11.12.2025 à 15:55
Sophie Renault, Professeur des Universités en Sciences de Gestion et du Management, Université d’Orléans

Miser sur les objets cultes des années 1980, envahir l’espace public et s’inscrire dans la postérité : tel est le programme marketing très bien orchestré de la série « Stranger Things » pour sa cinquième et dernière saison qui surfe plus que jamais sur la nostalgie.
À l’occasion de la sortie de la cinquième et ultime saison de Stranger Things, Netflix déploie un plan d’envergure mondiale : événements publics, collaborations avec des marques internationales, pop-up stores… Derrière l’ampleur promotionnelle, un ressort fondamental unifie la narration, l’esthétique et la stratégie marketing de la série. Il s’agit de la nostalgie.
Depuis 2016, Stranger Things met en scène un imaginaire matérialisé par la présence d’objets emblématiques des années 1980. C’est par l’activation de ces repères culturels que la série prépare et invite le public à l’expérience nostalgique.
Comme l’indiquent les acteurs eux-mêmes dans un teaser promotionnel de la saison 5 :
« Vous allez ressentir des sentiments de nostalgie, ressortez vos chouchous et vos walkmans. »
Parmi les objets emblématiques des années 1980 figurent des téléviseurs à tube cathodique, des cassettes audio, des talkies-walkies, des flippers ou bien encore des bornes d’arcade.
Toutefois, l’efficacité de la nostalgie dans la série va au-delà de ces seules catégories d’objets. Si elle fonctionne si bien à l’écran, c’est parce qu’elle est immédiatement identifiable par l’association à des marques faisant partie intégrante du langage visuel de la culture pop. Les placements de produits y sont nombreux et parfaitement assumés. Il s’agit notamment de la mise en perspective dans cette cinquième saison de produits agroalimentaires parmi lesquels des boissons, comme Sunny Delight ou Coca-Cola. On identifie également plusieurs produits « technologiques », comme une radio Sanyo, un radio-cassette Sidestep, un casque stéréo KOSS, etc. On repère également des marques associées à l’enfance : une parure de lit, une affiche, un puzzle ou bien encore une poupée de l’univers Rainbow Brite, une boîte à goûter G.I. Joe, un bisounours, de la pâte à modeler Play Doh, des crayons de cire Crayola…
Ils sont les véhicules d’une époque que certains ont connue et que d’autres, en écho aux travaux de Svetlana Boym, fantasment ou romancent. Comme le souligne la recherche de Dan Hassler-Forest, Stranger Things illustre une forme de nostalgie « restauratrice », en quelque sorte idéalisée. Les années 1980 apparaissent comme un refuge séduisant face à un présent jugé moins désirable.
Les références empreintes de nostalgie donnent à l’univers de la série sa cohérence esthétique et temporelle. Hawkins, ville fictive dans laquelle se déroule l’action, rappelle selon les recherches de la spécialiste britannique des médias et de la pop culture Antonia Mackay, une forme de « perfectionnisme de la guerre froide », où la tranquillité de la banlieue est interrompue par l’irruption de la menace surnaturelle. En effet, selon la chercheuse, « l’idéologie dominante de l’après-guerre promeut la vie en banlieue, une existence centrée sur l’enfant, Hollywood, la convivialité, le Tupperware et la télévision ». Les frères Duffer, réalisateurs de la série, exploitent ce contraste depuis la première saison. Plus le monde à l’envers gagne du terrain, plus l’univers nostalgique se densifie via les objets, les décors, mais aussi grâce à une bande-son rythmée de tubes des années 1980.
La nostalgie est ainsi l’un des moteurs centraux de la série. Elle s’érige en rempart symbolique contre la terreur associée au monde à l’envers. Passant d’adolescents à jeunes adultes au fil des saisons, les héros évoluent dans un environnement anxiogène figé par l’esthétique rassurante des années 1980. Par effet miroir, en qualité de spectateur, notre propre trajectoire se mêle à celle des personnages de la série. C’est ici aussi que réside l’intuition fondatrice des frères Duffer. Il s’agit de transformer la nostalgie en un espace émotionnel fédérateur, un passé commun recomposé capable de fédérer plusieurs générations.
L’alignement entre l’univers narratif de la série et ses opportunités commerciales ouvre la voie à de multiples partenariats de marque. Le secteur de la restauration rapide, dont la mondialisation s’est accélérée durant les années 1980, est un terrain de jeu idéal pour la mise en place d’opérations commerciales autour de la série. Les exemples sont éloquents : McDonald’s a lancé un Happy Meal accompagné de figurines collector. De son côté, KFC a créé une campagne immersive en se rebaptisant temporairement « Hawkins Fried Chicken », du nom de la ville fictive dans laquelle se déroule la série. Sont mis en scène dans un spot emblématique des employés prêts à affronter tous les dangers du monde à l’envers pour assurer leur livraison. Quant à Burger King, l’enseigne a lancé les menus Hellfire Club d’une part et Upside Down d’autre part, respectivement en référence au club de jeu de rôles Donjons & Dragons de la série et au monde à l’envers qu’elle met en scène.
Cette logique d’extension de la marque Stranger Things se concrétise par des collaborations événementielles qui investissent de nombreux domaines. Par exemple à Paris, l’univers de Stranger Things s’est invité aux Galeries Lafayette. Le grand magasin des Champs-Élysées propose en effet une immersion dans l’atmosphère du monde à l’envers. Des animations interactives y permettent notamment de personnaliser une enceinte Bluetooth en forme de radio. Quant à la chaîne de boulangerie « créative » Bo&Mie, elle décline des pâtisseries aux formes inspirées de la série.
Les exploitations sous licence, depuis Lego aux figurines Pop en passant par Primark, Nike ou Casio, s’emparent de l’esthétique de la série. Stranger Things déborde ainsi de l’écran pour investir les univers marchands mais également l’espace public des grandes villes au travers d’opérations événementielles spectaculaires. C’est notamment le cas lorsque des installations lumineuses immersives sont déployées à l’image de celles de la fête des Lumières de la ville de Lyon.
Pour son dernier chapitre, Stranger Things met la nostalgie en scène comme un véritable rituel. La diffusion fractionnée en trois temps n’est pas anodine. Plutôt qu’un lancement d’un seul bloc, Netflix étale la sortie sur trois moments clefs : Thanksgiving, Noël et le Nouvel An. En s’inscrivant dans ce calendrier affectif, la série devient elle‑même un rendez‑vous mémoriel, associé à des fêtes déjà chargées de souvenirs et de traditions.
Ce dispositif permet à Netflix de maintenir l’engouement pendant plusieurs semaines, mais aussi de donner à la série une tonalité plus intime. En effet, la nostalgie du passé se mêle à celle du présent. Les spectateurs vivent les derniers épisodes avec, en filigrane, le souvenir de la découverte de la série près de dix ans plus tôt. La conclusion de Stranger Things active ainsi une double nostalgie : celle, d’une part, des années 1980 reconstituées et celle, d’autre part, de notre propre trajectoire de spectateur.
Alors qu’une page se tourne, Netflix choisit de célébrer la cinquième saison sur l’ensemble des continents à travers le mot d’ordre « One last adventure ». Par exemple, l’événement intitulé « One Last Ride », organisé à Los Angeles le 23 novembre dernier invitait les fans à parcourir Melrose Avenue à vélo, en skate ou à pied. Plus largement, la plateforme déploie une série d’animations, physiques et virtuelles, pour convier les fans du monde entier à accompagner la fin du récit.
Stranger Things est in fine un événement culturel qui va au-delà de l’écran pour occuper l’espace public, les centres‑villes, les grands magasins ou bien encore les réseaux sociaux. La nostalgie y fonctionne comme un vecteur de rassemblement. Cette dynamique s’inscrit dans une stratégie plus large de prolongement de l’univers sériel. On pense notamment aux projets dérivés comme la pièce de théâtre The First Shadow ou bien encore à la série animée Chroniques de 1985. Alors que Stranger Things s’achève, son imaginaire s’installe dans une forme de postérité.
Sophie Renault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
11.12.2025 à 15:54
Pierre Firode, Professeur agrégé de géographie, membre du Laboratoire interdisciplinaire sur les mutations des espaces économiques et politiques Paris-Saclay (LIMEEP-PS) et du laboratoire Médiations (Sorbonne Université), Sorbonne Université
Le nouvel homme fort de Damas montre patte blanche sur la scène internationale, que ce soit quand il intervient à la tribune de l’ONU ou quand il s’entretient avec Donald Trump, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Mohammad ben Salmane ou encore Emmanuel Macron. À l’en croire, l’ancien chef djihadiste souhaite installer un pouvoir – relativement – démocratique et inclusif envers les minorités ethniques de la Syrie. Or le sort des alaouites, des druzes et des Kurdes invite à considérer ces engagements avec la plus grande méfiance.
Les médias occidentaux ont souligné à raison la métamorphose spectaculaire du président syrien Ahmed Al-Charaa et de son image auprès des chancelleries internationales. L’ancien chef du front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) s’est lancé depuis cet été dans une véritable offensive diplomatique internationale tous azimuts.
En octobre 2025, Al-Charaa a repris les relations avec la Russie, ancien soutien du régime d’Assad, en réglant la délicate question des bases russes de Tartous et Hmeimim, dont Moscou devrait conserver l’usage. Mais ce qui étonne le plus les journalistes tient à « l’opération séduction » que le président a engagée auprès des puissances occidentales avec des voyages très remarqués en France en mai 2025 et surtout à Washington en novembre 2025. En amont de cette dernière visite, il a obtenu la levée des sanctions onusiennes qui frappaient son groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ainsi que son retrait de la liste des organisations reconnues comme terroristes. Il a également pu s’exprimer à la tribune de l’assemblée générale de l’ONU.
Pour autant, si la presse a souligné, à raison, le rapprochement des intérêts de Damas et de Washington, notamment leur projet commun de lutter contre l’État islamique, qui demeure présent en Syrie, la plupart des analystes semblent négliger un paramètre essentiel : la diplomatie syrienne reflète davantage les contraintes géopolitiques qui s’imposent au nouveau régime qu’une véritable volonté de s’ouvrir à l’Occident.
Prisonnier d’une situation domestique très précaire, le pouvoir syrien se doit, s’il veut survivre à court terme, de ménager les intérêts des puissances qui pourraient facilement l’abattre. Il ne peut tenir qu’avec l’assentiment des alliés de Washington, comme Israël ou l’Arabie saoudite, ou des puissances régionales comme la Turquie, qui s’ingèrent dans le jeu politique syrien. Il donne donc des gages à ses partenaires extérieurs mais, dans les faits, le respect des minorités voire l’inclusion tant vantée par les observateurs occidentaux semblent avoir fait long feu, comme le montrent les violences ayant visé diverses communautés et la sous-représentation des minorités parmi les députés élus aux élections législatives d’octobre 2025.
Avant de se rendre dans les chancelleries occidentales, Al-Charaa s’est d’abord assuré du soutien des puissances régionales capables de s’ingérer dans le jeu politique syrien, à commencer par la Turquie, où il s’est rendu dès février 2025. Rappelons que c’est l’alliance entre HTC et les milices de l’ANS, l’armée nationale syrienne, composées de supplétifs de l’armée turque, qui avait permis la rapide chute d’Assad en 2024.
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Aujourd’hui, la Turquie continue de dominer le nord de la Syrie, malgré l’intégration de l’ANS dans l’armée syrienne. La région d’Alep reste contrôlée par les ex-chefs du Jabah al-Shamia, ancienne faction de l’ANS, à l’image de tout le reste du nord du pays où les unités de l’ANS, bien qu’ayant officiellement rejoint l’armée syrienne, sont restées cantonnées dans leurs positions, ce qui indique que leur allégeance va plus à Ankara qu’à Damas.
Malgré les appels d’Al-Charaa à l’unité nationale, l’ANS s’est emparée en décembre 2024 et en janvier 2025 des villes de Tall Rifaat et de Manbij, jusqu’alors tenues par les forces kurdes, ennemies traditionnelles de la Turquie. L’ANS a également affronté les Kurdes entre fin 2024 et avril 2025 autour du barrage de Tishrin, qu’elle a finalement reconquis, ce qui lui donne un contrôle sur le débit en aval et une tête de pont sur la rive orientale de l’Euphrate.
Al-Charaa pourrait profiter de sa proximité avec Ankara pour soumettre définitivement le Rojava, c’est-à-dire les régions autonomes du Kurdistan syrien contrôlées par les milices kurdes (les FDS) et dirigées par l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES). Le contexte est d’autant plus favorable que de l’autre côté de la frontière turco-syrienne, le PKK abandonne progressivement la lutte armée depuis l’appel de son chef, Abdallah Öcalan, à renoncer au conflit avec l’État turc.
Sans l’appui du puissant parrain turc, la soumission du Rojava paraît une entreprise bien périlleuse pour Damas, qui sait pertinemment que les Kurdes n’abandonneront le Rojava que sous la contrainte, puisqu’ils se méfient du nouveau régime, comme le montrent les réticences des FDS à intégrer l’armée syrienne, malgré quelques vagues déclarations en ce sens.
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Donald Trump, qui lors de son premier mandat avait déjà abandonné son allié kurde lors des opérations turques Rameau d’Olivier en 2018 et Source de Paix en 2019, pourrait chercher à contraindre les milices kurdes à intégrer les forces du régime syrien et à renoncer ainsi à leur assurance-vie. Dans l’optique de Trump, le Rojava, principale réserve pétrolière du pays, doit être pacifié et intégré à l’espace national en vue de son exploitation par les majors pétrolières américaines. Washington, Ankara et Damas pourraient s’accorder sur la question kurde et œuvrer ensemble à la disparition politique du Rojava.
L’intermédiaire américain joue aussi un rôle fondamental dans la normalisation des relations entre Damas et Israël.
Trump et son administration rêvent d’étendre les accords d’Abraham à la Syrie et de pérenniser ainsi la sécurité de leur allié israélien. De ce point de vue, le nouveau pouvoir de Damas fait preuve de Realpolitik puisqu’il refuse, pour l’instant en tout cas, de se confronter à l’État hébreu malgré l’extension par ce dernier de ses marges frontalières sur le Golan lequel, selon Benyamin Nétanyahou, a été annexé « pour l’éternité ». Al-Charaa sait son régime fragile et a conscience du fait que le rapport de force est infiniment favorable à Israël.
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En plus de s’attirer les faveurs de Washington, Damas souhaite empêcher par tous les moyens l’ingérence israélienne dans ses affaires intérieures. Soucieux de préserver sa sécurité et de créer une zone tampon en Syrie, Israël s’appuie, en effet, sur ses alliés druzes et utilise leur défense comme casus belli afin d’étendre sa profondeur stratégique dans la région.
L’extension des accords d’Abraham et du système d’alliance américain suppose aussi une normalisation des relations avec les puissances du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite qu’Al-Charaa a visitée dès février 2025. De ce point de vue, il est intéressant d’observer que le nouveau régime se garde bien de prendre des mesures qui pourraient provoquer la colère de Riyad ou de ses alliés arabes comme l’Égypte. La déclaration constitutionnelle de mars 2025 ne tombe pas dans les thématiques chères aux Frères musulmans, lesquels s’opposent frontalement aussi bien à la monarchie saoudienne qu’au régime d’Al-Sissi en Égypte.
En effet, cette Constitution provisoire place le régime dans la droite filiation du nationalisme arabe, comme le montre l’article 1 qui qualifie la Syrie de « République arabe ». Cette orientation rassure Le Caire et confirme l’éloignement par rapport à la mouvance frériste : régime autoritaire, le nouveau pouvoir syrien n’aspire pas à devenir la référence ou l’étendard des populations rejetant le joug des tyrannies miliaires (Égypte) ou monarchiques (Riyad).
Le processus démocratique cher aux fréristes est particulièrement freiné par la Constitution de 2025 puisqu’elle ne débouche que sur une participation très superficielle des électeurs syriens : elle ne prévoit qu’un scrutin indirect où seuls 6 000 électeurs, au préalable soumis au contrôle du régime, élisent 140 députés choisis parmi environ 1 500 candidats désignés parmi les notables locaux.
Ce mode de scrutin ne reconnaît par ailleurs que des candidats apolitiques, ce qui limite considérablement sa portée démocratique et l’enracinement des Frères musulmans, et valorise les Cheikhs c’est-à-dire les chefs de tribus. Ce système permet à Al-Charaa de contrôler la vie politique syrienne et place aussi la Syrie dans la continuité de ses voisins arabes, qui sont soit des régimes autoritaires assumés, soit des régimes hybrides semi-autoritaires comme la Jordanie. Al-Charaa n’entend pas faire de Damas l’épicentre d’un nouveau Printemps arabe placé sous le signe de l’islamisme ; une posture qui lui permet notamment d’apaiser les craintes de ses partenaires régionaux.
Damas veut donc, par sa diplomatie très active, ménager les puissances régionales que sont la Turquie, Israël ou les pays arabes. Dans les trois cas, le régime entend profiter de la médiation des Américains, qui espèrent construire un nouveau système diplomatique où la sécurité d’Israël soit garantie. On observe ici tous les paradoxes de la diplomatie syrienne, qui entend se rapprocher d’Israël tout en ménageant son parrain turc, deux projets a priori difficilement conciliables à long terme si on considère l’hostilité croissante d’Ankara envers Israël.
La Turquie émerge en effet de plus en plus comme le leader de l’opposition à Israël dans la région et pourrait occuper le vide laissé par l’effondrement iranien pour construire son propre « axe de la résistance antisioniste », étendant ainsi son emprise sur les sociétés arabes. On comprend dès lors que la diplomatie syrienne révèle les paradoxes, pour ne pas dire les hypocrisies du régime qui entend multiplier les efforts diplomatiques à court terme pour pérenniser son pouvoir, sans souci de cohérence à long terme.
La réalité des projets de long terme d’Al-Charaa transparaît moins dans son activité diplomatique que dans sa gestion réelle des minorités, ainsi que dans sa position plus qu’ambiguë à l’égard du droit. Derrière la rhétorique inclusive, les premiers mois du nouveau régime permettent d’anticiper une dérive répressive envers les minorités dans les mois et les années à venir.
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Les Kurdes restent menacés, comme le montre la Constitution provisoire de 2025 qui rappelle dans son article 7.1 que l’État « s’engage à préserver l’unité du territoire syrien et criminalise les appels à la division, à la sécession ainsi que les demandes d’intervention extérieure ». Difficile de ne pas voir ici un message hostile envoyé aux Kurdes et à leur projet d’un Rojava autonome, ainsi qu’aux Druzes.
En optant non pas pour un régime de type fédéral mais pour un pouvoir centralisé ultra présidentiel, Al-Charaa nie les aspirations politiques des minorités du pays. Le système électoral confirme cette orientation puisque, nous l’avons dit, les candidats aux élections sont choisis par le président via une commission de sélection qu’il contrôle totalement. Comment s’étonner, dès lors, que les minorités ne représentent qu’une infime partie des élus lors des dernières législatives – 4 députés kurdes, 6 alaouites et 2 chrétiens sur 140, alors que chacune de ces communautés représente environ 10 % de la population totale ?
Surtout, le cycle de violence engagé par les massacres des populations alaouites en mars 2025 ne s’est jamais complètement arrêté, même si ces attaques ont constitué un pic. Les minorités sont quotidiennement victimes d’attaques qui, bien que limitées, instaurent un climat de terreur, ce qui pousse les populations à fuir le pays, comme en témoigne la migration de 50 000 à 100 000 alaouites vers le Liban.
La Syrie semble donc engagée dans la voie d’un long et progressif processus de nettoyage ethnique de facto. La nouvelle Constitution nous le rappelle puisque, comme le stipule l’article 3.1, « la jurisprudence, le Fiqh, est la principale source du droit ». On voit mal comment un État régi par l’orthodoxie sunnite pourrait tolérer les minorités alaouite ou druze dont l’approche syncrétique de l’islam, voire sécularisée dans le cas des alaouites, n’est pas compatible avec la charia.
En outre, la Constitution inscrit dans son article 49 le rejet de toute forme d’héritage de l’ère Assad :
« L’État criminalise la glorification de l’ancien régime d’Assad et de ses symboles, la négation ou l’apologie de ses crimes, leur justification ou leur minimisation, autant de crimes punissables par la loi. »
Étant donné que de nombreux anciens rebelles syriens assimilent les minorités au régime d’Assad, ce passage pourrait servir de base à une répression qui les viserait pour les punir de leur prétendue fidélité au régime déchu. La base militante de HTC n’a pas renoncé à se venger de communautés perçues, de façon simpliste et souvent injuste, comme des soutiens indéfectibles de l’ancien régime : les massacres visant les alaouites dans la région de Banias en mars 2025 l’ont tragiquement illustré. L’inclusivité affichée par le nouveau régime reste une apparence et permet d’anticiper un refroidissement des relations entre Damas et les Américains, une fois que sera revenue à la Maison Blanche une administration davantage soucieuse du respect du droit humanitaire international.
Pour résumer, Al-Charaa a inscrit son pays dans un spectaculaire processus d’ouverture diplomatique, l’amenant à normaliser ses relations tant avec les puissances régionales qu’avec les puissances internationales comme les États-Unis, dont le régime syrien reste pour l’instant à la merci. Il faut bien garder à l’esprit que cette offensive diplomatique, plus qu’une volonté de rapprocher durablement la Syrie de l’Occident ou de ses valeurs, traduit surtout la nécessité de limiter les ingérences étrangères dans un contexte intérieur fragile où la Syrie s’apparente encore à un État quasi failli.
Une fois que son emprise sur la société syrienne se sera durablement pérennisée, le nouvel homme fort de la Syrie, fort d’un pouvoir ultra présidentiel $et du soutien de ses parrains régionaux, pourrait, sur le long terme, sacrifier le sort des minorités et ses bonnes relations avec l’Ouest pour poursuivre une politique hostile autant aux intérêts de l’Occident qu’à ses valeurs.
Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
11.12.2025 à 15:54
Alexandre Joux, Professeur en Sciences de l’information et de la communication, Aix-Marseille Université (AMU)
En évoquant un « label » pour l’information, le président Macron a déclenché une polémique alimentée par les médias de Vincent Bolloré, qui dénoncent une volonté de museler la presse. Les labels existants sont-ils efficaces pour promouvoir des médias de qualité ? Quels sont les critères de labellisation, et plus largement, comment définir le « bon » journalisme ?
[Note de la rédaction : The Conversation France a reçu le label Journalism Trust Initiative (JTI) en novembre 2025.]
Le vendredi 28 novembre 2025, dans un échange avec les lecteurs du groupe EBRA, Emmanuel Macron, président de la République, évoquait un « label » pour l’information. Il citait celui de la Journalism Trust Initiative (JTI), créé par Reporters sans frontières (RSF), sans en faire la norme par ailleurs, rappelant que l’engagement des rédactions sur la vérification des faits et de la déontologie est essentiel.
Cette déclaration, qui n’avait pas vocation à faire parler d’elle, sera largement débattue dans les médias du groupe Bolloré, qui vont dénoncer une mise sous tutelle de l’information. L’Élysée réagira dès le lundi 1er décembre et dénoncera une « fausse information ». Ainsi, en trois jours à peine, le trio JDD-Europe 1-CNews sera parvenu à mettre la question du « label » à l’agenda, et le président Macron en porte-à-faux. L’opération est réussie puisque la confusion s’est très vite installée entre, d’une part, un label qui garantit l’information produite par des journalistes selon un certain nombre de critères professionnels – que l’on pourrait appeler « vraie information » et, d’autre part, les velléités prétendues de certains politiques sur la sélection de la « bonne » information.
Le débat est légitime mais il ne porte pas, en fait, sur les médias entre eux, mais sur les réseaux sociaux et les algorithmes de recommandation. Il porte sur la signalisation de la « vraie » information, celle faite par des journalistes, dans des environnements où prolifèrent les contenus en ligne qui n’ont pas pour objectif la véracité des faits.
La Journalism Trust Initiative a été lancée en 2018 « comme dispositif innovant contre la désinformation », deux ans après la première élection de Donald Trump et le vote des Britanniques en faveur du Brexit, deux élections où les « fake news » ont émaillé les campagnes précédant le vote. La JTI n’avait donc pas pour objectif de discriminer entre « bon » et « mauvais » médias dans un contexte de polarisation des opinions, mais à demander « une distribution et un traitement privilégiés des [médias labellisés] par les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux ». Elle pointait les premiers responsables de l’actuelle foire d’empoigne médiatique : le relativisme informationnel, le grand gloubi-boulga des contenus sur les réseaux sociaux, où tout et n’importe quoi est mis sur le même plan pourvu que cela satisfasse les attentes des « profils ».
Quand les médias du groupe Bolloré envisagent les labels comme un moyen d’identifier les « bonnes » rédactions, et non pas comme un moyen de distinguer la « vraie » information du reste des contenus, ils déplacent le problème. Et dans ce cas, effectivement, les labels soulèvent des questions, avec trois difficultés au moins : celle de la définition du bon journalisme et de l’information vraie ; celle du thermomètre pour le mesurer ; celle des effets possibles du « label » auprès de ceux qui cherchent à s’informer. Avec, en fin de compte, un risque élevé pour la liberté d’expression.
Première difficulté : le bon journalisme n’existe pas, il n’y a que des bons articles ou de bons reportages, parce que la valeur de l’information est décidée avec les publics, au cas par cas. Cette valeur ne relève pas des règles que la profession se donne, même si ces règles sont essentielles.
Le journalisme a toujours été une profession « floue », qui s’adapte aux évolutions des techniques, des usages, plus largement des sociétés. D’ailleurs, rien ne définit le journalisme en France dans le Code du travail, sauf le fait d’être payé en tant que journaliste (article L7111-3). Ce flou est utile. Il permet parfois de dire que des journalistes payés n’en sont pas, trahissent les règles qu’ils disent respecter, quand d’autres font du journalisme sans véritablement s’en revendiquer.
Aujourd’hui, la chaîne YouTube HugoDécrypte contribue plus à l’information, notamment auprès des jeunes, que de nombreux médias « reconnus » qui font de l’information avec des bouts de ficelle, quand ils ne volent pas le travail de leurs concurrents, comme le soulignent les débats actuels sur le renouvellement de l’agrément de Var Actu par la CPPAP, la commission qui permet de bénéficier des aides de l’État à la presse. Voici un bel exemple des limites de tout processus de labellisation à partir de règles données.
Parce qu’il n’est pas seulement une profession avec ses règles et ses codes, mais parce qu’il a une utilité sociale, le journalisme se doit donc d’être en permanence discuté, critiqué, repensé pour qu’il serve d’idéal régulateur à tous les producteurs d’information. Le journalisme, ses exigences et la valeur qu’on lui accorde se définissent en effet dans le dialogue qui s’instaure entre les professionnels de l’information, leurs publics et la société. Certes, les journalistes doivent s’engager sur la véracité des faits, sur une exigence de rationalité dans le compte-rendu qu’ils en font, ce qui suppose aussi une intelligence a minima des sujets qu’ils doivent traiter mais, une fois ces règles minimales posées, les modalités de leur mise en œuvre vont varier fortement.
C’est la différence entre la « vraie » information, celle qui respecte des normes, des règles, ce que proposent les labels, et l’information « vraie », celle qui est perçue comme solide par les publics, quand ils reconnaissent, par leurs choix de consommation, la qualité du travail journalistique en tant que tel. Ici, l’information « vraie » recouvre finalement le périmètre de la « bonne » information.
C’est pour insister sur cet autre aspect plus communicationnel du journalisme que j’ai introduit la notion de « presque-vérité » journalistique. Elle permet de souligner que la réalité du métier, avec ses contraintes de temps, de moyens, de compétences rend la réalisation de cet idéal d’information « vraie » toujours difficile. Le terme permet également de souligner que l’information des journalistes entretient quand même un rapport avec la vérité, quand d’autres discours dans l’espace public se libèrent des contraintes de la factualité, de l’épreuve du réel. Elle permet enfin de souligner que l’information journalistique est toujours négociée.
Quel est, alors, ce rapport du journalisme à la vérité, quel serait, de ce point de vue, une « bonne » information ? En premier lieu, l’exercice du métier renvoie à des normes collectives d’établissement des faits – ce sur quoi toutes les rédactions peuvent s’accorder en définissant les critères pour un label. C’est ce qui permet de dire que les faits sont vrais, que leur existence doit être reconnue de tous.
En second lieu, toute information est construite à partir des faits, par le journaliste, en fonction d’une ligne éditoriale, d’un angle qu’il choisit, et en fonction des publics auxquels il s’adresse. Il ne s’agit plus des faits mais de leur interprétation. En la matière, on peut attendre d’un journaliste qu’il propose une interprétation la plus cohérente possible des faits, qu’il fasse un vrai effort de rationalisation, mais il n’y a pas de lecture des faits qui soit plus légitime qu’une autre, si l’exigence de rationalité est respectée.
Ici se joue la négociation de l’information avec son public, la définition de sa portée sociale. Ainsi, une lecture hayekienne ou marxiste d’un même fait seront toutes les deux cohérentes et légitimes, même si elles sont en concurrence. Dans les deux cas, l’information est « vraie », appuyée sur des faits établis, inscrite dans une grille de lecture assumée, expliquée de la manière la plus rationnelle possible, pensée aussi pour répondre aux attentes de certains publics. Il s’agit d’une vérité tout humaine, sans cesse renégociée, qui repose sur la reconnaissance de la pertinence du travail fourni par le journaliste. Et cette possibilité se joue sur chaque article, sur chaque reportage, parce que le journaliste remet en jeu, à chaque fois, sa crédibilité, quand il choisit de traiter l’actualité à partir d’un angle, d’une vision, d’une conception du monde.
De ce point de vue, un label ne permettra jamais de mesurer si le journaliste a fait les bons choix pour interpréter le plus correctement possible les faits, parce qu’il n’y a pas d’interprétation qui soit plus correcte qu’une autre dès qu’elle est rationnelle. La valeur sociale de l’information dépend de la relation entre les journalistes et leurs publics, elle n’est pas liée aux conditions professionnelles de son élaboration.
Deuxième difficulté, le thermomètre, c’est-à-dire qui mesure la qualité de l’information et comment ? La plupart des tentatives soulèvent la question de la légitimité de ceux qui définissent les critères, et surtout des fins que ces critères viennent servir. C’est toute la différence qui sépare deux autres projets d’évaluation nés après 2016 et le surgissement massif des « fake news », le Décodex d’une part, les avis du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) d’autre part.
Lancé en 2017, le Décodex est une initiative des Décodeurs, le service de fact-checking du Monde. Afin de lutter contre la prolifération des fausses informations, signalées jusqu’alors une à une, l’idée fut de catégoriser les sources émettrices, donc de dire quel site est fiable et quel site ne l’est pas. Cette entreprise de labellisation des sources d’information a été finalement très critiquée avant d’être abandonnée, car son résultat le plus évident fut de mettre en avant l’ensemble des médias institués face à des offres qui n’avaient jamais pour elles le journalisme comme étendard.
Au départ, trois pastilles de couleur verte, orange et rouge étaient proposées : tous les médias ont eu leur pastille verte, à de rares exceptions (Fakir, Valeurs actuelles). La confusion s’est donc immédiatement installée entre « vrais » médias et « bons » médias, avec Le Monde en distributeur de bons points, ce qui a conduit les Décodeurs à retirer très vite leurs pastilles. À vouloir qualifier les sources elles-mêmes et pas le travail concret des journalistes, sujet par sujet, le Décodex n’est pas parvenu à discriminer entre « bons » et « mauvais » médias. Il a rappelé que les médias font en général de la « vraie » information, mais il n’a pas pu statuer sur la pertinence de l’information qu’ils produisent. Comme pour le label évoqué par le président Macron, le déplacement du débat de la « vraie » information à la « bonne » information a provoqué une remise en question du « label » imaginé par les Décodeurs.
À l’inverse, le CDJM, lancé en 2019, se prononce bien sur les ratés déontologiques des médias d’information quand il publie ses décisions sur des cas concrets. Il permet de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie parmi les informations produites par les rédactions, mais il ne permet pas de statuer sur la qualité des médias et sur les choix des rédactions, considérant que cet aspect de l’information relève de la liberté éditoriale, du jugement aussi des lecteurs (le CDJM inclut d’ailleurs des représentants des lecteurs au côté des professionnels de l’information). Ainsi, le thermomètre fonctionne quand il permet de signaler les manquements de certains journalistes et de leurs rédactions sur des cas concrets, parce que la décision est argumentée, adaptée à chaque cas, et le périmètre bien circonscrit au seul respect des règles qui permettent de garantir la véracité des faits. Mais c’est statuer sur la « vraie » information, et sur ses ratés, jamais sur sa qualité. Or l’idée de « label » véhicule avec elle, de manière latente, un jugement de valeur sur la qualité des médias.
Le troisième problème d’un label est le label lui-même, comme indication communiquée aux internautes. Quand Facebook a souhaité lutter contre les « fake news », il les a signalées à ses utilisateurs avec un drapeau rouge, ce qui a produit deux résultats très problématiques. Le premier est celui de l’effet de vérité par défaut, un contenu non signalé étant considéré comme vrai par défaut. Dans le cadre d’un label, son absence pourrait signifier « non crédible », ce qui est absurde et confère au journaliste un monopole sur l’information, quand des sources différentes peuvent être très pertinentes. Le second effet est encore plus problématique car les contenus signalés ont été considérés par certains utilisateurs de Facebook comme plus vrais, justement parce qu’ils sont signalés comme problématiques pour et par « le système dominant ». Le non label pourrait dans ce cas devenir l’étendard de tous ceux qui dénoncent le conformisme ou l’alignement des médias sur une idéologie dominante. Et l’on sait combien ce discours est porteur…
En conclusion, le risque est grand de statuer sur les bons et les mauvais médias en transformant le label « info » évoqué par le président de la République en gage de sérieux journalistique. Il a été évoqué dans un contexte de dénonciation de la désinformation sur les réseaux sociaux, pas pour définir un « bon » journalisme réservé aux seules rédactions déclarées vertueuses.
Ce sont la liberté d’expression et la liberté de la presse qui permettent à des voix différentes de rappeler que certains cadrages sont peut-être trop convenus, que certaines sources sont peut-être trop souvent ignorées, soulignant ainsi que le pluralisme, s’il est bien défendu, est une meilleure garantie de qualité pour le journalisme dans son ensemble qu’un label attribué à certains et pas à d’autres. Les publics décideront à la fin car l’information est faite d’abord pour eux.
Il ne faut pas minimiser aussi le risque d’une suspicion accrue face au label, qui produira l’effet inverse de celui souhaité, à savoir mettre sur la touche les médias plutôt que de les replacer au cœur de l’organisation du débat public. C’est ce rôle-là des médias qu’il faut préserver à tout prix, en défendant le pluralisme et l’indépendance des rédactions, quand les plates-formes nous enferment à l’inverse dans des bulles où nos goûts font office de label pour la « bonne » information.
Alexandre Joux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
11.12.2025 à 12:13
Margot Michaud, Enseignante-chercheuse en biologie évolutive et anatomie , UniLaSalle
Sara Hoummady, DMV, PhD, Associate professor in ethology and animal nutrition, UniLaSalle

Sur les réseaux sociaux, la popularité des animaux exotiques va de pair avec la banalisation de leur mauvais traitement. Ces plateformes monétisent la possession d’espèces sauvages tout en invisibilisant leur souffrance. Cette tendance nourrit une méprise courante selon laquelle l’apprivoisement serait comparable à la domestication. Il n’en est rien, comme le montre l’exemple des loutres de compagnie au Japon.
Singes nourris au biberon, perroquets dressés pour les selfies, félins obèses exhibés devant les caméras… Sur TikTok, Instagram ou YouTube, ces mises en scène présentent des espèces sauvages comme des animaux de compagnie, notamment via des hashtags tels que #exoticpetsoftiktok.
Cette tendance virale, favorisée par le fonctionnement même de ces plateformes, normalise l’idée selon laquelle un animal non domestiqué pourrait vivre comme un chat ou un chien, à nos côtés. Dans certains pays, posséder un animal exotique est même devenu un symbole ostentatoire de statut social pour une élite fortunée qui les met en scène lors de séances photo « glamour ».
Or, derrière les images attrayantes qui recueillent des milliers de « likes » se dissimule une réalité bien moins séduisante. Ces stars des réseaux sociaux sont des espèces avec des besoins écologiques, sociaux et comportementaux impossibles à satisfaire dans un foyer humain. En banalisant leur possession, ces contenus, d’une part, entretiennent des croyances erronées et, d’autre part, stimulent aussi le trafic illégal. En cela, ils participent à la souffrance de ces animaux et fragilisent la conservation d’espèces sauvages.
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Pour comprendre les enjeux liés à la possession d’un animal exotique, il faut d’abord définir les termes : qu’est-ce qu’un animal domestique et qu'est-ce qu'un animal exotique ?
Force est de constater que le terme « animal exotique » est particulièrement ambigu. Même si en France l’arrêté du 11 août 2006 fixe une liste claire des espèces considérées comme domestiques, sa version britannique dresse une liste d’animaux exotiques pour lesquels une licence est requise, à l’exclusion de tous les autres.
Une licence est ainsi requise pour posséder, par exemple, un serval (Leptailurus serval), mais pas pour un hybride de serval et de chat de deuxième génération au moins, ou encore pour détenir un manul, aussi appelé chat de Pallas (Otocolobus manul).
Ce flou sémantique entretient la confusion entre apprivoisement et domestication :
le premier consiste à habituer un animal sauvage à la présence humaine (comme des daims nourris en parc) ;
la seconde correspond à un long processus de sélection prenant place sur des générations et qui entraîne des changements génétiques, comportementaux et morphologiques.
Ce processus s’accompagne de ce que les scientifiques appellent le « syndrome de domestication », un ensemble de traits communs (oreilles tombantes, queue recourbée, etc.) déjà décrits par Darwin dès 1869, même si ce concept est désormais remis en question par la communauté scientifique.
Pour le dire plus simplement : un loup élevé par des humains reste un loup apprivoisé et ne devient pas un chien. Ses besoins et ses capacités physiologiques, son comportement et ses aptitudes cognitives restent fondamentalement les mêmes que celles de ces congénères sauvages. Il en va de même pour toutes les autres espèces non domestiques qui envahissent nos écrans.
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Les félins et les primates ont longtemps été les animaux préférés des réseaux sociaux, mais une nouvelle tendance a récemment émergé en Asie : la loutre dite de compagnie.
Parmi les différentes espèces concernées, la loutre cendrée (Aonyx cinereus), particulièrement prisée pour son apparence juvénile, représente la quasi-totalité des annonces de vente en ligne dans cette région. Cela en fait la première victime du commerce clandestin de cette partie du monde, malgré son inscription à l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces menacées depuis 2019.
Les cafés à loutres, particulièrement en vogue au Japon, ont largement participé à normaliser cette tendance en les exposant sur les réseaux sociaux comme animaux de compagnie, un phénomène documenté dans un rapport complet de l’ONG World Animal Protection publié en 2019. De même, le cas de Splash, loutre employée par la police pour rechercher des corps en Floride (États-Unis), montre que l’exploitation de ces animaux s’étend désormais au-delà du divertissement.
En milieu naturel, ces animaux passent la majorité de leurs journées à nager et à explorer un territoire qui mesure plus d’une dizaine de kilomètres au sein d’un groupe familial regroupant jusqu’à 12 individus. Recréer ces conditions à domicile est bien entendu impossible. En outre, leur régime, principalement composé de poissons frais, de crustacés et d’amphibiens, est à la fois extrêmement contraignant et coûteux pour leurs propriétaires. Leur métabolisme élevé les oblige en plus à consommer jusqu’à un quart de leur poids corporel chaque jour.
Privés de prédation et souvent nourris avec des aliments pour chats, de nombreux animaux exhibés sur les réseaux développent malnutrition et surpoids. Leur mal-être s’exprime aussi par des vocalisations et des troubles graves du comportement, allant jusqu’à de l’agressivité ou de l’automutilation, et des gestes répétitifs dénués de fonction, appelés « stéréotypies ». Ces comportements sont la conséquence d’un environnement inadapté, sans stimulations cognitives et sociales, quand elles ne sont pas tout simplement privées de lumière naturelle et d’espace aquatique.
Cette proximité n’est pas non plus sans risques pour les êtres humains. Les loutres, tout comme les autres animaux exotiques, peuvent être porteurs de maladies transmissibles à l’humain : salmonellose, parasites ou virus figurent parmi les pathogénies les plus fréquemment signalées. De plus, les soins vétérinaires spécialisés nécessaires pour ces espèces sont rarement accessibles et de ce fait extrêmement coûteux. Rappelons notamment qu’aucun vaccin antirabique n’est homologué pour la majorité des espèces exotiques.
Dans le débat public, on oppose souvent les risques pour l’humain au droit de posséder ces animaux. Mais on oublie l’essentiel : qu’est-ce qui est réellement bon pour l’animal ? La légitimité des zoos reste débattue malgré leur rôle de conservation et de recherche, mais alors comment justifier des lieux comme les cafés à loutres, où l’on paie pour caresser une espèce sauvage ?
Depuis 2018, le bien-être animal est défini par l’Union européenne et l’Anses comme :
« Le bien-être d’un animal est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal. ».
Dès lors, comment parler de bien-être pour un animal en surpoids, filmé dans des situations anxiogènes pour le plaisir de quelques clients ou pour quelques milliers de likes ?
Bien que la détention d’animaux exotiques soit soumise à une réglementation stricte en France, la fascination suscitée par ces espèces sur les réseaux ne connaît aucune limite géographique. Malgré les messages d’alerte mis en place par TikTok et Instagram sur certains hashtags, l’engagement du public, y compris en Europe, alimente encore la demande mondiale et favorise les captures illégales.
Une étude de 2025 révèle ainsi que la majorité des loutres captives au Japon proviennent de deux zones de braconnage en Thaïlande, mettant au jour un trafic important malgré la législation. En Thaïlande et au Vietnam, de jeunes loutres sont encore capturées et séparées de leurs mères souvent tuées lors du braconnage, en violation des conventions internationales.
Les réseaux sociaux facilitent la mise en relation entre vendeurs et acheteurs mal informés, conduisant fréquemment à l’abandon d’animaux ingérables, voire des évasions involontaires.
Ce phénomène peut également avoir de graves impacts écologiques, comme la perturbation des écosystèmes locaux, la transmission de maladies infectieuses aux populations sauvages et la compétition avec les espèces autochtones pour les ressources.
Récemment en France, le cas d’un serval ayant erré plusieurs mois dans la région lyonnaise illustre cette réalité : l’animal, dont la détention est interdite, aurait probablement été relâché par un particulier.
Mais cette visibilité n’a pas que des effets délétères. Les réseaux sociaux offrent ainsi un nouveau levier pour analyser les tendances d’un marché illégal. D’autres initiatives produites par des centres de soins et de réhabilitation ont une vocation pédagogique : elles sensibilisent le public et permettent de financer des actions de protection et de lutte contre le trafic.
Il ne s’agit donc pas de rejeter en bloc la médiatisation autour de la question de ces animaux, mais d’apprendre à en décoder les intentions et les impacts. En définitive, le meilleur moyen d’aider ces espèces reste de soutenir les associations, les chercheurs et les programmes de réintroduction. Et gardons à l’esprit qu’un simple like peut avoir des conséquences, positives ou négatives, selon le contenu que l’on choisit d’encourager.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
11.12.2025 à 11:49
Ugo Arbieu, Chercheur postdoctoral, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
Du lion de l’Olympique lyonnais aux ours, tigres et autres aiglons qui ornent les logos des clubs sportifs de toutes disciplines du monde entier, les animaux sauvages sont au cœur de l’imaginaire sportif. Pourtant, dans la nature, beaucoup de ces espèces déclinent. Et si cet engouement se transformait en levier pour mieux défendre la biodiversité ? La littérature scientifique récente propose plusieurs pistes pour faire des clubs de véritables champions de la biodiversité.
Quand on se promène aux abords du Groupama Stadium à Lyon (Rhône), on ne peut les ignorer. Quatre lions majestueux aux couleurs de l’Olympique lyonnais trônent devant le stade, symboles du rayonnement d’un club qui dominait le championnat de France de football au début des années 2000.
Le lion est présent partout dans l’image de marque du club : sur le logo, sur les réseaux, et même sur les pectoraux de quelques supporters qui vivent et respirent pour leur équipe. Ce sont ceux qui se lèvent comme un seul homme quand Lyou, la mascotte, parcourt les travées du stade à chaque but marqué par l’équipe. Pourtant, s’il rugit dans le stade lyonnais, dans la savane, le lion s’éteint.
Lors de la neuvième journée de Ligue 1 (dont les matchs se sont déroulés du 24 au 26 octobre 2025), il y avait deux fois plus de monde dans le stade pour le match Lyon-Strasbourg (soit un peu plus de 49 000 spectateurs) que de lions à l’état sauvage sur la planète (environ 25 000). Les populations de lions en Afrique et en Inde ont chuté de 25 % entre 2006 et 2018, comme bien d’autres espèces sur la planète, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
C’est un curieux paradoxe : alors que le secteur du sport est en plein essor, capitalisant souvent sur la symbolique animale pour développer marques et logos et pour fédérer les foules autour de valeurs partagées, ces mêmes espèces animales font face à de nombreuses menaces dans la nature, sans que les fans ou les clubs ne le sachent vraiment.
Ce paradoxe entre l’omniprésence des représentations animales dans le sport et la crise globale de la biodiversité a été le point de départ d’une étude publiée dans la revue BioScience. Celle-ci a quantifié la diversité des espèces représentées dans les plus grands clubs de sport collectif dans chaque région du monde, d’une part, et évalué leur statut de conservation, d’autre part. De quoi dégager au passage des tendances entre régions du globe et sports collectifs (féminins et masculins).
L’enjeu ? Explorer les passerelles possibles entre sport professionnel et protection de la biodiversité. En effet, le sport réunit des millions de passionnés, tandis que l’identité des clubs s’appuie sur des espèces à la fois charismatiques et le plus souvent menacées. À la clé, une opportunité unique de promouvoir la conservation de la biodiversité dans un cadre positif, fédérateur et valorisant.
Le secteur du sport a récemment pris conscience des enjeux climatiques, de par ce qu’ils représentent comme risque pour la pratique sportive, mais aussi par l’impact que les événements sportifs ont sur le climat, mais la biodiversité n’a pas encore reçu la même attention.
Ces travaux ont porté sur une sélection de 43 pays sur les cinq grands continents. Ils mettent en lumière de nombreux enseignements, au premier rang desquels l’importance et la grande quantité d’animaux sauvages dans les emblèmes sportifs. Ainsi, 25 % des organisations sportives professionnelles utilisent un animal sauvage soit dans leur nom ou surnom, soit dans leur logo.
Cela représente plus de 700 équipes masculines et féminines, dans chacun des dix sports collectifs pris en compte dans l'étude : football, basketball, football américain, baseball, rugby à XV et à XIII, volleyball, handball, cricket et hockey sur glace. Sans surprise, les espèces les plus représentées sont, dans cet ordre, les lions (Panthera leo), les tigres (Panthera tigris), les loups (Canis lupus), les léopards (Panthera pardus) et les ours bruns (Ursus arctos).
Si les grands mammifères prennent la part du lion sur ce podium, il existe en réalité une formidable diversité taxonomique représentée, avec plus de 160 types d’animaux différents. Ainsi, les calamars, les crabes, les grenouilles ou les frelons côtoient les crocodiles, les cobras et les pélicans, dans un bestiaire sportif riche et révélateur de contextes socio-écologiques très spécifiques. Nous les avons recensés dans une carte interactive accessible en ligne.
On associe plus facilement cette imagerie animale aux grandes franchises états-uniennes de football (NFL), de basket-ball (NBA) ou de hockey sur glace (NHL), avec des clubs comme les Miami Dolphins (NFL), les Memphis Grizzlies (NBA) ou les Pittsburgh Penguins (NHL).
Or, la France aussi possède une faune diverse, avec plus de 20 espèces représentées dans plus de 45 clubs professionnels : les aiglons de l’OGC Nice (football), le loup du LOU Rugby (rugby), ou les lionnes du Paris 92 (handball) en sont de beaux exemples. C’est également le cas pour le volley-ball, comme le montre l’illustration ci-dessus.
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Les emblèmes des clubs font souvent écho à l’héritage culturel de leur région. L’hermine, emblème des ducs de Bretagne, est ainsi utilisée depuis le XIVe siècle pour véhiculer l’identité culturelle bretonne. On la retrouve dans plusieurs clubs sportifs de la région, dont le Stade rennais FC, le Rugby club Vannes ou le Nantes Basket Hermine.
Les symboles animaliers permettent aussi de communiquer sur les valeurs et spécificités du club, telles que la cohésion et la solidarité, à l’instar du groupe de supporters du LOU Rugby, qui se surnomme « la meute ».
Ces surnoms permettent également de créer un narratif autour de l’esthétique des couleurs de l’équipe, comme le font les « zèbres », surnom donné à l’équipe de la Juventus FC de Turin (Italie) qui joue traditionnellement en blanc rayé de noir.
Enfin, les emblèmes faisant directement référence à l’environnement local sont fréquents, tels les Parramatta Eels (qui doit son nom à celui du quartier de Sydney où joue l’équipe et qui signifie « lieu où vivent les anguilles », en dharug, langue aborigène), ou les « Brûleurs de loups » de Grenoble (du nom d’une pratique en Dauphiné qui consistait à faire de grands feux pour éloigner les prédateurs et gagner des terres agricoles sur les forêts).
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Le secteur du sport a récemment pris conscience des enjeux climatiques, tant ceux liés à la pratique sportive qu’aux événéments sportifs. La biodiversité n’a pas encore reçu la même attention. Or, notre étude montre que 27 % des espèces animales utilisées dans ces identités sportives font face à des risques d’extinction à plus ou moins court terme. Cela concerne 59 % des équipes professionnelles, soit une vaste majorité.
Six espèces, en particulier, sont en danger critique d’extinction selon l’UICN : le rhinocéros noir (Diceros bicornis), la baleine bleue (Balænoptera musculus), l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana), l’éléphant d’Asie (Elephas maximus), le tigre et le carouge (Agelaius xanthomus) de Porto Rico. Lions et léopards, deux des espèces les plus souvent représentées par les clubs sportifs, ont un statut d’espèces vulnérables.
Au total, 64 % des équipes ont un emblème animal dont la population est en déclin dans la nature. Et 18 équipes ont même pour emblème une espèce… dont on ne connaît tout simplement pas la dynamique d’évolution des populations. Si vous pensiez que cela concerne des espèces inconnues, détrompez-vous : l’ours polaire (Ursus maritimus), l’orque (Orcinus orca) ou encore le chat forestier (Felis silvestris) font partie de ces espèces populaires, mais très mal connues au plan démographique.
Dans ces conditions, le sport peut-il aider à promouvoir la conservation de la biodiversité dans un cadre fédérateur et valorisant ? De fait, les clubs et les athlètes emblématiques, dont les identités s’appuient sur des espèces souvent charismatiques mais menacées, rassemblent des millions de passionnés.
Une autre étude publiée récemment présente un modèle qui alignerait les intérêts des clubs, de leurs partenaires commerciaux, de leurs communautés de supporters et des protecteurs de la biodiversité autour de la figure centrale des emblèmes sportifs animaliers.
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Le projet The Wild League, dans lequel s’inscrit la nouvelle publication scientifique, vise à mettre ce modèle en application avec l’appui des clubs (professionnels ou non) et de leurs communautés, afin d’impliquer le plus grand nombre d’acteurs (équipes, partenaires, supporters) pour soutenir la recherche en écologie et la préservation de la biodiversité.
Ces engagements sont gagnant-gagnant : pour les clubs, c’est l’occasion de toucher de nouveaux publics et de mobiliser les supporters autour de valeurs fortes. Les sponsors, eux, peuvent associer leurs marques à une cause universelle. En passant à l’échelle, une ligue professionnelle, si elle se mobilisait à travers toutes ses équipes, pourrait ainsi jouer un rôle clé pour sensibiliser à la biodiversité.
Par exemple, la première division de hockey sur glace allemand (Deutsche Eishockey Liga) comprend 15 équipes, dont 13 présentent des emblèmes très charismatiques. Chaque semaine, les panthères affrontent les ours polaires, les pingouins ferraillent contre les tigres et les requins défient les grizzlis. Autant d’occasions pour mieux faire connaître la richesse du vivant sur la Terre.
La diversité des emblèmes animaliers des clubs sportifs permettrait d’attirer l’attention sur la diversité d’espèces pour un animal donné. Par exemple, certains termes comme les « crabes », les « chauve-souris » ou les « abeilles » cachent en réalité une diversité taxonomique immense. Il existe plus de 1 400 espèces de crabes d’eau douce, autant d’espèces de chauve-souris (et qui représentent une espèce sur cinq parmi les mammifères) et plus de 20 000 espèces d’abeilles dans le monde.
Ces mascottes peuvent également mettre en lumière des espèces locales. L’équipe de basket-ball des Auckland Tuatara, par exemple, est la seule équipe à présenter comme emblème le tuatara (Sphenodon punctatus), ce reptile endémique à la Nouvelle-Zélande (qui n'existe que dans ce pays). Ces associations uniques entre une équipe et une espèce sont une occasion rêvée de développer un sens de responsabilité de l’un envers l’autre.
Le sport est avant tout une industrie du divertissement qui propose des expériences émotionnelles fondées sur des valeurs fortes. Les emblèmes animaliers des clubs doivent permettre de mettre ces émotions au service de la nature et d’engager les communautés sportives pour leur protection et pour la préservation de la biodiversité au sens large. C’est à cette condition qu’on évitera que le rugissement du lion, comme cri de ralliement sportif, ne devienne qu’un lointain souvenir et qu’on redonnera un vrai sens symbolique à ces statues si fièrement érigées devant nos stades.
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Ugo Arbieu est fondateur de The Wild League, un projet international visant à promouvoir l'intégration des enjeux de la protection de la biodiversité dans les organisations sportives professionnelles
Franck Courchamp ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
10.12.2025 à 16:54
Lisa M. Given, Professor of Information Sciences & Director, Social Change Enabling Impact Platform, RMIT University

C’est le résultat de plusieurs années de campagne du gouvernement australien et de parents d’enfants victimes de harcèlement en ligne : l’entrée en vigueur d’une loi interdisant les réseaux sociaux aux moins de 16 ans. Des applications telles qu’Instagram, Snapchat, X, Facebook ou encore Reddit sont désormais soumises à l’obligation de bannir tous les utilisateurs de moins de 16 ans sous peine d’amendes. Si cette loi soulève de nombreuses questions sur son efficacité réelle et ses modalités de mise en œuvre, et si d’autres pays privilégient des mesures moins contraignantes, le texte n’en constitue pas moins une première mondiale et suscite un intérêt à l’international. Affaire à suivre…
Après des mois d’attente et de débats, la loi sur les réseaux sociaux en Australie est désormais en vigueur. Les Australiens de moins de 16 ans doivent désormais composer avec cette nouvelle réalité qui leur interdit d’avoir un compte sur certaines plates-formes de réseaux sociaux, notamment Instagram, TikTok et Facebook.
Seul le temps dira si cette expérience audacieuse, une première mondiale, sera couronnée de succès. En attendant, de nombreux pays envisagent déjà de suivre l’exemple de l’Australie, tandis que d’autres adoptent une approche différente pour tenter d’assurer la sécurité des jeunes en ligne.
En novembre, le Parlement européen a appelé à l’adoption d’une interdiction similaire des réseaux sociaux pour les moins de 16 ans.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré qu’elle avait étudié les restrictions australiennes et la manière dont elles traitent ce qu’elle a qualifié d’« algorithmes qui exploitent la vulnérabilité des enfants », laissant les parents impuissants face au « tsunami des big tech qui envahit leurs foyers ».
En octobre, la Nouvelle-Zélande a annoncé qu’elle allait introduire une législation similaire à celle de l’Australie, à la suite des travaux d’une commission parlementaire chargée d’examiner la meilleure façon de lutter contre les dommages causés par les réseaux sociaux. Le rapport de la commission sera publié début 2026.
Le Pakistan et l’Inde visent à réduire l’exposition des enfants à des contenus susceptibles de leur porter préjudice, en introduisant des règles exigeant l’accord parental et la vérification de l’âge pour accéder aux réseaux sociaux, ainsi que des exigences en matière de modération adressées aux plates-formes.
La Malaisie a annoncé qu’elle interdirait l’accès aux réseaux sociaux aux enfants de moins de 16 ans à partir de 2026. Cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’obligation imposée à partir de janvier 2025 aux réseaux sociaux et aux plates-formes de messagerie comptant au moins huit millions d’utilisateurs d’obtenir une licence d’exploitation et de mettre en place des mesures de vérification de l’âge et de sécurité des contenus.
De son côté, la France envisage d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans et d’imposer un couvre-feu de 22 h à 8 h pour l’utilisation des plates-formes aux 15-18 ans. Ces mesures font partie des recommandations formulées par une commission d’enquête française en septembre 2025, qui a également prescrit d’interdire les smartphones à l’école et d’instaurer un délit de « négligence numérique pour les parents qui ne protègent pas leurs enfants ».
En 2023, la France a promulgué une loi contraignant les plates-formes à obtenir l’accord des parents des enfants de moins de 15 ans pour que ces derniers puissent créer un compte sur les réseaux sociaux. Pour autant, cette mesure n’a pas encore été mise en application. C’est également le cas en Allemagne : dans ce pays, les enfants âgés de 13 à 16 ans ne peuvent accéder aux plates-formes qu’avec l’accord de leurs parents, mais dans les faits, aucun contrôle réel n’est exercé.
En Espagne, l’âge minimum pour créer un compte sur les réseaux sociaux passera de 14 ans actuellement à 16 ans. Les moins de 16 ans pourront tout de même créer un compte à la condition expresse d’avoir l’accord de leurs parents.
La Norvège a annoncé en juillet son intention de restreindre l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans. Le gouvernement a expliqué que la loi serait « conçue dans le respect des droits fondamentaux des enfants, notamment la liberté d’expression, l’accès à l’information et le droit d’association ».
En novembre, le Danemark a annoncé souhaiter « l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux à toute personne âgée de moins de 15 ans ». Cependant, contrairement à la législation australienne, les parents peuvent passer outre ces règles afin de permettre aux enfants âgés de 13 et 14 ans de conserver leur accès à ces plates-formes. Toutefois, aucune date de mise en œuvre n’a été fixée et l’adoption du texte par les législateurs devrait prendre plusieurs mois. On ignore la façon dont l’interdiction danoise sera appliquée. Mais le pays dispose d’un programme national d’identification numérique qui pourrait être utilisé à cette fin.
En juillet, le Danemark a été sélectionné pour participer à un programme pilote (avec la Grèce, la France, l’Espagne et l’Italie) visant à tester une application de vérification de l’âge qui pourrait être lancée dans toute l’Union européenne à l’intention des sites pour adultes et d’autres fournisseurs de services numériques.
Pour autant, ce type de restrictions n’est pas appliqué partout dans le monde.
Par exemple, la Corée du Sud a décidé de ne pas adopter une interdiction des réseaux sociaux pour les enfants. Mais elle interdira l’utilisation des téléphones portables et autres appareils dans les salles de classe à partir de mars 2026.
Dans la ville de Toyoake (au sud-ouest de Tokyo, au Japon), une solution très différente a été proposée. Le maire de la ville, Masafumi Koki, a publié en octobre une ordonnance limitant l’utilisation des smartphones, tablettes et ordinateurs à deux heures par jour pour les personnes de tous âges.
Koki est informé des restrictions imposées par l’Australie en matière de réseaux sociaux. Mais comme il l’a expliqué :
« Si les adultes ne sont pas tenus de respecter les mêmes normes, les enfants n’accepteront pas les règles. »
Bien que l’ordonnance ait suscité des réactions négatives et ne soit pas pas contraignante, elle a incité 40 % des habitants à réfléchir à leur comportement, et 10 % d’entre eux ont réduit le temps passé sur leur smartphone.
Aux États-Unis, l’opposition aux restrictions imposées par l’Australie sur les réseaux sociaux a été extrêmement virulente et significative.
Les médias et les plateformes états-uniens ont exhorté le président Donald Trump à « réprimander » l’Australie au sujet de sa législation. Ils affirment que les entreprises états-uniennes sont injustement visées et ont déposé des plaintes officielles auprès du Bureau américain du commerce.
Le président Trump a déclaré qu’il s’opposerait à tout pays qui « attaquerait » les plates-formes états-uniennes. Les États-Unis ont récemment convoqué la commissaire australienne à la sécurité électronique Julie Inman-Grant pour témoigner devant le Congrès. Le représentant républicain Jim Jordan a affirmé que l’application de la loi australienne sur la sécurité en ligne « impose des obligations aux entreprises américaines et menace la liberté d’expression des citoyens américains », ce que Mme Inman-Grant a fermement nié.
Alors que la plupart des pays semblent s’accorder sur les préoccupations liées au fonctionnement des algorithmes et aux contenus néfastes auxquels les enfants sont exposés sur les réseaux sociaux, une seule chose est claire : il n’existe pas de solution miracle pour remédier à ces problèmes.
Il n’existe pas de restrictions faisant consensus ni d’âge spécifique à partir duquel les législateurs s’accorderaient à dire que les enfants devraient avoir un accès illimité à ces plates-formes.
De nombreux pays en dehors de l’Australie donnent aux parents la possibilité d’autoriser l’accès à Internet s’ils estiment que cela est dans l’intérêt de leurs enfants. Et de nombreux pays réfléchissent à la meilleure façon d’appliquer les restrictions, s’ils mettent en place des règles similaires.
Alors que les experts soulignent les difficultés techniques liées à l’application des restrictions australiennes, et que les jeunes Australiens envisagent des solutions de contournement pour conserver leurs comptes ou trouver de nouvelles plates-formes à utiliser, d’autres pays continueront à observer et à planifier leurs prochaines actions.
Lisa M. Given a reçu des financements de l'Australian Research Council et de l'eSafety Commission australienne. Elle est membre de l'Académie des sciences sociales d'Australie et de l'Association for Information Science and Technology.