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28.07.2025 à 16:06

Apprendre les géosciences en s’amusant avec « Minecraft »

Alex Vella, Docteur en Sciences de la Terre, BRGM

« Minecraft » n’est pas qu’un jeu vidéo à succès : c’est également un support précieux pour enseigner ou apprendre les géosciences.
Texte intégral (3051 mots)
Capture d’écran des Badlands dans « Minecraft », un biome inspiré des terrains sédimentaires argileux fortement érodables du même nom. Minecraft/Mojang Studio, Fourni par l'auteur

« Minecraft » n’est pas qu’un jeu vidéo à succès : c’est également un support précieux pour enseigner ou apprendre les géosciences. Quoique simplifiée, la géologie de ses mondes est cohérente et présente de nombreuses analogies avec le monde réel.


Minecraft est l’un des jeux les plus populaires au monde, c’est aussi le jeu vidéo le plus vendu de l’Histoire avec plus de 300 millions d’exemplaires écoulés. Son univers cubique, composé de milliards de blocs, constitue un des ingrédients clés de ce succès, avec une grande variété d’environnements à explorer en surface comme en profondeur.

Plusieurs modes de jeu sont proposés : l’enjeu peut être de survivre en fabriquant, pour cela, des objets à partir de ressources. Il peut aussi être de laisser libre cours à sa créativité pour construire ce que l’on souhaite à partir des « blocs » disponibles sur la carte.

Avec ses mécaniques de gameplay et ses environnements variés, l’univers de Minecraft peut présenter une bonne analogie avec la géologie de notre monde. Quelques modifications peuvent en faire un outil très pertinent pour l’enseignement des géosciences.

L’essor du « serious gaming »

Avec le développement des jeux sérieux ou « serious games », le jeu devient un outil d’apprentissage reconnu en tant que tel.

On entend par là les jeux conçus pour enseigner, apprendre ou informer enfants ou adultes sur une large gamme de sujets. La conception de « serious games » est de plus en plus répandue, mais le fait de détourner des jeux grand public à des fins d’éducation ou d’enseignement est moins évident.

C’est pourtant ce que propose le « serious gaming ». Il s’agit d’utiliser des jeux grand public, initialement conçus pour le divertissement, comme support pour l’apprentissage. Par exemple, SimCity, dont la première mouture est sortie en 1989, a inspiré toute une génération d’urbanistes.

Minecraft se présente également sous une déclinaison éducative, avec seulement quelques ajouts par rapport au jeu originel et de multiples fonctions adaptées à l’enseignement : mode multijoueurs amélioré, coordonnées permettant aux élèves de s’orienter plus facilement sur la carte, portfolio en ligne permettant aux élèves de prendre des photos de leurs constructions, personnalisation des avatars, fonction d’import-export des mondes, des personnages interactifs…

Parmi les prétendants au serious gaming appliqué aux géosciences, Minecraft présente un potentiel reconnu à travers son aspect « bac à sable ». Celui-ci permet de répliquer des objets et concepts dans son monde virtuel, par nature très orienté vers la géographie et l’exploration souterraine.

Pour autant, le serious gaming appliqué aux géosciences ne se limite pas à Minecraft. Des jeux comme Pokémon ou Zelda peuvent aussi présenter un intérêt pour l’enseignement des géosciences au grand public.

Les « biomes » de « Minecraft »

En surface, le joueur peut explorer une grande variété d’environnements, appelés « biomes ». Ces biomes sont des versions simplifiées d’environnements de notre monde réel : prairies, montagnes, marais, désert… Aisément reconnaissables pour le joueur, ils sont, à leur manière, réalistes.

Chaque biome se compose ainsi d’une flore et d’une faune spécifiques, ainsi que de plusieurs types de blocs correspondant à leurs alter ego du monde réel : du sable recouvre ainsi les grès dans les déserts, des alternances de blocs d’argiles colorées représentent les différentes couches sédimentaires des badlands et de larges colonnes basaltiques se retrouvent dans les biomes volcaniques du Nether (dimension du jeu évoquant les enfers).

Les biomes sont générés par un algorithme procédural appelé « Bruit de Perlin ». Domaine public, Fourni par l'auteur

L’organisation même des biomes suit des règles cohérentes : chaque monde est généré de façon procédurale selon différents paramètres, tels que l’élévation, la température et l’humidité.

Le résultat : des paysages variés, où l’on passe progressivement des toundras aux plaines, puis à une savane. Cette répartition des biomes en fonction de différents paramètres géographiques et climatiques reproduit ce qui est observable à l’échelle de notre planète.

Un monde souterrain à explorer

Une grande partie du monde de Minecraft est toutefois située sous la surface de ces biomes. On y retrouve un empilement vertical de roches. Au plus profond se trouve la « bedrock », la roche mère, qui fait office de barrière avec le monde infernal du Nether. Sur celle-ci repose un type de bloc appelé ardoise des abîmes (deepslate), puis les blocs de pierre et enfin des blocs de grès, de sable ou de terre.

S’il s’agit d’une version assez simplifiée de ce qu’on l’on pourrait trouver dans la réalité, cet empilement de blocs n’est pas sans logique. Les différentes roches formant la Terre peuvent en effet former des empilements de couches plus ou moins horizontales, reposant sur un substrat plus ancien et solide.

Le sous-sol de Minecraft regorge aussi de caves, générées comme les biomes de manière procédurale. Ces caves présentent des successions d’étroites galeries et de larges grottes, agrémentées de stalactites et de stalagmites avec la présence parfois de rivières et de larges gouffres. Leurs aspects semblent très inspirés des systèmes karstiques, où la circulation de l’eau dans les calcaires forme cours d’eau souterrains, grottes et gouffres.

Vue en coupe d’un monde Minecraft montrant l’empilement des couches « stratigraphiques » sur la roche mère, ainsi que des grottes et des aquifères souterrains. Henrik Kniberg, Mojang Studio, Fourni par l'auteur

S’il n’y a pas de volcans dans Minecraft, il y a revanche de la lave, généralement située en profondeur. Suffisamment chaude pour brûler tous les éléments inflammables à portée, s’écoulant moins vite que l’eau et se transformant en obsidienne ou en pierre au contact de l’eau, celle-ci reproduit assez fidèlement le comportement des laves, de leur viscosité à leur vitrification au contact de l’eau.

Les richesses du sous-sol : minerais, cristaux, cubes…

L’exploration est importante dans Minecraft, mais l’artisanat aussi ! Pour créer de nouveaux objets, le joueur doit explorer, récolter, mais aussi extraire des ressources minières. Pour pouvoir progresser dans le jeu, le joueur devra commencer par aller miner pour remplacer ses outils en bois par des outils en fer. Si la progression entre les divers âges est plus détaillée dans d’autres jeux, Minecraft présente quelques-uns des minerais et minéraux les plus connus.

De haut en bas : un minerai d’or, du cuivre natif et un diamant dans Minecraft (à gauche) et dans la collection des Mines de Paris (à droite). Assemblage par l’auteur, Minecraft/Mojang, Musée de minéralogie des Mines de Paris, photo de Jean-Michel Le Cleac’h, Fourni par l'auteur

On retrouve par exemple le charbon, le cuivre, le fer, l’or, l’émeraude, le diamant et le quartz. Ces ressources se trouvent sous forme de poches dans la roche, parfois sous forme de veines massives. Cuivre et fer se retrouveront plus facilement à la surface, à la manière de certains des gisements sédimentaires ou magmatiques qui leur sont associés dans le monde réel. Ces derniers se forment à de relativement faible profondeur et peuvent s’organiser sous une forme similaire à celles de veines minéralisées.

Le diamant, lui, se retrouvera bien plus en profondeur, près de la roche mère, un parallèle avec la formation de nos diamants à de très grandes profondeurs (plus de 150 km), qui sont ensuite remontés à proximité de la surface par le magma.

La comparaison ne s’arrête pas aux minerais et cristaux, Minecraft présentant aussi d’autres roches plus ou moins connues. Outre l’obsidienne, on retrouvera les tufs, basaltes et andésites, typiques d’environnements magmatiques volcaniques où le magma devenu lave se cristallise. Ou encore les diorites et les granites, des roches magmatiques plutoniques formées en profondeur par le refroidissement du magma. Ceux souhaitant découvrir les équivalents réels de ces roches et minéraux pourront le faire cet été au musée de minéralogie de l’École nationale supérieure des mines de Paris, qui consacre jusqu’au 29 août 2025 une mini exposition aux minéraux dans Minecraft.

Modèle géologique de West Thurrock (Comté d’Essex, en Angleterre) créé par le British Geological Survey. Minecraft, Mojang Studio, Fourni par l'auteur

Même s’il offre une vision ludique et simplifiée des géosciences, Minecraft, avec ses mécaniques, sa diversité et sa communauté de joueurs, présente un potentiel autant pour l’enseignement que pour la sensibilisation du grand public à ce domaine. Il vous est, par exemple, possible de visiter directement les sous-sols de notre monde en certains points du Royaume-Uni, grâce aux modèles géologiques 3D mis à disposition par le British Geological Survey.

The Conversation

Alex Vella a reçu des financements de l'ANR pour des projets de recherche.

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27.07.2025 à 16:53

TotalEnergies : Objectif Wall Street

Rémi Janin, Maître de conférences - Reporting financier et extra financier des organisations à Grenoble IAE INP - Chaire Impacts & RSE, Université Grenoble Alpes (UGA)

Charlotte Disle, Maîtresse de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)

Pourquoi un fleuron du CAC 40 tourne-t-il son regard vers Wall Street ? Quels bénéfices en attend-il ? Que révèle cette opération sur le fonctionnement des marchés ?
Texte intégral (2365 mots)
Les investisseurs des États-Unis détiennent déjà près de 40 % du capital de TotalEnergies en 2024, contre 25,3 % pour les actionnaires français. Jean-Luc Ichard/Shutterstock

La société TotalEnergies souhaite être cotée aux États-Unis. Cette décision interroge : pourquoi un fleuron du CAC 40 tourne-t-il son regard vers Wall Street ? Quels bénéfices en attend-il ? Que révèle cette opération sur le fonctionnement des marchés, des régulations et du capitalisme énergétique européens ?


Le projet de double cotation de TotalEnergies aux États-Unis questionne sur ses motivations profondes et ses implications financières. Si l’entreprise insiste sur le fait que « TotalEnergies est déjà cotée à New York » et qu’elle souhaite « transformer les certificats American Depositary Receipt, qui sont aujourd’hui la base de [sa] cotation aux États-Unis, en actions ordinaires », cette décision n’en reste pas moins stratégique.

La double cotation permet à une entreprise d’être cotée directement sur deux places boursières. Dans le cas de TotalEnergies, il ne s’agirait plus de maintenir les American Depositary Receipts (ADR) – actuellement utilisés pour accéder au marché états-unien –, mais de coter ses actions ordinaires à la Bourse de New York, tout en conservant leur cotation sur Euronext Paris. Cela permettrait aux mêmes actions d’être échangées en euros en Europe et en dollars aux États-Unis.

Double cotation

L’objectif immédiat du projet est de convertir les certificats ADR, qui représentent environ 9 % du capital de l’entreprise, en actions ordinaires cotées sur le New York Stock Exchange (NYSE). Les ADR sont des certificats négociables, émis par une banque américaine, représentant la propriété d’une action d’une société étrangère, et permettant leur négociation sur les marchés du pays de l’Oncle Sam. La conversion des ADR permettrait aux investisseurs états-uniens d’acheter des titres TotalEnergies directement, sans passer par des véhicules intermédiaires. Elle réduit les coûts d’intermédiation et facilite la liquidité.

Cette mutation est d’autant plus crédible que les investisseurs des États-Unis détiennent déjà près de 40 % du capital de TotalEnergies, en 2024, contre 25,3 % pour les actionnaires français. La part des fonds d’investissement états-uniens y est déterminante, en particulier le fonds BlackRock qui, avec 6,1 % du capital, est le premier actionnaire du groupe). De plus, les valorisations des majors américaines restent généralement supérieures à celles de leurs homologues européens. Le titre TotalEnergies se négocie ainsi à Paris à environ 3,5 fois l’Ebitda (soldes intermédiaires de gestion, ndlr), contre 6,5 fois pour ExxonMobil. En clair, tout en conservant une cotation à Paris, le « centre de gravité » boursier de l’entreprise se déplacerait mécaniquement.

Arbitrage entre Paris et New York

L’arbitrage entre NYSE et Euronext Paris consisterait, en théorie, à acheter des actions à un prix plus bas sur un marché (Paris), puis à les revendre à un prix plus élevé sur un autre (New York), tirant profit du différentiel de valorisation. Dans les faits, cette stratégie est très difficile à mettre en œuvre pour une entreprise comme TotalEnergies. Plusieurs obstacles s’y opposent :

  • Il existe des délais de règlement entre les deux marchés, empêchant une exécution instantanée.

  • Les fiscalités et régulations diffèrent selon les juridictions, complexifiant les transferts d’actions.

  • Les fuseaux horaires et la structure des marchés rendent difficile la synchronisation des opérations.

  • Les volumes de marché et la liquidité ne sont pas strictement équivalents sur les deux places.

  • Les programmes de rachat d’actions sont encadrés par des règles strictes : prix maximum, période autorisée, finalités déclarées (rémunération, annulation, etc.).

TotalEnergies ne peut donc pas légalement racheter massivement ses actions à Paris pour les revendre sous une autre forme à New York. Autrement dit, la double cotation vise moins à exploiter un arbitrage immédiat qu’à créer un accès direct et stable au marché américain, dans l’objectif d’attirer les investisseurs, d’améliorer la liquidité du titre et, à terme, d’obtenir une meilleure valorisation.

Mise en conformité

Techniquement, ce transfert nécessite une mise en conformité avec les règles de l’autorité de marchés américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC) :

  • Un reporting financier aux normes comptables du pays, l’United States Generally Accepted Accounting Principles (US GAAP).

  • Une application drastique de la loi Sarbanes-Oxley qui oblige toutes les sociétés publiques à faire rapport de leurs contrôles comptables internes à la SEC.

  • La nomination d’un représentant légal aux États-Unis.

  • L’adaptation des structures internes à cette nouvelle configuration réglementaire et boursière.

L’exemple de TotalEnergies renvoie à celui de STMicroelectronics, dont la double cotation (Paris et NYSE) existe depuis son introduction en bourse, en 1994. Dans les années 2000, la liquidité du titre s’est déplacée progressivement vers New York, en raison d’une valorisation plus favorable et d’une structure actionnariale influencée par les fonds d’investissements états-uniens.

Maximisation de la valeur actionnariale

Le choix d’une double cotation répond à une logique bien ancrée depuis la révolution libérale des années 1980, impulsée par Milton Friedman et l’école de Chicago : celle de la maximisation de la valeur actionnariale.


À lire aussi : Deux conceptions de l’entreprise « responsable » : Friedman contre Freeman


TotalEnergies s’illustre avec un retour sur capitaux employés de 19 %, le plus élevé de toutes les majors pétrolières. Le groupe offre un rendement exceptionnel pour ses actionnaires : un dividende de 3,22 euros par action en 2024, soit une progression de 7 %. Le rendement moyen est de 5,74 % sur les cinq dernières années, contre 3 % pour l’ensemble des valeurs du CAC 40.

Son président-directeur général Patrick Pouyanné défend le choix d’une politique de distribution de dividendes soutenue lors de son discours à l’assemblée générale du groupe du 23 mai 2025 :

« Je sais aussi ce qui vous tient le plus à cœur, à travers ces échanges, c’est la pérennité de la politique du retour à l’actionnaire et notamment du dividende. Laissez-moi vous rassurer tout de suite, TotalEnergies n’a pas baissé son dividende depuis plus de quarante ans, même lorsque votre compagnie a traversé des crises violentes comme celle liée à la pandémie de Covid-19, et ce n’est pas aujourd’hui ni demain que cela va commencer. »

Les résolutions sur l’approbation des comptes et l’affectation du résultat soumises à l’assemblée générale du 23 mai 2025 ont recueilli plus de 99 % de votes favorables. Ces scores confortent la direction dans sa trajectoire conforme aux principes de la gouvernance actionnariale.

Prime de valorisation

Dans cette optique, la cotation à New York est d’autant plus attrayante qu’elle s’accompagne d’une prime de valorisation. En 2024, les certificats ADR TotalEnergies ont progressé de 8,6 % en dollars contre 1,4 % pour l’action à Paris).

Les gains de valeur boursière générés par une double cotation sont clairement avérés. Dans une étude publiée en 2010, la Federal Reserve Bank of New York démontre que les entreprises cotées qui s’introduisent sur un marché de prestige supérieur (comme Wall Street) « enregistrent des gains de valorisation significatifs durant les cinq années suivant leur introduction en bourse ».

La littérature académique met en évidence que la cotation croisée favorise une couverture accrue par les analystes financiers, en particulier américains. Cette visibilité renforcée améliore la diffusion de l’information, réduit l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et renforce ainsi la confiance des marchés. Elle influence directement le coût du capital : les investisseurs sont prêts à financer l’entreprise à un taux réduit, car ils perçoivent un risque moindre. En d’autres termes, une entreprise mieux suivie, plus claire et mieux valorisée sur les marchés peut obtenir des financements à des conditions avantageuses.

Green Deal européen

TotalEnergies justifie son projet par des considérations économiques et financières. Mais ce repositionnement intervient dans un contexte réglementaire européen tendu, marqué par une montée en puissance des exigences de transparence, de durabilité et de prise en compte des parties prenantes au-delà des seuls actionnaires. Cette logique, inspirée de l’approche dite de la stakeholder value, est promue, notamment, par R. Edward Freeman (1984).

Cette dynamique est aujourd’hui remise en question. Les débats se cristallisent autour de la législation Omnibus, qui cherche à assouplir certaines exigences du cadre ESG, issu du Green Deal (pacte vert) européen, souvent critiqué pour ses répercussions possibles sur la compétitivité des entreprises européennes.

Dans le cadre du Green Deal, la directive Corporate Sustainability Reporting et les normes ESRS E1 (European Sustainability Reporting Standards) renforcent la transparence des grandes entreprises de plus de 1 000 salariés, selon la dernière proposition de la Commission européenne, en matière de risques climatiques et de leurs impacts environnementaux. En ce sens, ces directives offrent des leviers de contrôle supplémentaires aux parties prenantes désireuses d’interroger certaines stratégies de grandes entreprises comme TotalEnergies, notamment climatiques.

ESG et monde décarboné

Selon les deux derniers rapports de durabilité de TotalEnergies, la part des investissements durables du groupe (au sens de la taxonomie verte européenne mise en place dans le cadre du Green Deal) est tombée à 20,9 % en 2024, contre 28,1 % en 2023.

Lors de la dernière assemblée générale, Patrick Pouyanné a défendu cette orientation en soulignant notamment :

« Tant que nous n’aurons pas construit un système énergétique mondial décarboné, fiable et abordable, nous devrons continuer à investir dans les énergies traditionnelles. »

En déplaçant partiellement son centre de gravité vers les États-Unis, TotalEnergies consoliderait de facto son ancrage à un marché financier américain globalement moins en attente en matière d’ESG. Ainsi, lors de son audition au Sénat en avril 2024, Patrick Pouyanné soulignait :

« Du fait notamment du poids des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance en Europe, la base d’actionnaires européens de TotalEnergies diminue […] alors que les actionnaires américains achètent TotalEnergies. »

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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27.07.2025 à 10:14

Comment la modélisation peut aider à mieux gérer la ressource en eau

André Fourno, Chercheur, IFP Énergies nouvelles

Benoit Noetinger, Chercheur, IFP Énergies nouvelles

Youri Hamon, Ingénieur de Recherche, IFP Énergies nouvelles

Alors que les arrêtés de restriction d’usage de l’eau liés à la sécheresse se multiplient depuis le début du mois de juin 2025, peut-on mieux modéliser l’évolution de ces ressources ?
Texte intégral (2302 mots)
L’aquifère karstique de la source du Lez, dans l’Héraut, assure l’alimentation en eau potable de 74 % de la population des 31 communes de la métropole de Montpellier. Stclementader/Wikimedia commons, CC BY-NC-SA

Alors que les arrêtés de restriction d’usage de l’eau en raison de la sécheresse se multiplient depuis le début du mois de juin 2025, une question se pose : peut-on mieux prévoir l’évolution de ces ressources grâce aux outils numériques ? Les aquifères (roches poreuses souterraines) et la complexité de leurs structures sont difficiles à appréhender pour les chercheurs depuis la surface de la Terre. La modélisation numérique a beaucoup à apporter à leur connaissance, afin de mieux anticiper les épisodes extrêmes liés à l’eau et mieux gérer cette ressource.


Les eaux souterraines, qui représentent 99 % de l’eau douce liquide sur terre et 25 % de l’eau utilisée par l’homme, constituent la plus grande réserve d’eau douce accessible sur la planète et jouent un rôle crucial dans le développement des sociétés humaines et des écosystèmes.

Malheureusement, les activités anthropiques affectent fortement la ressource, que ce soit par une augmentation de la demande, par l’imperméabilisation des surfaces ou par différentes contaminations…

À ces menaces s’ajoutent les perturbations des cycles et des processus naturels. Le changement climatique entraîne ainsi des modifications des régimes hydrologiques, telles que la répartition annuelle des pluies et leur intensité, ainsi que l’augmentation de l’évaporation.

Si remédier à cette situation passe par une adaptation de nos comportements, cela exige également une meilleure connaissance des hydrosystèmes, afin de permettre l’évaluation de la ressource et de son évolution.

Sa gestion pérenne, durable et résiliente se heurte à de nombreuses problématiques, aussi rencontrées dans le secteur énergétique (hydrogène, géothermie, stockage de chaleur, stockage de CO₂

Il s’agit donc de considérer les solutions mises en place dans ces secteurs afin de les adapter à la gestion des ressources en eau. Ce savoir-faire vise à obtenir une représentation 3D de la répartition des fluides dans le sous-sol et à prédire leur dynamique, à l’instar des prévisions météorologiques.

Les aquifères : des formations géologiques diverses et mal connues

Comme l’hydrogène, le CO2 ou les hydrocarbures, l’eau souterraine est stockée dans la porosité de la roche et dans ses fractures, au sein de « réservoirs » dans lesquels elle peut circuler librement. On parle alors d’aquifères. Ces entités géologiques sont par nature très hétérogènes : nature des roches, épaisseur et morphologie des couches géologiques, failles et fractures y sont légion et affectent fortement la circulation de l’eau souterraine.

Aquifères sédimentaires profonds ou karstiques. Office international de l’eau, CC BY-NC-SA

Pour comprendre cette hétérogénéité du sous-sol, les scientifiques n’ont que peu d’informations directes.L’étude de la géologie (cartographie géologique, descriptions des différentes unités lithologiques et des réseaux de failles et fractures, étude de carottes de forage) permet de comprendre l’organisation du sous-sol.

Les géologues utilisent également des informations indirectes, obtenues par les techniques géophysiques, qui permettent de déterminer des propriétés physiques du milieu (porosité, perméabilité, degré de saturation…) et d’identifier les différentes zones aquifères.

Enfin, grâce à des prélèvements d’échantillons d’eau et à l’analyse de leurs compositions (anions et cations majeurs ou traces, carbone organique ou inorganique, isotopes), il est possible de déterminer l’origine de l’eau (eau météorique infiltrée, eau marine, eau profonde crustale…), les terrains drainés, mais également les temps de résidence de l’eau au sein de l’aquifère.

Ces travaux permettent alors d’obtenir une image de la géométrie du sous-sol et de la dynamique du fluide (volume et vitesse d’écoulement de l’eau), constituant une représentation conceptuelle.

Modéliser le comportement des eaux sous terre

Cependant, les données de subsurface collectées ne reflètent qu’une faible fraction de la complexité géologique de ces aquifères. Afin de confronter les concepts précédemment établis au comportement réel des eaux souterraines, des représentations numériques sont donc établies.

Les modèles numériques du sous-sol sont largement utilisés dans plusieurs champs d’application des géosciences : les énergies fossiles, mais aussi le stockage géologique de CO₂, la géothermie et bien sûr… la ressource en eau !

Dans le domaine de l’hydrogéologie, différentes techniques de modélisation peuvent être utilisées, selon le type d’aquifère et son comportement hydrodynamique.

Les aquifères sédimentaires profonds constitués de couches de sédiments variés sont parfois situés à des profondeurs importantes. C’est, par exemple, le cas des formations du miocène, de plus de 350 mètres d’épaisseur, de la région de Carpentras, qui abritent l’aquifère du même nom. Celles-ci vont se caractériser par une forte hétérogénéité : plusieurs compartiments aquifères peuvent ainsi être superposés les uns sur les autres, séparés par des intervalles imperméables (aquitards), formant un « mille-feuille » géologique.

Représenter la complexité des aquifères

La distribution de ces hétérogénéités peut alors être modélisée par des approches géostatistiques, corrélées à des informations de structure (histoire géologique, déformations, failles…). On parle de « modèles distribués », car ils « distribuent » des propriétés géologiques (nature de la roche, porosité, perméabilité…) de manière spatialisée au sein d’une grille numérique 3D représentant la structure de l’aquifère.

Ces modèles distribués se complexifient lorsque l’aquifère est fracturé et karstique. Ces systèmes hydrogéologiques sont formés par la dissolution des roches carbonatées par l’eau météorique qui s’infiltre, le plus souvent le long des failles et fractures. Ces aquifères, qui sont très largement répandus autour de la Méditerranée (aquifères des Corbières, du Lez, ou des monts de Vaucluse…), ont une importante capacité de stockage d’eau.

Ils se caractérisent par des écoulements souterrains avec deux voire trois vitesses d’écoulement, chacune associée à un milieu particulier : lente dans la roche, rapide au sein des fractures, très rapide dans les drains et conduits karstiques avec des échanges de fluide entre ces différents milieux. Les approches distribuées s’appuient alors sur autant de maillages (représentation numérique d’un milieu) que de milieux contribuant à l’écoulement, afin de modéliser correctement les échanges entre eux.

Anticiper les épisodes extrêmes et alerter sur les risques

Le point fort des approches distribuées est de pouvoir définir, anticiper et visualiser le comportement de l’eau souterraine (comme on le ferait pour un front nuageux en météorologie), mais également de positionner des capteurs permanents (comme cela a été abordé dans le projet SENSE) pour alerter de façon fiable les pouvoirs publics sur l’impact d’un épisode extrême (pluvieux ou sécheresse).

En outre, elles sont le point de passage obligé pour profiter des derniers résultats de la recherche sur les « approches big data » et sur les IA les plus avancées. Cependant, les résultats obtenus dépendent fortement des données disponibles. Si les résultats ne donnent pas satisfaction, il est nécessaire de revoir les concepts ou la distribution des propriétés. Loin d’être un échec, cette phase permet toujours d’améliorer notre connaissance de l’hydrosystème.

Des modélisations dites « globales » assez anciennes reliant par des modèles de type boîte noire (déjà parfois des réseaux neuronaux !) les données de pluie mesurées aux niveaux d’eau et débits observés ont également été mises au point à l’échelle de l’aquifère. Elles sont rapides et faciles d’utilisation, toutefois mal adaptées pour visualiser et anticiper l’évolution de la recharge et des volumes d’eau en place dans un contexte de changements globaux, avec notamment la multiplication des évènements extrêmes.

Loin d’être en concurrence, ces approches doivent être considérées comme complémentaires. Une première représentation du comportement actuel de l’aquifère peut être obtenue avec les approches globales, et faciliter l’utilisation et la paramétrisation des approches distribuées.

Des outils d’aide à la décision

Ces dernières années, la prise en considération des problématiques « eau » par les pouvoirs publics a mis en lumière le besoin d’évaluation de cette ressource. Le développement d’approches méthodologiques pluridisciplinaires couplant caractérisation et modélisation est une des clés pour lever ce verrou scientifique.

De tels travaux sont au cœur de nombreux programmes de recherche, comme le programme OneWater – Eau bien commun, le programme européen Water4all ou l’ERC Synergy KARST et de chaires de recherche telles que GeEAUde ou EACC.

Ils apportent une meilleure vision de cette ressource dite invisible, et visent à alerter l’ensemble des acteurs sur les problèmes d’une surexploitation ou d’une mauvaise gestion, à anticiper les impacts des changements globaux tout en fournissant des outils d’aide à la décision utilisables par les scientifiques, par les responsables politiques et par les consommateurs.

The Conversation

André Fourno a reçu des financements de OneWater – Eau Bien Commun.

Benoit Noetinger a reçu des financements de European research council

Youri Hamon a reçu des financements de OneWater – Eau Bien Commun.

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24.07.2025 à 20:05

La majorité de la pêche industrielle dans les aires marines protégées échappe à toute surveillance

Raphael Seguin, Doctorant en écologie marine, en thèse avec l'Université de Montpellier et BLOOM, Université de Montpellier

David Mouillot, Professeur en écologie, laboratoire MARBEC, Université de Montpellier

La majorité des aires marines protégées dans le monde n’offre que peu de protection face à la pêche industrielle, qui échappe souvent à toute surveillance publique.
Texte intégral (3396 mots)

Les aires marines protégées sont-elles vraiment efficaces pour protéger la vie marine et la pêche artisanale ? Alors que, à la suite de l’Unoc-3, des États comme la France ou la Grèce annoncent la création de nouvelles aires, une étude, parue ce 24 juillet dans la revue Science, montre que la majorité de ces zones reste exposée à la pêche industrielle, dont une large part échappe à toute surveillance publique. Une grande partie des aires marines ne respecte pas les recommandations scientifiques et n’offre que peu, voire aucune protection pour la vie marine.


La santé de l’océan est en péril, et par extension, la nôtre aussi. L’océan régule le climat et les régimes de pluie, il nourrit plus de trois milliards d’êtres humains et il soutient nos traditions culturelles et nos économies.

Historiquement, c’est la pêche industrielle qui est la première source de destruction de la vie marine : plus d’un tiers des populations de poissons sont surexploitées, un chiffre probablement sous-estimé, et les populations de grands poissons ont diminué de 90 à 99 % selon les régions.

À cela s’ajoute aujourd’hui le réchauffement climatique, qui impacte fortement la plupart des écosystèmes marins, ainsi que de nouvelles pressions encore mal connues, liées au développement des énergies renouvelables en mer, de l’aquaculture et de l’exploitation minière.

Les aires marines protégées, un outil efficace pour protéger l’océan et l’humain

Face à ces menaces, nous disposons d’un outil éprouvé pour protéger et reconstituer la vie marine : les aires marines protégées (AMP). Le principe est simple : nous exploitons trop l’océan, nous devons donc définir certaines zones où réguler, voire interdire, les activités impactantes pour permettre à la vie marine de se régénérer.

Les AMP ambitionnent une triple efficacité écologique, sociale et climatique. Elles permettent le rétablissement des écosystèmes marins et des populations de poissons qui peuvent s’y reproduire. Certaines autorisent uniquement la pêche artisanale, ce qui crée des zones de non-concurrence protégeant des méthodes plus respectueuses de l’environnement et créatrices d’emplois. Elles permettent aussi des activités de loisirs, comme la plongée sous-marine. Enfin, elles protègent des milieux qui stockent du CO2 et contribuent ainsi à la régulation du climat.

Trois photos : en haut à gauche, un banc de poissons ; en bas à gauche, un herbier marin ; à droite, trois hommes sur une plage tire une barque à l’eau
Les aires marines protégées permettent le rétablissement des populations de poissons, protègent des habitats puits de carbone comme les herbiers marins et peuvent protéger des activités non industrielles comme la pêche artisanale ou la plongée sous-marine. Jeff Hester, Umeed Mistry, Hugh Whyte/Ocean Image Bank, Fourni par l'auteur

Dans le cadre de l’accord mondial de Kunming-Montréal signé lors de la COP 15 de la biodiversité, les États se sont engagés à protéger 30 % de l’océan d’ici 2030. Officiellement, plus de 9 % de la surface des océans est aujourd’hui sous protection.

Pour être efficaces, toutes les AMP devraient, selon les recommandations scientifiques, soit interdire la pêche industrielle et exclure toutes les activités humaines, soit en autoriser certaines d’entre elles, comme la pêche artisanale ou la plongée sous-marine, en fonction du niveau de protection. Or, en pratique, une grande partie des AMP ne suivent pas ces recommandations et n’excluent pas les activités industrielles qui sont les plus destructrices pour les écosystèmes marins, ce qui les rend peu, voire pas du tout, efficaces.

Réelle protection ou outil de communication ?

En effet, pour atteindre rapidement les objectifs internationaux de protection et proclamer leur victoire politique, les gouvernements créent souvent de grandes zones protégées sur le papier, mais sans réelle protection effective sur le terrain. Par exemple, la France affirme protéger plus de 33 % de ses eaux, mais seuls 4 % d’entre elles bénéficient de réglementations et d’un niveau de protection réellement efficace, dont seulement 0,1 % dans les eaux métropolitaines.

Lors du Sommet de l’ONU sur l’océan qui s’est tenu à Nice en juin 2025, la France, qui s’oppose par ailleurs à une réglementation européenne visant à interdire le chalutage de fond dans les AMP, a annoncé qu’elle labelliserait 4 % de ses eaux métropolitaines en protection forte et qu’elle y interdirait le chalutage. Le problème, c’est que la quasi-totalité de ces zones se situe dans des zones profondes… où le chalutage de fond est déjà interdit.

La situation est donc critique : dans l’Union européenne, 80 % des aires marines protégées en Europe n’interdisent pas les activités industrielles. Pis, l’intensité de la pêche au chalutage de fond est encore plus élevée dans ces zones qu’en dehors. Dans le monde, la plupart des AMP autorisent la pêche, et seulement un tiers des grandes AMP sont réellement protégées.

De plus, l’ampleur réelle de la pêche industrielle dans les AMP reste largement méconnue à l’échelle mondiale. Notre étude s’est donc attachée à combler en partie cette lacune.

La réalité de la pêche industrielle dans les aires protégées

Historiquement, il a toujours été très difficile de savoir où et quand vont pêcher les bateaux. Cela rendait le suivi de la pêche industrielle et de ses impacts très difficile pour les scientifiques. Il y a quelques années, l’ONG Global Fishing Watch a publié un jeu de données basé sur le système d’identification automatique (AIS), un système initialement conçu pour des raisons de sécurité, qui permet de connaître de manière publique et transparente la position des grands navires de pêche dans le monde. Dans l’Union européenne, ce système est obligatoire pour tous les navires de plus de 15 mètres.

Le problème, c’est que la plupart des navires de pêche n’émettent pas tout le temps leur position via le système AIS. Les raisons sont diverses : ils n’y sont pas forcément contraints, le navire peut se trouver dans une zone où la réception satellite est médiocre, et certains l’éteignent volontairement pour masquer leur activité.

Pour combler ce manque de connaissance, Global Fishing Watch a combiné ces données AIS avec des images satellites du programme Sentinel-1, sur lesquelles il est possible de détecter des navires. On distingue donc les navires qui sont suivis par AIS, et ceux qui ne le sont pas, mais détectés sur les images satellites.

Carte du monde sur fond noir représentant les bateaux transmettant leur position GPS et ceux qui ne l’émettent pas
Global Fishing Watch a analysé des millions d’images satellite radar afin de déterminer l’emplacement des navires qui restent invisibles aux systèmes de surveillance publics. Sur cette carte de 2022 sont indiqués en jaune les navires qui émettent leur position GPS publiquement via le système AIS, et en orange ceux qui ne l’émettent pas mais qui ont été détectés via les images satellites. Global Fishing Watch, Fourni par l'auteur

Les aires sont efficaces, mais parce qu’elles sont placées là où peu de bateaux vont pêcher au départ

Notre étude s’intéresse à la présence de navires de pêche suivis ou non par AIS dans plus de 3 000 AMP côtières à travers le monde entre 2022 et 2024. Durant cette période, deux tiers des navires de pêche industrielle présents dans les AMP n’étaient pas suivis publiquement par AIS, une proportion équivalente à celle observée dans les zones non protégées. Cette proportion variait d’un pays à l’autre, mais des navires de pêche non suivis étaient également présents dans les aires marines protégées de pays membres de l’UE, où l’émission de la position via l’AIS est pourtant obligatoire.

Entre 2022 et 2024, nous avons détecté des navires de pêche industrielle dans la moitié des AMP étudiées. Nos résultats, conformes à une autre étude publiée dans le même numéro de la revue Science, montrent que la présence de navires de pêche industrielle était en effet plus faible dans les AMP réellement protégées, les rares qui interdisent toute activité d’extraction. C’est donc une bonne nouvelle : lorsque les réglementations existent et qu’elles sont efficacement gérées, les AMP excluent efficacement la pêche industrielle.

En revanche, nous avons tenté de comprendre les facteurs influençant la présence ou l’absence de navires de pêche industrielle dans les AMP : s’agit-il du niveau de protection réel ou de la localisation de l’AMP, de sa profondeur ou de sa distance par rapport à la côte ? Nos résultats indiquent que l’absence de pêche industrielle dans une AMP est plus liée à son emplacement stratégique – zones très côtières, reculées ou peu productives, donc peu exploitables – qu’à son niveau de protection. Cela révèle une stratégie opportuniste de localisation des AMP, souvent placées dans des zones peu pêchées afin d’atteindre plus facilement les objectifs internationaux.

Exemple de détections de navires de pêche industrielle suivis par AIS (en bleu) ou non suivis (en beige), le long de la côte atlantique française, à partir des données de l’ONG Global Fishing Watch. Les délimitations des aires marines protégées, selon la base de données WDPA, sont en blanc. Les images satellites du programme Sentinel-1 servent de fond de carte. Raphael Seguin/Université de Montpellier, Fourni par l'auteur

Une pêche méconnue et sous-estimée

Enfin, une question subsistait : une détection de navire de pêche sur une image satellite signifie-t-elle pour autant que le navire est en train de pêcher, ou bien est-il simplement en transit ? Pour y répondre, nous avons comparé le nombre de détections de navires par images satellites dans une AMP à son activité de pêche connue, estimée par Global Fishing Watch à partir des données AIS. Si les deux indicateurs sont corrélés, et que le nombre de détections de navires sur images satellites est relié à un plus grand nombre d’heures de pêche, cela implique qu’il est possible d’estimer la part de l’activité de pêche « invisible » à partir des détections non suivies par AIS.

Nous avons constaté que les deux indicateurs étaient très corrélés, ce qui montre que les détections par satellites constituent un indicateur fiable de l’activité de pêche dans une AMP. Cela révèle que la pêche industrielle dans les AMP est bien plus importante qu’estimée jusqu’à présent, d’au moins un tiers selon nos résultats. Pourtant, la plupart des structures de recherche, de conservation, ONG ou journalistes se fondent sur cette seule source de données publiques et transparentes, qui ne reflète qu’une part limitée de la réalité.

De nombreuses interrogations subsistent encore : la résolution des images satellites nous empêche de voir les navires de moins de 15 mètres et rate une partie importante des navires entre 15 et 30 mètres. Nos résultats sous-estiment donc la pêche industrielle dans les aires protégées et éludent complètement les petits navires de moins de 15 mètres de long, qui peuvent également être considérés comme de la pêche industrielle, notamment s’ils en adoptent les méthodes, comme le chalutage de fond. De plus, les images satellites utilisées couvrent la plupart des eaux côtières, mais pas la majeure partie de la haute mer. Les AMP insulaires ou éloignées des côtes ne sont donc pas incluses dans cette étude.

Vers une véritable protection de l’océan

Nos résultats rejoignent ceux d’autres études sur le sujet et nous amènent à formuler trois recommandations.

D’une part, la quantité d’aires marines protégées ne fait pas leur qualité. Les définitions des AMP doivent suivre les recommandations scientifiques et interdire la pêche industrielle, faute de quoi elles ne devraient pas être considérées comme de véritables AMP. Ensuite, les AMP doivent aussi être situées dans des zones soumises à la pression de la pêche, pas seulement dans des zones peu exploitées. Enfin, la surveillance des pêcheries doit être renforcée et plus transparente, notamment en généralisant l’usage de l’AIS à l’échelle mondiale.

À l’avenir, grâce à l’imagerie satellite optique à haute résolution, nous pourrons également détecter les plus petits navires de pêche, afin d’avoir une vision plus large et plus complète des activités de pêche dans le monde.

Pour l’heure, l’urgence est d’aligner les définitions des aires marines protégées avec les recommandations scientifiques et d’interdire systématiquement les activités industrielles à l’intérieur de ces zones, pour construire une véritable protection de l’océan.

The Conversation

Raphael Seguin est membre de l'association BLOOM.

David Mouillot a reçu des financements de l'ANR.

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24.07.2025 à 16:43

Justice climatique : la Cour internationale de justice pose un jalon historique

Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)

Les États qui cherchent à se soustraire à leurs obligations climatiques peuvent voir leur responsabilité engagée, ce qui ouvre la voie à de futurs contentieux climatiques nationaux.
Texte intégral (2424 mots)

Dans un avis inédit et unanime, la Cour internationale de justice reconnaît que le changement climatique constitue une menace existentielle pour l’humanité. Les États qui cherchent à se soustraire à leurs obligations climatiques peuvent voir leur responsabilité engagée, ce qui ouvre la voie à de futurs contentieux climatiques nationaux.


La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu hier 23 juillet 2025 un avis consultatif très attendu sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques. Dans cet avis qui constitue un jalon historique, la Cour clarifie les obligations des États : considérant que les changements climatiques constituent un risque existentiel pour l’humanité, elle adopte une interprétation du droit international particulièrement stricte et « pro-climat ».

La CIJ avait été saisie par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée par consensus il y a plus de deux ans, le 29 mars 2023. Inspirée par un collectif d’étudiants ( « Islands Students Fighting Climate Change ») de l’université du Pacifique Sud, cette demande avait été portée à l’ONU par un petit État insulaire du Pacifique, Vanuatu.

Elle fait suite à un premier projet qui avait été porté en 2011 par Palaos et les Îles Marshall, mais n’avait pas abouti pour des raisons politiques. Cette fois, grâce à une intense activité diplomatique, Vanuatu est parvenu à rallier une vaste coalition internationale et à convaincre l’Assemblée générale de l’ONU de saisir la Cour.

De nombreux États ont participé à la procédure, qui a donné lieu aux plus grandes audiences jamais connues par la Cour, avec une centaine d’interventions au total.

Un contexte d’explosion des procès climatiques

Créée en 1945, la Cour est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies (ONU). Composée de 15 juges élus pour un mandat de 9 ans, représentant les principaux systèmes juridiques du monde, elle siège à La Haye, aux Pays-Bas. La CIJ peut connaître de procédures contentieuses – elle tranche alors des conflits entre États – ou de procédures consultatives, lorsque des demandes d’avis concernant des questions juridiques lui sont présentées par des organes ou institutions spécialisées des Nations unies, comme c’est le cas ici.

Cette demande s’inscrit dans un contexte d’explosion du nombre de procès dits « climatiques » dirigés contre des États ou des entreprises à l’échelle mondiale.

Plus de 2 300 procès climatiques, en cours ou terminés, ont déjà été recensés aux États-Unis. On en compte également près de 1 300 ailleurs dans le monde, selon la base de données du Sabin Center de l’Université de Columbia.

Le droit international – tout particulièrement l’accord de Paris de 2015 – est souvent invoqué durant ces contentieux, qui se déroulent devant les juges nationaux. L’accord de Paris devient alors l’objet de batailles juridiques pour déterminer comment on doit l’interpréter, à quoi il oblige exactement les États et comment il s’articule avec d’autres obligations internationales (commerce international, investissements internationaux, droit de la mer, droits de l’homme…).


À lire aussi : Climat : le Tribunal international du droit de la mer livre un arrêt historique


Récemment, non pas une mais quatre juridictions internationales ont été saisies de demandes d’avis consultatif visant à clarifier le contenu des obligations des États. Par ordre chronologique, il s’agit du Tribunal international du droit de la mer, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, de la Cour internationale de justice dont il est question dans cet article et de la Cour africaine des droits de l’homme.

Les avis du Tribunal international du droit de la mer et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont apporté d’utiles précisions. Mais ils n’ont pas tranché toutes les questions posées, car ces tribunaux avaient une compétence limitée.

Ainsi, la Cour interaméricaine n’est compétente que s’agissant des droits de l’homme et pour la vingtaine de pays membres de l’OEA. Le Tribunal international du droit de la mer, pour sa part, a une compétence limitée parce que spécialisée. La Cour internationale de justice a, au contraire, une compétence très large et est universelle.

Que retenir de cet avis de 130 pages ?

La double question qui a été posée à la Cour internationale de justice était extrêmement vaste :

  • Quelles sont les obligations des États, en vertu du droit international, face à la crise climatique ?

  • Quelles sont les conséquences juridiques pour les États en cas de manquement à ces obligations ?

Pour y répondre, la Cour était invitée à appliquer l’ensemble des règles qu’elle considérait comme pertinentes, du droit international du climat au droit de la mer, en passant par les droits humains. Enfin, elle était appelée à clarifier les obligations climatiques des États, non seulement vis-à-vis des autres États, mais aussi des peuples et des individus.

La Cour internationale de justice rappelle les obligations des États face à la crise climatique.

De ce long avis de 130 pages, nous pouvons retenir plusieurs points clés.

Sur les aspects scientifiques, la Cour confirme l’importance des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Elle note que les États se sont accordés à dire devant elle qu’ils constituaient les meilleures données scientifiques disponibles sur les causes, la nature et les conséquences des changements climatiques. En novembre 2024, la Cour avait d’ailleurs demandé à rencontrer plusieurs membres du Giec pour renforcer sa compréhension des éléments scientifiques.

La Cour mobilise une large palette de normes internationales, tant coutumières (c’est-à-dire non écrites, comme le principe de prévention des dommages) que conventionnelles qui vont bien au-delà de l’accord de Paris. Elle estime ainsi qu’un État non membre d’un traité sur le climat (une allusion aux États-Unis qui ont de nouveau quitté l’accord de Paris sous l’impulsion de Donald Trump), a malgré tout des devoirs en la matière.

Sur les obligations des États, la Cour livre une interprétation très stricte du droit international. Au vu de la « menace urgente et existentielle » que représentent les changements climatiques, la CIJ considère à plusieurs reprises que la marge de discrétion des États doit être réduite. Ils ont des obligations étendues, aussi bien en termes d’atténuation des changements climatiques, que d’adaptation et de coopération :

  • L’objectif de l’accord de Paris, qu’il « convient de suivre » est bien de 1,5°C et non plus « nettement en dessous de 2°C », les États l’ayant notamment acté au cours des dernières COP sur le climat. Dans les mesures qu’ils adoptent, les États doivent prendre dûment compte des intérêts des générations futures et des « conséquences à long terme de certains comportements ».

  • Le niveau d’ambition de leurs contributions nationales n’est donc pas discrétionnaire : les contributions doivent être réellement les plus ambitieuses possibles, progresser de cycle en cycle, et permettre d’atteindre l’objectif de l’accord au bout du compte.

  • Les États doivent prendre les mesures voulues pour atteindre les objectifs de leurs contributions, mais les obligations peuvent toutefois être modulées selon les émissions historiques des États ou leurs niveaux de développement.

  • Les États ont « l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter et de garantir la jouissance effective des droits de l’homme en prenant les mesures nécessaires pour protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement ».

  • Enfin, les États doivent coopérer, car « les efforts que déploieraient les États sans se coordonner entre eux pourraient ne pas leur permettre d’obtenir des résultats effectifs ».

Vers de futurs contentieux climatiques ?

Sur les conséquences juridiques, la Cour ouvre clairement la voie à de futurs contentieux en confirmant que les États peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils ne se conforment pas à leurs obligations.

Pour elle, « le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État ».

Elle estime que le droit international exige des États qu’ils mettent fin aux violations et notamment mettent « en œuvre tous les moyens à leur disposition pour réduire leurs émissions de GES » et prennent « toutes autres mesures propres à assurer la conformité à leurs obligations ».

Ils doivent aussi réparer intégralement les dommages causés aux autres États ou aux individus, par une remise en état lorsqu’elle sera possible, et/ou par une indemnisation et/ou par une satisfaction. Cette dernière pourrait ici prendre la forme d’une « expression de regrets, des excuses formelles, une reconnaissance ou une déclaration publique, ou encore en mesure de sensibilisation de la société aux changements climatiques ».

Pour la réparation des dommages, un lien de causalité devra être établi entre les actions ou omissions illicites d’un État et les dommages résultant des changements climatiques. Dans une partie quelque peu élusive, la CIJ reconnaît que c’est plus difficile que pour d’autres pollutions plus locales. Mais elle ajoute que ce n’est pas non plus « impossible » et que cela devra être apprécié in concreto (c’est-à-dire, sur la base d’éléments concrets) dans d’éventuels contentieux climatiques à venir.

Un avis historique

L’avis peut être qualifié d’historique : la Cour ne s’était jamais prononcée sur le sujet, d’autant que ce dernier est sensible. Les COP sur le climat s’essoufflent depuis plusieurs années et que beaucoup d’États reculent dans leurs politiques climatiques voire environnementales, alors même que les conséquences du changement climatique se font sentir de plus en plus vivement.

Les États les plus pauvres et vulnérables, mais aussi les ONG et militants environnementaux avaient des attentes très élevées envers cet avis. Bien que la Cour reste très générale et abstraite dans ses formulations, elle y répond assez largement.

Certes, un avis consultatif n’est pas contraignant en lui-même et les États ne s’y conforment pas toujours, mais il revêt une grande autorité. Adopté à l’unanimité, cet avis pourrait avoir des conséquences politiques et même juridiques.

Il pourrait être mobilisé dans les négociations internationales, et notamment lors des prochaines COP sur le climat. Beaucoup espèrent qu’il poussera au relèvement de l’ambition des politiques climatiques et soutienne leurs positions.

On imagine aussi qu’il va venir alimenter les contentieux climatiques nationaux, et peut-être même motiver certains États à saisir des tribunaux internationaux contre d’autres États.

Néanmoins, la Cour termine son avis en soulignant le rôle certes non négligeable, mais somme toute « limité » du droit international. Elle espère que « ses conclusions permettront au droit d’éclairer et de guider les actions sociales et politiques visant à résoudre la crise climatique actuelle », mais affirme que :

« [La] solution complète à ce problème qui nous accable, mais que nous avons créé nous-mêmes […] requiert la volonté et la sagesse humaines – au niveau des individus, de la société et des politiques – pour modifier nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuels et garantir ainsi un avenir à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront. »

Elle engage ici une réflexion sur le rôle du juge, du droit, mais aussi sur leurs limites face à cet enjeu de civilisation.

The Conversation

Sandrine Maljean-Dubois a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet PROCLIMEX. Elle a été avocat-conseil de la République démocratique du Congo dans cette affaire.

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24.07.2025 à 12:12

Le réchauffement climatique menace les glaciers, les lacs et les écosystèmes des Pyrénées

Hugo Sentenac, Maître de Conférence en écologie de la santé, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Adeline Loyau, Chercheuse en écologie, Toulouse INP

Dirk S. Schmeller, Directeur de recherche CNRS, Expert for Conservation Biology, Axa Chair for Functional Mountain Ecology at the École Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Dans les Pyrénées, le changement climatique s’avère plus intense que prévu, avec de lourdes conséquences sur la biodiversité des lacs et sur les ressources en eau.
Texte intégral (2695 mots)
Le lac d’Arlet (1 986 m) dans les Pyrénées-Atlantiques subit lui aussi un verdissement de ses eaux. Ce mal touche de nombreux lacs, menaçant la biodiversité qu’ils hébergent. Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

De récentes études sur les Pyrénées révèlent l’ampleur des changements environnementaux dans les écosystèmes montagnards. Le changement climatique s’avère plus intense que prévu, notamment pour les lacs, où les conditions de vie deviennent difficiles, et pour les glaciers. Les conséquences pourraient être dramatiques pour la biodiversité locale et pour le pastoralisme, mais aussi pour beaucoup de personnes, y compris en dehors des régions montagneuses, qui en dépendent pour leur approvisionnement en eau.


Les montagnes nous rendent chaque jour de nombreux services essentiels. En plus de leur grande valeur culturelle, spirituelle et récréative, elles assurent, entre autres, une provision durable en eau grâce à la neige et à la glace qui alimentent les rivières, ainsi qu’en bois et plantes médicinales. Les montagnes participent à la régulation du climat et offrent des opportunités économiques pour les touristes, grâce à leurs pentes enneigées en hiver, et pour le bétail avec des pâtures enherbées en été.

D’un point de vue écologique, les écosystèmes de montagnes abritent une biodiversité particulière qui s’est adaptée à de rudes conditions. En temps normal, elle contribue à maintenir une eau de bonne qualité en la purifiant. Pourtant, cette biodiversité et les services qu’elle nous rend sont aujourd’hui menacés, notamment par le réchauffement climatique, par le changement d’utilisation des terres, par la pollution et par l’introduction d’espèces non natives. Dans les Pyrénées, ces changements sont déjà flagrants.

Le changement climatique impacte l’eau sous toutes ses formes

Le réchauffement des températures est plus intense en altitude qu’en plaine, et leurs conséquences sur les écosystèmes montagnards sont bien visibles. D’après une étude dans les Pyrénées, rien qu’entre 2020 et 2023, les glaciers ont perdu en moyenne 9 % de leur surface et 2,5 m d’épaisseur, contre 2,4 % et 0,8 m entre 2011 et 2020. Avec les glaciers qui fondent, c’est nos réserves d’eau qui nous filent entre les doigts et qui manqueront pendant les étés chauds et secs.

En effet, une grande partie de l’eau potable consommée par l’agglomération toulousaine provient directement de la Garonne, et donc des Pyrénées. L’eau de la Garonne sert aussi à refroidir les réacteurs nucléaires de Golfech : il faut qu’il y en ait assez et qu’elle soit inférieure à 28 °C pour effectivement les refroidir. Dans le cas contraire, la centrale est mise à l’arrêt, comme cela a été fait le 29 juin 2025 à cause de la canicule.

D’autres écosystèmes, comme les lacs, les étangs et les mares, sont aussi fortement impactés, mais de manière moins évidente.

Notre étude sur 14 lacs, étangs et mares des Pyrénées a montré une augmentation moyenne de leur température de 1,65 °C de 2007 à 2023. C’est-à-dire qu’en seize ans seulement, l’eau a chauffé au-delà de la limite fixée par les accords de Paris de 2015, lors de la COP 21, qui était de 1,5 °C de réchauffement entre le niveau préindustriel et 2100.

Nous allons plus loin en montrant qu’en moyenne, sur la période d’étude, les « canicules aquatiques » ont été plus longues de 48 jours et les températures maximales supérieures de 6,4 °C, et que la durée de la période de gel a diminué de plus de 58 jours. C’est considérable, et cela va entraîner des changements de communautés en éliminant tous les organismes qui ne tolèrent pas les fortes variations de température ou les températures trop chaudes.

Lorsque la température augmente, la circulation de l’eau entre les couches profondes et de surface ne peut plus non plus se faire quand ces dernières sont trop chaudes. Cela peut provoquer une baisse d’oxygène au fond des lacs et entraîner la mort de nombreux organismes.

Enfin, qui dit périodes de gel plus courtes dit périodes d’activité plus longues pour les organismes, dont le métabolisme augmente avec les températures pour les animaux à sang froid, le plancton et les microorganismes. Des organismes adaptés à des conditions de vie montagnardes se retrouvent ainsi brusquement confrontés à de nouvelles modalités dont il est difficile de prévoir les conséquences plus générales.

Trop de facteurs de stress nuisent à la biodiversité, à la qualité de l’eau et à la santé

Le changement climatique est donc, en soi, un problème épineux pour la biodiversité et les socioécosystèmes des montagnes. Ces derniers pourraient s’adapter, mais le problème est que le réchauffement du climat s’accompagne de facteurs de stress supplémentaires : polluants chimiques portés par les précipitations, composés azotés et phosphorés issus des déjections du bétail, introductions de poissons pour le tourisme de la pêche dans les lacs naturellement apiscicoles, ou encore augmentation du tourisme et du pastoralisme.

Dans une récente autosaisine, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) d’Occitanie s’inquiète de ces multiples pressions agissant simultanément sur les lacs de montagne, survenues de manière bien trop rapide pour que les écosystèmes s’adaptent. Le conseil déplore le fait que nombre de lacs deviennent verts, certes pour des raisons multifactorielles, mais indiquant que l’écosystème se dégrade et que la qualité de l’eau devient mauvaise.

Récentes proliférations d’algues, en profondeur (à gauche) et en surface (à droite) dans le lac de Bellonguère (1 911 m d’altitude, Pyrénées ariégeoises). Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

Les écosystèmes montagnards sont donc assaillis de toutes parts, ce qui complique la survie des êtres vivants. Par exemple, les amphibiens tendent à se réfugier dans les petites mares pour échapper aux poissons introduits, mais ces mares peuvent devenir des pièges écologiques pour leurs têtards, car elles chauffent et s’assèchent bien plus rapidement que les grands lacs.

Les pressions combinées peuvent engendrer des cascades de modifications dont les effets sont difficilement prédictibles, comme un changement de l’acidité de l’eau, paramètre très important pour les organismes aquatiques, ou encore l’augmentation d’une maladie mortelle chez les amphibiens quand la fonte des glaces survient tôt, ce qui va arriver de plus en plus souvent.

Une petite mare de faible profondeur, près de l’étang d’Arbu (1 726 m d’altitude, Ariège), où les amphibiens tendent à se réfugier et à pondre, ce qui les rend plus vulnérables aux effets du changement climatique. Dirk Schmeller/CNRS, Fourni par l'auteur

Sans surprise, la biodiversité des lacs d’altitude tend à décliner et, avec elle, la qualité de l’eau. C’est ce que nous avons démontré dans une étude portant sur les biofilms, communautés de microbes vivant sur les roches du fond des lacs.

Dans ces biofilms, la biodiversité des microorganismes a diminué entre 2016 et 2020, mais les cyanobactéries qui y vivent, elles, ont fortement prospéré, notamment celles qui peuvent produire des toxines. Ces bactéries représentent un risque pour la santé de tous les animaux aquatiques, mais aussi pour ceux qui s’abreuvent dans ces lacs ou les personnes qui s’y baignent, ou pire, boivent l’eau sans la traiter.

Agir devient urgent

Pour toutes ces raisons, certains lacs bleus cristallins sont devenus verts et opaques.

Il faut garder à l’esprit que les écosystèmes montagnards, bien qu’hébergeant des ensembles d’espèces uniques, comprennent globalement moins de biodiversité que d’autres écosystèmes du fait de leurs conditions difficiles (fortes variations de température, UV, rareté des nutriments).

Il en résulte que ces écosystèmes possèdent moins de « roues de secours » en cas de coup dur, c’est-à-dire d’espèces qui peuvent remplir les mêmes rôles écologiques. La probabilité d’un effondrement (l’équivalent d’une extinction de l’écosystème) est ainsi plus forte et c’est pourquoi de nombreux milieux montagnards figurent dans la liste rouge des écosystèmes.

Il est donc urgent d’agir pour les socioécosystèmes pyrénéens, et de montagnes en général, avant qu’il ne soit trop tard. La vie dans les montagnes peut s’adapter, mais encore faut-il lui en laisser le temps et la chance en diminuant les facteurs de stress et leur intensité.

La lutte contre le changement climatique doit être menée à l’échelle globale, mais des mesures doivent aussi être mises en place localement comme la limitation de l’empoissonnement des milieux, de la pollution et de la pression pastorale.

C’est en tout cas une des recommandations du CSRPN d’Occitanie, qui préconise aussi un diagnostic des lacs d’altitude et une priorisation en fonction de leur vulnérabilité. La recherche doit accompagner cet objectif pour mieux comprendre comment les pressions agissent simultanément, afin de savoir sur laquelle ou lesquelles cibler les efforts d’atténuation.

Cela passe par une meilleure observation des systèmes naturels, possible grâce aux nouvelles technologies, aux sciences citoyennes et aux efforts de collaboration.

C’est ainsi que nous pourrons garantir la survie et le bon fonctionnement des écosystèmes montagnards, à la fois majestueux et précieux pour l’environnement et notre futur.


Créé, en 2007, pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays (par exemple celui de Dirk Schmeller). Pour en savoir plus, visiter le site ou bien sa page LinkedIn.

The Conversation

Hugo Sentenac est membre de l'association Vétérinaires pour la biodiversité et du groupe d'étude pour l'écopathologie de la faune sauvage de montagnes.

Adeline Loyau a reçu des financements de l'Union européenne (bourse Marie Curie) et de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), elle est membre du CSRPN Occitanie et présidente du comité scientifique de la fondation Clamor Terrae.

Dirk S. Schmeller a reçu des financements de AXA Research Fund, Clamor Terrae, ANR.

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24.07.2025 à 11:45

Dans les Pyrénées, la forêt ne s’étend pas aussi haut que le climat le lui permet

Déborah Birre, Docteure en géographie, Fondation pour la recherche sur la biodiversité

Thierry Feuillet, Professeur de géographie quantitative, Université de Caen Normandie, UMR CNRS IDEES

La forêt pourrait s’étendre bien plus haut sur les flancs des Pyrénées, alors pourquoi ne s’aventure-t-elle pas plus en altitude ?
Texte intégral (1895 mots)
Dans les Pyrénées (ici, le massif du Puigmal), la limite supérieure de la forêt semble survenir plus tôt que ce que prédisent les modèles. Comment l’expliquer ? Déborah Birre/Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Fourni par l'auteur

La forêt pourrait s’étendre bien plus haut sur les flancs des Pyrénées, alors pourquoi ne s’aventure-t-elle pas plus en altitude ? Ce phénomène se manifestait déjà avant que les effets du réchauffement climatique ne se fassent ressentir, l’explication est donc ailleurs.


Vous l’avez peut-être déjà remarqué lors d’une randonnée dans les Alpes ou dans les Pyrénées : en montagne, le climat façonne la répartition de la végétation. Plus on monte en altitude et plus les températures diminuent, plus les forêts deviennent clairsemées, jusqu’à laisser la place aux pelouses alpines. Ce schéma classique se retrouve des Andes aux Alpes. Pourtant, dans les Pyrénées orientales, la réalité du terrain raconte une tout autre histoire : la forêt s’arrête bien en dessous de la limite que le climat seul devrait imposer.

La limite supérieure de la forêt, sentinelle du climat ?

La limite supérieure de la forêt marque une transition entre la forêt fermée de l’étage subalpin et la pelouse de l’étage alpin. Elle correspond à ce que les scientifiques appellent un « écotone » : une zone de transition entre deux milieux.

Longtemps, cette discontinuité paysagère a été considérée comme le reflet naturel des contraintes climatiques, principalement le froid et la durée de la saison de croissance des arbres avec des vitesses de croissance qui varient selon les espèces.

Le modèle théorique classique de l’étagement de la végétation en montagne : la température correspond à la température moyenne pendant la saison de croissance. Déborah Birre/Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Fourni par l'auteur

Ce sujet n’est pas nouveau. Depuis plus de deux siècles, des scientifiques de toutes disciplines se sont intéressés à cet écotone. Au début du XIXe siècle, Alexander von Humboldt gravit le Chimborazo, un volcan de l’actuel Équateur, et y observe des changements graduels de la flore en altitude : la végétation s’y organise en bandes successives contrôlées par la température décroissante. Ces observations ont jeté les bases du modèle classique de l’étagement de la végétation. Un modèle qui, depuis, s’est longuement imposé avant d’être largement nuancé par les récentes recherches.

Les Pyrénées : un laboratoire grandeur nature

Les Pyrénées défient cependant ce paradigme. Ici, comme ailleurs en Europe, la limite supérieure de la forêt est située à une altitude bien plus basse (environ 1 900 mètres en moyenne dans la partie orientale des Pyrénées) que ce que les températures leur permettraient d’atteindre en théorie (environ 2 500 mètres d’altitude). La hausse actuelle des températures, liée au réchauffement climatique, n’entraîne pas non plus une progression systématique de cette limite.

Pour comprendre pourquoi, des chercheurs du programme SpatialTreeP ont mené une enquête d’envergure. Nous avons cartographié et comparé l’évolution de cet écotone sur 626 sites des Pyrénées ariégeoises et orientales entre 1955 et 2015 à partir de photographies aériennes.

Nous avons analysé plus de 90 variables caractérisant l’environnement de ces sites, allant du climat à la topographie, en passant par la géologie et les traces d’activités humaines. L’objectif était d’identifier les facteurs influençant la dynamique des lisières forestières et de détecter des profils de sites présentant des caractéristiques environnementales similaires.

Trois types de paysages forestiers dans les Pyrénées

Nos résultats révèlent une grande hétérogénéité dans l’évolution des forêts pyrénéennes au cours des soixante dernières années. Trois grands types de paysages et de dynamiques se dégagent.

Dans certains secteurs, la forêt progresse rapidement, gagnant plusieurs centaines de mètres en altitude sur soixante ans. Ailleurs, elle se densifie sans s’étendre, les arbres remplissant progressivement les clairières et espaces ouverts. Sur d’autres sites encore, la limite forestière reste figée voire recule.

Pourquoi de telles différences ? Parce que d’autres facteurs viennent interférer avec les conditions climatiques. Il est donc illusoire de chercher un unique coupable. La dynamique de limite forestière résulte d’une combinaison complexe et imbriquée de facteurs.

L’empreinte humaine : un héritage qui perdure

Les Pyrénées sont des montagnes profondément anthropisées, et ce depuis longtemps.

Pendant des siècles, les pratiques agropastorales (pâturage, défrichement, coupe de bois et reboisements) et l’exploitation du charbon de bois ont profondément façonné les paysages montagnards. Dans les zones les plus exploitées, la limite forestière a été largement abaissée, laissant place à des pâturages et à des landes dès l’étage montagnard.

Dans les zones pastorales actuelles, les milieux d’estives sont volontairement et activement laissés à l’état de prairie, empêchant toute colonisation forestière. À l’inverse, l’abandon progressif de ces pratiques, depuis le milieu du XXe siècle, a permis à la forêt de reconquérir les terrains délaissés, en particulier dans le département des Pyrénées-Orientales. L’abandon y a eu lieu plus tôt qu’en Ariège, ce qui explique que la limite forestière y atteigne des altitudes plus élevées.

Cette pression humaine, par son intensité variable selon les secteurs et les périodes, explique en grande partie pourquoi la position de l’écotone ne suit pas mécaniquement l’évolution du climat. Là où la pression humaine a diminué et où les conditions climatiques restent favorables, la forêt s’étend et rattrape progressivement l’écart avec son altitude maximum théorique.

Le terrain façonne aussi la forêt

D’autres variables liées au milieu conditionnent aussi le niveau de la forêt. L’exposition au vent et l’humidité des sols favorisent, par exemple, la densification des forêts au niveau de l’écotone. À l’inverse, la progression forestière est ralentie dans les zones où le relief est doux et donc plus favorable au maintien de l’activité agropastorale.

La composition des peuplements forestiers joue aussi un rôle. Les conifères comme les pins à crochets, mieux adaptés aux conditions rudes d’altitude, sont associés à des limites plus diffuses où arbres isolés et bosquets clairsemés s’échelonnent jusqu’à la pelouse alpine. Les feuillus comme les hêtres sont davantage associés à des limites plus nettes, avec une rupture paysagère marquée.

La nature du substrat a également une influence : les dépôts sédimentaires récents (dits quaternaires) et les roches cristallines (comme le granite ou le gneiss) favorisent des écotones plus diffus, caractérisés par des arbres épars. Cela pourrait s’expliquer par des sols plus pauvres et moins profonds, qui freinent la fermeture du couvert forestier.

Le réchauffement climatique : accélérateur de dynamiques déjà en cours

À l’échelle régionale, les variations climatiques n’expliquent pas ou peu les différences observées entre les sites. Elles jouent cependant probablement un rôle d’accélérateur des dynamiques, en facilitant l’établissement des arbres là où les conditions locales sont favorables. En ce sens, les dynamiques actuelles traduisent davantage une réponse à des conditions locales qu’un signal direct du réchauffement climatique.

En définitive, la limite supérieure de la forêt dans les Pyrénées ne se comprend qu’au travers de l’analyse des interactions complexes entre conditions environnementales et héritages des pratiques humaines.

Les recherches montrent qu’il n’existe pas un unique facteur et que, dans des milieux très transformés par l’être humain, comme c’est le cas dans ce massif, les effets du climat peuvent être localement dissimulés derrière les impacts humains. Chaque écotone porte ainsi l’héritage de son histoire et de ses particularités locales.

The Conversation

Déborah Birre a reçu des financements de l'Université Sorbonne Paris Nord dans le cadre d'un contrat doctoral.

Ces recherches ont été menées dans le cadre du programme SpatialTreeP, financé par l'agence nationale de la recherche (ANR-21-CE03-0002).

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23.07.2025 à 17:09

Comment favoriser la réutilisation des eaux usées traitées en France ?

Jérôme Harmand, Directeur de Recherche, Inrae

Nassim Ait Mouheb, Directeur de Recherche, INRAE, expertises sur les techniques d'irrigation et les enjeux agronomiques et environnementaux de la réutilisation des eaux alternatives, Inrae

Sami Bouarfa, Agronome et chercheur en sciences de l'eau, Inrae

Le plan Eau vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité totale d’eau consommée ? Panorama des bonnes pratiques.
Texte intégral (2301 mots)

Le plan Eau de la France vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées à horizon 2030. Comment y parvenir sans augmenter la quantité d’eau consommée au total – c’est-à-dire, sans risquer un effet rebond ? Panorama des bonnes pratiques identifiées par la recherche scientifique.


En France, le plan Eau annoncé par le président de la République en 2023 affichait un objectif de développement de 1 000 projets de réutilisation des « eaux non conventionnelles (ENC) » en 2027. Il s’agit d’un objectif intermédiaire avant de viser 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) à horizon 2030.

S’il est poursuivi sans suffisamment de discernement, cet objectif quantitatif national pourrait conduire à une maladaptation et à des projets inadéquats. Par exemple, à des projets qui auraient pour conséquence d’augmenter la quantité globale d’eau consommée à la faveur de l’« effet rebond ». Le risque serait de présenter la REUT comme une nouvelle ressource, alors même que cette eau remobilisée est susceptible de manquer aux milieux naturels.

Pourtant, l’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux confirment l’intérêt du réusage de l’eau pour répondre à des situations de fortes tensions. Ces mêmes expériences démontrent aussi que les projets sont fortement conditionnés par les contraintes locales.

Autrement dit, leur réussite va dépendre de l’implication des acteurs, de l’adéquation entre la qualité de l’eau requise et le niveau de technologie des traitements, de la viabilité économique des projets, etc.

Les eaux usées, une ressource plutôt qu’un déchet

Pour aider nos sociétés à s’adapter au changement climatique et préserver notre environnement, une gestion maîtrisée et responsable de l’eau est essentielle, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Il s’agit d’un enjeu stratégique pour assurer des conditions de vie soutenables à tous.

Cela passe notamment par la sobriété et l’optimisation des usages et le partage de la ressource. Surtout, il ne faut pas oublier de prendre en compte de l’état des milieux aquatiques. Par exemple, en considérant le rôle environnemental des eaux usées traitées dans le maintien des débits d’étiage pendant les périodes de sécheresse.

Dans ce contexte, les eaux usées ne doivent plus être considérées comme un déchet à traiter et évacuer, mais comme une ressource. Ces eaux peuvent par exemple être riches en fertilisants utiles aux cultures agricoles. Dans une logique d’économie circulaire, on peut les considérer comme des flux de valeur, en fonction des spécificités territoriales (adéquation entre les besoins des cultures et l’eau disponible, proximité des usages…).

Les eaux usées domestiques constituent la principale ressource pouvant être mobilisée. Il est toutefois nécessaire d’élargir le concept d’économie circulaire de l’eau à l’ensemble des eaux non conventionnelles. Par exemple, les eaux de pluie, eaux de piscine ou encore les eaux évacuées du sous-sol pour permettre l’exploitation d’ouvrages enterrés tels les métros, tunnels ou parkings… Ceci permet d’équilibrer au mieux les usages et les prélèvements à l’échelle d’un territoire.

Boucler le « petit » et le « grand » cycle de l’eau

Pour faire face aux tensions sur la ressource, il nous faut donc inventer de nouvelles approches. L’enjeu est de repenser son utilisation tout au long des chaînes de valeur. Pour cela, on peut imaginer des usages en boucles (réusage après un usage précédent), là où ils étaient jusqu’à maintenant linéaires (mobilisation, utilisation, rejet).

Il s’agit de concevoir une gestion de l’eau plus intégrée à l’échelle d’un territoire, qui va contraindre ressources et besoins. L’objectif est que le cycle d’usage perturbe le moins possible le « grand » cycle (ou cycle naturel) de l’eau, aussi bien quantitativement que qualitativement.

Le contexte agricole, urbain ou industriel a également son importance. Il impose d’examiner les risques environnementaux et sanitaires. En effet, il s’agit de modifier le cycle de l’eau. La mise en place de solutions favorisant des cycles courts peut impacter les milieux et les populations à des degrés divers. C’est particulièrement vrai en périodes de sécheresse sévère.

Par exemple, la qualité microbiologique de l’eau peut poser question dans les situations de réutilisation indirecte. Dans ce cas, l’eau n’est pas prélevée directement en sortie de station (où elle serait alors soumise à des normes de qualité afin d’être réutilisée), mais en aval, dans le cours d’eau dans lequel la sortie de station s’est déversée. Ce type de prélèvement n’est réglementairement conditionné qu’à des contraintes quantitatives, et non plus qualitatives.

Quels sont les projets qui aboutissent ?

L’état de l’art scientifique et l’analyse des retours d’expériences internationaux sont utiles pour identifier les facteurs de réussite de ces projets.

Ils tirent tout d’abord parti d’un contexte géographique favorable. Par exemple, lorsque la distance entre les gisements et les usages potentiels est raisonnable ou que des aménagements hydrauliques existent déjà.

Ils organisent aussi la concertation des diverses parties prenantes concernées (gestionnaires, agriculteurs, consommateurs, financeurs…). L’enjeu est de les impliquer dans la gouvernance pour permettre de mieux aligner leurs intérêts respectifs.

Ils mettent également en place un plan de maîtrise des risques sanitaires et environnementaux, par exemple en adoptant une approche multibarrière.

Ces projets gagneraient à s’inscrire dans un cadre réglementaire et normatif clair et harmonisé, à une échelle dépassant le cadre national afin de tirer parti des retours d’expériences internationaux. À l’exception de la réutilisation à usage agricole, la réglementation sur les eaux usées pourrait être améliorée pour être mieux calibrée, plus cohérente, moins complexe et davantage inscrite dans la durée.

Enfin, ces projets doivent mobiliser des modèles économiques équilibrés entre les parties prenantes productrices et bénéficiaires. Ils devraient reposer sur une analyse au cas par cas de la rentabilité des infrastructures, dont le financement et l’exploitation croisent souvent acteurs privés et publics.

Les bonnes pratiques à adopter

Pour favoriser le succès des projets de REUT, il faut d’abord faire de la gestion responsable de l’eau une priorité dans chaque pays du monde. Cela implique d’inscrire dans la loi des instruments réglementaires de politique environnementale le permettant, sans alourdir et complexifier les cadres actuels.

Cela passe également par la promotion de mesures préalables. Notamment la sobriété, l’optimisation et le recyclage in situ des eaux lors de la conception puis l’exploitation de nouvelles d’infrastructures. Pour minimiser les impacts anthropiques de l’homme sur le cycle naturel de l’eau, il vaut mieux réutiliser un mètre cube d’eaux usées plutôt que de le puiser dans le milieu naturel.

Il convient d’intégrer dans l’analyse de rentabilité du projet, ses impacts et bénéfices sanitaires, sociaux et environnementaux sur l’ensemble de son cycle de vie, ainsi que le coût de renoncement global.

On pourrait également intégrer le recyclage de l’eau prélevée dans tous les schémas directeurs de l’aménagement et de gestion des eaux. La REUT peut ainsi être intégrée aux projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) et aux schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE).

C’est à cette condition que l’on peut concevoir et planifier une réutilisation multiressource et multiusage (lorsqu’elle est possible et pertinente) des eaux usées. Cela permet de substituer la REUT à d’autres prélèvements sur le milieu ou à l’utilisation d’eau potable. Pour cela il faut prendre en compte de façon systématique les enjeux de restauration et de préservation des ressources et des écosystèmes

Cela nécessite également de repenser les appels d’offres et contrats de délégation de service public. Il faudrait tenir compte de la raison d’être et des fonctions diverses des stations de traitement des eaux usées, et élargir leur rôle de « stations d’épuration » à celui de véritables usines de valorisation, lorsque c’est pertinent.

Au-delà de la récupération de l’eau, on peut y prélever des nutriments, comme l’azote ou le phosphore, ou encore produire de la chaleur. Mais, pour que cela possible, il convient d’adapter en conséquence les instruments fiscaux, les modalités de tarification et plus largement les modèles économiques.

Renforcer le soutien financier à la recherche sur cette question est crucial. À diverses échelles, on peut par exemple citer le Défi Clé Water Occitanie (WOc), le projet REUTOSUD, le programme de financement Water4All ou encore le réseau européen de recherche Water4Reuse.

Cela passe aussi par la création et l’animation de structures de sensibilisation, d’échange de connaissances et de concertation. Celles-ci doivent impliquer les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux aux côtés des autres parties prenantes. Ces dispositifs de recherche-action interdisciplinaire, appelés « Living Labs », sont ancrés dans les territoires et à l’interface science-politique-société. À l'image des Living Labs, mis en place dans le cadre du WOc déjà mentionné, ils doivent faciliter la conception d’outils, de services ou d’usages nouveaux autour du recyclage de l’eau.

Enfin, il convient de favoriser l’acculturation de toute la chaîne technique et administrative. Ceci passe par la formation initiale et continue des professionnels, des bureaux d’études, des élus et des fonctionnaires centraux et territoriaux. Ceci permettra une mise en œuvre plus aisée de ces nouvelles approches de gestion de l’eau, au service d’une économie circulaire de l’eau.


Ce texte a été élaboré à l’initiative d’Eau, Agriculture et Territoires, la chaire Eau, Agriculture et Changement Climatique, et le réseau REUSE d’INRAE, co-organisateurs de la première édition de la conférence internationale REUSE EUROMED qui s’est tenue du 29 au 31 octobre 2024 à Montpellier.

Les personnes suivantes ont collaboré à cet article, par ordre alphabétique :

Nassim Ait-Mouheb (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Claire Albasi (Université de Toulouse, Défi Clé Water Occitanie), Christophe Audouin (Suez), Gilles Belaud (Chaire EACC ; Eau, Agriculture et Territoires), Sami Bouarfa (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Frédéric Bouin (Université de Perpignan Via Domitia, UPVD), Pierre Compère (Explicite Conseil), Ehssan El Meknassi (Costea), Jérôme Harmand (Inrae ; Eau, Agriculture et Territoires), Marc Heran (Institut européen des membranes, Chaire SIMEV), Barbara Howes (SCP), Marie-Christine Huau (Veolia, Direction du Développement Eau), Vincent Kulesza (SCP ; Eau, Agriculture et Territoires), Rémi Lombard-Latune (Inrae ; EPNAC ; Groupe de travail national Eaux non conventionnelles), Alain Meyssonnier (Institut méditerranéen de l’eau), Bruno Molle (EIA/Inrae), Simon Olivier (Pôle de compétitivité Aqua-Valley), Carmela Orea (Eau, Agriculture et Territoires), Céline Papin (Eau, Agriculture et Territoires), Nicolas Roche (Aix-Marseille Université/University Mohammed VI Polytechnic, Eau, Agriculture et Territoires), Stéphane Ruy (Inrae, Institut Carnot), Pierre Savey (BRL ; Eau, Agriculture et Territoires) et Salomé Schneider (Chaire EACC).

The Conversation

Jérôme Harmand a reçu des financements de la Région Occitanie dans le cadre du financement du projet WOc WoD visant à étudier le traitement des eaux usées brutes pour les réutiliser. Il anime le réseau REUSE d'INRAE au niveau national et porte l'action COST CA23104 "Mainstreaming water reuse into the circular economy paradigm (Water4Reuse)".

Nassim Ait Mouheb et Sami Bouarfa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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23.07.2025 à 17:07

Interdire les munitions au plomb pour sauver les oiseaux de l’empoisonnement ? L’exemple britannique

Deborah Pain, Visiting Academic, University of Cambridge; Honorary Professor, University of East Anglia, University of Cambridge

Niels Kanstrup, Wildlife Biologist in the Department of Ecoscience, Aarhus University

Rhys Green, Professor of Conservation Science, University of Cambridge

Pour protéger la faune sauvage, les animaux de compagnie, les animaux d’élevage et les êtres humains, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb.
Texte intégral (1991 mots)
La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement. Chuyko Sergey/Shutterstock

La Commission européenne a proposé le 27 février 2025 d’interdire l’usage du plomb dans les munitions de chasse. Au Royaume-Uni, une pareille interdiction vient d’être annoncée. Ces mesures devraient permettre de sauver des milliers d’oiseaux mais également de protéger les humains qui consomment du gibier.


Au Royaume-Uni, la sous-secrétaire d’État à l’eau et aux inondations, Emma Hardy, a annoncé l’interdiction des munitions toxiques au plomb afin de protéger les campagnes du pays. Cette interdiction concerne la vente et l’usage, à des fins de chasse, aussi bien des cartouches de fusils chargées de plomb (comportant des centaines de petites billes appelées « grenailles ») et utilisées pour chasser le petit gibier, que des balles de gros calibre en plomb, destinées à la chasse au grand gibier, comme les cerfs.

C’est une excellente nouvelle pour les oiseaux britanniques : cette mesure devrait permettre d’épargner chaque année la vie de dizaines de milliers d’entre eux, actuellement victimes d’empoisonnements au plomb. La majorité des grenailles tirées ne touchent pas leur cible et des milliers de tonnes de plomb se retrouvent dispersées dans l’environnement chaque année. Or, les oiseaux aquatiques comme terrestres les confondent avec de la nourriture ou du gravier, qu’ils consomment pour broyer leurs aliments dans leur gésier. Les grenailles s’y désagrègent et le plomb est alors absorbé dans le sang.

On estime qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux d’eau meurent chaque année au Royaume-Uni des suites de cette intoxication, souvent après de longues souffrances. D’autres oiseaux subissent des effets dits « sublétaux » : leur système immunitaire et leur comportement sont altérés, ce qui augmente leur vulnérabilité face à d’autres menaces.

L’utilisation de grenailles de plomb pour la chasse aux oiseaux d’eau et au-dessus de certaines zones humides est déjà interdite en Angleterre et au Pays de Galles. En Écosse, cette interdiction s’applique à l’ensemble des zones humides, sans exception.

Cependant, le respect de la réglementation en Angleterre n’atteint qu’environ 30 %, et il est également faible en Écosse, tandis qu’aucune donnée n’est disponible pour le Pays de Galles. Cette nouvelle interdiction générale, plus étendue, devrait améliorer considérablement la situation dans tous les milieux naturels à travers la Grande-Bretagne.

Les rapaces comme les aigles, les buses variables ou les milans royaux sont également touchés : ils ingèrent des fragments de plomb en se nourrissant d’animaux tués ou blessés par des munitions en plomb. L’acidité dans leur estomac favorise l’absorption du métal. Nos recherches montrent que, bien que l’on estime que moins de rapaces que d’oiseaux d’eau meurent directement d’un empoisonnement au plomb, les conséquences sur leurs populations peuvent être bien plus graves. Cela concerne en particulier les espèces qui commencent à se reproduire tardivement, dont le taux de reproduction annuel est naturellement faible et qui, en temps normal, bénéficient d’un taux élevé de survie annuelle chez les adultes.

Ce bannissement bénéficiera aussi bien aux oiseaux résidents qu’aux migrateurs de passage au Royaume-Uni. Mais tant que d’autres pays continueront à autoriser ces munitions , les oiseaux migrateurs resteront exposés ailleurs, pendant leur trajet ou sur leurs lieux de reproduction ou d’hivernage.

Au-delà des frontières

Pour protéger toutes les espèces, les munitions au plomb doivent être remplacées partout par des alternatives sans plomb. L’usage de grenailles de plomb est déjà interdit dans de nombreuses zones humides à travers le monde. Dans l’Union européenne, (en France notamment, ndlr), une interdiction de l’utilisation de grenailles de plomb dans ou à proximité des zones humides est entrée en vigueur en février 2023 .

Le Danemark a été le premier pays à interdire les munitions au plomb dans tous les milieux. En 1996, il a interdit l’usage des grenailles de plomb et, en avril 2024, il a interdit les balles en plomb. Nos recherches montrent que l’interdiction des grenailles de plomb au Danemark a été très efficace, avec un bon niveau de conformité.

Le Royaume-Uni s’apprête maintenant à devenir le deuxième pays à interdire la plupart des usages des munitions au plomb. Cela a été rendu possible grâce à la disponibilité croissante d’alternatives sans plomb, sûres, efficaces et abordables, principalement les grenailles en acier et les balles en cuivre.

En février 2025, la Commission européenne a publié un projet de règlement interdisant la plupart des usages des munitions et des plombs de pêche en plomb. Ce projet attend encore l’approbation dans le cadre des procédures de l’UE. S’il est adopté, cela constituera une avancée majeure.

Au-delà des oiseaux

Les oiseaux sont particulièrement sensibles aux effets du plomb issu des munitions qu’ils ingèrent, en raison de leur gésier musculeux et de l’acidité de leur estomac. Mais ce plomb met aussi en danger la santé de nombreux autres animaux, y compris les animaux domestiques et les humains.

Au Royaume-Uni, nous avons trouvé dans des aliments crus pour chiens à base de faisan, provenant de trois fournisseurs, des concentrations moyennes de plomb plusieurs dizaines de fois supérieures à la limite maximale autorisée de résidus de plomb dans les aliments pour animaux.

Le gouvernement britannique a fondé sa décision d’interdire les munitions au plomb sur un rapport de l’agence REACH pour la Grande-Bretagne, ou Health and Safety Executive, qui soulignait les risques pour la santé des jeunes enfants et des femmes en âge de procréer, en cas de consommation fréquente de viande de gibier chassé avec des munitions au plomb. Le système nerveux en développement des enfants est particulièrement sensible aux effets du plomb.

Nous avons récemment appelé le comité des États appliquant la réglementation sur les produits chimiques (REACH), le Parlement européen et le Conseil à soutenir pleinement la proposition de la Commission européenne visant à restreindre les munitions au plomb.

Nous avons également encouragé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à recommander à la Commission européenne de fixer une limite légale maximale de plomb dans la viande de gibier commercialisée pour la consommation humaine, similaire à celle déjà établie pour la viande issue de la plupart des animaux d’élevage.

Tant que cela n’aura pas été mis en place, et tant que davantage de pays n’auront pas interdit tous les usages de munitions au plomb pour la chasse, la santé de la faune sauvage, des animaux domestiques et des groupes humains les plus vulnérables continuera d’être menacée par les effets toxiques du plomb issu de ces balles.

The Conversation

Deborah Pain est professeure honoraire à l’Université d’East Anglia (sciences biologiques) et chercheuse invitée au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Elle est scientifique indépendante depuis avril 2018. Depuis cette date, elle n’a perçu aucune rémunération pour ses recherches sur l’intoxication au plomb, mais, avec ses collègues, elle a reçu des financements pour couvrir les coûts de la recherche et des analyses chimiques de la part de plusieurs sources, comme indiqué dans les publications scientifiques. Elle a été membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), et dans ce cadre, du groupe de travail sur le plomb dans les munitions, ce pour quoi elle a été rémunérée. Cependant, ses travaux publiés sur l’intoxication au plomb ont été réalisés indépendamment de ce processus.

Rhys Green a reçu des financements pour ses recherches de la part de plusieurs organisations, dont la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds), au sein de laquelle il a occupé le poste de principal scientifique en conservation jusqu’en 2017. Il est désormais à la retraite. Il est chercheur bénévole non rémunéré à la RSPB et professeur honoraire émérite en sciences de la conservation au département de zoologie de l’Université de Cambridge. Il est membre du groupe d’experts scientifiques indépendants du Royaume-Uni pour la réglementation REACH (RISEP), un groupe mis en place par une agence gouvernementale britannique, la Health & Safety Executive. Il reçoit ponctuellement des paiements pour les travaux réalisés dans le cadre de RISEP. Il siège également au conseil d’administration du zoo de Chester.

Niels Kanstrup ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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22.07.2025 à 16:34

Le cyprès de l’Atlas, unique au Maroc, en danger critique d’extinction

Thierry Gauquelin, Professeur émérite, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)

Présent dans une seule vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est menacé par l’exploitation humaine et les séismes, alors même qu’elle résiste au réchauffement du climat.
Texte intégral (3254 mots)
Majestueux mais en danger, le cyprès de l’Atlas marocain subit à la fois le réchauffement climatique et la pression locale des activités humaines. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Alors qu’on ne le trouve que dans une unique vallée au Maroc, le cyprès de l’Atlas est aujourd’hui menacé par l’exploitation humaine et a été durement touché par le séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023. Pourtant, cette espèce, protégée et plantée dans d’autres régions, résiste particulièrement bien au réchauffement climatique.


Le bassin méditerranéen est l’un des 36 points chauds de biodiversité d’importance mondiale en raison de sa grande biodiversité, souvent propre à la région. Il est en effet riche de plus de 300 espèces d’arbres et d’arbustes contre seulement 135 pour l’Europe non méditerranéenne. Parmi ces espèces, un certain nombre sont endémiques, comme le genévrier thurifère, le chêne-liège, plusieurs espèces de sapins mais aussi le remarquable cyprès de l’Atlas.

Décrit dès les années 1920, ce cyprès cantonné dans une seule vallée du Haut Atlas, au Maroc, a intéressé nombre de botanistes, forestiers et écologues, qui ont étudié cette espèce très menacée, mais aussi potentielle réponse au changement climatique.

Un arbre singulier et endémique de sa vallée

Le premier à faire mention en 1921 de la présence de ce cyprès dans la vallée de l’oued N’Fiss, dans le Haut Atlas, est le capitaine Charles Watier, inspecteur des eaux et forêts du Sud marocain. Mais c’est en 1950 que Henri Gaussen, botaniste français, qualifie ce conifère de cyprès des Goundafa, l’élève au rang d’espèce et lui donne le nom scientifique de Cupressus atlantica Gaussen.

C’est à l’occasion de son voyage au Maroc en 1948 qu’il a constaté que cet arbre, dont la localisation est très éloignée de celles des autres cyprès méditerranéens, est bien une espèce distincte. En particulier, son feuillage arbore une teinte bleutée et ses cônes, que l’on appelle familièrement des pommes de pin, sont sphériques et petits (entre 18 et 22 mm) alors que ceux du cyprès commun (Cupressus sempervirens), introduit au Maroc, sont beaucoup plus gros (souvent 3,5 cm) et ovoïdes.

Le cyprès de l’Atlas se développe presque uniquement au niveau de la haute vallée du N’Fiss, région caractérisée par un climat lumineux et très contrasté.

Paysage de ma vallée du N’Fiss au Maroc, avec une population de Cyprès. Au premier plan, quelques arbres en forme de flèche
Une population de cyprès dans la vallée. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

On a aujourd’hui une bonne estimation de la superficie couverte par cette espèce dans la vallée du N’Fiss, qui abrite donc la population la plus importante de cyprès de l’Atlas. : environ 2 180 hectares, dont environ 70 % couverts de bosquets à faible densité. Dans les années 1940 et 1950, elle était estimée entre 5 000 et 10 000 hectares. En moins de cent ans, on aurait ainsi perdu de 50 à 80 % de sa surface ! Malgré les imprécisions, ces chiffres sont significatifs d’une régression importante de la population.

Des cyprès aux formes très diverses

Dans ces espaces boisés, la densité des arbres est faible et l’on peut circuler aisément entre eux. Les couronnes des arbres ne se rejoignent jamais et, hormis sous celles-ci, le soleil frappe partout le sol nu.

L’originalité de cette formation est que cohabitent aujourd’hui dans cette vallée de magnifiques cyprès multiséculaires aux troncs tourmentés, des arbres plus jeunes, élancés et en flèche pouvant atteindre plus de 20 mètres de hauteur et des arbres morts dont ne subsistent que les troncs imputrescibles. Ce qui est frappant, et que signalait déjà le botaniste Louis Emberger en 1938 dans son fameux petit livre les Arbres du Maroc et comment les reconnaître, c’est que la majorité des arbres « acquièrent une forme de candélabre, suite à l’amputation de la flèche et à l’accroissement des branches latérales ».

Des cyprès en forme de candélabre. Ce sont les branches sur l’extérieur de l’arbre qui continuent à se développer. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Une pression humaine ancienne et toujours forte

L’allure particulière de ces arbres et la proportion importante d’arbres morts sont avant tout à imputer à l’être humain qui, depuis des siècles, utilise le bois de cyprès pour la construction des habitations et pour le chauffage. Il coupe aussi le feuillage pour nourrir les troupeaux de chèvres qui parcourent la forêt.

En plus de ces mutilations, les arbres rencontrent des difficultés pour se régénérer, en lien avec le surpâturage, toutes les jeunes régénérations des arbres étant systématiquement broutées. La pression anthropique est ainsi une composante fondamentale des paysages de forêt claire de cyprès de l’Atlas.

Un bosquet d’arbre dans la vallée, près d’un village, avec une chaîne de montagnes dans le fond
La présence humaine a façonné le paysage de la forêt claire de cyprès de l’Atlas marocain. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Cette dégradation des arbres et la régression de la population de cyprès ne sont sans doute pas récentes. La vallée du N’Fiss est le berceau des Almohades, l’une des plus importantes dynasties du Maroc, qui s’est étendue du Maghreb à l’Andalousie, du XIIe au XIIIe siècle. La mosquée de Tinmel, joyau de l’art des Almohades, s’imposait au fond de cette vallée, témoin de la fondation de cette grande dynastie. Et il est fort à parier que c’est du bois local, donc de cyprès, qui a été utilisé à l’origine pour la toiture de cette monumentale construction.

Pourquoi aller chercher bien loin du cèdre, comme certains historiens l’ont suggéré, alors qu’une ressource de qualité, solide et durable, existait localement ? L’étude anatomique de fragments de poutres retrouvées sur le site devrait permettre de confirmer cette hypothèse, les spécialistes différencient facilement le bois de cyprès de celui des autres essences de conifères. Dans tous les cas, il est certain que lors de cette période, le cyprès a subi une forte pression, du fait de l’importance de la cité qui entourait ce site religieux.

On notera enfin, confortant les relations intimes entre le cyprès et les populations locales, les utilisations en médecine traditionnelle : massages du dos avec des feuilles imbibées d’eau ou encore décoction des cônes employée comme antidiarrhéique et antihémorragique.

Le séisme du 8 septembre 2023

Le 8 septembre 2023, le Maroc connaît le séisme le plus intense jamais enregistré dans ce pays par les sismologues. Les peuplements de cyprès se situent autour de l’épicentre du séisme. Ce dernier affecte la vallée du N’Fiss et cause d’importants dégâts matériels, détruisant des habitations et des villages et causant surtout le décès de près de 3 000 personnes. Le séisme a également endommagé le patrimoine architectural, et notamment la mosquée de Tinmel, presque entièrement détruite, qui fait, depuis, l’objet de programme de restauration.

Malgré son intensité (6,8), le séisme ne semble pas avoir eu d’effets directs sur les cyprès par déchaussements ou par glissements de terrain, bien que cela soit difficile à apprécier. Ceux-ci ont néanmoins subi des dégâts collatéraux.

Lors du réaménagement de la route principale, des arbres ont été abattus, notamment un des vieux cyprès (plus de 600 ans) qui avait pu être daté par le Pr Mohamed Alifriqui, de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. De plus, des pistes et des dépôts de gravats ont été implantés au sein même des peuplements, à la suite d’une reconstruction rapide, et évidemment légitime, des villages. Cela a cependant maltraité, voire tué, de très vieux cyprès.

Une arbre coupé au sol
Très vieux cyprès abattu lors de la reconstruction d’une route. Thierry Gauquelin/Aix Marseille Université, Fourni par l'auteur

Protéger une espèce en danger critique d’extinction

Malgré la distribution restreinte de l’espèce et l’importante dégradation qu’elle subit, une forte diversité génétique existe encore dans cette population. Cependant, il existe un risque important de consanguinité et de perte future de biodiversité au sein de cette vallée. Ainsi, C. atlantica est classé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parmi les 17 espèces forestières mondiales dont le patrimoine génétique s’appauvrit.

Une autre menace est celle du changement climatique qui affecte particulièrement le Maroc et ses essences forestières. Les six années de sécheresse intense que cette région du Maroc a subies n’ont sans doute pas amélioré la situation, même si l’impact sur les cyprès semble moins important que sur les chênes verts, sur les thuyas ou sur les genévriers qui montrent un dépérissement spectaculaire.

Pour toutes ces raisons, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a classé le cyprès de l’Atlas comme étant en danger critique d’extinction. Il faut alors envisager des stratégies à grande échelle afin d’assurer la survie voire la régénération des forêts de cyprès. Cela passe à la fois par la fermeture de certains espaces, afin d’y supprimer le pâturage, et par l’interdiction des prélèvements de bois.

Tout ceci ne sera cependant possible qu’en prévoyant des mesures compensatoires pour les populations locales.

Replanter dans la vallée, mais aussi dans le reste de la région

Il est aussi nécessaire de replanter des cyprès, ce qui nécessite la production de plants de qualité, même si les tentatives menées par le Service forestier marocain ont pour le moment obtenu un faible taux de réussite.

Le cyprès de l’Atlas, adapté à des conditions de forte aridité, pourrait d’ailleurs constituer une essence d’avenir pour le Maroc et pour le Maghreb dans son ensemble face au changement climatique. Dans le bassin méditerranéen, le réchauffement provoque en effet une aridification croissante et notamment une augmentation de la période de sécheresse estivale. Henri Gaussen disait déjà en 1952 :

« Je crois que ce cyprès est appelé à rendre de grands services dans les reboisements de pays secs. »

Et pourquoi ne pas penser au cyprès de l’Atlas pour les forêts urbaines ? Un bon moyen de préserver, hors de son aire naturelle, cette espèce menacée.

Conservation, reboisements et utilisation raisonnée nécessitent ainsi des investissements financiers importants. Richard Branson, le célèbre entrepreneur britannique, s’est particulièrement investi dans le développement de la vallée du N’Fiss et est notamment venu au secours de ses habitants à la suite du séisme meurtrier d’il y a deux ans. Si son but est d’améliorer la vie et le futur des habitants de la vallée, espérons qu’il saura aussi s’intéresser à cet écosystème particulier, et que d’autres fonds viendront soutenir les efforts de conservation.

The Conversation

Thierry Gauquelin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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21.07.2025 à 18:15

En apprendre plus sur le changement climatique, un levier pour diminuer l’empreinte carbone

Florian Fizaine, Maître de conférences en sciences économiques, Université Savoie Mont Blanc

Guillaume Le Borgne, Maître de conférences en sciences de gestion - En délégation INRAE, Université Savoie Mont Blanc

Une nouvelle étude indique qu’avoir plus de connaissances sur le climat peut faire diminuer notre empreinte carbone d’une tonne de CO₂ par personne et par an.
Texte intégral (1971 mots)

Plus on connaît le changement climatique et les actions du quotidien les plus émettrices de CO2, moins notre empreinte carbone est importante. C’est ce que confirme une nouvelle étude, qui indique que les connaissances sont un levier individuel et collectif qui peut faire diminuer cette empreinte d’une tonne de CO2 par personne et par an. Mais cela ne suffira pas : la transition écologique doit aussi passer par les infrastructures publiques et l’aménagement du territoire.


Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), mais aussi le traitement de plus en plus massif de l’urgence climatique par les médias témoignent d’une information sur le sujet désormais disponible pour tous. Pourtant, à l’échelle des individus, des États ou même des accords intergouvernementaux comme les COP, les effets de ces rapports semblent bien maigres face aux objectifs fixés et aux risques encourus.

Ce constat interpelle et questionne le rôle des connaissances accumulées et diffusées dans la transition environnementale. Plutôt que de les rejeter d’un bloc, il s’agit de revisiter les formes qu’elles doivent prendre pour permettre l’action.

Plus de connaissances pour faire évoluer les comportements : oui, mais lesquelles ?

Est-ce que plus de connaissances sur le réchauffement climatique poussent au changement ? C’est précisément à cette question que nous avons souhaité répondre dans une étude publiée récemment. Ce travail s’appuie sur une enquête portant sur 800 Français interrogés sur leurs croyances relatives au réchauffement climatique, leurs connaissances sur le sujet ainsi que sur leur comportement et leur empreinte carbone grâce au simulateur de l’Agence de la transition écologique (Ademe) « Nos gestes climat ».

Avant tout, précisons ce qu’on appelle connaissances. Si notre outil évalue les connaissances liées au problème (réalité du réchauffement, origine anthropique…), une large part de notre échelle évalue par ailleurs si l’individu sait comment atténuer le problème au travers de ses choix quotidiens – quels postes d’émissions, comme l’alimentation ou les transports, et quelles actions ont le plus d’impact. En effet, une bonne action ne nécessite pas seulement d’identifier le problème, mais de savoir y parer efficacement. Et les Français ont des connaissances très hétérogènes sur ce sujet – constat qui se retrouve au niveau international.

En s’appuyant sur le pourcentage de bonnes réponses à notre questionnaire et en le comparant au niveau autoévalué par l’individu, on observe d’ailleurs que les personnes les plus incompétentes sur le sujet surestiment drastiquement leur niveau de connaissances de plus d’un facteur deux, tandis que les plus compétents sous-estiment légèrement leur niveau de 20 %.

Pour aller au-delà de la simple observation d’une corrélation entre connaissances et empreinte carbone, déjà observée dans d’autres études récentes et confirmée par la nôtre, nous avons regardé comment le niveau de connaissances moyen de l’entourage d’un individu influence ses propres connaissances et contribue par ce biais à réduire son empreinte carbone.

Quand les connaissances butent sur des contraintes

Nous avons montré que le niveau de connaissances influence significativement à la baisse l’empreinte carbone : en moyenne, les personnes ayant 1 % de connaissances en plus ont une empreinte carbone 0,2 % plus faible. Cela s’explique par les causes multifactorielles sous-jacentes à l’empreinte.

Nous observons surtout des résultats très différents selon les postes de l’empreinte carbone. Le transport réagit beaucoup (-0,7 % pour une hausse de 1 % de connaissances), l’alimentation beaucoup moins (-0,17 %) tandis qu’il n’y a pas d’effet observable sur les postes du logement, du numérique et des consommations diverses.

Ces résultats sont encourageants dans la mesure où le transport et l’alimentation représentent près de la moitié de l’empreinte carbone, selon l’Ademe.

L’absence de résultat sur les autres postes peut s’expliquer par différents facteurs. Sur le logement par exemple, les contraintes sont probablement plus pesantes et difficiles à dépasser que sur les autres postes. On change plus facilement de véhicule que de logement et isoler son logement coûte cher et reste souvent associé à un retour sur investissement très long. Le statut d’occupation du logement (monopropriétaire, copropriétaire, locataire…) peut aussi freiner considérablement le changement.

Enfin, concernant les postes restants, il y a fort à parier qu’il existe à la fois une méconnaissance de leur impact, des habitudes liées au statut social ou d’absence d’alternatives. Plusieurs études ont montré que les individus évaluent très mal l’impact associé aux consommations diverses, et que les guides gouvernementaux qui leur sont destinés fournissent peu d’informations à ce sujet.

Comme notre questionnaire ne porte pas sur les connaissances relatives à la totalité des choix du quotidien, il est possible que les individus très renseignés sur l’impact des plus grands postes (logement, transport, alimentation) et qui sont bien évalués dans notre étude ne l’auraient pas nécessairement été sur les autres postes (vêtement, mobilier, électronique…). Par ailleurs, même si un individu sait que réduire son usage numérique ou sa consommation matérielle aurait un effet positif, il peut se sentir isolé ou dévalorisé socialement s’il change de comportement.

Pour finir, le numérique est souvent perçu comme non substituable, omniprésent, et peu modulable par l’individu. Contrairement à l’alimentation ou au transport, il est difficile pour l’individu de percevoir l’intensité carbone de ses usages numériques (streaming, cloud, etc.) ou de les choisir en fonction de cette information.

Au-delà des connaissances individuelles : le rôle des politiques publiques et des normes sociales

Notre étude montre que l’on peut atteindre jusqu’à environ une tonne de CO2e/an/habitant en moins grâce à une augmentation drastique des connaissances, ce qui pourrait passer par l’éducation, la formation, la sensibilisation et les médias. C’est déjà bien, mais c’est une petite partie des 6,2 t CO2e/habitant à éviter pour descendre à 2 tonnes par habitant en France, l’objectif établi par l’accord de Paris. Cela rejoint l’idée que les connaissances individuelles ne peuvent pas tout accomplir et que les individus eux-mêmes n’ont pas toutes les clés en main.

Les actions des individus dépendent pour partie des infrastructures publiques et de l’organisation des territoires. Dans ce cadre, seules des décisions prises aux différents échelons de l’État peuvent dénouer certaines contraintes sur le long terme. D’un autre côté, les décideurs politiques ou les entreprises ne s’engageront pas sur des mesures désapprouvées par une large part de la population. Il faut donc rompre le triangle de l’inaction d’une manière ou d’une autre pour entraîner les deux autres versants.

Il ne s’agit pas de dire que les individus sont seuls responsables de la situation, mais d’observer qu’au travers du vote, des choix de consommation et des comportements, les leviers et la rapidité des changements sont probablement plus grands du côté des individus que du côté des entreprises et des États.

Comment alors mobiliser les citoyens au-delà de l’amélioration des connaissances ? Nous ne répondons pas directement à cette question dans notre étude, mais une littérature foisonnante s’intéresse à deux pistes prometteuses.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas toujours nécessaire d’interdire, de subventionner massivement ou de contraindre pour faire évoluer les comportements. Parfois, il suffit d’aider chacun à voir que les autres bougent déjà. Les politiques fondées sur les normes sociales – qu’on appelle souvent nudges – misent sur notre tendance à nous aligner avec ce que font les autres, surtout dans des domaines aussi collectifs que le climat.

Avec un minimum d’investissement public, on peut donc maximiser les effets d’entraînement, pour que le changement ne repose pas seulement sur la bonne volonté individuelle, mais devienne la nouvelle norme locale. Ainsi, en Allemagne, une étude récente montre que lorsque l’un de vos voisins commence à recycler ses bouteilles, vous êtes plus susceptible de le faire aussi. Ce simple effet d’imitation, reposant sur la norme sociale, peut créer des cercles vertueux s’il est combiné à des dispositifs d’aide publique habilement ciblée voir à de l’information.

Les émotions, un autre levier individuel et collectif

Ensuite, les émotions – telles que la peur, l’espoir, la honte, la fierté, la colère… – possèdent chacune des fonctions comportementales spécifiques qui, bien mobilisées, peuvent inciter à l’adoption de comportements plus vertueux d’un point de vue environnemental. Des chercheurs ont d’ailleurs proposé un cadre fonctionnel liant chaque émotion à des contextes d’intervention précis et démontré que cela peut compléter efficacement les approches cognitives ou normatives classiques.

Par exemple, la peur peut motiver à éviter des risques environnementaux immédiats si elle est accompagnée de messages sur l’efficacité des actions proposées (et, à l’inverse, peut paralyser en l’absence de tels messages), tandis que l’espoir favorise l’engagement si les individus perçoivent une menace surmontable et leur propre capacité à agir. Par ailleurs, l’écocolère peut amener à un engagement dans l’action plus fort que l’écoanxiété.

Cibler stratégiquement les émotions selon les publics et les objectifs maximise les chances de changements comportementaux. En outre, mobiliser les émotions requiert de convaincre les individus de l’efficacité de leurs actions (et de l’implication des autres), et du caractère surmontable du défi du changement climatique. Ce n’est pas une mince affaire, mais cela reste une question centrale pour la recherche et les acteurs de la lutte contre le changement climatique.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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21.07.2025 à 18:12

Les vélos électriques, des déchets comme les autres ? Le problème émergent posé par les batteries

Yvonne Ryan, Associate Professor in Environmental Science, University of Limerick

Les batteries des vélos électriques peuvent être particulièrement dangereuses et difficiles à éliminer, lorsqu’elles ne passent pas à travers des mailles du filet et finissent au rebut.
Texte intégral (1937 mots)

Les vélos électriques ont le vent en poupe : ils rendent les déplacements cyclistes accessibles à tous indépendamment de la condition physique et n’émettent pas de gaz à effet de serre pendant leur utilisation. Oui, mais encore faut-il qu’en fin de vie, ils soient correctement recyclés – et, en particulier, leurs batteries électriques. Ce n’est pas toujours le cas et cela provoque déjà des incidents, sans parler des pollutions qui peuvent en découler.


Les vélos électriques rendent la pratique du vélo plus facile, plus rapide et plus accessible. Ils jouent déjà un rôle important pour réduire l’impact environnemental des transports, en particulier lorsqu’ils remplacent un trajet en voiture individuelle.

Mais lorsqu’on met un vélo électrique au rebut, il faut aussi se débarrasser de sa batterie. Or, ces batteries peuvent être particulièrement dangereuses pour l’environnement et difficiles à éliminer (les filières de recyclage appropriées n’étant pas toujours mobilisées, ndlt). L’essor des vélos électriques s’accompagne donc d’un nouveau problème environnemental : l’augmentation des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEE).

Le secteur a besoin d’une réglementation plus stricte pour l’encourager à réduire ses déchets. Il s’agirait notamment d’encourager la conception de vélos plus faciles à réparer ou à recycler et d’établir des normes universelles permettant aux pièces de fonctionner pour différentes marques et différents modèles, de sorte que les composants puissent être réutilisés au lieu d’être jetés.

Malgré tout, les vélos électriques passent souvent entre les mailles du filet législatif. Leur exclusion des produits prioritaires, dans le cadre du règlement de l’UE sur l’écoconception des produits durables, introduit en 2024, est regrettable.


À lire aussi : Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ?


À l’Université de Limerick, en Irlande, des collègues et moi avons mené des recherches sur l’impact environnemental des vélos électriques. Nous nous sommes intéressés à l’ensemble de leur cycle de vie, depuis l’extraction minière des métaux jusqu’à la fabrication, l’utilisation et l’élimination finale des vélos, afin de voir s’il existait des moyens de réduire la quantité de matériaux utilisés.

Nous avons interrogé des détaillants et des personnes travaillant dans le domaine de la gestion des déchets. Ils nous ont fait part de leurs préoccupations concernant la vente en ligne de vélos électriques de moindre qualité, dont les composants deviennent plus facilement défectueux, ce qui conduit à un renouvellement plus fréquent.

location de vélos
Les services de location de vélos électriques, comme celui-ci à Dublin (Irlande), se développent rapidement. Brendain Donnelly/Shutterstock

En utilisant les données relatives à la flotte de vélos électriques en usage sur notre université, nous avons constaté des problèmes de conception et de compatibilité des composants. Les pneus de vélo, par exemple, sont devenus de plus en plus atypiques et spécialisés.

La fabrication additive, par exemple l’impression 3D, pourrait devenir plus importante pour les détaillants et les réparateurs de vélos, qui pourraient l’utiliser pour imprimer eux-mêmes des écrous, des vis ou même des selles de rechange. Cela pourrait être particulièrement nécessaire dans les États insulaires comme l’Irlande, où il y a souvent des retards dans l’approvisionnement en pièces détachées.

Mais il faut d’abord que les vélos électriques soient d’une qualité suffisante pour pouvoir être réparés. Et pour créer les pièces de rechange, encore faut-il avoir accès aux données nécessaires, c’est-à-dire à des fichiers numériques contenant des dessins précis d’objets tels qu’un pneu ou un guidon de vélo.

Allonger la durée de vie des vélos électriques

De nouveaux modèles d’affaires voient le jour. Certaines entreprises prêtent des vélos électriques à leurs employés, une société de gestion se chargeant de l’entretien et de la réparation.

Il existe également un nombre croissant de services mobiles de réparation de vélos électriques, ainsi que des formations spécialisées à la réparation et la vente au détail de vélos électriques, par l’intermédiaire de plateformes de fabricants tels que Bosch ou Shimano.

Les marques de vélos électriques changent elles aussi progressivement, passant de la vente de vélos à une offre de services évolutifs. Par exemple, le détaillant de vélos électriques Cowboy propose un abonnement à des mécaniciens mobiles, et VanMoof s’associe à des services de réparation agréés. Mais, si ces modèles fonctionnent bien dans les grandes villes, ils ne sont pas forcément adaptés aux zones rurales et aux petites agglomérations.

Il convient toutefois de veiller à ce que les consommateurs ne soient pas désavantagés ou exclus des possibilités de réparation. Aux États-Unis, les fabricants de vélos électriques ont demandé des dérogations aux lois visant à faciliter la réparation des produits, tout en insistant sur le fait que le public ne devrait pas être autorisé à accéder aux données nécessaires pour effectuer les réparations.

Des vélos électriques parfois difficiles à distinguer des simples vélos

En ce qui concerne le traitement des déchets, certaines des innovations qui ont rendu les vélos électriques plus accessibles créent de nouveaux problèmes. Par exemple, les vélos électriques ont évolué pour devenir plus fins et élégants – et, de ce fait, ils sont parfois impossibles à distinguer des vélos ordinaires. Il est donc plus facile pour eux de se retrouver dans des unités de traitement des ordures ménagères (tri, incinération, mise en décharge, etc.) qui ne sont pas équipées pour les déchets électroniques. Si une batterie lithium-ion à l’intérieur d’un vélo électrique est encore chargée et qu’elle est écrasée ou déchiquetée (au cours du tri, par exemple), elle peut déclencher un incendie.

Ce problème est pourtant loin d’être insoluble. La vision par ordinateur et d’autres technologies d’intelligence artificielle pourraient aider à identifier les vélos électriques et les batteries dans les installations de gestion des déchets. Les codes QR apposés sur les cadres des vélos pourraient aussi être utilisés pour fournir des informations sur l’ensemble du cycle de vie du produit, y compris les manuels de réparation et l’historique des services, à l’instar des passeports de produits proposés par l’Union européenne.

La sensibilisation, le choix et l’éducation des consommateurs restent essentiels. S’il appartient aux consommateurs de prendre l’initiative de l’entretien et de la réparation des vélos électriques, les décideurs politiques doivent veiller à ce que ces options soient disponibles et abordables et à ce que les consommateurs les connaissent.

Les détaillants, de leur côté, ont besoin d’aide pour intégrer la réparation et la réutilisation dans leurs modèles commerciaux. Il s’agit notamment de mettre en place des forfaits domicile/lieu de travail pour faciliter l’entretien des vélos électriques. Cela passe aussi par un meilleur accès aux assurances et aux protections juridiques, en particulier pour la vente de vélos électriques remis à neuf. Enfin, il leur faut disposer d’une main-d’œuvre ayant les compétences nécessaires pour réparer ces vélos.

Partout dans le monde, les « vélothèques » (services de prêt ou location de vélos, ndlt) et les programmes « Essayez avant d’acheter » aident les consommateurs à prendre de meilleures décisions, car ils leur permettent de tester un vélo électrique avant de s’engager. L’abandon du modèle de la propriété traditionnelle – en particulier pour les vélos électriques coûteux – pourrait également rendre la mobilité active plus accessible.

Les politiques qui favorisent les ventes, telles que les subventions et les incitations à l’achat de nouveaux vélos, peuvent aller à l’encontre des efforts déployés pour réduire les déchets. Nous avons besoin de davantage de politiques qui favorisent la réparation et la remise à neuf des vélos électriques.

Ce secteur présente un fort potentiel pour limiter notre impact environnemental et améliorer la santé publique. Mais pour que ces avantages se concrétisent, nous devons nous efforcer de les faire durer plus longtemps et de consommer moins de ressources naturelles pour ces derniers.

The Conversation

Yvonne Ryan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.07.2025 à 15:52

Filtres UV, métaux, pesticides… Les récifs coralliens au défi de la pollution chimique

Karen Burga, Cheffe de projet, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Plusieurs filtres UV utilisés pour les crèmes solaires sont à risque pour les coraux, comme le salicylate de 2-éthylhexyle, l’enzacamène, l’octocrylène, la benzophénone-3 et l’octinoxate.
Texte intégral (2190 mots)

De plus en plus de crèmes solaires se présentent comme « respectueuses » de l’environnement. Est-ce vraiment le cas ? En 2023, une expertise de l’Anses a mis en évidence les risques posés par plusieurs substances chimiques pour le milieu marin, et en particulier pour les récifs coralliens. En cause, des pesticides, des métaux, mais également des filtres UV utilisés dans les crèmes solaires, comme le salicylate de 2-éthylhexyle, l’enzacamène, l’octocrylène, la benzophénone-3 et l’octinoxate.


Toutes sortes de substances chimiques terminent leur vie dans les océans : métaux, pesticides, mais également les molécules servant de filtres UV dans les crèmes solaires. Tous ces polluants peuvent affecter la biodiversité marine et notamment les récifs coralliens, déjà mis à mal par le changement climatique.

Face à ces préoccupations, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié, en 2023, une évaluation, avec l’appui de l’Office français de la biodiversité (OFB). L’enjeu : comprendre les risques posés par la pollution chimique sur la santé des coraux.

L’Agence a ainsi évalué les risques pour une cinquantaine de substances parmi la centaine identifiée comme potentiellement toxique pour les coraux. Les résultats sont préoccupants : la moitié des substances évaluées présentent bien des risques pour les récifs coralliens. Parmi celles-ci, on trouve les filtres UV présents dans les crèmes solaires, des métaux et des pesticides.

Avec une mauvaise nouvelle à la clé : le bilan des substances à risque est très probablement sous-estimé.

Les récifs coralliens victimes des pollutions

Les récifs coralliens constituent des écosystèmes cruciaux pour la planète. Même s’ils couvrent moins de 1 % de la surface des océans, ils abritent plus de 25 % de la biodiversité mondiale, comptant parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète. Malgré leur importance écologique (et les enjeux économiques qui en découlent), les récifs coralliens déclinent.

D’après les Nations unies, il est estimé que 20 % des récifs coralliens mondiaux ont déjà été détruits. Ces écosystèmes font face à des pressions multiples à toutes les échelles spatiales : du niveau local (du fait par exemple des pollutions, de la surpêche, des aménagements côtiers, etc.) au niveau mondial (notamment à cause du changement climatique).

En termes de pollution marine, les coraux sont exposés à diverses substances chimiques provenant de différences sources, ponctuelles ou diffuses. Ces effets éveillent l’intérêt des chercheurs depuis des décennies. Pour mener leur expertise quant aux risques posés par les substances chimiques sur la santé des coraux, l’Anses et l’OFB se sont ainsi appuyés sur une revue de littérature scientifique réalisée par Patrinat.

Ceci a permis d’identifier une centaine de substances pouvant avoir des effets toxiques sur les espèces coralliennes.


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Quelles sont les substances à risque identifiées ?

Commençons par les pesticides. Grâce aux données de surveillance des substances chimiques dans l’eau disponibles pour la Guadeloupe, pour la Martinique, pour La Réunion et pour Mayotte, l’Anses a pu évaluer les risques sur ces territoires. Parmi les 21 substances étudiées :

  • deux pesticides dangereux pour l’environnement marin ont été identifiés, le chlordécone et le chlorpyrifos, surtout en Guadeloupe et Martinique ;

  • le risque ne peut pas être écarté pour huit autres pesticides : TBT, profénofos, perméthrine, naled, monuron, dichlorvos, cyanures et carbaryl.

S’agissant des métaux, des risques ont été identifiés pour six métaux (zinc, vanadium, manganèse, fer, cobalt et aluminium) sur les 12 étudiés.

  • En Martinique, les niveaux d’aluminium, de manganèse et de zinc dépassent les niveaux de référence,

  • pour les autres territoires, il n’est pas possible de déterminer si les concentrations mesurées dans l’eau de ces métaux sont d’origine anthropique ou naturelle.

Ces dernières années, un nouveau type de pollution chimique des récifs coralliens a retenu l’attention du public et des scientifiques : les produits de protection solaire, en particulier les filtres UV.

Crèmes solaires : attention aux allégations commerciales !

Il est difficile d’évaluer les risques pour ces substances, faute de données disponibles quant aux concentrations de ces substances dans les eaux des territoires français ultramarins.

Cependant, sur la base des concentrations rapportées dans la littérature scientifique dans d’autres zones marines, l’expertise a pu identifier cinq filtres UV à risque sur les 11 identifiés par la revue systématique. Il s’agit du salicylate de 2-éthylhexyle, de l’enzacamène, de l’octocrylène, de la benzophénone-3 et de l’octinoxate.

Résultats de l’évaluation des risques et du niveau de confiance associé, conduite pour chaque substance étudiée dans le groupe filtres UV. Niveau de confiance dans le résultat de l’évaluation : très faible : faible, + : moyen, ++ élevé ; case vide : le niveau de confiance n’a pas pu être déterminé. Fourni par l'auteur

Dans ce groupe, l’enzacamene est reconnu comme un perturbateur endocrinien. Et cela non seulement pour la santé humaine, mais aussi pour l’écosystème marin. Les autres substances sont, elles aussi, suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Elles font actuellement l’objet d’évaluations par les États membres de l’Union européenne dans le cadre du règlement Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals (REACH).

Les produits solaires contenant, par exemple, de l’octocrylène ne doivent pas être présentés comme étant sans danger pour les milieux aquatiques auprès des consommateurs. Dimitrisvetsikas1969/Pixabay

Concernant l’octocrylène en particulier, la France constitue actuellement un dossier de restriction pour les usages cosmétiques auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Ceci tient aux risques identifiés, en particulier pour le milieu aquatique.

Ceci a des implications très claires : les produits solaires contenant des substances identifiées dans cette expertise comme à risque pour les récifs coralliens ne doivent pas prétendre qu’ils sont sans danger pour le milieu marin et qu’ils le respectent.

Une surveillance accrue pour produire plus de données

Une autre leçon de l’expertise tient au nombre de substances chimiques qu’il a été possible d’étudier. Celui-ci est très restreint au regard du nombre de contaminants que l’on peut retrouver dans l’environnement marin.

Cela plaide pour une surveillance accrue des substances chimiques dans le milieu marin des territoires d’outre-mer, en particulier à proximité des récifs coralliens. Il est important de mettre en place ou de renforcer les dispositifs de suivi existants, en particulier dans certains territoires ultramarins.

D’autres groupes de substances présents dans les océans, parmi lesquels les hydrocarbures, les produits pharmaceutiques ou les microplastiques, n’ont pas pu être évalués, par manque de données robustes sur les concentrations retrouvées et leur toxicité pour les coraux. Ainsi, le nombre de substances présentant des risques pour les coraux est très sous-estimé.

Si on veut donner une chance aux récifs coralliens de faire face aux effets du changement climatique, qui seront de plus en plus intenses dans les années à venir, il est essentiel de préserver la qualité de l’eau et d’intensifier la lutte contre les pollutions à toutes les échelles.

Cela passe, par exemple, par une application plus stricte des réglementations liées aux substances chimiques ou encore par le contrôle des rejets vers les océans et par l’amélioration des réseaux d’assainissement des eaux usées.


Cet article s’appuie sur un rapport d’expertise de l’Anses publié en 2023 auquel ont contribué des agents de l’Anses et les experts suivants : C. Calvayrac (Université de Perpignan Via Domitia), J.-L. Gonzalez (Ifremer), C. Minier (Université Le Havre Normandie), A. Togola (BRGM) et P. Vasseur (Université de Lorraine).

The Conversation

Karen Burga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.07.2025 à 15:48

La Terre retient bien plus de chaleur que ne le prévoient les modèles climatiques, et ce n’est pas une bonne nouvelle

Steven Sherwood, Professor of Atmospheric Sciences, Climate Change Research Centre, UNSW Sydney

Benoit Meyssignac, Associate Research Scientist in Climate Science, Université de Toulouse

Thorsten Mauritsen, Professor of Climate Science, Stockholm University

Les mesures de la quantité de chaleur piégée par la Terre dépassent largement les prévisions des modèles climatiques, et les scientifiques ont encore du mal à l’expliquer.
Texte intégral (2165 mots)
Surface de la Terre vue depuis l’espace, on peut observer la fine couche de l’atmosphère qui la recouvre et le Soleil qui brille au-dessus. Nasa, CC BY-NC-ND

L’énergie du rayonnement solaire qui arrive sur Terre est en partie absorbée par son atmosphère, où elle est piégée sous forme de chaleur : c’est l’effet de serre. Mais les modèles climatiques semblent s’être trompés. La chaleur s’accumule désormais deux fois plus vite qu’il y a vingt ans, le double de ce que la théorie prévoyait.


Comment mesurer le changement climatique ? L’une des méthodes consiste à enregistrer la température à différents endroits sur une longue période. Même si cette méthode fonctionne bien, les variations naturelles peuvent rendre plus difficile l’observation de tendances à long terme.

Mais une autre approche peut nous donner une idée très claire de ce qui se passe : il s’agit de suivre la quantité de chaleur qui entre dans l’atmosphère terrestre et la quantité de chaleur qui en sort. Cela revient à dresser le budget énergétique de la Terre, et il est aujourd’hui bel et bien déséquilibré.

Notre étude récente a montré que ce déséquilibre a plus que doublé au cours des vingt dernières années. D’autres chercheurs sont arrivés aux mêmes conclusions. Ce déséquilibre est aujourd’hui beaucoup plus important que ce que les modèles climatiques estimaient.

Au milieu des années 2000, le déséquilibre énergétique était d’environ 0,6 watts par mètre carré (W/m2) en moyenne. Ces dernières années, la moyenne était plus proche de 1,3 W/m2. Cela signifie que la vitesse à laquelle l’énergie s’accumule à la surface de la planète a doublé.

Ces résultats suggèrent que le changement climatique pourrait bien s’accélérer dans les années à venir. Pis, ce déséquilibre inquiétant apparaît alors même que l’incertitude concernant les financements états-uniens d’études du climat menace notre capacité à suivre les flux de chaleur.

Équilibre de ce qui entre et de ce qui sort

Le budget énergétique de la Terre fonctionne un peu comme un compte en banque, où l’énergie sert de monnaie, et peut entrer et sortir. En réduisant les dépenses, on accumule de l’argent sur le compte. La vie sur Terre dépend de l’équilibre entre la chaleur provenant du Soleil et celle qui sort vers l’espace. Cet équilibre est en train de basculer d’un côté.

L’énergie solaire frappe la Terre et la réchauffe. Les gaz à effet de serre qui piègent la chaleur dans l’atmosphère retiennent une partie de cette énergie. Mais la combustion de charbon, de pétrole et de gaz a ajouté plus de deux billions (soit deux mille milliards) de tonnes de CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces gaz emprisonnent de plus en plus de chaleur, l’empêchant de s’échapper.

Une partie de cette chaleur supplémentaire réchauffe la Terre ou fait fondre les banquises, les glaciers et les nappes glaciaires. Mais cela ne représente qu’une infime partie de l’énergie que reçoit la Terre : 90 % de cette chaleur est absorbée par les océans en raison de leur énorme capacité calorifique.


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La Terre perd naturellement de la chaleur de plusieurs manières. L’une d’entre elles consiste à réfléchir la chaleur entrante sur les nuages, la neige et la glace et à la renvoyer dans l’espace. Notre planète perd aussi une partie de son énergie sous forme de rayonnement infrarouge qui est également émis vers l’espace.

Depuis le début de la civilisation humaine jusqu’à il y a tout juste un siècle, la température moyenne à la surface était d’environ 14 °C. Le déséquilibre énergétique qui s’accumule a maintenant fait grimper les températures moyennes de 1,3 à 1,5 °C.

Mesurer le bilan énergétique depuis l’espace et sur Terre

Les scientifiques suivent le bilan énergétique de deux manières. Tout d’abord, nous pouvons mesurer directement la chaleur provenant du Soleil et retournant dans l’espace, en utilisant des radiomètres, des instruments embarqués sur des satellites de surveillance. Cet ensemble de données et ses prédécesseurs existent depuis la fin des années 1980.

Ensuite, nous pouvons suivre avec précision l’accumulation de chaleur dans les océans et l’atmosphère en effectuant des relevés de température. Des milliers de flotteurs robotisés ont surveillé les températures dans les océans du monde entier depuis les années 1990.

Les deux méthodes montrent que le déséquilibre énergétique a rapidement augmenté. Ce doublement a été un choc, car les modèles climatiques les plus élaborés que nous utilisons ne prévoyaient pas un changement aussi important et aussi rapide. En général, ils prévoient moins de la moitié du changement que nous observons en réalité.

Pourquoi ce changement si rapide ?

Nous n’expliquons pas encore complètement cette situation. Mais de nouvelles recherches suggèrent qu’un facteur important est à trouver dans les nuages.

Les nuages ont en général un effet de refroidissement. Mais la zone couverte par les nuages blancs très réfléchissants a diminué, tandis que la zone couverte par les nuages épars et moins réfléchissants a augmenté.

On ne sait pas exactement pourquoi les nuages changent. Une explication possible pourrait être les conséquences des efforts fructueux déployés pour réduire la teneur en soufre des carburants utilisés pour le transport maritime depuis 2020, car la combustion de carburants plus sales pourrait avoir eu un effet d’éclaircissement des nuages. Toutefois, l’accélération du déséquilibre du budget énergétique terrestre a commencé avant cette évolution.

Les fluctuations naturelles du système climatique, telles que l’oscillation décennale du Pacifique, pourraient également jouer un rôle. Enfin, et c’est le plus inquiétant, le changement de la nature des nuages pourrait faire partie d’une tendance causée par le réchauffement climatique lui-même : il s’agirait d’une rétroaction positive, qui amplifie le réchauffement.

Des nuages blancs
Les nuages blancs et denses sont ceux qui réfléchissent le plus de chaleur. Mais la zone couverte par ces nuages rétrécit. Adhivaswut/Shutterstock

Le réchauffement climatique serait-il plus intense que prévu ?

Ces résultats suggèrent que les températures extrêmement élevées de ces dernières années ne sont pas des cas isolés, mais qu’elles pourraient refléter un renforcement du réchauffement au cours de la prochaine décennie, voire pendant plus longtemps encore. Cela signifie qu’il y aura davantage de risques que les événements climatiques soient plus intenses, qu’il s’agisse de vagues de chaleur caniculaire, de sécheresses ou de pluies extrêmes, ou de vagues de chaleur marine plus intenses et plus durables.

Ce déséquilibre pourrait avoir des conséquences plus graves à long terme. De nouvelles recherches montrent que les seuls modèles climatiques qui s’approchent d’une simulation qui reflète les mesures réelles sont ceux dont la « sensibilité climatique » est plus élevée. Ces modèles prévoient un réchauffement plus important au-delà des prochaines décennies, dans les scénarios où les émissions ne sont pas réduites rapidement. Toutefois, nous ne savons pas encore si d’autres facteurs entrent en jeu. Il est encore trop tôt pour affirmer que nous sommes sur une trajectoire de sensibilité élevée.

Continuer à surveiller

Nous connaissons la solution depuis longtemps : arrêter la combustion d’énergies fossiles et supprimer progressivement les activités humaines qui provoquent des émissions, comme la déforestation.

Conserver des données précises sur de longues périodes est essentiel si nous voulons détecter les changements inattendus.

Les satellites, en particulier, constituent notre système d’alerte précoce, car ils nous informent des changements dans les processus de stockage de la chaleur environ une décennie avant les autres méthodes.

Mais les coupes budgétaires et les changements radicaux de priorités aux États-Unis pourraient menacer la surveillance essentielle du climat par satellite.

The Conversation

Steven Sherwood a reçu des financements du Conseil australien de la recherche et de la Mindaroo Foundation.

Benoit Meyssignac a reçu des financements de la Commission européenne, de l'Agence spatiale européenne (ESA) et du CNES.

Thorsten Mauritsen a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (ERC), de l'Agence spatiale européenne (ESA), du Conseil suédois de la recherche, de l'Agence spatiale nationale suédoise et du Centre Bolin pour la recherche sur le climat.

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16.07.2025 à 17:21

Dans les pays du Sud, une protection sociale écologique pour faire face aux conséquences du changement climatique

Léo Delpy, Maitre de conférences, Université de Lille

Bruno Boidin, Professeur des universités, Université de Lille

Le changement climatique menace à la fois la subsistance économique et la santé des populations. Des dispositifs d’aide existent mais restent souvent cloisonnés.
Texte intégral (1736 mots)

Face aux évènements climatiques extrêmes, les pays du Sud et les organisations internationales déploient des fonds d’urgence et des projets One Health liant santé humaine, animale et environnementale. Mais ces initiatives restent souvent cloisonnées. Comment repenser la protection sociale pour qu’elle s’adapte aux défis climatiques ?


Selon le GIEC, le changement climatique provoque de nombreuses conséquences sur la santé humaine : augmentation de la mortalité liée aux vagues de chaleur, aggravation des crises alimentaires, difficultés accrues d’accès à l’eau, émergence de zoonoses… Le dernier rapport mondial sur la protection sociale de l’Organisation internationale du travail souligne quant à lui un paradoxe : dans les 20 pays les plus vulnérables face au changement climatique, seuls 8,7 % de la population en moyenne bénéficie d’un dispositif de protection sociale.

Pourtant, le lancement depuis les années 2010 de politiques d’extension de la protection sociale et de couverture santé universelle dans les pays à faible revenu promettait de réelles avancées. Le Rwanda, par exemple, est souvent considéré comme une réussite après la mise en place de l’adhésion obligatoire aux mutuelles pour les travailleurs de l’économie informelle (l’ensemble des emplois qui ne sont pas réglementés ou protégés par l’État) et un engagement fort de l’État. Ce type de politique a été initié dans la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne, mais le bilan demeure contrasté. Face à ce constat, comment construire une protection sociale non seulement plus étendue mais également adaptée aux conséquences du changement climatique ?

Des dispositifs existants mais insuffisants

Devant l’intensification généralisée des effets du changement climatique, l’économiste Eloi Laurent indique que le secteur privé ne pourra pas assurer la couverture de ce type de risques, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, les sinistres liés au changement climatique ont des impacts variables dont il est difficile d’estimer les conséquences et les coûts associés. De plus, ces sinistres affectent différemment les territoires, si bien que certains ne sont pas rentables pour les compagnies d’assurance, comme les régions côtières.

Eloi Laurent propose dans ce contexte une protection sociale écologique qui adapterait la protection sociale aux risques écologiques. Il s’agit de mutualiser les coûts en lien avec la couverture de ces risques et de lutter contre les inégalités liées au changement climatique.

En Afrique subsaharienne, quelques initiatives vont dans ce sens. L’un des dispositifs emblématiques dans l’extension de la protection sociale face au changement climatique est le programme de protection sociale adaptative au Sahel. Mis en œuvre en 2014 par la Banque mondiale et des gouvernements nationaux, il est encore aujourd’hui déployé dans six pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad).

Ce programme propose d’associer des transferts monétaires ciblés sur des populations fragiles en cas d’évènements climatiques à un dispositif d’alerte précoce. Ce mécanisme se fonde sur des indicateurs régulièrement mis à jour afin d’anticiper la survenue d’une crise, par exemple une sécheresse. Une partie de l’aide est alors débloquée lorsque les indicateurs du système d’alerte (pluviométrie en ce qui concerne les sécheresses) dépassent les seuils fixés.

Cependant, le programme ne permet de couvrir qu’une part relativement réduite des risques nationaux. Au total, selon le rapport annuel de 2024, ce sont près de 1,2 million d’individus qui bénéficient d’un dispositif de réponse aux crises. Cela représente une infime partie des populations et risques dans la région. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la durabilité de tels programmes dont le financement est entièrement assuré par des organisations internationales. Au vu du coût actuel du programme (plusieurs dizaines de millions d’euros annuels), il parait difficile de proposer une couverture pérenne à l’ensemble des populations.

Lier protection sociale adaptative et approche One Health (« Une seule santé »)

L’approche One Health est une conception intégrée considérant comme centrales les interdépendances entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Le groupe d’experts de haut niveau Une seule santé la définit ainsi : « “Une seule santé” (One Health) […] reconnaît que la santé des êtres humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes. »

En Afrique, plusieurs initiatives ont été lancées à partir de cette approche, principalement en vue de lutter contre les maladies infectieuses, en particulier les zoonoses. Quelques pays sont considérés comme relativement avancés (Kenya, Tanzanie), ayant mis en place une plate-forme One Health associant les différents acteurs concernés (ministères de la santé, de l’environnement, services vétérinaires…). D’autres pays sont également actifs mais moins avancés (Cameroun, Sénégal…).

Le projet Thiellal au Sénégal est une illustration intéressante de ces initiatives. Dans une région d’élevage et d’agriculture, l’absence de gestion organisée des ordures ménagères exerce un impact considérable sur les communautés d’éleveurs et d’agriculteurs (pollution plastique, chimique, résistance aux antimicrobiens provoquée par les déchets de médicaments…). Le projet Thiellal vise à mobiliser les communautés locales pour agir sur les déterminants de la santé en recourant à une approche One Health.

Plusieurs solutions fondées sur une logique One Health ont ainsi été mises en place. Elles ont consisté à former des acteurs communautaires et professionnels pour la mise en œuvre d’actions adaptées aux contextes locaux (tri des déchets, agroécologie), à sensibiliser les agriculteurs aux risques liés à l’utilisation des produits chimiques et à trouver des solutions alternatives, et enfin à soutenir des décisions à l’échelle communautaire, en plus des acteurs publics locaux et nationaux. Ce projet illustre cependant le fait que les projets One Health n’intègrent généralement pas de dispositifs de protection sociale, et réciproquement.

Des initiatives qui restent cloisonnées

On constate que les dispositifs de protection sociale adaptative décrits plus haut continuent d’être mis en œuvre de façon indépendante des initiatives One Health. Les premiers sont portés par certains acteurs de l’aide au développement (Banque mondiale, Unicef, Programme alimentaire mondial), les seconds le sont par d’autres institutions (Organisation mondiale de la santé, Organisation mondiale de la santé animale, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Programme des Nations unies pour l’environnement…). Le cloisonnement des deux types d’actions aboutit à une absence de synergie et une moindre efficacité des deux dispositifs.

En effet, la protection sociale comporte un volet de gestion et d’anticipation des risques qui en l’état n’intègre pas les enseignements de l’approche One Health. Ainsi, pour reprendre l’exemple du projet Thiellal, l’utilisation de pesticides, l’agriculture productiviste et la pollution de l’eau sont aussi des facteurs qui contribuent à accroître le risque de phénomènes climatiques extrêmes. Ces derniers à leur tour mettent gravement en danger les conditions de vie et la santé humaine, car ils créent des désastres environnementaux et réduisent l’accès à l’alimentation (pertes de cheptel et de production agricole). Prendre en compte ces effets semble indispensable à la réussite des dispositifs de protection sociale.

La compréhension des interactions entre santé humaine, santé animale et santé environnementale devrait être systématiquement intégrée aux dispositifs de protection sociale en tant que facteurs de risque mesurable (pour rendre plus fiables les indicateurs d’alerte précoce) mais aussi en tant que leviers d’une amélioration des synergies entre santé et environnement.

Par exemple, l’agroécologie, en réduisant l’usage des pesticides et d’autres produits polluants, assurerait la protection de l’environnement, des animaux, et aurait des effets significatifs sur la santé humaine. Au Bénin, la ferme Songhaï est une illustration de réussite d’un centre de formation et de production agricole fondé sur l’agroécologie. La ferme génère des revenus locaux, produit des denrées alimentaires de qualité sans nuire à l’environnement. D’une certaine façon, cette expérience adopte une approche One Health sans le savoir.

Intégrer cette conception aux systèmes locaux de protection sociale permettrait ainsi d’agir sur deux dimensions. D’une part, recréer des écosystèmes viables sur le plan économique, social et environnemental. D’autre part, assurer les bénéfices de ces écosystèmes pour les populations qui en seraient directement contributrices, tout en étant couvertes par une protection sociale armée contre les risques climatiques.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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15.07.2025 à 17:54

Qui est le capybara, cet étonnant rongeur qui a gagné le cœur des internautes ?

Christiane Denys, Professeure Emerite du Museum, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet étonnant rongeur d’allure flegmatique est devenu la coqueluche des réseaux sociaux. Mais qui est-il vraiment ?
Texte intégral (3096 mots)

Cet étonnant rongeur d’allure flegmatique, qui peut peser jusqu’à 100 kg en captivité, est devenu en quelques mois la coqueluche des réseaux sociaux. Au point que certains le choisissent même comme animal de compagnie. Mais, derrière cet effet de mode, il convient de s’interroger : ses mœurs ne sont pas du tout adaptées à la vie en appartement, tandis que les activités humaines contribuent bel et bien à la dégradation de son habitat naturel.


Le capybara n’est-il qu’un gros cochon d’Inde placide et affectueux ? Depuis 2020, on assiste sur les réseaux sociaux à une véritable « capybara mania ». Certains animaux vivent même comme des animaux de compagnie, en appartement ou dans des jardins, que ce soit en Chine, au Canada ou en Russie, avec leur lot d’images et de peluches kawai.

Par ailleurs, depuis 2021, les habitants de la ville résidentielle de Nordelta, en Argentine, ont vu leurs pelouses et leurs piscines envahies par un grand nombre de capybaras. Les causes de cette invasion – tout comme de l’engouement récent pour le rongeur – sont mal connues, mais certains l’attribuent au fait que ce quartier ait été construit sur une zone qui constituait jadis leur habitat naturel.

D’une manière générale, on connaît assez mal ce rongeur d’un point de vue scientifique. Qui est celui que Linné appelait « cochon d’eau » en 1766 lors de sa découverte ? Où vit-il à l’état sauvage ? Comment vit-il ? Est-il menacé par les changements planétaires en cours ? Portrait-robot.

Dans la famille des capybaras, je voudrais…

Le capybara appartient au genre Hydrochoerus qui comprend actuellement deux espèces : le grand capybara (ou Hydrochoerus hydrochaeris), qui est le plus populaire, et le capybara du Panama (ou Hydrochoerus isthmius) qui serait plus petit, mais qui reste assez mal connu.

Le genre Hydrochoerus appartient à un sous-ordre de rongeurs très anciens ne vivant qu’en Amérique du Sud et caractérisés par une mâchoire de forme particulière, où un muscle de la mâchoire traverse partiellement une structure osseuse sous-orbitaire pour se connecter à l’os du crâne au dessus. On qualifie d’« hystricognathes » les rongeurs ayant cette particularité.

Mara patagonien dans un zoo en Argentine. Snowmanradio/Wikipedia, CC BY

Au sein de ce genre, le capybara est un membre de la famille des Caviidae qui comprend aussi les cochons d’Inde et les lièvres des pampas (les maras).

Cette famille s’est diversifiée il y a environ 18 millions à 14 millions d’années en Amérique du Sud et regroupe actuellement 20 espèces, ce qui en fait une des plus diversifiées d’Amérique du Sud.

Kerodon rupestris photographié au Brésil. Carlos Reis/Flickr, CC BY-NC-ND

Une phylogénie moléculaire place le capybara (Hydrochoerus) comme groupe frère des Kerodon (cobaye des rochers, voir image ci-contre) tandis que le cochon d’Inde (genre Cavia), pour sa part, est un cousin plus éloigné du capybara.

Le grand capybara se rencontre à l’état sauvage depuis l’est des Andes et de la Colombie jusqu’au Brésil, la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay. Le capybara du Panama, pour sa part, vit à l’est du Panama et l’ouest de la Colombie et au nord-ouest du Venezuela.

Des ancêtres pouvant peser jusqu’à 300 kg

C’est le grand capybara que l’on rencontre le plus souvent dans les parcs zoologiques et qui retient l’attention du public en ce moment. De tous les rongeurs, le grand capybara est actuellement le plus gros par sa taille (1 m à 1,3 m) et son poids (35 kg à 65 kg) à l’état sauvage (jusqu’à 100 kg en captivité). Mais à côté de ses ancêtres, c’est un poids plume !

En effet, on estime que ses ancêtres fossiles étaient des capybaras géants. Appelés Phugatherium et Protohydrochoerus, ils ont vécu il y a 4 millions à 2,5 millions d’années en Argentine et en Bolivie. Ces derniers pouvaient mesurer jusqu’à 2 mètres de long et peser de 200 kg à 300 kg, soit la taille d’un tapir selon certains scientifiques – une évaluation ramenée par d’autres à environ 110 kg.

Comparé au cochon d’Inde, le capybara se distingue par sa taille imposante, la présence d’une petite queue, un pelage long mais rêche de couleur brun doré uniforme, la présence d’une petite membrane entre les trois doigts des pattes, qui lui servent de palmes pour nager, et enfin par sa mâchoire, avec de longues dents très hautes (sans racines visibles, on dit qu’elles sont hypsodontes) avec de nombreuses crêtes obliques et une troisième molaire très grande.

Anatomie de la mâchoire du capybara. Phil Myers photographer & copyright holder, Museum of Zoology, University of Michigan-Ann Arbor, USA.

Enfin, le museau est haut et tronqué à l’avant, les oreilles petites et rondes et les yeux très en hauteur et en arrière de la tête.

Comme le lapin, il ingère ses propres fèces

Contrairement au cochon d’Inde sauvage, qui vit dans les prairies sèches et les zones boisées des Andes, le capybara préfère vivre au bord de bord de l’eau dans les zones tropicales et subtropicales de plus basse altitude. Il fréquente les zones forestières et les prairies humides des Llanos du Venezuela ou du Pantanal brésilien. C’est un rongeur subaquatique et végétarien qui aime les herbes, les graines et les végétaux aquatiques.

Comme le lapin, le capybara ingère certaines de ses crottes afin de terminer leur digestion. CC BY

Son mode de digestion s’apparente à celui des ruminants. Il possède une digestion cæcale et pratique la caecotrophie (c’est-à-dire, l’ingestion de ses crottes pour une meilleure assimilation des fibres, comme chez les lapins.

À l’état sauvage, ils vivent en groupes de 2 à 30 individus dirigés par un mâle dominant qui assure la reproduction auprès des femelles et défend le territoire où le groupe trouve ses ressources alimentaires.

La taille du territoire dépend de la qualité des ressources alimentaires et peut varier de 10 hectares à 200 hectares, avec une densité de peuplement qui peut atteindre jusqu’à 15 individus par hectare.

Les capybaras femelles peuvent avoir deux reproductions par an. Leurs portées comprennent en moyenne de 3 à 5 jeunes, qui naissent après quatre à cinq mois de gestation. La croissance est rapide et les jeunes atteignent la maturité sexuelle entre quatorze et dix-huit mois, pesant autour de 35 kg.

En groupe, ils émettent des vocalisations fortes à l’approche d’un prédateur (jaguar, puma, chacal ou anaconda). Le groupe se réfugie alors dans l’eau, où les individus sont de bons nageurs et plongeurs.

Un habitat naturel menacé

Ces rongeurs peuvent être diurnes ou nocturnes, en fonction des pressions de chasse ou de la saison. Bien que l’espèce vive dans beaucoup d’aires protégées, elle est aujourd’hui chassée pour sa viande et son cuir. Toutefois, il existe aujourd’hui de nombreux élevages qui réduisent la pression sur les populations sauvages.

Les populations sauvages de capybaras ne semblent pas être en diminution et l’espèce n’est pas considérée comme en danger de disparition. Cependant, il semblerait que les fortes diminutions de pluie observées sur son habitat depuis 2020 aient eu un impact.

En effet, la survenue de feux de forêt de plus en plus fréquents et grands – du fait du défrichement des forêts en saison sèche, notamment pour augmenter la surface de pâturage disponible pour le bétail – provoque dans le Pantanal brésilien une mortalité animale importante.

Dans les Llanos vénézuéliens, le défrichement des forêts se poursuit aussi, non seulement pour le développement de l’agriculture et de l’élevage, mais également en raison de l’exploitation des bois précieux et du développement de l’industrie pétrolière. Dans le même temps, la construction de barrages hydroélectriques assèche certaines zones. Tous ces événements contribuent à réduire l’habitat naturel du grand capybara.

La cohabitation et la domestication en question

Au-delà de ces grandes zones forestières, en Argentine, ces rongeurs sont de plus en plus visibles dans la banlieue de Buenos Aires. Des résidences ont été construites le long du fleuve où ils vivaient, et l’urbanisation de leurs territoires les empêche de s’alimenter normalement. En l’absence de prédateurs, nourris par certains habitants qui, les trouvant mignons, les laissent entrer sur leurs pelouses et dans leurs piscines, ces rongeurs se multiplient facilement.

La plupart des résidents trouvent que le capybara est calme et peu agressif, sauf les mâles vocalisant et se bagarrant pour la domination du troupeau. Les capybaras ont de moins en moins peur de s’approcher des humains, ce qui explique, là encore, pourquoi on les voit de plus en plus – et pourquoi le nombre d’accidents augmente.

Dans le monde, de plus en plus de personnes vont même jusqu’à en adopter, les considérant comme un animal de compagnie docile et apaisant. Il est recommandé de ne choisir que des femelles et il vaut mieux disposer d’un grand plan d’eau à proximité du domicile. En France, il est nécessaire d’avoir un certificat de capacité vétérinaire pour en élever un.

Sur Internet, les vidéos postées par leurs propriétaires montrent des capybaras solitaires se baignant dans les baignoires d’appartements ou promenés seuls en laisse, ce qui s’apparente, à mon avis, à de la maltraitance. Les territoires naturels des capybaras sont grands, leurs besoins d’eau importants et ils vivent en troupeaux dans la nature.

Dans la nature, le capybara a besoin d’un territoire de grande taille pour son équilibre.

Profitons donc de l’engouement suscité par ce rongeur au mode de vie étonnant pour agir au niveau international contre la dégradation des plus grandes zones humides de la planète. Elles sont aujourd’hui menacées par le changement climatique et par l’augmentation effrénée des activités humaines, qui dégradent l’environnement de façon durable et irréversible. Une mauvaise nouvelle pour le capybara et pour de nombreuses autres espèces.

The Conversation

Christiane Denys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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14.07.2025 à 18:32

Sommet sur l’océan à Nice : des résultats prometteurs mais un essai à transformer

Sylvain Antoniotti, Directeur de Recherche au CNRS en Chimie, Université Côte d’Azur

Cecile Sabourault, Professeur des Universités en Biologie, Université Côte d’Azur

Christophe Den Auwer, Professeur de Chimie, Université Côte d’Azur

Jean-Christophe Martin, Directeur de l’Institut de la Paix et du Développement (IdPD), professeur de droit international et européen, Université Côte d’Azur

Julien Andrieu, professeur de géographie à Université Côte d’Azur, Université Côte d’Azur

Saranne Comel, Université Côte d’Azur

Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre groupes très différents : les scientifiques, les décideurs, la société civile et les financeurs.
Texte intégral (2306 mots)

À Nice, le sommet sur l’océan s’est terminé le 13 juin 2025 sur un bilan en demi-teinte. Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre entités différentes mais complémentaires : scientifiques, décideurs, société civile et acteurs financiers. Il convient désormais de transformer l’essai en tenant compte des réalités locales de chaque territoire.


Après New York en 2017 et Lisbonne en 2022, la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3) s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin. Elle a été le théâtre d’une mobilisation sans précédent des acteurs de l’océan dans l’histoire des conférences multilatérales telles que les COP (Conférences des Parties) onusiennes.

L’océan joue en effet un rôle capital dans les grands équilibres planétaires : il est le pilier de la machine climatique ainsi qu’un précieux vivier de biodiversité.

La dynamique de la conférence a permis d’appeler à l’action internationale pour préserver l’océan, dans un contexte où il n’existe pas de COP dédiée à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Une absence que le sommet a permis de pallier en proposant un espace multilatéral de gouvernance de l’océan à vocation universelle et transversale, même si l’UNOC ne dispose pas des moyens et leviers d’une COP.

Surtout, cette troisième conférence s’est tenue dans un contexte de défiance croissante de certains États à l’égard du droit international et du multilatéralisme. Réunir la communauté internationale autour des défis contemporains liés à l’océan représentait un premier objectif important – et celui-ci a été atteint.

Le bilan concret du sommet peut apparaître en demi-teinte : l’accord sur la haute mer (aussi appelé accord BBNJ) n’a pas encore obtenu le nombre de 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur.

Quoi qu’il en soit, celui-ci a été l’occasion d’initier un dialogue concret entre les quatre mondes que sont la sphère scientifique, celle des décideurs, la société civile et enfin les investisseurs. Un essai qu’il convient désormais de transformer en prenant exemple sur les solutions développées localement.

Des résultats en demi-teinte mais une mobilisation exceptionnelle

Le premier objectif affiché de l’UNOC-3 a été un demi-succès : il s’agissait de permettre l’entrée en vigueur de l’accord sur la haute mer. Les efforts diplomatiques ont permis d’atteindre 51 ratifications durant la conférence, mais pas le seuil des 60 nécessaires à l’entrée en vigueur de l’accord. L’UNOC-3 aura donc été une étape importante, mais insuffisante. L’objectif est désormais celui d’une entrée en vigueur début 2026.

Malgré tout, la conférence aura permis le lancement d’initiatives politiques significatives tel que l’Appel de Nice, signé par 96 États soutenant une haute ambition pour le traité sur la pollution plastique. Jusqu’ici, les négociations ont buté sur une opposition de vues – équilibrée si l’on considère 193 États membres de l’ONU – qui rendent incertaine l’issue des négociations.

De même, 37 États ont initié une Coalition de haute ambition pour un océan plus silencieux, appelant à lutter contre cette forme de pollution ayant des impacts forts sur la vie marine, de plus en plus documentée : la pollution sonore sous-marine.

Le sommet s’est toutefois distingué par une mobilisation inédite des parties prenantes de l’océan. La zone dédiée à la société civile a accueilli plus de 130 000 visiteurs. Plusieurs événements en amont de l’UNOC3 ont rassemblé une grande diversité d’acteurs internationaux et locaux : scientifiques, représentants de communautés locales, acteurs financiers du secteur privé comme de la philanthropie, organisations de la société civile… Citons par exemple :

Cette dynamique exceptionnelle a porté la voix de ces acteurs auprès des 175 États membres présents, en appelant à une action transformatrice visant à garantir la bonne santé de l’océan et des communautés qui en dépendent. En effet, le développement et surtout le financement de ces projets au niveau local et régional sont indispensables pour relever ce défi.

Une valse à quatre temps entre scientifiques, décideurs, société civile et financeurs

La science a d’ailleurs tenu une place toute particulière à l’UNOC3. Outre l’organisation du One Ocean Science Congress, la tenue du premier Forum international des universités marines et le lancement officiel d’une plateforme internationale pour la durabilité des océans (IPOS), la science a fait l’objet de déclarations politiques fortes dès les premiers discours officiels. Elle a aussi donné lieu à des engagements clairs dans la déclaration politique finale (paragraphes 30 c et d), même s’il faudra rester attentif à leur mise en œuvre concrète.

L’UNOC-3 a consolidé un modèle de synergie entre quatre sphères d’acteurs : scientifiques, décideurs publics, société civile et financeurs. Ainsi :

  • le congrès scientifique One Ocean Science Congress a permis de présenter les derniers diagnostics sur l’état de santé de l’océan – même si la remobilisation de ces messages durant l’UNOC-3 n’a pas été aussi forte qu’elle aurait pu l’être.

  • La session Ocean Science Diplomacy a rassemblé chercheurs et diplomates autour de l’intégration de la science dans les négociations internationales. L’UNESCO y a souligné l’insuffisance des budgets publics dédiés à la recherche océanographique.

  • En parallèle, les institutions publiques ont réaffirmé leur volonté d’agir. Par exemple, à travers la coalition Space4Ocean qui vise à améliorer les connaissances sur les océans.

  • La société civile a porté la voix des communautés littorales de manière périphérique.

  • Enfin, le Blue Economy & Finance Forum a mobilisé les acteurs financiers publics et privés afin de sortir du sous-financement structurel des actions en faveur de l’océan. Un total de 8,7 milliards d’euros d’investissements a été proposé pour les cinq prochaines années, dont 4,7 milliards d’euros seront mobilisés par des philanthropes et investisseurs privés réunis au sein de l’initiative Philanthropists and Investors for the Ocean. L’action des philanthropes est essentielle pour garantir un accès plus équitable au financement et renforcer les capacités locales.

Cette synergie permet une vision plus commune et partagée des enjeux, à la croisée de l’état des océans, du changement climatique, de la crise de la biodiversité au-delà des seuls milieux marins, et des injustices et inégalités.

Par exemple : la conservation et la restauration des mangroves ont été évoquées de manière transversale par des ministres, scientifiques ou par des fondations philanthropiques comme des solutions à fort impact à la fois pour le climat (séquestration carbone), pour la biodiversité et pour les communautés locales, notamment autochtones, dont le bien-être dépend de l’état de la mangrove.

De prochaines échéances décisives

À la suite de la plus grande conférence jamais organisée sur l’océan, les signaux sont encourageants mais la route encore longue.

Les prochaines échéances seront décisives : il faudra une mobilisation massive pour inclure des mesures contraignantes dans le traité international contre la pollution plastique lors de la reprise des négociations à Genève en août 2025. De même, la poursuite de l’objectif d’entrée en vigueur attendue du traité de la haute mer en janvier 2026 nécessite encore une ratification par au moins neuf États supplémentaires.

Par ailleurs, même si les liens entre océans, climat et biodiversité ont été rappelés tout au long des deux semaines du sommet, et si la décarbonation du transport maritime y a été abordée, l’enjeu des combustibles fossiles n’a pas été traité. Pourtant, les petits États insulaires appellent ouvertement à leur élimination progressive afin de garantir la santé de l’océan.

L’UNOC-3 devra être suivi d’un retour aux réalités locales des territoires. Chaque délégué ayant participé au sommet représente une communauté et un territoire. Ce retour doit se faire avec humilité et lucidité. Il n’existe pas de solution miracle : chaque écosystème territorial littoral doit trouver sa manière de traduire les principes globaux à l’échelle locale.

Les discours sur le soutien à la pêche artisanale et les communautés côtières marginalisées, par exemple, ont été nombreux à l’UNOC-3. Mais de quelle pêche artisanale parle-t-on et que signifie la soutenir ? La défendre face à la pêche industrielle ? Mieux la planifier pour protéger l’environnement ? La sauver de la pollution ? L’accompagner dans l’adaptation au changement climatique ? Répondre à ces questions suppose une compréhension fine des réalités locales.

Les engagements annoncés à l’UNOC3 devront désormais se transformer en actions concrètes et en partage de solutions, notamment pour accompagner l’adaptation des territoires au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer, avec le soutien des communautés se trouvant en première ligne.

Pour atteindre les objectifs annoncés, nous pensons qu’il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs – scientifiques, acteurs associatifs, décideurs, entrepreneurs. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de par leurs missions fondamentales, devront contribuer plus que jamais à la formation des plus jeunes – les futurs acteurs du changement, à la sensibilisation des décideurs actuels, à la création et la diffusion de connaissances et d’innovations.

De telles ambitions se heurtent trop souvent au cloisonnement de la recherche, aux contingences des politiques scientifiques et à une certaine étanchéité entre les établissements publics de recherche, la société civile et les décideurs. À notre échelle, notre rôle est de repousser ces barrières et d’œuvrer pour une construction scientifique inter et transdisciplinaire pour favoriser les connexions et susciter l’émergence de projets à plusieurs niveaux de complexité. Les recherches doivent aussi être inclusives vis-à-vis des peuples autochtones et des communautés locales pour répondre aux attentes sociétales et co-construire un avenir juste, résilient et désirable pour l’océan et les générations futures.

The Conversation

Sylvain Antoniotti a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

Cecile Sabourault a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche et de l’Union européenne.

Christophe Den Auwer a reçu des financements du CEA

Jean-Christophe Martin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

Julien Andrieu et Saranne Comel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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12.07.2025 à 17:14

Tour de France 2025 : quand des réserves naturelles émergent sur des sites pollués

Patrick de Wever, Professeur, géologie, micropaléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Certains sites protégés pour leur nature remarquable sont pourtant nés… d’une pollution passée !
Texte intégral (2774 mots)
La mare à Goriaux, née d’un affaissement minier. Wikimedia commons, CC BY-NC-SA

Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Le XXIe siècle est marqué par un regain de sensibilité à la nature, qui a poussé à la protection de certains sites, sélectionnés parmi de nombreuses possibilités. Mais paradoxalement, certaines aires sont protégées alors qu’elles semblent polluées… par un phénomène naturel ?


Le naturaliste respecte tout ce qui vient de la nature. De cette dernière il exclut généralement l’humain et ses œuvres, tant elles portent atteinte à un équilibre sain. En témoignent les nombreuses traces laissées par le passé industriel de notre pays : certaines sont visibles (bâtiments en ruines…), quand d’autres, plus insidieuses, sont chimiques (sols pollués).

Et pourtant, en France, certaines pollutions et désordres industriels sont aujourd’hui classés… comme des réserves naturelles.

La troisième étape du Tour de France 2025, le 7 juillet dernier, a permis de l’illustrer avec deux exemples : les pelouses métallicoles de Mortagne-du-Nord et la « Mare à Goriaux », deux réserves biologiques du Parc Naturel régional Scarpe-Escaut traversées par la route dans la forêt de Saint-Amand, à une dizaine de kilomètres de son départ. Nous évoquerons aussi un troisième cas dans le Massif central, que les cyclistes parcourront lors de la 10e étape, le lundi 14 juillet 2025.

Pelouses métallicoles et plantes hyperaccumulatrices

Éliminer les cicatrices que l’humain a laissées en maltraitant la Terre n’est pas chose aisée et les approches sont aussi variées que les causes sont différentes. Les blessures visuelles se résorbent quand les moyens financiers sont mobilisés. La pollution chimique en revanche requiert, outre des subsides, un bien non achetable : du temps.

Magie de la nature, certaines plantes dites hyperaccumulatrices ont la propriété de prospérer sur des sols qui empoisonneraient la plupart des autres. Elles ne sont pas rares : on en connaît près de 400 espèces. La plupart bioaccumulent un ou deux métaux, mais certaines prélèvent un plus large éventail, en pourcentage variable selon le polluant.


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Ces capacités d’extraction par des plantes qui absorbent et concentrent dans leurs parties récoltables (feuilles, tiges) les polluants contenus dans le sol sont utilisées pour la dépollution : on parle de phytoremédiation. Le plus souvent, les végétaux sont récoltés et incinérés : les cendres sont stockées ou valorisées pour récupérer les métaux accumulés.

Mortagne du Nord, commune qui appartient au Parc naturel régional Scarpe-Escaut, en offre un exemple édifiant. Une usine y traitait du zinc, du cadmium, du plomb et quelques terres rares.

Mortagne-du-Nord, une pelouse métallicole décontaminante environne le collège, 2005. Patrick De Wever, Fourni par l'auteur

Désormais, en lieu et place de l’amoncellement de déchets qui y étaient entreposés, prospèrent de jolis prés. Des pelouses dites « métalicolles » ou « calaminaires » qui entourent un collège en pleine nature.

Une réserve biologique fruit d’un effondrement minier

Le nord de la France est connu pour son absence de relief, comme la plaine de Flandre, vers Dunkerque, ou la région marécageuse de Saint-Amand-les-Eaux. Cette horizontalité est démentie par une dépression, notamment visible sur certaines routes.

Ainsi, à proximité de la terrible « trouée de Wallers-Arenberg », passage célèbre du Paris-Roubaix, une route montre une dépression très nette qui semble évoquer le passage d’une rivière. Or il n’y a pas de rivière. Quelle peut en être l’explication ?

La dépression de la route D313 ne correspond pas à un vallon naturel mais à un effondrement minier du Boulevard des mineurs d’Aremberg. Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

La dépression de la route ci-dessus permet de quantifier l’effondrement topographique. On notera, sur la partie droite de la photo, que la ligne de chemin de fer est restée horizontale car un remblai régulier était effectué. C’est d’ailleurs ce remblai, pris annuellement en charge par les houillères, qui a permis de les rendre responsables de cet effondrement. La gauche de la route, derrière les arbres, est bordée par le terril qui délimite la Mare à Goriaux (gorets en picard), une zone naturelle protégée installée sur un terril plat.

Les bois de la gauche de la route sont ceux de la « Mare à Goriaux », une réserve naturelle créée suite à un affaissement minier en 1916. En effet, il existait là un ancien terril horizontal – avant de prendre leur forme conique avec la mécanisation des apports, les terrils étaient horizontaux car alimentés par des wagonnets poussés par des hommes ou tirés par des chevaux. L’affaissement a formé trois mares, qui ont fini par se réunir en 1930 en un seul plan d’eau, la Mare à Goriaux.

La colonisation des lieux par la flore et la faune, riche et diversifiée, a conduit à décréter ce lieu réserve biologique domaniale de Raismes-St Amand-Wallers en 1982.

Une source de pétrole au cœur de l’Auvergne

La nature rejette du pétrole depuis toujours : on en connaît dans les Caraïbes tant au fond de la mer, où il suinte et est constamment digéré par des bactéries spécialisées, qu’à terre. Il était déjà utilisé par les Amérindiens Olmèques 12 siècles avant notre ère, afin d’imperméabiliser les toitures, étanchéifier les navires, les canalisations, les récipients ou décorer des masques. Dans l’Antiquité Classique, il a servi à étanchéifier les jardins suspendus de Babylone, à enduire l’arche de Noé ou à conserver les momies.

Si le bitume affleurait en surface dans toutes les régions aujourd’hui connues comme étant pétrolifères, de l’Arabie saoudite à l’Iran (alors la Perse) en passant par l’Irak (alors la Mésopotamie), en France, le pétrole est plus rare. Il existe néanmoins un endroit où il coule en surface.

Près de Clermont-Ferrand, à proximité de l’aéroport de Clermont-Aulnat se trouve une rivière de pétrole. L’eau, très riche en organismes (bactéries, algues…), présente une couleur d’un vert très particulier. Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

À l’est de Clermont-Ferrand, que traversera le peloton lors de la 10e étape, est visible entre l’autoroute et l’aéroport la « Source de la Poix », un lieu géré par le Conservatoire des espaces naturels. Le bitume qui s’y écoule librement est associé à de l’eau salée, du méthane et des traces d’hydrogène sulfuré, dont l’odeur parfois forte peut évoquer celle d’œufs pourris. Le mélange, qui circule sur une quinzaine de mètres avec un débit extrêmement faible (de l’ordre d’un hectolitre/an), surgit par des fractures dans la roche volcanique, ce qui explique qu’il n’est plus exploité. Dans le passé, il fut utilisé pour calfater (c’est-à-dire, étanchéifier) les embarcations de l’Allier.

Panneau de la source de la poix. Ce site, unique en France, n’est cependant pas protégé aux yeux de la loi. Il est demandé de le « préserver ensemble » (haut du panneau), mais (est-ce parce qu’il s’agit de pétrole ?), en bas… on pense à le partager ! Patrick de Wever, Fourni par l'auteur

Cet hydrocarbure vient des sédiments de Limagne qui se sont déposés dans un grand lac peu profond qui permettait une vie abondante, il y a une trentaine de millions d’années (Oligocène). Celle-ci a évolué avec le temps pour devenir le bitume que l’on trouve aujourd’hui – il ne s’agit pas vraiment de pétrole car il a subi une légère oxydation. N’ayant pas été piégé par une couche ou une structure imperméable, le liquide remonte lentement en surface.

Les suintements de bitumes sont nombreux en Limagne : outre au Puy de la Poix, on en connaît au Puy de Crouël, à la carrière de Gandaillat et à Dallet, à quelques kilomètres, où une mine a été exploitée jusqu’en 1984.

Cette source de bitume a été plus ou moins aménagée au cours des siècles, mais depuis, le site est presque tombé dans l’oubli. Il présente pourtant un joli potentiel pédagogique, d’un point de vue géologique, biologique, environnemental et sociétal.


À lire aussi : La filière pétrolière française que tout le monde avait oubliée


The Conversation

Patrick de Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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10.07.2025 à 16:09

Tour de France 2025 : le peloton à la découverte des bizarreries archéologiques bretonnes

Patrick de Wever, Professeur, géologie, micropaléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Dans les Côtes d’Armor, la construction des murs du fort de Péran ont longtemps été l’objet d’une énigme, qui n’est aujourd’hui que partiellement résolue.
Texte intégral (2395 mots)
Les murs du Camp de Péran, 2013. Fourni par l'auteur

Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. L’itinéraire de la septième étape du Tour de France 2025 débute à Saint-Malo pour rejoindre Murs-de-Bretagne. Juste après Yffiniac, les cyclistes passeront par Pledran, une commune connue pour son camp de Péran, dont les murs sont… vitrifiés. Explications.


Sur les murs en pierre, les roches sont la plupart du temps maintenues entre elles par un mortier : fait pour consolider la construction, ce dernier est un mélange pâteux constitué de boue, de chaux ou de ciment hydraulique avec de l’eau. L’ensemble, qui durcit en séchant, fait alors office de colle. Les types de mortiers et leurs usages ont varié au cours du temps : on retrouve des traces de leur usage depuis le Néolithique (10 000 ans), mais leur composition se diversifie et se spécialise dès -4000 av. E.C. dans l’Égypte ancienne.

Des constructions ont aussi été établies sans l’usage de mortier : c’est le cas chez les Grecs, qui utilisaient la seule force de gravitation verticale, ou chez les Incas, qui avaient recours à des pierres polygonales mais parfaitement ajustées avec les voisines afin de stabiliser la construction.

Plus rares en revanche sont les constructions dans lesquelles les pierres sont bien collées entre elles, mais sans apport d’un matériau externe : elles sont alors directement transformées et soudées sur place. C’est ce que l’on appelle des murs vitrifiés, que l’on retrouve au fort de Péran, en Bretagne, près duquel s’apprêtent à passer les cyclistes.

Le fort le mieux conservé de France

Le camp de Péran, dans la commune de Plédran, est identifiable à son enceinte fortifiée, juchée sur les premières hauteurs (160 mètres) qui dominent la baie d’Yffiniac, à 9 km au sud-ouest de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Autrefois connu dans la région sous le nom de Pierres Brûlées, ce site a fourni des pièces archéologiques (cuillers, pièces…) depuis 1820-1825. Mais les premières publications les relatant sont celles de Jules Geslin de Bourgogne, en 1846.

Il était supposé que l’endroit avait été un oppidum gaulois, avant d’être transformé en camp romain. Les campagnes de fouilles ont permis de confirmer et de préciser son intuition : on estime que le camp, désormais classé au titre des monuments historiques, date de la culture de la Tène (env. 450 à 25 av. E.C.), apogée de la culture celtique qui prend fin avec la conquête romaine.


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Après l’époque gauloise, le lieu a été occupé par les Vikings, dont on a identifié des incursions vers les 9e et Xe siècles, ainsi qu’au XIIIe siècle comme en attestent des carreaux de terre cuite.

De forme elliptique, il couvre environ un hectare (160 mètres sur 140) et comporte cinq structures défensives concentriques.

L’énigme des murs vitrifiés

Ce fort, qui est le mieux conservé de France, a pour spécificité le rempart de pierre vitrifié de l’une de ses cinq structures défensives : les pierres du mur sont soudées parce qu’une partie a fondu à la périphérie des blocs, formant un verre qui a cimenté les roches entre elles. De tels murs, souvent associés à des forts, existent dans tout le Vieux Continent, mais particulièrement en Europe du Nord. En France, on en connaît une vingtaine, de la Bretagne à l’Alsace, avec une concentration notable dans le Limousin, la Creuse et la Loire, tous des pays granitiques.

Mur vitrifié. Ce qui fait office de mortier (noir à points blancs), est un verre, résultant d’une fusion partielle des roches Sainte-Suzanne, Mayenne. JP Morteveille, Fourni par l'auteur
Un verre sombre, bulleux, est inséré entre des fragments de granites. Gilbert Crevola, Fourni par l'auteur

Ces vitrifications intriguent depuis l’Antiquité. Dès le milieu du XVIIIe siècle un tel mur est signalé dans la cave d’une maison de Sainte-Suzanne, en Mayenne. On s’interroge alors : quel feu fut assez violent pour faire fondre la pierre et ainsi la vitrifier ? Et, ce feu était-il intentionnel ou le fruit d’un accident ? Les seules vitrifications naturelles connues étaient celles liées au volcanisme et, dans une moindre mesure, celles causées par la foudre (les fulgurites) ou les impactites (explosion d’un impacteur dans l’atmosphère, qui n’a pas atteint le sol mais dont l’énergie a fait fondre le sable, tel le célèbre verre libyque utilisé pour confectionner le scarabée du pectoral de Toutankhamon).

Les premiers à proposer une vitrification par combustion sont Auguste Daubrée (1881) puis Alfred Lacroix (1898). En effet, les observations portant sur des granites (riches en silice, donc) révèlent une fusion partielle, plus ou moins avancée à relativement basse température. Si un granite ou un gneiss fondent vers 950 °C en conditions de surface, la présence d’eau permet la fusion à une température moindre (dès 840 °C).

Feu de poutres

Les murs du Camp de Péran, 2013. Gilbert Crevola, Fourni par l'auteur

On sait aujourd’hui comment cette vitrification a été obtenue : par la combustion de poutres de bois qui armaient les murs gaulois. En effet, les remparts gaulois qui équipaient les oppidums mais aussi certaines villas (les fermes d’aristocrates), étaient des constructions qui associaient des couches entrecroisées de poutres horizontales comblées de terre avec un parement de « pierres sèches » (sans mortier).

L’incendie des poutres dégageant de l’eau a abaissé le point de fusion du granite qui a formé un verre en refroidissant. En conditions de surface de la Terre, un « granite sec » fond vers 950 °C et un « granite hydraté » dès 840 °C. C’est donc la présence d’eau qui aurait permis cette fusion du granité.

Le camp subcirculaire de Péran, à l’ouest de Plédran. À la carte IGN est superposée la photo aérienne. Fourni par l'auteur

Pour leur très grande majorité, les forts vitrifiés se situent dans des régions granitiques. Il ne s’agit sans doute pas d’un hasard, car la température de fusion des granites est relativement faible en comparaison avec celle des basaltes, qui survient plutôt vers 1450 °C. Le caractère intentionnel, ou accidentel par incendie, reste néanmoins un point débattu.

The Conversation

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10.07.2025 à 16:02

L’écologie, un problème de riches ? L’histoire environnementale nous dit plutôt le contraire

Renaud Bécot, Maitre de conférences en histoire contemporaine, Sciences Po Grenoble

Les travailleurs ont très vite identifié l’impact de l’industrialisation sur les écosystèmes et sur leur santé. Mais cette conscience environnementale s’exprime de différentes façons.
Texte intégral (2621 mots)
À Warren County, en Caroline du Nord, la mobilisation des habitants contre de la pollution aux polychlorobiphényles en 1982 marque un événement fondateur du mouvement pour la justice environnementale. Ricky Stilley/Henderson Dispatch

L’environnement n’intéresse-t-il que les classes supérieures ? Les travailleurs ont en réalité très vite identifié l’impact de l’industrialisation sur les écosystèmes dont ils dépendent. Mais cette conscience environnementale s’exprime de façon différente en fonction des classes sociales, comme l’explique Renaud Bécot, chercheur en histoire contemporaine et environnementale, dans un chapitre intitulé « Fin du monde, fin du mois, et au-delà ? L’environnementalisme des classes populaires » publié au sein de l’ouvrage collectif La Terre perdue. Une histoire de l’Occident et de la nature XVIIIᵉ-XXIᵉ siècle.


Au milieu des années 1950, Agnès Varda filme une scène ordinaire dans un quartier populaire du littoral méditerranéen. Quelques chats observent le réveil des familles dont les revenus d’existence reposent sur l’extraction des ressources de la mer. Les pêcheurs s’apprêtent à reprendre leur labeur, alors même que les fumées d’une industrie lourde souillent le rivage proche. Ils préparent leurs barques avec discrétion, car les autorités publiques surveillent la capture des poissons potentiellement pollués. Pourtant, « on ne veut pas travailler comme des empoisonneurs ! », s’exclament ces pêcheurs sétois.

Si cette représentation s’inscrit dans une œuvre de fiction (La Pointe courte, 1955), la scène illustre la position singulièrement inconfortable dans laquelle se trouvent les classes populaires contemporaines dans leurs rapports aux environnements. En effet, ces pêcheurs sont bien conscients que leurs revenus, et plus largement leurs conditions de subsistance, dépendent de l’extraction de ressources naturelles (ici halieutiques) – et, par extension, de la nécessité d’assurer la soutenabilité de celles-ci. Leur conscience est d’autant plus nette que l’industrialisation conforte une menace sur ces ressources et sur leur qualité.

Pourtant, malgré cette préoccupation, ces pêcheurs (tout comme les paysans au cours de cette période) sont pris dans l’état de la transition urbaine-industrielle que connaissent les sociétés européennes et américaines depuis le XIXe siècle.

[…]

L’acte d’accusation à l’encontre des classes populaires, supposément indifférentes aux enjeux écologiques, procède du déni des contraintes dans lesquelles se structurent les vies ordinaires au sein des groupes subalternes dans les sociétés occidentales. Face à l’ampleur des transformations urbaines et industrielles depuis le XIXe siècle, les préoccupations populaires pour l’environnement ont pourtant été récurrentes, et bien souvent ancrées dans des enjeux liés à l’organisation de la subsistance et à la protection de la santé.

De l’environnementalisme des pauvres à l’environnementalisme ouvrier

L’économiste catalan Joan Martinez-Alier distinguait trois principaux courants au sein des mouvements écologistes au début du XXIe siècle. Le premier, parfois qualifié de protectionniste, se caractérise par un culte de la nature sauvage. Son histoire se confond souvent avec les actions menées par des membres de classes aisées en faveur de la mise en réserve d’espaces présentés comme emblématiques, à l’instar d’intellectuels tels que John Muir (1838-1914), fondateur du Sierra Club, qui fut longtemps la principale association environnementale étasunienne.

Le deuxième courant renvoie aux promoteurs de l’écoefficacité ou de la modernisation écologique ; les membres de ce courant témoignent d’une conception technicienne et instrumentale du rapport des sociétés à l’environnement. Il vise à organiser les flux d’énergie et de matière de manière plus efficace et il est souvent associé à des figures scientifiques, à commencer par l’ingénieur forestier Gifford Pinchot (1865-1946).


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Enfin, le troisième courant correspond à l’environnementalisme des pauvres, dont Joan Martinez-Alier analyse que « le ressort principal n’est pas le respect sacré de la nature, mais l’intérêt matériel que représente l’environnement, source et condition de la subsistance ».

Cette catégorie d’environnementalisme des pauvres était d’abord pensée pour étudier les conflits dans les pays non occidentaux. Alier constatait que les motifs de protestation soulevaient des enjeux d’accès aux espaces naturels, de partage des ressources, ou de protection des milieux dont l’équilibre était essentiel pour la survie humaine. Plus qu’un culte de la nature ou une volonté de maximiser le rendement des écosystèmes, Alier observait ce qu’il désigne comme des conflits écologico-distributifs. Dans cette approche, il s’agit de penser une « nature ordinaire » correspondant à la protection d’une biodiversité sans valeur économique ou patrimoniale particulière, mais dont le maintien rend possible la protection de la santé humaine et du vivant. Cette nature ordinaire s’oppose aux initiatives de protection exclusive de sites naturels admirables, ou d’espèces animales emblématiques.

[…]

Luttes environnementales, conditions de travail et santé des ouvriers

Au crépuscule du XIXe siècle, dans les manufactures insalubres ou les mines de charbon, des voix s’élèvent pour dénoncer les maux de l’industrialisation. En 1893 puis 1895, ce sont les ouvrières d’usines d’allumettes de Trélazé (Maine-et-Loire), de Pantin et d’Aubervilliers (Seine) qui dénoncent notamment les dégâts sanitaires de leur exposition au phosphore blanc qui provoquent des nécroses maxillaires. Tout comme à Hull (Québec) en 1919, ces grèves d’allumettes rendent visibles les dégâts sanitaires d’une industrialisation à marche forcée. Autour de 1900 encore, l’historienne Judith Rainhorn souligne une convergence entre de rares syndicalistes et des médecins réformateurs, afin de défendre l’interdiction de l’usage de la céruse (ou blanc de plomb) dans la peinture utilisée sur les bâtiments – en France, cette revendication aboutira à l’adoption d’une loi d’interdiction en 1915.

La dénonciation des dommages ouvriers sanitaires et environnementaux de l’industrie se trouve partiellement désamorcée par l’adoption de réglementations encadrant les activités productives dans la plupart des pays industrialisés au début du XXe siècle. En matière de maladies professionnelles, ces lois consacrent le principe de la « réparation forfaitaire des risques du travail ». Ces maux sont présentés comme le revers empoisonné mais inéluctable du progrès. Si les syndicalistes contestèrent initialement cette monétarisation de la santé, la majorité d’entre eux se rallia par défaut à ce qui devint l’un des rares leviers de reconnaissance des maux endurés par les travailleurs.

Pourtant, au cours des années 1960, dans les territoires italiens de la pétrochimie tout comme dans les zones industrielles japonaises, certains groupes ouvriers alimentent une critique de pratiques qu’ils dénoncent comme une manière de « perdre leur vie à la gagner ». Dans une période marquée par une centralité ouvrière (symbolique, politique et sociologique) dans les sociétés occidentales, ces mobilisations réactivent un environnementalisme ouvrier, lequel conjugue un refus de la monétarisation des risques de santé, une volonté de protéger le cadre de vie des classes populaires, tout en énonçant des prescriptions pour une politique du travail plus respectueuse des corps et des environnements.

La justice environnementale, lutte dans un monde abîmé

Dans la typologie proposée par Joan Martinez-Alier, l’environnementalisme des pauvres recouvre également le mouvement se réclamant de la justice environnementale. Celui-ci s’enracine dans l’histoire spécifique des luttes socioécologistes étasuniennes, avant de connaître les résonances dans d’autres aires industrialisées.

Aux États-Unis, deux filiations militantes doivent être soulignées. D’une part, d’anciens militants des droits civiques alimentent une critique des grandes associations environnementales (à commencer par le Sierra Club), accusées de défendre prioritairement une nature « sauvage ». Cette préservation de la wilderness est dénoncée comme un mythe généré par des militants issus de la classe moyenne ou supérieure blanche. D’autre part, une seconde filiation s’inscrit dans la lignée des mobilisations ancrées dans les mondes du travail. Dans les années 1960, de grandes fédérations syndicales étasuniennes exigeaient une réglementation de certaines pollutions industrielles, et parfois une transformation des activités productives, à l’instar du syndicat des travailleurs de l’automobile (l’United Auto Workers). Ce double héritage militant fut à l’origine de grèves intenses, dont celle des éboueurs de Memphis, à laquelle Martin Luther King apporta son soutien lorsqu’il fut assassiné en 1968.

Néanmoins, le mouvement pour la justice environnementale ne s’est désigné comme tel qu’à l’orée des années 1980. Son récit fondateur voudrait qu’il débute lors de la mobilisation des habitants du quartier de Warren County (Caroline du Nord), confrontés au projet d’ouverture d’une décharge de produits toxiques. Ils dénoncent l’inégalité d’exposition aux toxiques dont sont victimes les populations racisées et paupérisées. Leur action se prolonge par l’invention d’un répertoire dans lequel la production de savoirs de santé occupe une fonction toujours plus considérable, comme en témoigne l’enquête d’épidémiologie populaire menée par les habitants de Woburn (en périphérie de Boston), avec le souhait d’éclairer le lien de causalité entre un cluster de leucémies infantiles et leur exposition à des forts taux de plomb, d’arsenic et de chrome. La multiplication des initiatives locales se prolonge dans des coordinations nationales et dans la publication d’études.

En 1987, le chimiste et militant Benjamin Chavis publie un rapport invitant à réfléchir aux processus sociaux de relégation de certaines populations dans des milieux pathogènes comme une forme de « racisme environnemental ». La justice environnementale est peu à peu devenue une grille d’analyse universitaire, consacrée notamment par les travaux du sociologue Robert Bullard au début des années 1990.

Mouvement social, autant que grille d’analyse du social, l’approche par la justice environnementale demeure largement ancrée dans son berceau nord-américain. Des historiens comme Geneviève Massard-Guilbaud et Richard Rodger ont montré la difficulté à transposer en Europe des catégories si liées à l’histoire étasunienne. Pourtant, la plus forte exposition des classes populaires aux toxiques est à l’origine d’une expérience commune de « violence lente » de part et d’autre de l’Atlantique. Proposée par le chercheur Rob Nixon, cette notion vise à désigner le phénomène d’atteintes différées à la santé qui marque les populations vivantes dans les territoires abîmés, ainsi que la difficulté à se mobiliser face aux pollutions dont les effets deviennent perceptibles après plusieurs décennies.

C’est pourtant face à ces violences pernicieuses qui se sont élevées habitants et salariés de nombre d’aires pétrochimiques dans l’Europe, au cours des années 1970. Ces initiatives se prolongent parfois jusqu’à nos jours, comme en témoignent les collectifs militants de Pierre-Bénite, dans le couloir de la chimie (Rhône). Après des conflits particulièrement vifs contre la fabrique d’acroléine entre 1976 et 1978, ce sont aujourd’hui les pollutions rémanentes des perfluorés (ou PFAS) qui sont au cœur des protestations adressées aux industriels de la chimie.

En France, au début du XXIe siècle, un ménage appartenant au décile le plus aisé de la population émet chaque année l’équivalent de 30 à 40 tonnes de dioxyde de carbone, soit au moins deux fois plus qu’un ménage appartenant au décile le plus pauvre (environ 15 tonnes). Pourtant, ce constat n’empêche pas l’éternelle réitération de la stigmatisation des classes populaires.

Couverture de La Terre perdue. Une histoire de l’Occident et de la nature XVIIIᵉ-XXIᵉ siècle, ouvrage dirigé par Steve Hagimont et Charles-François Mathis. Éditions Tallandier

Contrairement aux parangons de la modernisation écologique, l’ethos des actrices et acteurs d’un environnementalisme populaire se caractérise souvent par une relative modestie dans le récit de leur rapport à une nature ordinaire. Cette attitude est aux antipodes de la mise en spectacle du syndrome du sauveur de la planète. De plus, l’étau de contraintes qui verrouillait le champ des possibles pour les pêcheurs sétois de l’après-guerre dans leur rapport à l’environnement ne s’est pas desserré pour les classes populaires du XXIe siècle. Il n’en reste pas moins que certaines fractions de celles-ci restent porteuses d’un rapport singulier à l’environnement.

The Conversation

Renaud Bécot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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10.07.2025 à 14:14

Boire de l’eau recyclée ? De plus en plus de villes s’y mettent

Service Environnement, The Conversation France

Face à la raréfaction des ressources en eau douce, certaines villes n’hésitent plus à transformer leurs eaux usées en eau potable. Une solution encore marginale mais prometteuse.
Texte intégral (1019 mots)

Pays parmi les plus arides d’Afrique, la Namibie recycle ses eaux usées en eau potable depuis 1968. Pour pallier le manque d’eau, d’autres pays l’ont imité ou songent désormais à le faire, explique Julie Mendret, de l’université de Montpellier.


Les anglophones l’appellent « toilet-to-tap water », soit littéralement l’eau qui retourne au robinet depuis la cuvette des WC. Quoique peu engageante, l’expression permet de poser les enjeux de la réutilisation des eaux usées, une piste sérieuse pour de plus en plus de villes ou de pays autour du monde, de Bangalore à Los Angeles.

Le pionnier namibien

En la matière, le pays pionnier reste la Namibie. Sa capitale, Windhoek, est quasi dépourvue de ressources en eau du fait de sa latitude désertique où la rare eau de pluie s’évapore de façon quasi immédiate.

En 1968, la ville, alors sous domination sud-africaine, voyait sa population grandir à un rythme impressionnant. C’est alors qu’elle a commencé à potabiliser ses eaux usées. Aujourd’hui, c’est 30 % des eaux usées qui sont ainsi recyclées, pour un traitement qui dure moins de 10 heures.

Des eaux potabilisées en dix étapes

Windhoek a mis en place une suite de procédés inédite qui compte aujourd’hui 10 étapes. Il comprend des processus physiques pour permettre de créer des flocs, des amas de matière en suspension que l’on pourra ainsi éliminer, mais aussi des processus chimiques comme l’ozonation, qui permet de dégrader de nombreux micropolluants et d’inactiver bactéries, virus et parasites. D’ultimes étapes de filtration biologique (charbon actif) et physique (ultrafiltration membranaire par exemple) complètent le tout, avec des contrôles qualité doublés d’adjonction de chlore pour la désinfection.

L’usine de traitement des eaux usées de Windboek est devenue une attraction qui accueille des visiteurs venus d’Australie ou des Émirats arabes unis, des pays où cette approche pourrait faire des émules. Et pour cause : cela reste moins énergivore et plus respectueux de l’environnement que le dessalement de l’eau de mer, technique la plus répandue dans le monde. Là où le dessalement nécessite entre 3 et 4 kWh par m3, la potabilisation des eaux usées ne consomme qu’entre 1 et 1,5 kWh par m3, tout en ne produisant pas les sels et polluants rejetés par le dessalement.


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Malgré ces avantages, cette démarche reste peu répandue sur le globe. Plusieurs raisons sont en cause : le coût des infrastructures de traitement d’une part (outre la Namibie, seuls des pays développés ont pu financer de tels projets), et la législation d’autre part. En Europe par exemple, une telle usine ne pourrait être autorisée. Un projet est en cours en Vendée, mais il ne s’agit que de potabilisation indirecte. Reste aussi la barrière mentale liée au fait de boire des eaux usées traitées, qui a fait fermer une usine construite à Los Angeles en 2000 qui avait pourtant coûté 55 millions de dollars.

Pour autant, mieux vaut informer la population en amont, comme à Singapour, où des visites publiques de l’usine et des vidéos du premier ministre de l’époque buvant sereinement l’eau traitée avaient permis de favoriser l’acceptabilité de cette approche.

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023.

The Conversation

Cet article est la version courte de celui publié par Julie Mendret (université de Montpellier) en août 2023

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10.07.2025 à 10:28

Faut-il décarboner des usines qui ferment ? En Bretagne, les mésaventures de Michelin et l’hydrogène vert

Hugo Vosila, Doctorant en science politique , Sciences Po Bordeaux

Les efforts étatiques en faveur de la décarbonation de l’industrie, en investissant dans des filières telles que l’hydrogène, se heurtent à une désindustrialisation qui se poursuit.
Texte intégral (2863 mots)

À Vannes, le groupe Michelin a mis en place une station d’hydrogène début 2024 pour décarboner le processus industriel de son usine. Mais moins d’un an après le lancement de ce projet, l’industriel a annoncé la fermeture de l’usine. Un exemple des défis que pose la décarbonation dans un contexte encore prégnant de désindustrialisation.


Le 5 novembre 2024, le groupe Michelin annonçait à ses salariés de Cholet et de Vannes l’arrêt de la production des sites à horizon 2026.

« Saignée industrielle » selon la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, la fermeture de l’usine vannetaise du Prat, outre les quelque 299 emplois qu’elle concentrait, met également en péril le devenir de la station d’hydrogène vert HyGO attenante, qui participait à la décarbonation du processus industriel de Michelin pour la fabrication des pneus.

L’annonce de la fermeture de l’industriel – principal consommateur de l’hydrogène (H2) du site – et l’absence d’usages identifiés pour la mobilité interrogent sur le futur de la station, et plus largement sur la pérennité du déploiement des écosystèmes territoriaux basés sur l’hydrogène.

La ruée vers l’hydrogène de la décennie 2010

À l’écart des grands axes de transport nationaux, faiblement industrialisée, la Bretagne n’apparaît pas d’emblée comme la région de prédilection pour le développement d’une filière hydrogène. À la fin de la décennie 2010, elle n’échappe pourtant pas à l’engouement d’acteurs territoriaux publics et privés, qui ambitionnent alors de faire émerger des projets sur les territoires. Sans grand succès toutefois : en Ille-et-Vilaine, rares sont les initiatives qui dépassent le stade des études de faisabilité.

Au niveau étatique, un Plan national de déploiement de l’hydrogène voit le jour en 2018, ciblant la décarbonation de l’industrie, de la mobilité lourde et le soutien à l’innovation.

En parallèle, l’Agence de la Transition écologique (Ademe) lance un premier appel à projet « Écosystèmes mobilité hydrogène » en 2018. L’enjeu est d’assurer des boucles production-distribution-usages, d’essayer de cadrer les velléités locales et de faire le tri parmi les projets.

Du côté de la région, la feuille de route hydrogène renouvelable, publiée en 2020, identifie le maritime et les mobilités comme des axes forts du potentiel breton.

Mais les premières réflexions autour d’un écosystème hydrogène à Vannes remontent au début de cette effervescence, à l’écart des futures orientations régionales. Elles visent à décarboner le process de l’un des seuls sites industriels consommateurs d’hydrogène : l’usine Michelin de Vannes.

Les promesses locales du projet HyGO

Implantée dans l’agglomération depuis 1963, cette dernière utilisait de l’H2 gris fossile, issu du vaporeformage de gaz naturel, pour travailler les membranes métalliques des pneumatiques.

Soucieux de réduire l’empreinte carbone de ses sites, le Bibendum s’engage aux côtés d’acteurs de l’énergie dans une stratégie « tout durable ». Si de premiers appels du pied sont lancés par Engie dès 2015 pour verdir le procédé de l’industriel, il faut attendre 2020 et la création de la société HyGO pour que ces aspirations se concrétisent.

Dans les faits, il s’agit d’un petit électrolyseur sur site, alimenté par de l’électricité renouvelable fournie par Engie, capable de produire 270 kilos quotidiens d’hydrogène vert. Si Michelin est identifié comme le principal consommateur (avec uniquement 40 à 70 kg d’H2/jour cependant), la molécule est également avitaillée au sein d’une station de distribution ouverte pour le rechargement des quelques véhicules qui roulent à l’hydrogène dans l’agglomération – moins d’une dizaine.


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À l’heure actuelle, le coût de l’hydrogène vert est toujours prohibitif pour des usages diffus (c’est-à-dire, qui émaneraient de particuliers ou de privés qui s’approvisionneraient en H2 de façon non planifiée). En l’absence d’un marché compétitif, la présence d’un industriel historique comme consommateur rassure et garantit un débouché constant. D’autant que le passage de l’H2 gris à l’H2 vert n’a pas modifié le procédé de production de Michelin.

Catalyseur de la station, l’industriel doit donc amortir la faible rentabilité de la distribution, le temps que les usages mobilité se déploient. Après un délai de quelques années, la station HyGO est finalement inaugurée en janvier 2024.

La fermeture de l’usine, coup d’arrêt au projet ?

Moins d’un an plus tard, pourtant, Michelin annonce la fermeture de l’usine. Dans un communiqué de presse, le maire David Robo réagit :

« Ce 5 novembre 2024 […] est une journée noire pour Vannes et un séisme pour le territoire ».

Les raisons invoquées par le PDG Florent Menegaux ? La concurrence chinoise et la hausse de coûts de production du pneumatique en Europe – omettant toutefois de mentionner la rémunération record des actionnaires cette année-là.

Si aucun lien n’est officiellement établi avec le surcoût de l’hydrogène renouvelable consommé depuis peu sur le site, l’annonce est pour le projet HyGO une fâcheuse nouvelle. Les plus optimistes, certes, gagent que la partie mobilité sera amenée à décoller, compensant ainsi la perte commerciale liée à la fermeture de Michelin. Mais à ce stade, les usages mobilité de la station sont extrêmement limités, et ne promettent aucunement un avenir à l’écosystème. Même en couvrant les besoins de l’usine, la consommation d’hydrogène permet au mieux à HyGO d’être sous perfusion, sans rentabiliser les investissements.

Contrairement à Lorient, qui convertit une partie de sa flotte de bus à l’hydrogène renouvelable, l’agglomération de Vannes n’a pas émis le souhait d’utiliser la molécule produite localement pour assurer un débouché stable à la station via ses transports urbains.

Désintérêt de l’État pour la filière ?

Quel avenir pour HyGO ? Certains acteurs souhaiteraient que des aides à la consommation soient promulguées au niveau national pour réduire le prix de l’hydrogène à la pompe.

Mais c’est mal connaître la nouvelle conjoncture étatique de soutien à l’H2. Désormais, finis les appels à projets de l’Ademe qui favorisaient les boucles locales production-usages y compris de mobilité. L’heure est aux économies : la Stratégie nationale hydrogène, actualisée en avril 2025 – ainsi que les futurs appels à projets de l’Ademe – sont moins généreux dans leurs aides aux écosystèmes territoriaux, en particulier les plus petits.

Dans un contexte budgétaire limité, l’accompagnement étatique se resserre sur les usages considérés comme indispensables de l’hydrogène renouvelable, c’est-à-dire la décarbonation de l’industrie, au détriment des usages au lien avec la mobilité, à l’exception de ceux liés à la production de e-carburant pour l’aérien. C’est ironique pour HyGO Vannes, qui perd son atout industriel au moment même où ce dernier est consacré par les pouvoirs publics.

Cette restriction du soutien national à l’hydrogène est concomitante avec un recul critique plus diffus sur les vertus révolutionnaires de cette technologie, symptomatique des trajectoires des processus d’innovation.

Promesses techno-scientifiques et désillusions

Pour l’économiste Pierre Benoît Joly, une des caractéristiques pathologiques de ce qu’il nomme « régime d’économies des promesses techno-scientifiques » serait l’inévitable cycle hype (effet de mode)/hope (espoir)/disappointment (déception), auquel le déploiement de l’hydrogène renouvelable ne semble pas échapper. À l’excitation initiale véhiculée par l’apparition d’une nouvelle technologie succéderait un « creux de désillusion » (où les attentes exagérées se heurtent à la réalité), suivi d’une reprise plus mesurée et restreinte de son développement.

Un membre de l’Ademe Bretagne, avec qui j’ai eu un entretien dans le cadre de mon travail de thèse, a indiqué :

« À dire tout et n’importe quoi sur l’hydrogène, au bout d’un moment, les gens ont perdu espoir. Ils se sont dit non, mais l’hydrogène, c’est nul en fait. Il y a eu ce retour de bâton. Mais l’industrie, ça sera effectivement quelque chose de plus solide, à mon avis, quand ça va partir ».

Mais comment s’en assurer ? À Vannes, c’est précisément l’industriel qui a fait défaut. Projet lancé trop tôt ou surestimation de l’ancrage territorial de Michelin ? Les accompagnateurs de la station côté société d’économie mixte expriment le sentiment d’avoir « essuyé les plâtres » (selon les mots d’un membre de la société d’économie mixte (SEM) Énergies 56) en prenant le risque de se lancer les premiers.

La faute à pas de chance ? Prise isolément, la fermeture de Michelin à Vannes peut paraître anecdotique dans l’économie nationale de l’hydrogène. On l’a vu, l’industriel consommait moins de 70kg/jour d’hydrogène vert. La filière pneumatique battait déjà de l’aile, et la Bretagne, après tout, n’est pas une terre d’industrie.

La pertinence de l’hydrogène pour la décarbonation de l’industrie en France serait davantage à aller chercher du côté de la sidérurgie, de la chimie, ou du raffinage, dans le Nord-Pas-de-Calais, ou en Auvergne-Rhône-Alpes.

Des industries qui ne jouent pas le jeu ?

À s’y pencher de plus près, pourtant, ces filières n’échappent pas non plus aux menaces de fermeture.

Pour la sidérurgie, le géant ArcelorMittal, avec Genvia, investit certes dans un électrolyseur pour utiliser de l’hydrogène bas-carbone à la place du charbon et décarboner sa production d’acier. Mais il ferme en parallèle ses sites de Denain et de Reims, quelques semaines seulement après l’annonce de Michelin, laissant craindre un prochain plan social à Dunkerque.

Pour la chimie et la production d’engrais, la multinationale Yara s’est associée avec Lhyfe en Normandie pour utiliser de l’hydrogène vert dans sa production d’ammoniac. Mais elle ferme son site de Montoir-de-Bretagne en Loire-Atlantique, déficitaire et non conforme aux normes environnementales.

Citons également le groupe LAT Nitrogen, fournisseur européen d’engrais. Il a bénéficié de subventions publiques – le total de l'enveloppe allouée par le gouvernement à plusieurs consommateurs d'hydrogène s'élevait à 4 milliards d’euros – pour réduire les émissions de ses sites via le développement d’électrolyseurs et la production-consommation d’hydrogène vert. Ce qui ne l'a pas empêché de cesser sa production à Grandpuits, bien qu’engagé auprès de l’État à décarboner le site via un contrat de transition écologique.

Dans la vallée de la chimie, en Isère, Vencorex et par effet domino Arkema, deux firmes consommatrices d’hydrogène dans leurs procédés, sont en voie de liquidation.

Les efforts de l’État en matière de réindustrialisation verte se multiplient pourtant : Loi industrie verte en octobre 2023, France Nation Verte en 2022… Mais quelles contraintes pour les entreprises ? À quoi bon décarboner des industries qui ferment ?

« Grand État vert » régulateur et planificateur ?

Inséré dans des marchés internationaux, le groupe Michelin peut se permettre de produire moins cher ailleurs, en Asie en l’occurrence. Est-ce la conséquence d’une décennie de politique de l’offre ? Les règles de la concurrence et du marché semblent peu adaptées aux enjeux de souveraineté industrielle et énergétique.

Dans un contexte de renouveau protectionniste exacerbé outre-Atlantique, la problématique des rapports entre stratégies multinationales et ambitions climatiques nationales mérite une actualisation. Planification, nationalisation… expropriation ?

Ce que l’économiste britannique Daniela Gabor nomme le Wall Street Climate Consensus, modèle d’une transition douce par les marchés, qui confie aux fonds d’investissement et aux entreprises privées le soin de s’écologiser, paraît avoir atteint ses limites : délocalisations à bas coût quand la conjoncture économique se dégrade, persistance d’actifs fossiles et d’activités extractives…

À l’opposé, le modèle du « Grand État vert », régulateur et planificateur, pourrait avoir certaines vertus. Sans nécessairement prôner le « léninisme écologique » d’un Andreas Malm, des formes plus poussées d’interventionnisme public, voire de coercition auprès de firmes, pourraient assurer une pérennité à certaines filières émergentes comme l’hydrogène vert.

15 juillet 2025 : Correction d'une erreur sur le montant des subventions allouées à LAT Nitrogen

The Conversation

Hugo Vosila a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) pour son travail de thèse.

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10.07.2025 à 10:28

Comment redonner une nouvelle vie aux friches industrielles en ville ?

Loïc Sauvée, Directeur, unité de recherche InTerACT (Beauvais - Rouen), UniLaSalle

Fabiana Fabri, Enseignante-chercheuse, géographie et analyse environnementale, titulaire de la chaire UsinoVerT Usines & Territoires, UniLaSalle

Relocalisation, végétalisation, zéro artificialisation nette… Les villes sont prises dans des injonctions contradictoires. Pour les résoudre, de nouvelles approches émergent, comment à Rouen.
Texte intégral (2343 mots)
Jardin partagé de l’Astéroïde à Rouen. Ouiam Fatiha Boukharta, Fourni par l'auteur

Dans les villes post-industrielles comme Rouen, la cohabitation historique entre ville et industrie est à réinventer. Il s’agit de concilier les enjeux de la relocalisation industrielle, les nouvelles attentes de la société et les exigences de la transition écologique, notamment en termes de végétalisation urbaine.


Les villes contemporaines font face à de nouveaux enjeux, en apparence contradictoires. Il y a d’abord la nécessité de relocaliser la production industrielle près des centres urbains, mais aussi l’importance de reconstruire des espaces verts pour améliorer le bien-être des habitants et maintenir la biodiversité. Enfin, il faut désormais rationaliser le foncier dans l’optique de l’objectif « zéro artificialisation nette ».

Des injonctions paradoxales d’autant plus exacerbées dans le contexte des villes industrielles et post-industrielles, où se pose la question de la place de l’usine dans la ville.

C’est pour explorer ces défis que nous avons mené des recherches interdisciplinaires à l’échelle d’une agglomération concernée par ces défis, Rouen. Nos résultats mettent en avant la notion de « requalification territoriale » et soulignent la condition fondamentale de son succès : que le territoire urbain soit étudié de manière globale, en tenant compte de ses caractéristiques géohistoriques et environnementales. Celles-ci doivent être évaluées, à différentes échelles, à l’aune de différents indicateurs de soutenabilité.

Les villes post-industrielles, un contexte particulier

La notion de villes post-industrielles désigne des territoires urbains qui ont connu un fort mouvement de reconversion industrielle, ce qui a transformé l’allocation foncière. Ces territoires industriels en milieu urbain se trouvent par conséquent face à des enjeux complexes, mais présentent aussi un potentiel en matière de durabilité du fait de quatre caractéristiques :

  • ils sont dotés de nombreuses friches disponibles, mais qui peuvent être polluées ;

  • de nouvelles industries y émergent, mais ont des besoins fonciers de nature différente ;

  • la densité urbaine y est forte, avec une imbrication des espaces industriels et des zones d’habitation ;

  • les populations se montrent défiantes, voire opposées aux activités industrielles, tout en ayant des demandes sociétales fortes, comme la création de zones récréatives (espaces verts) ou d’atténuation des chocs climatiques (lutte contre les îlots de chaleur) ;

Ce contexte spécifique a plusieurs implications pour ces territoires, qui ont chacun leur particularité. En raison de la densité d’occupation des villes européennes et de la concurrence pour le foncier, on ne peut laisser les friches – issues en grande partie de la désindustrialisation – occuper de précieux espaces.


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La requalification de ces lieux doit donc être mise au service de la lutte contre l’étalement urbain. Cela permet de redensifier les activités et de reconstruire la « ville sur la ville ». Mais aussi « l’usine dans la ville », car se pose en parallèle la nécessité de relocaliser notre industrie pour accroître notre souveraineté et réduire notre dépendance externe.

Or, celle-ci doit tenir compte des enjeux d’une transition durable. Ce nouveau développement industriel et territorial, pour être plus vertueux que dans le passé, doit être envisagé dans une perspective de transition durable. Il lui faut aussi intégrer les attentes diverses de la population urbaine (bien-être, environnement sain, emploi et refus des nuisances).

Les acteurs de l’aménagement du territoire, qui se heurtent souvent à la suspicion des habitants vis-à-vis des industriels et des institutions gouvernementales, doivent donc veiller à maintenir équilibrée cette cohabitation historique entre ville et industrie.

Rouen et son héritage industriel

Pionnière de la révolution industrielle au XIXᵉ siècle, l’agglomération de Rouen fait partie des villes traversées par ces enjeux.

Elle se distingue par ses plus de 400 friches urbaines. Historiquement implantées à proximité de l’ancienne ville (actuel centre), elles ont été rattrapées par l’expansion urbaine et se trouvent aujourd’hui encastrées dans les territoires habités, près du cœur de l’agglomération.

En nous appuyant sur cet exemple, nous avons identifié trois conditions fondamentales pour requalifier de façon durable ces espaces industriels urbains et y déployer des infrastructures vertes adaptées :

  • les initiatives doivent tenir compte des spécificités géohistoriques des territoires,

  • envisager diverses échelles d’analyse,

  • et être conçues à l’aune d’indicateurs de durabilité qui intègrent la diversité des acteurs impliqués.

Le potentiel des friches urbaines

La recherche, menée à Rouen, est fondée sur des outils de système d’information géographique (SIG), des outils d’analyse fondée sur plusieurs critères et enfin des outils de modélisation. Elle propose un dispositif pour guider les décideurs de l’aménagement du territoire et les chercheurs dans l’identification et la priorisation des friches susceptibles d’être transformées en infrastructures vertes.

Le modèle propose une approche systématique de prise de décision pour éviter une répartition aléatoire. Il couple les caractéristiques locales des friches urbaines et les demandes environnementales au niveau territorial, par exemple lorsqu’une ancienne zone industrielle se trouve valorisée par un projet d’agriculture urbaine. Cette étape initiale aide à créer différents scénarios de projets de requalification des friches.

Par la suite, il s’agit d’identifier les parties prenantes, les porteurs de projets d’agriculture urbaine et les associations de quartiers afin de les engager dans le processus de décision. Pour cela, l’utilisation des méthodes participatives est essentielle pour répondre à la demande d’information des riverains et faciliter la participation des acteurs territoriaux.

Par exemple, le projet « Le Champ des possibles » a permis d’impliquer les habitants de la zone via une association dans une démarche combinant aspects éducatifs (jardinage) et visites récréatives. L’investissement local a été facilité par un appel d’offres de la ville, de manière à créer une gouvernance partagée.

Des projets d’agriculture urbaine

Forts de ces constats, nous avons pu dans le cas de notre recherche à Rouen, passer au crible d’indicateurs de durabilité un ensemble de projets d’agriculture urbaine implantés depuis les années 2013 à 2018. L’objectif était d’identifier dans quelles conditions ils pourraient s’inscrire dans de la requalification de friches industrielles et participer à une transition durable.

Nous en avons conclu que deux grandes exigences étaient à remplir : d’un côté, s’appuyer sur des indicateurs de soutenabilité (économique, sociale et environnementale), de l’autre garantir que la gouvernance des projets se fasse en lien avec les différents acteurs territoriaux du milieu urbain.

Ouiam Fatiha Boukharta, CC BY-NC-SA

En l’occurrence, de telles opérations de requalification via l’agriculture urbaine de territoires industriels en déshérence ou sous-utilisés ont généré des bénéfices en matière d’éducation à l’environnement et à l’alimentation, d’intégration des populations et de réduction des fractures territoriales. Cela permet également de développer la biodiversité des espaces renaturés.

Des liens à réinventer entre ville et industrie

Les territoires industriels, passés (sous forme de friches) ou présents ont incontestablement leur place dans la ville de demain. Mais celle-ci doit prendre en compte de manière plus contextuelle les enjeux locaux actuels.

L’exemple de Rouen révèle que les liens entre la ville et ses territoires industriels doivent sans cesse se réinventer, mais que la situation contemporaine place les exigences de durabilité au premier plan.

Les opérations de qualification des territoires urbains supposent une planification stratégique et minutieuse. Elle doit s’appuyer sur des processus de décision plus clairs et plus justes qui requièrent, outre les aspects techniques et réglementaires, une logique « bottom up », plus ascendante.

Les démarches de qualification durable des territoires industriels existent et sont suffisamment génériques pour être répliquées dans d’autres milieux urbains. La multiplication d’expériences de ce type en France et dans le monde démontre leur potentiel.

The Conversation

Ce travail est réalisé dans le cadre d’une chaire d’enseignement et de recherche développée depuis 2021 en collaboration entre l’institut Polytechnique UniLaSalle Rouen et le groupe Lubrizol. Site internet de la Chaire : https://chaire-usinovert-unilasalle.fr/

Fabiana Fabri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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10.07.2025 à 10:27

Le quiz Environnement de l’été

Service Environnement, The Conversation France

Le quiz Environnement de la semaine du 21 juillet 2025.
Texte intégral (537 mots)
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