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06.04.2025 à 17:35

L’éloignement des détenus étrangers, solution à la surpopulation carcérale ?

Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Gérald Darmanin estime qu'afin de faire face à la surpopulation carcérale, il est nécessaire de transférer les détenus étrangers dans leur pays d'origine. Une approche qui ne résiste pas à l'épreuve des faits.
Texte intégral (1691 mots)

Gérald Darmanin, le nouveau garde des sceaux, estime qu’afin de faire face à la surpopulation carcérale qui ne cesse d’augmenter d’année en année, il est nécessaire de transférer les détenus étrangers dans leur pays d’origine. L’efficacité de ces mesures martiales, répétées à l’envi, ne résiste pas à l’épreuve des faits. Pire, elles conduiraient à des effets aussi néfastes que contre-productifs. Il existe d’autres solutions pour réduire le taux d’incarcération.


Le 21 mars dernier, le garde des sceaux a adressé à l’ensemble des procureurs une circulaire les exhortant à user de tous les moyens à leur disposition pour transférer les détenus étrangers dans leur pays d’origine. Présentée dans la presse comme destinée à répondre à la surpopulation carcérale endémique qui sévit dans notre pays depuis plus de vingt ans, la mesure peut paraître frappée au coin du bon sens, le nombre de personnes étrangères incarcérées correspondant, peu ou prou, au nombre de places nécessaires pour remédier à cette situation. A l’analyse, cette solution se révèle pourtant doublement illusoire.

Alors que les prisons françaises comptent environ 19 000 ressortissants étrangers, les mesures préconisées sont loin de permettre le transfèrement de l’ensemble de ces personnes. La circulaire se garde d’ailleurs bien de fixer un quelconque objectif chiffré. D’une part, il faut avoir l’esprit qu’une grande partie d’entre eux sont placés en détention provisoire, se trouvant en attente de leurs procès ou d’une décision définitive sur les poursuites intentées à leur encontre. Et si les personnes étrangères représentent en moyenne un quart de la population carcérale, elles comptent pour un tiers des personnes provisoirement incarcérées, soit environ 8 000 détenus. Sauf à interrompre brutalement le cours des procédures judiciaires les concernant – et, partant, laisser l’infraction en cause sans aucune réponse – il ne saurait évidemment être question de les rapatrier dans leur pays d’origine avant qu’un jugement définitif n’ait été rendu à leur égard.


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Une solution illusoire et impraticable

En outre, que la personne ait été ou non définitivement condamnée, les conventions internationales encadrant ces échanges prévoient qu’aucun transfert ne peut davantage se faire sans que la personne détenue y consente expressément. Cette exigence ne disparait que pour les transferts impliquant des ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne, lesquels ne représentent qu’une très faible proportion de la population carcérale. Par ailleurs, aucune mesure de transfèrement ne peut se faire sans l’accord des autorités du pays d’accueil. Il en est de même pour la mesure d’aménagement de peine spécifique aux personnes étrangères soumises à une obligation de quitter le territoire que constitue « la liberté conditionnelle – expulsion » : la personne est libérée avant la fin de sa peine aux seules fins de mettre à exécution, dès sa sortie de prison, son retour dans son pays d’origine. Si cette mesure ne suppose pas l’accord formel du condamné, elle requiert en revanche la délivrance d’un laissez-passer par les autorités étrangères – une procédure dont l’effectivité est aujourd’hui mise à mal par la politique du chiffre qui sévit en la matière. En imposant aux services préfectoraux de délivrer toujours plus d’OQTF chaque année, les autorités les privent d’assurer utilement le suivi de chaque situation individuelle.

Rappelons enfin que le transfert d’une personne détenue dans un autre État ne peut se faire s’il implique une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : même si elle en a la nationalité, une personne ne peut être renvoyée dans son pays d’origine si l’essentiel de ses liens personnels et familiaux sont en France et qu’elle y réside depuis de très nombreuses années. On mesure ainsi à quel point, au-delà des effets de manche, les mesures annoncées par le ministère de la Justice ne sont absolument pas susceptibles de remédier à la surpopulation carcérale.

Ces mesures sont d’autant moins susceptibles d’y mettre fin qu’elles conduisent à occulter les véritables causes de ce phénomène. Ainsi que l’a démontré la brutale hausse des incarcérations ayant immédiatement suivi les libérations massives intervenues au plus haut de la crise sanitaire, au printemps 2020, le problème se situe moins au niveau des sorties que des entrées. Le nombre de places de prison a beau augmenter année après année, il reste toujours largement inférieur au nombre de personnes incarcérées. Face à ce constat, il n’existe dès lors que deux solutions si l’on veut vraiment en finir avec la suroccupation dramatique des prisons françaises. En premier lieu, certains acteurs préconisent d’instituer un mécanisme de régulation carcérale « automatique », prévoyant que, lorsque l’ensemble des places d’un établissement sont occupées, aucun nouveau condamné ne peut être incarcéré sans qu’un détenu ne soit libéré préalablement. La mise en œuvre de ce mécanisme suppose toutefois que le nombre de détenus soit identique ou à tout le moins proche du nombre de places. Le taux d’occupation particulièrement élevé des établissements surpeuplés – qui dépasse parfois 200 % – le rend ainsi impraticable en l’état. En l’état du flux de nouvelles incarcérations, sa mise en place supposerait en outre de renforcer considérablement les services chargés de l’aménagement des peines afin qu’ils puissent, en temps utile, faire sortir autant de personnes qu’il en rentre.

Les vraies causes de la surpopulation carcérale

C’est pourquoi il est sans doute préférable de chercher d’abord à agir sur les causes de la surpopulation carcérale. Si le taux d’incarcération a plus que doublé depuis la fin du XXe siècle c’est que, dans le même temps, le nombre d’infractions passibles d’emprisonnement a suivi la même pente ascendante et que les peines encourues pour certaines des plus poursuivies d’entre elles – à l’image des vols aggravés – n’ont également cessé d’augmenter.

Conséquence mécanique de cette évolution, le nombre personnes incarcérées comme la durée moyenne d’emprisonnement ferme n’ont fait que croître. Remédier à la surpopulation carcérale suppose alors de remettre durablement en cause une telle évolution. D’une part, en envisageant la dépénalisation des faits pour lesquels une réponse alternative à la répression paraît plus adaptée et efficace. A l’image de ce qui se pratique dans la majorité des États d’Europe de l’Ouest, mais également au Canada ou en Californie, l’abrogation du délit de consommation de produits stupéfiants, aujourd’hui passible d’un an d’emprisonnement, aurait un effet à la baisse immédiat sur la population carcérale.

De la même façon, substituer à la prison la mise à l’épreuve ou le travail d’intérêt général comme peine de référence pour certains délits – par exemple pour les atteintes aux biens – permettrait de réduire significativement le taux d’incarcération. Rappelons à cet égard que si les personnes étrangères sont surreprésentées dans les prisons françaises, cela tient avant tout à leur précarité matérielle et administrative, qui les prive bien souvent des « garanties de représentation » (un domicile stable, un logement propre permettant notamment de mettre en place une surveillance électronique) qui permettent aux autres d’échapper à la détention provisoire ou d’obtenir un aménagement de leur emprisonnement.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:34

Le porte-avions « Charles-de-Gaulle », vitrine des ambitions françaises en Indo-Pacifique

Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)

Le « Charles-de-Gaulle », outil militaire d’envergure, est devenu en quelque sorte un ambassadeur français hors norme dans la région Indo-Pacifique.
Texte intégral (2048 mots)

Le porte-avions Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval reviennent d’une mission en Indo-Pacifique, région où la France cherche à développer son influence. Illustration concrète de la stratégie mise en œuvre par Emmanuel Macron depuis 2018, ce déploiement démontre la capacité de la France à projeter une puissance aéromaritime à des milliers de kilomètres de ses côtes hexagonales.


« Un porte-avions, c’est 100 000 tonnes de diplomatie », aurait affirmé l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger (1923-2023). Apocryphe ou non, cette expression reste d’actualité tant ces navires constituent un atout majeur pour les États qui en disposent.

Déployer un porte-avions, outil opérationnel sans équivalent, constitue autant un message d’affirmation stratégique qu’un moyen d’asseoir sa crédibilité diplomatique. Dernier exemple en date : en octobre 2023 à Gaza, trois jours après le début de la guerre, l’USS Gerald R. Ford naviguait en Méditerranée orientale pour tempérer toute velléité iranienne d’intervenir dans le conflit.

Traduction française de l’adage kissingerien, les 42 000 tonnes du porte-avions Charles-de-Gaulle (CDG), navire amiral de la Marine nationale, sont un avantage hors norme pour la France. Parti de Toulon en novembre dernier, le CDG est actuellement en mer dans le cadre de la mission Clemenceau 25, un déploiement résolument tourné vers l’Indo-Pacifique, une région où la France cherche à tisser son influence, en toute autonomie.


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« Mission Clemenceau 25 : une démonstration de la puissance navale française », ministère des armées, Youtube (février 2025).

Un porte-avions n’est donc pas seulement un moyen de projection militaire essentiel, c’est aussi un appui crédible de la stratégie Indo-Pacifique française, nouvel espace géopolitique de référence où la France cherche à faire valoir ses intérêts.

Un outil opérationnel hors norme

L’utilisation du porte-avions comme outil opérationnel a parfois divisé la communauté d’experts stratégiques, notamment quand il convient de faire des choix budgétaires.

Coût prohibitif ; absence de permanence à la mer sans « sister ship » ; vulnérabilité en cas de guerre de haute intensité ; défis posés par les stratégies de déni d’accès et d’interdiction de zone (stratégies A2/AD), et par des missiles à longue portée de plus en plus performants : autant de critiques régulièrement formulées à l’encontre de l’emploi du CDG.

Pourtant, le porte-avions demeure un instrument largement utilisé et convoité au XXIe siècle. On observe un essor des flottes de porte-avions dans le monde, car elles sont perçues par de nombreux pays comme l’outil de souveraineté absolue qui leur confère la capacité à se projeter loin et longtemps.

Dans le cadre de la mission Clemenceau 25, le CDG, accompagné de son groupe aéronaval (GAN) – constitué d’une trentaine d’aéronefs et de cinq navires de guerre – mobilise près de 3 000 militaires, déployés pendant 150 jours de la Méditerranée jusqu’aux confins du Pacifique occidental.

Opérant depuis la haute mer – espace de liberté et sanctuaire stratégique –, le CDG est à la fois une base aérienne embarquée, une centrale nucléaire et un centre de commandement. Le tout est un mécanisme parfaitement synchronisé capable de catapulter, puis de faire apponter en pleine mer, des dizaines d’aéronefs par jour.

Véritable ville flottante, le porte-avions CDG est néanmoins un instrument mobile, il peut parcourir près de 1 000 km par jour et engager le feu à plus de 2 000 km. De plus, ses divers senseurs (radars, sonars, satellites) assurent une bulle informationnelle pour agir efficacement dans tous les champs et milieux de conflictualité (mer, terre, air, fonds marins, cyber, espace).

« Le porte-avions Charles-de-Gaulle, une ville de 42 000 tonnes », France 24 (2023).

L’ensemble de ces capacités permettent aux marins français de remplir un large éventail de missions : défense aérienne et antimissile, combat naval, frappe contre la terre, opération amphibie, lutte anti-sous-marins, interception maritime, protection du transport maritime, entre autres. Outil souple et polyvalent, le CDG est le symbole de l’autonomie stratégique française ainsi qu’un instrument crédible qui facilite les coopérations avec des nations partenaires.

Un instrument de coopération crucial

En service depuis 2001, les déploiements du GAN sont systématiquement l’occasion d’interactions avec les marines et armées étrangères. À cet égard, la mission Clemenceau 25 a porté à un niveau inédit les partenariats de la Marine nationale en Indo-Pacifique, structurés autour de trois moments clés : l’exercice de sécurité maritime La-Pérouse 25, mené avec huit nations riveraines de la région dans les détroits d’Asie du Sud-Est (Malacca, Lombok, Sonde) ; l’exercice trilatéral Pacific Steller aux côtés des États-Unis et du Japon ; et l’exercice annuel franco-indien Varuna.

Symbole des bonnes relations qu’entretient la France dans la région, le CDG a, pour la première fois de son histoire, fait escale aux Philippines (Subic Bay), en Indonésie (Lombok, où le ministre Sébastien Lecornu s’est rendu) et a fait une étape remarquée à Singapour.

Agrégateur de coopération maritime en temps de paix, pierre angulaire des flottes modernes, permettant une montée en puissance des forces partenaires et renforçant la confiance et l’interopérabilité, le GAN peut également être en facteur de désescalade politique en temps de crise. Outre le déploiement américain en Méditerranée mentionné plus haut, un autre exemple date de 1995, quand les États-Unis avaient déployé deux porte-avions dans le détroit de Formose en réponse à des tirs de missiles lancés par Pékin dans les eaux territoriales taïwanaises.

Le GAN est donc un puissant levier politique que la France exploite pour affirmer ses ambitions en Indo-Pacifique.

« La France, un point d’entrée stratégique dans l’Indo-Pacifique », Marine nationale (2024).

Stratégie Indo-Pacifique, au-delà du narratif

À partir de mai 2018, Emmanuel Macron, a formalisé une stratégie Indo-Pacifique française pour légitimer et crédibiliser le statut de la France en tant que puissance régionale.

À travers l’exercice de la souveraineté dans les collectivités de la zone, ce nouveau narratif est une opportunité pour la diplomatie française de valoriser ses attributs de puissances diplomatiques, culturelles, économiques et surtout militaires dans cette vaste région.

Ainsi, la France cherche à promouvoir une vision singulière, celle d’un espace Indo-Pacifique libre, ouvert, respectueux du droit international et favorisant une approche multilatérale. Et refusant toute logique de bloc, le président Macron encourage l’ensemble des partenaires à être libres de la coercition chinoise sans pour autant s’aligner systématiquement sur les États-Unis.

Pour le ministère des armées, les déclinaisons opérationnelles de la stratégie Indo-Pacifique impliquent la protection de 1,8 million de Français résidant dans les collectivités françaises de la zone. Il s’agit également de contribuer aux opérations nationales et européennes en mer Rouge et dans l’océan Indien, afin de renforcer la sécurité maritime dans ces régions.

En complément des forces prépositionnées en permanence dans les collectivités françaises de la région et des missions régulières de la Marine nationale et de l’Armée de l’air et de l’espace dans la zone, le déploiement du CDG constitue ainsi un signal stratégique fort, qui crédibilise la stratégie portée par l’État.

Un gage de crédibilité… et de rentabilité ?

Déployée en autonomie malgré la tyrannie des distances, notamment grâce à une escorte complète de frégates et à la présence du bâtiment ravitailleur Jacques-Chevallier, la mission Clemenceau 25 a permis de démontrer la capacité de la France à utiliser sa force aéromaritime loin du territoire hexagonal pendant plusieurs mois.

Le GAN est aussi la vitrine de l’excellence française à travers la diversité des technologies et des armements mis en œuvre. Le Rafale M F4.1, le sous-marin nucléaire d’attaque de classe Suffren, ou encore les frégates multimissions sont autant de « porte-étendards » et de potentiels contrats à l’exportation pour l’industrie française de l’armement.

En 2024, la France est devenue le deuxième exportateur mondial d’armements, et certains de ses plus gros clients, comme l’Inde, l’Indonésie et les Émirats arabes unis, sont des nations de l’Indo-Pacifique. Le déploiement du GAN relève donc aussi du soutien à l’exportation de la base industrielle et technologique française.

Instrument crédible, multimodal et polyvalent, dont les fonctions dépassent le strict cadre militaire, le GAN est un atout de première main pour la France. En attendant la mise en service du nouveau porte-avions (à l’horizon 2038), le Charles-de-Gaulle restera le « meilleur ambassadeur » français dans la zone Indo-Pacifique.

The Conversation

Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:33

Climat et agriculture : pour éviter le risque de surchauffe, le levier du méthane

Marc Delepouve, Chercheur associé au CNAM, Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Bertrand Bocquet, Professeur des Universités, Physique & Science, Technologie et Société, Université de Lille

En éliminant les énergies fossiles, on réduit les émissions de gaz à effet de serre… mais également de dioxydes de soufre à l’effet refroidissant. Comment éviter toute surchauffe transitoire ?
Texte intégral (2629 mots)

Limiter l’utilisation des énergies fossiles doit permettre de lutter contre le réchauffement climatique. Or, à court terme, il faut aussi prendre en compte l’autre conséquence de la décarbonisation de l’économie : la baisse des émissions de dioxydes de soufre, qui ont, au contraire, un effet refroidissant sur la planète. Pour pallier le risque de surchauffe transitoire, il existerait pourtant un levier précieux : réduire les émissions de méthane liées à l’agriculture.


L’agriculture est sous tension. Aujourd’hui source de problèmes écologiques, sanitaires, sociaux et même éthiques du fait des enjeux de souffrance animale, elle pourrait se situer demain du côté des solutions. Elle pourrait constituer le principal levier pour répondre au risque d’un épisode de surchauffe du climat.

La réduction de l’utilisation des énergies fossiles, rendue nécessaire pour l’atténuation du changement climatique, porte en effet un tel risque. Le recours aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel…) provoque des émissions de dioxyde de carbone (CO2), dont l’effet de serre réchauffe le climat. Mais la combustion d’un grand nombre de ces produits fossiles s’accompagne de l’émission de dioxyde de soufre (SO2) qui possède un effet refroidissant sur le climat et génère des aérosols qui ont eux aussi un effet refroidissant.

Au plan global, l’impact du CO2 en termes de réchauffement est plus fort que le pouvoir refroidissant du SO2 et constitue la première cause du changement climatique. Se passer des énergies fossiles, ce que nous nommerons dans cet article défossilisation de l’énergie, est donc au cœur des stratégies d’atténuation du changement climatique.

Le problème, c’est que les effets sur le climat d’une baisse des émissions de CO2 mettent du temps à se faire sentir du fait de la durée de vie élevée du CO₂ dans l’atmosphère. En comparaison, les effets d’une chute des émissions de SO2 sont quasiment immédiats, la durée de vie de ce gaz n’étant que de quelques jours dans la troposphère et de quelques semaines dans la stratosphère.

Si elles ne prennent en compte ces différences de temporalité, les stratégies d’atténuation pourraient conduire à un épisode de surchauffe momentané du climat. Les rapports du GIEC ont notamment exploré ces incertitudes : à l’issue d’un arrêt rapide des fossiles, l’effet réchauffant lié à la fin des émissions de SO2 se situerait très probablement dans la fourchette de 0,11 °C à 0,68 °C.


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Afin de répondre à ce risque, certains promeuvent des solutions de géo-ingénierie, dont certaines sont porteuses de risques environnementaux majeurs. Pourtant, une solution simple qui ne présente pas de tels risques existe.

Elle repose en premier lieu sur la diminution rapide des émissions anthropiques de méthane, tout d’abord celles issues de l’agriculture, du fait de l’élevage de bétail notamment. Cette option est politiquement sensible, car elle nécessite l’appropriation de ces enjeux et la mobilisation du monde agricole et des consommateurs.

Pour ce faire, il est essentiel que des recherches ouvertes soient menées avec et pour la société.


À lire aussi : Climat : derrière les objectifs chiffrés, une édulcoration des connaissances scientifiques ?


De la surchauffe à l’emballement

Revenons d’abord sur l’effet refroidissant des émissions de SO2 émis par les énergies fossiles. Cet effet sur le climat résulte de l’albédo du SO2, c’est-à-dire du pouvoir réfléchissant du SO2 pour le rayonnement solaire. Cet albédo intervient à trois niveaux :

  • tout d’abord, directement par le SO2 lui-même,

  • ensuite, par l’intermédiaire de l’albédo des aérosols que génère le SO2,

  • enfin, ces aérosols agissent sur le système nuageux et en augmentent l’albédo. En leur présence les nuages sont plus brillants et réfléchissent plus de rayonnement solaire vers l’espace.


À lire aussi : Moins d’aérosols de soufre, moins d’éclairs : les effets surprenants d’une réglementation maritime


Ce n’est pas tout. Au risque d’un épisode de surchauffe dû à la baisse des émissions de SO2, s’ajoute celui d’une amplification du réchauffement par des phénomènes laissés sur le côté par les modèles climatiques et les scénarios habituels. Par exemple, des hydrates de méthane des fonds marins pourraient mener à des émissions subites de méthane. Autre exemple, sous les glaciers polaires, des populations de micro-organismes émetteurs de méthane ou de dioxyde de carbone pourraient se développer massivement du fait de la fonte des glaces.

La question prend une nouvelle importance : depuis 2024, l’ampleur du réchauffement se situe au-dessus de la fourchette probable prévue par le GIEC. La température moyenne de l’année 2024 a dépassé de plus de 1,5 °C le niveau de référence de l’ère préindustrielle. Pour le mois de janvier 2025, ce dépassement est de 1,75 °C, et de 1,59 °C en février, malgré le retour du phénomène climatique La Niña qui s’accompagne généralement d’un refroidissement temporaire des températures.

S’agit-il d’une tendance de fond ou seulement d’un écart passager ? À ce jour, il n’existe pas de réponse à cette question qui fasse l’objet d’un consensus entre les climatologues.

Réduire les émissions de méthane, une carte à jouer

Réduire rapidement les émissions de méthane d’origine humaine permettrait de limiter considérablement le risque d’épisodes de surchauffe, et ceci sans occasionner d’autres risques environnementaux.

Le méthane est, à l’heure actuelle, responsable d’un réchauffement situé dans une fourchette de 0,3 °C à 0,8 °C, supérieure à celle du SO2. Quant à la durée médiane de vie du méthane dans l’atmosphère, elle est légèrement supérieure à dix ans.

Dix ans, c’est peu par rapport au CO2, mais c’est beaucoup plus que le SO2 et ses aérosols. Autrement dit, réduire les émissions de méthane permettrait de limiter le réchauffement à moyen terme, ce qui pourrait compenser la surchauffe liée à l’arrêt des émissions de SO2.

Durée de vie médiane de plusieurs composés chimiques dans l'atmosphère. Fourni par l'auteur

Mais pour cela, il faut qu’il existe une réelle stratégie d’anticipation, c’est-à-dire une réduction des émissions de méthane d’origine humaine qui surviennent de façon plus rapide que la défossilisation de l’énergie (baisse des émissions de CO2), sans pour autant affaiblir les ambitions relatives à cette dernière.

Où placer les priorités ? À l’échelle mondiale, les émissions anthropiques de méthane sont issues :

  • à hauteur d’environ 40 %, d’activités agricoles (rizières en surface inondée, élevage de ruminants…),

  • à 35 %, de fuites liées à l’exploitation des énergies fossiles,

  • et pour environ 20 %, de déchets (fumiers, décharges, traitement des eaux…).

On peut donc considérer que 35 % des émissions s’éteindraient avec la défossilisation. D’ici là, il est donc urgent de réduire les fuites de méthane liées à l’exploitation des énergies fossiles tant que celle-ci n’est pas totalement abandonnée.

Mais comme ce levier ne porte que sur un bon tiers des émissions de méthane, il reste prudent de miser sur l’agriculture, l’alimentation et la gestion des déchets.

Favoriser l’appropriation locale

Réduire les émissions de méthane de l’agriculture peut, par exemple, passer par une modification des régimes alimentaires des ruminants, par le recours à des races moins émettrices de méthane, par l’allongement du nombre d’années de production des ruminants, par des changements dans le mode de culture du riz, ou par la récupération du méthane issu de la fermentation des fumiers. Il existe une grande diversité de procédés techniques pour réduire les émissions de méthane d’origine agricole.

Ces procédés sont le plus souvent à mettre au point ou à perfectionner et restent à développer à l’échelle internationale. Ils requièrent des innovations techniques, une adaptation des marchés et une appropriation par les agriculteurs. Leur déploiement ne peut suffire et ne pourra être assez rapide pour répondre à l’urgence qu’il y a à diminuer drastiquement les émissions de méthane. La question de la réduction de certaines productions agricoles et de certaines consommations alimentaires se pose donc.

Réduire de façon conséquente la consommation de viande de ruminants, de produits laitiers et de riz est possible… si les comportements de consommation individuels suivent. Cela exige une forme de solidarité mais aussi des décisions politiques fortes. Cela passe par une appropriation pleine et entière des enjeux climatiques par les agriculteurs, par les consommateurs et par l’ensemble des parties prenantes des questions agricoles et alimentaires.

La dimension locale serait une voie pertinente pour mettre en œuvre des solutions. À cet égard, les GREC (groupes régionaux d’experts sur le climat) pourraient jouer un rôle majeur.

Nous avons notamment identifié deux leviers : la dimension de forum hybride de la démocratie technique (espace d’échanges croisés entre savoirs experts et savoirs profanes), qui peut être prolongée par une dimension de recherche-action-participative (RAP).

Au niveau régional, ils permettraient de mettre en débat les connaissances scientifiques en matière de changement climatique, comme ce cas a priori contre intuitif de surchauffe planétaire liée à la défossilisation. Ils pourraient contribuer à la définition de stratégies déclinées localement en solutions concrètes et nourrir des questionnements nécessitant un travail de recherche.

Les GREC pourraient ainsi impulser des démarches participatives de recherche et d’innovation et, par exemple, s’appuyer sur des dispositifs d’interface sciences-société (boutiques des sciences, tiers-lieux de recherche, fablab, hackerspace…). Pour cela, ils pourraient s’appuyer sur des approches RAP qui permettent de co-produire des savoirs avec des chercheurs, d’avoir une meilleure appropriation des résultats de recherche pour des applications concrètes et d’impliquer des citoyens et/ou des groupes concernés au travers de leur participation active à toutes les étapes du projet de recherche et de ses applications.

Par la création d’un réseau international, les GREC pourraient favoriser des synergies entre les actions locales et contribuer à définir et à renouveler les stratégies nationales et internationales, tout ceci, non par le haut comme de coutume, mais par le bas.

The Conversation

Bertrand Bocquet est membre du Réseau de recherche sur l'innovation (https://rri.univ-littoral.fr/)

Marc Delepouve ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:32

Aux États-Unis, Trump à l’assaut de l’éducation, entre censure, coupes budgétaires et répression

Esther Cyna, Maîtresse de conférences en civilisation des États-Unis, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les assauts contre l’éducation prennent une ampleur inédite et se déclinent au plan fédéral comme dans les districts scolaires.
Texte intégral (1982 mots)

Aux États-Unis, voilà quelques années que les programmes scolaires et les universités sont régulièrement pris pour cible par les militants ultraconservateurs. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, cet assaut contre l’éducation prend une ampleur inédite et se décline au niveau fédéral comme dans les districts scolaires.


Le jeudi 20 mars, devant un groupe d’écolières et d’écoliers mis en scène à la Maison Blanche, Donald Trump a signé un décret (executive order) visant à démanteler le ministère de l’éducation aux États-Unis.

Si la suppression complète du ministère nécessitera un vote du Congrès, le décret marque néanmoins un affaiblissement certain de l’agence fédérale et symbolise l’assaut mené par Trump et son gouvernement contre l’éducation publique et l’État fédéral.

Les attaques du gouvernement Trump et du Parti républicain contre l’éducation publique et l’enseignement supérieur n’ont fait que s’amplifier depuis son premier mandat. L’abolition du ministère de l’éducation, la censure des programmes scolaires et des livres accessibles aux élèves, la promotion de l’enseignement privé religieux subventionné par les impôts publics et la répression des universités sont autant de stratégies au sein d’une guerre contre l’éducation, la recherche et, plus largement, contre les discours allant à l’encontre des récits ultraconservateurs et nationalistes chrétiens défendus par le gouvernement états-unien actuel.

Sabrer l’État fédéral

Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump en janvier 2025, le ministère de l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE) dirigé par Elon Musk a décimé les rangs de l’administration fédérale états-unienne.

Plus de 100 000 employés de l’État fédéral ont d’ores et déjà perdu leur emploi. Les licenciements les plus drastiques ont visé les ministères du logement et du développement urbain ainsi que celui de l’éducation et font l’objet de batailles judiciaires à l’issue incertaine. Le gouvernement a également annoncé supprimer des milliards de dollars de financement à la recherche dans le domaine de la santé.


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S’en prendre ainsi à l’État fédéral a plusieurs conséquences pour l’éducation, même s’il faut rappeler que l’éducation aux États-Unis est surtout une affaire d’États fédérés et de districts scolaires. Environ 10 % seulement du coût de l’éducation publique aux États-Unis provient de l’État fédéral, la majeure partie provenant de sources locales (c’est-à-dire de l’impôt foncier des districts scolaires) et des États fédérés.

Le rôle de l’État fédéral en matière d’éducation est traditionnellement plutôt faible, à deux exceptions près : le financement du programme « Title I », créé en 1965, qui prévoit des fonds fédéraux supplémentaires pour les élèves les plus pauvres et celui d’IDEA, établi en 1975, par lequel l’État fédéral finance les programmes spécialisés pour les enfants en situation de handicap. Avec la destruction complète ou partielle du ministère, ces deux populations, particulièrement vulnérables, risquent ainsi de perdre toute chance de poursuivre un cursus scolaire adapté à leurs besoins spécifiques.

Prônant le « retour de l’éducation au peuple », qui n’est pas sans rappeler l’arrêt ayant aboli le droit fédéral à l’avortement en 2022, Trump et le Parti républicain orchestrent ainsi une dépossession des pouvoirs fédéraux au profit d’échelles plus locales, aux dépens des enfants les plus défavorisés.

Censurer les programmes scolaires

Depuis plusieurs années, le Parti républicain promeut le retrait des écoles et bibliothèques de livres traitant de questions d’identité ethno-raciale, de genre et de sexualité et la censure des contenus des programmes scolaires qui évoquent, par exemple, le passé esclavagiste et ségrégationniste des États-Unis ainsi que les inégalités qui persistent dans la société états-unienne.

Ces livres interdits dans les écoles américaines (France 24, mai 2023).

En s’immisçant dans les processus par lesquels les districts scolaires locaux et les universités prennent des décisions sur le contenu et la manière d’enseigner, les militantes et militants conservateurs veulent imposer à la jeunesse des récits négationnistes ainsi qu’une vision de la population des États-Unis binaire, blanche, chrétienne, niant jusqu’à l’existence des personnes qui ne correspondraient pas à cette norme fantasmée.

Cette stratégie de censure est principalement portée à l’échelle locale et celle des États, même si l’État fédéral a symboliquement marqué son adhésion à la mouvance ultraconservatrice en interdisant des livres au sein des seules écoles qu’il gère directement, les académies militaires.

Pour le reste des écoles publiques du pays, seuls les législatures des États et les conseils des districts scolaires locaux ont le pouvoir de prendre des décisions quant aux livres disponibles dans les écoles. Dès 2021, des groupes de mères d’élèves ultraconservatrices tels que Moms 4 Liberty se sont saisis de cette échelle locale pour faire progresser leur vision malgré la défaite de Trump à l’élection présidentielle.

Abolir la séparation entre Église et État à l’école

Le projet idéologique des républicains est celui d’un nationalisme chrétien ultraconservateur ; à ce titre, le gouvernement soutient les écoles religieuses. Lors de son premier mandat, Trump avait clairement affiché son soutien à la privatisation de l’éducation et aux programmes de financement public d’écoles privées lorsqu’il avait nommé Betsy DeVos à la tête du ministère de l’éducation.

La branche judiciaire, dominée par les juges nommés par Trump durant son premier mandat, joue un rôle clé dans l’avancée de ce projet religieux. Au printemps 2025, la Cour suprême des États-Unis va s’exprimer sur la question de la religion à l’école dans le cadre d’un arrêt très attendu, en déterminant si la création d’une école publique en ligne, dans l’Oklahoma, dont la gestion est déléguée à un archidiocèse catholique, constitue une violation de la Constitution. Si la Cour suprême déclare que l’école en question est compatible avec la Constitution, il sera alors légal de financer des écoles religieuses publiques par les impôts.

En 2021, la Cour suprême avait déjà empiété sur la séparation entre Église et État en déclarant dans l’arrêt Kennedy v. Bremerton School District que le coach de football d’une école publique pouvait prier publiquement pendant les matchs de son équipe.

Contrôler et punir les universités

Les universités états-uniennes, diabolisées depuis des décennies par les conservateurs comme des bastions d’« idéologie gauchiste » et identifiées comme des menaces à l’hégémonie conservatrice, sont victimes d’attaques sans précédent depuis la chasse aux sorcières des années de maccarthysme.

Les mécanismes sont cette fois différents, Trump ayant principalement utilisé le levier financier pour punir les universités de leurs politiques sportives quant aux personnes transgenres, pour les manifestations propalestiniennes de 2024 et, plus largement, pour les thématiques de recherche de ces institutions.


À lire aussi : Trump contre la liberté académique : les juges, derniers remparts contre l’assaut autoritaire


L’université de Columbia a marqué, fin mars 2025, un tournant majeur en cédant à des demandes extrêmes du gouvernement Trump qui menace d’y supprimer des programmes de recherche fédéraux à hauteur de 400 millions de dollars. En acceptant de renoncer à l’autonomie des départements d’études du Moyen-Orient, d’études africaines-américaines et asiatiques, en plus de s’être engagée à durcir la répression des manifestations étudiantes et d’interdire le port du masque sur le campus, la prestigieuse institution new-yorkaise montre que les universités états-uniennes ne seront sans doute pas le lieu de la résistance à Trump.

Attaquer l’éducation : une stratégie d’extrême droite

Pendant sa campagne de 2016, Trump avait déclaré « adorer les personnes mal éduquées », puisqu’il voit en elles un électorat docile et réceptif à ses discours mensongers, trompeurs et antifactuels.

Jouant sur plusieurs échelles, des districts scolaires à l’État fédéral en passant par les universités, le gouvernement Trump mène aujourd’hui une offensive musclée contre la liberté d’expression, pourtant prônée comme une valeur phare du Parti républicain. Les stratégies d’attaque contre l’éducation – lorsqu’elle n’est pas privée, religieuse et ne promeut pas la vision nationaliste chrétienne blanche du parti au pouvoir – témoignent d’une volonté d’étouffer la pensée critique.

Cette menace pour la démocratie états-unienne, mise à mal par la concentration du pouvoir du gouvernement Trump, est symptomatique des régimes d’extrême droite. En vidant de leur substance le système d’éducation publique et en s’attaquant frontalement aux universités, les républicains espèrent façonner les pensées et les paroles des citoyennes et citoyens états-uniens, de leur futur électorat, créant ainsi une nouvelle génération dépourvue des compétences requises pour participer activement à la démocratie et repousser l’oppression totalitaire.

The Conversation

Esther Cyna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:30

Comac : la menace chinoise pour Airbus et Boeing

Raymond Woessner, Professeur honoraire de géographie, Sorbonne Université

La Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) prend son envol dans la galaxie des constructeurs aéronautiques mondiaux. Airbus, l’ayant aidée à décoller, s’en mord-il les doigts ?
Texte intégral (2310 mots)
Comac ARJ21-700 de Chengdu Airlines en phase d’atterrissage. LP2Studio/Shutterstock

La Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) prend son envol dans la galaxie des constructeurs aéronautiques mondiaux. L’avionneur européen Airbus, qui l’a aidée à décoller, s’en mord-il déjà les doigts ?


Depuis plusieurs décennies, Airbus et Boeing sont les maîtres du ciel dès lors qu’il s’agit de jets court, moyen et long-courriers. Mais désormais une entreprise chinoise, la Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), s’est invitée au jeu.

Faute d’avoir raté la révolution industrielle, l’industrie aéronautique chinoise avait travaillé avec des Allemands dans les années 1920, des Italiens dans les années 1930, des Soviétiques dans les années 1950, des Américains et des Français dans les années 1970 et 1980… Or, ne pas avoir d’avion Made in China, c’était se trouver « à la merci des autres », avait déploré le président Xi Jinping en 2014. Comment l’industrie chinoise en général a fait des bonds de géant, pourquoi son aviation civile n’en ferait-elle pas autant ? Et que signifierait cette émergence à l’échelle globale ?

Échecs russes, canadiens et chinois

Les normes de sécurité de l’aviation civile sont particulièrement élevées. Le transport aérien est déjà le mode de transport le plus sûr au monde et son but ultime est d’atteindre 0 accident. C’est pourquoi les matériaux utilisés et les systèmes de contrôle comptent parmi les plus élaborés qui soient. Du fait de la recherche d’une moindre pollution, les technologies évoluent en permanence.

C’est ainsi que l’aviation civile russe, incapable de suivre le mouvement malgré son passé glorieux, a sombré. Ou que les Canadiens de Bombardier ont été rachetés par Airbus.


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En Chine, le désir d’avions nationaux remonte aux années 1990 lorsque Aviation Industry Corporation of China (Avic), basé à Pékin, voulait produire des MacDonnell Douglas MD-90 américains sous licence. Mais en 1998 le projet avait tourné court, car les Américains redoutaient un copier-coller à leur détriment. En 2008, le gouvernement chinois a alors compris qu’il lui fallait mettre d’énormes moyens en œuvre, avec deux projets menés en parallèle.

Marché de dupes pour Airbus

Airbus a été invité à assembler des A320 en Chine, par l’intermédiaire d’une joint-venture avec Avic qui a été implantée dans la zone franche de Tianjin. Il s’agit du 4e site mondial d’assemblage des A320 après ceux de Toulouse (Haute-Garonne), de Hambourg (Allemagne) et de Mobile aux États-Unis. Plus de 700 avions y ont déjà été assemblés et la cadence s’accélère, en 2026, avec l’ouverture d’une deuxième ligne de fabrication. Tianjin assure également la finition des A350 destinés à la Chine. Airbus a créé tout un écosystème : l’usine de matériaux composites de Harbin, la fabrication de pièces de rechange, la formation du personnel, le centre de recherche de Suzhou pour l’environnement et celui de Shenzhen pour la digitalisatio.

En même temps que l’arrivée d’Airbus comme manufacturier, le gouvernement a créé la Comac, Commercial Aircraft Corporation of China. L’entreprise est contrôlée à 31,6 % par l’État et à 26,3 % par la municipalité de Shanghai, s’y ajoutent des industriels chinois de l’aviation, dont Avic, et de la métallurgie : Baoshan Steel, Chinalco, Sinochem. Du point de vue de l’organisation industrielle, la Comac s’inspire d’Airbus, avec des usines réparties un peu partout en Chine et l’assemblage final effectué à Shanghai. Le but de la Comac est de construire une gamme complète d’appareils, et peut-être même, un jour, de très gros quadriréacteurs et des avions supersoniques.

L’ARJ21, premier-né

Dès l’Airshow China de 2014, le représentant d’Airbus voyait poindre la concurrence de la COMAC. On passerait alors du couple Airbus-Boeing à un oligopole mondial à trois. Mais la gestation des projets chinois est longue. En octobre 2008 a volé l’Advanced Regional Jet for the 21st Century (ARJ21). Ce biréacteur de 90 places ressemble finalement au vieux MD-90 avec ses réacteurs placés à l’arrière et son empennage haut, et 181 commandes de l’ARJ21 ont été passées immédiatement sur décision gouvernementale.

Avion COMAC ARJ21
Le Comac ARJ21 est un avion régional bimoteur, premier jet pour passagers développé et produit en série en République populaire de Chine, utilisé par la compagnie indonésienne TransNusa. alphonsusjimos/Shuttertstock

Huit ans plus tard, en 2016, Chengdu Airlines a effectué le premier vol commercial de l’ARJ21. Une vingtaine de sous-traitants américains, le Français Zodiac pour les toboggans d’évacuation et d’autres Européens jouent un rôle essentiel dans l’équipement de l’avion. Près de 120 appareils sont en service auprès de diverses compagnies chinoises et du transporteur indonésien TransNusa, le seul opérateur étranger de Comac jusqu’à présent.

Autonomie stratégique chinoise

Par le jeu de la sous-traitance et de la fourniture d’éléments très avancés, les avions d’Airbus, de Boeing et de la Comac intègrent en réalité de nombreux éléments communs. Mais un avion n’est pas un scooter ou une voiture. Il est encastré dans des politiques de souveraineté nationale d’autant plus qu’il partage des éléments avec les avions de guerre.

En 2019, du fait de l’agressivité du président Trump à l’encontre la Chine, une coopération technique avait été lancée entre la Comac et l’United Aircraft Corporation (UAC) russe pour la construction du CR929. Un futur rival sur le marché des long-courriers Airbus A350 et Boeing 787 voire B777.

Avion COMAC CR929
Le CR929, en coopération technique avec les Russes, n’a jamais vu le jour. testing/Shutterstock

Il aurait dû entrer en production en 2025, mais la Comac et l’UAC ont rompu leur pacte en 2023. Les Chinois continuent à développer le projet seuls… Le gouvernement chinois – tout comme celui de la Russie – cherche à s’émanciper de ce qu’il considère comme une mise sous tutelle. Dès 2016, il a fondé l’Aero Engine Corporation of China (AECC) fusion de différents établissements industriels publics chinois forte de 72 000 salariés. « Un pas stratégique », selon le président de la République Xi Jinping.

AECC veut alors construire des réacteurs civils, outre les moteurs militaires qu’elle produit déjà. La cible est le développement de réacteurs pour tous types d’avions civils, gros porteurs inclus. Le moteur CJ-1000A devrait progressivement se substituer aux motorisations de la CFM, la joint-venture de Safran et de General Electric, qui assemble des réacteurs en Chine à partir de composants fabriqués aux États-Unis et en France.

Remplacer Aribus et Boeing ?

Rien n’est simple. Ryanair avait été associé à la conception du C919 et affirmait en vouloir 700 exemplaires, alors qu’elle est une compagnie qui n’utilise que des Boeing 737. Mais le marché ne sera pas conclu avant le milieu des années 2030 parce que, selon Michael O’Leary, le patron de Ryanair, le marché chinois est servi en premier.

Les perspectives qui s’ouvrent sont vertigineuses pour la Weltanschauung, la manière de voir et de comprendre le monde. De part et d’autre de l’Atlantique, depuis des décennies, on a raisonné en termes de coopération et concurrence entre les entreprises. En Chine, on a appris de l’Occident. On apprend encore sans que l’intention finale soit évidente. S’agit-il de créer une troisième étoile dans le firmament des avionneurs, à côté d’Airbus et de Boeing, tous réunis par des liens très forts par l’intermédiaire de leurs fournisseurs ? ou de prendre leur place ? À moyen terme, la croissance du marché aérien est telle qu’il y aura des débouchés pour tout le monde. Mais au-delà ?

The Conversation

Raymond Woessner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.04.2025 à 17:30

Les conflits au sein d’une équipe : coup de frein ou coup de boost pour la créativité ?

Brad Harris, Professor of management, associate dean of MBA programs, HEC Paris Business School

Le conflit n’est pas toujours un problème quand il s’agit de stimuler la créativité, au contraire. Reste que tout va dépendre de la nature du conflit et des personnes impliquées.
Texte intégral (1445 mots)

Pour de nombreuses équipes, la notion de « bon conflit » relève du mythe. La plupart du temps, les désaccords sont perçus comme une entrave, en particulier lorsqu’ils opposent des personnalités fortes ou portent sur des choix stratégiques. Et si, bien gérées, certaines confrontations au sein d’une équipe pouvaient aider à faire éclore de nouvelles idées ?


La recherche s’intéresse depuis longtemps à l’impact des conflits d’équipe sur la créativité. Selon certains chercheurs, un « bon » conflit peut la stimuler ; selon d’autres, il nuit au potentiel créatif. Jusqu’à présent, les travaux ont dit tout et son contraire. La plupart des études ont tendance à mettre tous les conflits dans le même panier, ou, au mieux, à les classer grossièrement entre conflits liés aux tâches et conflits interpersonnels, en supposant qu’ils affectent tous les membres de l’équipe de façon identique. Mais nous le voyons maintenant, cette approche est trop simpliste.

Des recherches récentes, dont les nôtres, montrent qu’on obtient un tableau plus clair de la situation en examinant un facteur clé : le rôle des individus dans l’équipe, et en particulier leur statut au sein du réseau. En particulier, des effets intéressants se produisent au cours des conflits impliquant les membres clés : ceux qui occupent une position centrale dans le flux des tâches. Grâce à ces résultats, les dirigeants auront un nouvel outil d’analyse pour comprendre l’impact des conflits sur leurs équipes et adopter des mesures concrètes afin que ces tensions stimulent la créativité au lieu de l’entraver.

Le côté (parfois) positif du conflit

Dans toute équipe, des désaccords sur les tâches – qu’il s’agisse de la répartition des ressources, de la prise de décision ou de l’organisation du travail – sont inévitables. Ces conflits, appelés « conflits de tâche », sont souvent considérés comme bénéfiques par la recherche traditionnelle, qui y voit une source de nouvelles perspectives, un moteur de discussion et, s’ils sont bien gérés, un levier pour stimuler la créativité.

Pourtant, les données disent tout autre chose, et l’histoire est souvent plus complexe. Notre étude est née de la volonté de mieux comprendre ces résultats parfois contradictoires.


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En analysant les réseaux de 70 équipes travaillant au développement de nouveaux produits, nous avons constaté que les conflits de tâche impliquant des membres clés peuvent effectivement stimuler la créativité, en incitant l’équipe à repenser son travail – mais seulement à certaines conditions. Plus précisément, ces désaccords n’ont d’effet créatif que dans les équipes dont les membres partagent largement les mêmes objectifs. Ce constat reste valable même en tenant compte de tous les autres conflits de tâche existants au sein de l’équipe.

Lorsqu’un membre-clé – celui dont les autres dépendent pour des informations essentielles – entre en conflit sur une tâche, l’équipe est contrainte de prendre du recul, de réévaluer la situation et d’explorer de nouvelles approches. Cela l’oblige à sortir du mode pilotage automatique et, si un objectif commun est clairement partagé, cela favorise une attitude plus flexible et ouverte aux idées nouvelles – le moteur même de la créativité.

En revanche, en l’absence d’objectifs partagés, ces conflits n’apportent aucun véritable bénéfice créatif. Et ce n’est pas surprenant : pourquoi se fatiguer à remettre en question le statu quo si l’on n’est pas aligné sur le résultat à atteindre ? Finalement, ce que l’on considère traditionnellement comme des conflits d’équipe généraux ne contribue pas à la créativité ; c’est au cœur même de l’équipe que les véritables dynamiques créatives émergent.

La face obscure du conflit

À l’inverse, les tensions personnelles – appelées « conflits relationnels » – ont un impact bien différent. Ces conflits ne portent pas réellement sur le travail en lui-même, mais résultent plutôt de frictions entre des personnalités ou de problèmes interpersonnels.

Les travaux de recherche ont déjà bien établi que les conflits relationnels nuisent à la créativité au sein des équipes. Mais notre étude va plus loin : lorsque ces tensions impliquent des membres clés, leurs effets sont encore plus délétères. En fragilisant la cohésion du groupe (son « ciment »), ces conflits érodent la confiance et le sentiment de sécurité indispensables à l’émergence d’idées nouvelles.


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Lorsque les membres clés possèdent une forte intelligence émotionnelle, les effets les plus néfastes de ces conflits peuvent être atténués. En d’autres termes, cette compétence leur permet de gérer les tensions personnelles sans compromettre la cohésion de l’équipe, même lorsqu’apparaissent des désaccords. Une preuve de plus que les talents les plus précieux des entreprises sont non seulement ceux qui excellent dans leur domaine, mais aussi ceux qui savent gérer l’aspect humain.

Tirer profit du conflit

Alors, comment les managers peuvent-ils exploiter le potentiel créatif des conflits tout en en limitant les effets négatifs ? Voici quelques mesures concrètes à adopter :

  • définir des objectifs communs : en instaurant des objectifs partagés, les dirigeants favorisent un cadre où les conflits de tâche deviennent constructifs. Lorsque tous les membres avancent dans la même direction, les désaccords sur la manière d’y parvenir sont plus facilement surmontés, encourageant ainsi la réflexion et l’adaptabilité de l’équipe ;

  • développer l’intelligence émotionnelle : les conflits relationnels impliquant des membres clés peuvent fragiliser la cohésion de l’équipe. Il est donc essentiel de doter ces acteurs stratégiques des compétences émotionnelles nécessaires pour gérer les tensions interpersonnelles. Recruter des profils dotés d’une intelligence émotionnelle élevée ou les former à ces compétences permet de désamorcer les conflits sans nuire à l’unité du groupe, ce qui préserve ainsi son potentiel créatif ;

  • repenser le conflit : tous les conflits ne sont pas néfastes – ni bénéfiques – de la même manière. Une bonne structuration d’équipe prend en compte à la fois le rôle des membres clés et l’impact de leurs désaccords sur la dynamique collective. Les dirigeants doivent cesser de voir le conflit uniquement comme un obstacle et l’envisager aussi comme un levier de créativité, à condition de bien identifier qui est impliqué et comment cela est géré.

De manière générale, la recherche traditionnelle sur les conflits d’équipe adopte souvent une approche uniforme, considérant les conflits de tâche et relationnels comme s’ils impactaient tous les membres de la même manière. Grâce aux avancées dans l’analyse des dynamiques d’équipe, notre étude montre au contraire que les conflits impliquant des membres centraux du réseau ont un impact disproportionné sur la cohésion et la créativité du groupe.

Les conflits impliquant ces membres clés ne peuvent pas être ignorés : leurs répercussions se propagent à l’ensemble de l’équipe, influençant sa dynamique et son efficacité.

The Conversation

Brad Harris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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