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09.11.2025 à 12:19

L’hyperstition, un concept au cœur de la vision de Nick Land, idéologue des Lumières sombres autour de Trump

Arnaud Borremans, Chercheur associé à l'Institut de recherche Montesquieu (IRM), Université Bordeaux Montaigne

Nick Land est l’un des grands penseurs des Lumières sombres, pensée anti-démocratique qui imprègne la vision du monde d’une partie de l’entourage de Donald Trump et de la Big Tech.
Texte intégral (2630 mots)
La pensée de Nick Land influence profondément un certain nombre de milliardaires de la Silicon Valley proches de Donald Trump. Clarice Pelotas

Autour de Donald Trump, nous retrouvons bon nombre de personnalités influencées par l’idéologie des Lumières sombres. L’auteur de l’essai qui a donné son nom à cette école de pensée, Nick Land, demeure relativement peu connu mais ses travaux sont de plus en plus étudiés. Pour les comprendre, il est nécessaire de bien appréhender la notion d’hyperstition qu’il a forgée.


Philosophe britannique né en 1962, Nick Land est connu pour avoir popularisé l’idéologie de l’accélérationnisme. Son travail s’émancipe des conventions académiques et utilise des influences peu orthodoxes et même ésotériques.

Dans les années 1990, Land était membre de l’Unité de Recherche sur la Culture cybernétique (CCRU), un collectif qu’il a cofondé avec la philosophe cyber-féministe Sadie Plant à l’Université de Warwick et dont l’activité principale consistait à écrire de la « théorie-fiction ». À cette époque, Land a cherché, dans ses travaux, à unir la théorie post-structuraliste, principalement la pensée d’auteurs comme Marx, Bataille, Deleuze et Guattari, avec des éléments issus de la science-fiction, de la culture rave et de l’occultisme. Si la démarche de la CCRU en tant que telle était expérimentale, plusieurs éléments laissent penser rétrospectivement que Land y a insufflé des éléments relevant de sa propre idéologie.

Land a démissionné de Warwick en 1998. Après une période de disparition, il réapparaît à Shanghai où il réside toujours, sans reprendre de poste universitaire, devenant alors le penseur fondateur du mouvement (néo-) réactionnaire (NRx), connu sous le nom de Lumières sombres (Dark Enlightenment), du nom de son essai paru en 2013. Un ouvrage qui aura un impact majeur.

De l’importance des Lumières sombres et de Land en leur sein

Il est important aujourd’hui d’étudier l’idéologie des Lumières sombres car celle-ci est devenue très influente au sein de la droite radicale, spécialement aux États-Unis depuis le début du second mandat de Donald Trump.

Il s’agit d’une contre-culture de droite qui promeut la réaction politique et sociétale face au fonctionnement actuel des sociétés démocratiques, appelant notamment à un retour à une forme de féodalisme et à un cadre de valeurs conservatrices imprégné de religiosité, non pour elle-même mais en tant que garantie d’ordre social.

Pour autant, les promoteurs des Lumières sombres ne se veulent nullement passéistes : ils sont technophiles et capitalistes, deux considérations éminemment modernes et qu’ils cherchent à concilier avec leur démarche de réaction. D’où des tensions de plus en plus sensibles avec une bonne partie de la droite chrétienne au sein de la coalition MAGA (Make America Great Again) : de nombreuses personnalités conservatrices, qui se méfient de l’intelligence artificielle et même la diabolisent, se méfient de la fascination assumée des NRx pour cette technologie.

Il n’en demeure pas moins que les tenants des Lumières sombres sont indiscutablement influents au sein de MAGA, notamment parce qu’ils comptent dans leurs rangs le multimilliardaire Peter Thiel qui est non seulement un soutien électoral majeur de Donald Trump mais aussi un idéologue. Thiel cherche de plus en plus ouvertement à réconcilier les Lumières sombres avec la droite chrétienne, notamment en se réclamant du christianisme dans sa pensée politique, tout en y injectant des considérations accélérationnistes.

Or, Land fut justement le premier à théoriser dûment l’accélérationnisme, c’est-à-dire l’une des considérations qui fédèrent le plus les tenants des Lumières sombres : il faut un État fort, appuyé sur un ordre social rigide, en vue de faciliter le progrès technologique, lui-même alimenté par la croissance capitalistique.

Il faut préciser que, dans le modèle de Land, cela créera inévitablement une inégalité sociale amenant même, de par le recours à des augmentations technologiques du corps humain, à une séparation des élites, vouées à devenir une « race » à part ; tout le propos de Land est clairement antidémocratique et relève du darwinisme social.

Même si Land et les autres figures des Lumières sombres échangent peu, quand elles ne marquent pas leur incompréhension et même leur mépris réciproque, comme entre Land et le polémiste étatsunien Curtis Yarvin, Land est incontestablement influent au sein du mouvement et, par association, auprès de l’administration Trump II.

En-dehors de Peter Thiel qui, même s’il ne le cite pratiquement jamais, semble influencé par Land, notamment par sa démarche conciliant techno-capitalisme et mysticisme, l’un des relais les plus évidents du penseur britannique auprès du pouvoir étatsunien est Marc Andreessen, magnat de la tech devenu conseiller officieux du président Trump sur les nominations aux fonctions publiques. En effet, Andreessen s’est fendu en 2023 d’un « Manifeste techno-optimiste » dans lequel il cite nommément Land et partage sa conception du techno-capitalisme comme une entité autonome et même consciente, encourageant une production culturelle qui facilite sa propre expansion.

Visuel inséré dans la traduction française par le site techno-optimisme.com du chapitre « L’Avenir » du « Manifeste techno-optimiste » de Marc Andreesen. techno-optimisme.com

Cette dernière considération est intéressante puisqu’elle illustre la portée prise par le concept d’« hyperstition », élaboré par Land durant ses années au sein de la CCRU et qui se retrouve, en creux, dans sa pensée ultérieure, estampillée NRx.

La nature de l’hyperstition

Pour mieux comprendre la notion d’« hyperstition », le blog de Johannes Petrus (Delphi) Carstens, maître de conférences en littérature, à l’Université du Cap-Occidental (Afrique du Sud), et son entretien avec Nick Land constituent les meilleures vulgarisations disponibles.

Comme le rappelle Carstens, cette approche considère les idées comme des êtres vivants qui interagissent et mutent selon des schémas très complexes et même totalement incompréhensibles, tels que des « courants, interrupteurs et boucles, pris dans des réverbérations d’échelle ». Carstens définit l’hyperstition comme une force qui accélère les tendances et les fait se concrétiser, ce qui explique en soi pourquoi l’hyperstition est cruciale pour la pensée politique de Land puisque cette dernière est accélérationniste. Carstens précise que les fictions participent de l’hyperstition parce qu’elles contribuent à diffuser des idées et renforcent ainsi l’attrait pour leur concrétisation. Par exemple, durant son entretien avec Land, Carstens présente l’Apocalypse non pas comme une révélation sur l’avenir mais comme un narratif qui invite les gens à le réaliser.

En outre, Carstens approfondit la nature en propre de l’hyperstition. Tout d’abord, il rappelle le lien entre l’hyperstition et le concept de « mèmes », mais précise que les hyperstitions sont une sous-catégorie très spécifique d’agents mémétiques puisqu’elles sont supposées participer de la confusion postmoderne dans laquelle tout semble « s’effondrer », selon Land et les autres auteurs de la CCRU. D’après les explications de Carstens, notamment via ses citations de Land, le capitalisme est l’un des meilleurs exemples d’hyperstition et même le premier d’entre tous, puisqu’il contribue puissamment à l’accélération postmoderne et facilite ainsi toutes les autres dynamiques hyperstitionnelles.

Ensuite, Carstens souligne la dimension occultiste de l’hyperstition, assumée par Land lui-même. Selon ce dernier, les hyperstitions sont constituées de « nombreuses manipulations, du fait de “sorciers”, dans l’histoire du monde » ; il s’agit de « transmuter les fictions en vérités ». Autrement dit, les hyperstitions sont en réalité « des idées fonctionnant de manière causale pour provoquer leur propre réalité ». Land précise même que les hyperstitions « ont, de manière très réelle, “conjuré” leur propre existence de par la manière qu’elles se sont présentées. » Par exemple, Land et ses co-auteurs de la CCRU présentaient dans leurs théories-fictions le « bug de l’an 2000 » non pas comme une panique injustifiée mais comme un narratif qui aurait pu provoquer un véritable effondrement de la civilisation moderne, ce qui aurait requis un contre-narratif puissamment asséné par les autorités pour calmer les populations.

Enfin, Land insiste sur le fait que l’hyperstition est un outil opérationnel, c’est-à-dire « la (techno-) science expérimentale des prophéties auto-réalisatrices ». Dès lors, Land instille la tentation de manipuler l’hyperstition pour procéder à de l’action politique, notamment en produisant et en propageant des narratifs de manière à les rendre viraux et à atteindre, pour ne pas dire « contaminer », autant d’esprits que possible.

Le rôle de l’hyperstition dans la néo-réaction

Même si Land n’a jamais mentionné l’Ordre architectonique de l’Eschaton (AOE) dans son essai de 2013, sa vision du mouvement NRx correspondait si bien aux intentions et aux comportements de ce groupe fictif inventé par la CCRU que l’hypothèse qu’il aurait servi de modèle à Land mérite d’être examinée. Même si la CCRU, majoritairement constituée de militants de gauche, présentait l’AOE comme une force malfaisante parce que conservatrice et même réactionnaire, il est envisageable que Land ait contribué à forger ce narratif au contraire pour exprimer sa propre sensibilité, qu’il gardait alors pour lui. Dès lors, l’AOE apparaît non plus comme une tentative d’action sur l’hyperstition pour nuire aux forces réactionnaires, en les dénonçant, mais comme une manière de les sublimer en un idéal-type à atteindre.

Selon la diégèse créée par la CCRU, l’AOE est une société plus que secrète. Elle est également décrite comme une « fraternité blanche », un cercle ésotérique strictement clandestin qui se manifeste au monde au travers d’organisations-satellites, même si ces dernières semblent se concurrencer les unes les autres.

Des liens évidents entre l’AOE et les Lumières sombres apparaissent lorsque nous lisons sa représentation dans les théories-fictions de la CCRU. L’AOE est décrit comme une organisation de mages dont les racines remontent à la mythique Atlantide, « source de la tradition hermétique occidentale », et qui considère l’histoire post-atlante comme prédestinée et marquée par la décadence. Cependant, l’AOE ne se résume pas à un ordre ésotérique qui n’agirait qu’au travers de la magie : la CCRU le décrit aussi comme une organisation politique avec des ressources importantes et une intention de remodeler le monde, y compris par des moyens autoritaires et violents.

L’Atlantide et l’AOE sont donc des idéalisations précoces des attentes de Land en termes de politique, notamment en mariant son goût pour la magie avec la réaction et l’autoritarisme. L’hyperstition apparaît dès lors comme une clé de voûte pour les militants néo-réactionnaires, à la fois comme un moyen et comme une fin : leur objectif même devrait être d’aider à la réalisation de l’AOE comme modèle, en diffusant cette fiction et en subjuguant les gens avec ce narratif. Les néo-réactionnaires espèrent qu’en assénant que la réaction est acquise par une forme de providence, qu’elle est sanctuarisée par une puissante société secrète et que celle-ci va dans le sens de leurs propres idées, cela confortera la conviction de leurs propres sympathisants et démobilisera les rangs des forces adverses.

The Conversation

Arnaud Borremans ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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08.11.2025 à 11:23

Le problème des « méga-COP » : une conférence de 50 000 personnes peut-elle encore lutter contre le changement climatique ?

Dr Hayley Walker, Assistant Professor of International Negotiation, IÉSEG School of Management

Des dizaines de milliers de personnes sont attendues à la COP30 au Brésil. Pourront-elles toutes se faire entendre ?
Texte intégral (2150 mots)

Les COP attirent désormais des dizaines de milliers de participants. Une affluence qui pose de nombreux problèmes, et qui doit être réduite, à la fois pour que l’empreinte carbone d’un événement centré sur la lutte contre le réchauffement climatique ne soit pas démesurée et pour que les participants ne soient pas frustrés, ce qui ne peut qu’avoir un effet délétère sur leur participation ultérieure à le mise en œuvre des mesures adoptées durant les COP.


Les gouvernements du monde entier se réuniront bientôt à Belém au Brésil, pour la 30e Conférence des Parties (COP30), accompagnés de nombreux représentants du monde de l’industrie et des entreprises, de la société civile, d’instituts de recherche, d’organisations de jeunesse et de groupes de peuples autochtones – liste non exhaustive.

Depuis l’adoption de l’accord de Paris sur le changement climatique en 2015, le nombre de participants à la COP a explosé. La COP28 à Dubaï a réuni 83 884 participants, un record, et bien que ce nombre soit tombé à 54 148 lors de la COP29 à Bakou l’année dernière, il est resté bien supérieur à celui de la COP21 à Paris.

Les récentes « méga-COP » ont été critiquées pour leur énorme empreinte carbone. La recherche sur la participation des acteurs non étatiques aux COP que nous avons menée avec Lisanne Groen de l’Open Universiteit (Heerlen, Pays-Bas) identifie deux autres problèmes.

Premièrement, la quantité de participants nuit à la qualité de la participation, car un grand nombre d’acteurs non étatiques sont contraints de se disputer un nombre limité de salles de réunion, de créneaux horaires pour l’organisation d’événements parallèles, d’occasions de s’exprimer publiquement et de chances d’entrer en dialogue avec les décideurs. Deuxièmement, la tendance aux « méga-COP » creuse un fossé entre, d’une part, les attentes de ces acteurs en termes d’impact qu’ils espèrent avoir sur le déroulement des événements et, d’autre part, la réalité des faits.

Réduire le nombre de participants d’une façon équitable

En ce qui concerne le premier problème, la solution évidente consiste à réduire la taille des COP, mais cela n’est pas si facile dans la pratique. La décision d’organiser la COP30 dans la ville amazonienne de Belém, difficile d’accès et ne disposant que de 18 000 lits d’hôtel, a été considérée comme une tentative de dépasser ce qu’on a appelé le « pic COP »

Des dizaines de milliers de participants, qui ne semblent pas découragés par l’éloignement du lieu, sont tout de même attendus, mais l’offre limitée de lits a provoqué une flambée des prix, ce qui soulève des inquiétudes quant aux coûts et à leur effet potentiel sur « la légitimité et la qualité des négociations », comme le rapporte Reuters.

À mesure que les COP ont pris de l’ampleur, elles ont suscité de plus en plus d’attention de la part des milieux politiques et des médias, au point d’être désormais considérées comme « un événement où il faut absolument être présent ». Cela incite les organisations non gouvernementales et d’autres acteurs non étatiques à y participer. Tout comme la force gravitationnelle des grands corps massifs attire d’autres objets vers eux, la masse des « méga-COP » attire un nombre croissant de participants, en un cycle qui ne cesse de se renforcer et devient difficile à briser.

La force gravitationnelle des « méga-COP ». Hayley Walker, Fourni par l'auteur

Selon nous, la manière la plus équitable de réduire la taille des COP consisterait à mettre en lumière la catégorie peu connue des participants « excédentaires ». Cette catégorie permettait autrefois aux gouvernements d’ajouter des délégués aux événements sans que leurs noms n’apparaissent sur les listes de participants, mais leurs noms sont désormais rendus publics depuis l’introduction de nouvelles mesures de transparence en 2023. Lors de la COP28, il y avait 23 740 participants « excédentaires ». Il ne s’agit pas de négociateurs gouvernementaux, mais souvent de chercheurs ou de représentants de l’industrie qui entretiennent des liens étroits avec les gouvernements.

Les COP sont des processus intergouvernementaux : elles sont créées par les gouvernements, pour les gouvernements. Par conséquent, la priorité est donnée aux demandes d’accréditation émanant des gouvernements.

Ce n’est qu’une fois toutes les demandes gouvernementales satisfaites que les accréditations restantes peuvent être attribuées à des acteurs non étatiques admis, appelés « observateurs ».

Les participants excédentaires bénéficient d’accréditations au détriment de ces organisations observatrices. Faire pression sur les gouvernements pour qu’ils limitent ou suppriment la catégorie des participants excédentaires permettrait donc de libérer beaucoup plus de badges pour les observateurs tout en réduisant le nombre total de participants à la COP de manière plus équitable.

L’écart entre les attentes des participants et la réalité des COP

Le deuxième problème, celui de l’écart entre les attentes des acteurs et ce qui se passe concrètement durant les COP, est lié à une conception de plus en plus erronée du rôle des acteurs non étatiques dans le processus de négociation des politiques climatiques.

Les États souverains sont les seuls acteurs légitimes pour négocier et adopter le droit international. Le rôle des acteurs non étatiques est d’informer et de mener des actions de plaidoyers, mais pas de négocier. Pourtant, ces dernières années, certains groupes d’acteurs non étatiques ont multiplié les appels pour obtenir « une place à la table des négociations » dans l’espoir de pouvoir participer aux réunions sur un pied d’égalité avec les gouvernements.

Ce discours, largement amplifié sur les réseaux sociaux, conduit inévitablement à la frustration et à la déception lorsque ces acteurs sont confrontés à la réalité des négociations intergouvernementales.

Nous constatons ce décalage en particulier chez les acteurs non étatiques qui sont nouveaux dans le processus. Les « méga-COP » attirent de plus en plus de nouveaux participants, qui ne disposent peut-être pas des ressources, notamment du savoir-faire et des contacts, nécessaires pour atteindre efficacement les décideurs politiques. La désillusion croissante de ces participants sape la légitimité des COP ; or cette légitimité est un atout précieux dans un contexte géopolitique où elles sont confrontées aux défis posés par l’administration Trump, mais risque également de gaspiller les idées et l’enthousiasme précieux apportés par les nouveaux venus.

Se concentrer sur la mise en œuvre des décisions

Nous voyons deux solutions. Premièrement, les initiatives visant à renforcer les capacités peuvent sensibiliser à la nature intergouvernementale des négociations et aider les nouveaux participants à s’engager efficacement. L’un de ces outils est le « Guide de l’observateur » de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). De nombreuses organisations et personnes produisent leurs propres ressources pour aider les nouveaux participants à comprendre le fonctionnement du processus et la manière de s’impliquer. Deuxièmement, et de manière plus fondamentale, il convient de détourner l’attention des responsables politiques, des médias et du public des négociations en tant que telles pour la diriger vers le travail essentiel de mise en œuvre des politiques climatiques.

Les COP sont bien plus que de simples négociations : elles constituent également un forum qui rassemble les nombreux acteurs qui mettent en œuvre des mesures climatiques sur le terrain afin qu’ils puissent apprendre les uns des autres et créer une dynamique. Ces activités, qui se déroulent dans une zone dédiée de la COP appelée « Programme d’action », revêtent une importance capitale maintenant que les négociations sur l’accord de Paris ont abouti et qu’un nouveau chapitre axé sur la mise en œuvre s’ouvre. Si le rôle des acteurs non étatiques dans les négociations intergouvernementales est plutôt limité, il est en revanche central lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre des mesures décidées lors des COP. Les actions des villes, des régions, des entreprises, des groupes de la société civile et d’autres acteurs non étatiques peuvent contribuer à combler l’écart entre les objectifs de réduction des émissions fixés par les gouvernements et les réductions qui seront nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

La question clé est donc de concentrer l’énergie et l’attention des acteurs sur le programme d’action et la mise en œuvre des politiques, de façon à leur donner suffisamment d’importance pour qu’ils exercent leur propre force d’attraction et déclenchent une dynamique positive en faveur de l’action climatique. Il est encourageant de voir la présidence brésilienne qualifier la COP30 de « COP de la mise en œuvre » et appeler à un « Mutirão », un sentiment collectif d’engagement et d’action sur le terrain qui ne nécessite pas une présence physique à Belém. Cela permet à la fois de résoudre les problèmes liés aux « méga-COP » et de canaliser l’énergie collective vers les domaines qui en ont le plus besoin.

The Conversation

Dr Hayley Walker ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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06.11.2025 à 16:44

Le Mali bientôt sous contrôle djihadiste ? Analyse d’une rhétorique alarmiste

Boubacar Haidara, Chercheur sénior au Bonn International centre for conflict studies (BICC) ; Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux., Université Bordeaux Montaigne

Au Mali, les djihadistes du JNIM s’en prennent à l’approvisionnement en carburant de Bamako, mais de là à s’emparer de la ville et de l’ensemble du pays, il y a un pas qu’ils semblent encore très loin de pouvoir franchir.
Texte intégral (2612 mots)

Au Mali, Les djihadistes parviennent à s’emparer de petites localités rurales et à commettre des attaques meurtrières. Ils arrivent aussi à incendier une partie des camions-citernes destinés à Bamako. Mais à ce stade, ils sont loin d’avoir les moyens de prendre la capitale.


Début septembre 2025, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin, JNIM) a annoncé – par la voix de son porte-parole pour les actions dans le sud et l’ouest du Mali, connu sous le pseudonyme Abou Hamza al-Bambari, mais désigné par les Maliens sous le nom de Nabi ou Bina Diarra – un embargo sur le carburant destiné à la capitale malienne Bamako.

Cette décision s’inscrivait dans une logique de représailles face à l’interdiction imposée plus tôt par le gouvernement malien à la vente de carburant dans certaines localités, dans le but d’entraver les circuits d’approvisionnement des groupes djihadistes. Cet élément revêt une importance essentielle pour appréhender les intentions réelles du JNIM.

Depuis, le JNIM a mis sa menace à exécution en menant des attaques répétées contre les convois de camions-citernes reliant Dakar et Abidjan, sources d’approvisionnement en carburant pour Bamako.

Si le groupe est parvenu à infliger des pertes significatives en détruisant de nombreux camions-citernes, le blocus qu’il exerce n’est toutefois pas totalement hermétique. En effet, certains convois, bénéficiant de l’escorte des forces armées maliennes (Fama) , parviennent encore à rejoindre Bamako, bien que leur nombre soit insuffisant pour satisfaire la demande nationale. La situation est d’autant plus critique que l’approvisionnement en carburant de plusieurs régions, notamment Ségou et Mopti (dans le centre du pays), dépend du passage préalable des camions-citernes par la capitale.

La tâche est particulièrement difficile pour les Fama, qui affrontent des ennemis « invisibles », très mobiles, et ayant l’avantage de la guerre asymétrique. Concrètement, cela veut dire que le JNIM n’a besoin que de positionner quelques dizaines de combattants à des points stratégiques des axes routiers concernés pour qu’ils ouvrent le feu sur les camions-citernes de passage. Même escortés par les Fama, ces convois restent exposés, le caractère hautement inflammable du carburant rendant toute opération de protection particulièrement risquée.

Cette situation a entraîné des conséquences particulièrement graves, le carburant étant au cœur de toutes les activités du pays. Les scènes impressionnantes de camions-citernes en feu le long des routes, de foules de Maliens se ruant vers les rares stations encore approvisionnées et de files interminables de véhicules attendant d’être servis ont donné l’image d’une paralysie totale de la capitale, ainsi que d’autres villes de l’intérieur.

Ce climat de crise a nourri certaines des hypothèses les plus alarmistes. Le Wall Street Journal – suivi d’autres médias – a par exemple titré, à propos du Mali : « Al-Qaida est sur le point de prendre le contrôle d’un pays ». Dans la foulée, plusieurs gouvernements – notamment ceux des États-Unis, de l’Italie, du Royaume-Uni ou encore de l’Allemagne – ont appelé leurs ressortissants à quitter immédiatement le Mali.

En réalité, l’hypothèse de « la filiale locale d’Al-Qaida » qui renverserait le pouvoir malien n’est pas nouvelle. Elle figurait déjà parmi les « scénarios noirs » envisagés par l’armée française en 2023.

Le Mali va-t-il bientôt être gouverné par le JNIM ?

Ce scénario apparaît, à ce stade, hautement improbable.

Comme indiqué précédemment, la crise que connaît actuellement le Mali, consécutive aux récentes actions du JNIM autour de Bamako, ne saurait être considérée comme la démonstration d’un déploiement de moyens militaires exceptionnels susceptibles de permettre la prise de la capitale. On pourrait même penser que le JNIM lui-même a été surpris par l’ampleur inattendue des conséquences de ses actions autour de Bamako, lesquelles, en réalité, ne requéraient pas de moyens militaires particulièrement importants.

Au-delà de cet aspect, aucun élément crédible – depuis la création du JNIM en 2017, et à la lumière de l’analyse de son modus operandi au Mali – ne permet de soutenir raisonnablement une telle hypothèse à court ou moyen terme.

L’annonce alarmiste d’une éventuelle prise de contrôle du Mali par ce groupe, dans la perspective de gouverner le pays, revient à accorder une importance excessive aux conséquences, certes spectaculaires, d’une crise ponctuelle, plutôt qu’à une évaluation globale des actions du JNIM, et des capacités réelles que révèle sa force militaire observable.

La pertinence du modus operandi du JNIM face aux exigences de la gouvernance urbaine

Pour rappel, au déclenchement de la guerre au Mali en 2012, plusieurs groupes djihadistes avaient pris le contrôle de zones urbaines dans le nord du pays, à une période où l’armée malienne se distinguait par une faiblesse particulièrement marquée.

Au cours des années suivantes, le Mali a connu de nombreuses interventions internationales, tant civiles que militaires, qui se sont poursuivies jusqu’à la fin de l’année 2022. Durant cette période, les Forces armées maliennes (FAMa) ont considérablement augmenté leurs effectifs, bénéficié de programmes de formation et acquis une expérience opérationnelle soutenue par une guerre continue depuis 2012. Le renforcement du partenariat militaire avec la Russie, amorcé à la fin de 2021, leur a en outre permis de réaliser d’importantes acquisitions en matière d’armement terrestre et aérien, transformant profondément leurs capacités et leur image par rapport à celles qu’elles présentaient en 2012.

Le principal défi auquel sont confrontées les Fama réside dans leurs contraintes numériques en matière de déploiement sur un territoire national particulièrement vaste – plus de 1 240 000 km2. Cette réalité a offert au JNIM, ainsi qu’à d’autres groupes armés similaires, l’opportunité d’établir leurs bastions dans de nombreuses localités rurales. Malgré cette situation, le JNIM – dont les effectifs sont estimés entre 5 000 et 6 000 combattants – n’a toutefois jamais réussi à s’emparer d’un chef-lieu de région ni même de cercle (subdivision de la région), que ce soit dans le centre ou dans le nord du Mali, pourtant considérés comme ses zones d’influence privilégiées.

Une question s’impose dès lors : pourquoi le JNIM choisirait-il d’ignorer ces étapes intermédiaires – pourtant essentielles à toute préparation en vue d’une éventuelle gouvernance du Mali – pour tenter de s’emparer directement de Bamako, une capitale de 3,5 millions d’habitants abritant une forte concentration de camps militaires et représentant, de ce fait, un objectif particulièrement ambitieux ? La réponse semble évidente. Si le JNIM parvient à imposer son emprise dans les zones rurales, c’est avant tout en raison de l’absence des Fama, une situation bien différente de celle observée dans les centres urbains, où la présence de l’État et des forces armées demeure plus marquée.

Cela étant, il convient de préciser qu’il existe très peu, voire aucune, ville malienne où le JNIM serait incapable de mener des attaques surprises contre les Fama ou d’autres symboles de l’État. Les attaques conduites contre le camp de Kati en juillet 2022, l’aéroport ou encore l’école de gendarmerie de Bamako en septembre 2024 en sont des exemples révélateurs. Ces actions sont rendues possibles par la nature même de la guerre asymétrique, qui confère au groupe un avantage tactique certain.

Certaines attaques dirigées contre des camps militaires se sont caractérisées par un degré de violence particulièrement élevé. C’est par exemple le cas de celle qui a visé le camp de Boulikessi, le 1er juin 2025, à l’issue de laquelle le JNIM a annoncé avoir tué plus de 100 soldats maliens, sans compter ceux qui auraient été capturés. Le surnombre de combattants du JNIM mobilisés à ces occasions, conjugué à l’effet de surprise, a souvent réduit considérablement les capacités de riposte des forces visées. Néanmoins, il apparaît hasardeux de déduire, sur la seule base de ce type de succès tactiques, que le JNIM dispose d’une capacité militaire suffisante pour prendre le contrôle du Mali.

À ce mode opératoire du JNIM s’ajoute la mise en œuvre récurrente de blocus imposés à certaines localités – la même méthode actuellement appliquée à Bamako, mais déjà expérimentée dans plusieurs autres zones du pays.

Comment fonctionne un blocus, concrètement ?

Lorsqu’il souhaite sanctionner une localité donnée, pour une raison ou une autre, le JNIM instaure un blocus en interdisant tout mouvement vers ou depuis celle-ci. Quelques combattants suffisent souvent pour patrouiller les environs et tirer sur toute personne tentant de franchir la zone. Progressivement, la localité ainsi isolée se retrouve privée de produits essentiels et confrontée à des pénuries croissantes. L’intervention de l’armée dans ce type de situation s’avère particulièrement complexe, car elle fait face à un ennemi invisible : les combattants du JNIM se dispersent dès qu’ils se sentent menacés par l’approche des Fama, et réapparaissent dès que les conditions leur deviennent favorables.

Il ne s’agit donc pas de groupes territorialisés assurant une présence permanente, mais d’unités mobiles et insaisissables, évitant tout affrontement direct avec les forces armées. Confrontées à la difficulté de sortir de telles situations et pour mettre fin à leurs souffrances, plusieurs localités placées sous blocus ont finalement accepté de signer des accords avec le JNIM, s’engageant à respecter les règles qu’il imposait. Il s’agit des fameux « accords locaux de paix », désormais conclus sous forte contrainte dans de nombreuses localités maliennes. L’accord le plus emblématique est celui conclu à Farabougou, qui avait abouti à la levée du blocus imposé par le JNIM sur la localité.

Selon les contextes, ces arrangements imposent aux populations locales divers engagements : versement de la zakat au profit du JNIM, fermeture des écoles, adoption d’un code vestimentaire strict, séparation des hommes et des femmes, libre circulation des combattants armés dans le village, ainsi que la possibilité pour eux de prêcher dans les mosquées. Dans certains cas, les djihadistes exigent également que les habitants leur servent d’informateurs contre les Fama. Ce mécanisme explique en grande partie le renforcement du JNIM dans les zones rurales, en l’absence d’un déploiement effectif des forces de défense et de sécurité.

Le mode opératoire du JNIM, tel que détaillé ci-dessus, n’indique pas qu’il dispose d’une capacité militaire lui permettant de prendre le contrôle d’une ville de l’ampleur de Bamako, hormis dans l’éventualité où le groupe démontrerait, de manière inattendue, une puissance militaire jusque-là inconnue, surpassant celle des Fama. Une telle évolution impliquerait également un changement majeur dans sa conduite de la guerre, passant d’opérations asymétriques à un affrontement conventionnel, exposant alors les combattants du JNIM à la pleine force de frappe de l’armée malienne.

Chute du pouvoir ou prise de Bamako : quel est l’objectif réel ?

Au regard de ce qui précède, il paraît plus raisonnable de considérer que le JNIM chercherait davantage à provoquer la chute du pouvoir qu’à s’emparer de Bamako, misant sur l’éventualité qu’une aggravation des difficultés liées à la crise du carburant puisse susciter un soulèvement populaire contre les autorités en place.

Le cas échéant, il convient de noter qu’une telle anticipation pourrait produire l’effet inverse de celui recherché, en renforçant plutôt la solidarité des Maliens autour du pouvoir face au JNIM ; une tendance déjà observable à Bamako malgré les difficultés. En tout état de cause, l’hypothèse d’une prise de pouvoir par le JNIM n’est pas du tout envisagée à Bamako, une ville dont le mode de vie reste, pour l’essentiel, aux antipodes des exigences d’une éventuelle gouvernance du groupe, basée sur l’application stricte d’une vision rigoriste de l’islam.

En conclusion, l’analyse du modus operandi du JNIM, de sa capacité militaire et de son implantation territoriale montre que le groupe demeure essentiellement limité aux zones rurales, où l’absence des forces de défense et de sécurité lui permet d’exercer une influence relative. Les tactiques qu’il déploie – blocus, attaques surprises et accords locaux de paix sous contrainte – bien qu’efficaces pour asseoir son contrôle local, ne traduisent en rien une capacité à prendre le contrôle d’une grande ville comme Bamako ni à gouverner un État complexe.

Les forces armées maliennes, renforcées et mieux équipées depuis 2012, continuent de constituer un obstacle majeur à toute expansion urbaine du JNIM. Par ailleurs, la société bamakoise, attachée à un mode de vie largement incompatible avec l’application d’une vision rigoriste de l’islam, limite l’attrait d’un éventuel contrôle du groupe sur la capitale. Bien que le JNIM puisse continuer à exercer une pression asymétrique et ponctuelle, et parfois spectaculaire, l’hypothèse d’une prise de pouvoir dans les centres urbains reste hautement improbable, et l’impact stratégique du groupe doit être évalué à l’aune de ses forces réelles et de ses contraintes opérationnelles.

The Conversation

Boubacar Haidara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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