation globale, mais au contraire, elle peut l’accroître en stimulant leur désir de nouveauté et de diversité.
Le groupe des « jeunes urbains apathiques » (18 %) présente des comportements paradoxaux : bien qu’ils ne soient pas particulièrement motivés par le plaisir ou la stimulation, et diminuent leur consommation de vêtements grâce à la location, ils augmentent leurs achats dans d’autres catégories de produits après avoir loué des vêtements. Ils sont également les moins frugaux, ce qui renforce leur propension à des comportements de rebond indirects. Ce sont plutôt des jeunes hommes urbains, souvent célibataires et hautement éduqués. Ces résultats soulignent la nécessité d’aborder la diversité des comportements de consommation au sein de l’économie du partage, et d’adapter les stratégies pour chaque groupe de consommateurs.
Bien que les services basés sur l’accès aient le potentiel de motiver des habitudes de consommation plus durables, ils peuvent aussi encourager des comportements qui annulent ces bénéfices, voire pire… Cette découverte remet donc en question l’idée selon laquelle la location de vêtement est toujours synonyme de durabilité.
Quelles pistes pour une mode plus responsable ? Alors que les services basés sur l’accès gagnent en popularité, il devient crucial de comprendre comment maximiser leur potentiel écologique tout en minimisant les effets rebond indésirables. Dans ce but, les entreprises comme les consommateurs doivent sans doute repenser leur approche.
Les implications pour les managers et les décideurs politiques sont claires : il ne suffit pas de promouvoir la location de vêtements comme une solution durable. Environ un quart des utilisateurs de services de location de vêtements étant susceptibles de présenter des comportements de rebond négatifs, il est essentiel d’identifier ces consommateurs et de leur fournir des informations et des incitations adaptées pour limiter ces effets.
Les stratégies de communication des entreprises de location doivent être différenciées en fonction des segments de consommateurs. Pour les personnes en quête de stimulation et de plaisir, des incitations de type hédonique non liées aux vêtements loués, telles que des concours, jeux, récompenses ou cadeaux peuvent être efficaces. Pour les consommateurs apathiques, des rappels sur les conséquences négatives de leurs comportements peuvent les amener à réfléchir davantage à leurs choix.
Les entreprises doivent veiller à ne pas seulement mettre en avant les aspects hédoniques intrinsèquement liés la location de vêtements, car cela peut involontairement renforcer les effets rebond négatifs. Au lieu de cela, elles pourraient mettre l’accent sur les avantages écologiques et encourager la co-création de valeur avec les consommateurs pour répondre à leurs besoins tout en réduisant l’impact environnemental.
Les services de location de vêtements pourraient ainsi encourager la location à long terme, plus responsable, de produits éco-conçus par des marques qui partagent les mêmes valeurs écologiques. Au lieu de promouvoir la rotation rapide des articles, ils pourraient inciter les utilisateurs à réduire la fréquence des échanges et limiter le nombre de pièces que l’on peut louer en même temps.
Les entreprises pourraient aussi sensibiliser les consommateurs à l’impact environnemental de leurs choix, en fournissant par exemple des données sur l’empreinte carbone des vêtements loués, ou bien sur le nombre de fois qu’un vêtement loué a déjà pu être porté en plus que s’il avait été acheté.
Les entreprises du secteur de la location de vêtements devraient collaborer pour partager des informations et développer une compréhension plus approfondie des impacts environnementaux de leurs pratiques. En travaillant ensemble, elles peuvent mieux cibler les segments de consommateurs et promouvoir des pratiques de consommation plus responsables.
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De leur côté, les clients jouent aussi un rôle essentiel dans la transformation de la mode vers une consommation plus réfléchie. Pour ce faire, ils doivent repenser leur relation avec la mode et la consommation. Un premier pas serait d’adopter une approche minimaliste, en privilégiant les vêtements de qualité plutôt que la quantité.
Les consommateurs peuvent aussi opter pour des pièces « éthiques », fabriquées de manière responsable, qui allient style et durabilité. Et se poser la question avant de louer un vêtement : « En ai-je vraiment besoin ? », « Le porterai-je plusieurs fois ? » Cette réflexion peut aider à éviter les locations impulsives et donc à réduire l’impact environnemental.
Transformer les plates-formes de location de vêtements en de véritables leviers de durabilité implique donc une volonté partagée des consommateurs et des entreprises. Ce n’est qu’au prix d’efforts combinés que ces services basés sur l’accès pourront réaliser leur promesse initiale : réduire l’empreinte carbone de la mode tout en répondant aux aspirations des consommateurs.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.