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04.09.2025 à 17:06

Horaires flexibles : une fausse solution aux embouteillages du matin ?

Emmanuel Munch, Urbaniste et Sociologue du temps, Université Gustave Eiffel

Laurent Proulhac, Géographe, Laboratoire Ville Mobilité Transport, Université Gustave Eiffel

Une étude menée à Paris et à San Francisco dément l’efficacité de la flexibilité des horaires pour contrer la congestion automobile en ville aux heures de pointe.
Texte intégral (2693 mots)

La flexibilité des horaires de travail est souvent présentée comme un remède à la congestion urbaine – et à la pollution qui en découle. Une étude comparative menée entre Paris et San Francisco suggère pourtant que cette promesse est largement surestimée. Et si on repensait la place du temps dans nos sociétés et que l’on mettait en place une véritable « écologie temporelle » ?


Chaque jour, des millions de personnes convergent vers leur lieu de travail en même temps. Cette concentration matinale provoque un phénomène bien connu dans les transports, l’heure de pointe qui, en ce qui concerne la voiture, fait bondir les émissions de gaz à effet de serre – en France, 30 % d’entre elles sont causées par les transports. La pollution de l’air qui en découle a également de graves effets sanitaires : selon Santé publique France, 48 000 décès par an sont attribuables aux particules fines.

Pour résoudre ce problème, une solution de bon sens semble s’imposer : offrir aux salariés davantage de flexibilité dans leurs horaires de travail. Si les salariés n’étaient plus tous contraints d’arriver au bureau à 9 heures, les flux seraient plus étalés, les transports moins saturés, la ville plus fluide. Parmi les pouvoirs publics et les entreprises privées, cette idée fait consensus depuis plus de cinquante ans.

Mais les salariés disposant d’une plus grande autonomie dans le choix de leurs horaires de travail évitent-ils réellement l’heure de pointe ? C’est la question que nous nous sommes posée dans une étude récente. Nous avons analysé deux territoires qui concentrent une part importante de travailleurs aux horaires flexibles : la région parisienne (29 % en horaires flexibles) et la région de San Francisco (59 %).

Horaires flexibles, libres ou modulables

Avant d’en venir aux origines des horaires flexibles, définissons d’abord ce dont on parle. Deux niveaux de définition peuvent être proposés. Les horaires de travail flexibles sont définis par opposition aux horaires officiellement fixés par l’employeur, mais ils peuvent se concevoir selon deux degrés de liberté différents : les horaires libres et les horaires modulables.

Dans la première situation, les horaires libres, le travailleur indépendant ou le salarié autonome agence comme bon lui semble ses horaires de travail au cours de journées et/ou de semaines. Dans le cas des salariés, on parlera, en France, de temps de travail annualisé, ou encore de contrats de travail au forfait, qui doivent néanmoins respecter les durées légales de travail à l’échelle de l’année (trente-cinq heures par semaine, soit 1 607 heures par an) et de repos hebdomadaire.

Deuxième situation, avec un niveau de liberté moindre, les horaires modulables qui se réfèrent, pour leur part, à la possibilité pour le salarié d’arriver et de partir du travail quand il le souhaite, en respectant cependant des heures plancher et plafond, fixées par l’employeur.

Le principe des journées à horaires de travail modulables. Auteurs, Fourni par l'auteur

Par exemple, les salariés peuvent arriver quand ils le souhaitent entre 7 heures et 10 heures, faire leur pause déjeuner à n’importe quel moment entre 12 heures et 14 heures, et quitter le travail entre 16 heures et 19 heures. Leur seule obligation est de respecter la durée légale de travail quotidienne ou hebdomadaire et être présents durant certaines plages fixes de la journée – dans notre exemple, 10 heures-12 heures et 14 heures-16 heures.

Une organisation largement adoptée

Au moment de leur apparition dans des usines aéronautiques en Allemagne, dans les années 1960, ces horaires de travail modulables furent d’abord pensés comme une politique managériale permettant aux salariés de se rendre au travail en dehors des périodes de pointe.

Cette conception s’est par la suite diffusée en Allemagne et a, petit à petit, été intégrée dans les politiques publiques de gestion de la demande de transport au cours des années 1970 et 1980 aux États-Unis et en Europe.

Une du Parisien, 28 mars 2013. Le Parisien, Fourni par l'auteur

Aujourd’hui, la flexibilisation des horaires de travail est toujours considérée comme un outil efficace de l’arsenal des politiques de gestion de la demande de transport en heure de pointe. En témoigne une initiative de SNCF Transilien en 2014, en partenariat avec huit entreprises à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Plus récemment, depuis 2019, des opérations de « lissage des pointes » et de flexibilisation des horaires se multiplient, portées par la Région Île-de-France.

Des résultats contre-intuitifs en apparence

Pourtant, notre étude comparative menée à Paris et San Francisco sur les effets des horaires flexibles questionnent leur pertinence.

Nos travaux montrent qu’à Paris, les personnes ayant des horaires flexibles sont plus susceptibles d’arriver pendant la période de pointe (entre 8 heures et 9h30) que celles qui n’en disposent pas. À San  Francisco, nous constatons que la flexibilité horaire n’a pas d’effet significatif sur l’heure d’arrivée au travail.

Autrement dit, la flexibilité n’a pas l’effet attendu dans la réduction des congestions, voire renforce, paradoxalement, la concentration des flux. Nous avons également observé cet effet contre-intuitif dans d’autres régions de France (Bretagne, Hauts-de-France), ainsi qu’en Suisse.

Plusieurs facteurs, selon nous, peuvent expliquer ce paradoxe.

D’un côté, la flexibilité est souvent partielle et asymétrique. Disposer d’une autonomie sur ses horaires ne signifie pas pour autant être libre de son temps. Il s’agit, pour ces salariés, de composer avec les horaires des collègues ou de leurs supérieurs, avec les réunions programmées à des heures fixes et les horaires des crèches ou des écoles. La marge de manœuvre affichée sur le papier est contrainte dans les faits.

De l’autre, ne sous-estimons pas le poids des normes sociales : dans beaucoup d’organisations, arriver tôt reste un signe de sérieux et d’implication.

À l’inverse, décaler ses horaires peut être mal perçu, même si cela ne nuit pas à la productivité. Ces représentations sociales influencent fortement les choix horaires, même chez ceux qui pourraient s’autoriser des horaires décalés.

Privilège ou précarité du travail flexible

Nos résultats révèlent qu’une distinction claire doit être établie entre les travailleurs flexibles à hauts revenus et ceux à bas revenus. C’est surtout lorsque la flexibilité est subie qu’elle peut contribuer à lisser les horaires de pointe.

En effet, ceux qui ont de hauts revenus et qui peuvent choisir leurs horaires comme ils le souhaitent (médecins, avocats, cadres en horaires flexibles…) sont plus susceptibles de se déplacer en même temps que tout le monde, à l’heure de pointe.

Chez ceux qui, en revanche, disposent d’une liberté d’organiser leurs horaires de travail tout en percevant de faibles revenus, la flexibilité tient davantage à la nature même de leur travail (aide à domicile et ménage, garde d’enfants périscolaire, restauration, culture et événementiel…), qui les contraint à exercer au cours de tranches horaires atypiques.

Enfin, le contexte urbain et territorial joue également. Les exemples de Paris et de San Francisco montrent que les effets de la flexibilité dépendent du contexte local. À San Francisco, au moment de l’enquête (2017), la dispersion géographique des lieux de travail et une culture du travail plus numérique (télétravail plus répandu, pratiques asynchrones) pouvaient limiter l’impact direct de la flexibilité sur l’heure d’arrivée.

À Paris, au contraire, la centralisation des fonctions tertiaires et l’inertie des rythmes sociaux (prise de repas notamment) renforcent la synchronisation.

« Le Mag », magazine interne de la SNCF, décembre 2014., Fourni par l'auteur

Désamorcer le mythe de l’autonomie

Ces résultats invitent à repenser une croyance bien ancrée dans les politiques de mobilité, selon laquelle l’étalement des horaires serait une réponse simple et immédiate à la congestion des transports.

Si la flexibilité peut apporter du confort dans la conciliation des vies personnelle et professionnelle, améliorer la qualité de vie au travail et réduire les tensions du quotidien, elle ne suffit pas à transformer les rythmes collectifs. Elle agit au niveau individuel, alors que la congestion est un phénomène structurel, social et fortement normé.

L’illusion d’une solution purement comportementale (laisser les gens « choisir » leurs horaires) occulte les inégalités temporelles, les contraintes de coordination et les « cultures du temps ».

Vers une véritable écologie temporelle ?

Pour alléger les heures de pointe, il ne suffit pas de miser sur les outils : il faut repenser le partage du temps dans nos sociétés. Redéfinir nos rythmes de travail, nos normes sociales, et notre organisation collective du temps à travers une approche que nous appelons « écologie temporelle ».

Elle suppose de reconnaître le temps comme un bien commun soumis à des arbitrages collectifs, de réduire les injonctions à la synchronisation – pourquoi toutes les réunions commencent-elles à 9 heures ? –, de valoriser les marges de désynchronisation, notamment via les politiques publiques et les campagnes de communication, et enfin d’intégrer la question des rythmes dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme.

C’est déjà le cas, notamment, avec les politiques temporelles dites de « bureaux des temps », imaginés par l’association Tempo territorial, qui réfléchit, avec différents acteurs, aux mesures à prendre au sein des organisations pour promouvoir une meilleure conciliation des temps de vie.

The Conversation

Emmanuel Munch est Vice-Président de l'association Tempo Territorial et membre de la Déroute des Routes. Il perçoit des financements d'organismes publics tels que : le Ministère de la Transition Ecologique, l'ADEME, l'ANRT, la SNCF.

Laurent Proulhac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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04.09.2025 à 11:31

Maisons, routes, rail, pistes cyclables… comment lutter contre les risques de retrait-gonflement argileux ?

Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema

De nouvelles techniques en cours de développement se montrent prometteuses pour limiter l’impact du retrait-gonflement argileux (RGA) sur les routes, les maisons et les chemins de fer.
Texte intégral (4552 mots)
Les routes départementales et les voies cyclables sont particulièrement exposées au risque de retrait-gonflement argileux. DIR Est 2020, Fourni par l'auteur

C’est en raison du phénomène de retrait-gonflement des argiles que les sécheresses causent des dégâts tant sur les routes – y compris les pistes cyclables – que sur les maisons et les réseaux ferrés. De nouvelles techniques en cours de développement se montrent prometteuses pour limiter l’impact du phénomène.


Alors que le risque de retrait-gonflement des sols argileux (RGA) lié aux sécheresses a explosé depuis 2015 sous l’effet du changement climatique, se pose la question des outils permettant de lutter contre le phénomène.

Historiquement, ce sont les maisons individuelles – et de façon générale, les bâtiments de plain-pied ou à un étage – ainsi que les routes qui sont le plus souvent concernées par les conséquences du RGA, quand elles sont construites sur des sols argileux, du fait de leurs fondations superficielles. Les pistes cyclables sont également particulièrement vulnérables.

Dans certains cas particuliers, des routes nationales et même des autoroutes peuvent être concernées, de même que les voies ferrées, les digues et les réseaux enterrés (gaz, eau, etc.).

Quelles sont les techniques utilisées et les nouvelles solutions en cours de développement pour faire face à l’aggravation des risques provoquée par le changement climatique ? Panorama.


À lire aussi : Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Comment le RGA crée des fissures

Les maisons individuelles et les routes sont parmi les ouvrages les plus vulnérables au RGA quand elles sont construites sur des sols argileux. Leurs fondations peu profondes les rendent sensibles aux variations de teneur en eau du sol sous l’effet des cycles de sécheresses et de précipitations.

En effet, le sol argileux se rétracte durant la sécheresse et gonfle pendant les périodes de précipitations ce qui engendre des déformations volumiques pouvant endommager l’ouvrage et mener à un sinistre.

Le schéma ci-dessous illustre les ondes de dessiccation (lignes rouges) et les déformations de gonflement (flèches bleues) sous une maison et une route, ainsi que les conséquences sur le bâti en termes de mouvements de structure (flèches rouges).

Conséquences du RGA et impacts de l’environnement proche : (a), (b) et (c) sur une route, (d), (e) sur une maison et sur le cycle de l’eau (f). Reiffsteck, 1999 et Béchade, 2014, Fourni par l'auteur

Un environnement défavorable, caractérisé par de la végétation et une mauvaise gestion des eaux, peut à la fois être à l’origine et aggraver les dommages sur ce type de structures.

En effet, l’action racinaire de certaines essences de végétaux accentue la dessiccation (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité) du sol et l’arrivée d’eau indésirable a tendance à fragiliser le sol, ce qui peut induire des fissures et des dégâts.

Crêtes de la digue et de la pente, côté crue, fissurées (Doba, Hongrie). Illés et Antal, 2022, Fourni par l'auteur

Les ouvrages en terre, digues et barrages, sont eux aussi également particulièrement exposés au RGA et à ses conséquences en termes de dommages. C’est problématique dans la mesure où les digues sont la première ligne de défense contre les inondations. La formation de réseaux de fissures de dessiccation durant la sécheresse dégrade les propriétés du sol et compromet l’intégrité des structures.

L’augmentation soudaine des précipitations peut alors entraîner la rupture des structures en terre. Ce problème s’amplifie lorsque l’on considère la sécheresse des sols expansifs, et notamment argileux. En effet, de nombreuses pentes, à l’état desséché, cèdent lorsqu’elles sont soumises à des précipitations intenses. Ceci en raison d’une diminution de la succion matricielle de l’eau contenue dans le sous-sol et d’une augmentation de la pression de l’eau interstitielle.

Ainsi, toute condition de sécheresse suivie de précipitations intenses peut causer de graves dommages aux structures en terre. Celles-ci devraient être négativement affectées par le changement climatique.

Les réseaux enterrés proches de la surface peuvent également être sujets aux déformations du sol dues au RGA et subir des fissures, voire une rupture de canalisation.

Cela peut favoriser les fuites, qui constituent à la fois un gaspillage des ressources associé à des pertes financières, un danger pour les personnes (en particulier pour les canalisations de gaz) et parfois une accentuation du RGA, en favorisant une arrivée d’eau indésirable (cas des fuites d’eau près des fondations).

De plus en plus de routes concernées

Jusqu’ici les routes concernées étaient pour la plupart des routes départementales, mais certaines configurations défavorables peuvent également concerner les routes nationales et les autoroutes. Par ailleurs, les pistes cyclables, dont la structure est comparable à celle d’une route encore plus légères, sont également vulnérables.

Fissures dues au RGA sur l’autoroute A31 entre Nancy et Metz (Grand-Est). DIR Est 2022, Fourni par l'auteur

Par exemple, dans la région du Grand Est, la route nationale RN4 est moyennement exposée au RGA. Elle présente des fissures caractéristiques proches des bords. L’autoroute A31 est, elle-aussi, fortement exposée au RGA avec d’importantes fissures longitudinales de l’ordre de plusieurs centimètres, accompagnées de tassement différentiel (c’est-à-dire, un enfoncement du sol non uniforme).

La configuration de cette autoroute avec un terre-plein central de quelques mètres séparant les deux sens de circulation et constitué de terrain naturel végétalisé favorise l’exposition à l’évapotranspiration et la propagation de la dessiccation du sol en période de sécheresse.

Cela revient à considérer l’A31 comme étant deux routes départementales parallèles, avec deux accotements bordés de zones boisées et/ou végétalisées. Par conséquent, les autoroutes présentant cette configuration et construites sur des sols exposés au RGA seront davantage vulnérables face au changement climatique.

L’impact du RGA sur les routes est complexe à identifier vu la diversité des sollicitations auxquelles elles sont exposées (trafic, gel-dégel, circulation des eaux, RGA, etc.). Au Cerema, nous avons accompagné le Conseil départemental d’Indre-et-Loire, en 2019, dans une mission de diagnostic RGA de plusieurs tronçons de routes départementales afin de mieux cibler les actions d’entretien, de prévention et de remédiation, et d’optimiser leur financement. La méthode de diagnostic développée devrait être généralisée par les gestionnaires des routes départementales afin d’avoir une cartographie à l’échelle nationale et estimer le coût du RGA sur les routes.

Les vulnérabilités du réseau ferré national

Le réseau ferré national fait, lui aussi, l’objet de préoccupations quant aux impacts du RGA pour les voies construites sur des sols sensibles aux variations hydriques. Suite à la sécheresse 2022, il y a eu une apparition récurrente de défauts de géométrie sur plusieurs voies. L’ampleur des défauts enregistrés a été telle que des opérations de maintenance ont dû être organisées en urgence.

La ligne ferroviaire Brive (Corrèze)-Toulouse (Haute-Garonne), ici près de Donnazac (Tarn), est particulièrement exposée au RGA. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

Le RGA contraint également le gestionnaire du réseau ferré à mettre en place des limitations temporaires de la vitesse. Celles-ci affectent la circulation des trains avec des retards potentiels pour les usagers et des pertes économiques pour le gestionnaire.

L’exposition des voies ferrées au RGA dans leur environnement proche est actuellement très peu étudiée. L’une des premières étapes à mettre en place serait de dresser un état des lieux, à l’échelle du réseau national, sur les niveaux d’exposition et les secteurs concernés.

Instrumentation in situ d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn) par l’équipe Cerema. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

En juin 2024, nous avons accompagné SNCF Réseau dans une expérimentation inédite qui consiste à conforter une portion d’une voie ferrée exposée au RGA à Donnazac (Tarn), près d’Albi.

Pour cela, deux planches d’essais ont été spécialement conçues pour une expérimentation qui doit durer 4 ans :

  • une planche de 80 mètres stabilisée par injection de RemediaClay, une solution que nous avons déjà testée sur une route départementale depuis 2021 en partenariat avec le Département du Loiret,

  • et une planche témoin (non confortée) de 80 mètres, toutes les deux instrumentées par des capteurs de teneur en eau du sol et une station météo.

L’enjeu est à la fois de tester l’efficacité et la durabilité de RemediaClay, et de caractériser l’évolution de la dessiccation du sol sous une voie ferrée en situation de sécheresse. Les résultats de cette étude permettront de mieux adapter les solutions pour le ferroviaire face au RGA.

Les solutions les plus prometteuses en développement

La littérature scientifique et technique présente plusieurs techniques de réparation courantes. Parmi les techniques fréquemment utilisées pour faire face au RGA sur le bâti : l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation et la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux.

Celles-ci sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et engendrent une sinistralité de deuxième, troisième voire quatrième génération. Il est important d’adopter une nouvelle approche dans le développement des solutions de prévention et d’adaptation vis-à-vis du RGA.

Il est indispensable aujourd’hui d’éprouver ces solutions en tenant compte des effets du changement climatique. Cela concerne par exemple les mesures en lien avec la gestion de l’eau et de la végétation dans la parcelle. Le projet Initiative Sécheresse, lancé en 2024 par France Assureurs, CCR et la Mission Risques Naturels, doit permettre de répondre à ces questions.

La recherche est utile pour identifier et évaluer de nouvelles solutions de prévention et d’adaptation des maisons et des routes face au changement climatique. Au Cerema, notre équipe de recherche dédiée au RGA teste et développe de nouvelles solutions d’adaptation au changement climatique depuis 2015.

Première maison test équipée du procédé Mach dans la Vienne (projet Mach Series. L. Ighil Ameur/Cerema 2024, Fourni par l'auteur

C’est le cas du procédé innovant Mach (Maison confortée par humidification), dont le principe consiste à réhydrater le sol argileux pendant les périodes de sécheresse pour stabiliser son état hydrique. Aujourd’hui, nous avons une démarche scientifique, en partenariat avec le groupe Covéa, pour vérifier la reproductibilité du procédé et l’acquisition des données météorologiques et de teneur en eau du sol. Nous avons déjà équipé une première maison test dans la Vienne et plusieurs dizaines d’autres en France métropolitaine devraient l’être également d’ici 2026.

Expérimentation de l’étanchéification des accotements (a) par enduit de surface et (b) par géomembranne. L. Ighil Ameur/Cerema 2019, Fourni par l'auteur

Pour les routes, en partenariat avec les départementaux de la Région Centre-Val de Loire, nous expérimentons depuis 2017 de nouvelles solutions d’adaptation face au RGA. Ce partenariat inédit, l’Observatoire des routes sinistrées par la sécheresse (Orss), a fait l’objet de restitution partielle lors d’une première journée technique nationale dédiée à l’impact des sécheresses sur les routes exposées au RGA et les solutions d’adaptation en novembre 2023. Cet Observatoire doit évoluer courant 2025 vers un Observatoire national des routes sinistrées par la sécheresse (ONRS).

Parmi les solutions les plus économiques, efficaces et durables, nous avons déjà identifié l’étanchéification horizontale des accotements, que nous avons testée avec le Loir-et-Cher depuis 2019. Il s’agit de limiter la dessiccation du sol au niveau des accotements pour protéger le sol sous chaussée des variations hydriques durant la sécheresse. Depuis sa mise en place fin 2019 sur deux portions de routes départementales, aucun dommage ni déformation ne sont signalés jusqu’à présent.

En 2024, notre équipe a également décroché le financement sur cinq ans de deux projets de recherche nationaux :

  • Le premier, mené en partenariat avec le BRGM, vise à développer un outil de veille et d’anticipation du niveau de sécheresse des sols argileux en France (projet SEHSAR, pour Surveillance étendue du niveau d’humidité des sols argileux pour l’adaptation et la résilience du bâti face au changement climatique)

  • Le second (projet SAFE RGA, pour Solutions innovantes d’adaptation du bâti exposé à la sécheresse face à l’expansion du phénomène de RGA), mené en partenariat avec l’AQC, CEAD, Fondasol et l’Université d’Orléans, doit permettre de mettre au point des solutions innovantes pour l’adaptation des maisons exposées au RGA. Les solutions envisagées visent par exemple à agir sur le sol argileux en place par stabilisation physico-chimique, en ajoutant du sable et du sel ou de lait de chaux, ou encore par des approches préventives.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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04.09.2025 à 11:30

Changement climatique : un indicateur pour prévoir les risques de maisons fissurées

Sophie Barthelemy, Ingénieure de recherche sur le retrait-gonflement des argiles, BRGM

En 2022, le RGA a causé, à lui seul, plusieurs milliards d’euros de dégâts. Des recherches récentes ont construit un indicateur pour prévoir l’évolution future du risque.
Texte intégral (2948 mots)
L’indicateur de sécheresse RGA augmente fortement dans la deuxième partie du XXI<sup>e</sup>&nbsp;siècle, selon les hypothèses du Giec RCP&nbsp;4.5 (scénario d’émissions modérées) et RCP&nbsp;8.5 (scénario d’émissions fortes). Fourni par l'auteur

Le risque de retrait-gonflement des sols argileux, associé aux périodes de sécheresse, est en forte augmentation du fait du changement climatique. Il occasionne des dégâts considérables sur les bâtiments, mais également sur les routes. Rien qu’en 2022, il a coûté plus de trois milliards d’euros à la collectivité et aux assureurs. Des recherches récentes ont construit un indicateur pour prévoir l’évolution future des risques.


Le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) est un risque naturel étonnamment méconnu au regard de ses conséquences et de son coût pour la collectivité. Ce phénomène conduit le sol à se rétracter comme une éponge suite à une période de sécheresse, et à gonfler ensuite lors du retour des pluies. Ces variations de volume peuvent endommager les constructions situées en surface.

Le nombre de maisons fissurées est en forte augmentation depuis plusieurs années en France. Cela pourrait encore s’aggraver sous l’effet du changement climatique, en particulier dans le sud-ouest et le nord-est du pays.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais ces projections ont jusque-là peu été utilisées pour évaluer les tendances associées au phénomène de RGA en particulier. Des travaux récents menés conjointement par Météo France, le BRGM et la Caisse centrale de réassurance (CCR) ont permis d’améliorer les connaissances à ce sujet et ont proposé un indicateur RGA spécifique qui pourrait être utile pour prévoir et quantifier l’ampleur des sécheresses à venir.

Un risque présent sur plus de la moitié du territoire français

De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de RGA ? Certains sols, semblables à des éponges, gonflent et se rétractent de manière cyclique au fil des saisons.

En séchant, le sol argileux se rétracte dans les trois dimensions, ce qui crée des fentes verticales qui se prolongent en profondeur. Photo prise le 17 juillet 2025 à Olivet (Loiret). Fourni par l'auteur

À l’origine de ce phénomène, on trouve des minéraux argileux, comme la smectite, qui sont capables de retenir de l’eau dans leur structure en millefeuille. Leur changement de volume provoque une variation millimétrique du niveau de la surface, imperceptible à l’œil nu, mais qui peut suffire à fissurer routes, chaussées et constructions légères comme des maisons de plain-pied.

Ce type de sol est présent sur environ la moitié de la superficie du territoire français. Plus de 10 millions de logements individuels y sont construits. Or, sous le climat tempéré qui est actuellement le nôtre, les sols sont humides la plupart du temps. Les sinistres surviennent donc en période de sécheresse.

Les dégâts causés par le RGA sont considérables. Les réparations sont prises en charge dans le cadre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (régime CatNat), qui, reposant sur le principe de solidarité nationale, est alimenté par un pourcentage de nos primes d’assurance. Depuis 1989, ce risque a coûté plus de 25 milliards d’euros à la société et aux assureurs, selon la Caisse centrale de réassurance (CCR), se classant ainsi au deuxième rang derrière les inondations.

Depuis 2015, il est même devenu le premier poste d’indemnisation lié aux catastrophes naturelles en France, du fait de la prévalence des sécheresses.

Les experts du climat s’accordent sur le fait que les températures vont augmenter en France du fait du changement climatique, mais la projection de l’état hydrique des sols reste un exercice ardu. Dans ce contexte, il était urgent de développer un outil pour anticiper les conséquences d’un phénomène complexe et diffus comme le RGA.


À lire aussi : Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015


Vers un modèle de prévision des risques de RGA

Depuis plus de trente ans, Météo France développe un outil appelé « modèle des surfaces terrestres » qui permet de simuler les transferts d’eau et de chaleur se produisant entre l’atmosphère, le sol et la végétation à l’aide d’équations biophysiques. Il permet notamment de simuler l’humidité du sol jusqu’à deux mètres de profondeur, sur une grille de résolution de 8 km pour la France.

Fruit de nombreuses années de développement, cet outil de simulation permet de représenter finement les processus à l’œuvre. La végétation, élément clé pour comprendre le fonctionnement des surfaces continentales, y est modélisée en détail (croissance, flétrissement…), avec une distinction entre les principaux types de végétation (arbres feuillus ou conifères, herbacés de prairie ou de culture…).

Cet outil a été utilisé pour mieux comprendre le profil des sécheresses passées ayant causé des dommages liés au RGA, dans l’espoir de pouvoir anticiper leurs évolutions futures. Un indicateur annuel de sécheresse a ainsi été développé afin de mieux caractériser les facteurs favorisant la survenue du RGA et de quantifier, d’un point de vue statistique, le nombre global de sinistres. À noter toutefois que l’objectif de l’outil n’est pas de déterminer le risque de sinistre à l’échelle de chaque maison individuelle.

Concrètement, l’indicateur quantifie la durée et l’intensité du déficit hydrique d’une couche profonde du sol (de 80 cm à 1 m) au cours d’une année complète en se basant sur les simulations d’humidité du sol pour une végétation d’arbres feuillus.

En effet :

  • L’humidité des sols de surface varie continuellement en fonction des aléas météorologiques, mais les variations en profondeur marquent les tendances sur le long terme. Il est donc pertinent de s’y intéresser : plus le front de dessiccation du sol est profond, plus le tassement cumulé du sol en surface est important.

  • L’état hydrique de référence d’un sol et les conditions causant des dommages varient beaucoup d’une région à une autre en fonction du climat. Par exemple, l’humidité volumique (volume d’eau rapporté au volume de sol) est généralement plus faible à Marseille qu’en Moselle. Ce qui est normal dans un cas serait sinistrant dans l’autre. Ainsi, le déficit d’humidité servant au calcul de l’indicateur est évalué par rapport à l’historique du secteur.

  • Le choix de considérer une végétation arborée repose sur le constat que la présence d’un arbre planté à proximité d’une maison peut avoir des conséquences néfastes et engendrer des dégâts en raison de l’absorption accrue d’eau par les racines.

Cet indicateur fonctionne-t-il sur les données historiques ? Une comparaison avec des statistiques communales de sinistres révèle que oui : il y a une corrélation positive entre la valeur de l’indicateur et la survenue de dommages. Cette approche permet bien d’identifier les années où surviennent des sécheresses propices au RGA.

L’indicateur a ainsi été évalué pour la France entre 2000 et 2022 à partir de données climatiques et de données météorologiques collectées par le réseau de stations Météo France. Cinq années particulières ont été mises en évidence par cette analyse : 2003, 2018, 2019, 2020 et 2022.

Indicateur de sécheresse RGA (Year Drought Magnitude) pour les années 2000 à 2022. S. Barthelemy et al, Fourni par l'auteur

Les sécheresses de ces cinq années figurent toutes parmi les 20 événements les plus coûteux du régime CatNat, tous risques confondus.

Les années 2022, 2018 et 2003 occupent respectivement les première, deuxième et quatrième places du classement. Le coût de la sécheresse 2022 est estimé entre 3,4 milliards et 3,7 milliards d’euros : un montant colossal.

Et le changement climatique dans tout ça ?

Un dernier volet de l’étude avait pour objectif de cerner l’évolution future des sécheresses propices au RGA sous l’effet du changement climatique, en projetant l’indicateur sous différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.

Développés par la communauté scientifique depuis le début des années 1990, ces scénarios climatiques, appelés scénarios RCP, pour Representative Concentration Pathway, visent à proposer une gamme de trajectoires d’évolutions possibles des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en fonction de différentes hypothèses socio-économiques.

Ces scénarios ont été couplés avec des modélisations du système climatique afin de répercuter leurs effets sur les variables météorologiques (température, pression, humidité, etc.). Des simulations ont été réalisées en utilisant un grand nombre de modèles de climat différents, afin de prendre en compte les incertitudes le mieux possible.

Ceci a permis de calculer l’évolution de l’indicateur RGA jusqu’en 2065, à partir de modélisations de l’humidité des sols réalisées à partir de six modèles climatiques différents sous les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 (scénario médian d’émissions modérées et scénario pessimiste, où les émissions continuent d’augmenter au rythme actuel).

Évolution de l’indicateur de sécheresse RGA (centile 75) pour les périodes 2006-2025, 2026-2045, 2046-2065, et les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5. S. Barthelemy et al, Fourni par l'auteur

Dans les deux scénarios, la valeur de l’indicateur augmente, notamment après 2045, ce qui traduit une intensification à venir des sécheresses favorables au RGA. Le nord-est et le sud-ouest du pays seraient particulièrement touchés par ce phénomène dans le cadre du scénario RCP 8.5.

Il s’agit d’un résultat inédit. L’exercice de projection des impacts du changement climatique est désormais décliné à de nombreux phénomènes, mais des analyses fines des conditions hydriques propices au RGA faisaient jusqu’alors défaut.

Dans un monde de plus en plus chaud, comme en témoigne l’été 2025.), il va falloir apprendre à gérer cette menace qui pèse sur le bâti.

The Conversation

Sophie Barthelemy a reçu des financements de Météo-France, du BRGM et de la Caisse Centrale de Réassurance dans le cadre de sa thèse de doctorat.

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04.09.2025 à 11:30

Retrait-gonflement des sols argileux : une explosion des risques depuis 2015

Lamine Ighil Ameur, Chercheur en mécanique des sols, Cerema

Le retrait-gonflement des argiles, qui entraîne des fissures dans les bâtiments, est en pleine expansion en France du fait du changement climatique, avec un point de bascule notable en 2015.
Texte intégral (3135 mots)
Les ravages de la sécheresse des sols sur les maisons à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher). L. Ighil Ameur/Cerema 2022 droits réservés, Fourni par l'auteur

Les sécheresses ne posent pas seulement problème pour les stocks d’eau potable et pour l’agriculture : elles occasionnent aussi des dégâts sur le bâti à travers le retrait-gonflement des argiles. Ce phénomène est en pleine expansion en France du fait du changement climatique, avec un point de bascule notable en 2015.


Depuis 2015, la France métropolitaine connaît des sécheresses de plus en plus intenses et fréquentes, pendant des périodes plus longues du fait du changement climatique. La part des sécheresses dans les catastrophes naturelles indemnisées par le régime Cat-Nat est passée de 37 % à 60 % au cours de la période 2016-2021 en termes de charge financière cumulée.

En 2022, la France a connu, pour la sixième fois en dix ans, une sécheresse de grande ampleur. Cette sécheresse, dont le coût est aujourd’hui estimé à plus de 3,5 milliards d’euros, a battu tous les records depuis 1989, qui est l’année où la sécheresse a été intégrée dans le régime Cat-Nat.

La récurrence de telles sécheresses extrêmes accroît la vulnérabilité du bâti, notamment due au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA), avec des dégâts qui se cumulent dans le temps et, parfois, sur les mêmes bâtiments vulnérables. Ces derniers nécessitent alors des travaux plus lourds et plus coûteux.

Que sait-on de l’augmentation de ce risque et du coût qu’il représente pour les assureurs ? État des lieux.

Le retrait-gonflement des argiles en question

De nombreuses études ont étudié l’impact du changement climatique sur le phénomène de RGA sous différents angles.

En 2009, une étude majeure, produite par les membres du groupe de travail « Risques naturels, assurances et changement climatique », cadrait le problème à travers plusieurs questions :

  • Le phénomène de RGA va-t-il s’intensifier ? Affectera-t-il des constructions jusque-là épargnées ? Engendrera-t-il des désordres plus conséquents sur les maisons sinistrées ?

  • La zone géographique concernée par le RGA va-t-elle s’étendre ?

  • Quel sera l’impact de l’augmentation de la fréquence des sécheresses sur les désordres occasionnés ?

Les auteurs de cette étude avaient considéré que

  • la France va continuer à se réchauffer, ce qui s’accompagnera de sécheresses estivales plus fréquentes, plus longues et plus intenses ;

  • l’extension géographique du phénomène, telle que délimitée par les cartes d’aléa retrait-gonflement, est supposée ne pas évoluer avec le changement climatique attendu entre 2010 et 2100 ;

  • le changement climatique ne devrait pas modifier l’intensité du phénomène ;

  • dans l’hypothèse de sécheresses estivales plus fréquentes, l’effet cumulatif lié à la succession rapide d’épisodes de sécheresse, s’il existe, pourrait toutefois être amplifié.

Aujourd’hui, après plus de quinze ans, ces conclusions sont-elles encore valables ?

Un risque en pleine expansion

L’année 2015 a constitué une année de bascule. La France a connu une période 2016-2022 marquée par une accélération des effets du changement climatique sur le phénomène de RGA et sur la sinistralité sécheresse.

On peut retenir plusieurs faits marquants pendant cette période :

D’abord, l’extension géographique du RGA. La part du territoire susceptible et exposée moyennement ou fortement au phénomène de RGA était respectivement de 24 % pour la décennie 2010 et 48 % pour la décennie 2020.

Au total, plus d’une maison sur deux se retrouve désormais très exposée au RGA. En 2017, un premier recensement faisait état de 4,3 millions de maisons potentiellement très exposées, soit 23 % de l’habitat individuel. Le dernier recensement de juin 2021 établissait plus de 10,4 millions de maisons en zone d’exposition RGA moyenne ou forte, soit 54,2 % du nombre total de maisons en France. Ce chiffre devrait même atteindre 16,2 millions à l’horizon 2050.

D’autant plus que la sécheresse s’étend progressivement à tout le territoire français. Alors que la sinistralité était auparavant principalement concentrée sur le croissant argileux, elle s’étend désormais sur les régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, y compris sur des sols jadis épargnés, notamment les sols peu argileux.

Comparaison des charges moyennes annuelles par département, avant et depuis 2016. MRN 2023, Fourni par l'auteur

La dessiccation des sols (suppression naturelle ou artificielle de l’humidité contenue par ceux-ci, ndlr) du fait des sécheresses est également de plus en plus profonde. Avant 2015, sous un climat tempéré, la dessiccation des sols due aux variations saisonnières de teneur en eau affectait les sols superficiels (1 mètre à 2 mètres).

Depuis 2016, avec des sécheresses intenses et récurrentes, la dessiccation des sols est désormais de plus en plus profonde. Elle peut atteindre 3 mètres à 5 mètres,ce qui nécessite alors une prise en charge plus complexe et coûteuse du bâti sinistré

La sécheresse est ainsi devenue le péril le plus coûteux, devant les inondations. La sinistralité cumulée – c’est-à-dire, le ratio financier entre le montant des sinistres à dédommager et celui des primes encaissées – a même atteint 54 % au cours des dix dernières années, ce qui fait de la sécheresse le péril le plus coûteux devant les inondations (31 %) et les autres périls (15 %).

Top 10 des sécheresses en France, en termes de coût des dommages assurés. Données : Bilan 1982-2022 CCR/Réalisation : L. Ighil Ameur/Cerema 2025, Fourni par l'auteur

Depuis 2016, les sécheresses de grande ampleur se sont succédé, et la sinistralité a connu une forte croissance. Sur les dix années de sécheresse les plus coûteuses depuis 1989, six ont eu lieu après 2015.

De fait, la sécheresse 2022 a représenté un épisode exceptionnel à l’échelle de la France. L’année 2022 a ainsi été marquée par une sinistralité sécheresse record à 3,5 milliards d’euros, soit près d’1,5 milliard de plus que lors du précédent record de 2003.

Répartition des arrêtés Cat-Nat sécheresse. France Assureurs 2023, Fourni par l'auteur

Au 25 février 2025, après 21 arrêtés parus au Journal officiel, il y a au total plus de 6 851 communes reconnues Cat-Nat sécheresse 2022, un record depuis 1989. En 2022, la sécheresse avait touché presque l’intégralité du territoire métropolitain : 92 départements dont 3 pour la première fois de l’histoire (Côtes-d’Armor, Finistère, Corse du Sud).

Un coût de plus en plus élevé pour les assureurs

Alors que les dégâts indemnisés par les assureurs entre 1989 et 2019 ont été chiffrés à 13,8 milliards d’euros, les dernières projections de France Assureurs estiment que ce montant cumulé devrait tripler entre 2020 et 2050 et atteindre 43 milliards d’euros, dont 17,2 milliards d’euros du fait du seul changement climatique.

En 2023, la Caisse centrale de réassurance (CCR) a publié une étude sur les conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050. Si l’on considère les scénarios de réduction de gaz à effet de serre RCP 4.5 (atténuation limitée) ou RCP 8.5 (rythme d’émission actuel), tels que définis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les dommages augmentent de manière significative sur l’ensemble du territoire français métropolitain.

Répartition des coûts moyens annuels dus à la sécheresse géotechnique, par département sur le territoire métropolitain à climat actuel (à gauche). Évolution du coût de la sécheresse entre le climat actuel et celui de 2050 selon un scénario RCP 4.5 (centre) et celui de 2050 selon un scénario selon un scénario RCP 8.5 (droite). CCR, 2023, Fourni par l'auteur

Pour le département des Alpes-Maritimes, par exemple, les pertes annuelles moyennes augmenteraient de 25 à 50 %, selon le scénario RCP 4.5, et de 100 à 200 %, selon le scénario RCP 8.5.

Des solutions existent pour traiter le retrait argileux, comme l’agrafage des fissures, l’injection de résine expansive dans le sol de fondation ou encore la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux. Mais ces techniques sont souvent inadaptées au contexte du changement climatique et peuvent engendrer une sinistralité de deuxième, de troisième voire de quatrième génération.

« Les enjeux de retrait-gonflement des argiles appliquées à la rénovation énergétique du bâti ancien », Agence Qualité Construction TV Live, 14 avril 2023.

Il est, dès lors, urgent de développer de nouvelles approches, davantage axées sur la prévention et sur l’adaptation, et important de prendre en compte le risque RGA dans tout projet de génie civil dès qu’il s’agit de terrain sensible.

D’autant plus que certaines initiatives visant à accélérer la transition écologique peuvent présenter un paradoxe vis-à-vis du RGA, par exemple la désimperméabilisation et la renaturation des sols. Celles-ci visent à réduire le ruissellement et à rétablir le cycle de l’eau, favorisent la biodiversité et contribuant à réduire le phénomène d’îlots de chaleur urbain. Mais sur des sols exposés au RGA à proximité de maisons, routes ou des pistes cyclables, cela peut être préjudiciable, du fait de l’action racinaire qui accentue la dessiccation et l’apport d’eau indésirable, au risque de provoquer un effondrement hydromécanique des sols. D’où la nécessité de soigneusement étudier le contexte de ce type de projet avant de les implanter.


Ce texte est publié dans le cadre du colloque international « Les impacts socioéconomiques de la sécheresse », qui s’est tenu le 31 mai 2024 et dont The Conversation France était partenaire.

The Conversation

Lamine Ighil Ameur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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03.09.2025 à 16:52

Surconsommation de vêtements : pourquoi la garde-robe des Français déborde

Pierre Galio, Chef du service « Consommation et prévention », Ademe (Agence de la transition écologique)

«&nbsp;Ultra fast fashion&nbsp;», «&nbsp;fast fashion&nbsp;», seconde main… Les comportements d’achat se déplacent, mais le constat est là&nbsp;: nous achetons et stockons beaucoup plus d’habits que nous n’en utilisons.
Texte intégral (1693 mots)

En juin 2025, le Sénat a adopté une loi anti « fast fashion » qui doit contrer la montée en puissance de la mode ultra éphémère. Au-delà de ses impacts environnementaux et sociaux ravageurs, cette dernière menace directement l’industrie et le commerce textile français.

Dans ce contexte, l’Agence de la transition écologique a publié, en juin 2025, une étude sur les pratiques d’achats et d’usage des Français en matière de vêtements. L’enjeu ? Mieux comprendre les moteurs de notre surconsommation grandissante.


Depuis plusieurs années, le commerce de l’habillement traverse en France une crise, marquée par les redressements, les liquidations judiciaires, les restructurations, les plans de sauvegarde de l’emploi et les plans de cession. Rien qu’en 2023, le secteur a perdu dans le pays 4 000 emplois, selon l’Alliance du commerce.

Malgré ce contexte peu reluisant, le nombre de vêtements neufs vendus continue d’augmenter : 3,5 milliards en 2024 contre 3,1 milliards en 2019, selon le baromètre 2024 de Refashion. Cela représente 10 millions de pièces achetées chaque jour en France.

On dispose de données sur le marché des vêtements et sur la durabilité intrinsèque des textiles, mais les comportements liés aux achats et à l’usage des textiles demeurent, quant à eux, méconnus. Cela rend leur durabilité extrinsèque difficile à appréhender. Il s’agit de mieux connaître les facteurs qui, en dehors de l’usure, amènent les Français à ne plus porter un vêtement.

Bien sûr, des tendances se dessinent. Nous savons que de nouvelles pratiques de consommation ont émergé et que d’autres se sont renforcées. Succès grandissant de la mode ultra éphémère, d’un côté, montée en puissance de la seconde main, de l’autre, en particulier via les plateformes en ligne.

Or, l’impact environnemental du secteur textile représente 4 à 8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Mais pour impulser des changements, il est essentiel de comprendre ce qui se joue.

C’est pourquoi l’Agence de la transition écologique (Ademe) a mené, avec l’Observatoire de la société et de la consommation (Obsoco), une enquête auprès de 4 000 personnes sur leurs pratiques d’achat et d’usage de vêtements.

Cette étude a été affinée par une approche comportementale auprès de 159 personnes, dont 40 ont également fait l’objet d’une approche ethnographique à domicile.

La moitié de nos vêtements stockés et presque jamais utilisés

Malgré le volume conséquent d’habits vendus – 42 pièces en moyenne par personne et par an, selon les chiffres de Refashion –, les Français n’ont pas conscience de la quantité totale de vêtements qu’ils achètent et dont ils disposent dans leurs armoires, révèle l’enquête.

Ils déclarent ainsi jusqu’à deux fois moins que ce qu’ils possèdent réellement. Ainsi, alors que la moyenne des déclarations est de 79 pièces par personne, le constat atteint plutôt les 175.

Plus de la moitié de ces vêtements est stockée et non utilisée. Dans les armoires françaises, 120 millions de vêtements achetés il y a plus de trois mois n’ont jamais été portés, ou alors seulement une ou deux fois.

Non seulement ils sous-estiment le volume de ce stock, mais seuls 35 % des Français considèrent que la quantité de vêtements qu’ils possèdent excède leurs besoins. Seuls 19 % pensent que leurs achats de vêtements sont excessifs. Il existe une réelle dichotomie entre l’excès de vêtements à domicile et la remise en question de l’acte d’achat.

Une minorité de gros consommateurs

Cette perception paradoxale est problématique, puisqu’elle freine l’atteinte du premier objectif, à savoir réduire le flux d’achat de vêtements.

Là-dessus, l’étude a permis de dresser un profil des acheteurs et mis en évidence qu’une minorité de gros consommateurs – 20 à 25 % – portait le marché. Plutôt jeunes, urbaines et sensibles à la dimension identitaire et esthétique de l’habillement, ces personnes expriment une volonté de renouveler régulièrement leur garde-robe.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les boutiques demeurent le principal lieu d’achat, malgré une forte poussée de la vente en ligne, d’abord chez les plus âgées mais aussi chez les jeunes.

La grande évolution du marché ces dernières années est qu’il a été inondé par les géants de la mode ultra éphémère, comme Shein et Temu.

Cette mode ultra éphémère de seconde génération se distingue de la mode éphémère de première génération (H&M, Zara, Primark étant quelques-unes des enseignes les plus emblématiques de ce segment), qu’elle concurrence, par sa gamme de prix plus faible, son taux de renouvellement des gammes plus fréquent, son agressivité marketing et l’étendue plus large de son offre.

Acheter plus, moins cher… et parfois inutilement

Aujourd’hui, malgré son omniprésence sur Internet et son ascension fulgurante, elle n’est, à ce stade, plébiscitée que par 25 % des Français – contre 45 % pour la mode éphémère de première génération. Elle est surtout populaire chez un public jeune, féminin, aux revenus plutôt modestes, chez qui est identifiée une légère dominante rurale.

Dans le discours des enquêtés, le choix de se tourner vers ces enseignes est clairement justifié par le fait de pouvoir acheter beaucoup et de renouveler régulièrement grâce à des prix attractifs et à un large choix.

Ceux qui les fréquentent sont deux fois plus nombreux à déclarer que le volume de leurs achats a augmenté. Le taux des achats jugés inutiles a posteriori est également plus important chez ces consommateurs. L’effet rebond de la consommation, lié à des prix toujours plus bas, est ici clairement identifié.

La seconde main en plein essor

En parallèle de cette mode ultra éphémère, une autre pratique de consommation autrement plus vertueuse a connu un regain ces dernières années : l’achat de seconde main.

Fondé sur le réemploi, ce mode d’achat permet d’allonger la durée d’usage de nos vêtements et donc évite ou repousse l’achat d’un habit neuf. Ce qui a du sens, puisque la majeure partie de l’impact environnemental d’un produit tient à sa fabrication.

La pratique s’est surtout popularisée sous l’effet du développement de plateformes en ligne, là où elle se cantonnait auparavant aux friperies et brocantes. Un leader incontesté de la seconde main en ligne, Vinted, s’est imposé. Il capte aujourd’hui 90 % des consommateurs qui passent par Internet pour leurs achats de vêtements d’occasion.

Une pratique à double tranchant

En achetant de seconde main, la majorité des consommateurs ne recherchent toutefois pas une source alternative d’approvisionnement pour des préoccupations environnementales. Pour beaucoup d’entre eux, Vinted et les plateformes concurrentes ne sont qu’un fournisseur supplémentaire, complémentaire du marché neuf. Et, en particulier, de la mode ultra éphémère : on retrouve bien souvent les clients de Shein ou Temu sur les plateformes de seconde main, dans une logique consumériste très claire.

Les produits qui trouvent acquéreurs sur ces sites ont d’ailleurs souvent été très peu portés : ils n’ont en moyenne vécu qu’entre 20 et 30 % de la durée de vie « normale » d’un vêtement. Cela signifie que la rotation des biens augmente, sans garantie que l’habit, malgré ses multiples propriétaires, soit porté jusqu’à l’usure.

En outre, le fruit de la revente de vêtements de seconde main sert dans 50 % des cas à racheter d’autres vêtements, ou est alloué à d’autres postes de dépense. Le risque serait que la démarche alimente une boucle consumériste. Pour éviter que la seconde main ait ces effets rebonds, l’enjeu, pour les consommateurs, est donc de concilier réemploi et sobriété, en limitant les flux entrants et en augmentant l’intensité d’usage des habits, c’est-à-dire en les utilisant plus souvent et plus longtemps.

Mais cela implique d’interroger la notion de besoin. Aujourd’hui, en matière vestimentaire, celle-ci est appréhendée de façon très extensive et dépasse largement le besoin strictement fonctionnel : elle recoupe des besoins de sociabilité, d’intégration sociale, d’identification et de distinction. Cela doit être interrogé, en particulier compte tenu des méthodes marketing et publicitaires toujours plus puissantes.

The Conversation

Pierre Galio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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02.09.2025 à 16:10

Octavia Hill : un combat pionnier pour l’environnement des plus pauvres

Charles-Francois Mathis, Professeur des universités en Histoire environnementale, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

En pleine révolution industrielle outre-Manche, Octavia&nbsp;Hill s’est battue pour que les plus pauvres puissent jouir d’une nature non détériorée, pour que les villes se végétalisent et contre la pollution atmosphérique.
Texte intégral (2584 mots)
Portrait d’Octavia Hill, par le peintre John Singer Sargent&nbsp;; couverture de _Homes of the London Poor_&nbsp;; panorama du lac de Thirlmere, près de Manchester. Domaine public/archive.org/Mick Knapton , CC BY

En pleine révolution industrielle, la Britannique Octavia Hill s’est battue pour que les plus pauvres aient accès à une nature non détériorée, pour que les villes se végétalisent, et contre la pollution atmosphérique urbaine.


« Rendre aux hommes […] un ciel bleu, une terre pure, une eau limpide, une herbe verte. » Les mots sont simples, mais l’ambition est grande. Ce fut celle d’Octavia Hill, née en 1838 dans le Cambridgeshire (Angleterre), qui sera l’une des principales activistes environnementales de son temps, jusqu’à son décès, en 1912, à Londres. Plus d’un siècle après sa mort, cette nécessité élémentaire d’un écosystème sain pour protéger les plus pauvres reste plus que jamais d’actualité : l’association Toxic Tour Detox 93 rappelle, par exemple, que les bordures de l’autoroute A1, en plein Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), enregistrent les taux de pollution atmosphérique les plus élevés d’Île-de-France.

Vitrail commémoratif dédié à Octavia Hill dans l’église de Crockham Hill
Vitrail commémoratif, consacré à Octavia Hill, de l’église de Crockham Hill (Kent, au sud-est de Londres). tristan forward/geograph.org.uk, CC BY

Cet idéal d’un environnement sain pour tous continue lui de rayonner au sein du National Trust, principale association de protection du patrimoine historique et naturel britannique dont Hill est l’une des fondatrices. Quand le ciel est bleu, justement, on peut voir irradier sa silhouette sur le vitrail installé en sa mémoire par le National Trust dans la petite église de Holy Trinity, à Crockham Hill (Kent), où elle est enterrée. On y voit, d’un côté, une ville dense, sans espace, aux arrière-cours étouffantes, et, de l’autre, un parc, une forêt suggérée, un soleil resplendissant, rappelant ainsi habilement le combat mené toute sa vie contre les conditions de vie insalubres des plus pauvres.

Portrait d’Octavia Hill réalisé vers 1885. Auteur inconnu, CC BY

Car, pour Octavia Hill, tout part de l’engagement social qui lui a été transmis par son grand-père maternel, Thomas Southwood Smith (1788-1861), médecin et réformateur sanitaire, et de sa mère, théoricienne de l’éducation qui associe ses filles à sa Lady’s Guild, en 1852, un atelier coopératif mis en place pour venir en aide aux jeunes femmes sans qualification. Octavia y découvre la réalité sordide des quartiers miséreux de Londres. Elle rencontre aussi nombre d’intellectuels, dont John Ruskin (1819-1900), une figure marquante pour les défenseurs de l’environnement de son temps.

Au milieu des années 1860, Ruskin donne à la jeune femme la possibilité de réaliser son rêve : acheter des maisons, les rénover et les louer à des ouvriers en leur apprenant à les tenir convenablement. Le succès est réel, et Hill développe son action philanthropique avec le soutien croissant de l’establishment victorien, jusqu’aux princesses royales. Elle devient ainsi une personnalité en vue, dotée d’un solide réseau qu’elle va mettre au service de la cause environnementale dès 1875.

Protéger la nature pour les pauvres

Octavia décide alors de rejoindre la Commons Preservation Society (CPS), fondée une dizaine d’années plus tôt pour empêcher la privatisation des communaux autour de Londres et pour en préserver l’accès pour l’ensemble de la population, notamment citadine. Elle en intègre rapidement le comité de direction et finit par être chargée d’une des branches les plus actives de la société, le Kent and Surrey Footpath Committee.

Parallèlement, elle fonde en 1876, avec sa sœur Miranda, la Kyrle Society (Société pour la diffusion de la beauté), qui comprend, à partir de 1879, une section consacrée aux espaces verts. Cet intitulé est révélateur : c’est bien une approche qu’on peut qualifier de « sentimentale » qu’adopte Hill. Elle n’encourage pas à la protection d’une nature ordinaire, vivrière ni même, évidemment, à celle d’un écosystème. C’est plutôt une nature esthétisée et pourvoyeuse d’un bien-être physique et spirituel qu’elle défend. S’y adjoint aussi l’attachement à un patrimoine naturel, hérité de siècles d’aménagement de la terre anglaise – dans la droite ligne d’un mouvement européen en plein essor au tournant du XXe siècle. Elle exprime ces conceptions dans d’innombrables écrits, et particulièrement dans Our Common Land, qu’elle publie en 1877, au titre significatif. Les communaux devraient être propriété pleine et entière du peuple anglais… Il s’agit donc de protéger une certaine nature, mais aussi d’en développer la présence au sein des villes.

Citation d’Octavia Hill

Au cœur des combats environnementaux victoriens

Ces objectifs trouvent à s’exprimer de différentes manières. À travers la Kyrle Society, Octavia Hill organise des concours de fleurs, encourage au fleurissement des terrains autour des maisons ouvrières, dresse, avec ses consœurs, des guides de randonnées du Kent et du Surrey et, plus généralement, organise régulièrement des sorties dans des parcs ou à la campagne pour ses locataires.

En 1876, elle joue un rôle central dans la première grande controverse environnementale qui secoue l’Angleterre et qui prend une dimension nationale. Cette année-là, la ville de Manchester se propose d’acheter le lac de Thirlmere, dans le Lake District, et de le transformer en réservoir pour sa population. L’émoi est immense parmi les défenseurs de l’environnement : il semblait inconcevable que le berceau de la révolution industrielle s’en prenne à une région devenue l’un des symboles de la vieille Angleterre rurale en voie de disparition. Les « Sentimentaux » mènent donc le combat, et, pour la première fois, s’allient. En effet, c’est à cette occasion sans doute que Hill collabore pour la première fois avec deux figures majeures de ce mouvement : Sir Robert Hunter (1844-1913), avocat de la CPS, devenu célèbre depuis qu’il a obtenu, en 1874, la protection de la forêt d’Epping, à l’est de Londres ; et le chanoine Hardwicke Rawnsley, figure éminente du Lake District dont il ne cessera de défendre l’intégrité.

La lutte s’achève par un échec : le réservoir est construit. Mais cet échec permettra aux défenseurs de l’environnement d’apprendre à affiner leurs arguments et surtout le débat aura été porté sur la place publique et jusqu’au Parlement, qui contraint finalement Manchester à modifier aussi peu que possible un paysage jugé « de valeur nationale ». C’est en « Lady of the Lake » qu’Octavia Hill est désormais présentée dans certains dessins de presse. Même si, en 1877, du fait de son épuisement physique et de déconvenues sentimentales et amicales, elle doit s’éloigner des mois durant du combat pour reprendre des forces, elle est désormais une figure centrale du mouvement de défense de la nature.

Au plan législatif, Octovia Hill contribue de manière décisive à l’adoption, en 1884, d’une loi interdisant la vente de cimetières désaffectés à des fins de construction : elle espère ainsi les transformer en petits jardins, ce qu’elle avait déjà fait avec ceux de St-George’s-in-the-East et de Drury Lane.

Le National Trust, un aboutissement fédérateur

On peut ainsi voir la création du National Trust, en 1895, comme l’aboutissement de cette action. Cette association voit le jour à l’initiative de Hill, Hunter et Rawnsley, afin de préserver des lieux d’intérêt historique ou de beauté naturelle.

Il s’agit bien ici d’une nature patrimoniale, héritage ancestral, capable de pallier partiellement certains des maux de la civilisation industrielle. Dès le milieu des années 1870, Octavia Hill espérait fonder une association capable de fédérer les combats environnementaux – la Kyrle Society devait ainsi supplanter la CPS par ses ambitions plus grandes. Il est remarquable de constater que Hill a toujours étendu son champ d’action, considérant que le bien-être des ouvriers dépendait justement de la prise en compte de tous les facteurs pouvant les affecter. De la qualité de leurs logements, elle est ainsi passée à leur environnement quotidien, puis aux espaces naturels qui devaient leur être accessibles.

C’est ainsi qu’il faut comprendre également son rôle dans la fondation d’un comité contre la pollution atmosphérique londonienne (Fog and Smoke Committee) en 1880 : comment vouloir apporter de la beauté et de la nature aux plus pauvres dans une ville étouffée par la fumée ? Là encore, elle fait œuvre pionnière, en contribuant à unir les mouvements de lutte contre la pollution et de défense de la nature qui avaient tendance à rester séparés.

Toujours, elle a agi avec pragmatisme : sa rupture spectaculaire et douloureuse avec Ruskin, en 1877, se joue précisément sur l’enjeu, central aujourd’hui encore, des méthodes et des fins de la lutte environnementale : faut-il, comme le défend Hill avec succès (le National Trust est l’un des principaux propriétaires terriens d’Angleterre), privilégier des mesures concrètes, qui améliorent directement le sort de la population et sont acceptables par une majorité ? ou, si l’on suit Ruskin, attaquer le problème à la racine, au risque de se heurter à l’incompréhension et l’échec ?

The Conversation

Charles-Francois Mathis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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31.08.2025 à 15:42

Même avorté, le moratoire français sur les énergies renouvelables peut mettre en péril la transition verte

Maria Tselika, Assistant Professor of Finance, IÉSEG School of Management

Elias Demetriades, Professeur de finance, Audencia

Kyriaki Tselika, Assistant professeur, Norwegian School of Economics

Même si la proposition de moratoire sur les renouvelables a finalement été retoquée, elle pourrait impacter négativement le secteur des renouvelables en France et en Europe.
Texte intégral (1685 mots)

En juin 2025, un moratoire sur les nouvelles installations d’éolien terrestre et solaire a failli entrer en vigueur. Même si la proposition a finalement été retoquée par le Sénat, cette volte-face politique pourrait avoir des effets délétères durables sur le secteur des renouvelables en France et en Europe. Les explications sont d’ordre économique.


En juin 2025, l’Assemblée nationale française a brièvement approuvé un moratoire sur les nouvelles installations d’éolien terrestre et solaire. La proposition, portée par Les Républicains et le Rassemblement national, a provoqué une vive inquiétude. Elle a finalement été rejetée par le Sénat sous la pression des ministres, des associations professionnelles et des experts européens.

Même si cette mesure n’aura jamais été appliquée, elle a révélé une vulnérabilité profonde : dans un secteur fondé sur la planification de long terme, les revirements politiques soudains sapent rapidement la confiance des investisseurs. Même si l’épisode médiatique n’a duré que quelques semaines, il pourra affecter le secteur de façon durable, pour plusieurs raisons.

D’abord parce que les projets d’énergies renouvelables diffèrent fondamentalement des installations classiques. Selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 80 % des coûts d’un projet solaire ou éolien sont engagés dès la phase de construction, bien avant la vente du premier kilowatt-heure.

Mais aussi parce que l’UE s’est fixé un objectif minimal de 42,5 % de consommation finale d’énergie renouvelable d’ici 2030 dans le cadre des plans Fit-for-55 et REPowerEU. L’Agence européenne pour l’environnement souligne d’ailleurs que l’électricité renouvelable représentait déjà plus de 45,3 % de la production électrique de l’Union européenne en 2023, contre seulement 21 % en 2010. Autrement dit, cela reviendrait, pour la France, à saper des objectifs qu’elle va elle-même devoir tenir en tant qu’État membre.

Ces caractéristiques – investissements initiaux élevés, horizon de rentabilité long, dépendance à la stabilité réglementaire – signifient qu’un climat politique clair n’est pas un luxe : c’est une condition de viabilité.

Des conséquences durables même si le moratoire n’a pas été appliqué

Même si le Sénat a rejeté le moratoire, les effets d’image demeurent. Le secteur des renouvelables emploie en France plus de 100 000 personnes, qu’il s’agisse de la conception, de la construction, de l’exploitation ou de la recherche et développement (R&D).

Quand les signaux politiques deviennent incertains, les entreprises freinent les embauches, suspendent la formation et dissuadent les jeunes ingénieurs de s’orienter vers ces métiers.

Cette instabilité fragilise aussi la compétitivité économique. Le prix de l’énergie est une base de la production industrielle : si les renouvelables ralentissent et leur prix augmente, la dépendance aux combustibles fossiles – dont les prix sont par nature plus volatils – s’aggrave. Inversement, une augmentation de la production d’énergies renouvelables ne saurait entraîner une baisse de prix comparable du fait de la nature asymétrique du marché des renouvelables.

Selon le rapport Global Energy Perspective 2023 de McKinsey, même si les énergies renouvelables sont aujourd’hui les plus compétitives dans de nombreuses régions du monde,

« la viabilité économique de certains projets reste tributaire de soutiens réglementaires ; sans eux, les capacités pourraient stagner ».

Autrement dit, chaque incertitude sur les renouvelables augmente le coût du financement, qui se répercute ensuite sur les prix payés par les consommateurs et par l’industrie.

L’histoire récente offre d’ailleurs un précédent éloquent. Après la suppression brutale des subventions au solaire en Espagne, au début des années 2010, le montant des investissements s’est effondré. Ainsi que l’écrivent les économistes Pablo del Río et Pere Mir-Artigues :

« Les mesures prises ultérieurement par le gouvernement pour réduire ces coûts, notamment les changements rétroactifs de politique, ont créé de l’incertitude chez les investisseurs et ont fragilisé l’industrie solaire nationale. »

Un impératif de stabilité au vu des contraintes techniques

Les énergies renouvelables sont, par définition, intermittentes : la production fluctue selon l’ensoleillement et le vent. On l’a vu plus haut, ces projets nécessitent un engagement financier massif avant toute recette et leur réussite dépend de la prévisibilité du cadre réglementaire, du bon accès au réseau et de l’acceptabilité locale.

McKinsey souligne aussi qu’en Europe, la montée en puissance du solaire et de l’éolien (y compris l’éolien en mer) provoque une hausse des prix négatifs. Cela veut dire qu’à certains moments, les producteurs paient pour écouler leur électricité excédentaire, ce qui illustre l’urgence de renforcer les capacités de stockage et d’adapter la tarification. Sans investissements concomitants dans les réseaux et les batteries, la crédibilité et rentabilité du secteur pourrait s’éroder.

En outre, ces technologies requièrent des efforts continus en R&D et une planification sur plus d’une décennie, qui deviennent difficilement soutenables si les règles changent tous les cinq ans.

Au-delà des frontières françaises, des risques pour la confiance des marchés

Au-delà des enjeux économiques, la politique énergétique relève aussi de la souveraineté. En juillet 2025, le ministre de l’industrie et de l’énergie Marc Ferracci mettait en garde : un moratoire mettrait non seulement des milliers d’emplois en danger, mais aggraverait la dépendance aux énergies fossiles importées. Celles-ci représentent encore environ 60 % des besoins énergétiques de la France et pèsent près de 70 milliards d’euros sur la balance commerciale.

Pendant que la France hésitait, d’autres États européens, eux, ont accéléré. Comme indiqué plus haut, en 2023, la production d’électricité renouvelable a dépassé les 45 % au sein de l’UE. Parmi les États membres, le Danemark fait figure de pionnier : en 2023–2024, plus de 88 % de son électricité provenait des énergies renouvelables, principalement de l’éolien terrestre, en mer et de la biomasse.

L’Union européenne fonde sa stratégie de transition sur la crédibilité de ses engagements. Le Green Deal fixe la trajectoire de neutralité carbone à 2050, et le programme REPowerEU de la Commission européenne entend accélérer l’indépendance énergétique en développant le renouvelable et l’efficacité. Comme le rappelle l’Agence européenne pour l’environnement elle-même :

« les investissements dans l’électricité renouvelable sont par nature de long terme et nécessitent un engagement soutenu en matière de planification, d’autorisations et de raccordement aux réseaux. »

Les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables devraient continuer à croître de manière significative au cours des prochaines décennies, à condition que la stabilité réglementaire et l’adhésion de la société soient garanties. En l’absence de visibilité et de politiques cohérentes, les investisseurs orienteront leurs financements vers des pays offrant un cadre plus fiable et des perspectives à long terme plus clairement établies.

Autrement dit, les renouvelables ne sont pas seulement un atout pour le climat. Elles sont aussi un levier de compétitivité et un moyen de sécuriser l’approvisionnement face aux tensions géopolitiques. L’adoption de l’article 5 de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixe les objectifs de la France en matière de planification énergétique (PPE), qui fixe un cap de 58 % d’énergie décarbonée d’ici 2030, est un signal encourageant.

Mais reste à reconstruire la crédibilité. Les changements de cap trop fréquents – comme ce moratoire avorté – sapent la confiance des investisseurs et freinent la structuration de filières industrielles compétitives. À l’inverse, des politiques claires, des réseaux modernisés et des mécanismes de soutien prévisibles peuvent permettre à la France de reprendre une place de premier plan.

The Conversation

Kyriaki Tselika a reçu des financements de FME NTRANS (Grant 296205, Research Council of Norway).

Elias Demetriades et Maria Tselika ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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28.08.2025 à 16:51

Assemblées citoyennes sur le climat : un bilan mitigé pour les jeunes militants

Yanina Welp, Researchear, Political Science, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Christine Lutringer, Senior Researcher and Executive Director, Albert Hirschman Centre on Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Laura Bullon-Cassis, Chercheuse post-doctorale, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Maria Mexi, Research Fellow, Albert Hirschman Democracy Centre, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Les assemblées citoyennes sur le climat avaient pour objectif de réengager les jeunes dans des initiatives démocratiques. Quel bilan peut-on en dresser aujourd’hui&nbsp;?
Texte intégral (2505 mots)

Les jeunes, majoritaires dans les luttes écologiques, se désengagent peu à peu des formes traditionnelles d’action politique et se tournent de plus en plus vers des options alternatives antisystème. Face à ce constat, et sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat en 2019, les assemblées citoyennes sur le climat souhaitent inclure les jeunes dans des initiatives institutionnelles. Cet article repose sur une étude de l’activité de ces assemblées dans quatre villes (Bologne, Paris, Barcelone et Genève) en 2020-2021.


Depuis les grèves pour le climat de 2019, la vague de mobilisations environnementales menées par des jeunes en France et à travers toute la planète a été exceptionnelle par son ampleur et sa durée. Toutefois, s’ils envahissaient hier les rues du monde entier, aujourd’hui ces jeunes militants pour le climat se désengagent toujours davantage de la politique traditionnelle. Dans le même temps, le taux de participation électorale des jeunes continue de baisser dans les démocraties occidentales, et leur méfiance à l’égard des partis politiques ne cesse de croître.

Dans ce contexte, et au sein de sociétés pluralistes, les villes sont devenues des arènes cruciales pour répondre aux demandes des citoyens. L’une des réponses institutionnelles les plus visibles à ces pressions a été la montée en puissance des assemblées citoyennes sur le climat (ACC) – des forums délibératifs où des habitants sélectionnés au hasard sont invités à cocréer des politiques ad hoc. Celles-ci sont souvent présentées comme un remède à la désillusion démocratique, en particulier chez les jeunes engagés dans la lutte contre le changement climatique. Mais fonctionnent-elles réellement comme prévu ?

Une fenêtre d’opportunité pour la démocratie

Le cadre théorique de l’économiste Albert O. Hirschman (1915-2012), intitulé Exit, Voice and Loyalty, traduit en français comme Défection et prise de parole, permet d’explorer la façon dont les manifestations climatiques menées par les jeunes peuvent ouvrir des « fenêtres d’opportunité » démocratiques.

Dans cette approche fondée sur trois dimensions de l’engagement citoyen, la protestation est considérée comme une forme de « prise de parole » (« Voice »), qui pousse les institutions à réagir, symboliquement et concrètement, par le biais d’innovations démocratiques telles que les ACC. Celles-ci offrent des lieux formels de délibération, susceptibles de renforcer la « loyauté » (« Loyalty ») envers les systèmes démocratiques. Toutefois, lorsque les réponses institutionnelles sont perçues comme insuffisantes ou uniquement symboliques, les jeunes militants peuvent opter pour la « défection » (« Exit ») – un phénomène qui s’exprime par le désengagement électoral, l’apathie ou le soutien à des alternatives anti-système.

En ce sens, la perception de la réponse institutionnelle joue un rôle clé : si les jeunes considèrent que les résultats de leur mobilisation sont significatifs, leur loyauté peut s’accroître. Dans le cas contraire, la confiance dans la démocratie peut s’éroder.

Leçons tirées de l’examen d’assemblées citoyennes pour le climat dans quatre villes européennes

Entre 2021 et 2023, nous avons étudié l’engagement des jeunes en faveur du climat dans quatre villes européennes – Barcelone, Bologne, Paris et Genève – en examinant la manière dont les jeunes militants passaient de la protestation à la participation institutionnelle. Chaque ville offrait un contexte civique spécifique : la démocratie directe de Genève, l’activisme impulsé par les mouvements sociaux à Bologne, les réformes participatives à Barcelone et la culture contestataire à Paris.

Ces quatre villes ont accueilli d’importantes mobilisations pour le climat et ont expérimenté les ACC, offrant ainsi un terrain fertile pour évaluer leur rôle dans l’engagement démocratique. Nous nous sommes concentrées sur deux mouvements transnationaux : Fridays for Future et Extinction Rebellion.

À travers 71 entretiens, trois ateliers et de nombreuses observations sur le terrain, nous avons exploré la manière dont les jeunes militants percevaient les ACC : répondaient-elles à leurs attentes ? Avaient-ils participé à leur élaboration ? Se sentaient-ils écoutés ? Nous avons également recueilli les points de vue de représentants publics et analysé les résultats concrets et formels des ACC.

Démobilisation, désobéissance civile et loyauté : le contexte compte, les procédures aussi

Nos recherches ont révélé des frontières floues entre protestation et participation, ainsi que des sentiments mitigés quant à l’inclusivité et à l’impact des ACC.

À Barcelone, l’enthousiasme initial suscité par des mouvements tels que Fridays for Future a laissé place à la méfiance et à la démobilisation. Malgré les efforts des autorités locales, les ACC ont été jugées inefficaces, ne répondant pas aux attentes en matière d’influence réelle. Les jeunes militants ont préféré les manifestations de rue à l’engagement institutionnel, percevant les assemblées comme déconnectées et symboliques, ce qui a conduit à une démobilisation générale et à une réorientation vers des actions très locales et spécifiques pour quelques militants.

À Bologne, les militants, en particulier ceux d’Extinction Rebellion, ont réussi à influencer la conception d’une ACC, ce qui a conduit à l’élaboration conjointe de règles et à un processus participatif. Celui-ci a donné un rôle actif aux mouvements environnementaux à Bologne, et a ainsi répondu à leurs attentes dans cette phase. Toutefois, bien qu’un tiers des propositions de l’assemblée aient été pleinement adoptées, la communication limitée autour des travaux de l’assemblée et le processus de mise en œuvre, complexe et long, ont affaibli la perception de son impact. Les personnes que nous avons interrogées ont insisté sur le fait que l’administration municipale devrait être beaucoup plus active en matière d’information des citoyens et d’approfondissement de sa capacité de communication sur l’existence d’espaces de participation tels que l’assemblée.

Genève a apporté une réponse institutionnelle forte à travers un forum inclusif et intergénérationnel, le « forum citoyen », qui a généré plus de 100 propositions, dont certaines ont été mises en œuvre. Les jeunes militants ont salué cette approche, mais ont réclamé un changement systémique plus profond et une plus grande influence dans les espaces de décision. Pour reprendre la typologie hirschmanienne, le cas de Genève peut être considéré comme se situant entre « prise de parole » et « loyauté » : au lieu de faire défection ou de s’écarter des structures démocratiques, les jeunes militants pour le climat cherchent à ancrer leur message au sein de celles-ci. Ils plaident notamment pour une plus grande participation des jeunes à la prise de décision et à l’élaboration des politiques, estimant que cela est essentiel pour maximiser l’efficacité des outils tels que les ACC dans la réponse aux revendications des jeunes en matière de climat sur le terrain.

À Paris, le mouvement a abouti à l’adoption d’un projet de loi rédigé par des citoyens. La convention citoyenne, pensée à l’origine comme une réponse à la crise des gilets jaunes plutôt qu’aux mobilisations climatiques, a laissé de nombreux militants déçus, plusieurs de ses propositions ambitieuses ayant été édulcorées ou abandonnées. Beaucoup de jeunes se sont alors tournés vers la désobéissance civile, dénonçant la lenteur des réformes, l’usage des consultations pour canaliser plutôt que transformer, et un rétrécissement de l’espace civique marqué par des restrictions et poursuites accrues.

Ils soulignent aussi un décalage entre les moyens d’action de la ville de Paris, compétente sur la mobilité, l’aménagement ou l’énergie locale, et le rôle décisif du gouvernement national, ce qui renforce leur sentiment d’impuissance. La décision du mouvement Youth for Climate de passer d’une forme de mobilisation fondée sur la protestation à la désobéissance civile en 2022 reflète cette situation, tout comme la perception des jeunes militants selon laquelle la répression policière à l’égard du militantisme s’est intensifiée ces dernières années au niveau national.

La mobilisation en France restant forte, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une tendance à la « défection » ou si la désobéissance civile peut être comprise comme une forme de « prise de parole ». La désobéissance n’était pas considérée comme antidémocratique par les jeunes militants : au contraire, ils sont nombreux à avoir déclaré dans les entretiens qu’ils souhaitaient sensibiliser leurs concitoyens et de faire évoluer l’opinion publique sur le climat par leurs actions, afin d’influencer le résultat des élections.

Les assemblées citoyennes peuvent-elles canaliser l’énergie des jeunes mobilisés ?

Les inquiétudes généralisées quant à l’avenir influencent les priorités, les actions et les aspirations des citoyens, les jeunes étant les plus durement touchés par ces défis. En rejoignant les mouvements pour le climat, les jeunes citoyens expriment leur anxiété et leur appel urgent à l’action. Ce sentiment d’urgence influence inévitablement la manière dont ils perçoivent la réponse apportée par les institutions. Dans cette perspective, les quatre ACC analysées ici ont été accueillies de manière plutôt critique par les jeunes militants pour le climat, car elles n’ont que très partiellement répondu à leur demande d’une voix plus audible dans les espaces démocratiques formels.

La prise de conscience des possibilités offertes par les instruments de la démocratie délibérative a également façonné les attentes. Dans un contexte où des formes de démocratie semi-directe sont bien établies, le Forum citoyen de Genève a suscité des perceptions plus positives parmi les personnes interrogées que les initiatives mises en œuvre dans les trois autres villes.

Il y était considéré comme l’un des nombreux instruments de consultation. Les personnes interrogées dans nos études de cas ne perçoivent qu’un impact faible, parfois même minime ou inexistant, des ACC sur les résultats politiques effectifs dans leurs villes. Elles considèrent donc les ACC comme des mécanismes générant une influence politique limitée. Comme on le voit à Barcelone, le décalage entre les réponses institutionnelles et les attentes des militants peut conduire à la méfiance, à la démobilisation, voire au désengagement. En ce sens, la possibilité de s’exprimer peut conduire au renouveau des espaces démocratiques, mais aussi à la désaffection par rapport au système.

Nos conclusions suggèrent que si les ACC peuvent être un outil d’inclusion, leur impact sur la participation à long terme des jeunes dépend de leur capacité à s’intégrer dans les structures institutionnelles et les cultures politiques existantes. La conception des politiques devrait tenir compte non seulement des aspects procéduraux des ACC, mais aussi de leur capacité à générer la confiance, à assurer la continuité et à relier la démocratie délibérative aux processus décisionnels. Ces éléments sont essentiels pour concevoir des politiques qui intègrent efficacement la participation des jeunes et répondent à leurs attentes.

Dans cette perspective, pour tenir leurs promesses, les mini-publics tels que les ACC devraient être présentés et communiqués comme le point de départ d’un processus d’engagement plus long et plus large. Ils doivent être suivis et complétés par des actions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des espaces démocratiques formels. Cela est essentiel pour que leurs résultats soient perçus et efficaces, non seulement par les jeunes militants, mais aussi, plus largement, par l’ensemble des citoyens.

The Conversation

Yanina Welp a reçu un financement de la Fondation Salvia pour les projets “Protest and Engagement, from the Global to the Local: Mapping the Forms of Youth Participation in Europe” et “Youth Climate Activism and Local Institutions: Reframing Democratic Spaces at a Time of Polarisation”.

Christine Lutringer a reçu un financement de la Fondation Salvia pour les projets “Protest and Engagement, from the Global to the Local: Mapping the Forms of Youth Participation in Europe” et “Youth Climate Activism and Local Institutions: Reframing Democratic Spaces at a Time of Polarisation”.

Laura Bullon-Cassis a reçu un financement de la Fondation Salvia pour les projets “Protest and Engagement, from the Global to the Local: Mapping the Forms of Youth Participation in Europe” et “Youth Climate Activism and Local Institutions: Reframing Democratic Spaces at a Time of Polarisation”.

Maria Mexi a reçu un financement de la Fondation Salvia pour les projets “Protest and Engagement, from the Global to the Local: Mapping the Forms of Youth Participation in Europe” et “Youth Climate Activism and Local Institutions: Reframing Democratic Spaces at a Time of Polarisation”

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28.08.2025 à 11:41

Pollution, un mot qui permet aussi d’opérer un classement social

Camille Dormoy, Docteure en sociologie, spécialiste des politiques publiques de gestion des déchets/économie circulaire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Ce qu’on considère comme polluant n’est pas seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires, mais également par des règles sociales implicites.
Texte intégral (2400 mots)

Le mot « pollution n’est pas neutre, loin de là. Emprunté, d’un point de vue étymologique, au vocabulaire du sacré pour désigner ce qui « souille » ce dernier, le mot n’est pas aussi factuel qu’il y paraît. Ce qu’on considère comme polluant n’est pas seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires, mais également de règles sociales implicites. Il revêt aujourd’hui des enjeux de pouvoir : qui peut désigner la pollution peut non seulement désigner ce qui pollue, mais également « qui » pollue.


Tout le monde s’accorde sur l’objectif : réduire la pollution. Au-delà des discussions sur la ou les meilleures façons d’agir, dès qu’il s’agit de désigner ce qui pollue et, surtout, qui pollue, les désaccords éclatent. Loin d’être purement techniques, les conflits liés à la pollution révèlent des fractures sociales, culturelles et politiques.

Il faut dire que l’étymologie du mot n’est pas neutre : pollution est emprunté du latin pollutio, qui signifie « souillure », « profanation », est lui-même dérivé de polluere, (souiller). Un terme qui souligne la distinction entre le sacré et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire le profane.

Mary Douglas, en 2002. United Nations International School (UNIS).

L’anthropologue britannique Mary Douglas (1921-2007) s’est intéressée à cette distinction entre acceptable et inacceptable, profane et sacrée qui donne à la pollution sa portée symbolique et politique, dans une perspective anthropologique.

Son ouvrage de 1966 De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou (dans son titre original, Purity and Danger: An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo) est devenu un classique. Elle y explique que la pollution n’est pas seulement un effet secondaire de nos modes de vie, mais aussi une question de pouvoir.

Quand « sale » veut surtout dire « hors norme »

Mary Douglas propose une idée aussi simple que subversive : la saleté, c’est, d’abord, ce qui dérange l’ordre des choses. Autrement dit, ce qu’on considère comme polluant n’est pas toujours seulement défini par des critères scientifiques ou sanitaires.

Cela dépend avant tout des règles implicites de chaque société, de ce qu’elle juge acceptable ou non. Ce n’est pas l’objet ou le geste en soi qui est « sale », c’est le fait qu’il transgresse des règles, des normes. Dès qu’il ne rentre pas dans la bonne case, il devient suspect, dérangeant, indésirable.

Un sac plastique dans un marché bio choque, mais dans un supermarché discount, il passe inaperçu. Des poules dans un jardin de campagne symbolisent l’autonomie alimentaire, mais dans une résidence de centre-ville, elles deviennent un problème de voisinage. Dans une piscine municipale, le chlore est associé à la propreté et à la désinfection, mais dans l’eau du robinet, il est soupçonné d’empoisonner ou de perturber le goût, en particulier dans les milieux qui valorisent l’eau « pure » (de source, filtrée, ou encore osmosée).

À travers ces quelques exemples, on voit que ce n’est pas tant la matière qui fait la pollution, mais le contexte dans lequel elle survient. Ce qu’on considère comme propre, polluant ou sain ne dépend pas seulement de critères scientifiques, mais aussi de normes sociales souvent invisibles.

La pollution ne désigne donc pas seulement une nuisance matérielle, elle fonctionne comme un révélateur de frontières symboliques : ce qui dérange, ce qui transgresse, ce qui fait éclater les catégories établies et qui menace un ordre social donné.


À lire aussi : L’écologie, un problème de riches ? L’histoire environnementale nous dit plutôt le contraire


La pollution, un langage du pouvoir pour désigner les bonnes façons d’habiter ?

Transposée à nos sociétés industrielles, la grille d’analyse de Mary Douglas permet de relire autrement les conflits écologiques contemporains. Ceux-ci ne se limitent pas à des désaccords techniques ou à des niveaux de risque mesurables : ils renvoient à des visions du monde incompatibles, à des manières d’habiter et de cohabiter dans un espace donné.

Ce que l’on nomme polluant – ou sale, ou incivique – n’est que rarement et seulement une substance ou un comportement objectivement problématique. C’est une manière de désigner ce qui dérange un ordre établi et, surtout, ceux qui sont perçus comme menaçant cet ordre.

À Étouvie, un quartier populaire d’Amiens, mon enquête ethnographique a mis en lumière la façon dont certaines pratiques ordinaires, comme la mécanique de rue (c’est-à-dire, le fait de réparer son véhicule directement dans l’espace public), le nourrissage d’animaux ou les dépôts d’encombrants sont régulièrement qualifiées de polluantes, souvent bien au-delà de leur impact réel.

Ces gestes, chargés d’un jugement moral, deviennent les marqueurs d’un écart à la norme. Dans le contexte local que j’ai étudié, ce sont souvent les habitants de longue date – ceux qui se perçoivent comme « autochtones » – qui en sont les auteurs désignés. Progressivement, ils se trouvent disqualifiés au profit d’un groupe de nouveaux arrivants ou d’habitants extérieurs, plus actifs dans les instances locales et plus légitimes aux yeux des institutions.

Ces plaintes sur la « propreté du quartier » ne relèvent pas de simples préférences esthétiques ou de velléités écologiques : elles sont productrices de pouvoir. En désignant ce qui est sale ou polluant, certains habitants acquièrent une légitimité pour s’imposer dans les comités de quartier, dans les associations ou dans les réunions publiques.

C’est là que se négocient non seulement les règles de propreté, les formes de contrôle local, mais aussi les grandes lignes des politiques et des aménagements à venir. Nommer ce qui est polluant devient ainsi une manière de gouverner les manières d’habiter.

Un phénomène urbain, mais aussi rural

Ces mécanismes ne se jouent pas uniquement en milieu urbain ou populaire. Dans certaines communes rurales, j’ai observé un phénomène comparable entre des habitants récemment installés en périphérie et des agriculteurs en place. Ces néoruraux, souvent porteurs d’une sensibilité écologique affirmée, rejettent fortement les pratiques agricoles dites conventionnelles, et s’opposent, par exemple, à l’implantation d’un méthaniseur.

Pour disqualifier leurs voisins agriculteurs, ils mobilisent un vocabulaire de la pollution, non pas en invoquant la contamination des sols ou de l’air, mais en désignant une forme de trouble paysager et sensoriel : « les tracteurs qui pourrissent la rue », « les traînées de boue sur les trottoirs » ou « les buttes de terre jusque devant les portails ». Ce n’est pas tant la matière elle-même qui pose ici problème, mais ce qu’elle incarne : une manière de produire, de circuler, d’habiter le territoire, perçue comme incompatible avec l’idée que ces habitants se font du « bon » rural.

Unité de méthanisation agricole. Jérémy-Günther-Heinz Jähnick, CC BY-NC-SA

Dans les deux cas, urbain et rural, la pollution devient un levier de classement social et spatial. Elle ne désigne pas uniquement ce qui salit, mais ce qui déborde d’un cadre attendu, d’un paysage imaginé, d’une norme implicite. Elle permet de dire : ceci est hors de sa place. Et donc, ceci n’a pas lieu d’être ici.


À lire aussi : Au nom du paysage ? Éoliennes, méthaniseurs… pourquoi les projets renouvelables divisent


Penser la pollution autrement : ne pas moraliser mais politiser

Associée à l’industrie, aux fumées, aux déchets toxiques, la pollution a longtemps désigné des atteintes massives à l’environnement, portées par des acteurs identifiables.

Mais, depuis quelques années, le mot a glissé vers d’autres usages. Aujourd’hui, il s’applique aussi à des comportements individuels et à des gestes jugés « inappropriés » : mal trier ses déchets, entreposer des objets sur le trottoir, laisser des traces de son passage. Ce glissement n’est pas anodin.

Comme l’a montré Mary Douglas, la pollution n’est jamais seulement une affaire de substances. C’est un langage : une manière de dire ce qui dérange, ce qui déborde, ce qui n’est pas « à sa place ». Elle sert à dessiner les frontières entre le propre et le sale, le légitime et l’inacceptable.

Dans les quartiers populaires comme dans les villages périurbains, les conflits autour des déchets ou des pratiques agricoles ne parlent pas seulement de propreté ou d’écologie. Ils révèlent des luttes pour définir ce qui est normal, pour dire qui a sa place et qui ne l’a pas.

Cette lecture éclaire aussi un paradoxe : certaines pollutions massives, chimiques ou diffuses, restent invisibles dans l’espace public. Trop silencieuses, trop abstraites, elles échappent aux radars symboliques. On repère un sac plastique mal trié. On perçoit l’odeur d’un méthaniseur. Mais un perturbateur endocrinien ou un seuil dépassé (par exemple la pollution aux oxydes d’azote, aux particules fines, à l’ozone…) en termes de qualité de l’air passent davantage inaperçus, non parce qu’ils sont inoffensifs – ce qu’ils ne sont pas –, mais parce qu’ils ne troublent pas immédiatement notre ordre sensible.

Ainsi, les conflits écologiques ne portent pas seulement sur des substances à éliminer ou sur des comportements à corriger. Ils engagent une lutte plus fondamentale, celle du pouvoir de nommer ce qui dérange, de désigner ce qui – objets, gestes ou populations – est « hors de place ». Car celui qui définit la saleté définit aussi l’ordre. La vraie question est ainsi de savoir qui détient ce pouvoir.

The Conversation

Camille Dormoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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27.08.2025 à 17:04

Faut-il rouvrir des mines en France et en Europe au nom de la souveraineté économique ?

Laurent Jolivet, Professeur, Sorbonne Université

Pas de prospection minière sans géologie&nbsp;: la place de cette science dans nos sociétés est devenue centrale, explique le président de la Société géologique de France.
Texte intégral (3008 mots)

Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en ressources minérales stratégiques, le débat sur la réouverture des mines en France et en Europe est passé au premier plan. Mais pas de prospection et d’exploitation minière sans géologie ! La place de cette science dans nos sociétés est tout aussi centrale pour tirer parti des ressources précieuses qu’abrite le sous-sol, explique le président de la Société géologique de France.


Depuis la naissance de la métallurgie, l’humain extrait du sous-sol les ressources dont il a besoin. Ces activités minières se heurtent aujourd’hui à des injonctions paradoxales :

  • D’un côté, les sciences de la Terre et du climat nous enseignent la finitude des ressources naturelles – les conséquences délétères de leur utilisation sur notre environnement.

  • Mais pour répondre aux objectifs d’énergies renouvelables ou de l’électromobilité, l’utilisation de certains métaux et de terres rares devient incontournable.

  • Dans le même temps, les conflits géopolitiques, les crises sanitaires et les tensions commerciales d’aujourd’hui révèlent crûment notre dépendance à ces ressources du sous-sol.

Dans ce contexte, la question de la réouverture de mines en France et en Europe se pose. Ainsi, le Critical Raw Material (CRM) Act européen impose aux États membres de l’Union européenne d’extraire au minimum 10 % de leurs besoins de minerais sur le territoire (et d’en raffiner 40 %). En France, la politique nationale des ressources et des usages du sous-sol (PRUSS) a fait l’enjeu d’une consultation publique dans le cadre de la loi Climat et résilience.

Ce retour du sous-sol dans les débats nationaux impose de rappeler l’importance de la géologie au cœur même de nos sociétés.


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La géologie, au cœur de nos sociétés

En effet, accroître la souveraineté européenne impose de relocaliser en partie l’exploitation du sous-sol, tout en garantissant une gestion la plus durable possible. Ces questions ne sont pas seulement économiques et politiques, mais en premier lieu géologiques.

La géologie moderne est née en Europe et en Amérique du Nord parce que le développement des sociétés des XVIIIe et XIXe siècles demandait de comprendre la nature et l’agencement des différentes roches dans le sous-sol pour les prospecter et en extraire les ressources.

Grand pays charbonnier, la France a exploité de nombreux gisements métalliques, qui ont à la fois fait la richesse des régions concernées et laissé des pollutions chimiques ou géotechniques sur le long terme.


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Le sous-sol, premier fournisseur de ressources pour tous nos usages

Les roches, minéraux et métaux fournis par les carrières et par les mines sont à la base de tout ce que nous fabriquons et utilisons au cours de notre vie.

À commencer par l’énergie que nous utilisons, qui reste en majeure partie issue de l’exploitation du sous-sol. Plus de 60 % du mix énergétique français provient encore des énergies fossiles et plus de 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire – et donc produite à partir d’uranium. Ces ressources sont presque entièrement importées.

Les énergies renouvelables éoliennes et solaires consomment elles aussi des ressources. Il y a, d’abord, les besoins en ciment pour les éoliennes, consommateur de grandes quantités de calcaire ou de marne (type de calcaire argileux) et de granulats, et dont la production est énergivore et émettrice de dioxyde de CO2. La construction des panneaux solaires et des éoliennes nécessite également du fer, du cuivre, de la silice et des terres rares, sans parler du carburant nécessaire aux engins pour les construire puis pour en assurer la maintenance.

Les éoliennes nécessitent d’importantes quantités de ciment, et donc de calcaire ou de marne. Pexels.com

Sans ressources du sous-sol, nous n’aurions ni routes, ni véhicules, ni hôpitaux, pas d’agriculture, pas d’écoles, pas de maisons, pas d’eau au robinet, pas d’électricité ni de chaleur et, bien sûr, pas d’ordinateurs ni de téléphones portables. Le numérique, le télétravail, le streaming et l’IA générative rendent cette question encore plus prégnante.

Bien entendu, le recyclage doit être privilégié, en commençant par la valorisation des déchets des mines, des carrières anciennes et des déchets électroniques et par la réhabilitation des zones minières. Mais cela ne suffira pas à répondre à nos besoins.


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De nouvelles ressources et nouveaux gisements à découvrir

Reste que la richesse d’un territoire en métaux et matériaux utiles dépend essentiellement de son histoire géologique. La plupart des gisements se forment à grande profondeur, là où règnent des conditions de pression et de température élevées et où circulent des fluides chauds. Ils sont ensuite ramenés à la surface par l’érosion ou par la tectonique des plaques.

Cristaux de stibine (Sb2S3), à base d’antimoine, provenant de la mine d’Ouche, près de Massiac (Cantal). P.-C. Guiollard

Le cœur ancien des continents, Afrique, Canada, Russie, Australie, ou encore la Cordillère des Andes – tectoniquement active – en est riche. En Europe occidentale, ces conditions géologiques ne sont remplies que sur de plus petites surfaces.

Par exemple, la France possède a priori des réserves de cuivre de plus faibles dimensions, mais des réserves importantes de tungstène, d’antimoine, d’or, de lithium ou de germanium.

Cependant, notre connaissance des mécanismes géologiques menant à la concentration des métaux a beaucoup progressé au cours des dernières décennies. Il est probable que de nouveaux gisements puissent être découverts, si l’on se donne la peine de les chercher. Le programme PEPR Sous-Sol Bien Commun et le nouvel inventaire des ressources minérales de la France lancé par le BRGM vont dans ce sens.

En ce qui concerne les ressources énergétiques du sous-sol, le potentiel géothermique de la France devrait lui aussi être revu, à. la suite des progrès dans la compréhension de la structure thermique de la Terre et de la circulation de l’eau en profondeur. Le principal intérêt de la géothermie est qu’il s’agit d’une source d’énergie inépuisable.

Schéma d’une plateforme expérimentale de géothermie. BRGM/Girelle Prod

Il existe déjà en France un fort potentiel de géothermie appelée « géothermie de minime importance » (GMI, appelée de la sorte, car il s’agit de géothermie à très basse température) de l’ordre de 100 térawattheures (TWh)/an, soit la production annuelle de 10 centrales nucléaires. Son développement pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables.

Au-delà de la prospection de nouvelles ressources minières, nous devons donc développer plus activement la géothermie sur l’ensemble du territoire national, et cela sous toutes ses facettes : basse, moyenne et haute température. Pour cela, une montée en compétences sur toute la chaîne de valeur, de la compréhension géologique aux techniques de géothermie, est indispensable.


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Un débat qui impose de mieux former citoyens et décideurs

L’exploitation du sous-sol et la transformation des minerais en usine soulèvent des enjeux économiques, environnementaux et sociaux majeurs. Nous ne pouvons plus faire l’autruche en utilisant à profusion des ressources extraites dans des pays tiers sans nous soucier de notre dépendance et des conséquences environnementales et sociales là où les législations ne sont pas aussi strictes qu’en Europe.

Ces questions, qui appellent à des arbitrages complexes, demandent des débats sereins, qui ne pourront avoir lieu que si nous avons tous accès à un socle minimal de connaissances, tant géologiques qu’environnementales. Il y a donc urgence à mieux former nos concitoyens et nos dirigeants, d’abord à l’école, puis tout au long de la vie.

Pourtant, les sciences de la Terre trouvent à l’heure actuelle de moins en moins leur place au collège et au lycée. Étudier la géologie est pourtant crucial pour comprendre la formation des montagnes et des océans, les mécanismes des volcans et des séismes ou, encore, pour comprendre comment la tectonique des plaques a orienté l’évolution du vivant. Autant de sujets passionnants qui sont à même de motiver nos jeunes concitoyens.

Investir dans la recherche, un choix stratégique

Investir dans la recherche en sciences de la Terre est tout aussi essentiel.

Les dépenses de la France en recherche fondamentale aujourd’hui restent très insuffisantes au vu des enjeux actuels. La France, malgré un niveau élevé de dépenses publiques, consacre seulement 0,3 % de son PIB à la recherche fondamentale, soit deux fois moins que la moyenne européenne.

C’est pourtant grâce à la recherche, fondamentale comme appliquée, que l’on pourra concevoir des solutions durables pour économiser les ressources naturelles, développer l’écoconception, diminuer les empreintes de nos activités (eau, sol, métaux, matériaux, énergie, climat…).

Mieux comprendre les processus géologiques et biologiques en jeu aidera à développer des alternatives non carbonées aux énergies fossiles : par exemple, la géothermie, la récupération de chaleur industrielle, l’hydrogène natif, les carburants de synthèse et les biocarburants.

Mais avant de se prononcer pour ou contre l’exploitation des ressources de notre sous-sol (métaux, roches, minéraux, énergies), il est essentiel de s’interroger sur nos modes de consommation et sur ce dont nous avons réellement besoin. Dans ce contexte, alors que l’Union européenne cherche à mieux encadrer et à valoriser les métaux, un débat national s’impose. La Société géologique de France, que je représente à travers ce texte, est prête à y participer activement.


Laurent Jolivet est président de la Société géologique de France. Les membres du conseil d’administration de la Société géologique de France ont également participé à l’écriture de cet article.

The Conversation

Jolivet Laurent est professeur émérite à Sorbonne Université et président de la Société Géologique de France. Il a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, du CNRS-INSU, de l'European Research Council, de Total. Il a été membre du Comité Scientifique du BRGM et président du conseil scientifique du Référentiel Géologique de la France.

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27.08.2025 à 17:02

À la fin, qui prendra en charge le coût des assurances ?

Arthur Charpentier, Professeur, Université de Rennes 1 - Université de Rennes

Tempêtes qui se répètent, primes qui s’envolent, retraits d’assureurs&nbsp;: à l’heure du dérèglement climatique, la promesse de protection vacille. Qui, finalement, règlera la note&nbsp;?
Texte intégral (2138 mots)
Depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5&nbsp;% à 7&nbsp;% par an --&nbsp;137&nbsp;milliards de dollars états-uniens, en 2024, et une tendance à 145&nbsp;milliards, en 2025. Lucian Coman/Shutterstock

Tempêtes qui se répètent, primes qui s’envolent, retraits d’assureurs : à l’heure du dérèglement climatique, une question se pose : qui règlera, in fine, la note ?


Des mutuelles ouvrières du XIXe siècle, créées pour amortir les coups durs du développement industriel, aux logiques actionnariales des multinationales contemporaines, l’assurance a toujours reflété les grands risques de son époque.

Désormais sous la pression d’événements climatiques à la fréquence et à la sévérité inédites, le secteur affronte une équation nouvelle : comment rester solvable et socialement légitime lorsque la sinistralité (montants payés par une compagnie d’assurance pour des sinistres) croît plus vite que les primes (encaissées) ? Entre flambée des tarifs, exclusions de garanties et menace d’inassurabilité de territoires entiers, comment la solidarité assurantielle doit-elle se réinventer ?

Chacun pour tous, et tous pour chacun

Avant d’être une industrie financière pesant des milliards d’euros, l’assurance est née comme un simple pot commun : des membres cotisent, les sinistrés piochent, et le surplus (s’il existe) revient aux sociétaires. Des organismes de solidarité et d’assurance mutuelle créés dans le cadre de la Hanse (la Ligue hanséatique, réseau de villes marchandes d’Europe du Nord entre le XIIIᵉ et le XVIIᵉ siècle) jusqu’aux guildes médiévales, ces associations de personnes exerçant le même métier ou la même activité, la logique est déjà celle d’un risk-pooling, un partage de risque, à somme nulle. Chacun paie pour tous, et tous pour chacun.

Dans les guildes du Moyen Âge, en Europe, chaque maître artisan versait un droit annuel qui finançait la reconstruction de l’atelier détruit par l’incendie ou le soutien de la veuve en cas de décès. Pour l’historien de l’économie Patrick Wallis, c’est la première caisse de secours structurée. Les chartes danoises de 1256, qui imposent une « aide feu » (ou brandstød) obligatoire après sinistre, en offrent un parfait exemple, comme le montre le chercheur en politique sociale Bernard Harris.

Le principe traverse les siècles. Au XIXe, les sociétés de secours mutuel instaurent la ristourne, quand la sinistralité s’avère plus clémente que prévu. Aujourd’hui encore, près d’un assuré sur deux en incendies, accidents et risques divers (IARD) adhère à une mutuelle dont il est copropriétaire statutaire.

L’équation financière reste fragile : lorsque le climat transforme l’aléa en quasi-certitude, la prime n’est plus un simple « partage de gâteau » mais une avance de plus en plus volumineuse sur des dépenses futures. Le groupe Swiss Re a calculé que, depuis 1990, les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles croissent de 5 % à 7 % par an – 137 milliards de dollars états-uniens en 2024, la tendance est à 145 milliards de dollars en 2025 (respectivement 118 milliards et 125 milliards d’euros).

Le modèle mutualiste, fondé sur la rareté relative du sinistre et la diversification géographique, se voit contraint de réinventer sa solidarité si la fréquence double et la gravité explose… sous peine de basculer vers une segmentation aussi fine que celle des assureurs capitalistiques.

Tarification solidaire et optimisation actionnariale

À partir des années 1990, la financiarisation injecte un nouvel impératif : la prime doit couvrir les sinistres, financer le marketing, rémunérer les fonds propres et, à l’occasion, servir de variable d’ajustement pour les objectifs trimestriels. L’optimisation tarifaire, popularisée sous le vocable de price optimisation, décortique des milliers de variables de comportements (nombre de clics avant signature, inertie bancaire, horaires de connexion) afin d’estimer le prix de réserve individuel, soit le prix minimum qu’un vendeur est prêt à accepter, ou qu’un acheteur est prêt à payer, lors d’une transaction.

Autrement dit, on estime non plus seulement la prime la plus « juste » actuariellement (l’actuaire étant l’expert en gestion des risques), au sens que lui donnait Kenneth Arrow en 1963, mais aussi la prime la plus élevée que l’assuré est prêt à payer. La prime juste étant le coût moyen attendu des sinistres, le montant que l’assureur pense payer l’an prochain pour des risques similaires.


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L’Institut des actuaires australiens dénonce, dans son rapport The Price of Loyalty, une pénalisation systématique des clients fidèles, assimilée à un impôt sur la confiance. Au Royaume-Uni, le régulateur Financial Conduct Authorities (FCA) a frappé fort. Depuis le 1er janvier 2022, la cotation à la reconduction doit être identique à celle d’un nouveau client à risque égal ; l’autorité évalue à 4,2 milliards de livres l’économie réalisée pour les ménages sur dix ans.

Cette bataille réglementaire va bien au-delà du prix. En reléguant la logique de mutualisation au second plan, l’optimisation comportementale renforce les indicateurs socioéconomiques indirects – comme l’âge, la fracture numérique ou la stabilité résidentielle –, qui finissent par peser davantage que le risque technique pur dans la détermination du tarif.

Désormais l’assureur a accès à des data lakes (données brutes) privés, où l’assuré ignore ce qui rend sa prime plus chère. Par nature, les contrats restent rétifs à toute comparaison simplifiée. L’un affiche une franchise de 2 000 euros, l’autre un plafond d’indemnisation plus bas ou des exclusions reléguées dans de minuscules clauses, de sorte qu’il faut un examen quasi juridique pour aligner réellement les offres, comme le soulignait un rapport de la Commission européenne.

Refus d’un dossier sur deux

La montée des événements extrêmes illustre brutalement ces dérives. En Australie, trois phénomènes climatiques dans la première moitié de l’année 2025, dont le cyclone Alfred, ont généré 1,8 milliard de dollars australiens (AUD), soit 1 milliard d’euros, de demandes d’indemnisation. L’Insurance Council prévient que les primes habitation verront des augmentations à deux chiffres et certains contrats pourraient atteindre 30 000 dollars autraliens par an (ou 16 600 euros par an) dans les zones les plus exposées.

Aux États-Unis, la Californie cumule résiliations et refus de prise en charge. Un rapport mentionné par le Los Angeles Times montre que trois grands assureurs ont décliné près d’un dossier sur deux en 2023. Une action collective accuse de collusion 25 compagnies d’assurance dans le but de pousser les sinistrés vers le FAIR Plan, pool d’assureurs de dernier ressort aux garanties réduites.

Vers l’« inassurabilité » systémique

Le phénomène n’est pas marginal. Les assureurs réduisent leur exposition. Les assureurs états-uniens State Farm et Allstate ont cessé d’émettre de nouvelles polices en Californie, dès 2023. En Floride, parce qu’il intervient lorsque aucun assureur privé n’accepte de couvrir un logement à un prix raisonnable, l’assureur public de dernier ressort Citizens a vu son portefeuille grossir jusqu’à environ 1,4 million de polices au pic de la crise, puis repasser sous le million, fin 2024, grâce aux transferts (takeouts) vers des acteurs privés – un progrès réel, qui révèle toutefois un marché encore fragile. Au niveau mondial, Swiss Re compte 181 milliards de dollars états-uniens de pertes 2024 restées à la charge des victimes ou des États, soit 57 % du total.

Face à ces écarts de protection croissants, les assureurs réduisent leur exposition. Cette contraction de l’offre rejaillit sur la finance immobilière : l’économiste Bill Green rappelle dans une lettre au Financial Times que la moindre défaillance d’assurance provoque, en quelques semaines, l’annulation des prêts hypothécaires censée sécuriser la classe moyenne états-unienne. Lorsque les assureurs se retirent ou lorsque la prime devient inabordable, c’est la valeur foncière qui s’effondre et, avec elle, la stabilité de tout un pan du système bancaire local.

Refonder le contrat social du risque

Des pistes se dessinent néanmoins. Le Center for American Progress propose la création de fonds de résilience cofinancés par les primes et par l’État fédéral, afin de financer digues, toitures renforcées et relocalisations dans les zones à très haut risque.

En Europe, la France conserve un régime CatNat fondé sur une surprime obligatoire uniforme – 20 % en 2025 – pour un risque réassuré par la Caisse centrale de réassurance (CCR). Ce mécanisme garantit une indemnisation illimitée tout en mutualisant les catastrophes sur l’ensemble du territoire national. Combinés à une tarification incitative (franchise modulée selon les mesures de prévention), ces dispositifs peuvent préserver l’assurabilité sans faire exploser les primes individuelles.

Reste à traiter l’amont : limiter l’exposition en gelant les permis dans les zones inconstructibles, conditionner le financement bancaire à la compatibilité climat et pérenniser, à l’échelle nationale, une surtaxe de prévention climatique progressive qui financerait les adaptations structurelles tout en lissant les chocs tarifaires.

À ce prix, l’assurance redeviendrait un bien commun : ni pur produit financier ni simple pot commun, mais une infrastructure essentielle où la société, et non plus le seul assureur, choisit sciemment la part de la facture climatique qu’elle accepte de supporter.


Cet article a été rédigé avec Laurence Barry, co-titulaire de la Chaire PARI (Programme de recherche pour l’appréhension des risques et des incertitudes).

The Conversation

Arthur Charpentier est membre (fellow) de l'Institut Louis Bachelier. Il a reçu des financements du CRSNG (NSERC) de 2019 à 2025, du Fond AXA Pour la Recherche de 2020 à 2022, puis de la Fondation SCOR pour la Science de 2023 à 2026.

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26.08.2025 à 16:59

Près des autoroutes et des déchetteries : les gens du voyage face aux injustices environnementales

Léa Tardieu, Chargée de recherche en économie de l’environnement, Inrae

Antoine Leblois, Chargé de recherches, économie de l'environnement et du développement, Inrae

Nicolas Mondolfo, Assistant de recherche, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay

Philippe Delacote, Directeur de recherche en économie à l'INRAE et Chaire Economie du Climat, Inrae

Les aires d’accueil des gens du voyage sont de fait très souvent placées dans des zones polluées ou présentant des nuisances environnementales.
Texte intégral (2252 mots)
Aire d’accueil des gens du voyage de Beynost (Ain) en avril 2023. Benoît Prieur, CC BY

Une étude inédite démontre l’injustice environnementale dont sont victimes les communautés des gens du voyage. Les aires d’accueil où elles peuvent séjourner sont de fait très souvent placées dans des zones polluées ou présentant des nuisances environnementales.


Essayez de vous rappeler la dernière fois que vous avez vu une pancarte désignant « aire d’accueil des gens du voyage ». Vers où pointait-elle ? Dans la France urbaine et périurbaine, il y a de fortes chances qu’elle dirige vers une zone polluée ou sujette à d’autres nuisances environnementales. C’est ce que nous avons pu démontrer à travers une étude statistique inédite. Les gens du voyage, un terme administratif désignant un mode de vie non sédentaire qui englobe une multitude de communautés roms, gitanes, manouches, sintés, yénish, etc., sont de ce fait discriminés.

De précédentes recherches avaient déjà mis en évidence la discrimination environnementale systémique que subissent ces communautés en France. On peut citer par exemple l’ouvrage Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d’accueil, du juriste William Acker, et les travaux en anthropologie de Lise Foisneau, notamment sur l’aire du Petit-Quevilly (Seine-Maritime) à la suite de l’accident industriel de Lubrizol, ou encore ceux de Gaëlla Loiseau.

Ils replacent ces discriminations dans un contexte historique, sociologique, juridique et politique, et soulignent le rôle prépondérant de la mise à distance des gens du voyage dans l’espace public et soulignent leur invisibilisation dans le débat public.

Pour compléter les études existantes et enrichir le débat sur les injustices environnementales en France, nous avons souhaité vérifier si ces injustices pouvaient s’observer au plan statistique. Dans une étude récemment publiée dans Nature Cities, nous comparons l’exposition aux nuisances environnementales dans les aires d’accueil et dans d’autres zones d’habitation comparables.

Où placer les aires d’accueil ?

La localisation des aires d’accueil des gens du voyage représente un domaine, relativement unique, dans lequel la puissance publique impose les lieux où une catégorie de la population a le droit de s’installer.

Ceci en fait un contexte particulièrement intéressant à étudier dans le cadre de la justice environnementale. En effet, la littérature sur la justice environnementale se concentre presque exclusivement sur les phénomènes de ségrégation spatiale, involontaires et systémiques. En revanche, le cas des aires de gens du voyage met en lumière une injustice produite directement par des décisions publiques répétées, et non par des dynamiques résidentielles spontanées.

En France, depuis la loi du 5 juillet 2000, dite loi Besson, la participation à l’accueil des gens du voyage est obligatoire pour les communes de plus de 5 000 habitants. Mais cette nécessité est, dans les faits, peu respectée. Les derniers chiffres officiels de la DIHAL font état des éléments suivants : seuls 12 départements sur 95 respectent les prescriptions prévues par leur schéma.

Pour décider du lieu d’installation d’une aire, les élus locaux peuvent soit l’établir sur leur territoire, soit participer à son financement sur une commune voisine, communauté de communes ou communauté d’agglomération dans le cadre d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Actuellement, cependant, moins d’un établissement public de coopération intercommunale sur deux est en conformité. Malgré ces manques de conformité, la loi Besson a eu pour conséquence principale de faire construire les aires d’accueil majoritairement dans des aires urbaines.

Cartes des aires d’accueil de gens du voyage en France, en regard des aires urbaines
Les aires d’accueil de gens du voyage sont majoritairement situées dans les aires urbaines. Léa Tardieu/Inrae, Fourni par l'auteur

Les schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage, approuvés par l’État par un arrêté signé du préfet du département, évaluent la situation au niveau du département et déterminent les objectifs et obligations pour une durée de six ans. Le schéma spécifie, entre autres, le nombre d’aires d’accueil et les communes ayant l’obligation d’en avoir.

Des aires concentrées dans les communes les plus exposées aux nuisances environnementales…

Nous avons dans un premier temps analysé les caractéristiques des communes accueillant les aires. La situation des communes de plus de 5 000 habitants au sein d’un EPCI s’avère déterminante.

Lorsqu’une seule commune de l’EPCI a plus de 5 000 habitants, celle-ci a, toutes choses égales par ailleurs, huit fois plus de chances d’accueillir une aire que les communes de moins de 5 000 habitants. En revanche, lorsque plusieurs communes de l’EPCI ont plus de 5 000 habitants, cette probabilité n’est que quatre fois plus élevée. Cette statistique indique qu’il existe bien, dans certains cas, une négociation entre les communes. Cette négociation peut avoir pour objectif de limiter le nombre d’aires d’accueil à installer sur leur territoire, et d’éviter d’en installer une dans la commune.

Nos résultats révèlent en outre que les communes de plus de 5 000 habitants qui ont une aire d’accueil contiennent, en moyenne, plus de nuisances environnementales que celles qui n’en accueillent pas. Cela est vrai pour tous les types de nuisances, à l’exception du risque d’inondation.

L’écart est particulièrement important pour certains types de nuisances. Par exemple, 55 % des communes accueillant une aire abritent une usine très polluante, contre 34 % des communes qui n’en accueillent pas. Concernant les déchetteries, ces proportions s’élèvent à 64 % et 47 %, respectivement.

Par ailleurs, les communes dans lesquelles la valeur locative des logements (qui reflète le prix du marché) est plus élevée sont moins susceptibles d’accueillir une aire.

Ces analyses ont été réalisées en prenant en compte certaines caractéristiques des communes (population, superficie, etc.) pour mesurer les différences entre communes comparables.

… et, au sein des communes, dans les zones les plus polluées

À l’intérieur même des communes, les aires sont placées dans des zones déjà défavorisées : revenus plus faibles, plus de logements sociaux et des foyers plus nombreux.

Mais les aires d’accueil sont surtout localisées à proximité des sources de pollution. Les zones autour d’une aire ont trois fois plus de probabilité d’être à proximité d’une déchetterie (moins de 300 mètres) et plus de deux fois plus de probabilité d’être à proximité d’une station d’épuration ou d’une autoroute (moins de 100 mètres). Elles ont aussi 30 % de risque supplémentaire d’être proches d’un site pollué et 40 % d’être à proximité d’une usine classée Seveso (présentant un risque industriel).

Autrement dit, les aires sont non seulement placées dans des zones les plus modestes au plan économique, mais parmi les zones modestes, elles sont aussi situées dans les zones les plus exposées aux nuisances environnementales.

Logique de moindre coût ou racisme environnemental ?

Nous envisageons deux mécanismes schématiques – qui ne s’excluent pas mutuellement en pratique – permettant d’expliquer cette discrimination environnementale. Les choix de localisation des aires d’accueil peuvent en effet découler d'un processus de minimisation des coûts ou encore résulter d’une discrimination intentionnelle de la part des pouvoirs publics.

Dans le premier cas, on notera que les terrains proches d’infrastructures bruyantes ou polluantes sont souvent moins chers, moins convoités, et donc plus faciles à mobiliser. Les maires et collectivités, soumis à des contraintes financières, peuvent donc être tentés d’installer les aires là où cela coûte le moins.

Nos données le confirment : les aires sont souvent implantées là où les loyers sont bas et l’accès aux services publics limité. Ceci a également été montré par les travaux de Lise Foisneau.

Mais une seconde explication ne peut être écartée : celle du racisme environnemental. L’antitziganisme est fortement ancré dans la société française, comme en témoignent de nombreux discours médiatiques ou politiques. Il est alors possible que certains élus cherchent à placer les aires loin des quartiers résidentiels pour éviter les réactions hostiles.

Une autre hypothèse pourrait être que certains élus locaux rendent les aires peu attractives afin d’en limiter la fréquentation. Nous constatons en effet que les aires ont tendance à être situées en bordure de communes et nos données montrent également qu’elles sont globalement éloignées des services publics, comme les écoles ou les centre de santé.

Au final, il est plus que probable que les discriminations environnementales que nous documentons résultent d’une combinaison de stratégies d’exclusion délibérées et d’objectifs de réduction des coûts.

L’absence de co-construction avec les principaux concernés et le nombre très limité de consultations menées aux niveaux local et national laissent à penser que l’injustice distributive qui touche les gens du voyage peut être une conséquence directe d’une injustice procédurale (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas impliqués dans les processus de décisions qui les concernent). Celle-ci a été fréquemment documentée, notamment par des associations comme l’ANGVC et la FNASAT.

The Conversation

Philippe Delacote a reçu des financements de la Chaire Economie du Climat.

Antoine Leblois, Léa Tardieu et Nicolas Mondolfo ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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25.08.2025 à 17:31

Qui était Berta Cáceres, assassinée en 2016 pour avoir défendu une rivière sacrée au Honduras ?

Shérazade Zaiter, Auteure | Juriste | Conférencière | Ambassadrice pour le Pacte européen du climat, Université de Limoges

Cette militante écologiste hondurienne, qui a défendu les droits des peuples autochtones, a été froidement assassinée en 2016 à l’âge de 44&nbsp;ans.
Texte intégral (2275 mots)
Berta Cáceres a reçu, en 2015, le «&nbsp;Nobel vert&nbsp;», le prix Goldman pour l’environnement. Goldman Environmental Prize

Cet été, The Conversation France vous emmène à la rencontre de personnalités pionnières mais méconnues de mouvements pour la protection de l’environnement. Aujourd’hui, il s’agit de Berta Cáceres, militante écologiste qui a défendu les droits des peuples autochtones et qui a été froidement assassinée, en 2016, au Honduras.


En 2023, 196 défenseurs de l’environnement ont été tués à travers le monde. Ces chiffres terrifiants, publiés en septembre 2024 par l’ONG Global Witness, témoignent d’une réalité alarmante : s’engager pour la planète peut coûter la vie. Et dans ce combat, l’Amérique latine reste l’une des régions les plus dangereuses. Depuis 2012, plus de 2 100 militants sont morts, soit un meurtre tous les deux jours.

Parmi les pays les plus touchés : la Colombie, le Brésil, le Mexique, les Philippines… et le Honduras. Dans ce petit pays d’Amérique centrale, 18 défenseurs de l’environnement ont perdu la vie en 2023. La majorité des victimes sont issues des peuples autochtones, qui représentent à peine 5 % de la population mondiale, mais qui concentrent plus d’un tiers des agressions recensées.

Le destin de Berta Cáceres, militante hondurienne assassinée en 2016, en représente un exemple tragique. Ce texte retrace le portrait de cette figure hors norme dont l’écho résonne encore aujourd’hui.

Engagée pour les peuples autochtones

Figure emblématique de la défense des droits autochtones et de l’environnement, Berta Cáceres est devenue le symbole d’une lutte universelle contre la corruption environnementale.

Berta Cáceres en 2007. UN Environment

Née le 4 mars 1971 à La Esperanza, elle a grandi au sein d’une famille engagée. Sa mère, Austra Bertha Flores, est sage-femme et militante féministe. Son père, Ricardo Cáceres, appartient au peuple indigène lenca.

Très tôt, Berta a été sensibilisée aux inégalités sociales, à la pauvreté et à l’injustice. En 1993, elle a cofondé le Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras (COPINH), une organisation dédiée à la défense des droits des peuples autochtones. Avec le COPINH, elle s’est engagée contre l’exploitation des ressources naturelles et contre le fait que les projets industriels soient imposés aux communautés sans leur consentement.

Le « Nobel vert » pour sa mobilisation contre un projet de barrage

Au début des années 2000, le gouvernement hondurien a attribué des concessions à des entreprises privées pour construire des barrages hydroélectriques sur des territoires indigènes. Parmi ces derniers, le projet Agua Zarca, porté par la société Desarrollos Energéticos S.A. (DESA), prévoyait de barrer le fleuve Gualcarque, une rivière sacrée pour les Lenca. Un projet qui menaçait leur existence même : le peuple Lenca dépend de cette rivière pour son eau, sa culture, sa spiritualité et sa survie.

Berta Cáceres a alors organisé la résistance. Manifestations, blocages, campagnes internationales… Pendant des années, elle a dénoncé la collusion entre l’entreprise DESA, les responsables politiques et les forces de sécurité. Bien que pacifique, son action dérangeait. Très vite, elle est devenue la cible de harcèlements, de menaces de mort, et de tentatives d’intimidation. Le gouvernement hondurien, au lieu de la protéger, a préféré l’accuser d’incitation à la violence.

En 2015, Berta Cáceres a reçu le prestigieux prix Goldman pour l’environnement. Ce prix, surnommé le « Nobel vert », récompense les plus grands défenseurs de la nature à travers le monde. Il est venu saluer son combat acharné pour les droits des peuples autochtones et la protection des territoires sacrés. Le monde entier a alors découvert le courage de cette guerrière, porte-voix des rivières et des forêts du Honduras.

Un meurtre qui a provoqué une onde de choc mondiale

Mais cette reconnaissance internationale n’aura pas suffi à la protéger. Dans la nuit du 2 au 3 mars 2016, des tueurs à gages sont entrés chez elle et l’ont froidement abattue. Elle avait 44 ans et était mère de quatre enfants. Elle a été assassinée pour avoir défendu une rivière sacrée.

Son meurtre, parfaitement ciblé et planifié, a provoqué une onde de choc mondiale. Les Nations unies, Amnesty International, les gouvernements étrangers, les ONG environnementales : tous réclament une enquête impartiale. Michel Forst, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, a exhorté le Honduras à garantir une enquête complète sur le meurtre de Berta.

Mais dans ce pays, l’impunité reste la norme. Plus de huit ans après son assassinat, la justice hondurienne peine toujours à poursuivre tous les responsables impliqués dans le crime. Pour l’heure, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, plusieurs responsables de DESA – dont son ancien chef de la sécurité et Roberto David Castillo Mejía, son ancien président – ont été condamnés.

Roberto David Castillo Mejía, en particulier, a été condamné en 2022 par la Cour suprême de justice du Honduras à 22 ans de prison comme coauteur de l’assassinat de Berta. En novembre 2024, il a écopé de cinq années supplémentaires pour fraude et usage de faux documents dans l’affaire de Gualcarque.

Cette condamnation repose en grande partie sur les preuves méticuleusement collectées par Berta elle-même au prix de sa vie. À l’époque, Castillo siégeait également à la direction de l’entreprise nationale d’électricité (ENEE), une position qui lui aurait permis de manipuler l’attribution des contrats publics en faveur de DESA.

Ce cas illustre parfaitement la collusion toxique entre entreprises privées, institutions publiques et réseaux de pouvoir. Si ces condamnations représentent une avancée partielle, elles ne sauraient masquer l’absence de poursuites contre les véritables architectes de ce système de prédation. Roberto David Castillo ne serait que le maillon d’une structure criminelle plus large : la liste des personnes condamnées n’intègre pas toutes les personnes qui ont planifié et ordonné l’assassinat de l’activiste.

Face au refus du gouvernement hondurien d’accepter des investigations d’enquêteurs étrangers, un groupe d’experts indépendant a, en 2017, mis en cause les autorités du Honduras.

Dans ce contexte, le refus du Honduras de ratifier l’accord d’Escazú, qui concerne les droits d’accès à l’information sur l’environnement, la participation du public à la prise de décision environnementale, la justice environnementale et un environnement sain et durable pour les générations actuelles et futures en Amérique latine et dans les Caraïbes, apparaît comme une forme de déni institutionnel.

Signé par 24 pays en septembre 2018 au Costa Rica et entré en vigueur en avril 2021, ce traité régional, pionnier sur l’environnement et les droits humains, engage les États à garantir l’accès à l’information environnementale, à renforcer la participation citoyenne aux décisions écologiques, et surtout à protéger les défenseurs de l’environnement.

Le Honduras, qui reste l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les défenseurs de l’environnement, ne l’a toujours pas ratifié, alors même que la société civile et les ONG internationales réclament son adoption urgente. À ce jour, seuls 18 pays d’Amérique latine et des Caraïbes l’ont ratifié.

L’héritage laissé par Berta Cáceres

L’histoire de Berta Cáceres dépasse les frontières du Honduras et appelle à ce que justice soit faite. Non seulement pour elle, mais pour toutes celles et ceux qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour défendre la Terre. Ce drame révèle les mécanismes d’un système global où la défense du vivant entre en conflit avec des intérêts économiques puissants. Dans ce système, ce sont souvent les plus vulnérables – peuples autochtones, femmes, paysans – qui paient le prix fort.


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Le COPINH poursuit aujourd’hui l’œuvre de Berta Cáceres, mené en partie par sa fille Laura Zúñiga Cáceres. À La Esperanza, des fresques murales, des cérémonies et des chants perpétuent la mémoire de celle qu’on appelle désormais la gardienne des rivières.

Berta Cáceres est ainsi devenue une figure universelle de la résistance : une femme qui a su unir écologie, justice sociale et lutte pour les droits des peuples dans un même souffle. De nombreuses organisations de défense des droits humains et de

l’environnement à travers le monde évoquent régulièrement son nom pour dénoncer les violences systémiques. Dans un monde confronté à la crise climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux dérives autoritaires, sa mémoire rappelle que défendre l’environnement, ce n’est pas seulement protéger la nature, c’est aussi défendre les droits humains.

Berta Cáceres a ouvert un chemin pour la nouvelle génération de défenseurs de l’environnement : défendre la planète, c’est aussi défendre la vie, la dignité et la démocratie.

Ainsi Berta Cáceres disait-elle :

« Notre Terre-mère, militarisée, clôturée, empoisonnée, témoin de la violation systématique des droits fondamentaux, nous impose d’agir. »

Aujourd’hui, face à l’urgence écologique et climatique, aux atteintes aux droits humains et aux menaces croissantes contre les libertés, ces mots ne sont plus un simple avertissement. Ce sont des impératifs moraux. Agir n’est plus une option : c’est un devoir.

The Conversation

Shérazade Zaiter est membre d'Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l'Environnement.

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