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08.04.2025 à 16:42

Droits de douane et nostalgie impériale : la vision économique très politique de Donald Trump

Jérôme Viala-Gaudefroy, Spécialiste de la politique américaine, Sciences Po

La confrontation avec le reste du monde, adversaires et alliés confondus, est au cœur de la politique de Donald Trump. Sa salve de droits de douane doit être comprise à cette aune.
Texte intégral (2039 mots)

La proclamation tonitruante par Donald Trump, le 2 avril dernier, d’une hausse brutale des tarifs douaniers à l’encontre de très nombreux pays du monde ne répond pas uniquement à une (très discutable, par ailleurs, comme l’atteste son revirement partiel annoncé quelques jours plus tard) logique économique. Elle s’inscrit pleinement de la vision du monde éminemment conflictuelle chère au locataire de la Maison Blanche.


Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a lancé une nouvelle salve de droits de douane sans précédent aussi bien par leur ampleur que par leurs cibles. Alliés traditionnels et rivaux stratégiques sont désormais logés à la même enseigne, dans ce qui constitue un tournant radical de la politique commerciale états-unienne. Ce durcissement n’est cependant pas une rupture totale : il prolonge les orientations de son premier mandat en les amplifiant et en affichant une volonté de toute-puissance sans limites.

Comme en 2017, quand il parlait du « carnage américain », Trump brosse un portrait apocalyptique des États-Unis, réduits selon lui à une nation « pillée, saccagée, violée et spoliée ». À ce récit dramatique s’oppose une double promesse : celle d’une « libération » et d’un « âge d’or » restauré.


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Les droits de douane deviennent ainsi les armes d’une croisade nationaliste où chaque importation est une atteinte à la souveraineté, et chaque exportation un acte de reconquête.

Une vision autoritaire du commerce international

Cette doctrine commerciale de Trump s’inscrit dans une stratégie plus large caractérisée par la confrontation, la centralisation du pouvoir exécutif et une conception néo-impériale de l’économie mondiale. Loin de viser uniquement la protection de l’industrie nationale, ses mesures tarifaires cherchent à refaçonner l’ordre global selon sa propre grille de lecture des intérêts de son pays. Ce deuxième acte de la révolution trumpiste est moins une répétition qu’une accélération : celle d’un projet autoritaire fondé sur le rejet du multilatéralisme – comme en témoigne le mépris total de l’administration actuelle à l’égard de l’Organisation mondiale du commerce – et la glorification d’une souveraineté brute.

Les justifications chiffrées de ces politiques semblent à la fois fantaisistes et révélatrices. Les méthodes de calcul avancées – la division du déficit commercial bilatéral par le volume des importations – servent d’abord à frapper les pays avec lesquels les États-Unis ont un déficit commercial. Officiellement, trois objectifs sont visés : réduire ces déficits, relocaliser la production et accroître les recettes fédérales.

Mais cette trilogie économique masque une visée politique plus profonde : renforcer l’autorité présidentielle et imposer un ordre international fondé sur la domination plutôt que sur la coopération.

L’arme tarifaire, outil de pouvoir et de communication

L’expérience du premier mandat de Trump a montré les limites de cette stratégie. La guerre commerciale contre la Chine, en particulier, a provoqué une hausse des prix pour les consommateurs, désorganisé les chaînes d’approvisionnement et lourdement pénalisé les exportateurs agricoles. Une étude a estimé que ce sont les consommateurs états-uniens qui ont absorbé la majorité de ces coûts, avec une augmentation moyenne de 1 % des prix des biens manufacturés.

Trump n’est pas un chef d’État dont l’action s’inscrit dans le cadre du multilatéralisme. Il agit en seigneur solitaire, distribuant récompenses et sanctions au gré de ses intérêts politiques, voire personnels. Les droits de douane deviennent alors autant des messages médiatiques que des outils économiques. Présentés comme des « tarifs réciproques », ils construisent une narration simplifiée et percutante : celle d’un justicier qui redresse les torts infligés à des citoyens trahis par le libre-échange.

Ce récit est particulièrement populaire chez les ouvriers du secteur industriel, comme l’automobile. Il permet de désigner des coupables comme la Chine, l’Europe, ainsi que les élites nationales qui ont soutenu le libre-échange. Il transforme de fait le commerce en affrontement moral. Il ne s’agit plus de négocier mais de punir. Dans cette logique, la hausse spectaculaire des tarifs douaniers ne relève plus de l’économie, mais devient une question de souveraineté voire de puissance symbolique.

D’une obsession personnelle à une doctrine d’État

Ce protectionnisme n’a rien d’improvisé : il s’inscrit dans une obsession de longue date chez Donald Trump. En 1987, il dénonçait déjà les excédents commerciaux avec le Japon et appelait à imposer des droits de douane significatifs à Tokyo. Il parlait d’escroquerie et exprimait une forme de paranoïa face à l’idée que les États-Unis puissent être humiliés ou lésés. Cette attitude révèle sa volonté tenace de reprendre l’avantage, de « gagner » dans un monde qu’il perçoit comme fondamentalement conflictuel et hostile. C’est l’une des rares constantes chez Trump, qui n’est pas un idéologue, et qui, sur bien d’autres sujets, n’hésite pas à opérer des revirements spectaculaires.

Désormais, tout devient enjeu de souveraineté : terres rares, minerais stratégiques, données, routes maritimes. Cette vision rappelle le tournant impérialiste de la fin du XIXe siècle, notamment la présidence McKinley (1897-1901), que Trump a d’ailleurs célébrée lors de son discours d’investiture.

C’est dans cette logique qu’il faut comprendre certaines initiatives provocatrices : volonté d’acheter le Groenland, pressions sur le Canada pour accéder à ses ressources, ou encore intérêts miniers en Ukraine. Une idée implicite s’impose : les ressources sont limitées, et il faut s’assurer une part maximale du gâteau avant qu’il ne disparaisse. Dans cet univers concurrentiel perçu comme un jeu à somme nulle — quand il y a un gagnant, c’est qu’il y a forcément un perdant —, la domination remplace la coopération.

Vers un mercantilisme techno-nationaliste

Dans cette logique, la concurrence devient une menace à neutraliser plutôt qu’un moteur de progrès. L’objectif n’est pas d’élever la compétitivité des États-Unis, mais d’étouffer celle des rivaux. La vision qui préside à cette politique n’est plus celle d’un État démocratique jouant plus ou moins selon les règles du marché mondial, du moins dans le discours, mais celle d’une entreprise cherchant ostensiblement à imposer son monopole.

Ce virage autoritaire trouve un écho dans l’univers intellectuel trumpiste. Peter Thiel, mentor du vice-président J. D. Vance, affirme par exemple que « le capitalisme et la concurrence sont opposés », plaidant pour la suprématie des monopoles. Ainsi, les coupes drastiques dans l’appareil d’État fédéral et les dérégulations ne sont pas justifiées par une foi dans le libre marché, mais par un désir de contrôle et d’hégémonie.

L’objectif n’est plus d’intégrer les flux mondiaux, mais de les contourner. Il s’agit de construire une forme d’autarcie impériale, où l’Amérique dominerait une sphère d’influence fermée, protégée de la concurrence. Ce mercantilisme contemporain ne parle plus d’or ou d’argent, mais de données, d’infrastructures, de dollars et de cryptomonnaie. Il troque la coopération contre la coercition.

Vers un ordre international autoritaire ou un désastre politique ?

L’annonce du 2 avril 2025 ne peut être réduite à une mesure économique. Elle constitue un acte politique majeur, un jalon dans l’édification d’un nouvel ordre mondial fondé sur la force et la loyauté, au détriment du droit et de la coopération.

La continuité avec le premier mandat est claire. Mais l’ampleur, la radicalité et la centralisation du pouvoir marquent une rupture nette. D’ailleurs, Trump considère plus que jamais l’État comme sa propriété (ou son entreprise) personnelle, une forme de patrimonialisme. Le président impose un modèle autoritaire, où le commerce est une arme dans une guerre froide mondiale, nourrie par la peur du déclin et l’obsession du contrôle. Dans ce contexte, la prospérité cesse d’être un horizon collectif pour devenir un privilège réservé aux puissants.

Une telle dynamique pourrait se révéler politiquement explosive selon la résistance de Donald Trump à la chute des marchés financiers et à une probable inflation qui risquent de fragiliser le pouvoir exécutif.

Si, à l'issue de la période de 90 jours de suspension des droits de douane à laquelle il s'est résolue le 9 avril, il persiste dans son intransigeance malgré une baisse déjà sensible de sa popularité, les élus républicains au Congrès pourraient, sous la pression de leur base et de leurs donateurs, reprendre leur rôle de contre-pouvoir. Déjà, les premières critiques internes émergent, tandis que monte une colère populaire encore diffuse, mais palpable, contre le pouvoir.

The Conversation

Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

07.04.2025 à 16:52

Donald Trump, défenseur du sport féminin, vraiment ?

Mathieu Maisonneuve, Professeur de droit public, Aix-Marseille Université (AMU)

Retour sur le très controversé décret de Donald Trump interdisant aux femmes transgenres de prendre part à des compétitions sportives féminines.
Texte intégral (2136 mots)

Un décret signé par Donald Trump vise à interdire aux femmes transgenres de participer à toute compétition sportive, quel que soit le sport, et y compris au niveau amateur. Derrière une justification centrée sur la protection des femmes sportives, qui seraient confrontées à une concurrence déloyale si elles affrontaient des femmes transgenres, il y a une vision idéologique qui, pour Washington, a vocation à être appliquée dans le monde entier.


Le 5 février dernier, le président Trump a signé un décret visant à « maintenir les hommes en dehors du sport féminin ». Son but est clair : en faire bannir les personnes trans MtF (Male to Female). Selon ce texte, les compétitions féminines devraient être réservées aux personnes « appartenant, au moment de la conception, au sexe qui produit les grandes cellules reproductives », à savoir les ovocytes. Exit donc les femmes trans (puisqu’elles sont nées de sexe masculin), et même la plupart des femmes intersexes (lesquelles présentent des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas à la division binaire des sexes).

Que l’on ne s’y trompe pas. L’équité des compétitions féminines ou l’intégrité physique des autres participantes, que la participation des femmes trans menacerait et que le décret mentionne pour justifier leur exclusion radicale, ne sont que des prétextes. Si le sujet divise politiquement, il existe au moins une certitude scientifique et juridique : de tels objectifs, pour légitimes qu’ils sont, ne peuvent rationnellement justifier le bannissement de toutes les sportives transgenres, quels que soient leur parcours de transition et leur âge, dans tous les sports, à tous les niveaux de compétition.

Un décret contestable du point de vue juridique

Comparer physiquement à des hommes cisgenres les femmes trans ayant, en plus d’une transition sociale, effectué une transition hormonale (ou eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle) repose sur une fausse équivalence. Traiter de la même façon les filles trans prépubères et les femmes trans ayant connu les effets de la puberté masculine a tout d’une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant sportif. Assujettir les échecs ou le tir sportif à la même règle que l’haltérophilie ou la boxe fait fi des plus élémentaires spécificités sportives. Mélanger les compétitions « élite » et « loisir » ignore que l’important est parfois seulement de participer.


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Le décret pourrait ainsi concrètement conduire, en apportant une réponse simpliste à une question complexe, à ce qu’une jeune fille trans âgée de 8 ans (la prise de conscience de la dysphorie de genre peut parfaitement intervenir dès l’enfance et, s’il peut en aller autrement pour une transition médicale, il n’y a pas d’âge minimum pour effectuer une transition sociale) ne puisse prendre part à des compétitions scolaires féminines de bowling. Ce cas fictif n’est guère éloigné de cas réels, nés de l’application de lois adoptées par de nombreux États républicains, actuellement contestées en justice, au motif qu’elles seraient contraires à la clause d’égale protection de la Constitution américaine et au titre IX de l’Education Amendments Act de 1972 (qui prohibe en principe toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes et activités d’éducation bénéficiant d’une aide financière fédérale).

Bien que l’actuelle composition de la Cour suprême rende tout pronostic délicat, plusieurs des juridictions saisies, y compris des cours d’appel fédérales, se sont montrées sensibles à l’argument, relevant le caractère disproportionné des lois contestées. Il n’est pas impossible que le décret du président Trump, que deux adolescentes du New Hampshire ont été les premières à attaquer, connaisse le même sort.

Dogmatisme assumé

La généralisation abusive à laquelle procède le décret contesté ne constitue en réalité rien d’autre que la manifestation d’un dogmatisme assumé.

L’exclusion promue l’est avant tout, ainsi que le texte ne le cache pas, pour des raisons de « dignité » (celle des sportives cisgenres qui subiraient l’« humiliation » de devoir participer aux mêmes compétitions que des sportives trans) et de « vérité » (alternative, est-on tenté d’ajouter).

En réalité, il ne s’agit pas de protéger le sport féminin. Il s’agit d’exploiter la prétendue évidence (même parmi les électeurs démocrates, 67 % la partageraient selon un sondage effectué en janvier 2025) de l’avantage compétitif injuste dont disposeraient les sportives trans (que le titre du décret qualifie d’« hommes ») par rapport à leurs concurrentes cis (qui, elles, seraient de « vraies femmes »), pour dénoncer plus généralement le « délire » que constituerait le fait de s’affranchir du « bon sens » au nom de l’« idéologie du genre ».

En l’état de la science, la seule vérité est qu’il est « absurde » de donner une réponse unique à la question de la participation des femmes et filles transgenres aux compétitions féminines. Avant la puberté, ou même après pour les enfants qui auraient eu accès à des bloqueurs de puberté, il existe un quasi-consensus scientifique selon lequel les filles et les garçons ont peu ou prou les mêmes capacités physiques, à tout le moins qu’il n’existe pas de différences liées au sexe telles qu’il serait injuste de les faire concourir ensemble. Après la puberté, l’avantage physique dont disposeraient les hommes sur les femmes est très variable d’un sport à un autre, voire parfois inexistant. Et même dans les sports où il est acquis que les effets de la puberté masculine jouent un rôle déterminant, il n’est nullement exclu, sauf peut-être dans certaines disciplines, que l’équité sportive ne serait pas préservée en dépit de la participation d’athlètes ayant suivi une transition hormonale. Le débat reste ouvert.

Quelles conséquences internationales ?

On aurait tort, de notre côté de l’Atlantique, de se contenter de sourire (jaune) face à la transphobie qui motive le décret présidentiel sur le sport féminin. Il n’entend pas seulement rallier à sa vision ostracisante l’ensemble du sport américain. Il prétend y convertir le sport mondial.

Le secrétaire d’État des États-Unis est ainsi chargé de promouvoir au niveau international, aux Nations unies ou ailleurs, l’adoption de normes d’exclusion. Il lui est en particulier demandé d’utiliser tous les moyens appropriés pour que le Comité international olympique (CIO) adopte des règles empêchant qu’à l’avenir une femme transgenre, voire intersexe, puisse prendre part à des événements sportifs dépendant de lui, même sous condition d’avoir réduit son taux de testostérone.

Extrait du décret du 5 février 2025 : « Le secrétaire d’État utilisera toutes les mesures appropriées et disponibles pour veiller à ce que le Comité international olympique modifie les normes régissant les épreuves sportives olympiques afin de promouvoir l’équité, la sécurité et les meilleurs intérêts des athlètes féminines en veillant à ce que l’éligibilité à la participation aux épreuves sportives féminines soit déterminée en fonction du sexe et non de l’identité de genre ou de la réduction de la testostérone. » Whitehouse.gov

Le principe d’indépendance du mouvement sportif, lequel est censé s’opposer à toute ingérence politique dans son fonctionnement, résistera-t-il à l’offensive américaine annoncée ? On peut l’espérer. L’arrêt que rendra prochainement la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Caster Semenya, née de la contestation des règles de la Fédération internationale d’athlétisme relatives à l’éligibilité des sportives intersexuées, y aidera peut-être.

Le bras de fer en vue des Jeux olympiques et paralympiques de Los Angeles est en tout cas déjà engagé. Le décret prévoit en effet de refuser l’entrée aux États-Unis à toute personne transgenre ou intersexe désireuse de s’y rendre pour participer à des compétitions féminines. Or de tels refus seraient contraires aux promesses faites par le gouvernement américain au stade de la candidature pour l’organisation des Jeux de 2028 et reprises dans le contrat de ville hôte.

Cette dernière, comme les États-Unis, s’est engagée non seulement à ce que toute personne titulaire d’une carte d’identité et d’une accréditation olympique puisse entrer sur le territoire américain, mais aussi, plus largement à respecter les principes fondamentaux et les valeurs de l’olympisme – à commencer par le principe de non-discrimination. Si ce principe n’interdit pas nécessairement toute différence juridique de traitement, encore faut-il, selon un standard à peu près universellement admis, qu’elle repose sur une justification objective et raisonnable. Soit l’exact inverse de celle fondant le décret signé par le président Trump.

The Conversation

Mathieu Maisonneuve est membre du comité d'experts sur la transidentité dans le sport de haut niveau

06.04.2025 à 17:34

Le porte-avions « Charles-de-Gaulle », vitrine des ambitions françaises en Indo-Pacifique

Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)

Le « Charles-de-Gaulle », outil militaire d’envergure, est devenu en quelque sorte un ambassadeur français hors norme dans la région Indo-Pacifique.
Texte intégral (2048 mots)

Le porte-avions Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval reviennent d’une mission en Indo-Pacifique, région où la France cherche à développer son influence. Illustration concrète de la stratégie mise en œuvre par Emmanuel Macron depuis 2018, ce déploiement démontre la capacité de la France à projeter une puissance aéromaritime à des milliers de kilomètres de ses côtes hexagonales.


« Un porte-avions, c’est 100 000 tonnes de diplomatie », aurait affirmé l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger (1923-2023). Apocryphe ou non, cette expression reste d’actualité tant ces navires constituent un atout majeur pour les États qui en disposent.

Déployer un porte-avions, outil opérationnel sans équivalent, constitue autant un message d’affirmation stratégique qu’un moyen d’asseoir sa crédibilité diplomatique. Dernier exemple en date : en octobre 2023 à Gaza, trois jours après le début de la guerre, l’USS Gerald R. Ford naviguait en Méditerranée orientale pour tempérer toute velléité iranienne d’intervenir dans le conflit.

Traduction française de l’adage kissingerien, les 42 000 tonnes du porte-avions Charles-de-Gaulle (CDG), navire amiral de la Marine nationale, sont un avantage hors norme pour la France. Parti de Toulon en novembre dernier, le CDG est actuellement en mer dans le cadre de la mission Clemenceau 25, un déploiement résolument tourné vers l’Indo-Pacifique, une région où la France cherche à tisser son influence, en toute autonomie.


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« Mission Clemenceau 25 : une démonstration de la puissance navale française », ministère des armées, Youtube (février 2025).

Un porte-avions n’est donc pas seulement un moyen de projection militaire essentiel, c’est aussi un appui crédible de la stratégie Indo-Pacifique française, nouvel espace géopolitique de référence où la France cherche à faire valoir ses intérêts.

Un outil opérationnel hors norme

L’utilisation du porte-avions comme outil opérationnel a parfois divisé la communauté d’experts stratégiques, notamment quand il convient de faire des choix budgétaires.

Coût prohibitif ; absence de permanence à la mer sans « sister ship » ; vulnérabilité en cas de guerre de haute intensité ; défis posés par les stratégies de déni d’accès et d’interdiction de zone (stratégies A2/AD), et par des missiles à longue portée de plus en plus performants : autant de critiques régulièrement formulées à l’encontre de l’emploi du CDG.

Pourtant, le porte-avions demeure un instrument largement utilisé et convoité au XXIe siècle. On observe un essor des flottes de porte-avions dans le monde, car elles sont perçues par de nombreux pays comme l’outil de souveraineté absolue qui leur confère la capacité à se projeter loin et longtemps.

Dans le cadre de la mission Clemenceau 25, le CDG, accompagné de son groupe aéronaval (GAN) – constitué d’une trentaine d’aéronefs et de cinq navires de guerre – mobilise près de 3 000 militaires, déployés pendant 150 jours de la Méditerranée jusqu’aux confins du Pacifique occidental.

Opérant depuis la haute mer – espace de liberté et sanctuaire stratégique –, le CDG est à la fois une base aérienne embarquée, une centrale nucléaire et un centre de commandement. Le tout est un mécanisme parfaitement synchronisé capable de catapulter, puis de faire apponter en pleine mer, des dizaines d’aéronefs par jour.

Véritable ville flottante, le porte-avions CDG est néanmoins un instrument mobile, il peut parcourir près de 1 000 km par jour et engager le feu à plus de 2 000 km. De plus, ses divers senseurs (radars, sonars, satellites) assurent une bulle informationnelle pour agir efficacement dans tous les champs et milieux de conflictualité (mer, terre, air, fonds marins, cyber, espace).

« Le porte-avions Charles-de-Gaulle, une ville de 42 000 tonnes », France 24 (2023).

L’ensemble de ces capacités permettent aux marins français de remplir un large éventail de missions : défense aérienne et antimissile, combat naval, frappe contre la terre, opération amphibie, lutte anti-sous-marins, interception maritime, protection du transport maritime, entre autres. Outil souple et polyvalent, le CDG est le symbole de l’autonomie stratégique française ainsi qu’un instrument crédible qui facilite les coopérations avec des nations partenaires.

Un instrument de coopération crucial

En service depuis 2001, les déploiements du GAN sont systématiquement l’occasion d’interactions avec les marines et armées étrangères. À cet égard, la mission Clemenceau 25 a porté à un niveau inédit les partenariats de la Marine nationale en Indo-Pacifique, structurés autour de trois moments clés : l’exercice de sécurité maritime La-Pérouse 25, mené avec huit nations riveraines de la région dans les détroits d’Asie du Sud-Est (Malacca, Lombok, Sonde) ; l’exercice trilatéral Pacific Steller aux côtés des États-Unis et du Japon ; et l’exercice annuel franco-indien Varuna.

Symbole des bonnes relations qu’entretient la France dans la région, le CDG a, pour la première fois de son histoire, fait escale aux Philippines (Subic Bay), en Indonésie (Lombok, où le ministre Sébastien Lecornu s’est rendu) et a fait une étape remarquée à Singapour.

Agrégateur de coopération maritime en temps de paix, pierre angulaire des flottes modernes, permettant une montée en puissance des forces partenaires et renforçant la confiance et l’interopérabilité, le GAN peut également être en facteur de désescalade politique en temps de crise. Outre le déploiement américain en Méditerranée mentionné plus haut, un autre exemple date de 1995, quand les États-Unis avaient déployé deux porte-avions dans le détroit de Formose en réponse à des tirs de missiles lancés par Pékin dans les eaux territoriales taïwanaises.

Le GAN est donc un puissant levier politique que la France exploite pour affirmer ses ambitions en Indo-Pacifique.

« La France, un point d’entrée stratégique dans l’Indo-Pacifique », Marine nationale (2024).

Stratégie Indo-Pacifique, au-delà du narratif

À partir de mai 2018, Emmanuel Macron, a formalisé une stratégie Indo-Pacifique française pour légitimer et crédibiliser le statut de la France en tant que puissance régionale.

À travers l’exercice de la souveraineté dans les collectivités de la zone, ce nouveau narratif est une opportunité pour la diplomatie française de valoriser ses attributs de puissances diplomatiques, culturelles, économiques et surtout militaires dans cette vaste région.

Ainsi, la France cherche à promouvoir une vision singulière, celle d’un espace Indo-Pacifique libre, ouvert, respectueux du droit international et favorisant une approche multilatérale. Et refusant toute logique de bloc, le président Macron encourage l’ensemble des partenaires à être libres de la coercition chinoise sans pour autant s’aligner systématiquement sur les États-Unis.

Pour le ministère des armées, les déclinaisons opérationnelles de la stratégie Indo-Pacifique impliquent la protection de 1,8 million de Français résidant dans les collectivités françaises de la zone. Il s’agit également de contribuer aux opérations nationales et européennes en mer Rouge et dans l’océan Indien, afin de renforcer la sécurité maritime dans ces régions.

En complément des forces prépositionnées en permanence dans les collectivités françaises de la région et des missions régulières de la Marine nationale et de l’Armée de l’air et de l’espace dans la zone, le déploiement du CDG constitue ainsi un signal stratégique fort, qui crédibilise la stratégie portée par l’État.

Un gage de crédibilité… et de rentabilité ?

Déployée en autonomie malgré la tyrannie des distances, notamment grâce à une escorte complète de frégates et à la présence du bâtiment ravitailleur Jacques-Chevallier, la mission Clemenceau 25 a permis de démontrer la capacité de la France à utiliser sa force aéromaritime loin du territoire hexagonal pendant plusieurs mois.

Le GAN est aussi la vitrine de l’excellence française à travers la diversité des technologies et des armements mis en œuvre. Le Rafale M F4.1, le sous-marin nucléaire d’attaque de classe Suffren, ou encore les frégates multimissions sont autant de « porte-étendards » et de potentiels contrats à l’exportation pour l’industrie française de l’armement.

En 2024, la France est devenue le deuxième exportateur mondial d’armements, et certains de ses plus gros clients, comme l’Inde, l’Indonésie et les Émirats arabes unis, sont des nations de l’Indo-Pacifique. Le déploiement du GAN relève donc aussi du soutien à l’exportation de la base industrielle et technologique française.

Instrument crédible, multimodal et polyvalent, dont les fonctions dépassent le strict cadre militaire, le GAN est un atout de première main pour la France. En attendant la mise en service du nouveau porte-avions (à l’horizon 2038), le Charles-de-Gaulle restera le « meilleur ambassadeur » français dans la zone Indo-Pacifique.

The Conversation

Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:32

Aux États-Unis, Trump à l’assaut de l’éducation, entre censure, coupes budgétaires et répression

Esther Cyna, Maîtresse de conférences en civilisation des États-Unis, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les assauts contre l’éducation prennent une ampleur inédite et se déclinent au plan fédéral comme dans les districts scolaires.
Texte intégral (1982 mots)

Aux États-Unis, voilà quelques années que les programmes scolaires et les universités sont régulièrement pris pour cible par les militants ultraconservateurs. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, cet assaut contre l’éducation prend une ampleur inédite et se décline au niveau fédéral comme dans les districts scolaires.


Le jeudi 20 mars, devant un groupe d’écolières et d’écoliers mis en scène à la Maison Blanche, Donald Trump a signé un décret (executive order) visant à démanteler le ministère de l’éducation aux États-Unis.

Si la suppression complète du ministère nécessitera un vote du Congrès, le décret marque néanmoins un affaiblissement certain de l’agence fédérale et symbolise l’assaut mené par Trump et son gouvernement contre l’éducation publique et l’État fédéral.

Les attaques du gouvernement Trump et du Parti républicain contre l’éducation publique et l’enseignement supérieur n’ont fait que s’amplifier depuis son premier mandat. L’abolition du ministère de l’éducation, la censure des programmes scolaires et des livres accessibles aux élèves, la promotion de l’enseignement privé religieux subventionné par les impôts publics et la répression des universités sont autant de stratégies au sein d’une guerre contre l’éducation, la recherche et, plus largement, contre les discours allant à l’encontre des récits ultraconservateurs et nationalistes chrétiens défendus par le gouvernement états-unien actuel.

Sabrer l’État fédéral

Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump en janvier 2025, le ministère de l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE) dirigé par Elon Musk a décimé les rangs de l’administration fédérale états-unienne.

Plus de 100 000 employés de l’État fédéral ont d’ores et déjà perdu leur emploi. Les licenciements les plus drastiques ont visé les ministères du logement et du développement urbain ainsi que celui de l’éducation et font l’objet de batailles judiciaires à l’issue incertaine. Le gouvernement a également annoncé supprimer des milliards de dollars de financement à la recherche dans le domaine de la santé.


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S’en prendre ainsi à l’État fédéral a plusieurs conséquences pour l’éducation, même s’il faut rappeler que l’éducation aux États-Unis est surtout une affaire d’États fédérés et de districts scolaires. Environ 10 % seulement du coût de l’éducation publique aux États-Unis provient de l’État fédéral, la majeure partie provenant de sources locales (c’est-à-dire de l’impôt foncier des districts scolaires) et des États fédérés.

Le rôle de l’État fédéral en matière d’éducation est traditionnellement plutôt faible, à deux exceptions près : le financement du programme « Title I », créé en 1965, qui prévoit des fonds fédéraux supplémentaires pour les élèves les plus pauvres et celui d’IDEA, établi en 1975, par lequel l’État fédéral finance les programmes spécialisés pour les enfants en situation de handicap. Avec la destruction complète ou partielle du ministère, ces deux populations, particulièrement vulnérables, risquent ainsi de perdre toute chance de poursuivre un cursus scolaire adapté à leurs besoins spécifiques.

Prônant le « retour de l’éducation au peuple », qui n’est pas sans rappeler l’arrêt ayant aboli le droit fédéral à l’avortement en 2022, Trump et le Parti républicain orchestrent ainsi une dépossession des pouvoirs fédéraux au profit d’échelles plus locales, aux dépens des enfants les plus défavorisés.

Censurer les programmes scolaires

Depuis plusieurs années, le Parti républicain promeut le retrait des écoles et bibliothèques de livres traitant de questions d’identité ethno-raciale, de genre et de sexualité et la censure des contenus des programmes scolaires qui évoquent, par exemple, le passé esclavagiste et ségrégationniste des États-Unis ainsi que les inégalités qui persistent dans la société états-unienne.

Ces livres interdits dans les écoles américaines (France 24, mai 2023).

En s’immisçant dans les processus par lesquels les districts scolaires locaux et les universités prennent des décisions sur le contenu et la manière d’enseigner, les militantes et militants conservateurs veulent imposer à la jeunesse des récits négationnistes ainsi qu’une vision de la population des États-Unis binaire, blanche, chrétienne, niant jusqu’à l’existence des personnes qui ne correspondraient pas à cette norme fantasmée.

Cette stratégie de censure est principalement portée à l’échelle locale et celle des États, même si l’État fédéral a symboliquement marqué son adhésion à la mouvance ultraconservatrice en interdisant des livres au sein des seules écoles qu’il gère directement, les académies militaires.

Pour le reste des écoles publiques du pays, seuls les législatures des États et les conseils des districts scolaires locaux ont le pouvoir de prendre des décisions quant aux livres disponibles dans les écoles. Dès 2021, des groupes de mères d’élèves ultraconservatrices tels que Moms 4 Liberty se sont saisis de cette échelle locale pour faire progresser leur vision malgré la défaite de Trump à l’élection présidentielle.

Abolir la séparation entre Église et État à l’école

Le projet idéologique des républicains est celui d’un nationalisme chrétien ultraconservateur ; à ce titre, le gouvernement soutient les écoles religieuses. Lors de son premier mandat, Trump avait clairement affiché son soutien à la privatisation de l’éducation et aux programmes de financement public d’écoles privées lorsqu’il avait nommé Betsy DeVos à la tête du ministère de l’éducation.

La branche judiciaire, dominée par les juges nommés par Trump durant son premier mandat, joue un rôle clé dans l’avancée de ce projet religieux. Au printemps 2025, la Cour suprême des États-Unis va s’exprimer sur la question de la religion à l’école dans le cadre d’un arrêt très attendu, en déterminant si la création d’une école publique en ligne, dans l’Oklahoma, dont la gestion est déléguée à un archidiocèse catholique, constitue une violation de la Constitution. Si la Cour suprême déclare que l’école en question est compatible avec la Constitution, il sera alors légal de financer des écoles religieuses publiques par les impôts.

En 2021, la Cour suprême avait déjà empiété sur la séparation entre Église et État en déclarant dans l’arrêt Kennedy v. Bremerton School District que le coach de football d’une école publique pouvait prier publiquement pendant les matchs de son équipe.

Contrôler et punir les universités

Les universités états-uniennes, diabolisées depuis des décennies par les conservateurs comme des bastions d’« idéologie gauchiste » et identifiées comme des menaces à l’hégémonie conservatrice, sont victimes d’attaques sans précédent depuis la chasse aux sorcières des années de maccarthysme.

Les mécanismes sont cette fois différents, Trump ayant principalement utilisé le levier financier pour punir les universités de leurs politiques sportives quant aux personnes transgenres, pour les manifestations propalestiniennes de 2024 et, plus largement, pour les thématiques de recherche de ces institutions.


À lire aussi : Trump contre la liberté académique : les juges, derniers remparts contre l’assaut autoritaire


L’université de Columbia a marqué, fin mars 2025, un tournant majeur en cédant à des demandes extrêmes du gouvernement Trump qui menace d’y supprimer des programmes de recherche fédéraux à hauteur de 400 millions de dollars. En acceptant de renoncer à l’autonomie des départements d’études du Moyen-Orient, d’études africaines-américaines et asiatiques, en plus de s’être engagée à durcir la répression des manifestations étudiantes et d’interdire le port du masque sur le campus, la prestigieuse institution new-yorkaise montre que les universités états-uniennes ne seront sans doute pas le lieu de la résistance à Trump.

Attaquer l’éducation : une stratégie d’extrême droite

Pendant sa campagne de 2016, Trump avait déclaré « adorer les personnes mal éduquées », puisqu’il voit en elles un électorat docile et réceptif à ses discours mensongers, trompeurs et antifactuels.

Jouant sur plusieurs échelles, des districts scolaires à l’État fédéral en passant par les universités, le gouvernement Trump mène aujourd’hui une offensive musclée contre la liberté d’expression, pourtant prônée comme une valeur phare du Parti républicain. Les stratégies d’attaque contre l’éducation – lorsqu’elle n’est pas privée, religieuse et ne promeut pas la vision nationaliste chrétienne blanche du parti au pouvoir – témoignent d’une volonté d’étouffer la pensée critique.

Cette menace pour la démocratie états-unienne, mise à mal par la concentration du pouvoir du gouvernement Trump, est symptomatique des régimes d’extrême droite. En vidant de leur substance le système d’éducation publique et en s’attaquant frontalement aux universités, les républicains espèrent façonner les pensées et les paroles des citoyennes et citoyens états-uniens, de leur futur électorat, créant ainsi une nouvelle génération dépourvue des compétences requises pour participer activement à la démocratie et repousser l’oppression totalitaire.

The Conversation

Esther Cyna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:30

Comac : la menace chinoise pour Airbus et Boeing

Raymond Woessner, Professeur honoraire de géographie, Sorbonne Université

La Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) prend son envol dans la galaxie des constructeurs aéronautiques mondiaux. Airbus, l’ayant aidée à décoller, s’en mord-il les doigts ?
Texte intégral (2310 mots)
Comac ARJ21-700 de Chengdu Airlines en phase d’atterrissage. LP2Studio/Shutterstock

La Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) prend son envol dans la galaxie des constructeurs aéronautiques mondiaux. L’avionneur européen Airbus, qui l’a aidée à décoller, s’en mord-il déjà les doigts ?


Depuis plusieurs décennies, Airbus et Boeing sont les maîtres du ciel dès lors qu’il s’agit de jets court, moyen et long-courriers. Mais désormais une entreprise chinoise, la Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), s’est invitée au jeu.

Faute d’avoir raté la révolution industrielle, l’industrie aéronautique chinoise avait travaillé avec des Allemands dans les années 1920, des Italiens dans les années 1930, des Soviétiques dans les années 1950, des Américains et des Français dans les années 1970 et 1980… Or, ne pas avoir d’avion Made in China, c’était se trouver « à la merci des autres », avait déploré le président Xi Jinping en 2014. Comment l’industrie chinoise en général a fait des bonds de géant, pourquoi son aviation civile n’en ferait-elle pas autant ? Et que signifierait cette émergence à l’échelle globale ?

Échecs russes, canadiens et chinois

Les normes de sécurité de l’aviation civile sont particulièrement élevées. Le transport aérien est déjà le mode de transport le plus sûr au monde et son but ultime est d’atteindre 0 accident. C’est pourquoi les matériaux utilisés et les systèmes de contrôle comptent parmi les plus élaborés qui soient. Du fait de la recherche d’une moindre pollution, les technologies évoluent en permanence.

C’est ainsi que l’aviation civile russe, incapable de suivre le mouvement malgré son passé glorieux, a sombré. Ou que les Canadiens de Bombardier ont été rachetés par Airbus.


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En Chine, le désir d’avions nationaux remonte aux années 1990 lorsque Aviation Industry Corporation of China (Avic), basé à Pékin, voulait produire des MacDonnell Douglas MD-90 américains sous licence. Mais en 1998 le projet avait tourné court, car les Américains redoutaient un copier-coller à leur détriment. En 2008, le gouvernement chinois a alors compris qu’il lui fallait mettre d’énormes moyens en œuvre, avec deux projets menés en parallèle.

Marché de dupes pour Airbus

Airbus a été invité à assembler des A320 en Chine, par l’intermédiaire d’une joint-venture avec Avic qui a été implantée dans la zone franche de Tianjin. Il s’agit du 4e site mondial d’assemblage des A320 après ceux de Toulouse (Haute-Garonne), de Hambourg (Allemagne) et de Mobile aux États-Unis. Plus de 700 avions y ont déjà été assemblés et la cadence s’accélère, en 2026, avec l’ouverture d’une deuxième ligne de fabrication. Tianjin assure également la finition des A350 destinés à la Chine. Airbus a créé tout un écosystème : l’usine de matériaux composites de Harbin, la fabrication de pièces de rechange, la formation du personnel, le centre de recherche de Suzhou pour l’environnement et celui de Shenzhen pour la digitalisatio.

En même temps que l’arrivée d’Airbus comme manufacturier, le gouvernement a créé la Comac, Commercial Aircraft Corporation of China. L’entreprise est contrôlée à 31,6 % par l’État et à 26,3 % par la municipalité de Shanghai, s’y ajoutent des industriels chinois de l’aviation, dont Avic, et de la métallurgie : Baoshan Steel, Chinalco, Sinochem. Du point de vue de l’organisation industrielle, la Comac s’inspire d’Airbus, avec des usines réparties un peu partout en Chine et l’assemblage final effectué à Shanghai. Le but de la Comac est de construire une gamme complète d’appareils, et peut-être même, un jour, de très gros quadriréacteurs et des avions supersoniques.

L’ARJ21, premier-né

Dès l’Airshow China de 2014, le représentant d’Airbus voyait poindre la concurrence de la COMAC. On passerait alors du couple Airbus-Boeing à un oligopole mondial à trois. Mais la gestation des projets chinois est longue. En octobre 2008 a volé l’Advanced Regional Jet for the 21st Century (ARJ21). Ce biréacteur de 90 places ressemble finalement au vieux MD-90 avec ses réacteurs placés à l’arrière et son empennage haut, et 181 commandes de l’ARJ21 ont été passées immédiatement sur décision gouvernementale.

Avion COMAC ARJ21
Le Comac ARJ21 est un avion régional bimoteur, premier jet pour passagers développé et produit en série en République populaire de Chine, utilisé par la compagnie indonésienne TransNusa. alphonsusjimos/Shuttertstock

Huit ans plus tard, en 2016, Chengdu Airlines a effectué le premier vol commercial de l’ARJ21. Une vingtaine de sous-traitants américains, le Français Zodiac pour les toboggans d’évacuation et d’autres Européens jouent un rôle essentiel dans l’équipement de l’avion. Près de 120 appareils sont en service auprès de diverses compagnies chinoises et du transporteur indonésien TransNusa, le seul opérateur étranger de Comac jusqu’à présent.

Autonomie stratégique chinoise

Par le jeu de la sous-traitance et de la fourniture d’éléments très avancés, les avions d’Airbus, de Boeing et de la Comac intègrent en réalité de nombreux éléments communs. Mais un avion n’est pas un scooter ou une voiture. Il est encastré dans des politiques de souveraineté nationale d’autant plus qu’il partage des éléments avec les avions de guerre.

En 2019, du fait de l’agressivité du président Trump à l’encontre la Chine, une coopération technique avait été lancée entre la Comac et l’United Aircraft Corporation (UAC) russe pour la construction du CR929. Un futur rival sur le marché des long-courriers Airbus A350 et Boeing 787 voire B777.

Avion COMAC CR929
Le CR929, en coopération technique avec les Russes, n’a jamais vu le jour. testing/Shutterstock

Il aurait dû entrer en production en 2025, mais la Comac et l’UAC ont rompu leur pacte en 2023. Les Chinois continuent à développer le projet seuls… Le gouvernement chinois – tout comme celui de la Russie – cherche à s’émanciper de ce qu’il considère comme une mise sous tutelle. Dès 2016, il a fondé l’Aero Engine Corporation of China (AECC) fusion de différents établissements industriels publics chinois forte de 72 000 salariés. « Un pas stratégique », selon le président de la République Xi Jinping.

AECC veut alors construire des réacteurs civils, outre les moteurs militaires qu’elle produit déjà. La cible est le développement de réacteurs pour tous types d’avions civils, gros porteurs inclus. Le moteur CJ-1000A devrait progressivement se substituer aux motorisations de la CFM, la joint-venture de Safran et de General Electric, qui assemble des réacteurs en Chine à partir de composants fabriqués aux États-Unis et en France.

Remplacer Aribus et Boeing ?

Rien n’est simple. Ryanair avait été associé à la conception du C919 et affirmait en vouloir 700 exemplaires, alors qu’elle est une compagnie qui n’utilise que des Boeing 737. Mais le marché ne sera pas conclu avant le milieu des années 2030 parce que, selon Michael O’Leary, le patron de Ryanair, le marché chinois est servi en premier.

Les perspectives qui s’ouvrent sont vertigineuses pour la Weltanschauung, la manière de voir et de comprendre le monde. De part et d’autre de l’Atlantique, depuis des décennies, on a raisonné en termes de coopération et concurrence entre les entreprises. En Chine, on a appris de l’Occident. On apprend encore sans que l’intention finale soit évidente. S’agit-il de créer une troisième étoile dans le firmament des avionneurs, à côté d’Airbus et de Boeing, tous réunis par des liens très forts par l’intermédiaire de leurs fournisseurs ? ou de prendre leur place ? À moyen terme, la croissance du marché aérien est telle qu’il y aura des débouchés pour tout le monde. Mais au-delà ?

The Conversation

Raymond Woessner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

03.04.2025 à 17:49

America First : quand Donald Trump relance une idéologie centenaire controversée

Frédérique Sandretto, Adjunct assistant professor, Sciences Po

C’est l’élément de langage préféré de Donald Trump : mais d’où vient le slogan « America First » ?
Texte intégral (2718 mots)

L’expression America First a une longue histoire aux États-Unis. Remis au goût du jour par Donald Trump durant sa campagne présidentielle de 2016, et à nouveau promu en principe fondateur de sa politique depuis son retour à la Maison Blanche en janvier 2025, ce slogan reflète une vision nationaliste et protectionniste qui, pratiquement depuis la naissance du pays, proclame la primauté des intérêts américains en matière de politique étrangère et commerciale.


« Nous sommes réunis aujourd’hui pour annoncer un nouveau décret qu’on entendra dans toutes les villes, toutes les capitales étrangères et tous les centres du pouvoir. À partir d’aujourd’hui, ce sera strictement l’Amérique d’abord. L’Amérique d’abord ! », déclare Donald Trump lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2017. Cette formule, « America First », qui avait inquiété les dirigeants du monde entier, a été remise en avant lors de son retour à la Maison Blanche huit ans plus tard.

« Trump : America first and only America first », CNN (2017).

L’origine de ce slogan devenu un élément central de la rhétorique de Donald Trump remonte en réalité à bien plus tôt dans l’histoire des États-Unis.

L’isolationnisme : un vieux refrain américain

En effet, l’isolationnisme ne date pas d’hier dans la politique étrangère des États-Unis. C’est une longue tradition américaine fondée sur l’idée selon laquelle le pays devait éviter de s’engager dans les affaires du monde pour se concentrer sur ses propres préoccupations internes.

C’est à la fin du XVIIIe siècle que cette vision de la politique extérieure trouve son origine, dans le célèbre dernier discours présidentiel de George Washington, « Farewell Adress » en 1796. Le premier président des États-Unis mettait en garde son peuple contre les alliances permanentes avec des puissances étrangères et préconisait plutôt une politique de neutralité et d’indépendance.

Au début du XXe siècle, cette tradition isolationniste a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises, notamment avec la Première Guerre mondiale. Mais malgré la participation des États-Unis à la guerre (1917-1918), un très fort sentiment isolationniste est resté enraciné dans le pays. Après la guerre, une grande partie de l’opinion publique américaine souhaitait éviter une nouvelle implication dans les conflits européens. Cette distanciation s’est renforcée par la déception américaine face aux résultats du traité de Versailles, qui ne répondaient pas aux attentes de Washington en ce qui concerne la sécurité internationale.

Affiche électorale « America First » utilisée lors de la campagne aux municipales de Chicago en 1927. CC BY

C’est dans ce contexte des années 1920 que le slogan America First est né, scandé par ceux qui s’opposaient à l’entrée des États-Unis dans des engagements internationaux en lien avec les quatorze points du président Woodrow Wilson et la mise en place de la Société des nations.

Un fer de lance : l’America First Committee

La formule America First a été popularisée par le mouvement isolationniste des années 1940 America First Committee (AFC). Ce comité créé par des figures politiques et des intellectuels influents prônait le rejet de l’intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale et favorisait le protectionnisme.

À cette époque, l’expression America First a pris une signification plus forte sous l’influence de l’avocat Robert A. Taft, fils de l’ancien président William Howard Taft (1908-1912), et de l’aviateur Charles Lindbergh, devenu l’un des porte-parole du comité. Le but principal de l’America First Committee ? Faire pression sur le gouvernement des États-Unis pour que celui-ci n’implique pas le pays dans la guerre qui éclatait en Europe et en Asie.

Lindbergh s’adresse à quelque 3 000 personnes lors d’un rassemblement de l’America First Committee au Gospel Temple de Fort Wayne. Ce discours marquait sa première apparition depuis son discours controversé de Des Moines. 5 octobre 1941. CC BY

L’America First Committee prônait une politique de non-intervention et s’opposait vigoureusement à l’adhésion des États-Unis aux efforts de guerre des alliés face à l’Allemagne nazie. Pour le comité, s’engager dans la guerre européenne – ou, plus tard, dans le conflit mondial – allait affaiblir les États-Unis et mettre en péril leur souveraineté. Le tout pour un conflit lointain et coûteux.

L’argument principal était le suivant : les États-Unis ayant la capacité de se défendre eux-mêmes, il n’est pas nécessaire de s’impliquer dans les conflits extérieurs. « L’Amérique d’abord » devait se concentrer sur ses intérêts internes, sur la consolidation de son économie et de sa sécurité, plutôt que jouer un rôle de police mondiale.

Le slogan « America First » a trouvé une résonance particulière dans la population américaine qui ne voyait pas l’intérêt d’intervenir dans les affaires européennes ou asiatiques, particulièrement après les horreurs et les pertes humaines de la Première Guerre mondiale. Le comité a ainsi réussi à mobiliser une grande partie de l’opinion publique contre l’intervention des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.

Cette position a toutefois été contestée au fur et à mesure que l’Allemagne nazie étendait son contrôle sur l’Europe, et que les attaques japonaises se multipliaient dans le Pacifique. L’attaque de Pearl Harbor par le Japon le 17 décembre 1941 a changé la donne et forcé les États-Unis à entrer dans la guerre mettant fin à l’influence de l’AFC. L’opinion publique a alors radicalement basculé en faveur de l’intervention militaire, estimant que la sécurité nationale des États-Unis était désormais en danger. L’America First Committee s’est dissous peu après l’entrée des États-Unis dans le conflit, mais l’impact de ce mouvement sur la pensée politique américaine a persisté.

Le président Donald Trump salue un membre du public après avoir prononcé un discours sur le plan de santé America First, le jeudi 24 septembre 2020, au Duke Energy Hangar à Charlotte, en Caroline du Nord. Photo officielle de la Maison Blanche par Shealah Craighead. CC BY

Populisme et protectionnisme, héritiers de l’isolationnisme

Le sentiment isolationniste et nationaliste a été réactivé à plusieurs reprises tout au long du XXe siècle, pendant la guerre du Vietnam, les crises économiques, et lors des débats sur le commerce international. Dans les années 1980 et 1990, à l’époque des présidences de Ronald Reagan et George H. W. Bush, bien que les États-Unis soient restés un acteur clé du système international, des voix isolationnistes se sont fait entendre, en réaction aux interventions militaires américaines et à la mondialisation.

Le populisme économique et la critique du libre-échange se sont développés dans des secteurs économiques affectés par la délocalisation et la mondialisation.

Le retour en force du slogan « America First » s’est manifesté de manière marquante sous la première présidence de Donald Trump, qui a réutilisé l’expression pour mettre en avant une politique économique protectionniste, une critique radicale du multilatéralisme et un net désengagement des affaires internationales par rapport aux présidences présidentes de Barack Obama et de George W. Bush.

Trump avait d’ailleurs fait de cette philosophie un axe central de sa campagne électorale de 2016, se présentant comme un défenseur des intérêts des travailleurs américains et des citoyens ordinaires par opposition aux élites politiques et économiques mondialisées.

Ce retour au nationalisme économique, associé à un rejet des accords commerciaux internationaux et des engagements militaires à l’étranger, a ravivé les vieux débats sur la place de l’Amérique dans le monde et son rôle dans les affaires mondiales.

L’instrumentalisation des récits nationaux

Le succès du slogan « America First » repose également sur sa capacité à mobiliser des récits nationaux profonds. Les discours de Trump se sont appuyés sur une mythologie américaine mettant en avant la prospérité perdue (« Make America Great Again »), le peuple américain comme héros face aux élites corrompues et la nécessité de restaurer un ordre moral et économique qui aurait existé par le passé avant de s’effilocher.

Ces récits s’inscrivent dans une longue tradition politique, où l’Amérique est perçue comme une nation exceptionnelle, destinée à servir de modèle au monde.

La rhétorique de Trump, cependant, se distingue par une rupture avec l’idéal d’une Amérique cosmopolite et ouverte. En mettant l’accent sur le déclin supposé du pays, Trump a réactivé un discours populiste, opposant un peuple « véritablement américain » à des ennemis extérieurs (la Chine, l’Union européenne, l’immigration illégale) et intérieurs (les démocrates, les médias traditionnels, la bureaucratie).

La diplomatie du chacun pour soi

En réactivant et modernisant la doctrine America First Donald Trump a redéfini la politique étrangère et économique des États-Unis selon une vision nationaliste et protectionniste.

Son approche repose sur un rejet du multilatéralisme au profit d’accords bilatéraux plus favorables à Washington, une volonté de relocaliser l’industrie américaine et une posture de fermeté face à la Chine et à l’Europe.

Toutefois, cette modernisation de la doctrine s’est accompagnée de tensions avec les alliés traditionnels des États-Unis et d’une polarisation accrue au sein du pays. Si ses partisans saluent un retour à la souveraineté économique et à une diplomatie musclée, ses détracteurs dénoncent un isolement international et des politiques aux conséquences incertaines sur le long terme.

L’héritage de cette doctrine reste donc sujet à débat : a-t-elle renforcé les États-Unis ou fragilisé leur leadership mondial ? Plus d’un siècle après son émergence, Donald Trump peut-il réellement se poser en héritier légitime de cette doctrine historique, ou en a-t-il dévoyé les principes pour servir une vision plus personnelle du pouvoir ?

The Conversation

Frédérique Sandretto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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