10.09.2025 à 17:25
Maxime Cochennec, Chercheur site et sols pollués, BRGM
Clément Zornig, Responsable de l’unité Risques, Sites et Sols Pollués au BRGM, BRGM
Stéfan Colombano, Ingénieur-chercheur au BRGM, BRGM
Les PFAS, ou substances per- et polyfluoroalkylées, sont souvent appelées « polluants éternels ». Dans les Ardennes françaises par exemple, les habitants de plusieurs communes ont, depuis juillet 2025, interdiction de consommer l’eau du robinet pour les boissons ou la préparation des biberons.
Ces substances posent un problème de pollution environnementale qui tient du casse-tête. Le cœur du problème tient aux coûts élevés de dépollution et au fait que les techniques de traitement ne permettent pas, à l’heure actuelle, de détruire de façon certaine et systématique ces composés sans risquer de déplacer le problème en produisant d’autres PFAS plus petits et potentiellement aussi dangereux.
La pollution des sols et des eaux souterraines par les substances perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (acronyme anglais PFAS) représente l’un des défis environnementaux et sanitaires majeurs de notre époque. Une enquête menée par le Monde et plusieurs autres médias partenaires révélait, début 2025, l’ampleur de la contamination des sols et des eaux par les PFAS.
Comment s’y prendre pour dépolluer les milieux ? Face à cette famille de composés dont certains sont classés « polluants organiques persistants et cancérogènes », des solutions de dépollution des milieux existent déjà, quoique coûteuses. Les techniques de destruction des PFAS, en revanche, sont encore en cours de maturation dans les laboratoires. État des lieux.
La distinction entre le traitement des milieux et l’élimination (ou dégradation) des PFAS n’est peut-être pas évidente, mais elle est pourtant essentielle.
Pour les sols et pour les eaux souterraines, le traitement des PFAS consiste à diminuer suffisamment les concentrations mesurables afin de retrouver un état le plus proche possible de l’état avant la pollution, avec un coût technico-économique acceptable.
En revanche, ce traitement n’implique pas forcément la dégradation des PFAS, c’est-à-dire l’utilisation de techniques physiques, thermiques, chimiques ou biologiques permettant de transformer les PFAS en molécules moins dangereuses.
L’alternative consiste à en extraire les PFAS pour les concentrer dans des résidus liquides ou solides.
Toutefois, ce processus n’est pas entièrement satisfaisant. Bien que l’état des milieux soit rétabli, les résidus issus du traitement peuvent constituer une nouvelle source de pollution, ou tout au moins un déchet qu’il est nécessaire de gérer.
Un exemple typique est le traitement de l’eau par circulation dans du charbon actif granulaire, capable de retenir une partie des PFAS, mais une partie seulement. Le charbon actif utilisé devient alors un résidu concentré dont la bonne gestion est essentielle pour ne pas engendrer une nouvelle pollution.
À lire aussi : PFAS et dépollution de l’eau : les pistes actuelles pour traiter ces « polluants éternels »
Les ingénieurs et les chercheurs développent actuellement des méthodes pour décomposer ou éliminer les PFAS in situ, directement dans les sols et dans les eaux souterraines.
Pour le moment, la principale difficulté est d’ordre chimique. Il s’agit de rompre la liaison carbone-fluor (C-F), caractéristique des PFAS et qui leur procure cette incroyable stabilité dans le temps. En effet, il faut 30 % plus d’énergie pour casser la liaison carbone-fluor que la liaison carbone-hydrogène, que l’on retrouve dans beaucoup de polluants organiques.
Certaines techniques semblent amorcer une dégradation, mais il est crucial d’éviter une dégradation incomplète, qui pourrait générer comme sous-produits des PFAS de poids moléculaire plus faible, souvent plus mobiles et d’autant plus problématiques que leurs impacts sur la santé et sur l’environnement sont encore peu ou pas connus.
Ce n’est pas tout : les méthodes basées sur la chimie impliquent le plus souvent d’ajouter des réactifs ou de maintenir localement des conditions de température et/ou de pression potentiellement néfastes pour l’environnement.
D’autres approches envisagent la biodégradation des PFAS par des microorganismes, mais les résultats sont pour le moment contrastés, malgré quelques travaux récents plus encourageants.
À lire aussi : PFAS : comment les analyse-t-on aujourd’hui ? Pourra-t-on bientôt faire ces mesures hors du laboratoire ?
On l’a vu, la dégradation des PFAS directement dans les sols et dans les eaux implique de nombreux verrous scientifiques à lever.
Un certain nombre de techniques permettent toutefois de séparer les PFAS des eaux après pompage (c’est-à-dire, ex-situ), et cela à l’échelle industrielle. Les trois techniques les plus matures sont le charbon actif granulaire, les résines échangeuses d’ions et la filtration membranaire – en particulier la nanofiltration et l’osmose inverse.
Le charbon actif et les résines échangeuses d’ions reposent sur une affinité chimique des PFAS beaucoup plus grande pour le substrat (charbon ou résine) que pour le milieu aqueux : ce sont des techniques dites d’adsorption.
L’adsorption ne doit pas être confondue avec l’absorption, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène de surface. Les PFAS s’accumulent alors sur la surface, plutôt qu’à l’intérieur, du substrat, notamment via des interactions électrostatiques attractives. Heureusement, la surface disponible pour du charbon actif en granulés est importante grâce à sa porosité microscopique. Pour 100 grammes de produit, elle représente l’équivalent d’une dizaine de terrains de football.
La filtration, enfin, repose principalement sur l’exclusion par la taille des molécules. Or, les PFAS les plus préoccupants sont des molécules relativement petites. Les pores des filtres doivent donc être particulièrement petits, et l’énergie nécessaire pour y faire circuler l’eau importante. Cela constitue le principal défi posé par cette technique appliquée au traitement des PFAS.
Les techniques qui précèdent sont déjà connues et utilisées de longue date pour d’autres polluants, mais qu’elles demeurent efficaces pour de nombreux PFAS. Ces techniques sont d’ailleurs parmi les rares ayant atteint le niveau 9 sur l’échelle TRL (Technology Readiness Level), un niveau maximal qui correspond à la validation du procédé dans l’environnement réel.
Néanmoins, de nombreuses recherches sont en cours pour rendre ces techniques plus efficaces vis-à-vis des PFAS à chaînes courtes et ultra-courtes – c’est-à-dire, qui comportent moins de six atomes de carbones perfluorés. En effet, ces molécules ont moins d’affinités avec les surfaces et sont donc plus difficiles à séparer du milieu aqueux.
Quant aux techniques pour traiter les sols, l’approche doit être radicalement différente : il faut récupérer les PFAS adsorbés sur les sols. Pour ce faire, des solutions basées sur l’injection d’eau sont à l’étude, par exemple avec l’ajout d’additifs comme des gels et des solvants.
Ces additifs, lorsqu’ils sont bien choisis, permettent de modifier les interactions électrostatiques et hydrophobes dans le système sol-eau souterraine afin de mobiliser les PFAS et de pouvoir les en extraire. Le principal défi est qu’ils ne doivent pas générer une pollution secondaire des milieux. L’eau extraite, chargée en PFAS, doit alors être gérée avec précaution, comme pour un charbon actif usagé.
Reste ensuite à savoir quoi faire de ces déchets chargés en PFAS. Outre le confinement dans des installations de stockage, dont le principal risque est d’impacter à nouveau l’environnement, l’incinération est actuellement la seule alternative.
Le problème est que les PFAS sont des molécules très stables. Cette technique recourt aux incinérateurs spécialisés dans les déchets dangereux ou incinérateurs de cimenterie, dont la température monte au-dessus de 1 000 °C pour un temps de résidence d’au moins trois secondes. Il s’agit d’une technique énergivore et pas entièrement sûre dans la mesure où la présence éventuelle de sous-produits de PFAS dans les gaz de combustion fait encore débat.
Parmi les autres techniques de dégradation, on peut citer l’oxydation à l’eau supercritique, qui a pu démontrer son efficacité pour dégrader un grand nombre de PFAS pour un coût énergétique moindre que l’incinération. La technique permet de déclencher l’oxydation des PFAS. Elle repose néanmoins sur des conditions de température et de pression très élevées (plus de 375 °C et plus de 218 bars) et implique donc une dépense importante d’énergie.
Il en est de même pour la sonocavitation, qui consiste à créer des bulles microscopiques à l’aide d’ultrasons qui, en implosant, génèrent des pressions et des températures à même de dégrader les PFAS en générant un minimum de sous-produits.
Le panel de techniques présenté ici n’est évidemment pas exhaustif. Il se concentre sur les techniques les plus matures, dont le nombre reste relativement restreint. Des dizaines d’autres méthodes sont actuellement à l’étude dans les laboratoires.
Que retenir de cet inventaire ? Le traitement des milieux, en particulier les eaux et les sols, n’implique pas systématiquement la dégradation des PFAS. Pour y parvenir, il faudra mobiliser des nouvelles approches encore en cours de recherche et développement.
De plus, la dépollution devra d’abord se concentrer sur le traitement des zones sources (sols directement impactés avec des produits contenant des PFAS, etc.) afin d’éviter les pollutions secondaires. En effet, une dépollution à très grande échelle engendrerait un coût gigantesque, estimé à 2 000 milliards d’euros sur vingt ans.
En conséquence, même si des techniques de dépollution existent déjà et que d’autres sont en développement, elles ne suffiront pas. Elles doivent être couplées à une surveillance accrue des milieux, à une évolution des réglementations sur l’usage et sur la production de PFAS et à un effort de recherche soutenu pour restreindre ou pour substituer ces substances lorsque cela est possible.
Maxime Cochennec a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
Clément Zornig a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
Stéfan Colombano a reçu des financements de l'Agence de la transition écologique (ADEME), du Ministère de la Transition Écologique dans le cadre du plan interministériel sur les PFAS et de l’Union Européenne (Horizon H2020).
09.09.2025 à 16:44
Jean-Philippe Bootz, Chercheur, Université de Strasbourg
Les bioplastiques connaissent actuellement un essor notable en tant qu’alternative au plastique traditionnel, bien qu’ils ne représentent à ce stade qu’une part infime des plastiques utilisés. Leur impact écologique est certes moindre, mais leur développement pose d’autres questions, auxquelles la recherche n’a pas toujours de réponse. Ils ne doivent pas occulter le principal objectif : la réduction à la source de la production de plastiques.
Face à la crise environnementale, les bioplastiques apparaissent comme une alternative prometteuse aux plastiques conventionnels, responsables de multiples externalités négatives.
Les images d’océans jonchés de déchets plastiques, matériau non biodégradable, ainsi que les émissions massives de gaz à effet de serre associées à tout leur cycle de vie ont impulsé la recherche de matériaux plus durables.
Mais dans quelle mesure les bioplastiques répondent-ils efficacement aux enjeux écologiques ? Même si leur développement semble être une étape nécessaire dans la transition vers l’économie circulaire, ces matières suscitent à la fois espoir et scepticisme.
À lire aussi : Recycler les plastiques pour protéger les océans, une illusion face à la surproduction ?
Commençons par quelques définitions. Le terme de « bioplastiques » cache en réalité trois catégories distinctes :
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En France toutefois, la définition stricte du terme « bioplastiques » est réservée aux matières à la fois biosourcées et biodégradables). Seule la troisième des catégories listées plus haut peut donc prétendre à l’appellation de bioplastique sur le territoire français.
Depuis les années 1960, la production mondiale de plastique a explosé, passant de 15 millions de tonnes en 1964 à 348 millions de tonnes en 2017.
Les emballages représentent près de 25 % de ces volumes. Malheureusement, sur la période, seuls 9 % des plastiques produits ont été recyclés, tandis que 12 % ont été incinérés. Le reste, soit près de 80 %, s’est accumulé et continue de s’accumuler dans l’environnement (et notamment les océans) ou dans les décharges, où il met plusieurs siècles à se dégrader.
Face à ce constat alarmant, les bioplastiques suscitent un intérêt croissant. En 2024, le marché des bioplastiques dépasse les 7 milliards de dollars et les projections indiquent qu’il avoisinerait les 20 milliards d’ici à 2033. Leur production mondiale était estimée en 2024 à 2,11 millions de tonnes, soit moins de 1 % de l’ensemble des plastiques produits, mais les projections indiquent une croissance rapide. Le marché potentiel est évalué à 3,95 millions de tonnes d’ici 2028.
L’Europe, qui représente une part importante de ce marché, bénéficie de politiques favorisant l’innovation et l’adoption de matériaux durables.
Dans le même temps, de grandes entreprises comme Coca-Cola, Danone ou Lego investissent massivement dans le développement de solutions à base de bioplastiques. Lego prévoit par exemple d’utiliser exclusivement des bioplastiques d’ici à 2030.
Malgré leur potentiel, les bioplastiques doivent relever plusieurs défis majeurs :
D’abord leur coût élevé. La production de bioplastiques reste en moyenne deux fois plus chère que celle des plastiques classiques. Cette différence s’explique par les coûts des matières premières, la complexité des procédés de fabrication et les investissements nécessaires en recherche et développement. Cependant, les économies d’échelle et les améliorations technologiques pourraient réduire cet écart dans les prochaines années.
D’autre part, une recyclabilité et une biodégradabilité qui restent limitées. La majorité des bioplastiques biodégradables nécessite le plus souvent des conditions de compostage industriel pour se décomposer efficacement. Or, peu d’infrastructures de ce type existent. De plus, lorsqu’ils sont mélangés par erreur avec des plastiques conventionnels dans les filières de tri actuelles, les bioplastiques sont le plus souvent incinérés ou envoyés en décharge.
Enfin, la pression qu’ils exercent sur les terres agricoles, puisque les bioplastiques utilisent des matières premières végétales cultivées sur des terres agricoles. Bien que leur production actuelle mobilise pour l’instant moins de 0,02 % des terres agricoles mondiales, une expansion rapide pourrait entraîner des tensions avec les cultures vivrières.
Cette question soulève des inquiétudes en matière de sécurité alimentaire, d’utilisation d’intrants chimiques et de pression sur les ressources hydriques.
Pour éviter les dérives liées à une utilisation massive de ressources agricoles, la recherche s’oriente vers des matières premières alternatives.
Par exemple les déchets organiques, en particulier les résidus de récolte et les sous-produits de l’industrie agroalimentaire, qui offrent un potentiel encore largement inexploité.
Toutefois, l’usage d’algues tropicales comme matières premières fait l’objet de recherches prometteuses.
La start-up Sea6 Energy, soutenue par BASF, travaille par exemple sur des bioplastiques à base d’algues, et l’Union européenne a lancé le projet Seabioplas dans le même domaine.
Parallèlement, des solutions technologiques émergent pour améliorer la biodégradation et le recyclage des bioplastiques. Des études récentes montrent que certaines bactéries, comme les platisphères, pourraient contribuer à leur dégradation. Ces résultats restent toutefois à valider dans des environnements naturels.
Enfin, les efforts visant à réduire les coûts de production s’intensifient. L’augmentation des volumes et les améliorations dans les procédés de fabrication rendent les bioplastiques de plus en plus compétitifs face aux plastiques pétroliers, surtout dans un contexte de hausse des prix du pétrole.
Les bioplastiques ne représentent pas une solution universelle aux problèmes environnementaux liés au plastique, mais ils constituent une alternative dans la palette de solutions à explorer. Leur potentiel écologique est indéniable, à condition de relever les défis technologiques et structurels qui freinent encore leur déploiement.
Leur avenir dépendra de plusieurs facteurs.
L’évolution des infrastructures, en premier lieu : investir dans des filières de recyclage spécifiques et des installations de compostage industriel est essentiel pour maximiser leur impact positif.
Le soutien des politiques publiques, ensuite : des incitations fiscales, des réglementations contraignantes et des investissements dans la recherche et le développement joueront un rôle crucial.
Enfin, leur déploiement exige l’adhésion des consommateurs et des entreprises : la sensibilisation des citoyens et l’engagement des grandes marques à adopter des solutions durables seront déterminants.
Les bioplastiques incarnent une étape importante dans la transition vers une économie plus durable et circulaire. Ils ne sont toutefois ni une panacée – ni une solution à court terme – aux problèmes liés aux plastiques. Leur succès reposera sur une approche globale, combinant innovation, infrastructures adaptées et régulations ambitieuses.
En définitive, la véritable question n’est pas de savoir si les bioplastiques remplaceront à terme les plastiques pétroliers, mais comment nous pourrons les intégrer de manière équilibrée dans un modèle économique respectueux de la planète. Et pour autant, cette question ne doit pas éluder le problème de fond qu’est la réduction à la source de la production de plastiques pétrosourcés.
Jean-Philippe Bootz a bénéficié des financements de l’Ademe pour conduire l’étude prospective «économie circulaire et industrie en 2035» menée au sein de l’Observatoire des futurs qu'il dirige au sein de l'EM Strasbourg. Cet article a été réalisé dans le cadre de cette étude.
09.09.2025 à 15:26
Joshua Elves-Powell, Associate Lecturer in Biodiversity Conservation and Ecology, UCL
Des chercheurs se sont appuyés sur des témoignages de réfugiés nord-coréens, confirmés par des rapports provenant de Chine, de Corée du Sud et des images satellites, pour dresser un panorama du commerce illégal d’animaux sauvages dans le pays. Ces données suggèrent l’implication de l’État.
La Corée du Nord est connue pour le commerce illicite d’armes et de stupéfiants. Mais une nouvelle étude que j’ai menée avec des collègues britanniques et norvégiens révèle un nouveau sujet de préoccupation : le commerce illégal d’espèces sauvages prospère dans le pays, y compris celles qui sont censées être protégées par la législation nord-coréenne.
D’après des entretiens menés auprès de réfugiés nord-coréens (également appelés « transfuges » ou « fugitifs »), qui peuvent être d’anciens chasseurs voire des intermédiaires dans le commerce d’animaux sauvages, notre étude, menée sur quatre ans, montre que presque toutes les espèces de mammifères en Corée du Nord plus grandes qu’un hérisson sont capturées de manière opportuniste, à des fins de consommation ou de commerce. Même les espèces hautement protégées font l’objet de commerce, parfois au-delà de la frontière chinoise.
Le plus frappant reste que ce phénomène ne se limite pas au marché noir. L’État nord-coréen lui-même semble tirer profit de l’exploitation illégale et non durable de la faune sauvage.
Après l’effondrement de l’économie nord-coréenne dans les années 1990, le pays a connu une grave famine qui a fait entre 600 000 et 1 million de morts. Ne pouvant plus compter sur l’État pour subvenir à leurs besoins alimentaires, médicaux et autres besoins fondamentaux, de nombreux citoyens se sont alors mis à acheter et à vendre des marchandises – parfois volées dans des usines publiques ou introduites en contrebande depuis la Chine – dans le cadre d’une économie informelle en pleine expansion.
Cette économie informelle intègre aussi les animaux et les plantes sauvages, une précieuse ressource alimentaire. La faune sauvage est également appréciée pour son utilisation dans la médecine traditionnelle coréenne, ou pour la fabrication de produits tels que les vêtements d’hiver.
Il est important de noter que la vente de produits issus de la faune sauvage permet de générer des revenus importants. C’est pourquoi, outre le marché intérieur de la viande sauvage et des parties animales, un commerce international s’est développé, dans lequel des contrebandiers tentaient de vendre des produits issus de la faune sauvage nord-coréenne de l’autre côté de la frontière, en Chine.
Ce commerce n’est officiellement reconnu par aucun des deux gouvernements. La Corée du Nord est l’un des rares pays à ne pas être signataire de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) – le traité qui réglemente le commerce international des espèces menacées d’extinction. Il existe donc peu de données officielles. Bon nombre des techniques habituellement utilisées par les chercheurs, telles que les études de marché ou l’analyse des données relatives aux saisies ou au commerce, sont tout simplement impossibles à mettre en œuvre dans le cas de la Corée du Nord.
C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers les témoignages de réfugiés nord-coréens. Parmi eux figuraient d’anciens chasseurs, des intermédiaires, des acheteurs et même des soldats qui avaient été affectés à des réserves de chasse réservées à la famille dirigeante de la Corée du Nord. Afin de protéger leur sécurité, tous les entretiens ont été menés de façon anonyme.
Pour vérifier les données issues de ces entretiens, nous les avons comparées à des rapports provenant de Chine et de Corée du Sud. Les changements signalés dans certaines ressources forestières ont également pu être vérifiés à l’aide de la télédétection par satellite.
Leurs récits donnent une idée impressionnante des interactions entre humains, animaux et plantes sauvages en Corée du Nord, ainsi que de leur utilisation commerciale.
Cependant, le plus inquiétant est que ces témoignages suggèrent que l’État nord-coréen lui-même puisse être directement impliqué dans le commerce d’espèces sauvages. Bien qu’il soit ressorti clairement des entretiens que les participants ignoraient le plus souvent le statut juridique du commerce d’espèces sauvages pour différentes espèces, notre analyse montre qu’une partie de ce commerce semble être illégale.
Les participants ont décrit des fermes d’élevage d’animaux sauvages gérées par l’État qui produisent des loutres, des faisans, des cerfs et des ours, ainsi que des parties de leur corps, à des fins commerciales. En effet, la Corée du Nord a été le premier pays à élever des ours pour leur bile, avant que cette pratique ne se répande en Chine et en Corée du Sud.
L’État aurait également collecté des peaux d’animaux via un système de quotas, les habitants remettant les peaux à une agence gouvernementale, tandis que les chasseurs agréés par l’État et les communautés locales offraient parfois des produits issus de la faune sauvage à l’État ou à ses dirigeants en guise de tribut.
L’une des espèces identifiées par nos interlocuteurs était le goral à longue queue (sur l’image en tête de cet article). Longtemps chassé pour sa peau, cet animal est désormais strictement protégé par la CITES. Nos données suggèrent que les gorals étaient destinés à être vendus à des acheteurs chinois. La Chine est pourtant partie à la convention (c’est-à-dire, elle l’a ratifié), ce commerce constituerait donc une violation des engagements pris par la Chine dans le cadre de la CITES.
La péninsule coréenne est un site d’importance mondiale pour de nombreuses espèces de mammifères. Ses régions septentrionales sont reliées, par voie terrestre, à des zones de Chine où ces espèces sont actuellement en voie de rétablissement. Cependant, la chasse non durable et la déforestation menacent leur potentiel de rétablissement en Corée du Nord.
Ceci a des conséquences plus larges. Par exemple, on espérait que le léopard de l’Amour, l’un des félins les plus rares au monde, puisse un jour recoloniser naturellement la Corée du Sud. Mais cela semble désormais très improbable, car ces animaux seraient confrontés à de graves menaces rien qu’en traversant la Corée du Nord.
Par ailleurs, les objectifs de conservation de la Chine, tels que la restauration du tigre de Sibérie dans ses provinces du Nord-est, pourraient être compromis si les espèces menacées qui traversent sa frontière avec la Corée du Nord sont tuées à des fins commerciales.
En outre, le commerce transfrontalier illégal d’espèces sauvages en provenance de Corée du Nord constituerait une violation des engagements pris par la Chine dans le cadre de la CITES, un problème grave susceptible d’avoir de graves répercussions sur le commerce légal d’animaux et de plantes. Pour faire face à ce risque, Pékin doit redoubler d’efforts pour lutter contre la demande intérieure d’espèces sauvages illégales.
Le commerce d’espèces sauvages nord-coréennes est actuellement un angle mort pour la conservation mondiale. Nos conclusions contribuent à mettre en lumière le problème que représente le commerce illégal et non durable d’espèces sauvages, mais la lutte contre cette menace, qui pèse sur les ressources naturelles de la Corée du Nord, dépendra en fin de compte des décisions prises par Pyongyang. Le respect de la législation nationale sur les espèces protégées devrait être une priorité immédiate.
Joshua Elves-Powell a reçu des financements du London NERC DTP et ses travaux sont soutenus par Research England.
08.09.2025 à 17:04
Caroline Orset, Professeur en sciences économiques, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Marco Monnier, Doctorant en sciences économiques
Les Français sont-ils prêts à soutenir et à financer une politique ambitieuse de réduction de la pollution ? Pour le savoir, les économistes disposent d’un indicateur clé : la valeur de la vie statistique. Celle-ci ne vise évidemment pas à mettre un prix sur une vie humaine, mais à mesurer combien une population est prête à investir pour diminuer, même très légèrement, le risque de décès dû à la pollution de l’air.
La pollution de l’air figure aujourd’hui parmi les menaces sanitaires les plus préoccupantes. En France, elle est responsable de plus de 40 000 décès prématurés chaque année selon Santé publique France. Malgré des progrès, les politiques publiques peinent à atteindre les standards internationaux.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de ne pas dépasser une concentration annuelle de 5 µg/m3 de particules fines (PM2,5). En 2022, la moyenne française s’établissait à 10 µg/m3, soit le double du seuil préconisé.
Dès lors, comment évaluer le bénéfice réel d’une politique de réduction de la pollution ? Plus encore : que nous disent les citoyens eux-mêmes de leur disposition à contribuer financièrement à cet effort collectif ?
Pour éclairer ce type de décisions, les économistes ont recours à un indicateur clé : la valeur de la vie statistique (VVS). Il ne s’agit évidemment pas d’attribuer un prix à une vie humaine, mais d’estimer combien une société est disposée à payer pour réduire, même très légèrement, le risque de décès auquel ses membres sont exposés.
Cet outil permet de juger de la pertinence économique d’une politique publique. Concrètement, si le coût d’une mesure, par exemple restreindre la circulation des véhicules diesel en centre-ville, est inférieur à la valeur que la collectivité accorde à la réduction du risque de mortalité, alors cette mesure peut être considérée comme socialement justifiée et acceptable.
Dans notre étude, nous avons estimé la valeur de la vie statistique en France dans le contexte spécifique de la pollution atmosphérique. Pour ce faire, nous avons mené en 2019 une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 315 adultes répartis dans l’ensemble de la France hexagonal.
Les participants devaient se projeter dans deux scénarios hypothétiques, leur donnant accès à un bilan de santé annuel réduisant leur risque individuel de décès lié à la pollution de l’air. Dans le premier cas, la réduction était fixée à 30 décès pour 100 000 habitants ; dans le second, à 60 décès pour 100 000 habitants. Afin d’éclairer leur choix, ces niveaux de risque étaient présentés à l’aide d’exemples concrets et de repères statistiques.
À partir de là, les répondants devaient dire s’ils accepteraient de payer pour bénéficier d’un tel bilan, à hauteur de 25, 50 ou 100 euros, des montants alignés sur le coût d’une consultation médicale en France en 2019. Ils étaient ensuite invités à indiquer librement le montant maximal qu’ils seraient prêts à payer. Le questionnaire se poursuivait par une série de questions complémentaires destinées à approfondir la compréhension de leur perception du risque, de leur état de santé perçu, de leur aversion au risque, de leurs comportements préventifs ainsi que de leur préoccupation pour les générations futures.
Les résultats de l’enquête sont clairs. En moyenne, les répondants se déclarent prêts à payer 47 euros pour une réduction du risque de 30 décès pour 100 000 habitants, et 54 euros pour une réduction de 60 décès pour 100 000. Sur cette base, la valeur de la vie statistique (VVS) peut être estimée entre 85 000 et 158 000 euros.
Ces montants demeurent très en deçà des références actuellement utilisées dans les évaluations socio-économiques françaises, où la valeur de la vie statistique est fixée à 3 millions d’euros. Ils sont encore plus éloignés des estimations retenues aux États-Unis, souvent supérieures à 10 millions de dollars, ou dans certains pays d’Europe du Nord.
Comment expliquer un tel écart ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, le système de santé français, fondé sur la solidarité, tend à diluer la responsabilité individuelle en matière de prévention sanitaire. Ensuite, une proportion importante des répondants exprime une attente forte vis-à-vis de l’action publique : pour eux, la réduction des risques environnementaux doit relever d’une mission collective, et non d’un effort financier individuel.
Ce comportement illustre ce que l’économiste Mancur Olson a qualifié « d’effet de passager clandestin » : chacun reconnaît l’importance du problème, tout en comptant sur les autres (l’État, les pollueurs ou la collectivité) pour en assumer le coût.
Notre étude met en évidence plusieurs profils plus enclins à exprimer une disposition à payer pour améliorer la qualité de l’air. Les jeunes adultes, les personnes aux revenus élevés, ainsi que les habitants d’Île-de-France, plus exposés aux pics de pollution, manifestent une volonté de contribution plus marquée. Ce constat vaut également pour celles et ceux qui adoptent déjà des comportements préventifs, comme la réalisation régulière de bilans de santé.
La prise de conscience des effets différés de la pollution constitue un facteur déterminant. Les individus sensibilisés à ses conséquences à long terme, que ce soit pour eux-mêmes ou pour leurs proches (famille et amis), se montrent nettement plus enclins à soutenir financièrement des politiques de réduction des risques.
À l’inverse, la disposition à payer tend à diminuer avec l’âge, mais également lorsque le niveau de connaissance sur les enjeux sanitaires liés à la pollution est faible, ou qu’une forme de résignation, parfois teintée de fatalisme, s’installe face au risque.
Ces résultats méritent d’être pleinement pris en compte. Ils ne traduisent en rien un rejet des politiques environnementales. Bien au contraire, ils révèlent que les citoyens sont largement conscients des enjeux sanitaires liés à la pollution de l’air. Mais ils attendent des réponses collectives, équitables et portées par des institutions perçues comme légitimes et efficaces.
Ce constat plaide en faveur de mesures publiques ambitieuses, telles que la taxation des émissions les plus nocives, l’extension des zones à faibles émissions, ou encore l’accompagnement des ménages modestes dans la transition via des subventions ciblées. Une telle orientation permettrait d’allier efficacité environnementale et justice sociale.
Un effort renforcé en matière d’éducation et de sensibilisation s’impose. Mieux informer sur les effets, souvent invisibles mais durables, de la pollution sur la santé contribuerait non seulement à modifier les comportements individuels, mais aussi, par ricochet, à orienter les préférences collectives en faveur de politiques publiques plus exigeantes.
La question mise en lumière par notre étude renvoie à la capacité des institutions à concilier efficacité environnementale, justice sociale et acceptabilité démocratique.
Elle appelle à repenser les outils d’évaluation économique, en y intégrant non seulement les bénéfices quantifiables, mais aussi les préférences collectives, les perceptions du risque et les aspirations citoyennes. Dans cette perspective, le recours à des dispositifs participatifs, qu’il s’agisse de conventions citoyennes, de panels délibératifs ou de consultations territorialisées, peut contribuer à inscrire l’action publique dans les réalités sociales.
La pollution de l’air reste un fléau silencieux, aux effets durables sur la santé et sur la cohésion sociale. Notre étude plaide pour un renforcement et une réorientation de l’action publique, afin d’aligner plus étroitement dépenses et régulations environnementales avec les attentes sociales et les bénéfices sanitaires perçus.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
08.09.2025 à 15:29
Jonathan Livingstone-Banks, Lecturer & Senior Researcher in Evidence-Based Healthcare, University of Oxford
Jamie Hartmann-Boyce, Assistant Professor of Health Promotion and Policy, UMass Amherst
On les croit protecteurs, mais ils ne minimisent en rien les dommages du tabac. Les filtres des cigarettes auraient même potentiellement des effets nocifs pour la santé, en plus, bien sûr, d’être une immense source de pollution.
Les filtres à cigarette ont commencé à inonder le marché dans les années 1950, officiellement pour rendre le tabagisme moins nocif. Face à l’inquiétude croissante du public concernant le cancer du poumon et d’autres maladies liées au tabagisme, l’industrie du tabac a réagi non pas en rendant les cigarettes plus sûres, mais en les faisant paraître plus sûres. Les filtres étaient l’innovation parfaite, non pas pour la santé, mais pour les relations publiques.
Plus de soixante-dix ans plus tard, nous savons en effet que les filtres ne réduisent pas les risques. En réalité, ils peuvent même aggraver certains risques. En adoucissant la fumée et en facilitant son inhalation profonde, les filtres peuvent, de fait, augmenter le risque de cancer du poumon. Au début des années 1950, un type de filtre très populaire contenait même de l’amiante. Malgré cela, la plupart des fumeurs d’aujourd’hui continuent de croire que les filtres rendent les cigarettes plus sûres.
Au-delà des risques pour la santé, les filtres de cigarettes sont aussi une catastrophe pour l’environnement. Ils sont faits d’un plastique appelé « acétate de cellulose ». Ils ne se dégradent pas naturellement, mais se désagrègent en microplastiques qui polluent nos rivières et nos océans.
Et ils sont nombreux. Les mégots de cigarette sont les déchets les plus répandus sur la planète. On estime que 4,5 billions (soit 4 500 milliards) sont jetés chaque année, et environ 800 000 tonnes de ces déchets plastiques se retrouvent dans l’environnement annuellement. Alors que, à travers le monde, de nombreuses législations ont restreint l’utilisation d’autres plastiques à usage unique, tels que les bouteilles, les sacs et les pailles, les filtres de cigarettes ont largement échappé à cette réglementation.
Sous pression, certaines entreprises de tabac commercialisent désormais des filtres dits « biodégradables », fabriqués à partir de nouveaux matériaux. Mais il s’agit là d’une fausse solution. Même ces filtres n’offrent aucun avantage pour la santé et continuent de polluer les écosystèmes. Ils servent les intérêts de l’industrie du tabac, en créant une illusion de responsabilité environnementale tout en entretenant la fausse perception que les filtres eux-mêmes sont inoffensifs ou nécessaires.
Les filtres de cigarettes font ainsi partie des plastiques à usage unique les plus nocifs encore en circulation dans le monde. Et contrairement à de nombreux autres polluants, ils ne remplissent aucune fonction essentielle. Or la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac déconseille déjà les mesures qui entretiennent l’idée d’une réduction des risques, et les filtres de cigarettes entrent clairement dans cette catégorie.
L’interdiction des filtres de cigarettes permettrait de dissiper l’illusion de sécurité qu’ils véhiculent. Elle pourrait également réduire la prévalence du tabagisme, car les cigarettes non filtrées sont généralement plus âpres et moins agréables au goût. Une telle mesure, enfin, éliminerait également l’une des sources les plus répandues de pollution plastique, évitant ainsi la production de centaines de milliers de tonnes de déchets plastiques chaque année.
Si nous pouvons interdire les pailles en plastique, comme les pays membres de l’Union européenne l’ont fait en 2021, nous pouvons certainement interdire les filtres de cigarettes. En fait, cela a déjà été fait. Le comté de Santa Cruz (Californie) a voté en faveur de l’interdiction des filtres à cigarette en 2024.
Il est grand temps de lui emboîter le pas, alors que la pollution plastique est dans l’esprit de tout le monde, après la tenue, en août dernier, à Genève (Suisse), d’un sommet où les dirigeants mondiaux ont tâché de négocier ce qui pourrait devenir le premier traité juridiquement contraignant des Nations unies traitant de la pollution plastique, de la production à l’élimination. Le projet de traité constitue une occasion rare de s’attaquer aux causes profondes des déchets plastiques à l’échelle mondiale.
Le projet actuel du traité mentionne les filtres de cigarettes. Ils sont évoqués dans l’annexe X, une catégorie qui concerne les restrictions volontaires ou obligatoires, ce qui laisse la possibilité de continuer à les utiliser, y compris les filtres dits « écologiques », et n’impose pas leur élimination totale. Si tous les filtres de cigarettes (et pas seulement ceux en plastique) étaient répertoriés dans l’annexe Y, ils seraient soumis à une interdiction totale et obligatoire.
Les négociations du mois d’août n’ont pas permis d’aboutir à un accord final, et elles se poursuivront à une date ultérieure, ce qui signifie qu’il est encore temps d’agir.
Des groupes de défense de la santé et de l’environnement, notamment l’Organisation mondiale de la santé, Action on Smoking and Health et Stop Tobacco Pollution Alliance, réclament des engagements fermes en matière de filtres de cigarettes. Qu’est-ce qui pourrait être plus ferme qu’une interdiction pure et simple ?
Certes, la prohibition des filtres ne mettra pas fin au tabagisme du jour au lendemain et n’éliminera pas la pollution plastique. Mais ce serait une mesure significative et symbolique pour aligner les objectifs environnementaux et sanitaires. Elle permettrait de retirer du marché un produit nocif et trompeur, de réduire la pollution et de rendre les cigarettes plus honnêtes.
Jonathan Livingstone-Banks a reçu des financements du US National Institutes of Health (NIH), du National Institute for Health and Care Research (NIHR) et du Cancer Research UK (CRUK).
Jamie Hartmann-Boyce a reçu des financements de groupes impliqués dans la lutte contre le tabagisme, notamment Truth Initiative, Cancer Research UK et la Food and Drug Administration américaine.
07.09.2025 à 12:11
Lucas Miailhes, Doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL)
Et si la transition énergétique n’était pas le simple glissement d’une dépendance au pétrole vers une dépendance aux métaux critiques ? Les discours politiques empruntent souvent cette analogie séduisante, mais la réalité est plus complexe. Le risque serait que cette comparaison donne un mauvais cadrage aux enjeux de la transition énergétique.
Alors que la transition énergétique accélère en Europe, une idée semble s’être imposée dans le débat public. Notre dépendance aux énergies fossiles aurait glissé vers une nouvelle dépendance, cette fois aux matières premières critiques, comme le lithium ou les terres rares.
Il n’est pas rare que cette comparaison soit faite dans les débats télévisés, mais également à l’occasion de déclarations politiques, tant au niveau national qu’international. Par exemple, lors d’un discours de 2023 traitant de la relation Chine-Union européenne (UE), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen traçait un parallèle clair entre la dépendance de l’UE aux énergies fossiles et sa dépendance naissante aux matériaux critiques :
« Les transitions […] seront permises par les matières premières. Le lithium et les terres rares sont déjà en train de remplacer le gaz et le pétrole au cœur de notre économie. […] Nous devons éviter de tomber dans la même dépendance que pour le pétrole et le gaz. »
Si cette analogie alerte, à juste titre, sur la vulnérabilité europénne des approvisionnements en métaux – pour une large part envers la Chine, elle repose sur une vision simpliste et trompeuse des chaînes d’approvisionnement mondiales, de la nature physique de ces ressources et des rapports de force géoéconomiques.
Elle participe à véhiculer de fausses croyances non seulement sur la nature du commerce international de ces matières premières critiques, mais aussi, plus globalement, sur la nature de la transition énergétique.
Peut-on vraiment comparer le lithium au gaz russe ? Le cobalt au baril de Brent ? La réponse est : non. Pour plusieurs raisons.
À la différence du pétrole ou du gaz, qui sont des consommables détruits par leur usage, les métaux ne disparaissent pas une fois utilisés. Grâce à leurs propriétés physiques, ils peuvent être recyclés indéfiniment sans perte de qualité, contrairement à des matériaux comme le plastique, dont la recyclabilité est limitée.
Cette caractéristique leur permet d’être réinjectés dans des boucles de réutilisation au sein d’une économie circulaire. Si le recyclage des métaux employés dans les technologies bas carbone, comme les batteries lithium-ion, reste aujourd’hui marginal, c’est moins en raison de verrous techniques que du faible volume de produits en fin de vie actuellement disponible.
Mais à mesure que les premiers équipements arriveront en fin de cycle, le recyclage pourra devenir une source majeure d’approvisionnement en métaux dits « secondaires ».
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le recyclage pourrait réduire de 25 à 40 % les besoins en nouvelles extractions. Selon la fédération européenne Transport & Environment, en intégrant les rebuts de production, le recyclage pourrait couvrir jusqu’à 40 % de la demande européenne d’ici 2030 – et près des deux tiers à l’horizon 2040.
Contrairement à ce qu’ont été le pétrole et le gaz pour l’UE, la dépendance actuelle du continent européen pourrait donc bien se réduire rapidement, pour peu que l’Europe investisse dans ce maillon de souveraineté.
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La question de la sécurité d’approvisionnement en métaux ne se pose pas dans les mêmes termes que celle du gaz ou du pétrole. Alors que les hydrocarbures concernent l’ensemble des consommateurs de façon directe (notamment afin de fournir du carburant pour les transports ou une source d’énergie pour le chauffage), les métaux ne deviennent stratégiques que dans la mesure où un pays développe des capacités industrielles qui en dépendent. Autrement dit, s’ils sont nécessaires à une production nationale d’énergie bas carbone.
Cette distinction est essentielle, car elle permet de hiérarchiser les vulnérabilités : on ne s’inquiète pas de la dépendance en matériaux pour lesquels il n’existe pas de tissu industriel local.
Par exemple, l’industrie de fabrication de panneaux solaires est au point mort en France. Pour l’heure, l’approvisionnement en métaux pour ces derniers n’est pas un sujet prioritaire de sécurité d’approvisionnement.
À l’inverse, les métaux indispensables à la production de batteries pour véhicules électriques – comme le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse ou le graphite – sont devenus des enjeux majeurs pour la France et pour l’Europe, en raison du déploiement local massif de projets de gigafactories.
C’est précisément cette logique industrielle qui a été invoquée pour justifier le projet d’ouverture d’une mine de lithium à Échassières, dans l’Allier, afin d’alimenter les usines de batteries du nord de la France.
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En dépit de sa position dominante sur le marché de nombreux métaux critiques, la Chine ne peut pas « arsenaliser » (c’est-à-dire, instrumentaliser à des fins géopolitiques) aussi facilement la dépendance aux métaux que la Russie a pu le faire avec le gaz.
En effet, les chaînes de valeur des matières premières critiques (lithium, terres rares, etc.) sont beaucoup plus fragmentées et capables de se réorganiser. Certes, Pékin détient une position dominante dans l’extraction des terres rares et dans le raffinage du lithium, mais sa capacité à s’en servir comme levier de coercition est entravée par plusieurs facteurs :
d’abord, son contrôle sur les exportations reste limité par la corruption locale et par l’ampleur du marché noir, comme l’ont montré les difficultés à faire appliquer l’embargo sur les terres rares, en 2010, aux entreprises chinoises exportatrices ;
ensuite, les États importateurs disposent d’une palette d’options de repli : diversification des fournisseurs, constitution de stocks stratégiques, investissements publics dans de nouvelles capacités de raffinage ou développement de technologies de substitution. C’est ce qu’a démontré le Japon, qui, après l’embargo de 2010 sur l’exportation de terres rares par la Chine, a rapidement sécurisé des alternatives via des investissements en Australie et aux États-Unis, affaiblissant mécaniquement l’influence chinoise ;
enfin, la Chine elle-même dépend, par ailleurs, fortement d’importations de matières premières non transformées, notamment en provenance d’Australie et d’Amérique latine pour le lithium, dont elle assure le raffinage à hauteur des deux tiers de la production mondiale. Cette interdépendance réduit la marge de manœuvre stratégique de Pékin : toute tentative de chantage à la restriction d’exportation risquerait de se retourner contre ses propres industries consommatrices de lithium.
Bref, à la différence du gaz russe – centralisé, peu substituable à court terme et distribué par des infrastructures fixes –, les métaux s’échangent sur des marchés mondiaux plus diversifiés, flexibles et adaptables. Ils sont donc moins facilement « arsenalisables ».
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Et puis, et c’est probablement ce qui révèle une lecture erronée des rapports de force géoéconomiques, les marchés du lithium et des terres rares sont beaucoup plus petits que ceux du pétrole et du gaz, tant en valeur qu’en volume. En 2024, le marché mondial des hydrocarbures pesait près de 6 000 milliards de dollars, contre seulement environ 28 milliards pour le lithium et de 4 milliards à 12 milliards pour les terres rares.
Depuis la fin des années 2010, l’Agence internationale de l’énergie alerte régulièrement sur l’explosion à venir de la demande pour ces matériaux, portée par l’électrification des usages. Pourtant, même en cumulant leurs pics de production respectifs, les terres rares et le lithium, même s’ils sont centraux pour la transition énergétique, ne représentent qu’une part infime du marché pétrogazier mondial.
L’idée même de transition énergétique des énergies fossiles vers les métaux tend à dissimuler une réalité bien plus prosaïque : celle de l’accumulation des sources d’énergie plutôt que de leur substitution.
Comme le théorise l’historien Jean-Baptiste Fressoz, l’histoire énergétique ne connaît pas de véritables ruptures où une énergie en remplacerait totalement une autre. Au contraire, les transitions s’effectuent par empilement : chaque nouvelle source vient s’ajouter aux précédentes, sans les faire disparaître. Cette dynamique remet en cause les récits optimistes qui laissent penser que les énergies fossiles seraient bientôt reléguées au passé.
Malgré les scénarios prospectifs et les engagements des grandes économies à atteindre la neutralité carbone, il est probable que l’usage du pétrole et du gaz se maintiendra dans de nombreux secteurs. Les technologies bas carbone ne remplaceront pas tous les usages permis par les hydrocarbures, en particulier dans les domaines où ils restent difficilement substituables, notamment dans l’industrie : il reste difficile de produire de l’acier vert.
Autrement dit, loin d’acter la fin des fossiles de façon nette et précise, la transition énergétique risque de passer par une phase de coexistence prolongée.
En définitive, l’idée d’un transfert de dépendance du pétrole vers les métaux ne résiste pas à l’analyse. Ni leurs propriétés physiques, ni la structure des marchés, ni la géopolitique de leur approvisionnement ne permettent de calquer les logiques de la rente fossile sur celles des matières premières critiques.
Penser la transition énergétique à travers le prisme d’une substitution binaire masque la complexité des interdépendances industrielles et pourrait conduire à de fausses priorités stratégiques. Repenser la dépendance, ce n’est donc pas rejouer la guerre du gaz avec de nouveaux matériaux, mais comprendre les spécificités des chaînes de valeur des technologies bas carbone – et concevoir des réponses politiques à la hauteur de ces réalités.
Lucas Miailhes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.