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02.06.2025 à 16:02

Devoir de vigilance : quel bilan après l’annonce de son retrait par Macron ?

Carla Bader, Assistant Professor en Management et Stratégie, IÉSEG School of Management

Maximiliano Marzetti, Associate Professor of Law, IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 - LEM - Lille Économie Management, IÉSEG School of Management

Avec la réforme Omnibus, l’Union européenne opère un retour en arrière sur le dispositif du devoir de vigilance. Avec quel bilan pour les entreprises françaises pionnières ?
Texte intégral (1865 mots)
Lors du sommet Choose France, Emmanuel Macron a appelé à un retrait total de la directive européenne sur le devoir de vigilance. FedericoPestellini/Shutterstock

Avec la réforme « Omnibus », l’Union européenne opère un retour en arrière sur le dispositif du devoir de vigilance. Pour quelles leçons de sa mise en application dans certaines entreprises françaises pionnières ? L’abrogation de la loi française 2017-339, votée à la suite du drame du Rana Plaza en 2013, obligeant les entreprises à prendre en compte les risques sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leurs filiales, sera-t-elle envisagée ?


Le 26 février dernier, la Commission européenne présente un paquet de mesures de simplification baptisé « Omnibus ». Elles ont pour effet de reporter, voire supprimer l’application des obligations de vigilance et de reporting pour les entreprises, tout en modifiant leur champ d’application. Cette procédure Omnibus est critiquée pour son calendrier précipité, son manque de débat, l’exclusion des acteurs de la société civile… et un retour en arrière dans la création de normes sociales et environnementales.

Les lois sur le devoir de vigilance sont votées en réaction au scandale du Rana Plaza. En 2013, cet immeuble au Bangladesh abritant des ateliers de textile, sous-traitants de grandes marques comme H&M, s’effondre et entraîne la mort de plus de 1 000 salariés. La France réagit en 2017 avec une loi pionnière. La directive européenne du 13 juin 2024 étend ce concept à l’ensemble de ses États membres. Elle impose aux entreprises – d’au moins 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans l’Hexagone ayant leur siège social ailleurs dans le monde – de repenser leur approche des risques sociaux, environnementaux et de gouvernance.

Ce dispositif s’étend aux activités de leurs filiales et de leurs partenaires commerciaux. Une façon de responsabiliser les entreprises à tracer tous leurs sous-traitants. Pour mieux comprendre comment les entreprises françaises vivent ces évolutions, nous avons interrogé des managers de terrain dans des secteurs d’activité divers : responsables de conformité, dirigeants en responsabilité sociale et environnementale (RSE) et de contrôle qualité.

Processus itératif

Pour les entreprises interrogées, se conformer à la loi implique des ressources importantes et des capacités organisationnelles solides. Elles attestent de la nécessité à former leurs équipes et développer des systèmes de contrôle performants. C’est pourquoi les départements de conformité jouent un rôle clé, avec divers départements tels le développement durable, les directions d’achats et les équipes de qualité.

Face à une incertitude juridique s’ajoute la complexité des chaînes d’approvisionnement mondiales ; de facto, une grande difficulté dans l’établissement des cartographies de risques. La traçabilité et la transparence deviennent difficiles à assurer, notamment au-delà du premier niveau de sous-traitance où l’identification des partenaires est beaucoup moins aisée. Un dirigeant en RSE dans une entreprise de production et distribution d’articles de sport, questionne la complexité pour connaître les impacts de ses partenaires, fournisseurs ou sous-traitants :

« Si nous sommes capables d’identifier les impacts de notre activité, il n’est pas aussi évident de le faire pour les impacts sectoriels de nos partenaires. Quelle est notre connaissance des impacts du secteur de transport, du e-commerce, des services de prestations informatiques ? »

Adapter les contrats

Si certains fournisseurs sont réticents à partager les informations de leurs partenaires, l’application du devoir de vigilance est caduque pour certaines parties de la chaîne de valeur. Les entreprises n’ont pas d’autres choix que de renégocier leurs contrats avec des clauses spécifiques en matière d’éthique et de conformité ; des négociations souvent longues et potentiellement conflictuelles. Les audits environnementaux, en particulier, sont difficiles à mener en raison de réglementations différentes dans les pays comme le traitement de l’eau et la gestion des déchets par exemple :

« On peut demander des matières recyclées/recyclables à nos fournisseurs, mais comment gèrent-ils leurs déchets si au local ils ne sont pas assujettis à des exigences particulières de traitement des eaux ? », se demande un responsable conformité du secteur de la grande distribution

Pour les groupes opérant dans des secteurs d’activités très différents – tels Elo, Aedo, Engie, LVMH et d’autres –, la demande d’une cartographie unique, censée regrouper tous les risques identifiés, est souvent perçue comme ambiguë, voire inadaptée. Il leur est difficile de produire un document unique à la fois pertinent, opérationnel et fidèle à la diversité de leurs métiers et de leurs chaînes de valeur. Les managers rencontrés soulignent le caractère itératif et évolutif de ce processus, ainsi que l’importance d’ajuster en permanence les pratiques en fonction de la réévaluation continue des risques.


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Orange et Air Liquide en pointe

Le retour d’expérience des professionnels interviewés confirme un bilan positif. Les activités de conformité s’alignant sur des objectifs organisationnels plus larges, notamment les initiatives de RSE, créent souvent un chevauchement significatif entre les rapports extrafinanciers et les obligations du devoir de vigilance. Résultat ? Un effet de levier. Les entreprises s’appuient sur des outils de suivi des risques environnementaux et sociaux ainsi que sur des données extra-financières pour établir leur plan de vigilance et harmoniser leur reporting de durabilité.

Graphique avec la gouvernance du plan de vigilance d’Air Liquide
Le plan de vigilance d’Air Liquide a été salué pour l’évaluation régulière de ses sous-traitants ou ses actions de prévention ciblées ainsi que pour son mécanisme d’alerte développé en collaboration avec les syndicats. Air Liquide, FAL

Certaines entreprises, comme Air Liquide et Orange, se distinguent même par des plans de vigilance exemplaires, récompensés par le prix du Meilleur Plan de vigilance des entreprises du CAC40. Air Liquide a été saluée pour son approche globale et la transparence de la cartographie des risques, l’évaluation régulière de ses sous-traitants, ses actions de prévention ciblées et son mécanisme d’alerte développé en collaboration avec les syndicats. Orange, de son côté, a intégré la vigilance dans les formations de ses employés. Cette valorisation illustre l’importance de stratégies de vigilance solides, fondées sur la transparence, la gouvernance et le dialogue.

Les ONG en partenaire incontournable

Le rôle des ONG dans la mise en œuvre du devoir de vigilance est à la fois essentiel et source de tensions. En France, de nombreux managers reconnaissent que, si les organisations non gouvernementales jouent un rôle clé en matière de défense des droits humains et de l’environnement, leur approche est parfois perçue comme trop dogmatique. Certaines ONG se positionnent en gardiennes absolues des normes éthiques, ce qui freine la possibilité d’un travail réellement collaboratif avec les entreprises.

Sur le dialogue avec les ONG, un responsable RSE dans le secteur du BTP déclare : « Très peu d’ONG collaborent avec nous, et c’est vraiment dommage. Les ONG nous reprochent de faire du profit, mais elles oublient souvent que c’est justement grâce à ce profit qu’on peut investir dans des solutions durables ou dans des outils techniques pour mesurer notre impact environnemental. Il y a quand même quelque chose de vertueux dans le profit – ce n’est pas le diable. »

Les attentes sont souvent mal alignées : les ONG méconnaissent parfois les contraintes opérationnelles, juridiques et économiques auxquelles sont confrontées les entreprises, rendant les échanges difficiles et parfois peu productifs. Une coopération plus ouverte entre entreprises et ONG serait pourtant cruciale.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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02.06.2025 à 16:01

Vocabulaire et diversité linguistique : comment l’IA appauvrit le langage

Guillaume Desagulier, Professeur de linguistique anglaise, Université Bordeaux Montaigne

Dans un futur proche, la proportion de données en langage naturel sur le Web pourrait diminuer au point d’être éclipsée par des textes générés par l’Intelligence artificielle.
Texte intégral (1894 mots)

Les agents conversationnels tels que ChatGPT facilitent parfois notre quotidien en prenant en charge des tâches rébarbatives. Mais ces robots intelligents ont un coût. Leur bilan carbone et hydrique désastreux est désormais bien connu. Un autre aspect très préoccupant l’est moins : l’intelligence artificielle pollue les écrits et perturbe l’écosystème langagier, au risque de compliquer l’étude du langage.


Une étude publiée en 2023 révèle que l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans les publications scientifiques a augmenté significativement depuis le lancement de ChatGPT (version 3.5). Ce phénomène dépasse le cadre académique et imprègne une part substantielle des contenus numériques, notamment l’encyclopédie participative Wikipedia ou la plate-forme éditoriale états-unienne Medium.

Le problème réside d’abord dans le fait que ces textes sont parfois inexacts, car l’IA a tendance à inventer des réponses lorsqu’elles ne figurent pas dans sa base d’entraînement. Il réside aussi dans leur style impersonnel et uniformisé.

La contamination textuelle par l’IA menace les espaces numériques où la production de contenu est massive et peu régulée (réseaux sociaux, forums en ligne, plates-formes de commerce…). Les avis clients, les articles de blog, les travaux d’étudiants, les cours d’enseignants sont également des terrains privilégiés où l’IA peut discrètement infiltrer des contenus générés et finalement publiés.

La tendance est telle qu’on est en droit de parler de pollution textuelle. Les linguistes ont de bonnes raisons de s’en inquiéter. Dans un futur proche, la proportion de données en langues naturelles sur le Web pourrait diminuer au point d’être éclipsée par des textes générés par l’IA. Une telle contamination faussera les analyses linguistiques et conduira à des représentations biaisées des usages réels du langage humain. Au mieux, elle ajoutera une couche de complexité supplémentaire à la composition des échantillons linguistiques que les linguistes devront démêler.


À lire aussi : L’IA au travail : un gain de confort qui pourrait vous coûter cher


Quel impact sur la langue ?

Cette contamination n’est pas immédiatement détectable pour l’œil peu entraîné. Avec l’habitude, cependant, on se rend compte que la langue de ChatGPT est truffée de tics de langage révélateurs de son origine algorithmique. Il abuse aussi bien d’adjectifs emphatiques, tels que « crucial », « essentiel », « important » ou « fascinant », que d’expressions vagues (« de nombreux… », « généralement… »), et répond très souvent par des listes à puces ou numérotées. Il est possible d’influer sur le style de l’agent conversationnel, mais c’est le comportement par défaut qui prévaut dans la plupart des usages.

Un article de Forbes publié en décembre 2024 met en lumière l’impact de l’IA générative sur notre vocabulaire et les risques pour la diversité linguistique. Parce qu’elle n’emploie que peu d’expressions locales et d’idiomes régionaux, l’IA favoriserait l’homogénéisation de la langue. Si vous demandez à un modèle d’IA d’écrire un texte en anglais, le vocabulaire employé sera probablement plus proche d’un anglais global standard et évitera des expressions typiques des différentes régions anglophones.

L’IA pourrait aussi simplifier considérablement le vocabulaire humain, en privilégiant certains mots au détriment d’autres, ce qui conduirait notamment à une simplification progressive de la syntaxe et de la grammaire. Comptez le nombre d’occurrences des adjectifs « nuancé » et « complexe » dans les sorties de l’agent conversationnel et comparez ce chiffre à votre propre usage pour vous en rendre compte.


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Ce qui inquiète les linguistes

La linguistique étudie le langage comme faculté qui sous-tend l’acquisition et l’usage des langues. En analysant les occurrences linguistiques dans les langues naturelles, les chercheurs tentent de comprendre le fonctionnement des langues, qu’il s’agisse de ce qui les distingue, de ce qui les unit ou de ce qui en fait des créations humaines. La linguistique de corpus se donne pour tâche de collecter d’importants corpus textuels pour modéliser l’émergence et l’évolution des phénomènes lexicaux et grammaticaux.

Les théories linguistiques s’appuient sur des productions de locuteurs natifs, c’est-à-dire de personnes qui ont acquis une langue depuis leur enfance et la maîtrisent intuitivement. Des échantillons de ces productions sont rassemblés dans des bases de données appelées corpus. L’IA menace aujourd’hui la constitution et l’exploitation de ces ressources indispensables.

Pour le français, des bases comme Frantext (qui rassemble plus de 5 000 textes littéraires) ou le French Treebank (qui contient plus de 21 500 phrases minutieusement analysées) offrent des contenus soigneusement vérifiés. Cependant, la situation est préoccupante pour les corpus collectant automatiquement des textes en ligne. Ces bases, comme frTenTen ou frWaC, qui aspirent continuellement le contenu du Web francophone, risquent d’être contaminées par des textes générés par l’IA. À terme, les écrits authentiquement humains pourraient devenir minoritaires.

Les corpus linguistiques sont traditionnellement constitués de productions spontanées où les locuteurs ignorent que leur langue sera analysée, condition sine qua non pour garantir l’authenticité des données. L’augmentation des textes générés par l’IA remet en question cette conception traditionnelle des corpus comme archives de l’usage authentique de la langue.

Alors que les frontières entre la langue produite par l’homme et celle générée par la machine deviennent de plus en plus floues, plusieurs questions se posent : quel statut donner aux textes générés par l’IA ? Comment les distinguer des productions humaines ? Quelles implications pour notre compréhension du langage et son évolution ? Comment endiguer la contamination potentielle des données destinées à l’étude linguistique ?

Une langue moyenne et désincarnée

On peut parfois avoir l’illusion de converser avec un humain, comme dans le film « Her » (2013), mais c’est une illusion. L’IA, alimentée par nos instructions (les fameux « prompts »), manipule des millions de données pour générer des suites de mots probables, sans réelle compréhension humaine. Notre IA actuelle n’a pas la richesse d’une voix humaine. Son style est reconnaissable parce que moyen. C’est le style de beaucoup de monde, donc de personne.

Bande annonce du film « Her » (2013) de Spike Jonze.

À partir d’expressions issues d’innombrables textes, l’IA calcule une langue moyenne. Le processus commence par un vaste corpus de données textuelles qui rassemble un large éventail de styles linguistiques, de sujets et de contextes. Au fur et à mesure l’IA s’entraîne et affine sa « compréhension » de la langue (par compréhension, il faut entendre la connaissance du voisinage des mots) mais en atténue ce qui rend chaque manière de parler unique. L’IA prédit les mots les plus courants et perd ainsi l’originalité de chaque voix.

Bien que ChatGPT puisse imiter des accents et des dialectes (avec un risque de caricature), et changer de style sur demande, quel est l’intérêt d’étudier une imitation sans lien fiable avec des expériences humaines authentiques ? Quel sens y a-t-il à généraliser à partir d’une langue artificielle, fruit d’une généralisation déshumanisée ?

Parce que la linguistique relève des sciences humaines et que les phénomènes grammaticaux que nous étudions sont intrinsèquement humains, notre mission de linguistes exige d’étudier des textes authentiquement humains, connectés à des expériences humaines et des contextes sociaux. Contrairement aux sciences exactes, nous valorisons autant les régularités que les irrégularités langagières. Prenons l’exemple révélateur de l’expression « après que » : normalement suivie de l’indicatif, selon les livres de grammaire, mais fréquemment employée avec le subjonctif dans l’usage courant. Ces écarts à la norme illustrent parfaitement la nature sociale et humaine du langage.

La menace de l’ouroboros

La contamination des ensembles de données linguistiques par du contenu généré par l’IA pose de grands défis méthodologiques. Le danger le plus insidieux dans ce scénario est l’émergence de ce que l’on pourrait appeler un « ouroboros linguistique » : un cycle d’auto-consommation dans lequel les grands modèles de langage apprennent à partir de textes qu’ils ont eux-mêmes produits.

Cette boucle d’autorenforcement pourrait conduire à une distorsion progressive de ce que nous considérons comme le langage naturel, puisque chaque génération de modèles d’IA apprend des artefacts et des biais de ses prédécesseurs et les amplifie.

Il pourrait en résulter un éloignement progressif des modèles de langage humain authentique, ce qui créerait une sorte de « vallée de l’étrange » linguistique où le texte généré par l’IA deviendrait simultanément plus répandu et moins représentatif d’une communication humaine authentique.

The Conversation

Guillaume Desagulier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 16:00

L’action internationale pour la biodiversité, l’autre victime de Donald Trump ?

Camille Mazé-Lambrechts, Directrice de recherche en science politique au CNRS, titulaire de la chaire Outre-mer et Changements globaux du CEVIPOF (Sciences Po), fondatrice du réseau de recherche international Apolimer, Officier de réserve Marine nationale CESM/Stratpol, Sciences Po

Jordan Hairabedian, Enseignant en climat, biodiversité et transformations socio-environnementales, Sciences Po

Mathieu Rateau, Assistant researcher en politiques environnementales., Sciences Po

Dès le premier mandat Trump et depuis son retour en janvier dernier à la Maison Blanche, les positions des États-Unis ont influencé négativement les engagements pour la biodiversité ailleurs dans le monde.
Texte intégral (2422 mots)

Une ombre nommée Donald Trump devrait planer sur la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3), qui va se dérouler à Nice (Alpes-Maritimes), en juin 2025. Dès son premier mandat et depuis son retour en janvier dernier à la Maison Blanche, Trump a altéré les positions des États-Unis. Celles-ci ont influencé négativement les engagements pour la biodiversité ailleurs dans le monde. Y compris en Europe, quoi qu’indirectement.


Le climat n’est pas le seul enjeu international à souffrir des décisions prises par le président américain Donald Trump, qui vont à l’encontre du consensus scientifique mondial sur l’environnement.

De fait, celui-ci a déjà retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, a fait disparaître l’expression même de « changement climatique » des sites de l’administration, a rétropédalé sur des mesures telles que l’interdiction des pailles en plastique et continue de soutenir les hydrocarbures et leur exploitation. De telles politiques vont à l’encontre des besoins des populations, tels que définis par la campagne One Planet, One Ocean, One Health, par exemple.

De telles décisions affectent la transition socio-écologique globale dans son ensemble, y compris en dehors des États-Unis. L’action internationale pour préserver la biodiversité devrait donc également en pâtir. Une question cruciale alors que va débuter la troisième Conférence des Nations unies pour l’océan (Unoc 3) et que les tensions se renforcent sur les arbitrages à réaliser entre climat, biodiversité, économie et autres enjeux de société.

Nous aborderons ici deux cas d’étude pour comprendre comment les politiques trumpiennes peuvent influencer le reste du monde en matière de multilatéralisme pour la biodiversité : d’abord la COP 16 biodiversité, à Cali (Colombie), qui s’est récemment conclue à Rome en février 2025, puis le Pacte vert pour l’Europe, ensemble de textes qui doivent permettre à l’Union européenne (UE) d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’établir un vaste réseau de zones protégées, sur terre et en mer (30 %).


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Des avancées à la COP 16 malgré le contexte international défavorable

La COP 16 sur la biodiversité, qui s’est tenue à Cali (Colombie) du 21 octobre au 1er novembre 2024, avait pour objectif d’accélérer la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Celui-ci est l’équivalent de l’accord de Paris sur le climat.

Il prévoit notamment la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés, tout en finançant l’action biodiversité à l’international. Ce dernier point fut le principal point de tension lors des négociations lors de la COP 16.

Les États-Unis ne sont pas membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio, qui est l’un des textes fondateurs de la diplomatie internationale en matière de biodiversité. Mais ils influencent les discussions par leur poids économique et politique.


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L’élection de Trump, survenue peu après la COP 16, et son retrait renouvelé de l’accord de Paris accompagné de politiques pro-fossiles ont rapidement assombri les perspectives de coopération internationale. Ce revirement a affaibli la confiance dans les engagements multilatéraux et a rendu plus difficile la mobilisation de fonds pour la préservation de l’environnement et la conservation de la biodiversité.


À lire aussi : La COP16 de Cali peut-elle enrayer l’effondrement de la biodiversité ?


Malgré ce contexte international préoccupant, la COP 16 a pu aboutir à des avancées notables pour donner davantage de place au lien entre biodiversité et changement climatique, laissant espérer une appréhension plus transversale de la protection de l’environnement. De fait, la deuxième partie des négociations, en février 2025, a permis d’aboutir à un accord sur les financements.

La stratégie adoptée, qui doit être déployée sur cinq ans, est supposée permettre de débloquer les 200 milliards de dollars nécessaires à la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité. Toutefois, comme certaines des cibles de ce cadre doivent être atteintes d’ici 2030, le risque est que le délai soit trop court pour permettre la mobilisation des ressources nécessaires.

En parallèle, une décision historique a permis la création d’un organe de représentation permanent des peuples autochtones ainsi que la reconnaissance du rôle des communautés afro-descendantes, afin que leurs positions soient mieux prises en compte dans les négociations. La contribution des peuples autochtones à la conservation de la biodiversité est effectivement reconnue par la CDB, bien que son ampleur soit discutée.

La COP 16 a également permis des progrès en termes de protection des océans. Une décision y a ainsi défini des procédures pour décrire les zones marines d’importance écologique et biologique (en anglais, EBSA, pour Ecologically or Biologically Significant Marine Areas).

Ceci constitue l’aboutissement de 14 ans de négociations et ouvre la voie à la création d’aires protégées en haute mer et à des synergies potentielles avec le Traité de la haute mer (Biodiversity Beyond National Jurisdiction, BBNJ).

Ce traité reste bien plus significatif que l’EBSA, ce dernier n’ayant pas de dimension contraignante. Le problème reste qu’à ce jour, seuls 29 États ont ratifié cet accord alors qu’il en nécessite 60. La perspective d’une ratification de l’accord BBNJ par les États-Unis sous la présidence de Donald Trump semble bien improbable, d’autant plus depuis la signature d’un décret en avril 2025 pour autoriser l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer, au-delà des zones économiques exclusives.

Comment le Pacte vert européen s’est réinventé sous le vent trumpiste

Le vent des politiques trumpistes souffle jusque sur les côtes du continent européen. Depuis le premier mandat de Donald Trump entre 2016 et 2020 et ses décisions anti-environnementales, l’Europe a, elle aussi, ajusté ses politiques en matière d’action environnementale.

Annoncé en 2019 pour la décennie 2020-2030, le Pacte vert européen (Green Deal) a récemment cherché à se réinventer face aux décisions américaines. Dès les élections européennes de juin 2024, le Parlement s’est renforcé à sa droite et à son extrême droite, motivant une évolution de ses politiques internes.

Ainsi, en réaction au culte des énergies fossiles outre-Atlantique, l’Union européenne a récemment développé certaines dimensions du Green Deal destinées à mettre la focale sur les technologies bas carbone en Europe. En février 2025, le Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal) a ainsi été présenté, en cohérence avec le rapport Draghi de septembre 2024. Ce dernier s’inscrivait dans une logique libérale en faveur d’une stratégie de dérégulation.

Cela étant, les solutions présentées comme contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le Pacte pour une industrie propre n’ont pas toujours des effets bénéfiques en matière de biodiversité. Les bioénergies, les technologies de stockage du carbone ou encore l’hydroénergie présentent des externalités négatives – c’est-à-dire, des effets indésirables – notables pour le vivant.

Il est intéressant de noter qu’à l’inverse, très peu d’actions en faveur de la biodiversité nuisent à l’action climatique, comme le montre le schéma ci-dessus. C’est ce qu’ont démontré le Giec et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) (l’instance onusienne équivalente pour la biodiversité), dans leur rapport commun de 2021, une première.

Plusieurs reculs européens sur l’environnement

En parallèle, ces volontés de dérégulation ont contribué à détricoter plusieurs mesures environnementales clés pour l’UE. Or, ces ajustements risquent de compromettre les efforts de protection de la biodiversité tout au long des chaînes de valeur économique :

  • les réglementations relatives aux critères environnement-social-gouvernance (ESG) vont être simplifiées, ce qui devrait marquer un net recul en matière de transparence et d’incitation à l’action pour les entreprises ;

  • la directive qui impose aux entreprises la publication d’informations sur la durabilité (CSRD), bien qu’elle conserve la biodiversité dans son périmètre ainsi que l’approche en double matérialité, a vu son impact réduit par l’exclusion de 80 % des organisations initialement concernées et par plusieurs reports d’application ;

  • même la taxonomie environnementale de l’UE, outil clé pour classifier des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement, a vu son périmètre revu à la baisse, ce qui limitera les effets incitatifs qu’elle devait avoir sur la transition écologique pour orienter les financements.

  • Enfin, la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD) a été édulcorée en adoptant la vision allemande. Les impacts socio-environnementaux devront être analysés uniquement au niveau des sous-traitants directs. Cela exclut du périmètre des maillons critiques comme les exploitations agricoles, qui sont les plus en lien avec la biodiversité.

Malgré ces renoncements, plusieurs politiques publiques importantes pour la biodiversité ont pu être maintenues.

C’est notamment le cas de la Stratégie biodiversité 2030 de l’UE, de la loi sur la restauration de la nature et de la loi contre la déforestation importée (bien que reportée d’un an dans son application).

Un paquet spécifique sur l’adaptation est également attendu d’ici fin 2025 dans le cadre du Programme Horizon Europe 2025, dont la consultation publique s’est récemment terminée.

Ainsi, l’action pour le climat et la biodiversité est à la croisée des chemins. Plus que jamais, il appartient à la communauté internationale de défendre un cadre de gouvernance robuste fondé sur la science et la solidarité pour que la préservation de la biodiversité ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la rentabilité immédiate.

Au-delà des déclarations d’intention, il faut mettre en place cette gouvernance de façon efficace, à travers des mesures politiques, des outils de protection et de surveillance adaptés, et surtout, à travers l’adaptation du droit. Une telle transdisciplinarité se révèle ici déterminante pour la solidarité écologique. En ce sens, l’Unoc est une bonne occasion, pour l’UE, de rester unie et forte face à la volonté de Trump de débuter l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.

The Conversation

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02.06.2025 à 15:56

Négociations Washington-Téhéran : un accord imminent sur le nucléaire iranien ?

Kevan Gafaïti, Enseignant à Sciences Po Paris en Middle East Studies, Président-fondateur de l'Institut des Relations Internationales et de Géopolitique, doctorant en science politique - relations internationales au Centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-Assas

Donald Trump espère obtenir un de ses fameux « deals » en signant un accord avec l’Iran sur le programme nucléaire de ce dernier. Mais il reste bien des obstacles…
Texte intégral (2353 mots)

Des discussions directes sont en cours entre les représentants de l’administration Trump et ceux de l’Iran. Objectif : aboutir à un accord encadrant le programme nucléaire iranien et permettant à Washington de s’assurer que Téhéran ne pourra jamais se doter de l’arme atomique. En contrepartie, l’Iran obtiendrait la levée des sanctions économiques dont il fait l’objet. Mais après les nombreuses tractations passées et l’échec de l’accord de Vienne signé en 2015 et que Trump avait quitté lors de son premier mandat, la plus grande prudence est de mise.


« Je veux que l’Iran soit un pays merveilleux, grand et heureux, mais ils ne peuvent pas avoir d’arme nucléaire », déclarait en avril dernier Donald Trump, détonant avec son ton usuellement très véhément à l’encontre de la République islamique d’Iran, qu’il qualifiait, il y a quelques années encore, de « plus grand État sponsorisant le terrorisme ».

Si Trump se montre aujourd’hui plus avenant envers Téhéran, cela s’explique par un contexte international qui semblait difficile à imaginer il y a peu : Iraniens et Américains négocient de manière bilatérale et directe – et ce, à l’initiative du locataire de la Maison Blanche. Le déroulement de ces discussions – dont l’objectif annoncé est de parvenir à un accord encadrant le programme nucléaire iranien en contrepartie de la levée de sanctions économiques américaines – renforce chaque jour la possibilité d’une entente entre ces deux États systémiquement opposés depuis 1979.

La prudence est cependant de mise, tous les scénarios restant possibles – d’un accord approfondi à un échec des négociations et une confrontation ouverte au Moyen-Orient.

Des négociations opaques laissant entrevoir des avancées concrètes

Depuis le début de l’année 2025, des discussions directes et bilatérales entre les États-Unis et l’Iran sur le programme nucléaire de ce dernier ont été annoncées en grande pompe, mais leur contenu est et reste complètement opaque.

Menées en avril à Mascate, capitale du sultanat d’Oman, sous l’égide du ministre omanais des affaires étrangères Badr bin Hamad al-Busaidi, ces négociations ont connu plusieurs séquences, à Rome puis de nouveau à Oman, un quatrième round prévu pour le 3 mai ayant finalement été reporté.

Si aucun communiqué officiel ni image n’a filtré, des déclarations de part et d’autre laissent entrevoir une désescalade réelle et des avancées tangibles. Le vice-président américain J. D. Vance a, par exemple, déclaré le 7 mai que les négociations étaient « sur la bonne voie ».

La médiation discrète, mais efficace, d’Oman a ainsi permis de rétablir des canaux de communication (à l’image de l’accord de Vienne, ou JCPOA de 2015, dont les négociations secrètes entre Iraniens et Américains s’étaient également déroulées à Mascate).

Washington exige un arrêt net de l’enrichissement de l’uranium, estimant que le niveau actuel est trop élevé. Téhéran souligne, pour sa part, son droit à un nucléaire civil. Malgré des divergences de fond, les deux parties partagent désormais un langage commun : celui du compromis pragmatique. Le ministre iranien des affaires étrangères Abbas Araghchi qualifie de « constructifs » ces échanges bilatéraux, tandis que le Guide suprême Ali Khamenei, plus circonspect, estime que certaines exigences américaines restent « excessives et scandaleuses ».

Le caractère fastidieux des négociations ne saurait masquer le fait que le dialogue se poursuit, avec une fréquence inédite depuis 2018 et la sortie américaine du JCPOA, ce qui dévoile un infléchissement stratégique majeur de part et d’autre. Dans cette séquence encore incertaine, le choix d’Oman, acteur patient et neutre, symbolise une volonté commune d’éviter la rupture et d’explorer les marges d’un possible accord.

Un accord sur le nucléaire iranien, un scénario désormais crédible

Malgré des tensions persistantes et la difficulté de déceler précisément les points d’achoppement dans ces discussions, les négociations entre les États-Unis et l’Iran ont progressé vers ce qui pourrait être un accord-cadre bilatéral, en dehors du cadre du Conseil de sécurité des Nations unies ou du P5+1 (le groupe des cinq membres permaments du Conseil de sécurité + l’Allemagne). Donald Trump a même annoncé le 15 mai que l’Iran aurait « en quelque sorte » accepté les termes d’un futur accord.

Après des échanges d’ordre politique à Oman, Téhéran et Washington sont, selon Mascate, convenus de s’entendre sur des aspects techniques du programme nucléaire iranien. Sur une base régulière quasi hebdomadaire, les négociateurs américains et iraniens se retrouvent ainsi à Rome et à Mascate pour former des groupes de travail et établir un cadre général de discussions.

Le contenu précis d’un potentiel accord reste cependant difficile à déterminer, tant les parties elles-mêmes sont encore en phase de tractation, sans qu’aucune information officielle et substantielle ne filtre. Il est cependant possible d’avancer que s’il y avait un nouvel accord, ce dernier serait bien différent du JCPOA de 2015, tant la situation présente est distincte de celle d’il y a dix ans.


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Depuis la constatation de l’obsolescence de l’accord de Vienne causée par le retrait américain de 2018, l’Iran enrichit son uranium à environ 60 % selon l’AIEA (ce qui est techniquement proche de l’enrichissement à 90 % nécessaire pour fabriquer une arme nucléaire). Pourtant, Téhéran n’a jamais explicitement affirmé vouloir développer une arme atomique, arguant même d’une fatwa du Guide suprême Khamenei qualifiant une telle arme de « contre-islamique » par nature. Les États-Unis, pour leur part, semblent chercher à conclure rapidement un accord, Trump espérant obtenir « son deal » après avoir fait échouer celui négocié par l’administration Obama.

Les demandes américaines se cantonnent au seul domaine nucléaire (écartant d’office d’autres sujets, comme la politique régionale de Téhéran ou son programme balistique) sans vouloir s’encombrer d’un accord aussi technique que celui de 2015, long de plusieurs centaines de pages : Donald Trump déclarait ainsi à la mi-mai qu’il n’avait « pas besoin de 30 pages de détail. Cela tient en une phrase : ils ne peuvent pas avoir d’arme nucléaire. »

La persistance de défis majeurs avant un accord

Bien que des avancées notables dans ces négociations se fassent jour (le principe même que Téhéran et Washington renouent le dialogue est positif en soi), de réels défis restent à surmonter avant la conclusion d’un accord nucléaire durable. Aux divergences et voix dissonantes au sein même des deux États impliqués s’ajoutent des tensions régionales, Israël et les monarchies arabes du golfe Persique étant réfractaires, à des degrés divers, à un accord Téhéran-Washington.

Côté iranien, le Guide suprême Ali Khamenei estime que certaines exigences américaines sont « dépourvues de sens » et fait preuve d’un lourd scepticisme quant à l’issue des pourparlers. Le ministre iranien des affaires étrangères a ainsi récemment rappelé que l’enrichissement de l’uranium iranien était un droit « non négociable ».

Côté états-unien, bien que l’administration Trump puisse conclure un accord exécutif sans l’aval du Congrès, le pouvoir législatif est un paramètre incontournable dans ces négociations avec l’Iran. Alors que la perspective des élections de mi-mandat, traditionnellement défavorables au parti présidentiel, commence à peser sur les équilibres politiques, le Congrès a exprimé le 8 mai 2025, par une résolution non contraignante, une opposition significative menaçant la pérennité de tout accord. Bien que majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat, les élus républicains restent usuellement farouchement opposés à tout rapprochement ou accord avec l’Iran, qui pourrait être perçu comme une forme de faiblesse à leurs yeux. Par ailleurs, des groupes de pression pro-israéliens tels que l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) ou le CUFI (Christians United for Israel) pèsent de tout leur poids pour s’opposer à un tel rapprochement.


À lire aussi : Le sionisme chrétien, une influence majeure sur la nouvelle administration Trump


Côté Moyen-Orient enfin, Israël se cantonne à un réflexe pavlovien, affirmant depuis des décennies que l’Iran serait sur le point d’obtenir l’arme nucléaire, ce qui constituerait une menace existentielle à son encontre. Tel-Aviv s’est maintes fois dit prêt à lancer une action militaire unilatérale contre les installations nucléaires iraniennes, quitte à justement déclencher une escalade incontrôlable. Benyamin Nétanyahou, reçu à Washington par le président Trump début avril, n’a pas fait varier sa ligne sur ce sujet.

Les monarchies arabes du golfe Persique suivent également ce dossier de près et ont adopté une position plus mesurée qu’il y a dix ans : elles cherchent à s’assurer du parrainage politique de Washington et de sa protection contre toute menace réelle ou potentielle, iranienne ou infra-étatique. Ces mêmes États arabes du golfe Persique renouvellent par ailleurs un dialogue fourni avec l’Iran.

Les Européens, définitivement hors jeu du dossier nucléaire iranien ?

Si l’Union européenne a longtemps incarné un médiateur diplomatique central dans les négociations nucléaires avec l’Iran, elle semble aujourd’hui complètement délaissée. Avec l’échec du JCPOA et son incapacité à maintenir des relations économiques (malgré INSTEX, mécanisme de troc avec l’Iran lancé par les Européens), l’UE a malheureusement perdu en crédibilité aux yeux de Téhéran, l’alignement de facto sur les sanctions extraterritoriales américaines dès mai 2018 achevant la confiance iranienne.

Les négociations de Vienne, pourtant lancées dès 2021 par l’administration Biden et auxquelles les diplomates européens continuent de participer, n’ont jamais abouti à un résultat concret et rien ne semble indiquer une évolution à cet endroit. Pis encore, l’auteur a relevé au cours d’entretiens avec des diplomates des pays européens signataires du JCPOA qu’ils n’étaient ni informés ni consultés par leurs homologues transatlantiques, qui les laissent complètement dans l’ignorance quant au lancement et au déroulé de leurs négociations bilatérales.

Cette marginalisation est aujourd’hui diplomatique et serait demain économique en cas d’accord : la perspective d’une levée des sanctions américaines primaires (c’est-à-dire visant uniquement les entités américaines) s’accompagnerait d’un maintien voire d’un durcissement des sanctions secondaires (s’appliquant de facto aux entités non américaines, donc européennes). Le marché iranien (90 millions de consommateurs férus de produits occidentaux) serait alors ouvert exclusivement aux États-Unis, laissant les Européens complètement hors jeu. Cela serait le produit non pas d’un désintérêt européen pour la question, mais le signe d’une perte de crédibilité stratégique et économique de Bruxelles. Sans bouclier bancaire crédible et levier politique autonome et sincère, les Européens (et la France au premier rang) sont durablement exclus du « Grand Jeu » iranien.

The Conversation

Kevan Gafaïti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 15:56

Océan et climat : quelles options pour demain ? Un regard sur la recherche en France

Devi Veytia, Dr, École normale supérieure (ENS) – PSL

Adrien Comte, Chargé de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Frédérique Viard, Directrice de recherche en biologie marine, Université de Montpellier

Jean-Pierre Gattuso, Research Professor, CNRS, Iddri, Sorbonne Université

Laurent Bopp, Research Professor, CNRS, École normale supérieure (ENS) – PSL

Marie Bonnin, Research Director in marine environmental law, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Yunne Shin, Chercheuse en écologie marine, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Le congrès de l’ONU sur les océans débutera à Nice, le 9 juin. Comment l’océan peut-il nous aider à atténuer le changement climatique et à nous y adapter ? La recherche française est mobilisée.
Texte intégral (3576 mots)

Dans quelques jours, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3) se tiendra en France, à Nice (Alpes-Maritimes). Elle réunira des dirigeants, des décideurs, des scientifiques et des parties prenantes du monde entier dans le but « d’accélérer l’action et de mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan », avec à la clé, peut-être, un « accord de Nice » qui serait constitué d’une déclaration politique négociée à l’ONU et de déclarations volontaires — c’est, du moins, l’objectif des organisateurs, la France et le Costa Rica.

Pour soutenir ces décisions, des informations scientifiques sont indispensables – quel est le statut des recherches dans le monde et, en France, pour exploiter les solutions que l’océan peut offrir face à la crise climatique ?


La France joue un rôle essentiel pour progresser vers l’objectif de conserver et utiliser durablement l’océan, puisqu’avec la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde, elle détient une grande partie du pouvoir d’orientation concernant l’utilisation des ressources océaniques.

Cependant, remplir un mandat aussi nécessaire qu’ambitieux d’accélération et de mobilisation de l’action ne sera pas simple. Les discussions de l’Unoc 3 se dérouleront dans un contexte où l’océan est confronté à des défis sans précédent dans l’histoire de l’humanité, notamment en raison des impacts de plus en plus prégnants du changement climatique.

Ces effets se manifestent avec une intensité croissante dans toutes les régions du monde, de la surface aux eaux les plus profondes de l’océan Austral autour du continent antarctique aux zones côtières densément peuplées où les risques climatiques s’accumulent, affectant notamment les pêcheries.

Les options fondées sur l’océan pour atténuer le changement climatique (par exemple en utilisant des énergies renouvelables marines qui limitent l’émission de gaz à effet de serre) et s’adapter à ses impacts (par exemple en construisant des digues) sont essentielles.

Pour optimiser leur déploiement, une synthèse exhaustive et objective des données scientifiques est indispensable. En effet, une évaluation incomplète des preuves disponibles pourrait en effet conduire à des conclusions biaisées, mettant en avant certaines options comme particulièrement adaptées tout en négligeant leurs effets secondaires ou des lacunes critiques dans les connaissances.

Au milieu de ce maelström de défis, quelle est la contribution de la France à la recherche et au déploiement d’options fondées sur l’océan ?

Grâce à une étude de 45 000 articles publiés entre 1934 à 2023, nous montrons que les chercheurs français publient une part importante des recherches scientifiques mondiales sur les options d’adaptation, mais qu’il reste néanmoins de nombreux leviers d’actions.

Par exemple, l’expertise scientifique française pourrait être développée au service de recherches sur l’adaptation des petits États insulaires en développement, qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Par ailleurs, il conviendrait d’amplifier les recherches sur les options d’atténuation, par exemple dans le domaine des énergies marines renouvelables.

Les options fondées sur l’océan, c’est quoi ?

L’océan couvre 70 % de la surface de la Terre et a absorbé 30 % des émissions humaines de dioxyde de carbone. Pourtant, jusqu’à récemment, il était négligé dans la lutte contre le changement climatique.

Aujourd’hui, de nombreuses options fondées sur l’océan émergent dans les dialogues entre scientifiques, décideurs politiques et citoyens. Ces « options fondées sur l’océan » concernent des actions qui :

  • atténuent le changement climatique et ses effets en utilisant les écosystèmes océaniques et côtiers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre atmosphériques ; il s’agit ici par exemple d’interventions utilisant l’océan pour la production d’énergie renouvelable ;

  • soutiennent l’adaptation des communautés et des écosystèmes côtiers aux impacts toujours croissants du changement climatique ; la gestion des pêches et la restauration des écosystèmes mais aussi la construction d’infrastructures protégeant les côtes des submersions font partie de ces options.

Analyser la recherche grâce à l’IA

L’un des rôles clés de la science est de fournir une synthèse impartiale des données scientifiques pour éclairer les décisions. Cependant, l’explosion du nombre de publications scientifiques rend de plus en plus difficile, voire impossible, de réaliser ces évaluations de manière exhaustive.

C’est là qu’interviennent l’intelligence artificielle (IA) et les grands modèles de langage, qui ont déjà un succès notable, depuis les robots conversationnels aux algorithmes de recherche sur Internet.

Dans un travail de recherche en cours d’évaluation, nous avons étendu ces nouvelles applications de l’IA à l’interface science-politique, en utilisant un grand modèle de langage pour analyser la contribution de la France dans le paysage de la recherche sur les options fondées sur l’océan. Grâce à ce modèle, nous avons classé environ 45 000 articles scientifiques et dédiés aux options fondées sur l’océan.

nombres d’articles par thématiques et par pays
Pays classés en fonction de leur production d’articles scientifiques pour différents types d’options fondées sur l’océan. Exemples pour chacune de ces options : les énergies renouvelables (parcs éoliens offshore, les turbines marémotrices) ; éliminer ou stocker le CO₂ (le stockage du carbone capturé dans le fond des océans, les approches de géo-ingénierie pour séquestrer le carbone) ; accroître l’efficacité (la réduction des émissions des navires grâce à des moteurs plus efficaces) ; développer des actions de conservation (protection ou restauration des écosystèmes marins et côtiers) ; réaliser de l’évolution assistée (développer des coraux génétiquement tolérants à la chaleur pour lutter contre l’élévation des températures de la mer) ; développer des infrastructures et technologies (les digues, les barrières antisubmersion, les systèmes d’alerte météorologique) ; agir sur les leviers socioinstitutionnels (modifier les pratiques de pêche dans les communautés côtières touchées). Devi Veytia et collaborateurs, Fourni par l'auteur

Au niveau mondial, nous constatons que la recherche est inégalement répartie puisque 80 % des articles portent sur les options d’atténuation. Les auteurs de travaux de recherche affiliés à la France jouent ici un rôle important, car ils sont parmi les principaux contributeurs des travaux dédiés aux options d’adaptation.

Cette priorité de la recherche sur l’adaptation est également présente dans les travaux des chercheurs affiliés à des institutions de petits États insulaires en développement, qui présentent un risque élevé de dangers côtiers exacerbés par le changement climatique, avec les évènements climatiques extrêmes et l’élévation du niveau de la mer.

Proportion de pays donnant la priorité à la recherche sur les options d’atténuation par rapport aux options d’adaptation, selon que les États soient côtiers ou enclavés sans accès à la mer ou qu’il s’agisse de petits États insulaires en développement. Par exemple, 81,2 % des petits États insulaires en développement publient plus de recherches sur les options d’adaptation que sur les options d’atténuation. Devi Veytia et collaborateurs, Fourni par l'auteur

La recherche sur les réseaux sociaux et dans les médias

L’impact de la recherche française s’étend bien au-delà de ses frontières, suscitant l’intérêt via les réseaux sociaux et les médias traditionnels à travers l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australie.

À mesure que l’accès à l’information et aux plateformes de diffusion accroît la portée et l’influence de l’opinion publique dans l’élaboration des politiques, il devient crucial non seulement de communiquer, mais aussi d’impliquer d’autres acteurs afin de traduire la science en dispositions réglementaires et, à terme, en actions concrètes.

planisphere illustrant la présence de la recherche sur les réseaux sociaux
Origine géographique et quantité des posts mentionnant une recherche publiée par un auteur affilié à une institution française (y compris les posts sur les sites d’actualités, les blogs, X, LinkedIn, BlueSky, Facebook, Reddit, YouTube, etc.). Devi Veytia et collaborateurs, à partir des données Altmetric (2025), Fourni par l'auteur

Quels obstacles pour passer de l’idée à l’action ?

Cette évolution, de l’idée à l’action, est une progression classique dans le cycle de vie d’une intervention. D’abord, un problème ou un impact potentiel est identifié, ce qui motive la recherche scientifique à en étudier les causes et à développer des solutions pour y répondre. Une fois cette étape franchie, l’intervention peut être intégrée dans la législation, incitant ainsi les parties prenantes à agir. Mais ce processus est-il applicable aux options fondées sur l’océan, ou y a-t-il des obstacles supplémentaires à considérer ?

Nous avons étudié cette situation en France pour deux options technologiques prêtes à être déployées et d’ores et déjà mises en œuvre : les énergies marines renouvelables, proposées pour atténuer le changement climatique, et les infrastructures construites et technologies d’adaptation sociétales face à la montée du niveau des mers.

Concernant les énergies marines renouvelables – une intervention jugée efficace à l’atténuation du changement climatique et dont les risques sont bien documentés et modérés –, le déploiement en France semble lent au regard du reste du monde (ligne en pointillé dans la figure ci-dessous).

augmentation des effets du chagement climatiques, des recherches, legislations et actions qui s’ensuivent
Le cycle de vie de l’idée à l’action pour les énergies marines renouvelables en France. De haut en bas, la figure représente un diagramme à barres de l’anomalie de la température ( °C) de surface de la mer (période de base : 1961-1990, source : Ranier et al. 2006), le nombre de publications par an prédites comme pertinentes par notre grand modèle de langage (ligne jaune), l’action mesurée par la capacité électrique installée (MW) en France (ligne bleue continue, (source : statistiques sur les énergies renouvelables de l’Irena) et pour les autres pays (ligne bleue en pointillé), et le nombre de documents législatifs français identifiés (carrés roses) en utilisant une recherche par mot clé du texte intégral du document (sources : Faolex et Ecolex). Devi Veytia et collaborateurs, avec les données précisées dans la légende, Fourni par l'auteur

En revanche, les leviers d’actions en faveur des infrastructures d’adaptation sociétales semblent plus mobilisés face aux pressions croissantes exercées par les risques climatiques côtiers.

Ainsi, nous constatons qu’à mesure que l’élévation du niveau de la mer s’accentue et, par conséquent, entraîne un besoin croissant de protections côtières, la recherche, la législation et l’action (représentée par le nombre de communes françaises exposées aux risques côtiers bénéficiant d’un plan de prévention des risques naturels (PPRN)) augmentent également, en particulier après 2010.

En résumé, concernant les énergies marines renouvelables, la France accuse un certain retard dans le passage de l’idée à l’action par rapport au reste du monde. Cela pourrait s’expliquer par une priorité accordée à d’autres mesures d’atténuation (par exemple, l’énergie nucléaire). Cependant, nous ne devrions pas nous limiter à une ou à quelques options dans l’objectif d’accroître notre potentiel d’atténuation global. La France a la possibilité d’investir davantage dans les recherches et actions d’atténuation.

La France affiche un très bon bilan en matière de recherche et de mise en œuvre d’options d’adaptation au changement climatique. Par ailleurs, sur ce type d’options, nous avons constaté un besoin global de recherche dans les pays en développement exposés aux risques côtiers — ce qui pourrait ouvrir de nouvelles opportunités, pour les institutions de recherche françaises, en termes de soutien à la recherche et de renforcement de leurs capacités dans ces domaines.

Alors que nous approchons de l’Unoc 3 – un moment critique pour la prise de décision – une chose est claire : il n’y a pas une seule solution mais des choix sont nécessaires ; il est donc essentiel de trouver les moyens d’évaluer et de synthétiser rapidement les preuves scientifiques pour éclairer nos actions d’aujourd’hui, ainsi que proposer de nouvelles pistes de recherche en amont des actions innovantes de demain.

The Conversation

Devi Veytia a reçu des financements du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) « Océan et Climat », porté par le CNRS et l’Ifremer.

Frédérique Viard a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et de l'Europe (programme Horizon Europe).

Jean-Pierre Gattuso a reçu des financements de Comission européenne, Fondation Prince Albert II de Monaco.

Laurent Bopp est Membre du Conseil Scientifique de la Plateforme Ocean-Climat. Il a reçu des financements de recherche dans le cadre de projet de mécennat de la société Chanel et de de Schmidt Sciences.

Marie Bonnin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et de l'Europe (programme Horizon Europe).

Yunne Shin a reçu des financements de l'Europe (programme Horizon Europe)

Adrien Comte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 15:54

Près d‘un étudiant sur cinq se réoriente à bac +1 : ajustement, rupture ou échec ?

Dorian Vancoppenolle, Doctorant en Sciences de l'Éducation et de la Formation, Université Lumière Lyon 2

Près d’un jeune sur cinq se réoriente après une première année dans le supérieur. Un record qui interroge sur les dynamiques de réussite et d’orientation.
Texte intégral (1805 mots)

Alors que les lycéens reçoivent leurs résultats sur Parcoursup, les étudiants qui envisagent de changer de voie se connectent de nouveau à la plateforme. Près d’un sur cinq choisit désormais de se réorienter après une première année dans l’enseignement supérieur. Un record qui soulève des questions cruciales sur les dynamiques de réussite, d’inégalités et d’orientation.


Depuis les années 1960, la massification scolaire a permis un accès élargi au baccalauréat, puis aux études supérieures, sans toutefois mettre fin aux inégalités : celles-ci se recomposent à travers la hiérarchisation des parcours, la segmentation des filières ou encore des effets d’orientation différenciée selon l’origine sociale et le genre.

L’accès aux études supérieures est plus large, mais inégal selon les filières, ce qui limite l’effet redistributif de la massification. Le système éducatif français tend ainsi à reproduire, voire à produire, des inégalités sociales, culturelles et scolaires tout au long des parcours, malgré l’idéal méritocratique affiché par les pouvoirs publics.


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Aujourd’hui, l’un des effets les plus visibles de ces tensions réside dans les trajectoires étudiantes après le bac, en particulier lors de la première année, marquée par un taux de réorientation important.

Conséquence indirecte de la massification scolaire, la réorientation n’est pas nécessairement un aveu d’échec. Elle devient une étape de redéfinition des trajectoires, révélant à la fois les aspirations des jeunes et les limites d’un système qui, tout en se démocratisant, continue de reproduire des inégalités sociales.

Dans un contexte marqué par les réformes du bac, de l’accès aux études de santé et de la refonte du diplôme universitaire de technologie (DUT) en bachelor universitaire de technologie (BUT), ces constats interrogent : pourquoi tant de jeunes entament-ils une réorientation après une seule année, et quelles en sont les conséquences ?

Notre analyse porte sur les données Parcoursup entre 2018 et 2023, en se concentrant sur les étudiants qui se sont réinscrits après une première année dans le supérieur. Seuls les parcours passés par la plateforme sont pris en compte, ce qui exclut les formations hors Parcoursup, comme certaines écoles privées ou classes préparatoires internes, en raison de l’absence de données disponibles.

Des ajustements progressifs de parcours

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle une réorientation serait synonyme de rupture totale, les données montrent que la plupart des étudiants restent dans un univers disciplinaire proche de leur formation d’origine. Celles et ceux qui commencent une licence de sciences humaines et sociales, de droit ou de sciences expérimentales poursuivent souvent dans ces mêmes domaines ou dans des filières voisines. La logique dominante n’est donc pas celle du grand saut, mais plutôt celle de l’ajustement progressif.

Certaines formations font néanmoins figure de points de départ majeurs. C’est le cas de la filière santé, qu’elle s’appelle « première année commune aux études de santé (Paces) » ou « parcours accès santé spécifique (Pass) » : chaque année, une partie importante des étudiants s’en détourne après la première année, en se réorientant vers des licences scientifiques, des diplômes du secteur sanitaire et social ou, plus rarement, vers les filières juridiques ou littéraires. Malgré sa réforme, le Pass reste ainsi un espace de réajustement des parcours très fréquent.

À l’inverse, d’autres filières apparaissent comme des points d’arrivée privilégiés. Les brevets de technicien supérieur (BTS), en particulier, accueillent chaque année un grand nombre d’étudiants venus d’horizons très divers : université, santé, sciences humaines, etc.


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Enfin, certains domaines, comme les licences Arts, Lettres, Langues ou Droit, Économie, Gestion, connaissent des flux relativement stables : les réorientations y restent internes, comme si les étudiants cherchaient moins à changer de cap qu’à modifier leur angle d’approche (contenus, options, établissements, etc.).

En somme, nous pouvons affirmer que les trajectoires étudiantes se complexifient. Derrière ces mouvements, il ne faut pas voir un simple signe d’instabilité : les réorientations dessinent de nouvelles manières de construire un projet, par essais, par détours et par réajustements.

La réorientation mobilise des ressources inégalement distribuées

Les titulaires d’un bac général sont surreprésentés parmi les étudiants en réorientation après une première année dans l’enseignement supérieur : ils représentaient 73 % des candidats acceptant une nouvelle proposition en 2023, contre 68 % en 2019. À l’inverse, la part des bacheliers technologiques et professionnels parmi les étudiants en réorientation a reculé entre 2019 et 2023, passant respectivement de 22 % à 19 % et de 10 % à 8 %. À des fins de contextualisation, les titulaires d’un bac général représentaient 54 % des diplômés du bac en 2022, contre 20 % pour les technologiques et 26 % pour les professionnels, ce qui indique une plus forte réorientation des généralistes.

Cette dynamique peut refléter une plus grande flexibilité des parcours ou, à l’inverse, des obstacles spécifiques freinant la mobilité académique des autres bacs.

Durant la même période, une logique semblable se retrouve du côté des catégories sociales : les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures passent de 30 % à 32 % du public en réorientation, tandis que les enfants d’ouvriers reculent de 14 % à 11 %. Ces chiffres sont à mettre en regard de leur poids dans la population (21,7 % pour les cadres, 18,6 % pour les ouvriers) et parmi les bacheliers : un quart des titulaires du bac sont issus d’un milieu de cadres. Leur surreprésentation en réorientation s’inscrit donc dans une continuité sociale.

La réussite scolaire précédente a aussi une influence : les réorientés sans mention au bac représentaient 47 % du public en 2018, contre 33 % en 2023. Dans le même temps, la part des mentions « assez bien » augmente, devenant même majoritaire en 2022 (36 %). Cette évolution suit celle du système d’évaluation, qui est marqué par l’essor du contrôle continu.

Enfin, le sexe administratif révèle des disparités genrées : en 2023, 59 % des réorientés sont des filles contre 41 % de garçons, en hausse par rapport à 57 % et 43 % en 2018. Ces écarts sont cohérents avec les taux d’obtention du bac (93 % des filles contre 88 % des garçons en 2022), mais aussi avec des stratégies différenciées de choix d’orientation selon le genre.

Comment l’expliquer ? La réorientation mobilise des ressources inégalement distribuées : compréhension des mécanismes d’affectation, capacité à formuler des vœux stratégiques, anticipation des calendriers, accès à un accompagnement souvent familial ou encore confiance en sa légitimité à changer de voie. Autant d’éléments qui prolongent la critique d’un système scolaire méritocratique en apparence, mais inégalitaire dans les faits.

Une première année d’exploration de l’enseignement supérieur ?

L’évolution des usages de Parcoursup montre une chose : les étudiants utilisent de plus en plus la première année pour « tester », voire réajuster, leur orientation. Ce n’est pas un mal en soi : expérimenter, essayer, se tromper fait partie de la vie étudiante. Mais, cela suppose que les institutions suivent, avec des capacités d’accueil adaptées, un accompagnement renforcé, et surtout une équité entre les primo-entrants et les réorientés.

Or, sur ces points, les politiques publiques accusent un retard : les réorientations ne sont ni anticipées ni outillées, et les étudiants les plus fragiles restent ceux qui en payent le prix.

Les lycéens et les étudiants souhaitant se réorienter en première année d’études supérieures passent par la même plateforme. Ce phénomène complexifie la gestion des places, car les candidats peuvent postuler tout en restant inscrits dans leur formation actuelle. Pensée comme un outil d’accès à l’enseignement supérieur, Parcoursup joue désormais aussi un rôle central et parfois flou dans les réorientations.

La réorientation ne peut pas être considérée comme un échec, c’est souvent la preuve d’un ajustement lucide. Encore faut-il que les outils suivent, et que les logiques d’exclusion ne se perpétuent pas. Plutôt que de juger les étudiants qui changent de voie, il est temps de reconnaître qu’au vu de l’évolution du système éducatif, la première année d’études est devenue un moment d’exploration souvent nécessaire.

Il s’agit maintenant collectivement de faire en sorte qu’elle ne devienne pas une fabrique de tri social. Cela suppose d’adapter les bourses, logements, et dispositifs d’aide aux étudiants déjà inscrits dans le supérieur. C’est une manière de réduire les inégalités de « mobilité scolaire ».

The Conversation

Dorian Vancoppenolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 14:52

Finale de la Ligue des champions UEFA 2025 : une bataille pour la gloire sur fond d’argent et de mode

Simon Chadwick, Professor of AfroEurasian Sport, EM Lyon Business School

Paul Widdop, Associate Professor of Sport Business, Manchester Metropolitan University

Ronnie Das, Associate Professor in Data Science, Sports Analytics and AI, The University of Western Australia

PSG et Inter, deux équipes stars de football. Paris et Milan, deux villes emblématiques de la mode. Fonds qatari Qatar Sports Investments et fonds états-unien Oaktree, deux propriétaires richissimes.
Texte intégral (1439 mots)

La finale masculine de la Ligue des champions 2025 de l’UEFA s’est terminée par un triomphe du Paris Saint-Germain sur l’Inter de Milan (5-0). PSG et Inter, deux équipes stars de football. Paris et Milan, deux villes emblématiques de la mode. Fonds qatari Qatar Sports Investments et fonds états-unien Oaktree, deux propriétaires richissimes.


Quelle qu’ait été l’équipe gagnante, l’UEFA loue le succès de son nouveau format, impliquant plus d’équipes, plus de matchs et plus de fans. Bien sûr, tout le monde n’est pas d’accord avec ce nouveau format. Mais en résultats commerciaux, il ne fait aucun doute que la Ligue des champions continue de générer d’énormes sommes d’argent pour toutes les personnes impliquées.

Grâce aux droits de diffusion lucratifs, aux accords de sponsoring et à la vente de billets, les sommes distribuées aux clubs à l’issue de la compétition de cette saison sont exorbitantes : plus de 2,4 milliards d’euros de prix en jeu, contre 2 milliards d’euros l’an dernier.

En atteignant la finale, le Paris Saint-Germain (PSG) a déjà gagné 138 millions d’euros, et l’Inter Milan 137,39 millions d’euros.

Le PSG a reçu une récompense supplémentaire de 6,46 millions d’euros, tandis que la victoire devrait également générer environ 35,58 millions d’euros de revenus futurs en participant à des tournois comme la Supercoupe d’Europe.

La qualification pour la finale a également stimulé la valeur de la marque des clubs et l’engagement des fans. Dans les dernières étapes du tournoi, l’Inter Milan a connu une énorme croissance de son nombre de followers sur les réseaux sociaux.

Mais malgré tous les chiffres importants figurant sur les relevés de revenus et les comptes de médias sociaux, la finale de cette année a une dimension culturelle qui est difficile à mesurer uniquement en chiffres.

Football et mode

Paris et Milan sont toutes deux des capitales mondiales de la mode, abritant des créateurs célèbres et des marques convoitées dans le monde entier. Le PSG et l’Inter Milan ont pour mission d’imiter ces marques, avec un football attrayant qui apporte prestige et héritage.

Certains parallèles peuvent être établis entre le style des équipes et les deux villes rivales. Le PSG, par exemple, en se concentrant sur la construction d’une équipe remplie de jeunes talents locaux, a réussi à refléter la sophistication et la flamboyance de Paris.


À lire aussi : Derrière la rivalité des clubs de football, celle (de l’ego) de leurs présidents


Les partenariats de l’équipe avec Jordan et Dior positionnent le club comme un réceptacle pour l’image mondiale de la ville : audacieuse, luxueuse, cosmopolite.

L’Inter de Milan, quant à elle, bien qu’elle manque de joueurs de renom, incarne une approche italienne classique, disciplinée et défensive du football – historiquement appelée catenaccio, et pouvant se traduire par « verrou ». Un accord parfait avec le style vif et distinctif des maisons de couture basées à Milan.

Cette identité n’est pas enracinée dans la flamboyance, mais dans le raffinement et la rigueur – à l’image de la confection précise de Prada et Armani. Si le PSG est l’emblème du luxe mondial, l’Inter est le modèle de la culture du design italien, moins performatif, mais plus exigeant.

Identité urbaine

Ensemble, le PSG et l’Inter sont les ambassadeurs de l’identité urbaine pour ces villes. Paris et Milan cherchent à exercer une influence bien au-delà de leurs frontières, une stratégie de soft power non seulement à travers l’architecture ou le tourisme, mais aussi à travers la performance esthétique du sport.

De cette façon, le football devient le théâtre d’une compétition symbolique entre les villes, où l’identité civique est canalisée à travers des images symboliques et matérielles telles que des kits, des campagnes et des fans internationaux. Dans cette finale, il y a un choc d’ambition urbaine, un jeu de soft power entre deux des métropoles les plus soucieuses de leur image en Europe.

Sur le plan géopolitique, les enjeux sont nombreux. La deuxième participation du PSG à une finale de la Ligue des champions est d’une importance capitale pour les propriétaires qataris du club. Le président Nasser al-Khelaïfi a passé des années à investir dans des joueurs vedettes étrangers pour aider à construire l’image de l’État du Golfe. Ces dernières saisons, le club a changé de stratégie vers la signature de jeunes talents locaux.

Cela a permis au PSG de se positionner comme un club parisien tout en renforçant les relations qatariennes avec le gouvernement français. C’est particulièrement important à l’heure actuelle car, à partir de la saison prochaine, le PSG aura un rival local. L’année dernière, LVMH a acquis le Paris FC, qui semble prêt à se battre avec son rival local pour le titre de club le plus en vue de la capitale.

Pour sa part, l’Inter a récemment changé de propriétaire, en passant des mains de la famille Zhang à celles du fonds d’investissement Oaktree. Acquis par une entreprise chinoise en 2016, le club a connu des difficultés – malgré une autre finale de Ligue des champions en 2023 – alors que la tentative de révolution du football chinois a échoué.

En mai 2024, le club a été racheté par un fonds d’investissement américain. Ces dernières années, il s’agit d’une tendance dans le football européen selon laquelle le capital-investissement américain a triomphé des investissements soutenus par les États.

Tout cela met en place une autre bataille de football classique de notre époque. Alors que 450 millions de personnes regardent une finale de la Ligue des champions, le ballon rond est devenu un choc d’idéologies autant qu’il s’agit de stars, de villes et de mode.

The Conversation

Simon Chadwick teaches for UEFA's Academy and is a Programme Lead for the European Club Association.

Paul Widdop et Ronnie Das ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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02.06.2025 à 12:46

Quand la com’ s’emballe : le feu de paille du « starter pack »

Sophie Renault, Professeur des Universités en Sciences de Gestion et du Management, Université d’Orléans

La mode du starter pack s’est emparée de certaines marques à l’affût de toutes les tendances. Une mode aussi fulgurante qu’éphémère ? Quelles leçons pour la communication d’entreprise ?
Texte intégral (1695 mots)

Adoptés par de nombreuses marques, les visuels de figurines sous starter pack ont rapidement envahi les réseaux sociaux. Derrière cette stratégie virale en apparence efficace se cache une communication mimétique, simplificatrice qui s’est rapidement trouvée en situation d’essoufflement. Une tendance qui en dit long sur les dérives de la communication à l’ère de l’instantanéité.


En avril 2025, il était difficile d’échapper à la vague des « starter packs ». Les réseaux sociaux LinkedIn, Instagram ou bien encore Facebook ont été submergés par des visuels, tous construits selon le même schéma : une figurine numérique, enfermée dans un blister plastique, entourée d’accessoires miniatures et nommée selon un profil type : « Consultante dynamique », « Manager HPI », « RH en télétravail »… Le tout génère immédiatement un effet de connivence : l’on s’identifie, on like, on partage.

Le plus souvent généré par intelligence artificielle, le starter pack reprend l’idée d’associer une série d’objets représentatifs à un profil type, en l’inscrivant dans l’esthétique du jouet. De madame et monsieur Tout-le-Monde aux personnalités publiques comme Élodie Gossuin ou Alexia Laroche-Joubert, en passant par différentes organisations, tous ont contribué à populariser le format starter pack. France Travail, l’Afpa, Basic Fit, Lidl, Paul, Vichy, Michelin ou bien encore Extrême Ice Cream… nombreuses sont les organisations ayant décliné leur univers sous forme de figurines stylisées.

Le format séduit, car il est immédiatement lisible, amusant, propice à l’interaction. Il permet aussi aux acteurs institutionnels ou marchands d’adopter un ton plus léger, plus complice.

Mais cette efficacité visuelle repose sur une logique de standardisation, voire de blanding. In fine, ce qui fait la force du starter pack, c’est-à-dire sa clarté formelle et sa facilité de mise en œuvre, est aussi ce qui a rapidement causé sa perte.

Un feu de paille numérique

En quelques semaines à peine, la mécanique se retourne contre elle-même. Les publications se ressemblent, les accessoires deviennent interchangeables, les profils sont redondants. L’œil se lasse, l’attention baisse, l’effet de surprise disparaît.

La tendance se banalise au point de susciter l’ironie et la lassitude des internautes. Ce rapide essoufflement est typique des feux de paille numériques, où la viralité repose sur l’imitation, jusqu’à l’overdose.

Mais ici, l’enjeu est plus profond : il interroge la stratégie des marques elles-mêmes. Car en reprenant ce format sans en questionner les limites, elles contribuent à une communication mimétique, standardisée, où l’unicité du message est sacrifiée au profit de la visibilité à très court voire ultra court terme.


À lire aussi : Marketing sur les réseaux sociaux : à chaque produit son influenceur…


Au-delà de la redondance visuelle, le format pose problème dans ce qu’il représente : il réduit une personne, un métier ou un style de vie à une série d’attributs figés. La mise en perspective des métiers en tension par France Travail est de ce point de vue symptomatique. Enfermés dans leur « starter pack », un agriculteur avec fourche, tracteur et pot à lait ou bien encore l’aide de cuisine avec une poêle et un faitout. La caricature n’est pas seulement visuelle. L’humour masque mal la simplification excessive. Et cette simplification est d’autant plus problématique que nombre des organisations qui ont surfé sur cette tendance se veulent inclusives.

Esthétique plastique, IA générative… et résistance créative

Le choix esthétique du blister plastique n’est pas anodin. Il évoque l’univers de l’objet standardisé, du produit prêt à consommer, de la figurine figée. Cette symbolique plastique, ludique en apparence, entre en dissonance avec les discours actuels sur la responsabilité des marques, la durabilité ou bien encore l’authenticité.


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Autre élément sujet à polémiques : la plupart de ces visuels sont générés par intelligence artificielle (IA). La promesse de gain de temps et d’efficacité graphique masque une réalité moins reluisante : production massive de contenus à faible valeur ajoutée, mais dont l’empreinte carbone est croissante. La multiplication d’images par IA interroge profondément à l’heure où la sobriété numérique devient un objectif affiché par les organisations. Combien de « prompts » avant d’obtenir le starter pack espéré ?

La riposte « humaine » au prêt-à-com’

Face à cette standardisation accélérée, une contre-tendance artisanale a vu le jour. En écho à l’initiative du dessinateur français Patouret, plusieurs illustrateurs ont lancé le hashtag #StarterPackNoAI pour proposer des versions dessinées à la main de ces figurines, revendiquant une démarche 100 % humaine et incarnée.

Une manière de remettre de la singularité dans un format devenu générique et de rappeler que la créativité n’a pas à être automatisée pour être pertinente.

France Info, 2025.

Beaucoup d’organisations ont ainsi, au travers de ce choix de communication, ouvert la voie aux critiques. Citons les commentaires suscités par la mise en perspective des métiers en tension par France Travail :

« Pas ouf d’utiliser cette trend polluante, terriblement gourmande en ressources naturelles et un véritable pied-de-nez aux artistes alors que des graphistes inscrits [à France Travail] seraient ravis de rejoindre les équipes de Com’ en DR [direction régionale], DT [direction territoriale], DG [direction générale]… […] Surfer sur les tendances de ce genre, pour moi, c’est remettre en question le sérieux de l’institution. Encore une fois, il y a des graphistes qui cherchent du taf, et ça n’a jamais dérangé différentes strates de France Travail de faire appel à des prestataires… »

ou bien encore un laconique :

« Pas de RSE à FT [France Travail], juste “greenwashing et trendsurfing”. »

Des images qui claquent, un message qui flanche

Le succès éclair du starter pack en dit long sur les tensions qui traversent aujourd’hui la communication des marques.

Tiraillées entre la nécessité de produire vite, de suivre les tendances, d’être vues, et la volonté de construire du sens, elles cèdent trop souvent à l’appel de formats prêts à l’emploi, esthétiques mais creux.

Le starter pack aura été un joli emballage pour peu de messages. Un outil de communication qui amuse un instant, mais ne construit ni confiance ni engagement durable. Ce n’est pas un nouveau langage, c’est un symptôme : celui d’une communication fascinée par l’effet, mais en perte de sens.

The Conversation

Sophie Renault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 12:46

L’entreprise libérée donne-t-elle du courage ?

Clara Letierce, Enseignante-Chercheure en Management Stratégique, Burgundy School of Business

Anne-Sophie Dubey, Maîtresse de conférences en Théorie des organisations (Cnam), PhD Sciences de gestion/Éthique des affaires (Polytechnique Paris), MSc Philosophie et Politiques publiques (LSE), Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Caroline Mattelin-Pierrard, Maître de conférences en sciences de gestion et du management, Université Savoie Mont Blanc

Matthieu Battistelli, Maitre de conférences en sciences de gestion, IAE Savoie Mont Blanc

Dans l’entreprise libérée, le rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui ose prendre des décisions difficiles et courageuses ?
Texte intégral (2065 mots)
Il ne s’agit pas seulement d’oser, mais de savoir quand et comment le faire pour préserver le collectif, tout en limitant les tensions. lassedesignen/Shutterstock

Dans l’entreprise libérée, le rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui ose prendre des décisions difficiles ? L’entreprise libérée donne-t-elle du courage ? Oui, à condition qu’elle équilibre autonomie individuelle et préservation du collectif, et fasse du courage une pratique partagée au quotidien.


En mars dernier, Jean-François Zobrist, à la tête de la fonderie d’Hallencourt de 1983 à 2009, est mort. Ce dirigeant d’entreprise singulier a mis en place son concept de « l’entreprise libérée ». Ses mantras : la confiance plus que le contrôle, l’homme est bon alors faisons-lui confiance.

Traditionnellement, le manager incarne un nœud de pouvoir et porte, souvent seul, les responsabilités des décisions. Dans l’entreprise libérée, ce rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui prend la responsabilité de dire à ses collègues quand ils ne sont « plus dans le coup », que l’entreprise perd en efficacité, qu’un recrutement ne fonctionne pas. En résumé, qui ose dire et prendre des décisions difficiles ?

Les entreprises libérées semblent exiger davantage de courage. Comment créer un environnement favorable à ces actions courageuses ? Ou, dis autrement, comment permettent-elles de construire des organisations encourageantes ? Longtemps perçu comme une vertu individuelle au sens d’Aristote, le courage au travail mérite d’être repensé collectivement. En nous inspirant de la philosophie néo-aristotélicienne et de travaux récents en sciences de gestion, nous avons étudié trois entreprises – FlexJob, Innovaflow et Fly The Nest – assimilées entreprise libérée pour comprendre ce qui permet aux salariés d’oser être, dire et agir, tout en préservant le ciment du collectif.

Le courage ne se décrète pas, il s’apprend

Les salariés participent activement aux choix moraux et à leur incarnation dans le déploiement stratégique de l’entreprise. Ils vont parfois jusqu’à refuser des projets incompatibles avec leurs valeurs communes.

« L’éthique, c’est se dire : “On se fait suffisamment confiance dans la collaboration, on vient se nourrir l’un l’autre.” On ne se met pas en mode : “Je viens prendre ce que j’ai à prendre et je me casse.” Donc il y a ce côté-là entre nous. Et ça se décline aussi sur l’éthique professionnelle avec les clients. » (Innovaflow)

Ces discussions sont complexes, car elles font appel aux valeurs et expériences personnelles. Elles exposent les vulnérabilités de chacun. Il ne s’agit pas seulement d’oser, mais de savoir quand et comment le faire pour préserver le collectif en limitant les tensions. Autrement dit, les décisions courageuses doivent intégrer leur impact émotionnel sur le collectif. Les salariés doivent discerner quand et où partager leurs arguments. Les questions financières et salariales, par exemple, peuvent en fait devenir éthiques au regard des enjeux émotionnels qu’elles provoquent.

« En sachant que la [question de l’argent] va faire vivre des émotions parce qu’on est des humains et que l’argent, c’est un sujet tabou qui cristallise plein de choses… […] il y a une logique de performance, de développement de l’activité, de justice… Le salaire n’est pas forcément toujours juste vis-à-vis d’autres dans la boite par rapport à qui apporte effectivement plus. » (FlexJob)

S’outiller

Pour encourager ces délibérations, ces entreprises mettent en place des dispositifs pour « outiller » le courage :

  • La mise en place de règles de fonctionnement transparentes : processus de fixation des salaires, régulation des horaires de travail ou des plans de charge, suivi des frais de déplacement, etc.

« Je prends l’exemple du plan de charge d’une personne qui a onze jours, une personne qui a deux jours. Si la règle c’est de tous viser sept ou huit jours, on s’appuie sur cette règle et probablement qu’il n’y aura même pas besoin de le dire. […] Tu n’as même plus besoin de gérer les tensions. Mais pour ça, il faut créer les conditions. » (Flexjob)

  • Des processus clairs et institutionnalisés, qui viennent rythmer la prise de décision

« On a remis à jour notre process de décision en se disant : “Déjà, c’est quoi, une décision très stratégique, une décision moyennement stratégique ?” Et à chaque fois, il y a un process différent. Et on donne la possibilité de faire à l’écrit ou à l’oral. Certains ont dit :“Moi, j’ai besoin d’avoir du temps avant de décider.” Donc on a dit : “D’abord, tu envoies un message à l’écrit et après, on décide à l’oral.” Donc, de séparer des temps. » (Fly The Nest)

Organisation apprenante

Plutôt que de subir les règles imposées par des normes financières ou sociales, les entreprises libérées développent une approche évolutive de leurs pratiques, ce qui demande du courage. Chez FlexJob, l’un des principes fondateurs est la capacité permanente à questionner et modifier les règles existantes. Chaque processus, chaque outil de gestion peut être revu et amélioré si le collectif estime qu’il ne correspond plus aux besoins de l’entreprise.


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« Nous avons commencé à compter notre temps de travail. Nous, on veut travailler idéalement 32 heures par semaine. Tous les mois, mon cercle va demander aux gens : “Est-ce que vous vous situez à peu près à 32 heures par semaine ?” […] Voilà, c’est des petites choses, c’est du test, mais pour encourager l’individu qui essaie de gérer beaucoup trop de choses, à faire ce qui est bon pour elle et l’organisation. » (Fly The Nest)

Tensions et paradoxes

Si l’entreprise libérée se veut un espace propice au courage, elle soulève aussi tensions et paradoxes :

1. Trop de bienveillance empêche-t-elle le courage ?

La culture de la bienveillance, souvent mise en avant dans ces entreprises, peut paradoxalement freiner l’expression d’un courage authentique. Les employés peuvent hésiter à exprimer un désaccord par peur de heurter le collectif.

« Moi, j’ai encore du mal à faire des feedbacks, j’ai encore du mal à le faire, parce que je suis de nature très empathique, parce que je déteste le conflit. » (Fly The Nest)

2. L’autonomie est-elle oppressive ?

Le collectif peut instaurer des normes implicites de comportement qui restreignent la liberté individuelle. Si chaque individu est responsable de ses actes, la pression sociale peut ainsi devenir un substitut à la hiérarchie traditionnelle ou à la règle. Ce phénomène est documenté dans certaines entreprises libérées, où l’adhésion aux valeurs communes devient une injonction difficile à questionner.

3. Le courage du désaccord est-il réellement encouragé ?

L’un des piliers des entreprises libérées est la prise de décision collective. Le désaccord est souvent sous-exploité dans ces entreprises. Le mécanisme d’objection, bien que prévu, n’est pas facilement utilisé, par peur de dégrader la relation à l’autre et de se voir exclu du collectif (c’est ce que l’on nomme le « dilemme relationnel »).

« Je propose d’essayer non pas de définir des règles plus claires pour qu’il y ait moins de conflits, mais au contraire de définir des zones communes plus grandes pour qu’il y ait plus de conflits, et régler systématiquement ces conflits pour qu’on s’habitue à se dire les choses et qu’on crée la confiance, en “s’affrontant” sur des choses un peu plus triviales, pour être capables de dire quand ça ne va pas. » (Fly The Nest)

La distanciation critique

Au-delà de son outillage, le courage au travail se nourrit de mécanismes de distanciation critique. Incarnée par des rituels et des moments de recul, elle introduit une culture du courage permettant aux salariés de partager librement leurs doutes et d’être soutenus dans leurs prises de décision. Cette régulation collective prévient les risques de dérives individualistes et/ou sectaires, identifiés comme des dangers dans les entreprises libérées.

Le courage n’est pas qu’un état d’esprit : il repose sur des dispositifs organisationnels aidant les individus à gérer leurs craintes des répercussions négatives de leurs actes. Plutôt que d’évacuer à tout prix les émotions, il s’agit de les interroger pour y réagir dans la juste mesure, dans la lignée de la pensée d’Aristote. Il n’y a pas de courage sans peur, ce qui implique comme corollaire que le courage ne doit pas devenir une fin en soi.

Le courage, c’est parfois ne pas céder à une franchise prématurée, c’est savoir attendre ou se taire, pour protéger la qualité de la relation au travail et choisir le bon moment. Finalement, l’entreprise libérée est-elle véritablement encourageante ? Oui, à condition qu’elle équilibre autonomie individuelle et préservation du collectif et faire du courage une pratique partagée au quotidien. Loin d’être un simple laisser-faire, ces entreprises mettent en place des dispositifs pour structurer et cultiver l’exercice du courage afin que chacun soit encouragé à oser être, dire et agir en toute responsabilité.

The Conversation

Anne-Sophie Dubey est co-fondatrice du Disruptive Co-Consulting Group (DCG) LLC. Anne-Sophie Dubey a mené une thèse CIFRE (bourse de l'ANRT et financement par La Fabrique de l'industrie).

Caroline Mattelin-Pierrard a reçu des financements de la Fondation de l'Université Savoie Mont Blanc.

Matthieu Battistelli a reçu des financements de la Fondation de l'Université Savoie Mont Blanc.

Clara Letierce ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.06.2025 à 12:45

En télétravail, les tâches domestiques sont-elles mieux réparties ?

Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education

Hybridation et hyperconnectivité : une stratégie d’évitement pour échapper aux corvées ménagères ? Débranche, et revenons à nous !
Texte intégral (1595 mots)
À la question « Quand vous travaillez à domicile, profitez-vous de l’occasion pour vous occuper de vos enfants le cas échéant ? », 16 % des hommes répondent « souvent ou très souvent » contre 8 % des femmes. Leonardoda/Shutterstock

Hybridation et hyperconnectivité : une stratégie d’évitement pour échapper aux tâches domestiques ? Débranche et revenons à nous ! Une étude menée en 2022 conclut que les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Le télétravail, le jackpot de l’équilibre vie professionnelle-personnelle ?


Cinq années après la pandémie de Covid-19 et le télétravail massif, les scientifiques en organisation ont mis en lumière les effets secondaires du travail hybride : agencement organisationnel, brouillage des frontières vie privée/vie professionnelle et surcharge de travail. Le télétravail touche aujourd’hui un quart des salariés en France, deux tiers des cadres. Il est particulièrement répandu chez les personnes en CDI, les plus diplômées, chez les plus jeunes et dans le secteur privé.

Cette révolution copernicienne du travail produit des effets dans la sphère intime du couple. Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « Pour une mise en œuvre du télétravail soucieuse de l’égalité entre les femmes et les hommes », mentionne de nombreuses inégalités subies par les femmes, notamment en matière de répartition des tâches domestiques et de charge mentale. Le déséquilibre entre hommes et femmes serait amplifié avec le télétravail. En cause les difficultés de garde d’enfants et l’espace de travail inadapté.

Nouvelle donnée : ce mode de travail hybride permet d’échapper à certaines tâches domestiques. Pour ce faire, nous avons mené une étude quantitative entre le 3 février et le 3 mars 2022 auprès de 211 télétravailleurs à domicile, au lendemain de la levée de l’obligation de télétravailler. Elle conclut que, parmi notre échantillon, les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Une meilleure conciliation des temps de vie et une moindre participation aux tâches domestiques pourraient ainsi s’avérer favorables aux femmes.

Alors le télétravail à domicile peut-il réduire les inégalités professionnelles de genre en créant un ré-équilibrage des tâches en faveur des femmes ?

Division sexuelle du travail domestique inégalitaire

Pour la sociologue Marianne Le Gagneur, le télétravail ne redistribue pas les cartes d’une division sexuelle du travail domestique inégalitaire. Les télétravailleuses tablent sur cette journée pour laver leur linge ou faire la vaisselle par exemple, elles n’ont plus de véritables pauses. L’enquête 2023 de l’UGIC-CGT suggère également que le télétravail se solde pour les femmes par des journées plus intenses. Ce contexte de difficultés techniques rend leur activité moins fluide et plus hachée que celle des hommes – problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques.

Nos résultats vont partiellement à l’encontre de ces études et enquêtes. Ils enrichissent ceux de Safi qui conclut à une répartition plus équitable des tâches domestiques en situation de télétravail. À la question « Quand vous travaillez à domicile, profitez-vous de l’occasion pour vous occuper de vos enfants le cas échéant ? 16 % des hommes répondent « souvent ou très souvent » contre 8 % pour les femmes.

À la question « Quand vous travaillez à domicile, en profitez-vous pour vous occuper des tâches domestiques ? » 29 % des hommes sont concernés contre 28 % pour les femmes.

Les hommes prennent part aux tâches domestiques et familiales. Ces résultats ambivalents et surprenants pointent le télétravail comme un enjeu au cœur du rééquilibrage des temps et une répartition différente des contraintes domestiques entre les hommes et les femmes.

Augmentation du temps de travail

Pour 82 % des répondants à l’étude de l’UGIC-CGT, le télétravail est plébiscité pour garantir un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Cette promesse d’une meilleure articulation des temps de vie s’accompagne d’une augmentation du temps de travail – 35,9 % des répondants – et de difficultés à déconnecter. Seulement 36 % des répondants bénéficient d’un dispositif de droit à la déconnexion, alors même que ce droit se trouve dans le Code du travail. Cela suggère que le télétravail, qu’il soit exclusif ou en alternance, est associé à des niveaux de tensions d’équilibre pro/perso inférieurs à ceux du travail exclusivement en présentiel.


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Les derniers chiffres de l’Observatoire de l’infobésité sont éloquents : 20 % des e-mails sont envoyés hors des horaires de travail (9 heures-18 heures) ; 25 % des managers se reconnectent entre 50 et 150 soirs par an ; 22 % des collaborateurs ont entre 3 et 5 semaines de congés numériques (sans e-mails à envoyer) par an. Alors que les emails sont identifiés comme source de stress générant des comportements d’évitement.

L’hyperconnectivité comme stratégie d’évitement

La notion d’évitement correspond à des efforts volontaires d’un individu pour faire face à une situation qu’il évalue comme stressante. Elle implique que cette situation est perçue comme difficile à surmonter et menaçante pour son bien-être. Un individu met en place différents processus entre eux. Il peut ressentir cet événement comme menaçant. L’enjeu est d’échapper à une situation inconfortable.

La dépendance à l’hyperconnectivité peut s’expliquer par des injonctions implicites ou une forme d’autocontrôle et d’autodiscipline. Cela suggère une servitude volontaire où les employés répondent aux sollicitations professionnelles à tout moment. Cette hyperconnectivité pourrait être un prétexte pour échapper aux tâches domestiques considérées comme peu valorisantes. Le collaborateur, volontairement ou non, se connecte ou répond à des sollicitations en dehors des horaires classiques de travail. Peut-être pour échapper à des contraintes personnelles et familiales ? Et s’investir dans un champ unique limitant la charge mentale.

Stress supplémentaire

L’imbrication croissante des espaces de travail et de vie personnelle due à l’hyperconnectivité engendre des conflits de rôle. Elle ajoute un stress supplémentaire aux individus et compromet leur bien-être. Autrefois, les frontières entre les temps et lieux de travail et de vie privée étaient claires : on se connectait au bureau à 9 heures et on se déconnectait à 18 heures, laissant ainsi le travail derrière soi. Aujourd’hui, ces frontières se sont effacées, rendant la déconnexion plus difficile à gérer.

Cette hybridation des espaces de vie, où le travail et les activités domestiques ou familiales s’entremêlent, apporte certes de la flexibilité. Elle permet par exemple d’emmener ses enfants à la crèche avant de se connecter au travail. Mais ce « mélange des genres » peut aussi être source de stress. Il génère un sentiment d’incapacité à tout gérer en même temps, provoquant des conflits de rôle, où les exigences professionnelles empiètent sur la vie personnelle et inversement.

The Conversation

Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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01.06.2025 à 20:24

De quels maux souffre le Parti socialiste ?

Pierre-Nicolas Baudot, Docteur en science politique, Université Paris-Panthéon-Assas

Le 5 juin, les militants socialistes désigneront Olivier Faure ou Nicolas Mayer-Rossignol comme premier secrétaire d’un PS profondément affaibli.
Texte intégral (2233 mots)

Le 5 juin, les militants du Parti socialiste désigneront leur premier secrétaire – les finalistes étant Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol. Longtemps hégémonique à gauche, parti de gouvernement, le PS s’est effondré en 2017 puis a connu sa plus lourde défaite électorale avec la candidature d’Anne Hidalgo (1,7 % des voix) lors de la présidentielle de 2022. Quelles sont les causes structurelles de ce lent déclin ? Le PS peut-il se remettre en ordre de bataille pour les municipales de 2026 et la présidentielle de 2027 ?


À l’occasion de son 81e congrès à Nancy, le Parti socialiste (PS) s’est mis en ordre de bataille pour désigner sa direction et arrêter ses principales orientations. À un an d’un scrutin municipal qui lui est traditionnellement favorable et à deux ans d’une élection présidentielle encore illisible, cet exercice expose au grand jour les maux profonds du parti. Il donne à voir le tableau paradoxal d’une organisation marginalisée électoralement sur la scène nationale, mais engluée dans des logiques anciennes de professionnalisation et de présidentialisation.

La lecture des trois textes d’orientation du congrès de Nancy dessine quelques lignes idéologiques communes : la défense du rôle de la puissance publique dans la gestion de l’économie, une meilleure répartition des richesses, la nécessité de la transition écologique ou encore la confiance au projet européen. Cependant, au-delà de ces emblèmes, la réflexion apparaît particulièrement peu poussée sur plusieurs enjeux cardinaux, comme le rapport au capitalisme et à la mondialisation, la stratégie géopolitique ou, plus largement encore, la singularité d’un projet socialiste dans le monde actuel. Pour autant, tous les textes en appellent à la reprise d’un travail sur les idées et au rétablissement des liens avec la société civile.

Des éléments qui reviennent comme des airs populaires à chaque congrès du parti, depuis maintenant plusieurs décennies. Et de fait, le congrès de Nancy peine à paraître pour autre chose qu’un combat de personnes. Même l’alliance avec La France insoumise (LFI) n’est plus véritablement en jeu, puisque les différents textes proposent une alliance de la gauche non insoumise. Ce rapport du PS à la production d’idées permet de dépasser l’immédiate actualité du congrès pour saisir quelques tendances de plus long terme éclairant l’état actuel du parti.

L’érosion du travail collectif

Évoquant leur identité intellectuelle, les socialistes brandissent volontiers la référence à la social-démocratie, pour se démarquer tant du macronisme que d’une gauche de rupture renvoyée à son irresponsabilité et à sa naïveté. Cependant, la conversion du PS en parti de gouvernement a largement conduit – à l’instar des partis sociaux-démocrates étrangers – à faire de cette référence le signifiant d’une pratique du pouvoir plutôt que d’un contenu idéologique précis. Cela traduit, plus largement, l’érosion continue des capacités du parti à produire des idées et à justifier intellectuellement sa propre existence. Ce que Rafaël Cos a diagnostiqué comme un « évidement idéologique du Parti socialiste » s’exprime, par exemple, dans la faible portée idéologique de la formation des militants, la distance avec les intellectuels, la disparition des revues de courants ou le faible intérêt pour la production programmatique.

Plus encore, c’est la capacité du parti à travailler collectivement qui est en question. Les secrétariats nationaux, qui constituent les lieux ordinaires de l’expertise partisane, sont la plupart du temps très peu investis. S’ils se sont formellement multipliés au fil des années, c’est surtout pour accroître le nombre de places à la direction du parti. De même, si diverses conventions thématiques ont régulièrement été organisées, leurs conclusions sont traditionnellement vite laissées de côté. À l’inverse, les conflits sont légion et ont pris, à l’occasion des alliances avec LFI, des tours particulièrement violents. Et cela, alors même que l’éloignement idéologique entre courants est sans commune mesure avec ce que le parti a pu connaître par le passé.

Un entre-soi de professionnels

Ce constat tient d’abord à des logiques sociales. À mesure qu’il s’est converti en un parti de gouvernement à partir des années 1980 et qu’il a accumulé des positions électorales, le parti s’est considérablement professionnalisé. Non seulement la part des élus dans ses instances de direction s’est accrue, mais de plus le travail quotidien du parti a de plus en plus été pris en charge par des collaborateurs d’élus, formés au métier politique.

Dans le même temps, la part des militants extérieurs à cet univers s’est réduite. En particulier, les militants simultanément engagés dans les secteurs associatifs ou syndicaux se sont considérablement raréfiés. Les relations avec ces espaces s’en sont mécaniquement trouvées modifiées : outre qu’elles se sont distendues, elles se sont professionnalisées dès lors que les relations avec le parti transitent essentiellement par les élus.

Cette dynamique s’articule bien sûr à l’évolution idéologique du parti, et notamment aux conséquences de sa mue sociale-libérale sur son image auprès des profils les plus populaires, mais également auprès des fonctionnaires (notamment des enseignants) pourtant historiquement proches du PS.

Cette professionnalisation a aussi eu pour conséquence, comme l’écrivent Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, de « bouleverser l’économie interne et morale » du parti, au point que « les intérêts électoraux sont devenus prépondérants à tous les niveaux ». Cela s’est accompagné d’une place croissante laissée aux mesures professionnalisées de l’opinion, que constituent les médias et les sondages.

La neutralisation du débat collectif

La professionnalisation du parti s’est également répliquée sur le fonctionnement collectif du parti. D’abord, ses succès électoraux depuis les années 1970 et jusqu’en 2017 ont permis au PS de constituer ce qui s’est apparenté à une véritable rente électorale. L’enjeu pour les principaux courants devenait alors de se maintenir à la direction du parti, pour participer à la gestion des ressources électorales et à la distribution des investitures.

S’est alors progressivement instauré ce que le politiste Thierry Barboni a qualifié de « configuration partisane multipolaire ». Cette expression décrit la présence, au sein de la majorité du parti, de plusieurs sous-courants s’entendant pour gérer le parti. Les désaccords idéologiques se trouvent alors minorés, derrière des jeux d’allégeance peu lisibles et un important flou stratégique considéré comme une condition de l’unité politique. Surtout, ces désaccords sont dissociés des enjeux de désignation de la direction. C’est ce dont témoigne le congrès du Mans, en 2005, qui aboutit à une synthèse générale entre des courants qui s’étaient pourtant fortement affrontés peu avant au sujet du Traité constitutionnel européen.


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La défaite du PS en 2017 puis, surtout, les alliances à gauche de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et du Nouveau Front populaire (NFP) ont de nouveau mis face à face plusieurs camps distincts. Les espaces de la délibération collective du parti ne s’en sont pas, non plus, trouvés revigorés pour autant. La compétition pour la direction encourage une forme de maximisation des différences, quand bien même les divers textes d’orientation convergent vers de nombreux points, mais les débats collectifs demeurent peu nombreux. Surtout, ils ont peu à voir avec la définition d’un contenu idéologique.

C’est ce dont témoigne encore la candidature de Boris Vallaud, ancien soutien d’Olivier Faure, à la direction du parti. Si le dépôt d’une motion par le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale contre le premier secrétaire est un événement, il répond en réalité davantage aux enjeux d’incarnation qu’à une alternative politique profonde.

Ainsi le parti doit-il gérer l’expression interne du pluralisme et s’évertuer à contenir les divisions que laisse paraître la démocratie partisane, sans pour autant en tirer de réels bénéfices collectifs.

Le règne des écuries

Enfin, le parti a connu une forte présidentialisation, c’est-à-dire que son organisation s’est largement faite autour des logiques imposées par l’élection présidentielle. Dès les lendemains de la seconde élection de François Mitterrand, en 1988, les différentes écuries présidentielles se sont développées autour des principaux « présidentiables du parti ». Cette logique a été maximisée dans les années 2000, puis institutionnalisée avec l’adoption des primaires. Chaque écurie est alors incitée à constituer ses propres ressources expertes, sans les mettre à la disposition de l’ensemble du parti au risque d’en voir les bénéfices appropriés par d’autres. L’accumulation d’expertise au fil du temps et la stabilisation d’une ligne commune dépendent donc largement de l’état des rapports de force.

Ainsi, si d’une part la « configuration partisane multipolaire » tend à suspendre le débat collectif, les différentes écuries entretiennent leurs propres espaces de travail hors du parti. Aujourd’hui encore, c’est moins l’accès des socialistes à diverses expertises qui est en jeu que la capacité du parti à travailler collectivement. Cela vaut d’autant plus que les faibles perspectives électorales du parti sur le plan national renforcent les divisions avec l’échelon local. En effet, nombre d’élus n’entendent pas renier les stratégies adoptées localement, au nom d’une stratégie nationale dont les retombées électorales paraissent faibles.

Ces évolutions ont accompagné la domination du PS sur l’ensemble de la gauche plusieurs décennies durant. Si elles ont un temps préservé la machine électorale des divisions, elles ont également conduit à dévitaliser fortement le parti. Ses capacités de médiation entre l’opinion publique et les espaces de pouvoir se sont largement affaiblies. À mesure que s’érodaient ses réseaux dans la société, ses facultés à tirer profit de l’activité du mouvement social s’amenuisaient, de même que ses possibilités de voir ses propositions et ses mots d’ordre infuser dans divers espaces sociaux. C’est également la place des militants qui a été modifiée, en raison de leur faible implication dans l’élaboration programmatique et dans la gestion de la vie du parti. Il en résulte que, non seulement ceux-ci sont aujourd’hui très peu nombreux (41 000 au congrès de Marseille en 2023), mais que de plus ils ont une faible emprise sur les destinées du parti.

En définitive, le PS paraît difficilement pouvoir faire l’impasse d’une refonte organisationnelle profonde. Il s’est construit au fil des décennies autour d’importantes ressources électorales et d’un statut de parti de gouvernement. Son effondrement national a cependant révélé un modèle adapté à la gestion de positions de pouvoir, plutôt qu’à la conquête électorale. Il en résulte le constat paradoxal d’une organisation aux perspectives de victoire présidentielle faible, mais encore paralysée des effets de la professionnalisation et de la présidentialisation.

The Conversation

Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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01.06.2025 à 17:06

Keir Starmer ou la difficile conciliation « entre l’Europe et le grand large »

Marie-Claire Considère-Charon, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Keir Starmer cherche à la fois à ménager la relation spéciale du Royaume-Uni avec Washington et à raffermir les liens avec l’UE, affaiblis par le Brexit.
Texte intégral (2231 mots)

En ce mois de mai 2025, le premier ministre britannique a réussi à sceller un accord avec Washington qui permet à son pays d’échapper dans une certaine mesure à la hausse des droits de douane promulguée par Donald Trump, et un autre avec l’UE, qui solde certains effets du Brexit.


C’est dans un contexte de nouvelles menaces sur son économie, déjà affaiblie par les répercussions commerciales du Brexit, que le Royaume-Uni s’est rapproché de ses deux principaux partenaires, les États-Unis et l’Union européenne, en vue de conclure des accords. En invoquant l’exemple de son illustre prédécesseur, Winston Churchill, le premier ministre britannique Keir Starmer s’est d’emblée montré résolu à ne pas « choisir entre l’Europe et le grand large ».

L’objectif du leader du parti travailliste, en poste depuis le 5 juillet 2024, est de concilier deux objectifs essentiels mais peu compatibles, semble-t-il : raffermir la relation transatlantique d’une part, et relancer les relations avec l’UE, d’autre part.

La réaffirmation de « la relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni

Dans le cadre du désordre géopolitique provoqué par les décisions intempestives de la Maison Blanche de taxer lourdement les produits importés aux États-Unis, le premier ministre s’est d’abord tourné vers son interlocuteur américain pour tenter de le convaincre d’appliquer au Royaume-Uni un traitement préférentiel.


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Dès le 26 février 2025, à l’occasion de sa visite à la Maison Blanche, il avait tenté d’amadouer le président Trump en lui remettant l’invitation du Roi Charles à une seconde visite d’État, qui a été acceptée avec enthousiasme.

Le 3 avril 2025, au lendemain de l’annonce par la Maison Blanche d’une augmentation à 25 % des droits de douane sur les importations d’automobiles britanniques, Starmer a choisi de ne pas riposter mais d’agir à l’égard de son partenaire américain avec calme et sang-froid, selon ses propres termes, en soulignant que toutes ses décisions seraient uniquement guidées par l’intérêt national et les intérêts de l’économie britannique.

Sa démarche, au nom de la « relation spéciale » qui unit les deux pays, a également été étayée par des arguments commerciaux : il a rappelé que son pays n’enregistrait pas d’excédent commercial avec les États-Unis et qu’il était naturel que le président revoie à la baisse les droits de douane à l’encontre des produits britanniques. Il était en effet crucial pour Londres d’obtenir de moindres taux d’imposition, voire des exonérations, de façon à sauver des milliers d’emplois menacés, dans les secteurs de l’industrie automobile et de la sidérurgie.

Le volontarisme de Starmer, qui a pu compter sur une équipe soudée et des conseillers compétents et avisés, s’est toutefois heurté à des partenaires coriaces et à un Donald Trump versatile et peu conciliant, ce qui augurait mal d’une issue positive. Mais le moment s’est révélé propice au rapprochement, lorsque les États-Unis ont commencé à subir l’effet boomerang de leurs mesures punitives, à l’heure où les porte-conteneurs sont arrivés à moitié vides dans les ports américains.

Starmer est en effet parvenu, le 8 mai dernier, à signer avec Trump un accord par lequel Trump revenait sur son engagement à ne pas accorder d’exonérations ou de rabais sectoriels. Les droits de douane sont passés de 25 % à 10 % pour 100 000 voitures britanniques exportées chaque année. Les États-Unis ont également consenti à créer de nouveaux quotas pour l’acier et l’aluminium britanniques sans droits de douane, et à être plus cléments envers le Royaume-Uni lorsqu’ils imposeront à l’avenir des droits de douane pour des raisons de sécurité nationale sur les produits pharmaceutiques et d’autres produits.

En contrepartie, le Royaume-Uni a sensiblement élargi l’accès à son marché des produits de l’agroalimentaire américain comme le bœuf, ainsi que le bioéthanol mais n’a toutefois pas cédé à la pression de Washington, qui souhaitait le voir réviser à la baisse les normes britanniques en matière de sécurité alimentaire. Il s’agissait d’une condition préalable à toute forme d’assouplissement des échanges de denrées alimentaires et de végétaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

L’accord du 8 mai 2025 a une portée limitée car il ne couvre que 30 % des exportations britanniques, et l’industrie pharmaceutique n’a pas été prise en compte. Il devrait être suivi d’un accord commercial complet, mais aucun calendrier n’a été programmé. Et Trump peut revenir à tout moment sur les concessions qu’il a accordées au Royaume-Uni. Une autre critique majeure à l’encontre de cet accord est qu’il enfreint la clause de la nation la plus favorisée, qui figure en général dans les accords de commerce international, et permet à chaque pays de se voir appliquer une égalité de traitement par ses partenaires commerciaux.

Cet accord, qui est intervenu une semaine après la signature de l’Accord de libre-échange avec l’Inde, représente pour le premier ministre britannique une victoire politique, d’autant mieux accueillie qu’elle survient au moment où sa cote de popularité n’est plus qu’à 23 %, tant les critiques se sont multipliées quant à son déficit de leadership et à des mesures souvent jugées inéquitables. Keir Starmer s’est également attelé à une autre tâche primordiale : celle de la réinitialisation des relations avec l’Union européenne, qui s’était amorcée sous le mandat de son prédécesseur Rishi Sunak avec la signature du cadre de Windsor, qui allégeait le dispositif des échanges en mer d’Irlande.

La relance des relations avec l’UE

Dans ce domaine comme dans celui de la relation transatlantique, il s’est agi d’un travail de longue haleine, jalonné par une longue série de rencontres et de réunions entre les autorités britanniques et la présidente de la Commission européenne, ainsi qu’entre leurs équipes, sous la direction du Britannique Nick Thomas-Symonds, ministre en charge du Cabinet office, de la Constitution et des Relations avec l’Union européenne, et du vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic.

Le sentiment, partagé entre les deux parties, de l’impérieuse nécessité de relancer des relations abîmées par « les années Brexit », obéissait à des raisons à la fois commerciales et géopolitiques. Il a permis l’émergence d’une nouvelle dynamique, où la défiance n’était plus de mise. Sans qu’il soit question de revenir sur l’engagement britannique du non-retour au marché unique ni à l’union douanière, l’ambition des Britanniques, comme celle des Européens, était de renforcer la coopération et la coordination en vue de nouvelles dispositions et d’actions conjointes au niveau des échanges et de la politique de sécurité et de défense.

Dans un contexte économique très difficile, il était urgent pour les Britanniques d’apporter des solutions au problème persistant des échanges entre le Royaume-Uni et son principal partenaire commercial, l’UE, qui avaient chuté de 15 % depuis 2019, désormais dépassées en volume par celles à destination des pays hors Union européenne.

L’accord signé le 19 mai 2025 avec l’UE à Lancaster House officialise une nouvelle phase des relations entre les deux parties et constitue une première étape vers une coopération renforcée. Il apporte des réponses concrètes sur certains dossiers critiques, comme celui des échanges transfrontaliers de marchandises, ou sensibles, comme celui de la pêche, et ouvre des perspectives prometteuses sur d’autres dossiers comme celui d’un partenariat de sécurité et de défense ainsi que celui de la mobilité des jeunes Européens et Britanniques.

Les nouvelles dispositions commerciales auront pour effet de réduire sensiblement l’impact de la frontière en mer d’Irlande sur les échanges de marchandises, en particulier entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, qui continuent à pâtir du dispositif douanier, malgré la signature du Cadre de Windsor. En introduisant la mise en place d’une zone sanitaire et phytosanitaire entre le Royaume-Uni et l’UE, il met fin aux certificats sanitaires d’exportation et ouvre la voie vers un « alignement dynamique » des normes réglementaires des deux parties.

Les Européens demandaient que soient reconduits les droits de pêche qui, en vertu de l’Accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’UE de 2021, permettaient aux pêcheurs de l’UE d’accéder aux eaux territoriales britanniques jusqu’en 2026. Le Royaume-Uni a accepté la reconduction des droits de pêche des Européens pour 12 années de plus, jusqu’en 2038. Ces concessions ont été obtenues en échange de dispositions visant à faciliter l’entrée des denrées alimentaires sur le marché européen. Elles ont également ouvert la voie vers la mise en œuvre d’un pacte de défense et de sécurité.

Les turbulences géopolitiques déclenchées par l’administration Trump, ainsi que la poursuite de la guerre en Ukraine, ont donné un nouvel élan à la coopération en matière de défense et de sécurité entre le Royaume-Uni et l’UE. Le partenariat de sécurité et de défense signifie l’engagement mutuel à s’entendre sur les sujets majeurs comme celui du soutien à l’Ukraine et celui de l’avenir de l’OTAN, et les moyens de réduire la dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis. Il ouvre la voie vers l’accès du Royaume-Uni au fonds européen de financement des États membres de l’UE, SAFE (Security Action for Europe) à hauteur de 150 milliards d’euros, qui sert à financer des équipements et des opérations militaires conjointes des pays de l’UE.

La mise en œuvre d’un programme de mobilité des jeunes afin de faciliter les échanges culturels et les projets pilotes était une question difficile dans la mesure où les jeunes Européens sont beaucoup plus nombreux à fréquenter les universités britanniques que l’inverse. L’accord intitulé « Youth Experience » n’est en réalité qu’un engagement à progresser dans la direction d’une plus grande ouverture aux jeunes Européens et du rétablissement du programme Erasmus.

Le choix de ne pas choisir

Le Brexit a considérablement compliqué les échanges du Royaume-Uni avec l’Union européenne, son premier partenaire commercial. Il l’a tout autant rendu plus vulnérable à l’insécurité à l’échelle mondiale. Keir Starmer a compris la nécessité de sortir son pays de l’isolement où l’a cantonné le Brexit, en cultivant ou en restaurant les relations avec ses deux partenaires privilégiés, les États-Unis et l’Union européenne. Il y a toutefois lieu de se demander si, compte tenu du dérèglement de l’ordre mondial provoqué par le président des États-Unis, ainsi que de son hostilité affichée à l’égard de l’Europe, le premier ministre britannique pourra encore longtemps refuser de choisir son camp entre l’Europe et l’Amérique.

The Conversation

Marie-Claire Considère-Charon est membre du comité éditorial de l'Observatoire du Brexit et membre du groupe de recherche CREW (Center for Research on the English-speaking Wordl) Sorbonne nouvelle.

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01.06.2025 à 14:15

Et si l’eau potable ne coulait plus de source… quel modèle économique mettre en place ?

Mehdi Guelmamen, Doctorant en sciences économiques, Université de Lorraine

Alexandre Mayol, Maître de conférences HDR en sciences économiques, Université de Lorraine

Justine Le Floch, Doctorante en sciences de gestion, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Stéphane Saussier, Professeur des universités, IAE Paris – Sorbonne Business School

Le modèle économique de l’eau potable a été pensé à un moment où la ressource semblait infinie. Les canicules récentes obligent à le refonder d’urgence.
Texte intégral (1878 mots)

Après les sécheresses de 2022 et de 2023, la disponibilité de l’eau potable en France n’a plus rien d’une évidence. Le modèle économique de distribution de l’eau imaginé à un moment où la ressource semblait infinie mérite d’être repensé. La tarification, d’une part, et l’exploitation, d’autre part, sont au cœur des réflexions à mener.


La France, longtemps épargnée par le stress hydrique grâce à un climat tempéré, découvre désormais la rareté de l’eau potable, comme en témoignent les sécheresses de 2022 et 2023. Ces épisodes extrêmes ont frappé les esprits : 343 communes ont dû être ravitaillées en urgence par camions-citernes, et 90 % des départements ont subi des restrictions d’usage de l’eau. En 2023, le gouvernement a lancé un « Plan Eau » pour anticiper les pénuries et encourager un usage plus responsable de la ressource.

Le défi à relever est immense : assurer un accès durable à l’eau potable exigera des investissements massifs et une profonde adaptation des pratiques. Quel modèle économique permettra de relever ce défi ? Deux pistes principales se dégagent : utiliser le prix de l’eau pour inciter à la sobriété, et repenser la gestion et le financement du service d’eau potable.

Le juste prix à fixer

En France, le service de l’eau potable fonctionne comme un monopole naturel : les coûts fixes élevés (entretien des réseaux de distribution, stations de pompage et usines de traitement) rendent inefficace toute mise en concurrence. La gestion du service est confiée aux collectivités locales, qui peuvent choisir entre au moins deux modes d’organisation : une régie publique ou une délégation à un opérateur privé.

Longtemps, l’effort s’est concentré sur l’extension des réseaux, notamment en zone rurale. La tarification a visé l’équilibre financier, conformément au principe du « l’eau paie l’eau », sans objectif environnemental explicite. Le prix du mètre cube reste, aujourd’hui encore, bas par rapport à la moyenne européenne, même s’il varie fortement selon les territoires. Il combine une part fixe, une part variable ainsi que diverses taxes et redevances.

Intégrer une dimension environnementale

Plusieurs dispositifs ont néanmoins encouragé l’intégration d’une dimension environnementale dans le prix de l’eau pour inciter à la sobriété, mais ont fait l’objet de critiques fortes. La loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 a, par exemple, encouragé le recours au tarif « progressif ». Ce tarif consiste à moduler la part variable du prix en fonction du volume consommé selon des tranches prédéfinies. Le principe est simple : plus le foyer consomme, plus il paiera cher.

Ce dispositif, séduisant sur le principe, a pourtant suscité une faible adhésion au niveau local (à peine une dizaine de services sur 8 000 en France avant 2023). Au niveau national, le président de la République, Emmanuel Macron avait évoqué sa généralisation en réponse à la sécheresse, mais le rapport du CESE de novembre 2023 a enterré cette proposition. À l’étranger des communes, comme Bruxelles, ont abandonné la tarification progressive après avoir constaté ses trop nombreux défauts.


À lire aussi : La nappe de Beauce, un immense réservoir d’eau confronté à la sécheresse et à la pollution


Pourquoi ce rejet ? Plusieurs obstacles limitent l’efficacité attendue de cette mesure. Il faut rappeler que la tarification progressive suppose une information complète du consommateur sur sa consommation. Or, la facturation de l’eau en France reste peu intelligible, en particulier dans l’habitat collectif où les appartements ne font l’objet que d’une refacturation une fois par an par leur syndic. Pire, de très nombreux logements anciens n’ont pas de comptage individuel et leur consommation n’est qu’estimée. Dans des villes comme Montpellier, seuls 33 % des logements sont individualisés et peuvent se voir appliquer la tarification progressive.

Tarification progressive, défauts immédiats

C’est la raison pour laquelle cette forme de tarif ne peut fonctionner qu’avec l’installation coûteuse de compteurs dans les logements. La tarification progressive a d’autres défauts, comme le fait que les tranches ne s’adaptent pas à la taille du foyer, pénalisant alors les familles nombreuses. Par ailleurs, ils ne s’appliquent pas toujours à l’ensemble des usagers, puisqu’ils ne concerneront pas, par exemple, les professionnels. Enfin, leur fonctionnement suppose une capacité des ménages à réduire leur consommation, ce qui n’est pas aussi simple.

Faut-il pour autant renoncer à faire évoluer les comportements par les tarifs ? Pas nécessairement. D’autres approches, comme la tarification saisonnière, pourraient envoyer un signal prix plus lisible en période de stress hydrique. L’objectif : rendre le consommateur acteur de la sobriété, sans complexifier à l’excès le système.

La sobriété hydrique au cœur d’un nouveau modèle économique et de gouvernance

Responsabiliser les consommateurs ne suffira pas : encore faut-il que l’eau parvienne jusqu’à eux. Or, la ressource souffre également de la vétusté des infrastructures de distribution. Les pertes en eau à cause des fuites représentent 1 milliard de mètres cubes chaque année, soit l’équivalent de la consommation de 20 millions d’habitants. Les besoins en rénovation sont alors considérables et représentent, selon une étude de l’Institut national des études territoriales (Inet), 8 milliards d’euros pour les années à venir. Comment assurer le financement de ce « mur d’investissement » ? Plusieurs paramètres méritent d’être questionnés.


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Premièrement, le principe selon lequel « l’eau paie l’eau » implique que le financement repose essentiellement sur la hausse du prix pour l’usager. Il y aura lieu toutefois d’arbitrer localement autour du partage de cette hausse de prix entre les professionnels et les ménages, mais également entre l’abonnement et la part volumétrique. Par exemple, augmenter la part fixe de l’abonnement de base afin que les résidences secondaires ou les usagers occasionnels – qui utilisent peu d’eau mais bénéficient tout de même de l’infrastructure – participent davantage aux coûts d’entretien du réseau. Si la hausse du prix s’avère insuffisante, le rôle des agences de l’eau pour aider financièrement les services en difficulté devra être repensé mieux fixer des objectifs contraignants de performance.

Un rôle pour les intercommunalités

Ensuite, la coopération intercommunale peut apparaître comme un levier pour financer en commun les investissements. Alors qu’aujourd’hui plusieurs milliers de communes – souvent très petites – gèrent seules l’eau potable et peinent à assumer l’autofinancement des rénovations, se regrouper permettrait de mutualiser les travaux. La loi Notre de 2015 a précisément cherché à inciter les petits services de moins de 15 000 habitants à se regrouper, mais suscite beaucoup d’hostilité au niveau local. Même si la modalité de coopération peut être améliorée, la collaboration des communes dans la gestion des réseaux apparaît indispensable.

Enfin, le modèle économique actuel doit être repensé puisque les recettes des opérateurs reposent essentiellement sur les volumes facturés. Il apparaît contradictoire de promouvoir la sobriété hydrique si elle le conduit à faire baisser les recettes. Pour résoudre cette difficulté, des clauses de performance environnementale utilisées dans le secteur des déchets pourraient aussi s’appliquer dans les contrats d’eau, qui compenseraient la baisse des volumes par des primes. Ce mécanisme serait un levier efficace qui pourrait être appliqué à tous les opérateurs, publics comme privés.

Le Monde, 2024.

Indispensable régulation à l’échelle nationale

Au-delà des contrats locaux, de nombreux experts plaident pour une refonte de la gouvernance du secteur, en s’inspirant de modèles étrangers. L’idée d’un régulateur économique national fait son chemin. Le pilotage global du secteur pourrait gagner en cohérence avec la création d’un régulateur économique national de l’eau potable. Cette autorité indépendante pourrait garantir une transparence accrue, limiter les asymétries d’information, et promouvoir des pratiques économes et durables. Les agences de l’eau pourraient également évoluer vers un rôle de régulation régionale, en intégrant mieux les enjeux du grand cycle de l’eau.

Le modèle économique français de l’eau potable arrive à un tournant. Face au changement climatique et aux aléas qui menacent notre approvisionnement en eau, faire évoluer ce modèle n’est plus une option mais une nécessité. Tarification plus intelligente, investissements massifs et coordonnés dans les réseaux, nouvelles règles du jeu pour les opérateurs et régulation renforcée : ces adaptations, loin d’être purement techniques, touchent à un bien vital dont la gestion nous concerne tous. L’eau potable a longtemps coulé de source en France ; demain, elle devra couler d’une gouvernance renouvelée, capable de concilier accessibilité pour les usagers, équilibre financier du service et préservation durable de la ressource.

The Conversation

Alexandre Mayol a reçu des financements de l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse pour un projet de recherche académique.

SAUSSIER Stéphane a reçu des financements dans le passé de Veolia, Suez et de l'Office Français de la Biodiversité dans le cadre de projets de recherche.

Justine Le Floch et Mehdi Guelmamen ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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01.06.2025 à 12:26

CrossFit et Hyrox, deux modèles économiques qui redéfinissent le marché du fitness

Wissam Samia, Enseignant-chercheur, PhD en économie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Si le CrossFit s’appuie sur un réseau décentralisé de 700 salles, l’Hydrox s’organise autour de 83 évènements. Avec un même objectif : faire du sport un marché économique rentable.
Texte intégral (1784 mots)
En vue de préparer leur _summer body_ ou tout simplement par passion, de plus en plus de Français sont adeptes du Crossfit. RomanChazo/Shutterstock

Deux nouveau-nés ont émergé dans le paysage du fitness : le CrossFit, mêlant renforcement musculaire et exercice cardio-vasculaire, l’Hyrox y ajoutant la course à pied. Avec leur propre logique. Le premier sport s’appuie sur un réseau décentralisé de 700 salles en France. Le second sur plus de 83 évènements centralisés. Pour un même objectif : faire du sport un marché économique rentable.


Muscle-Up (traction + passage au dessus de la barre), clean & jerk (épaulé-jeté), Snatch (arraché), sled push (pousser un traîneau chargé sur une distance), burpee broad jumps (pompe et saut en longueur), wall balls (squat avec une médecine ball à lancer contre un mur)… si ces mots ne vous parlent pas, c’est que vous n’êtes pas encore adepte du CrossFit ou de l’Hyrox, ces sports qui séduisent plus de 200 000 adeptes dans l’Hexagone.

Ces deux modèles sont figures de proue du renouveau du fitness. Ces entraînements de haute intensité, en petits groupes, suivent un protocole défini par les entreprises du même nom. Le CrossFit mélange renforcement musculaire, haltérophilie, force athlétique, exercices cardio-vasculaires et mouvements gymniques. L’Hyrox y ajoute la course à pied, la force et l’endurance. Concrètement, huit fois un kilomètre de course à pied et un exercice de fitness.

Côté stratégie économique, le CrossFit s’appuie sur une logique décentralisée et un ancrage communautaire ; l’Hyrox repose sur une logique centralisée d’organisation d’évènements et un effet d’échelle. Si tous deux incarnent des paradigmes économiques distincts, ils convergent vers une même dynamique : valoriser le sport comme un marché. En explorant leurs structures de financement, leur impact territorial et leurs stratégies de diffusion, nous proposons une lecture critique de la façon dont le fitness devient un laboratoire de tendances pour l’économie de l’expérience.

Décentralisation communautaire vs centralisation hégémonique

Le modèle CrossFit repose sur une structure bottom-up. Chacune des 14 000 salles affiliées ou « box » – dont plus de 700 en France – constitue une entité juridique autonome, qui reverse une licence annuelle à CrossFit LLC tout en conservant une grande latitude opérationnelle. Ce modèle d’affiliation, proche du licensing, favorise une croissance extensive sans immobilisation de capital par la maison-mère. Le financement repose essentiellement sur les abonnements des adhérents et des revenus annexes – coaching, merchandising local. Ce modèle de dissémination rapide avec faible contrôle central est adossé à un capital social fort.

A contrario, Hyrox se positionne comme un acteur centralisé du sport-spectacle. La société allemande Upsolut Sports organise directement les compétitions et agrège la quasi-totalité des revenus – billetterie, droits d’inscription, sponsoring, ventes de produits dérivés. En 2020, l’entreprise a levé environ 5 millions d’euros lors d’une première phase de financement. En 2022, elle a vu Infront Sports & Media, filiale du conglomérat chinois Wanda Group, entrer majoritairement au capital. Ce modèle s’inscrit pleinement dans une logique de scale-up, caractérisée par une croissance rapide reposant sur des capitaux-risqueurs, une forte intégration verticale et l’ambition d’atteindre une masse critique à l’échelle mondiale. Hyrox contrôle l’ensemble de la chaîne de valeur – production, branding, diffusion – ce qui lui permet de capter directement les flux financiers et d’optimiser ses marges. Cette stratégie vise moins la rentabilité immédiate que la valorisation à long terme, en vue d’un positionnement hégémonique sur le marché du fitness compétitif globalisé.

Coûts d’entrée et barrières à l’implantation

Les exigences capitalistiques des deux modèles créent des barrières à l’entrée de natures différentes. Pour ouvrir une box CrossFit, l’entrepreneur doit s’acquitter d’une licence d’environ 4 000 euros par an, recruter du personnel certifié, et investir massivement dans du matériel et de l’immobilier – jusqu’à 100 000 euros d’investissement initial. Ce modèle repose sur un capital fixe élevé, mais offre un potentiel de revenus récurrents. Le prix d’abonnement mensuel, compris entre 80 et 150 euros, reflète ce positionnement premium.

Trois personnes pratiquent le crossfit dans une salle de sport
En France, avec près de 700 salles affiliées en 2023, ce modèle génère plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. BearFotos/Shutterstock

Hyrox, en revanche, n’impose pas la création d’infrastructures dédiées. Les salles de sport existantes peuvent devenir partenaires pour proposer des entraînements Hyrox, contre une redevance modeste – environ 1 500 euros annuels. L’accès au marché repose sur un capital humain adapté et une mobilisation temporaire de ressources existantes. Pour l’usager final, le coût est concentré sur l’accès à l’événement, environ 130 euros par compétition. Cette accessibilité réduit les barrières à l’adoption pour les pratiquants et permet une diffusion plus rapide dans les territoires urbains et périurbains.

Abonnements récurrents vs activités ponctuelles à forte marge

L’économie CrossFit repose sur une récurrence de flux financiers : abonnements mensuels, formations de coachs, compétitions communautaires et vente de produits dérivés. Ce modèle de revenu présente une certaine prévisibilité et résilience, notamment en cas de chocs exogènes. En France, avec près de 700 salles affiliées en 2023, ce modèle génère plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. La nature décentralisée permet à chaque box d’adapter son offre au contexte local. Les compétitions locales, souvent organisées par les box elles-mêmes, renforcent l’ancrage territorial de l’activité et créent des retombées économiques indirectes – restauration, hôtellerie, transport.


À lire aussi : Tous en salle ? Comprendre l’obsession contemporaine pour les corps musclés


Hyrox, à l’inverse, fonde son modèle sur des activités ponctuelles mais à forte valeur ajoutée. Chaque événement est une unité de profit autonome, financée par les frais d’inscription, la billetterie et le sponsoring. En 2025, avec plus de 600 000 participants prévus dans 83 événements, Hyrox anticipe plus de 100 millions de dollars de revenus globaux. Le modèle mise sur une croissance rapide de sa base de clients et la monétisation de la marque via le merchandising et les droits médiatiques. La stratégie repose également sur l’effet de réseau : plus les événements se multiplient, plus la notoriété et la communauté s’étendent, renforçant la rentabilité marginale de chaque course organisée.

Hybridation des modèles

La pandémie de Covid-19 a constitué un test de robustesse pour ces deux modèles. CrossFit a connu une contraction temporaire, mais sa structure décentralisée et la forte cohésion communautaire ont permis une relance rapide dès 2022. Hyrox, bien qu’impacté par l’arrêt des événements, a utilisé cette période pour consolider ses financements et accélérer son internationalisation.

Depuis, une forme de convergence opère : de nombreuses salles CrossFit adoptent le label Hyrox, tandis qu’Hyrox recrute massivement dans la base de pratiquants CrossFit. Cette hybridation dessine un écosystème où les modèles ne s’excluent plus mais se complètent stratégiquement. Dans cette perspective, le fitness ne relève plus du seul loisir : il devient un vecteur stratégique d’accumulation et d’innovation dans les industries culturelles contemporaines. La prochaine décennie permettra sans doute d’observer si ces modèles s’institutionnalisent davantage ou s’ils cèdent la place à d’autres formats hybrides, adaptés aux mutations technologiques et sociales du sport connecté.

The Conversation

Wissam Samia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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01.06.2025 à 09:27

La banalité du mal : ce que dit la recherche en psychologie sociale

Johan Lepage, Chercheur associé en psychologie sociale, Université Grenoble Alpes (UGA)

La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent des autres par leur orientation autoritaire.
Texte intégral (1918 mots)
Stanley Milgram et son « générateur de décharges électriques ». The Chronicle of Higher Education

La recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par un élément : leur orientation autoritaire – et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire et intolérant.


Le chercheur en psychologie sociale Stanley Milgram publie en 1964 la première recherche expérimentale sur la soumission à l’autorité. Son protocole consiste à demander à des personnes volontaires d’infliger des décharges électriques à un autre participant (en réalité un compère de Milgram) dans le cadre d’une recherche prétendument sur les effets de la punition sur l’apprentissage. Un échantillon de psychiatres prédit une désobéissance quasi unanime, à l’exception de quelques cas pathologiques qui pourraient aller jusqu’à infliger un choc de 450 volts.

Les résultats provoquent un coup de tonnerre : 62,5 % des participants obéissent, allant jusqu’à administrer plusieurs chocs de 450 volts à une victime ayant sombré dans le silence après avoir poussé d’intenses cris de douleur. Ce résultat est répliqué dans plus d’une dizaine de pays auprès de plus de 3 000 personnes.

Ces données illustrent la forte propension à l’obéissance au sein de la population générale. Elles montrent également des différences individuelles importantes puisqu’environ un tiers des participants désobéit. Les caractéristiques socio-démographiques des individus et le contexte culturel semblent n’avoir aucune influence sur le comportement dans le protocole de Milgram. Comment expliquer alors les différences individuelles observées ?

Nous avons conduit une nouvelle série d’expériences dans les années 2010. Nos résultats montrent un taux d’obéissance similaire ainsi qu’une influence notable de l’autoritarisme de droite : plus les participants ont un score élevé à l’échelle d’autoritarisme de droite, plus le nombre de chocs électriques administrés est important.

Recherche sur l’autoritarisme

La psychologie sociale traite la question de l’autoritarisme depuis plusieurs décennies. Cette branche de la psychologie expérimentale a notamment fait émerger dès les années 1930 une notion importante : celle d’attitude.

Une attitude désigne un ensemble d’émotions, de croyances, et d’intentions d’action à l’égard d’un objet particulier : un groupe, une catégorie sociale, un système politique, etc. Le racisme, le sexisme sont des exemples d’attitudes composées d’émotions négatives (peur, dégoût), de croyances stéréotypées (« les Noirs sont dangereux », « les femmes sont irrationnelles »), et d’intentions d’action hostile (discrimination, agression).

Les attitudes sont mesurées à l’aide d’instruments psychométriques appelés échelles d’attitude. De nombreux travaux montrent que plus les personnes ont des attitudes politiques conservatrices, plus elles ont également des attitudes intergroupes négatives (e.g., racisme, sexisme, homophobie), et plus elles adoptent des comportements hostiles (discrimination, agression motivée par l’intolérance notamment). À l’inverse, plus les personnes ont des attitudes politiques progressistes, plus elles ont également des attitudes intergroupes positives, et plus elles adoptent des comportements prosociaux (soutien aux personnes défavorisées notamment).

Les attitudes politiques et les attitudes intergroupes sont donc corrélées. Une manière d’analyser une corrélation entre deux variables est de postuler l’existence d’une source de variation commune, c’est-à-dire d’une variable plus générale dont les changements s’accompagnent systématiquement d’un changement sur les autres variables. Dit autrement, si deux variables sont corrélées, c’est parce qu’elles dépendent d’une troisième variable. La recherche en psychologie sociale suggère que cette troisième variable puisse être les attitudes autoritaires. Cette notion regroupe des attitudes exprimant des orientations hiérarchiques complémentaires :

  • l’orientation à la dominance sociale, une attitude orientée vers l’établissement de relations hiérarchiques, inégalitaires entre les groupes humains ;

  • l’autoritarisme de droite, une attitude orientée vers l’appui conservateur aux individus dominants.

La recherche en psychologie expérimentale, en génétique comportementale et en neurosciences montre invariablement que ce sont les attitudes autoritaires, plus que toute autre variable (personnalité, éducation, culture notamment), qui déterminent les attitudes intergroupes, les attitudes politiques, et ainsi le comportement plus ou moins coercitif, inégalitaire, et intolérant des personnes.


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Autoritarisme dans la police

Étudions le cas d’un groupe : la police. Plusieurs études montrent que les policiers nouvellement recrutés ont des scores significativement plus élevés à l’échelle d’autoritarisme de droite que la population générale.

Ce résultat important suggère que les personnes autoritaires sont plus susceptibles de choisir une carrière dans la police (autosélection) et/ou que la police a tendance à privilégier les personnes autoritaires pour le recrutement (sélection). Les personnes autoritaires et l’institution policière semblent réciproquement attirées, ce qui entraîne un biais de sélection orienté vers l’autoritarisme de droite qui, on l’a vu, est responsable d’attitudes politiques conservatrices et d’attitudes intergroupes négatives.

À des fins de recherche, des universitaires ont développé un jeu vidéo simulant la situation d’un policier confronté à une cible ambiguë et devant décider de tirer ou non. Des personnes noires ou blanches apparaissent sur un écran de manière inattendue, dans divers contextes (parc, rue, etc.) Elles tiennent soit un pistolet, soit un objet inoffensif comme un portefeuille. Dans une étude menée aux États-Unis, les chercheurs ont comparé la vitesse à laquelle les policiers décident de tirer, ou de ne pas tirer, dans quatre conditions :

(i) cible noire armée,

(ii) cible blanche armée,

(iii) cible noire non armée,

(iv) cible blanche non armée.

Les résultats montrent que les policiers décidaient plus rapidement de tirer sur une cible noire armée, et de ne pas tirer sur une cible blanche non armée. Ils décidaient plus lentement de ne pas tirer sur une cible noire non armée, et de tirer sur une cible blanche armée. Ces résultats montrent un biais raciste dans la prise de décision des policiers. Ils réfutent l’hypothèse d’une violence policière exercée par seulement « quelques mauvaises pommes ».

On observe dans toutes les régions du monde une sur-représentation des groupes subordonnés parmi les victimes de la police (e.g., minorités ethniques, personnes pauvres). Les chercheurs en psychologie sociale Jim Sidanius et Felicia Pratto proposent la notion de terreur systémique (systematic terror) pour désigner l’usage disproportionné de la violence contre les groupes subordonnés dans une stratégie de maintien de la hiérarchie sociale.

Soutien des personnes subordonnées au statu quo

On peut s’interroger sur la présence dans la police de membres de groupes subordonnés (e.g., minorités ethniques, femmes).

Une explication est l’importance des coalitions dans les hiérarchies sociales tant chez les humains que chez les primates non humains, comme les chimpanzés, une espèce étroitement apparentée à la nôtre. On reconnaît typiquement une coalition quand des individus menacent ou attaquent de manière coordonnée d’autres individus. Le primatologue Bernard Chapais a identifié plusieurs types de coalition, notamment :

  • les coalitions conservatrices (des individus dominants s’appuient mutuellement contre des individus subordonnés qui pourraient les renverser) ;

  • l’appui conservateur aux individus dominants (des individus subordonnés apportent un appui aux individus dominants contre d’autres individus subordonnés) ;

  • les coalitions xénophobes (des membres d’un groupe attaquent des membres d’un autre groupe pour la défense ou l’expansion du territoire).

La police regroupe des individus subordonnés motivés par l’appui conservateur aux individus dominants (tel que mesuré par l’échelle d’autoritarisme de droite) et la xénophobie (telle que mesurée par les échelles de racisme).

Dans son ensemble, la recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par leur orientation autoritaire, et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire, et intolérant.

Le mauvais état de la démocratie dans le monde suggère une prévalence importante des traits autoritaires. Lutter contre l’actuelle récession démocratique implique, selon nous, la compréhension de ces traits.

The Conversation

Johan Lepage ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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