LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 50 dernières parutions

02.06.2025 à 15:54

Près d‘un étudiant sur cinq se réoriente à bac +1 : ajustement, rupture ou échec ?

Dorian Vancoppenolle, Doctorant en Sciences de l'Éducation et de la Formation, Université Lumière Lyon 2

Près d’un jeune sur cinq se réoriente après une première année dans le supérieur. Un record qui interroge sur les dynamiques de réussite et d’orientation.
Texte intégral (1805 mots)

Alors que les lycéens reçoivent leurs résultats sur Parcoursup, les étudiants qui envisagent de changer de voie se connectent de nouveau à la plateforme. Près d’un sur cinq choisit désormais de se réorienter après une première année dans l’enseignement supérieur. Un record qui soulève des questions cruciales sur les dynamiques de réussite, d’inégalités et d’orientation.


Depuis les années 1960, la massification scolaire a permis un accès élargi au baccalauréat, puis aux études supérieures, sans toutefois mettre fin aux inégalités : celles-ci se recomposent à travers la hiérarchisation des parcours, la segmentation des filières ou encore des effets d’orientation différenciée selon l’origine sociale et le genre.

L’accès aux études supérieures est plus large, mais inégal selon les filières, ce qui limite l’effet redistributif de la massification. Le système éducatif français tend ainsi à reproduire, voire à produire, des inégalités sociales, culturelles et scolaires tout au long des parcours, malgré l’idéal méritocratique affiché par les pouvoirs publics.


À lire aussi : Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?


Aujourd’hui, l’un des effets les plus visibles de ces tensions réside dans les trajectoires étudiantes après le bac, en particulier lors de la première année, marquée par un taux de réorientation important.

Conséquence indirecte de la massification scolaire, la réorientation n’est pas nécessairement un aveu d’échec. Elle devient une étape de redéfinition des trajectoires, révélant à la fois les aspirations des jeunes et les limites d’un système qui, tout en se démocratisant, continue de reproduire des inégalités sociales.

Dans un contexte marqué par les réformes du bac, de l’accès aux études de santé et de la refonte du diplôme universitaire de technologie (DUT) en bachelor universitaire de technologie (BUT), ces constats interrogent : pourquoi tant de jeunes entament-ils une réorientation après une seule année, et quelles en sont les conséquences ?

Notre analyse porte sur les données Parcoursup entre 2018 et 2023, en se concentrant sur les étudiants qui se sont réinscrits après une première année dans le supérieur. Seuls les parcours passés par la plateforme sont pris en compte, ce qui exclut les formations hors Parcoursup, comme certaines écoles privées ou classes préparatoires internes, en raison de l’absence de données disponibles.

Des ajustements progressifs de parcours

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle une réorientation serait synonyme de rupture totale, les données montrent que la plupart des étudiants restent dans un univers disciplinaire proche de leur formation d’origine. Celles et ceux qui commencent une licence de sciences humaines et sociales, de droit ou de sciences expérimentales poursuivent souvent dans ces mêmes domaines ou dans des filières voisines. La logique dominante n’est donc pas celle du grand saut, mais plutôt celle de l’ajustement progressif.

Certaines formations font néanmoins figure de points de départ majeurs. C’est le cas de la filière santé, qu’elle s’appelle « première année commune aux études de santé (Paces) » ou « parcours accès santé spécifique (Pass) » : chaque année, une partie importante des étudiants s’en détourne après la première année, en se réorientant vers des licences scientifiques, des diplômes du secteur sanitaire et social ou, plus rarement, vers les filières juridiques ou littéraires. Malgré sa réforme, le Pass reste ainsi un espace de réajustement des parcours très fréquent.

À l’inverse, d’autres filières apparaissent comme des points d’arrivée privilégiés. Les brevets de technicien supérieur (BTS), en particulier, accueillent chaque année un grand nombre d’étudiants venus d’horizons très divers : université, santé, sciences humaines, etc.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Enfin, certains domaines, comme les licences Arts, Lettres, Langues ou Droit, Économie, Gestion, connaissent des flux relativement stables : les réorientations y restent internes, comme si les étudiants cherchaient moins à changer de cap qu’à modifier leur angle d’approche (contenus, options, établissements, etc.).

En somme, nous pouvons affirmer que les trajectoires étudiantes se complexifient. Derrière ces mouvements, il ne faut pas voir un simple signe d’instabilité : les réorientations dessinent de nouvelles manières de construire un projet, par essais, par détours et par réajustements.

La réorientation mobilise des ressources inégalement distribuées

Les titulaires d’un bac général sont surreprésentés parmi les étudiants en réorientation après une première année dans l’enseignement supérieur : ils représentaient 73 % des candidats acceptant une nouvelle proposition en 2023, contre 68 % en 2019. À l’inverse, la part des bacheliers technologiques et professionnels parmi les étudiants en réorientation a reculé entre 2019 et 2023, passant respectivement de 22 % à 19 % et de 10 % à 8 %. À des fins de contextualisation, les titulaires d’un bac général représentaient 54 % des diplômés du bac en 2022, contre 20 % pour les technologiques et 26 % pour les professionnels, ce qui indique une plus forte réorientation des généralistes.

Cette dynamique peut refléter une plus grande flexibilité des parcours ou, à l’inverse, des obstacles spécifiques freinant la mobilité académique des autres bacs.

Durant la même période, une logique semblable se retrouve du côté des catégories sociales : les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures passent de 30 % à 32 % du public en réorientation, tandis que les enfants d’ouvriers reculent de 14 % à 11 %. Ces chiffres sont à mettre en regard de leur poids dans la population (21,7 % pour les cadres, 18,6 % pour les ouvriers) et parmi les bacheliers : un quart des titulaires du bac sont issus d’un milieu de cadres. Leur surreprésentation en réorientation s’inscrit donc dans une continuité sociale.

La réussite scolaire précédente a aussi une influence : les réorientés sans mention au bac représentaient 47 % du public en 2018, contre 33 % en 2023. Dans le même temps, la part des mentions « assez bien » augmente, devenant même majoritaire en 2022 (36 %). Cette évolution suit celle du système d’évaluation, qui est marqué par l’essor du contrôle continu.

Enfin, le sexe administratif révèle des disparités genrées : en 2023, 59 % des réorientés sont des filles contre 41 % de garçons, en hausse par rapport à 57 % et 43 % en 2018. Ces écarts sont cohérents avec les taux d’obtention du bac (93 % des filles contre 88 % des garçons en 2022), mais aussi avec des stratégies différenciées de choix d’orientation selon le genre.

Comment l’expliquer ? La réorientation mobilise des ressources inégalement distribuées : compréhension des mécanismes d’affectation, capacité à formuler des vœux stratégiques, anticipation des calendriers, accès à un accompagnement souvent familial ou encore confiance en sa légitimité à changer de voie. Autant d’éléments qui prolongent la critique d’un système scolaire méritocratique en apparence, mais inégalitaire dans les faits.

Une première année d’exploration de l’enseignement supérieur ?

L’évolution des usages de Parcoursup montre une chose : les étudiants utilisent de plus en plus la première année pour « tester », voire réajuster, leur orientation. Ce n’est pas un mal en soi : expérimenter, essayer, se tromper fait partie de la vie étudiante. Mais, cela suppose que les institutions suivent, avec des capacités d’accueil adaptées, un accompagnement renforcé, et surtout une équité entre les primo-entrants et les réorientés.

Or, sur ces points, les politiques publiques accusent un retard : les réorientations ne sont ni anticipées ni outillées, et les étudiants les plus fragiles restent ceux qui en payent le prix.

Les lycéens et les étudiants souhaitant se réorienter en première année d’études supérieures passent par la même plateforme. Ce phénomène complexifie la gestion des places, car les candidats peuvent postuler tout en restant inscrits dans leur formation actuelle. Pensée comme un outil d’accès à l’enseignement supérieur, Parcoursup joue désormais aussi un rôle central et parfois flou dans les réorientations.

La réorientation ne peut pas être considérée comme un échec, c’est souvent la preuve d’un ajustement lucide. Encore faut-il que les outils suivent, et que les logiques d’exclusion ne se perpétuent pas. Plutôt que de juger les étudiants qui changent de voie, il est temps de reconnaître qu’au vu de l’évolution du système éducatif, la première année d’études est devenue un moment d’exploration souvent nécessaire.

Il s’agit maintenant collectivement de faire en sorte qu’elle ne devienne pas une fabrique de tri social. Cela suppose d’adapter les bourses, logements, et dispositifs d’aide aux étudiants déjà inscrits dans le supérieur. C’est une manière de réduire les inégalités de « mobilité scolaire ».

The Conversation

Dorian Vancoppenolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

02.06.2025 à 14:52

Finale de la Ligue des champions UEFA 2025 : une bataille pour la gloire sur fond d’argent et de mode

Simon Chadwick, Professor of AfroEurasian Sport, EM Lyon Business School

Paul Widdop, Associate Professor of Sport Business, Manchester Metropolitan University

Ronnie Das, Associate Professor in Data Science, Sports Analytics and AI, The University of Western Australia

PSG et Inter, deux équipes stars de football. Paris et Milan, deux villes emblématiques de la mode. Fonds qatari Qatar Sports Investments et fonds états-unien Oaktree, deux propriétaires richissimes.
Texte intégral (1439 mots)

La finale masculine de la Ligue des champions 2025 de l’UEFA s’est terminée par un triomphe du Paris Saint-Germain sur l’Inter de Milan (5-0). PSG et Inter, deux équipes stars de football. Paris et Milan, deux villes emblématiques de la mode. Fonds qatari Qatar Sports Investments et fonds états-unien Oaktree, deux propriétaires richissimes.


Quelle qu’ait été l’équipe gagnante, l’UEFA loue le succès de son nouveau format, impliquant plus d’équipes, plus de matchs et plus de fans. Bien sûr, tout le monde n’est pas d’accord avec ce nouveau format. Mais en résultats commerciaux, il ne fait aucun doute que la Ligue des champions continue de générer d’énormes sommes d’argent pour toutes les personnes impliquées.

Grâce aux droits de diffusion lucratifs, aux accords de sponsoring et à la vente de billets, les sommes distribuées aux clubs à l’issue de la compétition de cette saison sont exorbitantes : plus de 2,4 milliards d’euros de prix en jeu, contre 2 milliards d’euros l’an dernier.

En atteignant la finale, le Paris Saint-Germain (PSG) a déjà gagné 138 millions d’euros, et l’Inter Milan 137,39 millions d’euros.

Le PSG a reçu une récompense supplémentaire de 6,46 millions d’euros, tandis que la victoire devrait également générer environ 35,58 millions d’euros de revenus futurs en participant à des tournois comme la Supercoupe d’Europe.

La qualification pour la finale a également stimulé la valeur de la marque des clubs et l’engagement des fans. Dans les dernières étapes du tournoi, l’Inter Milan a connu une énorme croissance de son nombre de followers sur les réseaux sociaux.

Mais malgré tous les chiffres importants figurant sur les relevés de revenus et les comptes de médias sociaux, la finale de cette année a une dimension culturelle qui est difficile à mesurer uniquement en chiffres.

Football et mode

Paris et Milan sont toutes deux des capitales mondiales de la mode, abritant des créateurs célèbres et des marques convoitées dans le monde entier. Le PSG et l’Inter Milan ont pour mission d’imiter ces marques, avec un football attrayant qui apporte prestige et héritage.

Certains parallèles peuvent être établis entre le style des équipes et les deux villes rivales. Le PSG, par exemple, en se concentrant sur la construction d’une équipe remplie de jeunes talents locaux, a réussi à refléter la sophistication et la flamboyance de Paris.


À lire aussi : Derrière la rivalité des clubs de football, celle (de l’ego) de leurs présidents


Les partenariats de l’équipe avec Jordan et Dior positionnent le club comme un réceptacle pour l’image mondiale de la ville : audacieuse, luxueuse, cosmopolite.

L’Inter de Milan, quant à elle, bien qu’elle manque de joueurs de renom, incarne une approche italienne classique, disciplinée et défensive du football – historiquement appelée catenaccio, et pouvant se traduire par « verrou ». Un accord parfait avec le style vif et distinctif des maisons de couture basées à Milan.

Cette identité n’est pas enracinée dans la flamboyance, mais dans le raffinement et la rigueur – à l’image de la confection précise de Prada et Armani. Si le PSG est l’emblème du luxe mondial, l’Inter est le modèle de la culture du design italien, moins performatif, mais plus exigeant.

Identité urbaine

Ensemble, le PSG et l’Inter sont les ambassadeurs de l’identité urbaine pour ces villes. Paris et Milan cherchent à exercer une influence bien au-delà de leurs frontières, une stratégie de soft power non seulement à travers l’architecture ou le tourisme, mais aussi à travers la performance esthétique du sport.

De cette façon, le football devient le théâtre d’une compétition symbolique entre les villes, où l’identité civique est canalisée à travers des images symboliques et matérielles telles que des kits, des campagnes et des fans internationaux. Dans cette finale, il y a un choc d’ambition urbaine, un jeu de soft power entre deux des métropoles les plus soucieuses de leur image en Europe.

Sur le plan géopolitique, les enjeux sont nombreux. La deuxième participation du PSG à une finale de la Ligue des champions est d’une importance capitale pour les propriétaires qataris du club. Le président Nasser al-Khelaïfi a passé des années à investir dans des joueurs vedettes étrangers pour aider à construire l’image de l’État du Golfe. Ces dernières saisons, le club a changé de stratégie vers la signature de jeunes talents locaux.

Cela a permis au PSG de se positionner comme un club parisien tout en renforçant les relations qatariennes avec le gouvernement français. C’est particulièrement important à l’heure actuelle car, à partir de la saison prochaine, le PSG aura un rival local. L’année dernière, LVMH a acquis le Paris FC, qui semble prêt à se battre avec son rival local pour le titre de club le plus en vue de la capitale.

Pour sa part, l’Inter a récemment changé de propriétaire, en passant des mains de la famille Zhang à celles du fonds d’investissement Oaktree. Acquis par une entreprise chinoise en 2016, le club a connu des difficultés – malgré une autre finale de Ligue des champions en 2023 – alors que la tentative de révolution du football chinois a échoué.

En mai 2024, le club a été racheté par un fonds d’investissement américain. Ces dernières années, il s’agit d’une tendance dans le football européen selon laquelle le capital-investissement américain a triomphé des investissements soutenus par les États.

Tout cela met en place une autre bataille de football classique de notre époque. Alors que 450 millions de personnes regardent une finale de la Ligue des champions, le ballon rond est devenu un choc d’idéologies autant qu’il s’agit de stars, de villes et de mode.

The Conversation

Simon Chadwick teaches for UEFA's Academy and is a Programme Lead for the European Club Association.

Paul Widdop et Ronnie Das ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

PDF

02.06.2025 à 12:46

Quand la com’ s’emballe : le feu de paille du « starter pack »

Sophie Renault, Professeur des Universités en Sciences de Gestion et du Management, Université d’Orléans

La mode du starter pack s’est emparée de certaines marques à l’affût de toutes les tendances. Une mode aussi fulgurante qu’éphémère ? Quelles leçons pour la communication d’entreprise ?
Texte intégral (1695 mots)

Adoptés par de nombreuses marques, les visuels de figurines sous starter pack ont rapidement envahi les réseaux sociaux. Derrière cette stratégie virale en apparence efficace se cache une communication mimétique, simplificatrice qui s’est rapidement trouvée en situation d’essoufflement. Une tendance qui en dit long sur les dérives de la communication à l’ère de l’instantanéité.


En avril 2025, il était difficile d’échapper à la vague des « starter packs ». Les réseaux sociaux LinkedIn, Instagram ou bien encore Facebook ont été submergés par des visuels, tous construits selon le même schéma : une figurine numérique, enfermée dans un blister plastique, entourée d’accessoires miniatures et nommée selon un profil type : « Consultante dynamique », « Manager HPI », « RH en télétravail »… Le tout génère immédiatement un effet de connivence : l’on s’identifie, on like, on partage.

Le plus souvent généré par intelligence artificielle, le starter pack reprend l’idée d’associer une série d’objets représentatifs à un profil type, en l’inscrivant dans l’esthétique du jouet. De madame et monsieur Tout-le-Monde aux personnalités publiques comme Élodie Gossuin ou Alexia Laroche-Joubert, en passant par différentes organisations, tous ont contribué à populariser le format starter pack. France Travail, l’Afpa, Basic Fit, Lidl, Paul, Vichy, Michelin ou bien encore Extrême Ice Cream… nombreuses sont les organisations ayant décliné leur univers sous forme de figurines stylisées.

Le format séduit, car il est immédiatement lisible, amusant, propice à l’interaction. Il permet aussi aux acteurs institutionnels ou marchands d’adopter un ton plus léger, plus complice.

Mais cette efficacité visuelle repose sur une logique de standardisation, voire de blanding. In fine, ce qui fait la force du starter pack, c’est-à-dire sa clarté formelle et sa facilité de mise en œuvre, est aussi ce qui a rapidement causé sa perte.

Un feu de paille numérique

En quelques semaines à peine, la mécanique se retourne contre elle-même. Les publications se ressemblent, les accessoires deviennent interchangeables, les profils sont redondants. L’œil se lasse, l’attention baisse, l’effet de surprise disparaît.

La tendance se banalise au point de susciter l’ironie et la lassitude des internautes. Ce rapide essoufflement est typique des feux de paille numériques, où la viralité repose sur l’imitation, jusqu’à l’overdose.

Mais ici, l’enjeu est plus profond : il interroge la stratégie des marques elles-mêmes. Car en reprenant ce format sans en questionner les limites, elles contribuent à une communication mimétique, standardisée, où l’unicité du message est sacrifiée au profit de la visibilité à très court voire ultra court terme.


À lire aussi : Marketing sur les réseaux sociaux : à chaque produit son influenceur…


Au-delà de la redondance visuelle, le format pose problème dans ce qu’il représente : il réduit une personne, un métier ou un style de vie à une série d’attributs figés. La mise en perspective des métiers en tension par France Travail est de ce point de vue symptomatique. Enfermés dans leur « starter pack », un agriculteur avec fourche, tracteur et pot à lait ou bien encore l’aide de cuisine avec une poêle et un faitout. La caricature n’est pas seulement visuelle. L’humour masque mal la simplification excessive. Et cette simplification est d’autant plus problématique que nombre des organisations qui ont surfé sur cette tendance se veulent inclusives.

Esthétique plastique, IA générative… et résistance créative

Le choix esthétique du blister plastique n’est pas anodin. Il évoque l’univers de l’objet standardisé, du produit prêt à consommer, de la figurine figée. Cette symbolique plastique, ludique en apparence, entre en dissonance avec les discours actuels sur la responsabilité des marques, la durabilité ou bien encore l’authenticité.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, recevez gratuitement des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


Autre élément sujet à polémiques : la plupart de ces visuels sont générés par intelligence artificielle (IA). La promesse de gain de temps et d’efficacité graphique masque une réalité moins reluisante : production massive de contenus à faible valeur ajoutée, mais dont l’empreinte carbone est croissante. La multiplication d’images par IA interroge profondément à l’heure où la sobriété numérique devient un objectif affiché par les organisations. Combien de « prompts » avant d’obtenir le starter pack espéré ?

La riposte « humaine » au prêt-à-com’

Face à cette standardisation accélérée, une contre-tendance artisanale a vu le jour. En écho à l’initiative du dessinateur français Patouret, plusieurs illustrateurs ont lancé le hashtag #StarterPackNoAI pour proposer des versions dessinées à la main de ces figurines, revendiquant une démarche 100 % humaine et incarnée.

Une manière de remettre de la singularité dans un format devenu générique et de rappeler que la créativité n’a pas à être automatisée pour être pertinente.

France Info, 2025.

Beaucoup d’organisations ont ainsi, au travers de ce choix de communication, ouvert la voie aux critiques. Citons les commentaires suscités par la mise en perspective des métiers en tension par France Travail :

« Pas ouf d’utiliser cette trend polluante, terriblement gourmande en ressources naturelles et un véritable pied-de-nez aux artistes alors que des graphistes inscrits [à France Travail] seraient ravis de rejoindre les équipes de Com’ en DR [direction régionale], DT [direction territoriale], DG [direction générale]… […] Surfer sur les tendances de ce genre, pour moi, c’est remettre en question le sérieux de l’institution. Encore une fois, il y a des graphistes qui cherchent du taf, et ça n’a jamais dérangé différentes strates de France Travail de faire appel à des prestataires… »

ou bien encore un laconique :

« Pas de RSE à FT [France Travail], juste “greenwashing et trendsurfing”. »

Des images qui claquent, un message qui flanche

Le succès éclair du starter pack en dit long sur les tensions qui traversent aujourd’hui la communication des marques.

Tiraillées entre la nécessité de produire vite, de suivre les tendances, d’être vues, et la volonté de construire du sens, elles cèdent trop souvent à l’appel de formats prêts à l’emploi, esthétiques mais creux.

Le starter pack aura été un joli emballage pour peu de messages. Un outil de communication qui amuse un instant, mais ne construit ni confiance ni engagement durable. Ce n’est pas un nouveau langage, c’est un symptôme : celui d’une communication fascinée par l’effet, mais en perte de sens.

The Conversation

Sophie Renault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

02.06.2025 à 12:46

L’entreprise libérée donne-t-elle du courage ?

Clara Letierce, Enseignante-Chercheure en Management Stratégique, Burgundy School of Business

Anne-Sophie Dubey, Maîtresse de conférences en Théorie des organisations (Cnam), PhD Sciences de gestion/Éthique des affaires (Polytechnique Paris), MSc Philosophie et Politiques publiques (LSE), Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Caroline Mattelin-Pierrard, Maître de conférences en sciences de gestion et du management, Université Savoie Mont Blanc

Matthieu Battistelli, Maitre de conférences en sciences de gestion, IAE Savoie Mont Blanc

Dans l’entreprise libérée, le rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui ose prendre des décisions difficiles et courageuses ?
Texte intégral (2065 mots)
Il ne s’agit pas seulement d’oser, mais de savoir quand et comment le faire pour préserver le collectif, tout en limitant les tensions. lassedesignen/Shutterstock

Dans l’entreprise libérée, le rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui ose prendre des décisions difficiles ? L’entreprise libérée donne-t-elle du courage ? Oui, à condition qu’elle équilibre autonomie individuelle et préservation du collectif, et fasse du courage une pratique partagée au quotidien.


En mars dernier, Jean-François Zobrist, à la tête de la fonderie d’Hallencourt de 1983 à 2009, est mort. Ce dirigeant d’entreprise singulier a mis en place son concept de « l’entreprise libérée ». Ses mantras : la confiance plus que le contrôle, l’homme est bon alors faisons-lui confiance.

Traditionnellement, le manager incarne un nœud de pouvoir et porte, souvent seul, les responsabilités des décisions. Dans l’entreprise libérée, ce rôle de décideur se partage au sein des équipes. Alors, sans chef pour trancher, qui prend la responsabilité de dire à ses collègues quand ils ne sont « plus dans le coup », que l’entreprise perd en efficacité, qu’un recrutement ne fonctionne pas. En résumé, qui ose dire et prendre des décisions difficiles ?

Les entreprises libérées semblent exiger davantage de courage. Comment créer un environnement favorable à ces actions courageuses ? Ou, dis autrement, comment permettent-elles de construire des organisations encourageantes ? Longtemps perçu comme une vertu individuelle au sens d’Aristote, le courage au travail mérite d’être repensé collectivement. En nous inspirant de la philosophie néo-aristotélicienne et de travaux récents en sciences de gestion, nous avons étudié trois entreprises – FlexJob, Innovaflow et Fly The Nest – assimilées entreprise libérée pour comprendre ce qui permet aux salariés d’oser être, dire et agir, tout en préservant le ciment du collectif.

Le courage ne se décrète pas, il s’apprend

Les salariés participent activement aux choix moraux et à leur incarnation dans le déploiement stratégique de l’entreprise. Ils vont parfois jusqu’à refuser des projets incompatibles avec leurs valeurs communes.

« L’éthique, c’est se dire : “On se fait suffisamment confiance dans la collaboration, on vient se nourrir l’un l’autre.” On ne se met pas en mode : “Je viens prendre ce que j’ai à prendre et je me casse.” Donc il y a ce côté-là entre nous. Et ça se décline aussi sur l’éthique professionnelle avec les clients. » (Innovaflow)

Ces discussions sont complexes, car elles font appel aux valeurs et expériences personnelles. Elles exposent les vulnérabilités de chacun. Il ne s’agit pas seulement d’oser, mais de savoir quand et comment le faire pour préserver le collectif en limitant les tensions. Autrement dit, les décisions courageuses doivent intégrer leur impact émotionnel sur le collectif. Les salariés doivent discerner quand et où partager leurs arguments. Les questions financières et salariales, par exemple, peuvent en fait devenir éthiques au regard des enjeux émotionnels qu’elles provoquent.

« En sachant que la [question de l’argent] va faire vivre des émotions parce qu’on est des humains et que l’argent, c’est un sujet tabou qui cristallise plein de choses… […] il y a une logique de performance, de développement de l’activité, de justice… Le salaire n’est pas forcément toujours juste vis-à-vis d’autres dans la boite par rapport à qui apporte effectivement plus. » (FlexJob)

S’outiller

Pour encourager ces délibérations, ces entreprises mettent en place des dispositifs pour « outiller » le courage :

  • La mise en place de règles de fonctionnement transparentes : processus de fixation des salaires, régulation des horaires de travail ou des plans de charge, suivi des frais de déplacement, etc.

« Je prends l’exemple du plan de charge d’une personne qui a onze jours, une personne qui a deux jours. Si la règle c’est de tous viser sept ou huit jours, on s’appuie sur cette règle et probablement qu’il n’y aura même pas besoin de le dire. […] Tu n’as même plus besoin de gérer les tensions. Mais pour ça, il faut créer les conditions. » (Flexjob)

  • Des processus clairs et institutionnalisés, qui viennent rythmer la prise de décision

« On a remis à jour notre process de décision en se disant : “Déjà, c’est quoi, une décision très stratégique, une décision moyennement stratégique ?” Et à chaque fois, il y a un process différent. Et on donne la possibilité de faire à l’écrit ou à l’oral. Certains ont dit :“Moi, j’ai besoin d’avoir du temps avant de décider.” Donc on a dit : “D’abord, tu envoies un message à l’écrit et après, on décide à l’oral.” Donc, de séparer des temps. » (Fly The Nest)

Organisation apprenante

Plutôt que de subir les règles imposées par des normes financières ou sociales, les entreprises libérées développent une approche évolutive de leurs pratiques, ce qui demande du courage. Chez FlexJob, l’un des principes fondateurs est la capacité permanente à questionner et modifier les règles existantes. Chaque processus, chaque outil de gestion peut être revu et amélioré si le collectif estime qu’il ne correspond plus aux besoins de l’entreprise.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH, marketing, finance…).


« Nous avons commencé à compter notre temps de travail. Nous, on veut travailler idéalement 32 heures par semaine. Tous les mois, mon cercle va demander aux gens : “Est-ce que vous vous situez à peu près à 32 heures par semaine ?” […] Voilà, c’est des petites choses, c’est du test, mais pour encourager l’individu qui essaie de gérer beaucoup trop de choses, à faire ce qui est bon pour elle et l’organisation. » (Fly The Nest)

Tensions et paradoxes

Si l’entreprise libérée se veut un espace propice au courage, elle soulève aussi tensions et paradoxes :

1. Trop de bienveillance empêche-t-elle le courage ?

La culture de la bienveillance, souvent mise en avant dans ces entreprises, peut paradoxalement freiner l’expression d’un courage authentique. Les employés peuvent hésiter à exprimer un désaccord par peur de heurter le collectif.

« Moi, j’ai encore du mal à faire des feedbacks, j’ai encore du mal à le faire, parce que je suis de nature très empathique, parce que je déteste le conflit. » (Fly The Nest)

2. L’autonomie est-elle oppressive ?

Le collectif peut instaurer des normes implicites de comportement qui restreignent la liberté individuelle. Si chaque individu est responsable de ses actes, la pression sociale peut ainsi devenir un substitut à la hiérarchie traditionnelle ou à la règle. Ce phénomène est documenté dans certaines entreprises libérées, où l’adhésion aux valeurs communes devient une injonction difficile à questionner.

3. Le courage du désaccord est-il réellement encouragé ?

L’un des piliers des entreprises libérées est la prise de décision collective. Le désaccord est souvent sous-exploité dans ces entreprises. Le mécanisme d’objection, bien que prévu, n’est pas facilement utilisé, par peur de dégrader la relation à l’autre et de se voir exclu du collectif (c’est ce que l’on nomme le « dilemme relationnel »).

« Je propose d’essayer non pas de définir des règles plus claires pour qu’il y ait moins de conflits, mais au contraire de définir des zones communes plus grandes pour qu’il y ait plus de conflits, et régler systématiquement ces conflits pour qu’on s’habitue à se dire les choses et qu’on crée la confiance, en “s’affrontant” sur des choses un peu plus triviales, pour être capables de dire quand ça ne va pas. » (Fly The Nest)

La distanciation critique

Au-delà de son outillage, le courage au travail se nourrit de mécanismes de distanciation critique. Incarnée par des rituels et des moments de recul, elle introduit une culture du courage permettant aux salariés de partager librement leurs doutes et d’être soutenus dans leurs prises de décision. Cette régulation collective prévient les risques de dérives individualistes et/ou sectaires, identifiés comme des dangers dans les entreprises libérées.

Le courage n’est pas qu’un état d’esprit : il repose sur des dispositifs organisationnels aidant les individus à gérer leurs craintes des répercussions négatives de leurs actes. Plutôt que d’évacuer à tout prix les émotions, il s’agit de les interroger pour y réagir dans la juste mesure, dans la lignée de la pensée d’Aristote. Il n’y a pas de courage sans peur, ce qui implique comme corollaire que le courage ne doit pas devenir une fin en soi.

Le courage, c’est parfois ne pas céder à une franchise prématurée, c’est savoir attendre ou se taire, pour protéger la qualité de la relation au travail et choisir le bon moment. Finalement, l’entreprise libérée est-elle véritablement encourageante ? Oui, à condition qu’elle équilibre autonomie individuelle et préservation du collectif et faire du courage une pratique partagée au quotidien. Loin d’être un simple laisser-faire, ces entreprises mettent en place des dispositifs pour structurer et cultiver l’exercice du courage afin que chacun soit encouragé à oser être, dire et agir en toute responsabilité.

The Conversation

Anne-Sophie Dubey est co-fondatrice du Disruptive Co-Consulting Group (DCG) LLC. Anne-Sophie Dubey a mené une thèse CIFRE (bourse de l'ANRT et financement par La Fabrique de l'industrie).

Caroline Mattelin-Pierrard a reçu des financements de la Fondation de l'Université Savoie Mont Blanc.

Matthieu Battistelli a reçu des financements de la Fondation de l'Université Savoie Mont Blanc.

Clara Letierce ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

02.06.2025 à 12:45

En télétravail, les tâches domestiques sont-elles mieux réparties ?

Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education

Hybridation et hyperconnectivité : une stratégie d’évitement pour échapper aux corvées ménagères ? Débranche, et revenons à nous !
Texte intégral (1595 mots)
À la question « Quand vous travaillez à domicile, profitez-vous de l’occasion pour vous occuper de vos enfants le cas échéant ? », 16 % des hommes répondent « souvent ou très souvent » contre 8 % des femmes. Leonardoda/Shutterstock

Hybridation et hyperconnectivité : une stratégie d’évitement pour échapper aux tâches domestiques ? Débranche et revenons à nous ! Une étude menée en 2022 conclut que les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Le télétravail, le jackpot de l’équilibre vie professionnelle-personnelle ?


Cinq années après la pandémie de Covid-19 et le télétravail massif, les scientifiques en organisation ont mis en lumière les effets secondaires du travail hybride : agencement organisationnel, brouillage des frontières vie privée/vie professionnelle et surcharge de travail. Le télétravail touche aujourd’hui un quart des salariés en France, deux tiers des cadres. Il est particulièrement répandu chez les personnes en CDI, les plus diplômées, chez les plus jeunes et dans le secteur privé.

Cette révolution copernicienne du travail produit des effets dans la sphère intime du couple. Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « Pour une mise en œuvre du télétravail soucieuse de l’égalité entre les femmes et les hommes », mentionne de nombreuses inégalités subies par les femmes, notamment en matière de répartition des tâches domestiques et de charge mentale. Le déséquilibre entre hommes et femmes serait amplifié avec le télétravail. En cause les difficultés de garde d’enfants et l’espace de travail inadapté.

Nouvelle donnée : ce mode de travail hybride permet d’échapper à certaines tâches domestiques. Pour ce faire, nous avons mené une étude quantitative entre le 3 février et le 3 mars 2022 auprès de 211 télétravailleurs à domicile, au lendemain de la levée de l’obligation de télétravailler. Elle conclut que, parmi notre échantillon, les hommes prennent davantage part aux tâches domestiques et familiales en situation de télétravail à domicile. Une meilleure conciliation des temps de vie et une moindre participation aux tâches domestiques pourraient ainsi s’avérer favorables aux femmes.

Alors le télétravail à domicile peut-il réduire les inégalités professionnelles de genre en créant un ré-équilibrage des tâches en faveur des femmes ?

Division sexuelle du travail domestique inégalitaire

Pour la sociologue Marianne Le Gagneur, le télétravail ne redistribue pas les cartes d’une division sexuelle du travail domestique inégalitaire. Les télétravailleuses tablent sur cette journée pour laver leur linge ou faire la vaisselle par exemple, elles n’ont plus de véritables pauses. L’enquête 2023 de l’UGIC-CGT suggère également que le télétravail se solde pour les femmes par des journées plus intenses. Ce contexte de difficultés techniques rend leur activité moins fluide et plus hachée que celle des hommes – problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques.

Nos résultats vont partiellement à l’encontre de ces études et enquêtes. Ils enrichissent ceux de Safi qui conclut à une répartition plus équitable des tâches domestiques en situation de télétravail. À la question « Quand vous travaillez à domicile, profitez-vous de l’occasion pour vous occuper de vos enfants le cas échéant ? 16 % des hommes répondent « souvent ou très souvent » contre 8 % pour les femmes.

À la question « Quand vous travaillez à domicile, en profitez-vous pour vous occuper des tâches domestiques ? » 29 % des hommes sont concernés contre 28 % pour les femmes.

Les hommes prennent part aux tâches domestiques et familiales. Ces résultats ambivalents et surprenants pointent le télétravail comme un enjeu au cœur du rééquilibrage des temps et une répartition différente des contraintes domestiques entre les hommes et les femmes.

Augmentation du temps de travail

Pour 82 % des répondants à l’étude de l’UGIC-CGT, le télétravail est plébiscité pour garantir un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Cette promesse d’une meilleure articulation des temps de vie s’accompagne d’une augmentation du temps de travail – 35,9 % des répondants – et de difficultés à déconnecter. Seulement 36 % des répondants bénéficient d’un dispositif de droit à la déconnexion, alors même que ce droit se trouve dans le Code du travail. Cela suggère que le télétravail, qu’il soit exclusif ou en alternance, est associé à des niveaux de tensions d’équilibre pro/perso inférieurs à ceux du travail exclusivement en présentiel.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH, marketing, finance…).


Les derniers chiffres de l’Observatoire de l’infobésité sont éloquents : 20 % des e-mails sont envoyés hors des horaires de travail (9 heures-18 heures) ; 25 % des managers se reconnectent entre 50 et 150 soirs par an ; 22 % des collaborateurs ont entre 3 et 5 semaines de congés numériques (sans e-mails à envoyer) par an. Alors que les emails sont identifiés comme source de stress générant des comportements d’évitement.

L’hyperconnectivité comme stratégie d’évitement

La notion d’évitement correspond à des efforts volontaires d’un individu pour faire face à une situation qu’il évalue comme stressante. Elle implique que cette situation est perçue comme difficile à surmonter et menaçante pour son bien-être. Un individu met en place différents processus entre eux. Il peut ressentir cet événement comme menaçant. L’enjeu est d’échapper à une situation inconfortable.

La dépendance à l’hyperconnectivité peut s’expliquer par des injonctions implicites ou une forme d’autocontrôle et d’autodiscipline. Cela suggère une servitude volontaire où les employés répondent aux sollicitations professionnelles à tout moment. Cette hyperconnectivité pourrait être un prétexte pour échapper aux tâches domestiques considérées comme peu valorisantes. Le collaborateur, volontairement ou non, se connecte ou répond à des sollicitations en dehors des horaires classiques de travail. Peut-être pour échapper à des contraintes personnelles et familiales ? Et s’investir dans un champ unique limitant la charge mentale.

Stress supplémentaire

L’imbrication croissante des espaces de travail et de vie personnelle due à l’hyperconnectivité engendre des conflits de rôle. Elle ajoute un stress supplémentaire aux individus et compromet leur bien-être. Autrefois, les frontières entre les temps et lieux de travail et de vie privée étaient claires : on se connectait au bureau à 9 heures et on se déconnectait à 18 heures, laissant ainsi le travail derrière soi. Aujourd’hui, ces frontières se sont effacées, rendant la déconnexion plus difficile à gérer.

Cette hybridation des espaces de vie, où le travail et les activités domestiques ou familiales s’entremêlent, apporte certes de la flexibilité. Elle permet par exemple d’emmener ses enfants à la crèche avant de se connecter au travail. Mais ce « mélange des genres » peut aussi être source de stress. Il génère un sentiment d’incapacité à tout gérer en même temps, provoquant des conflits de rôle, où les exigences professionnelles empiètent sur la vie personnelle et inversement.

The Conversation

Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

01.06.2025 à 20:24

De quels maux souffre le Parti socialiste ?

Pierre-Nicolas Baudot, Docteur en science politique, Université Paris-Panthéon-Assas

Le 5 juin, les militants socialistes désigneront Olivier Faure ou Nicolas Mayer-Rossignol comme premier secrétaire d’un PS profondément affaibli.
Texte intégral (2233 mots)

Le 5 juin, les militants du Parti socialiste désigneront leur premier secrétaire – les finalistes étant Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol. Longtemps hégémonique à gauche, parti de gouvernement, le PS s’est effondré en 2017 puis a connu sa plus lourde défaite électorale avec la candidature d’Anne Hidalgo (1,7 % des voix) lors de la présidentielle de 2022. Quelles sont les causes structurelles de ce lent déclin ? Le PS peut-il se remettre en ordre de bataille pour les municipales de 2026 et la présidentielle de 2027 ?


À l’occasion de son 81e congrès à Nancy, le Parti socialiste (PS) s’est mis en ordre de bataille pour désigner sa direction et arrêter ses principales orientations. À un an d’un scrutin municipal qui lui est traditionnellement favorable et à deux ans d’une élection présidentielle encore illisible, cet exercice expose au grand jour les maux profonds du parti. Il donne à voir le tableau paradoxal d’une organisation marginalisée électoralement sur la scène nationale, mais engluée dans des logiques anciennes de professionnalisation et de présidentialisation.

La lecture des trois textes d’orientation du congrès de Nancy dessine quelques lignes idéologiques communes : la défense du rôle de la puissance publique dans la gestion de l’économie, une meilleure répartition des richesses, la nécessité de la transition écologique ou encore la confiance au projet européen. Cependant, au-delà de ces emblèmes, la réflexion apparaît particulièrement peu poussée sur plusieurs enjeux cardinaux, comme le rapport au capitalisme et à la mondialisation, la stratégie géopolitique ou, plus largement encore, la singularité d’un projet socialiste dans le monde actuel. Pour autant, tous les textes en appellent à la reprise d’un travail sur les idées et au rétablissement des liens avec la société civile.

Des éléments qui reviennent comme des airs populaires à chaque congrès du parti, depuis maintenant plusieurs décennies. Et de fait, le congrès de Nancy peine à paraître pour autre chose qu’un combat de personnes. Même l’alliance avec La France insoumise (LFI) n’est plus véritablement en jeu, puisque les différents textes proposent une alliance de la gauche non insoumise. Ce rapport du PS à la production d’idées permet de dépasser l’immédiate actualité du congrès pour saisir quelques tendances de plus long terme éclairant l’état actuel du parti.

L’érosion du travail collectif

Évoquant leur identité intellectuelle, les socialistes brandissent volontiers la référence à la social-démocratie, pour se démarquer tant du macronisme que d’une gauche de rupture renvoyée à son irresponsabilité et à sa naïveté. Cependant, la conversion du PS en parti de gouvernement a largement conduit – à l’instar des partis sociaux-démocrates étrangers – à faire de cette référence le signifiant d’une pratique du pouvoir plutôt que d’un contenu idéologique précis. Cela traduit, plus largement, l’érosion continue des capacités du parti à produire des idées et à justifier intellectuellement sa propre existence. Ce que Rafaël Cos a diagnostiqué comme un « évidement idéologique du Parti socialiste » s’exprime, par exemple, dans la faible portée idéologique de la formation des militants, la distance avec les intellectuels, la disparition des revues de courants ou le faible intérêt pour la production programmatique.

Plus encore, c’est la capacité du parti à travailler collectivement qui est en question. Les secrétariats nationaux, qui constituent les lieux ordinaires de l’expertise partisane, sont la plupart du temps très peu investis. S’ils se sont formellement multipliés au fil des années, c’est surtout pour accroître le nombre de places à la direction du parti. De même, si diverses conventions thématiques ont régulièrement été organisées, leurs conclusions sont traditionnellement vite laissées de côté. À l’inverse, les conflits sont légion et ont pris, à l’occasion des alliances avec LFI, des tours particulièrement violents. Et cela, alors même que l’éloignement idéologique entre courants est sans commune mesure avec ce que le parti a pu connaître par le passé.

Un entre-soi de professionnels

Ce constat tient d’abord à des logiques sociales. À mesure qu’il s’est converti en un parti de gouvernement à partir des années 1980 et qu’il a accumulé des positions électorales, le parti s’est considérablement professionnalisé. Non seulement la part des élus dans ses instances de direction s’est accrue, mais de plus le travail quotidien du parti a de plus en plus été pris en charge par des collaborateurs d’élus, formés au métier politique.

Dans le même temps, la part des militants extérieurs à cet univers s’est réduite. En particulier, les militants simultanément engagés dans les secteurs associatifs ou syndicaux se sont considérablement raréfiés. Les relations avec ces espaces s’en sont mécaniquement trouvées modifiées : outre qu’elles se sont distendues, elles se sont professionnalisées dès lors que les relations avec le parti transitent essentiellement par les élus.

Cette dynamique s’articule bien sûr à l’évolution idéologique du parti, et notamment aux conséquences de sa mue sociale-libérale sur son image auprès des profils les plus populaires, mais également auprès des fonctionnaires (notamment des enseignants) pourtant historiquement proches du PS.

Cette professionnalisation a aussi eu pour conséquence, comme l’écrivent Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, de « bouleverser l’économie interne et morale » du parti, au point que « les intérêts électoraux sont devenus prépondérants à tous les niveaux ». Cela s’est accompagné d’une place croissante laissée aux mesures professionnalisées de l’opinion, que constituent les médias et les sondages.

La neutralisation du débat collectif

La professionnalisation du parti s’est également répliquée sur le fonctionnement collectif du parti. D’abord, ses succès électoraux depuis les années 1970 et jusqu’en 2017 ont permis au PS de constituer ce qui s’est apparenté à une véritable rente électorale. L’enjeu pour les principaux courants devenait alors de se maintenir à la direction du parti, pour participer à la gestion des ressources électorales et à la distribution des investitures.

S’est alors progressivement instauré ce que le politiste Thierry Barboni a qualifié de « configuration partisane multipolaire ». Cette expression décrit la présence, au sein de la majorité du parti, de plusieurs sous-courants s’entendant pour gérer le parti. Les désaccords idéologiques se trouvent alors minorés, derrière des jeux d’allégeance peu lisibles et un important flou stratégique considéré comme une condition de l’unité politique. Surtout, ces désaccords sont dissociés des enjeux de désignation de la direction. C’est ce dont témoigne le congrès du Mans, en 2005, qui aboutit à une synthèse générale entre des courants qui s’étaient pourtant fortement affrontés peu avant au sujet du Traité constitutionnel européen.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


La défaite du PS en 2017 puis, surtout, les alliances à gauche de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et du Nouveau Front populaire (NFP) ont de nouveau mis face à face plusieurs camps distincts. Les espaces de la délibération collective du parti ne s’en sont pas, non plus, trouvés revigorés pour autant. La compétition pour la direction encourage une forme de maximisation des différences, quand bien même les divers textes d’orientation convergent vers de nombreux points, mais les débats collectifs demeurent peu nombreux. Surtout, ils ont peu à voir avec la définition d’un contenu idéologique.

C’est ce dont témoigne encore la candidature de Boris Vallaud, ancien soutien d’Olivier Faure, à la direction du parti. Si le dépôt d’une motion par le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale contre le premier secrétaire est un événement, il répond en réalité davantage aux enjeux d’incarnation qu’à une alternative politique profonde.

Ainsi le parti doit-il gérer l’expression interne du pluralisme et s’évertuer à contenir les divisions que laisse paraître la démocratie partisane, sans pour autant en tirer de réels bénéfices collectifs.

Le règne des écuries

Enfin, le parti a connu une forte présidentialisation, c’est-à-dire que son organisation s’est largement faite autour des logiques imposées par l’élection présidentielle. Dès les lendemains de la seconde élection de François Mitterrand, en 1988, les différentes écuries présidentielles se sont développées autour des principaux « présidentiables du parti ». Cette logique a été maximisée dans les années 2000, puis institutionnalisée avec l’adoption des primaires. Chaque écurie est alors incitée à constituer ses propres ressources expertes, sans les mettre à la disposition de l’ensemble du parti au risque d’en voir les bénéfices appropriés par d’autres. L’accumulation d’expertise au fil du temps et la stabilisation d’une ligne commune dépendent donc largement de l’état des rapports de force.

Ainsi, si d’une part la « configuration partisane multipolaire » tend à suspendre le débat collectif, les différentes écuries entretiennent leurs propres espaces de travail hors du parti. Aujourd’hui encore, c’est moins l’accès des socialistes à diverses expertises qui est en jeu que la capacité du parti à travailler collectivement. Cela vaut d’autant plus que les faibles perspectives électorales du parti sur le plan national renforcent les divisions avec l’échelon local. En effet, nombre d’élus n’entendent pas renier les stratégies adoptées localement, au nom d’une stratégie nationale dont les retombées électorales paraissent faibles.

Ces évolutions ont accompagné la domination du PS sur l’ensemble de la gauche plusieurs décennies durant. Si elles ont un temps préservé la machine électorale des divisions, elles ont également conduit à dévitaliser fortement le parti. Ses capacités de médiation entre l’opinion publique et les espaces de pouvoir se sont largement affaiblies. À mesure que s’érodaient ses réseaux dans la société, ses facultés à tirer profit de l’activité du mouvement social s’amenuisaient, de même que ses possibilités de voir ses propositions et ses mots d’ordre infuser dans divers espaces sociaux. C’est également la place des militants qui a été modifiée, en raison de leur faible implication dans l’élaboration programmatique et dans la gestion de la vie du parti. Il en résulte que, non seulement ceux-ci sont aujourd’hui très peu nombreux (41 000 au congrès de Marseille en 2023), mais que de plus ils ont une faible emprise sur les destinées du parti.

En définitive, le PS paraît difficilement pouvoir faire l’impasse d’une refonte organisationnelle profonde. Il s’est construit au fil des décennies autour d’importantes ressources électorales et d’un statut de parti de gouvernement. Son effondrement national a cependant révélé un modèle adapté à la gestion de positions de pouvoir, plutôt qu’à la conquête électorale. Il en résulte le constat paradoxal d’une organisation aux perspectives de victoire présidentielle faible, mais encore paralysée des effets de la professionnalisation et de la présidentialisation.

The Conversation

Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF
46 / 50
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌓