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10.11.2024 à 19:38

Comment Donald Trump a utilisé la désinformation pour s’imposer

Kübler Raoul, Associate Professor of Marketing - Social Media, AI, and Digital Marketing Expert, ESSEC

Donald Trump a menti de façon répétée et délibérée durant ses campagnes électorales. Pourquoi ? Une équipe de chercheurs a étudié le rôle de la désinformation dans la stratégie du candidat.
Texte intégral (2607 mots)

Quel est le rôle exact joué par la désinformation dans la victoire de Donald Trump ? À partir de l’analyse de 200 millions de données, une équipe de chercheurs a modélisé les facteurs déterminants du choix électoral lors des élections américaines en 2016 et 2020. Ce modèle éclaire la stratégie de Trump consistant à propager des « fake news » pour s’imposer sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels.


La recherche sur la désinformation a signalé une augmentation de la diffusion de fausses nouvelles lors des deux dernières élections américaines. Il a été démontré que les « fake news » pénètrent les réseaux plus rapidement et plus profondément que les vraies informations.

Mais jusqu’à présent, l’impact des réseaux sociaux, des activités de marketing des candidats, de la couverture médiatique et de la désinformation sur le comportement électoral et le soutien politique n’étaient pas précisément mesurés. Notre étude tente de le faire en analysant de manière globale le rôle de ces différents facteurs sur le soutien politique et sur le vote.

Méthode d’analyse des données

Nous avons recueilli l’un des plus grands ensembles de données dans le domaine du marketing politique en analysant plus de 200 millions de messages sur les médias sociaux (Twitter, Facebook et Instagram) lors des élections présidentielles américaines de 2016 et de 2020.

En nous appuyant sur des outils de traitement du langage naturel (NLP), nous identifions les sujets communs dont les personnes parlent à propos des candidats, leurs sentiments à leur égard et les émotions exprimées. Nous utilisons les mêmes outils pour comprendre ce dont les candidats parlent dans leur communication et sur les médias sociaux. Nous combinons ces données avec celles relatives à la couverture médiatique et à la désinformation.

Pour analyser l’influence de chaque facteur sur le soutien politique, nous testons notre modèle en utilisant une approche économétrique qui nous permet de quantifier précisément l’impact de chaque facteur sur les autres éléments au fil du temps.

Nous avons ainsi étudié :

  • Le bouche à l’oreille (discussions en ligne et hors ligne). Les discussions en ligne sont mesurées par le montant de tweets positifs et négatifs à propos d’un candidat, les discussions hors-ligne sont mesurées par des enquêtes de type « études de marché ».

  • L’activité sur les réseaux sociaux (audience des candidats, contenus partagés par les candidats).

  • La publicité télévisée et le marketing.

  • La couverture médiatique (articles et contenus de la presse traditionnelle).

  • Les sondages mesurant les intentions de vote.

  • La désinformation (mesuré par le nombre de liens partagés vers des sites connus de désinformation).

Les pourcentages sur les flèches expliquent dans quelle mesure une composante influence une autre composante. CC BY

Ce graphique illustre les effets de l’ensemble des éléments de notre modèle. Les flèches et les pourcentages indiquent les relations directes et indirectes entre les éléments, saisissant comment chaque facteur influence et est influencé par les autres dans ce système dynamique aux multiples boucles de rétroaction.

Notre graphique montre l’ampleur de l’impact d’une augmentation de 1 point de chaque variable sur les autres variables.

Une augmentation de 1 point du bouche-à-oreille (positif ou négatif) – a un impact de 1 point (100 % dans le schéma) sur le soutien (mesuré par les sondages à travers les intentions de vote).

Une augmentation de 1 point de la désinformation entraîne une augmentation de 0,75 point sur le soutien (en faveur du candidat dont les partisans diffusent cette désinformation).

Une augmentation de 1 point de la désinformation entraîne une augmentation de 0,5 point (50 %) sur la couverture médiatique (presse et magazine).

Une augmentation de 1 point des discussions sur les réseaux sociaux a un impact de 0,75 point (75 %) sur la couverture de médiatique (presse magazine), de 0,75 point sur le bouche-à-oreille. Cette augmentation de 1 point des réseaux sociaux a un impact de 0,5 point sur le partage de la désinformation sur les plates-formes.

Les réseaux sociaux, facteur clé aux États-Unis

Au regard de ces résultats, nous pouvons conclure qu’aux États-Unis, l’usage des réseaux sociaux et la désinformation qui lui est associée ont une influence majeure sur la couverture médiatique et sur le soutien apporté aux candidats.

De nombreux exemples illustrent ce schéma général mesurant l’impact en cascade des différents facteurs.

Ainsi, nous avons mesuré l’impact des tweets de Donald Trump en 2016 lorsque ce dernier a écrit à plusieurs reprises au sujet de ses bonnes relations avec Vladimir Poutine et de la Russie. Nous avons constaté qu’à chaque tweet de Trump mentionnant Poutine, le nombre de publications de fausses informations concernant Hillary Clinton augmentait de manière significative.

CC BY

Cet effet est visible non seulement immédiatement après le tweet de Trump, mais il persiste également sur une période prolongée, illustrant le rôle catalyseur de ces tweets dans l’amplification de la désinformation.

Nous avons ensuite constaté que cette amplification de la désinformation entraîne une plus forte couverture médiatique. Chaque pic de désinformation génère une hausse du nombre d’articles de presse consacrés à Trump, atteignant un sommet au quatrième jour, avant de décroître progressivement mais en conservant un effet notable sur dix jours. Ainsi, les tweets de Trump stimulent le partage de désinformation, mais contribuent également indirectement à renforcer sa visibilité médiatique.

Notre modèle empirique montre que l’augmentation de la couverture médiatique centrée sur Trump, déclenchée par la désinformation, entraîne également une hausse du bouche-à-oreille positif à son sujet, en ligne et hors ligne.

Ce phénomène suggère que l’attention médiatique, bien que résultant initialement de la propagation de la désinformation, contribue finalement à améliorer l’image publique de Trump dans les discussions. En d’autres termes, plus Trump est au centre de l’attention médiatique, plus cela suscite des conversations positives à son sujet, renforçant ainsi son capital de sympathie et son influence.

L’équipe de Trump semble avoir parfaitement compris cette dynamique, et Donald Trump a tiré parti de cet effet également lors de sa campagne de 2024. C’est ce que souligne la célèbre déclaration « They are eating the dogs » (ils mangent les chiens) lors du débat télévisé avec Kamala Harris.

La citation a été immédiatement partagée sur les réseaux sociaux, où l’on a vu par la suite une augmentation de la désinformation sur les immigrés, « l’État profond » et le « grand remplacement ». Les médias traditionnels ont ensuite pris le relais et relayé ces histoires. Cela amplifie à nouveau l’impact de la désinformation, qui fait finalement monter les sondages en faveur de Trump.

Responsabilité des médias traditionnels

Les réseaux sociaux sont devenus une arme politique essentielle aux États-Unis : nul hasard si les candidats ont payé 650 millions de dollars à Google et à Meta en 2024. La désinformation a un statut à part dans cet environnement car c’est un élément clé permettant d’amplifier le volume des discussions en ligne et de les polariser.

Le fait que la désinformation alimente le discours en ligne et maintienne l’engagement des utilisateurs sur les réseaux sociaux peut expliquer pourquoi les opérateurs de réseaux sociaux contrôlent si peu les débats en ligne (ou réintègrent les utilisateurs bannis pour leurs pratiques, comme l’a fait Elon Musk sur X).

CC BY
CC BY

Les médias traditionnels américains, qui sont désormais concurrencés par les plates-formes, tentent de rester dans la course en commentant les débats en ligne. Il en résulte une surreprésentation médiatique du candidat le plus outrancier (les graphiques ci-dessus montrent que le nombre d’articles consacrés à Donald Trump est bien plus important que ceux consacrés à Hillary Clinton en 2016). À l’avenir, ces médias devraient se demander si chaque message d’un candidat populiste sur les réseaux sociaux mérite d’être couvert.

Alors que certains chercheurs vont jusqu’à se demander si la démocratie peut survivre à l’Internet, les décideurs politiques attachés à cette démocratie seraient bien avisés de sanctionner les réseaux responsables des fausses nouvelles qu’ils diffusent.


_ Cet article utilise les données de l’étude « I like, I share, I vote : Mapping the dynamic system of political marketing » de Raoul V. Kübler, Kai Manke et Koen Pauwels, publiée par le Journal of Business Research. _

The Conversation

Kübler Raoul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

10.11.2024 à 19:36

Belgique : vers une politique religio-communautaire ?

Laurye Joncret, Assistante doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Les législatives de juin puis les municipales d’octobre ont été marquées par la percée d’un parti musulman communautariste. Analyse.
Texte intégral (1894 mots)

Accusé par ses détracteurs d’antisémitisme et de promotion de la charia, le politicien Fouad Ahidar a su séduire un certain nombre d’électeurs, essentiellement musulmans, dans plusieurs communes de Bruxelles. Cette nouvelle occurrence d’une forme d’islam politique en Belgique, qui survient après d’autres essais non concluants, pourrait s’inscrire dans la durée.


En Belgique, les élections législatives fédérales du 9 juin dernier ont profondément remodelé le paysage politique d’une partie du pays, avec une forte progression de mouvements de droite et de centre droit.

Toutefois, les résultats ont été plus contrastés dans la région bruxelloise. Les socialistes y conservent leur influence et un parti jusque-là peu médiatisé émerge : la Team Fouad Ahidar, du nom de son leader, ex-député socialiste et initialement membre de la Volksunie (parti nationaliste flamand aujourd’hui dissous).

Cette formation se distingue par sa capacité à concurrencer le parti socialiste en s’emparant de questions communautaires et religieuses, telles que le port du voile dans l’administration publique et en milieu scolaire, l’abattage rituel ou l’épineuse question du conflit israélo-palestinien. La Team Fouad Ahidar dispose désormais de trois sièges au Parlement de la Région Bruxelles-Capitale et prétend légitimement à une place au sein de l’exécutif de la région, dont la constitution est toujours en négociation.

Le scrutin communal belge du 13 octobre dernier a confirmé la percée de la Team Fouad Ahidar, qui a dépassé les 10 % dans quatre des dix-neuf communes bruxelloises et obtenu des sièges dans cinq communes. Le parti semble dès lors prêt à s’implanter durablement dans le paysage politique de la capitale belge.

Ce n’est pas la première fois que des partis défendant un programme partiellement ou entièrement centré sur des enjeux communautaires et religieux émergent en Belgique. Le très controversé parti Islam en 2012, ou le Parti jeunes musulmans en 2004 en sont des exemples. Cependant, ces formations, qui s’attaquaient frontalement à la sécularisation de l’État, n’ont obtenu que des scores électoraux marginaux et ont rapidement disparu de la scène politique. Les récents succès de la Team Fouad Ahidar replacent les questions communautaires au cœur des débats.

Diversité et évolution du pluralisme religieux à Bruxelles

L’enjeu communautaire s’est progressivement installé dans le débat public belge, et en particulier bruxellois, à la suite des vagues migratoires successives qui, depuis les années 1960, ont amené de nombreuses personnes originaires de divers pays du monde à s’installer dans la capitale. Cette diversité est perçue à la fois comme une force et un défi dans la région, qui a connu des transformations sur les plans culturel et religieux. Depuis 2000, dans ce pays d’environ 11 millions d’habitants, plus de 530 000 étrangers ont acquis la nationalité belge et l’islam est devenu la deuxième religion dans le pays.

Au niveau national, la gestion de cette diversité a suscité de nombreux débats autour de l'idée des « accommodements raisonnables ». Initialement, ces demandes d’ajustement avaient pour objectif de soutenir les personnes en situation de handicap par la mise en place d’ajustements spécifiques. Aujourd’hui, elles ont été étendues à d’autres sphères, notamment culturelle et religieuse, et questionnent, ce faisant, le modèle de société belge en matière de gestion des particularités individuelles ou collectives.

Les cas les plus emblématiques, mais aussi les plus controversés, concernent la religion, en particulier les revendications d’une partie de la communauté musulmane (salle de prière sur le lieu de travail, port du voile dans l’administration, abattage rituel par exemple). Les polémiques de 1989 sur le port du voile, qui ont eu lieu en France puis en Belgique (dans un établissement scolaire de Molenbeek), suivies des attentats du 11 septembre 2001, ont également contribué à faire de la visibilité religieuse, et de l’islam en particulier, un enjeu politique et sociétal de premier plan.

Par ailleurs, les nouvelles réalités religieuses et culturelles en Belgique – mais aussi en Europe – sont à replacer dans le contexte d’une évolution plus globale qui démarre dans les années 1960. On assiste alors à une réaffirmation de ce qu’on peut appeler le « fondamentalisme » dans le monde chrétien, protestant, juif ou au sein d’autres courants religieux issus de l’hindouisme, du bouddhisme voire non religieux, tel que l’athéisme (qui s’inscrit dans une critique plus radicale vis-à-vis de la religion).

C’est également à partir des années 1960 que le paysage européen évolue sous l’effet de différentes vagues migratoires, en particulier du fait de l’arrivée de populations originaires de pays musulmans qui interrogent les dynamiques de sécularisation du politique. L’immigration des populations arabo-musulmanes a lieu à un moment où le monde musulman fait face à l’implantation d’acteurs islamistes dont les Frères musulmans et les salafistes. Ces derniers proposent une vision totalisante du religieux, suivant laquelle la religion organise et régit l’ensemble de la vie des individus.

Un paysage associatif sous influence

Ces mouvements se sont progressivement implantés en Europe à la suite de l’exil de plusieurs de leurs dirigeants, contraints de quitter leurs pays d’origine. L’un des exemples les plus connus de cet exil est sans doute celui de Saïd Ramadan, ancien responsable des Frères musulmans en Égypte et père de Tariq Ramadan, qui s’est établi en Suisse jusqu’à sa mort en 1995.

Cet article est cité dans l’émission « Accents d’Europe », sur RFI, dont The Conversation France est partenaire

Durant leur installation, les mouvements islamistes, en particulier les Frères musulmans et les islamistes turcs, ont investi une partie du secteur associatif communautaire et religieux bruxellois, ainsi que certains mouvements de jeunesse et universitaires), en faisant des débats sur le port du voile et les accommodements raisonnables liés aux pratiques religieuses (par exemple, l’abattage rituel), des thématiques privilégiées.

L’enjeu communautaire et religieux rencontré à Bruxelles n’est évidemment pas le seul fait d’un activisme islamiste ; il est favorisé par un contexte plus large. D’une part, on observe des revendications identitaires de genre, des croyances politico-religieuse et des identités professionnelles et autres plus marquées qu’auparavant. D’autre part, la société a évolué vers une conception plus culturelle du racisme, où la différence de traitement, les préjugés et les actes de haine portent davantage sur les aspects culturels ou religieux d’une personne plutôt que sur ses caractéristiques biologiques. Par ailleurs, l’influence de ces mouvances est parfois largement fantasmée par des militants ou des intellectuels proches de courants conservateurs ou d’extrême droite qui omettent de faire la distinction entre les producteurs d’un discours (mouvements islamistes) et les acteurs qui peuvent involontairement ou inconsciemment participer à sa circulation. Il ne s’agit donc pas de nier l’existence d’une influence, mais plutôt de la penser comme diffuse et pouvant avoir des répercussions dans le discours et les mœurs d’individus qui ne sont pas directement liés à un projet politique religieux.

Dans le sillon de cette influence, on retrouve des lobbies de lutte contre l’islamophobie comme le Collectif pour l’inclusion & contre l’islamophobie en Belgique (CIIB) (équivalent de l’ancien CCIF en France). Ceux-ci disposent d’une conception très large de l’islamophobie (incluant la restriction de pratiques religieuses dans certains contextes) et reconfigurent les frontières de ce qui est perçu comme une discrimination en ne distinguant plus l’individu de ses pratiques religieuses. Un exemple récent des répercussions de ce discours est le cas du ministre bruxellois du bien-être animal, Bernard Clerfayt, accusé d’islamophobie parce qu’il se prononce en faveur de la limitation du port du voile dans l’administration publique ou encore pour l’interdiction de l’abattage rituel.

Cette vision est aujourd’hui partagée et relayée par des formations politiques comme la Team Fouad Ahidar, qui entretient des liens étroits avec le CIIB. En mobilisant des thématiques religieuses, cette formation tente de refaçonner les rapports entre religion et État et semble imposer à la mandature bruxelloise à venir un agenda politique marqué par des revendications communautaires. Bien que son programme aborde un ensemble de thématiques socio-économiques, les campagnes souterraines menées par cette formation ont alimenté les débats communautaires et identitaires via des canaux moins régulés, tels que WhatsApp.

The Conversation

Laurye Joncret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

08.11.2024 à 16:24

Trump tout-puissant ?

Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Par rapport à son premier mandat, Trump dispose désormais de bien plus de leviers. Au point de pouvoir instaurer un régime illibéral ?
Texte intégral (3279 mots)

Donald Trump, qui redeviendra président le 20 janvier prochain, aura les coudées franches, avec probablement un Congrès et un système judiciaire majoritairement acquis à sa cause. Ce mandat va-t-il profondément transformer l’Amérique ? Existe-il des contre-pouvoirs ? Quelques éléments de réponse dans cet entretien avec Anne Deysine, professeure émérite à l’Université de Nanterre.


Quel est, selon vous, le premier facteur explicatif de la victoire de Donald Trump ? Y voyez-vous une adhésion au personnage et à ses idées, ou avant tout un rejet du Parti démocrate ?

Il faut reconnaître en Trump un animal politique qui a réussi à entendre et à exacerber, y compris par des mensonges ou par des exagérations grossières, la peur et l’exaspération d’une partie considérable de ses concitoyens. Il a su, dans ses meetings et ses déclarations, exploiter au mieux la peur de la criminalité – qui est pourtant en baisse ; la peur de l’immigration – qui est nécessaire à l’économie et qui est le fondement des États-Unis ; et le rejet de l’élite et de l’État central, qui sont des éléments très importants.

Le Parti démocrate est en effet devenu, au cours de ces vingt dernières années, le parti de l’élite. Ce n’est pas une coïncidence si les principaux déterminants électoraux en 2024 ne sont plus la race et l’âge, mais le genre et le niveau d’éducation. Schématiquement, si l’on a un diplôme universitaire, on vote démocrate. Et le sentiment prévaut, dans les classes laborieuses, que les Démocrates ont abandonné les travailleurs. C’est Bill Clinton qui a donné le feu vert au libre-échange et à la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1995, ainsi qu’aux accords avec le Mexique et le Canada qui ont détruit de nombreux emplois aux États-Unis.

Trump a eu le mérite de dire « le libre-échange débridé, c’est fini, la “mondialisation heureuse”, c’est fini. Ils vous ont volé vos emplois. Moi, je vais faire quelque chose pour vous. » Sauf que ce qu’il préconise, c’est une augmentation sensible des droits de douane, ce qui sera contre-productif à deux niveaux : d’une part, cela provoquera une guerre commerciale, c’est-à-dire des représailles de la part des pays ciblés, qui rendront à leur tour plus difficile l’exportation vers leurs territoires de produits américains : d’autre part, au bout du compte, les augmentations de prix seront supportées par les consommateurs, qui paieront leurs chaussures de sport ou leurs machines à laver plus cher.

Mais les Américains ont connu quatre ans de Trump, puis quatre ans d’un gouvernement démocrate… et ils ont préféré revenir à Trump. Ils ont pu juger sur pièce des méthodes et des politiques des deux camps, et ils ont choisi le Républicain. Ne sont-ils pas conscients des effets négatifs de sa politique économique ?

Le problème, c’est que les politiques de Biden sont des bonnes politiques… à moyen terme. Mais il a complètement sous-estimé l’inflation. L’ancien secrétaire au Trésor Larry Summers l’avait pourtant prévenu que l’injection dans l’économie des sommes massives du plan de relance Covid et du plan infrastructures allait relancer l’inflation. C’est ce qui s’est passé, et cette inflation, de près de 20 % en trois ans a sans douté été un facteur important de la défaite de Kamala Harris, même si dernièrement elle est sur la pente descendante.

Résultat : Trump va hériter de la bonne situation économique créée par Biden, de même qu’il avait hérité de la bonne situation légué par Obama il y a huit ans ! Il y a des statistiques extrêmement intéressantes qui montrent que les créations d’emplois, se font à 70 % sous les administration démocrates : depuis 1980, les Démocrates ont crée 50 millions d’emplois et les Républicains seulement 17 millions.

Quand un président républicain arrive au pouvoir, il hérite d’une bonne situation économique qu’il va immédiatement détruire par la politique de l’offre, la baisse des impôts et la fin des investissements publics. Grâce au plan d’infrastructures de Biden, les routes sont enfin réparées, les ponts aussi. Tout cela n’avait pas pu être fait depuis 40 ans à cause des baisses d’impôts de Reagan puis de Trump. Trump va donc récolter les fruits de l’action de l’administration sortante…


À lire aussi : « Amtrak Joe » : la politique historique de l’administration Biden en faveur du train


On en revient donc au fameux adage « it’s the economy, stupid » ?

Pas seulement. Dans cette campagne, je le répète, le rôle du mensonge et de la désinformation a été déterminant.

Voilà longtemps que les Républicains, pour se maintenir au pouvoir ou pour y revenir, ont instrumentalisé ce qu’on appelle les guerres culturelles. Ils ont réussi à persuader de très nombreux Américains que les Démocrates voulaient rendre l’avortement très aisément accessible tout au long de la grossesse, qu’ils allaient prendre l’argent des Américains pour financer des opérations de transition de genre pour des immigrés sans papiers, qu’ils allaient interdire le port d’armes, que Kamala Harris allait instaurer le communisme

Et le succès de cet amas de mensonges ou d’exagérations grossières est dû en bonne partie au ralliement à Trump d’Elon Musk. Musk a joué un rôle clé dans la victoire de Trump, à la fois par son contrôle de Twitter/X, l’un des principaux réseaux sociaux du pays et du monde, par les millions de dollars qu’il a consacrés à la campagne, mais aussi par l’espèce de légitimité que son soutien a apporté à Trump. Qu’on le veuille ou non, Musk est l’incarnation de l’entrepreneur de génie, et pour pas mal de personnes – et d’hommes en particulier –, qui hésitaient, le fait que cet homme brillant soutienne Trump a pu faire pencher la balance en la faveur de celui-ci.

Et hormis Musk, il y a aussi d’autres milliardaires de la Silicon Valley qui se sont rangés derrière Trump

Oui, et ces milliardaires auront une influence majeure sur l’administration Trump. Ils feront pression sur elle pour qu’il n’y ait aucune régulation sur les forages pétroliers, l’intelligence artificielle et les cryptomonnaies, par exemple. Et parallèlement, nous avons ces groupes de la galaxie Leo, dont je parle en détails dans mon dernier livre, qui vont profiter des prochaines années pour remettre en cause toutes les réglementations qui portent atteinte aux profits des milliardaires qui les financent…

À commencer par les réglementations environnementales…

Tout à fait. Mais aussi toutes les règles de sécurité qui bénéficient aux travailleurs, mais qui coûtent cher aux entreprises. Pour se débarrasser des réglementations, ces groupes vont intenter des actions en justice, devant des juridictions dont ils savent qu’elles leur seront favorables. Et si par hasard ces affaires remontent jusqu’à la Cour suprême, celle-ci soutiendra les promoteurs de la dérégulation, comme elle l’a déjà fait avec le revirement de la jurisprudence Chevron en juin dernier.

Quand on y ajoute le fait que les Républicains ont gagné le Sénat et devraient également conserver la majorité au sein de la Chambre des représentants, on comprend qu’il ne restera pas grand-chose pour s’opposer à leur grand projet, qui consiste, pour le dire vite, à réduire nettement les impôts des entreprises et toutes les restrictions qui leur sont encore imposées, notamment par les agences fédérales. Ces agences seront d’ailleurs affaiblies. Trump a déjà annoncé qu’il allait limoger de nombreux fonctionnaires. Or, on sait que pendant son premier mandat, la fonction publique lui avait dans une certaine mesure résisté. Lorsque les ordres donnés étaient clairement en violation de la loi ou de la Constitution, ils n’étaient pas nécessairement exécutés. Mais, cette fois, il va placer partout des gens qui ne seront pas fidèles à la Constitution, mais fidèles à lui. Il faut donc s’attendre à une expansion du pouvoir présidentiel. Qui se traduira notamment par une instrumentalisation du ministère de la Justice et par le déclenchement de poursuites contre ses ennemis politiques comme Nancy Pelosi ou Adam Schiff par exemple, ou par des restrictions du droit de la presse, Trump ayant en horreur les médias qui osent le critiquer…

Qu’adviendra-t-il des poursuites judiciaires dont Trump fait l’objet ?

Les deux affaires fédérales, qui ont trait à ses tentatives d’inverser les résultats de l’élection de 2020 et sa rétention de documents classifiés après son départ de la Maison Blanche, vont être enterrées parce que dès son retour au pouvoir, il ordonnera à son ministre de la Justice de clore ces enquêtes. Le procureur spécial chargé de ces deux dossiers, Jack Smith, sera renvoyé dans ses foyers et l’équipe et le budget qui étaient alloués à ces enquêtes vont disparaître. D’ailleurs, je n’exclus pas que Jack Smith soit en train de rédiger un rapport de façon à ce que le ministre de la Justice, Merrick Garland, puisse le rendre public d’ici à la passation des pouvoirs. Au moins, l’opinion aurait alors une trace de ce qui a été fait. Il n’y aura pas de sanction, mais il y aura les éléments de preuve des multiples violations…

En ce qui concerne les deux affaires jugées au niveau des États, l’une dans celui de New York, l’autre dans celui de Géorgie, elles n’iront pas bien loin. Je rappelle que le juge de New York qui a déclaré Trump coupable dans l’affaire Stormy Daniels n’a pas prononcé de peine, assurant qu’il le ferait après l’élection ; maintenant que Trump a été élu, je pense que le juge va soit le condamner à une peine symbolique comme une légère amende, soit annoncer que la peine ne sera déterminée qu’après la fin du mandat, c’est-à-dire en 2029…

Quant à l’affaire de la Géorgie (Trump avait tenté de peser illégalement sur les résultats de l’élection présidentielle dans cet État en 2020), elle ne donnera rien non plus. Ne serait-ce que parce que les avocats de Trump ont réussi à semer le doute sur la procureure Fani Willis, du fait de sa liaison avec son procureur adjoint, l’accusant d’avoir détourné de l’argent public en partant en week-end avec lui. Donc c’est semi enterré. Mais, de toute façon, avec la décision de la Cour suprême sur l’immunité du président, ces poursuites auraient le plus grand mal à déboucher sur une condamnation.

Qui seront les principaux « hommes du président » durant son mandat ?

Je pense que ce seront en grande partie des membres de la Heritage Foundation, ceux qui ont rédigé les différents chapitres du fameux Project 2025, dont certains rédacteurs sont des anciens de la première administration Trump.

La perspective d’une dérive vers un régime illibéral voire autocratique est très crédible. D’autant plus qu’en quatre ans, Trump va pouvoir nommer 250 juges au niveau fédéral, et pourrait aussi inciter deux juges conservateurs âgés, les juges Thomas et Alito, à partir, afin de pouvoir les remplacer par des jeunes juges recommandés par la Federalist Society, des personnes d’une quarantaine d’années qui seront là pour plusieurs décennies… S’il décide de procéder à ce double remplacement, je pense qu’il le fera au début de son mandat, car aux élections de mi-mandat en 2026, en raison d’une carte électorale favorable aux Démocrates, il pourrait perdre sa majorité républicaine au Sénat (or c’est le Sénat qui entérine les candidatures des juges à la Cour suprême).

Actuellement, la Constitution interdit à Trump de se représenter en 2028, puisqu’il aura alors effectué deux mandats. En théorie, peut-il changer la Constitution pour se représenter dans quatre ans ?

En théorie oui, mais dans les faits, non. Pour qu’un changement soit apporté à la Constitution, il faut que le texte soit adopté par les deux tiers des deux Chambres et ratifié par quatre cinquièmes des États. Les Républicains sont en position de force, certes, mais pas à ce point là. Et puis, Trump aura 82 ans en 2028, et je ne pense pas qu’il souhaite alors rester à la Maison Blanche à tout prix. En vérité, gouverner, cela ne l’intéresse pas tellement. Il aime jouer au golf, il aime voir ses copains, il aime baigner dans l’adulation. Mener campagne, c’est amusant, mais gouverner, c’est aride.

Un mot sur J. D. Vance ?

Honnêtement, quand Trump l’a choisi comme colistier, je me suis dit que cela lui porterait préjudice. J’ai eu tort. La stratégie de Trump, dans cette campagne, a consisté non pas à étendre sa base électorale mais à la galvaniser et à la mobiliser au maximum. Et cela a marché, notamment grâce aux efforts de Vance, qui est quelqu’un de brillant et d’organisé, un idéologue et un intellectuel totalement aligné sur le Project 2025 et qui, s’il succède à Trump dans quatre ans ou avant, sera sans doute encore plus dangereux que lui pour la démocratie américaine.

Face au duo Trump-Vance, bien élu, soutenu par de nombreux milliardaires et bénéficiant de la bienveillance de la Cour suprême, quels contre-pouvoirs reste-t-il ?

Tout d’abord, à l’heure où nous parlons, il est encore possible, quoique peu probable, que les Démocrates arrachent la Chambre. Dans ce cas de figure, ils posséderaient une place forte à partir de laquelle ils pourraient résister et lancer des enquêtes, par exemple. Les médias, contre-pouvoir traditionnel, sont affaiblis et, je l’ai dit, le seront encore davantage au cours des prochaines années du fait des mesures que Trump entend prendre pour intimider ceux d’entre eux qui lui sont hostiles.

Alors, les contre-pouvoirs seront peut-être plutôt à chercher du côté des États fédérés, qui disposent de prérogatives importantes ; par exemple, en Californie, ils se sont préparés très sérieusement depuis six mois à l’hypothèse d’une nouvelle administration Trump, et ils ont instauré des règles qui a priori ne peuvent pas être changées par Washington, notamment en ce qui concerne l’accueil des sans-papiers, mais aussi pour la préservation de leurs règles environnementales, qui sont plus strictes que les règles fédérales.

Et puis, il peut y avoir un autre contre-pouvoir, plus inattendu : le monde des affaires. Bien sûr, les businessmen sont ravis de voir leurs impôts baisser. Mais creuser le déficit indéfiniment, c’est quand même un problème. Et puis, ils ne veulent pas d’une hausse des droits de douane et d’une guerre commerciale, car ils gagnent plus d’argent dans un environnement international ouvert. Ils pourront peut-être convaincre le nouveau pouvoir de ne pas augmenter les droits de douane de façon excessive.

Enfin, il y a l’industrie de l’armement : si Trump décide de ne plus aider l’Ukraine, alors le complexe militaro-industriel perdra des revenus juteux ; cela dit, Trump va peut-être décider que ce qu’on ne peut plus vendre aux Ukrainiens, il faut le vendre davantage aux Européens. Il exigerait alors des pays de l’OTAN qu’ils consacrent à leur défense non plus 2 % de leur PIB, mais disons 3 %. Les Européens se plieraient-ils à une telle injonction ? Cela dépendra de leur niveau d’unité

En tout état de cause, rien n’est écrit ; car la première caractéristique de Trump, c’est son imprévisibilité.

The Conversation

Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

07.11.2024 à 17:26

Make America Great Again (again) : à quoi la présidence Trump ressemblera-t-elle ?

Jared Mondschein, Director of Research, US Studies Centre, University of Sydney

Le programme de Donald Trump manque de consistance et de cohérence. Prédire ce que sera son futur mandat est donc loin d'être une entreprise aisée, mais des lignes générales peuvent être annoncées.
Texte intégral (2059 mots)

Il est compliqué de prévoir la politique que Donald Trump mettra en œuvre au cours des quatre prochaines années. Il est toutefois possible d’en dessiner les grandes lignes, au vu de ce que fut son premier mandat et des tendances générales à l’œuvre aux États-Unis et dans le monde.


Prédire ce que Donald Trump fera lors de son second mandat présidentiel est d’autant plus une gageure qu’il n’a finalement pas beaucoup parlé de son programme politique au cours de la campagne électorale qui vient de s’achever. À bien des égards, Kamala Harris a adopté la même stratégie, consistant à garder le flou sur son programme, mais cela lui a moins bien réussi…

Cela étant dit, Donald Trump revient au pouvoir fort de quatre années d’expérience à la Maison Blanche mais aussi des quatre années suivantes durant lesquelles il n’a cessé de critiquer son successeur Joe Biden. Toutes ces années passées sous le feu des projecteurs ne peuvent pas nous dire avec certitude ce que le 47e président des États-Unis fera lors de son second mandat, mais elles donnent des indications sur ses grandes priorités.

Un programme politique ambigu

Le programme politique de Donald Trump manque à la fois de substance et de cohérence.

D’un côté, il a félicité les juges qu’il a nommés à la Cour suprême pour avoir annulé l’arrêt Roe vs Wade qui reconnaissait l’interruption volontaire de grossesse comme un droit protégé par la Constitution américaine. De l’autre, il a soigneusement évité la question de l’avortement durant sa campagne électorale et a encouragé le camp républicain à ne pas légiférer pour en durcir les restrictions.


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Dans la même veine, ce sont certains de ses principaux conseillers durant son premier mandat qui ont rédigé le Projet 2025 – un ensemble de propositions politiques ultra-conservatrices et controversées visant à consolider le pouvoir exécutif du candidat républicain une fois élu. Mais Trump a pris ses distances vis-à-vis de cette publication et de ses auteurs, affirmant qu’il ne l’avait même pas lue.

Enfin, le milliardaire Elon Musk, l’un de ses principaux partisans et plus grand soutien financier, a déclaré qu’il réduirait la taille du gouvernement, le montant des dépenses publiques et qu’il supprimerait un certain nombre d’agences fédérales pour améliorer la situation économique du pays. Or la plupart des économistes estiment que le programme économique de Donald Trump augmenterait considérablement le déficit national, plus encore que celui de Kamala Harris.


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Il existe tout de même un domaine dans lequel Donald Trump n’a jamais fait preuve d’ambiguïté : le commerce. Il a constamment maintenu une position protectionniste – et ce, depuis plusieurs décennies et ne devrait pas revenir sur ce principe à présent qu’il a été élu une deuxième fois. Il reste toutefois difficile de savoir dans quelle mesure les membres du Parti républicain des régions rurales soutiendront les politiques protectionnistes qu’il mettra en œuvre.

Un « dictateur d’un jour » ?

Lors d’un de ses meetings, Donald Trump avait promis de jouer les dictateurs, mais « seulement le premier jour », afin de faire passer en force un certain nombre de mesures.

Cette déclaration a été régulièrement citée dans les discours de campagne de Biden et de Harris pour discréditer le candidat républicain. Mais ce que cette promesse impliquerait concrètement reste encore obscur.

Donald Trump s’est d’abord engagé à fermer immédiatement la frontière avec le Mexique et à développer l’exploitation des combustibles fossiles.

Pendant sa campagne, il a élargi ses priorités en incluant :

En outre, à la surprise générale des défenseurs des droits des migrants, Donald Trump a déclaré qu’il accorderait « automatiquement » aux personnes étrangères et vivant aux États-Unis un titre de résidence permanente (la fameuse green card) dès l’obtention d’un diplôme dans l’enseignement supérieur américain.

Quid des membres de son cabinet ?

L’adage « personnel is policy » (littéralement, « le personnel fait la politique ») s’applique aussi bien aux administrations républicaines que démocrates.

Par exemple, la nomination de Kurt Campbell pour gérer les affaires indo-pacifiques au Conseil national de sécurité a révélé que l’administration Biden appliquerait en Asie une approche volontariste dite « d’alliés et partenaires ».

De même, en 2016, la nomination au poste influent de vice-président de Mike Pence, un « insider » du Parti républicain, avait permis à Donald Trump de montrer patte blanche auprès des Républicains traditionnels.

Depuis, ce dernier a fait savoir qu’Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr – récemment entrés dans le monde politique – allaient intégrer son administration, sans préciser pour autant le rôle exact qu’ils occuperont.

Elon Musk a déjà promis de réduire la réglementation et la lourdeur bureaucratique du gouvernement, tandis que l’héritier Kennedy s’est engagé à « rendre l’Amérique saine à nouveau » (« Make America Healthy Again »).

Robert F. Kennedy, Jr. est devenu, lors de ces derniers mois, l’un des principaux soutiens de Donald Trump.

Cependant, il est encore trop tôt pour dire quelles seront concrètement les fonctions de ces deux soutiens notoires, d’autant que les personnes nommées par Trump devront être confirmées par le Sénat.

En effet, même si les Républicains contrôlent à nouveau le Sénat, cela ne garantit pas un soutien inconditionnel pour les personnes nommées par le président Trump. Pour rappel, la faible majorité républicaine au Sénat n’avait pas soutenu l’ensemble de son programme en 2017.

Il semble probable que la rotation du personnel qui a caractérisé son premier mandat pourrait se reproduire. D’ailleurs, les nominations de l’ancien président avaient parfois manqué de logique. Ainsi, les conseillers successifs à la sécurité nationale, Michael Flynn puis John Bolton, avaient peu de choses en commun, si ce n’est un même antagonisme à l’égard des politiques conduites par l’administration Obama.

Parallèlement, le conseiller adjoint à la sécurité nationale Matt Pottinger est resté en poste durant la quasi-totalité du premier mandat Trump. Il a non seulement dirigé une grande partie des politiques stratégiques de son administration à l’égard de l’Asie, mais il a également donné naissance à la notion de « concurrence stratégique » avec la Chine – une notion qui survivra probablement aux administrations Biden et Trump.

Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes

En fin de compte, il est moins pertinent de tenter de deviner ce que pourrait faire le nouveau président des États-Unis que de se concentrer sur les tendances structurelles qui se poursuivent quel que soit le locataire de la Maison Blanche.

Il convient de souligner que l’administration Biden a maintenu voire renforcé certaines initiatives lancées par l’administration Trump sur le plan international. Entre autres, sa politique « Free and Open Indo-Pacific » (« libérer et ouvrir l’Indo-Pacifique ») dans le cadre de sa rivalité avec Pékin, l’application de tarifs douaniers, ou encore les accords d’Abraham qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs États arabes.


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En termes de politique intérieure, l’administration Biden s’est aussi appuyée sur des politiques mises en œuvre sous la première présidence Trump, notamment le soutien de l’État à l’industrie manufacturière nationale, l’extension du crédit d’impôt pour enfant à charge, ou l’augmentation des restrictions imposées aux grandes entreprises technologiques.

La présidence de Joe Biden, à mi-chemin entre la rupture et la continuité vis-à-vis de son prédécesseur, et désormais successeur…

Une administration Harris aurait été tout aussi peu encline que celle de Trump à considérer la Chine comme un partenaire économique équitable, à déployer des troupes américaines au Moyen-Orient ou bien à s’opposer à l’augmentation des budgets de défense des alliés de l’OTAN.

En conclusion, Donald Trump exercera sans aucun doute une gouvernance imprévisible et non conventionnelle. Mais ne pas prendre en considération les continuités marquant la politique américaine serait une erreur : ces dernières débutèrent avant l’accession de Donald Trump au pouvoir et devraient se poursuivre bien après la fin de son second mandat.

The Conversation

Jared Mondschein ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

07.11.2024 à 17:24

Israël interdit l’UNRWA, dernière bouée de sauvetage des réfugiés palestiniens

Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Falestin Naïli, Historienne, professeure assistante à l'Université de Bâle et chercheure associée à l'Institut français du Proche-Orient (Ifpo)., University of Basel

Israël a fait passer deux lois prohibant les activités de l’UNRWA. Les conséquences seront lourdes pour la population palestinienne dans les territoires occupés, spécialement à Gaza.
Texte intégral (2235 mots)

Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’opérer dans les territoires palestiniens occupés, l’accusant d’avoir été massivement infiltrée par le Hamas. Or l’agence onusienne fournit de nombreux services de première nécessité aux habitants de Cisjordanie et surtout de Gaza : la cessation de ses activités aggravera considérablement leur situation déjà désastreuse.


Le 4 novembre 2024, Israël a officiellement informé l’ONU de son intention de rompre ses liens avec l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens dans le Proche-Orient. Une décision confortée, le lendemain, par la victoire à l’élection présidentielle américaine de Donald Trump, soutien constant de Benyamin Nétanyahou et détracteur virulent de l’agence onusienne.

Il s’agit de la première étape dans l’application de deux lois controversées votées le 28 octobre dernier par la Knesset – le Parlement israélien – interdisant les activités de l’UNRWA à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Trois territoires où Israël, en tant que puissance occupante, est pourtant tenu de garantir l’accès à l’aide humanitaire en vertu des Conventions de Genève de 1949.

Le premier texte de loi interdit les actions menées par l’agence sur les territoires israéliens, y compris Jérusalem-Est qui a été annexée en violation du droit international. Tandis que le second texte rend illégal tout contact entre les autorités étatiques israéliennes et l’agence, ce qui empêcherait toute coordination entre l’UNRWA et l’administration militaire israélienne qui contrôle les territoires occupés.

La fin des opérations de l’agence onusienne, très active à Gaza, notamment en matière de vaccinations contre la poliomyélite (polio) et de coordination de l’aide arrivant au compte-gouttes, aurait des conséquences dramatiques. Tout spécialement dans cette enclave assiégée où la situation sanitaire et humanitaire, après 13 mois de conflit, est qualifiée de « catastrophique » par l’Organisation mondiale de la Santé. Rappelons que dès janvier 2024, une ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) a évoqué à cet égard le « risque de génocide ».

La volonté de démanteler l’UNRWA ne date pas d’hier. La décision du 28 octobre marque l’aboutissement d’un processus lancé par Tel-Aviv il y a des années pour se débarrasser de cette agence qui, en 75 ans d’existence, n’a cessé de rappeler à Israël ses responsabilités dans la création du problème des réfugiés ainsi que les violations du droit international liées à sa politique expansionniste.

Interventions humanitaires indispensables et rôle politique

L’UNRWA a été créée en 1949 pour fournir une aide d’urgence à près de 800 000 réfugiés palestiniens. Son mandat initial vise à améliorer leurs conditions de vie, jusqu’au règlement juste de leur situation, fondé sur la résolution 194 (III) votée le 11 décembre 1948 qui établit leur droit au retour et à des compensations. Soumis à un renouvellement triennal, ce mandat s’est pérennisé du fait de la non-résolution du problème.

Dans ses cinq aires d’intervention (Jordanie, Liban, Syrie, Gaza et Cisjordanie), l’UNRWA est devenue, pour quelque 6 millions de personnes, un pourvoyeur majeur de services essentiels (éducation, santé, logement). Elle entretient les infrastructures de 58 camps où elle gère 706 écoles accueillant un demi-million d’élèves, 140 dispensaires médicaux de base et 113 centres communautaires, et accompagne également 475 projets de microfinance.

L’UNRWA est en outre, après les services publics des pays hôtes, le premier employeur de la région avec près de 30 000 employés dont la majorité sont des Palestiniens. Elle possède aussi des millions de documents d’archives (à Gaza et à Amman) qui constituent une source historique exceptionnelle, notamment sur la question des réfugiés.

Si au moment de sa création, l’action de l’agence avait été conçue comme neutre et apolitique, elle s’est inévitablement politisée.

Trouver une solution politique pour mettre fin au conflit israélo-palestinien était du ressort de la Commission de conciliation des Nations unies pour la Palestine (UNCCP) qui termina ses travaux à la fin des années 1950. Depuis, l’UNRWA est devenue le seul organisme de l’ONU fournissant aux Palestiniens des services quasi étatiques, mais elle ne leur accorde pas pour autant une protection politique internationale. En effet, les Palestiniens sont exclus du système de protection établi par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951.

Le caractère politique de l’UNRWA est dû au fait qu’elle matérialise la responsabilité de la communauté internationale à l’égard des réfugiés palestiniens, qui la considèrent comme la garante de leur droit au retour. Théoriquement, son mandat aurait pu prendre fin avec une résolution politique, comme celle qui était attendue des accords d’Oslo de 1993.

Après l’échec du processus d’Oslo, un retour au droit international ?

Pendant la période de négociations ouverte par la Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie (Oslo I), plusieurs dossiers épineux – dont celui des réfugiés palestiniens – avaient été reportés à la phase dite du « statut final », ostensiblement afin de ne pas compromettre l’ensemble des discussions.

Pour les Palestiniens, l’horizon d’attente ouvert par ce dossier ne concernait pas seulement le retour des réfugiés, mais aussi la création d’un État palestinien aux côtés d’un État israélien dans les frontières de 1967. Après la création d’un tel État, l’Autorité palestinienne (AP) aurait repris les responsabilités de l’UNRWA dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Un plan de transfert des services était ainsi prévu par le « Programme pour la mise en œuvre de la paix » afin d’améliorer les conditions de vie dans les camps de réfugiés et d’assurer le développement économique des territoires palestiniens.

Cependant, l’échec du processus d’Oslo (résultant en grande partie de la poursuite de la colonisation illégale des territoires palestiniens par Israël) entraîne le retour de la prééminence du cadre juridique établi par les résolutions de l’ONU, comme l’a récemment rappelé la Cour Internationale de Justice (CIJ) dans une de ses décisions.

D’après cette dernière, le droit international prime sur les négociations y compris celles d’Oslo, et l’occupation israélienne des territoires occupés en 1967, déclarée illégale, doit prendre fin dans les 12 mois suivant la résolution du 18 septembre 2024 de l’Assemblée générale des Nations unies.

L’UNRWA constitue dès lors, par sa simple existence et par son action constante, un rappel permanent du droit international auquel Israël devrait se conformer. De sorte que son élimination permettrait à Tel-Aviv de mettre à distance le problème du droit au retour des réfugiés, absolument tabou du côté israélien.

Or les conséquences socio-économiques et politiques qu’entraînerait une disparition de l’agence onusienne sont particulièrement inquiétantes.

Quelles perspectives post-UNRWA ?

À la suite de l’occupation des territoires palestiniens en 1967, Israël a demandé à l’UNRWA de poursuivre ses services qu’elle s’est engagée à faciliter conformément à un échange de lettres datant du 14 juin 1967.

Les relations entre Israël et l’agence se sont ensuite dégradées à partir des années 1970. Tel-Aviv accusant l’UNRWA de participer à la radicalisation idéologique des Palestiniens par le biais de ses écoles et d’être une arène d’action pour les acteurs du Mouvement national palestinien.

Les tensions se sont aggravées après les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas, à l’issue desquels 19 des 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza ont été accusés par Israël d’avoir participé aux attaques. En réaction et sans attendre qu’une [enquête] soit lancée, les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne, la France et l’Italie, ont suspendu en janvier 2024, le versement de leurs financements à l’agence. Après une enquête menée par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, seuls les États-Unis et la Suisse ont poursuivi le gel des fonds.

Lors des 13 derniers mois, les instances de l’UNRWA à Gaza ont été visées par des frappes israéliennes, au détriment du droit humanitaire international : 190 écoles, centres de santé et de distribution ont été bombardés, et 563 déplacés abrités dans ses écoles ainsi que 226 employés de l’agence ont été tués.

Les camps de réfugiés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie ont été ciblés par de multiples attaques. En mai dernier, le siège de l’UNRWA à Jérusalem-Est a été contraint à la fermeture après une tentative d’incendie. En octobre, le terrain du quartier de Sheikh Jarrah où se situe le siège a été confisqué, dans le cadre de l’expansion d’une colonie israélienne.

Dans la continuité de ces attaques, les dernières lois adoptées par la Knesset pour interdire les actions de l’UNRWA violent le droit international, sans proposer d’alternative pour venir en aide aux réfugiés palestiniens. Israël se contentant d’affirmer espérer que d’autres agences onusiennes et organisations internationales « non politisées et plus efficaces » prendront le relais.

Tel-Aviv préconise aussi l’intervention d’organismes privés, peu conformes aux principes de neutralité et d’indépendance, dans le cadre de « bulles humanitaires » gérées par des sociétés privées ou de « gated communities » qui s’apparenteraient, en réalité, à des camps d’internements.


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Ces derniers mois, les discours de nombreux gouvernements occidentaux sur les réfugiés palestiniens n’ont fait que renforcer l’assignation exclusivement humanitaire des problèmes politiques qui caractérisent leur situation.

Alors que la « crise humanitaire » est devenue une expression consensuelle pour décrire la situation catastrophique sévissant dans la bande de Gaza, les deux lois votées par la Knesset visent à éradiquer l’acteur principal capable de prendre en charge la réponse humanitaire.

Après la marginalisation de la question politique des droits des réfugiés palestiniens, nous observons donc une détérioration programmée de leurs conditions de vie avec un risque, à terme, d’annihiler leur existence même.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

06.11.2024 à 17:17

La victoire de Trump, une bonne nouvelle (paradoxale) pour les Européens ?

Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po

L’imminence du retour de Donald Trump à la Maison Blanche impose aux Européens de trouver au plus vite une véritable unité interne. Face à l’urgence, ils n’ont plus le luxe de tergiverser.
Texte intégral (1857 mots)

La victoire de Donald Trump pourrait représenter le coup de fouet dont les Européens ont besoin pour renforcer significativement leur unité et moins dépendre de l’éternel protecteur d’outre-Atlantique.


La victoire de Donald Trump II, qui est aussi celle du nationalisme et de l’isolationnisme, a plongé la majeure partie des leaders européens dans la consternation. Durant toute la campagne, c’était l’élection de Kamala Harris que les Européens avaient espérée, souhaitée et appelée de leurs vœux. Seuls les dirigeants eurosceptiques du Vieux continent, Viktor Orban en tête, ont salué l’élection du Républicain comme 47e président des États-Unis.

Le retour de Trump à la Maison Blanche, doublée de la prise par les Républicains du Sénat et de leur probable maintien en tant que premier parti à la Chambre des représentants, annonce la mise en œuvre, au cours des quatre prochaines années, d’un programme politique et diplomatique aux antipodes des objectifs européens en matière de climat, de coopération internationale et de liens transatlantiques.

Toutefois, éclairés par la présidence Trump I et instruits par les crises actuelles, les Européens ont les moyens d’exploiter les opportunités ouvertes par une présidence Trump II. À condition d’agir ensemble et vite ! Les Européens ne sont pas condamnés à subir. Ils peuvent faire du prochain mandat américain une chance pour leur autonomie stratégique. Sous certaines conditions.

Dans l’antichambre des peurs européennes

L’élection de Donald Trump peut assurément devenir un cauchemar pour les Européens. Au vu de son premier mandat et de ses déclarations durant la campagne, ils savent déjà que plusieurs objectifs transatlantiques communs ne résisteront pas à son retour au pouvoir.

Le lien transatlantique redeviendra sous peu un rapport de force transactionnel : pour Donald Trump, les grandes alliances historiques des États-Unis issues de la Seconde Guerre mondiale, en Europe et en Asie, sont à la fois des fardeaux et des leviers d’action pour extorquer des concessions économiques aux Européens. N’a-t-il pas constamment accusé le Japon, l’Allemagne et l’OTAN en général de profiter indûment de la police d’assurance géopolitique américaine ? Loin de renforcer les partenariats, il cherchera à inquiéter, à diviser et à provoquer les Européens, qu’il traitera en clients, et non en alliés. Et l’UE risque de voir se creuser des clivages internes importants entre ceux qui voudront se concilier les faveurs de Trump II et ceux qui voudront y résister au prix de pressions économiques et politiques brutales. Que les Européens s’en souviennent : Trump II n’aura plus d’alliés mais des obligés régulièrement intimidés.

Cela aura une conséquence directe sur ce qui cimente l’OTAN et l’UE à l’heure actuelle : le soutien économique, militaire et diplomatique à l’Ukraine. Le candidat Trump a été très clair sur ses intentions : couper les crédits à l’Ukraine (80 milliards de dollars depuis 2022), se positionner en médiateur avec la Russie et obtenir une paix fondée sur un troc consistant en l’abandon par l’Ukraine de ses territoires de l’Est du pays en contrepartie de la fin de l’invasion russe. Là encore, la culture du rapport de force cèdera la place à l’animation du réseau d’alliés. La sécurité et la sérénité des Européens seront beaucoup moins bien garanties par une présidence Trump II sur les flancs orientaux et méridionaux du continent. La présidence Trump II estimera ne pas avoir de responsabilités à assumer, mais seulement des intérêts à promouvoir.

La cohésion de l’Occident sera également entamée dans les institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale. Trump II continuera à afficher ses affinités avec des leaders en rupture avec l’Europe : Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Benyamin Nétanyahou, etc. Ce sera la fin du front uni à l’ONU sur l’Iran, sur la Corée du Nord ou encore sur le climat. Comme durant la première présidence Trump. Et les Européens risquent de se retrouver isolés, à mener des combats d’arrière-garde afin de préserver ce qui reste des mécanismes de coopération internationaux contestés par le Sud Global dans ses différents forums (G20, BRICS, OCS, etc.).


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Quant au volet commercial, il sera marqué par la hausse des droits de douane à la fois pour le partenaire rival chinois et pour l’allié européen : Donald Trump les placera sur un pied d’égalité en raison du déficit commercial massif envers l’un et envers l’autre.

Les risques inhérents à une présidence Trump II sont massifs et immédiats pour les Européens : désinformation, intimidation, désunion, isolement et insécurité aux frontières seront le pain quotidien des prochaines années pour les Européens. Ces dangers sont, en outre, accentués par l’affaiblissement des leaders de grands pays tels que la France et l’Allemagne – qui avaient endigué le premier tsunami trumpien. La résignation est-elle pour autant de mise ?

Ne pas manquer une occasion historique

En géopolitique comme en économie, une crise peut devenir une opportunité, à condition de la prévoir, de l’anticiper, de la préparer et de la traiter. C’est ce que vient de faire le premier ministre polonais Donald Tusk en qualifiant la victoire de Donald Trump d’oraison funèbre de la « sous-traitance géopolitique ».

Le choc de Trump II peut être paradoxalement salutaire pour les Européens. Mais cette potentielle thérapie de choc ne peut réussir que sous certaines conditions très difficiles à remplir. Que les Européens oublient un instant leurs craintes justifiées et leur déception amère !

Pour exploiter la crise géopolitique que provoque dès maintenant l’élection du candidat ouvertement nationaliste du MAGA, les Européens doivent s’imposer une discipline de fer en matière de coordination sur les principaux dossiers sécuritaires (Ukraine, Israël), économiques (IA, énergie, tarifs douaniers) et diplomatiques (sanctions, dialogue avec le Sud, organisations multilatérales).

La moindre faille dans cette coordination serait funeste car exploitée en même temps par Washington, Moscou et Pékin. Les mécanismes de coordination existent, même s’ils sont lents. Les leaders sont en place malgré leurs talons d’Achille, qu’il s’agisse de Mark Rutte à l’OTAN ou d’Ursula von der Leyen à l’UE… Cet atout est renforcé par le décalage des calendriers électoraux : l’UE est en phase de lancement de sa nouvelle mandature alors que la nouvelle administration Trump ne prendra ses fonctions qu’en janvier. Les Européens disposent de quelques semaines pour prendre position à l’avance sur tous les sujets de dissensus.

L’autre atout des Européens tient au contenu de leurs intérêts. En Ukraine, à eux de prendre le relais de l’aide américaine notamment militaire et de proposer rapidement un plan de cessez-le-feu et de négociation qui prendra de court la présidence Trump et coupera court aux plans de paix, très favorables à Moscou, avancés par le Sud Global. Dans les rapports avec la Chine, à eux de proposer une autre voie que la guerre tarifaire annoncée par Trump. Tenir un cap ferme mais moins belliqueux que Washington sera finalement aisé avec Pékin : l’UE n’est que le partenaire, pas le rival de la RPC.

Sur les rapports avec le Sud Global, les Européens doivent jouer la carte de la différence : ne pas hésiter à proposer une option alternative aux États-Unis, oser les concurrencer au Moyen-Orient par un bras de fer avec Israël, appeler une fois encore à une maîtrise par la négociation du programme nucléaire iranien, etc. La crédibilité des Européens dans le Sud sera objectivement favorisée par le discrédit que les États-Unis risquent fort de subir dans ces régions sous Trump II.

Enfin, face à une administration américaine sans complexe pour intimider ses partenaires européens, il faudra identifier des points sur lesquels ne pas céder : sur la gestion des données, sur l’IA, sur la diversification des sources d’énergie.


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Aujourd’hui, avec une coordination renforcée et un agenda européen bien identifié, les Européens sont capables non seulement de résister mais aussi d’en imposer à une administration Trump II.

En attendant Trump

Pour les Européens, la période de transition jusqu’au 20 janvier 2025 sera un test de cohésion, de rapidité et de sang froid. Durant ces deux mois, l’administration Biden passera le relais à l’administration Trump. Et, pendant ce temps, le candidat devenu président élu sans être président au sens plein multipliera les prises de position d’autant plus tonitruantes qu’elles ne seront pas traduites dans la réalité.

Aux Européens de le prendre de vitesse et de se positionner sur l’Ukraine, le Moyen-Orient, le commerce international et les organisations multilatérales avant et par différence avec lui. Ne perdons pas de temps : l’élection de Donald Trump peut précipiter la maturité européenne.

The Conversation

Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.11.2024 à 06:44

États-Unis : « … and justice for all », vraiment ?

Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Depuis les années 1980, la droite radicale multiplie les efforts pour prendre durablement le contrôle de la branche judiciaire. Avec un succès notable dans la période 2017-2021…
Texte intégral (2132 mots)

Quels que soient les résultats définitifs des élections américaines (au pluriel, car les élections au Sénat et à la Chambre sont tout aussi importantes que la présidentielle), la coloration idéologique des juridictions fédérales et de la Cour suprême – dont six des neuf juges nommés à vie actuellement en poste sont des conservateurs – en constitue un enjeu central et insuffisamment souligné.

Dans son dernier ouvrage, « Les juges contre l’Amérique. La capture de la Cour suprême par la droite radicale », qui vient de paraître aux Presses universitaires de Paris Nanterre, l’américaniste et juriste Anne Deysine décrypte les efforts déployés depuis les années 1980 par la droite radicale en vue d’accroître son emprise sur le pays. Des efforts en bonne partie couronnés de succès à présent que la Cour suprême penche très nettement à droite, notamment parce que Donald Trump a pu, durant sa présidence, y nommer trois juges – Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett – qui avaient été préselectionnés par le puissant lobby ultraconservateur Federalist Society, dirigé par Leonard Leo, un juriste peu connu du grand public avant 2016. Extraits.


La galaxie Leo

Parmi les nombreux groupes ad hoc qui constituent « la galaxie Leo », le plus important, la Federalist Society, est un groupe 501(c) (selon la nomenclature du Code des impôts) à but non lucratif qui, à ce titre, jouit d’un régime fiscal favorable. Mais ces groupes peuvent se coordonner avec d’autres groupes, les 501(c), ouvertement impliqués en politique.

Ainsi, deux des bras armés de Leo, le Judicial Crisis Network (JCN) et le Judicial Education Network (JEN), sont financés par des dons anonymes de plusieurs millions de dollars chaque année dont l’origine, toujours dissimulée, est liée aux financeurs de Leo. Ils ont dépensé 7 millions de dollars pour bloquer la candidature à la Cour suprême en 2016 de Merrick Garland, le candidat pourtant très modéré proposé par le président Obama après le décès du juge [conservateur] Scalia.

Ces mêmes groupes ont ensuite dépensé plus de 10 millions de dollars pour soutenir la candidature de Neil Gorsuch, nommé par Trump dès son entrée en fonction en janvier 2017. En 2021, JCN, devenu le Concord Fund, a dépensé plusieurs millions de dollars pour discréditer la candidate à la Cour suprême, Ketanji Brown Jackson, première juge afro-américaine, nommée par le président Biden pour succéder au juge Breyer qui avait été poussé à la démission.

[…]

Les organismes et groupes de la galaxie Leo sont nombreux et ont pour première caractéristique de porter des noms le plus souvent trompeurs ou qui suggèrent l’inverse de la réalité.

Ainsi, le projet pour des élections honnêtes (Honest Elections Project), ou le réseau pour l’intégrité électorale (Restoring Integrity and Trust in Elections) ont pour objectif affiché de restaurer l’intégrité et la confiance dans les élections alors qu’ils cherchent en réalité à instiller le doute et la méfiance sur les élections et le processus électoral. Ils ont notamment diffusé de fausses informations sur la fraude électorale dans l’élection de 2020, démenties par les études dont celle du Brennan Center. Quant au groupement Students for Fair Admission (Étudiants pour des procédures d’admission justes) créé par Edward Blum, il lutte activement contre toute prise en compte de facteurs raciaux pour l’entrée à l’université et est à l’origine de plusieurs contentieux dans lesquels il a obtenu gain de cause.

On peut également mentionner la Fondation juridique pour l’intérêt public (Public Interest Legal Foundation ou PILF) qui, contrairement à son nom ronflant, travaille à faire adopter des restrictions sur le droit de vote et à procéder à des radiations d’électeurs destinées à affecter de façon disproportionnée les membres des minorités qui ont tendance à voter pour les Démocrates. Ou encore l’Institut Claremont pour la jurisprudence constitutionnelle (Claremont Institute Center for Constitutional Jurisprudence) et le célébre groupe ALEC (American Legislative Exchange Council ou Conseil américain pour les projets législatifs) créé par les milliardaires frères Koch (qui possèdent, entre autres, la chaîne d’hypermarchés Walmart).

ALEC produit des projets de loi clés en main que les législatures des États n’ont plus qu’à adopter, aussi bien pour limiter le rôle des syndicats que pour saper le droit de vote. Il ne faut pas oublier dans cette liste le groupe Citizens United, à l’origine de l’action en justice qui a permis la dérégulation des financements électoraux en 2010.

Tous ces groupes partagent des locaux communs, les mêmes boîtes postales et les mêmes cabinets d’avocats. Leurs fonds proviennent des mêmes financeurs qui leur font passer les sommes nécessaires pour organiser leur stratégie juridictionnelle et « monter » les affaires. Ce sont eux qui mettent en musique la composante judiciaire de la stratégie tous azimuts de la droite.

Le volet juridictionnel

En matière de nominations, la Federalist Society participe de près à la sélection des futurs juges et orchestre des campagnes de publicité pour ou contre les candidats ; mais ce n’est que le premier volet de sa stratégie. Leo et d’autres comme Edward Blum (à la tête de Students For Fair Admissions qui combat tout dispositif préférentiel – Affirmative Action), David Bossie (groupe Citizens United) ainsi qu’une constellation de groupes jouent depuis vingt ans un rôle tout aussi essentiel mais moins visible et moins connu.

Ils sont très actifs en sous-main pour susciter et soutenir les contentieux adéquats afin de faire cheminer des affaires jusqu’à la Cour suprême pour tenter d’obtenir un revirement de jurisprudence, la dégradation de certains droits ou le renforcement de certains autres comme le port d’armes ou la liberté religieuse. Un moyen complémentaire consiste à noyer la juridiction suprême sous une avalanche de pétitions amicus curiae coordonnées et financées par la galaxie Leo.

La réussite de ces stratégies se lit dans les chiffres : plus de 80 décisions de la Cour Roberts [du nom du conservateur John Roberts, président de la Cour suprême – Chief Justice – depuis 2005] sont partisanes et ont, à partir de 2006, été rendues à cinq voix, celles des « Républicains » contre quatre, celles des progressistes, avant l’arrivée d’Amy Coney Barrett en 2020. Elles éliminent toute contrainte en matière de financement des élections (Citizens United v. FEC) et sur les donations anonymes (AFPF v. Bonta) tandis que d’autres affaiblissent les contre-pouvoirs, notamment ceux des syndicats (Janus v. AFSCME) ou des agences à pouvoir réglementaire (Seila Law v.CFPB et West Va. v. EPA) ; ou renforcent le port d’armes (devenu « droit individuel » dans District of Columbia v. Heller en 2008).

Avec la super majorité de droite, la Cour a pu invalider en 2023 les mécanismes d’Affirmative Action visant à la diversité à l’université (Students for Fair Admissions v. Harvard et Students for Fair Admissions v. North Carolina).

Les opérations permettant de restreindre certains droits et d’affaiblir l’État-providence ont continué durant la session 2023-2024.

Les stratégies juridictionnelles : mode d’emploi

Dans un fonctionnement normal de la justice, un plaignant saisit la justice pour obtenir gain de cause. Mais la droite a perverti le système et chaque étape est instrumentalisée.

Pour les groupes de la galaxie Leo, la première étape est l’identification d’un contentieux posant les bonnes questions de droit, quitte à les susciter. Puis il s’agit de trouver des requérants possibles qui, le plus souvent, n’auraient pas pensé à aller en justice et qui sont des instruments « écran » ou des cobayes en vue d’un objectif précis, faire évoluer le droit dans le sens souhaité par la droite radicale.

Le demandeur idéal sera, selon les cas, un État, un individu (M. Janus), un comté (Shelby), une fédération d’entreprises (NFIB pour la loi ACA et l’obligation de vaccination) ou un groupe (New York State Rifle ; Pistol Association pour l’affaire de port d’armes dans l’État de New York). Et lorsque le premier plaignant ne convient pas ou se retire, il suffit d’en trouver un autre.

Ainsi dans l’affaire Janus concernant les droits des syndicats à collecter certaines contributions auprès des non-syndiqués, le premier requérant, un gouverneur républicain, n’est pas parvenu à établir le préjudice subi (une des conditions requises) et donc son intérêt à agir (standing). Les groupes sortirent donc de leur chapeau un certain M. Janus, aide-soignant à domicile, qui devint la figure de proue et le porte parole de cette affaire devenue emblématique. Il a été récompensé par une sinécure au sein d’une fondation amie et est maintenant Senior Fellow au Liberty Justice Center qui bénéficie du soutien financier de la galaxie Koch, qui avait elle-même intenté l’action devant la Cour suprême. […]

Les attaques contre le droit de vote

La décision Shelby de 2013 invalide les dispositions anti-discriminations de la loi sur le droit de vote de 1965. Malgré la résistance des quatre juges progressistes et l’opinion dissidente rédigée par la juge Ginsburg, lue par elle devant ses collègues et le public, le droit de vote n’est plus protégé. Les conséquences ne se sont pas fait attendre : les législatures des États dirigées par les Républicains se sont engouffrées dans la brèche.

Ainsi depuis 2014, dans plusieurs États, les Républicains ont adopté ou tenté de mettre en place toutes les dispositions possibles d’entrave au vote (voter suppression) de manière ouvertement discriminatoire : exigence d’une pièce d’identité spéciale, fermeture de bureaux de vote dans les quartiers habités par les minorités, limitation du nombre de jours de vote anticipé, et ainsi de suite. Ils ont continué avec 399 textes restrictifs du droit de vote déposés en 2022 (chiffres du Brennan Center).

Depuis la défaite de Donald Trump en 2020 et son refus de reconnaître la victoire de Joe Biden, divers mécanismes visant à permettre aux trumpistes de voler l’élection (election subversion) ont aussi été adoptés pour placer des partisans là où des personnels (élus ou administratifs) indépendants ont pu et su résister aux pressions en 2020, comme Brad Raffensperger, secrétaire en charge des élections en Géorgie, qui avait refusé de « trouver » les 11 780 voix demandées par Trump lors d’un appel téléphonique qui a été enregistré.

Raffensperger a remporté l’élection primaire et a été réélu à son poste mais beaucoup d’autres, confrontés à un adversaire pro-Trump niant les résultats, ont perdu ; les nouveaux élus trumpistes à ces postes feront ce qui leur est demandé et non ce que requiert la Constitution.

The Conversation

Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

04.11.2024 à 17:21

Radiographie des sept États pivots au cœur de l’élection américaine

Mario Del Pero, Professeur d’histoire internationale, Sciences Po

Les enjeux économiques sont au cœur de la campagne présidentielle américaine. La diversité des situations socio-économiques des États clés rend l’issue du scrutin encore plus incertaine.
Texte intégral (2592 mots)

Cette année, sans surprise, la présidentielle américaine se jouera une fois de plus sur le vote des fameux « swing states ». Kamala Harris et Donald Trump consacrent tous leurs efforts à convaincre les électeurs indécis de ces quelques États pivots. Alors que la course est particulièrement serrée, les questions économiques constituent le principal facteur pouvant faire basculer les votes d’un camp à l’autre.


Le système d’élection du président des États-Unis n’est qu’un des nombreux anachronismes d’une démocratie obsolète et en déclin.

Suivant un suffrage universel indirect, les États désignent au total 538 grands électeurs qui composent le collège électoral chargé d’élire le président. Le nombre de grands électeurs est équivalent à la somme des sénateurs et des représentants de chaque État, plus trois représentants du district de Columbia. Il s’agit souvent de sympathisants, élus locaux ou lobbyistes choisis par les partis pour leur fidélité.

Afin d’élire leurs représentants au collège électoral, quarante-huit des cinquante États adoptent le système du « winner-takes-all » (« le gagnant rafle la mise ») : le candidat qui remporte le vote populaire obtient tous les grands électeurs de l’État. Deux États, le Nebraska et le Maine, utilisent un modèle différent appliquant une part de proportionnelle : deux grands électeurs sont attribués au vainqueur de l’État, tandis que le reste – trois grands électeurs pour le Nebraska et deux pour le Maine – est distribué en fonction des résultats aux élections dans les circonscriptions électorales. Par exemple, dans un Nebraska majoritairement républicain, un grand électeur peut être attribué aux Démocrates.

Or, les dysfonctionnements de ce système sont nombreux.

D’une part, le poids d’un vote varie considérablement d’un État à l’autre. En effet, chaque État élit, en plus de ses représentants (dont le nombre est proportionnel à sa population) deux sénateurs – et cela, indépendamment de sa population. C’est ainsi que le Wyoming, qui compte 580 000 habitants, envoie au collège électoral trois grands électeurs (car il dispose de deux sénateurs et d’un représentant), soit environ 1 pour 193 000 habitants ; tandis que la Californie, État le plus peuplé du pays avec plus de 39 millions d’habitants, en envoie 54, soit 1 pour 722 000 habitants. Dès lors, le vote d’un habitant du Wyoming pèse près de quatre fois plus que celui d’un Californien.

D’autre part, il est tout à fait possible de largement remporter le vote populaire et de ne pas être élu président, comme cela s’est produit pour les candidats démocrates Al Gore en 2000 et Hillary Clinton en 2016. C’est pour cette raison que ce qui sera scruté au premier chef lors de la longue soirée électorale qui s’annonce, c’est la situation dans chacun de ces États pivots qui vont faire basculer la victoire dans un camp ou dans un autre…

Rôle décisif des fameux « swing states »

Tous les observateurs s’accordent à penser que la plupart des 50 États sont largement acquis soit à Kamala Harris, soit à Donald Trump. Ces États-là demeurent donc en marge de la campagne électorale. L’essentiel se joue dans les « swing states » – et c’est naturellement là que les deux candidats concentrent leurs efforts et ressources.


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Lors de ces élections, sept « swing states » sont au centre de l’attention générale :

  • Trois dans le Midwest : le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie.

  • Deux dans le Sud : la Géorgie et la Caroline du Nord.

  • Deux dans le Sud-Ouest : l’Arizona et le Nevada.

Les chercheurs se demandent depuis longtemps pourquoi certains États sont plus contestables que d’autres – en d’autres termes, pourquoi certains deviennent des « swing states » et d’autres non. Différents paramètres sont étudiés : les facteurs socio-économiques, le niveau d’éducation, l’histoire, la tradition, la densité et la concentration de la population.

La réponse reste toutefois insaisissable, rendant toute prévision difficile. Par exemple, il y a seulement huit ans, peu de personnes auraient imaginé que des États tels que l’Ohio et la Floride perdraient leur statut d’État clé. À l’inverse, la Géorgie, l’Arizona et la Caroline du Nord, longtemps fermement acquis aux Républicains, le sont devenus.


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Le défi pour les candidats est donc immense. Ils doivent élaborer un message à la fois local et national, en répondant aux attentes spécifiques de ces États clés sans aliéner l’ensemble de l’électorat.

Caractéristiques communes des sept « swing states » de 2024

Les sept « swing states » de 2024 partagent certaines caractéristiques générales. Ils reflètent en grande partie la polarisation politique et idéologique nationale. Leurs populations, à l’exception de celle du Nevada (en queue de classement), affichent des niveaux d’éducation (diplômes secondaires et universitaires) proches de la moyenne nationale.

Ils se caractérisent également par la densité et la concentration de leur population. S’y côtoient de grandes agglomérations métropolitaines, des banlieues proches, des zones intermédiaires entre banlieues et régions rurales (ce qu’on appelle les zones exurbaines) et, enfin, des zones rurales dans le Midwest et le Sud, ou des régions désertiques et montagneuses dans l’Arizona et le Nevada.

Les cas de ces deux derniers États sont particulièrement frappants. En Arizona, plus de 60 % de la population est concentrée dans le comté de Maricopa, l’un des quinze que compte l’État, et où se trouve Phoenix. Au Nevada, qui compte quinze comtés, près de 75 % de la population vit dans le seul comté de Clark, où se situe Las Vegas. À noter cependant que ce clivage se retrouve à des degrés divers dans les cinq autres « swing states ».

Par ailleurs, la combinaison, dans ces États, de nouvelles implantations industrielles, d’un niveau élevé d’immigration et d’une disponibilité limitée de terrains résidentiels exerce une pression considérable sur le marché immobilier, entraînant une flambée des prix et une hausse de l’endettement des ménages pour couvrir les loyers et les hypothèques. En Arizona et au Nevada, par exemple, les familles consacrent en moyenne près de 40 % de leurs revenus au remboursement de prêts hypothécaires, soit presque le double de la moyenne nationale.

La crise du logement est ainsi devenue un enjeu central de la campagne électorale : Kamala Harris promet la construction de 3 millions de nouveaux logements et de généreuses subventions pour les primo-accédants, tandis que Donald Trump, avec une de ses hyperboles typiques, garantit que le problème sera résolu par l’expulsion de millions d’immigrés « illégaux » et la libération des logements qu’ils occupent.

Les réponses inégales de ces États face aux transformations des systèmes productifs

Outre ces similarités, les « swing states » de 2024 présentent des caractéristiques socio-économiques distinctes qu’il convient de souligner.

S’ils présentent chacun des particularités, les États clés – à l’exception de l’Arizona – connaissent une reprise économique lente après le choc du Covid-19, ainsi qu’une réponse différée – en termes d’emploi et de croissance – aux vastes plans d’investissements publics et de subventions mis en place par l’administration Biden. La Pennsylvanie et le Wisconsin illustrent bien cette situation : dans ces deux États, 40 % de la population vit dans des comtés où, début 2023, le PIB n’avait pas encore retrouvé son niveau de 2019, tandis que la moyenne nationale atteignait 20 %.

Durant la période de la pandémie et son après-coup, l’Arizona est le seul État clé à avoir connu une forte croissance économique. Le PIB par habitant a augmenté de 13 % entre 2019 et 2023, soit plus du double de la moyenne nationale. Cette dynamique est liée à une croissance régionale plus large, observable également dans le Texas voisin, alimentée par les services avancés notamment dans l’informatique, la finance et la biomédecine, le boom de la logistique, et des processus de délocalisation interne qui ont poussé certaines grandes industries à transférer une partie de leur production vers des régions offrant une législation plus favorable, une main-d’œuvre bon marché (en partie grâce à l’immigration) et des syndicats faibles ou inexistants.

Le Nevada a également profité de ces dynamiques, bien que les effets positifs sur la croissance et l’emploi aient été atténués par l’impact sévère du Covid sur son secteur primaire, le tourisme.


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Quant aux trois États du Midwest, ils constituent des exemples emblématiques d’un pays frappé par les processus interdépendants de délocalisation, de désindustrialisation et de mondialisation. Si certaines régions ont réussi à renouveler leur secteur économique, à l’instar de celle de la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie – ancien grand centre sidérurgique devenu un hub de secteurs dynamiques comme la recherche médicale, la finance et les communications –, d’autres peinent toujours à se relever.

Dans certaines villes historiques, la population a été divisée par deux ou plus en quelques décennies – les habitants cherchant à fuir une économie locale en berne. Par exemple, la ville de Detroit, qui a vu naître l’industrie automobile, est passée de 1,5 million d’habitants dans les années 1970 à un peu plus de 600 000 aujourd’hui. En Pennsylvanie, une partie de la population fonde désormais ses espoirs sur l’industrie extractive du gaz naturel, bien que celle-ci soit controversée en raison des techniques utilisées (telles que le fracking) et de son impact environnemental.

La Caroline du Nord et la Géorgie se distinguent également par des caractéristiques spécifiques. En Géorgie, la région métropolitaine d’Atlanta continue de croître et s’impose comme un centre de services et d’affaires pleinement intégré aux processus de mondialisation, abritant des entreprises historiques telles que Delta, Coca-Cola, CNN, Home Depot et UPS, ainsi que des acteurs plus récents dans les secteurs de la finance, des communications et des batteries pour véhicules électriques.

En Caroline du Nord, l’État a beaucoup investi dans le développement du « triangle de la recherche » – un pôle regroupant trois grandes universités de recherche (Duke, UNC et NC State) et incubateur de nombreuses innovations de haute technologie – qui a transformé le profil socio-démographique de l’État en attirant des travailleurs qualifiés et éduqués, rendant l’État plus compétitif pour les démocrates. Bien qu’entre 1964 et 2020, Barack Obama a été le seul Démocrate à remporter la Caroline du Nord en 2008.

La plus grande agglomération de l’État, Charlotte, a vu sa population passer de moins de 1 million à près de 2,5 millions d’habitants en moins de vingt ans. Entre 2019 et 2023, la performance économique de la Caroline du Nord a été positive et supérieure à la moyenne nationale. Cette croissance reste toutefois inégale, avec un pourcentage élevé de comtés qui ne bénéficient pas de cette prospérité et où Donald Trump reste très populaire.


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Les matrices socio-économiques ne sont qu’un des facteurs expliquant les choix électoraux. L’avortement et les droits reproductifs, l’immigration, l’environnement, les minorités ethniques comme l’électorat arabo-américain dans le Michigan – ou la politique étrangère joueront également un rôle déterminant. Cependant, les sondages montrent que, cette année encore, les questions économiques restent le facteur principal influençant les décisions des électeurs.

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