16.12.2025 à 16:32
Valery Michaux, Enseignante chercheuse, Neoma Business School
L’hydrogène vert ou décarboné revient régulièrement sur le devant de la scène depuis vingt-cinq ans, drainant un flux régulier de capitaux comme le montre le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, sorti il y a quelques semaines. Comment expliquer que, depuis aussi longtemps, cette énergie et ses technologies associées peinent à décoller, tout en continuant à susciter des investissements ? On parle d’« innovation éternellement émergente » pour désigner ce phénomène paradoxal propre à la transition.
La place de l’hydrogène vert (ou bas carbone) suscite aujourd’hui des controverses plus vives que jamais. Certains ont peur d’une récupération par le secteur des énergies fossiles, qui pourrait être tenté de promouvoir l’hydrogène bleu produit à partir de gaz naturel. D’autres annoncent l’effondrement de cette filière naissante en France.
Il faut dire que le passage brutal à l’électrique des taxis parisiens à hydrogène Hype, lancés en 2015 lors de la COP21, envoie un signal hautement symbolique de la forte déstabilisation des acteurs français de l’hydrogène. Les débats autour du potentiel de cette énergie ne sont pas nouveaux : depuis vingt-cinq ans, l’hydrogène suscite un engouement récurrent et des investissements importants, sans pour autant décoller, son adoption demeurant relativement limitée.
Des innovations qui ne trouvent pas leur public, il y en a beaucoup, mais le cas de l’hydrogène est un peu différent. Nous nous sommes penchés sur le sujet pour tenter de résoudre ce paradoxe qui dure depuis les années 2000, à travers une étude longitudinale socioéconomique sur l’hydrogène.
Habituellement, les analyses classiques se concentrent sur les caractéristiques de l’innovation en elle-même pour expliquer leur adoption ou non-adoption : dans le cas de l’hydrogène, elles portent sur les technologies liées à la production et la distribution d’hydrogène vert et décarboné, sur leurs caractéristiques (coûts, rendement énergétique, facilité d’utilisation, etc.), sur les effets de réseaux (existence d’infrastructures de production et de stations de rechargement) ou sur les utilisateurs et les consommateurs.
L’originalité de notre recherche qui s’intéresse plus particulièrement à la mobilité, repose sur une autre grille d’analyse : l’approche dite multiniveau, qui resitue les innovations dans un contexte de concurrence avec d’autres technologies répondant aux mêmes besoins, tout en prenant en compte les conséquences des évolutions géopolitiques et sociétales sur les secteurs économiques.
Elle met en outre l’accent sur la façon dont le contexte politique, sociologique et géopolitique est susceptible de créer dans le temps assez de tensions pour déstabiliser les usages des acteurs du secteur.
Nos résultats montrent un phénomène propre à la transition énergétique que nous avons appelé : « innovations perpétuellement émergentes ». Ce phénomène ne peut être compris qu’en tenant compte de trois éléments distincts fortement corrélés.
Tout d’abord, l’analyse d’une innovation verte ne peut faire abstraction des évolutions induites par le contexte géopolitique sur les représentations collectives de ce qu’est la transition énergétique et comment la gérer.
Ensuite, ces évolutions transforment le contexte de concurrence et d’arbitrages entre différentes innovations vertes visant à répondre aux mêmes besoins de décarbonation.
Enfin, il existe des phénomènes de verrouillage sociotechnique autour de certaines innovations vertes qui viennent encore modifier le contexte de ces concurrences intertechnologiques et influencer à leur tour les arbitrages de tous les acteurs du secteur.
L’hydrogène est un très bon exemple de ces technologies perpétuellement émergentes.
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Reprenons le cours de son histoire. Jérémy Rifkin, prospectiviste américain, publie en 2003 un ouvrage qui va faire le tour du monde, l’Économie hydrogène.
Pour faire face à la diminution des ressources en pétrole, explique-t-il, il faudra développer une économie décentralisée fondée sur la production locale d’énergies renouvelables et le stockage de cette énergie intermittente dans l’hydrogène vert.
La représentation collective qui se construit à l’époque autour de ce gaz vert est marquée par le fait que les véhicules électriques à l’hydrogène ne rejettent que de l’eau et que le produire localement diminuera la dépendance de l’occident aux pays pétroliers. Cette vision s’érige en mythe partout dans le monde à mesure que le problème du changement climatique devient central.
Outre ne rejeter que de l’eau, l’hydrogène vert est aussi neutre en carbone. Cette vision va influencer le développement de l’hydrogène dans la mobilité, d’abord aux États-Unis puis, à partir du début des années 2010, en Europe. Dès 2015, plusieurs régions en France et en Europe lancent des expérimentations locales autour d’écosystèmes hydrogène dédiés à la production et à la mobilité locale.
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Entre 2015 et 2019, on observe une déstabilisation du moteur thermique dans la mobilité et le renforcement de cette vision de la transition très centrée sur les émissions de gaz à effet de serre et la qualité de l’air dans les villes (notamment à la suite du scandale sanitaire du dieselgate).
Dès 2019-2020, l’UE met en place des normes beaucoup plus strictes et les constructeurs sont forcés de s’adapter. Ils se tournent alors vers la seule technologie mature à l’époque : la voiture électrique à batterie. En effet, si l’hydrogène est évoqué de longue date dans le futur de la mobilité, les véhicules à batterie sont dans la course depuis plus longtemps. La troisième génération de batteries est déjà présente, le réseau de recharges, bien que sommaire, existe. Et le carburant – l’électricité – ne pose aucun problème.
Face à l’hydrogène qui ne possède aucune infrastructure, les jeux sont faits. Les expérimentations en la matière passent au second plan et les territoires hydrogène prennent du retard. En théorie de l’innovation, ce phénomène est connu sous le nom d’effet de verrouillage, qui se crée autour d’une technologie qui devient dominante.
Entre 2020 et 2022, les experts considèrent toutefois encore l’hydrogène comme une technologie clé dans la mobilité lourde. C’est sans compter sur la vitesse extrêmement rapide des effets de verrouillage. Environ 320 000 camions électriques et 220 modèles étaient en circulation fin 2022 dans le monde : une hausse spectaculaire et totalement inattendue, même par les experts. À titre de comparaison, il n’y avait que 12 modèles de poids lourds hydrogène à pile à combustible disponibles fin 2022 dans le monde.
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2022 marque aussi le début de la guerre en Ukraine, qui va déclencher une crise énergétique et une flambée de l’inflation qui achèveront de reléguer l’hydrogène au second plan dans la mobilité. Parallèlement, notre vision de la transition évolue beaucoup à cette période. L’énergie devient une ressource précieuse que l’on ne peut plus gaspiller : la philosophie de l’économie circulaire est de plus en plus intégrée.
Or fabriquer de l’hydrogène vert (ou décarboné) à partir d’électricité renouvelable est moins efficace qu’utiliser directement cette électricité, en raison des pertes liées aux rendements de conversion. Face aux limites planétaires, il est impératif de prolonger la durée de vie de nos objets de consommation tout en garantissant leur recyclage complet. Les Allemands saisissent dès 2023 cette opportunité pour imposer une nouvelle vision de l’hydrogène qui permettrait de continuer à utiliser nos bonnes vieilles voitures thermiques.
Lors de la décision finale pour interdire les moteurs thermiques en 2035 à l’échelle européenne, l’Allemagne force les autres pays européens à laisser la porte ouverte : les moteurs thermiques resteront autorisés, à condition d’avoir recours à des e-fuels ou des carburants de synthèse liquides « zéro émission » produits à partir d’hydrogène vert ou décarboné.
Cette décision a pour effet de continuer à déstabiliser la filière hydrogène dans la mobilité car les investisseurs ne savent finalement plus sur quelles technologies hydrogène parier : gaz/pile à combustible ? Liquide/moteur thermique ?
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Pourtant, cette situation tout à fait originale continue d’expliquer pourquoi partout dans le monde, on maintient un niveau d’investissement dans cette technologie, et pourquoi elle reste perçue comme une solution pour le futur, parmi les autres.
L’hydrogène est un couteau suisse, que l’on peut utiliser pour substituer des matières premières ou des énergies fossiles dans le cadre de nombreux processus industriels, y compris pour fabriquer des fertilisants bas carbone. Le récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie montre une progression sans précédent des investissements dans les e-fuels à base d’hydrogène vert ou décarboné.
Il demeure toutefois en concurrence avec d’autres solutions, avec lesquelles il est comparé en matière de coûts financiers et énergétiques, d’impacts environnementaux et de consommation de ressources. Quelles technologies gagneront cette saine rivalité ? Il n’y a pas de bonne réponse, tout dépendra des cas d’usage.
Valery Michaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
15.12.2025 à 15:26
Service Environnement, The Conversation France
Dans l’imaginaire collectif français, un repas de fête se passe difficilement de viande. À l’heure où les impératifs environnementaux nous invitent à réduire notre consommation carnée, il est temps de montrer que le végétal aussi peut être le cœur de la gastronomie. Mais comment faire ? Esquissons quelques pistes.
Les Français comptent parmi les plus gros consommateurs de viande au monde. Pourtant, la cuisine française s’est longtemps appuyée sur les céréales, les légumes secs et les soupes, la viande restant réservée aux grandes occasions.
Les quantités de produits carnés consommées tendent à diminuer depuis plusieurs années, mais cela tiendrait davantage à une hausse des prix plutôt qu’à une véritable préoccupation environnementale ou nutritionnelle.
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Le repas gastronomique français constitue, à cet égard, un objet emblématique. Il a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en 2010. Or, la définition de l’Unesco stipule qu’il s’agit de pratiques vivantes, qui peuvent évoluer.
Mariages, communions, repas de fêtes de fin d’année… Nous avons mené une étude auprès de 424 mangeurs qui a confirmé que la viande occupait encore une place centrale. Sur le terrain, nous avons également observé les habitudes de 18 000 personnes lors des repas de mariage.
Résultat, plus de deux convives sur trois choisissent une viande rouge, principalement du bœuf, qui, à lui seul, pèse presque autant que toutes les autres options réunies. Le poisson additionné aux plats végétariens ne représentait qu’un dixième des choix. La demande pour les plats végétariens, l’agneau ou le porc demeure marginale, voire inexistante.
Ces constats soulèvent une question centrale : si les moments de partage les plus symboliques sont systématiquement centrés sur la viande, peut-on réellement transmettre à nos enfants une culture alimentaire plus végétale ?
Nous avons analysé les cartes de 43 restaurants allant du fast-food au restaurant gastronomique. Notre étude a fait émerger sept stratégies, directement transposables au repas gastronomique.
L’une des approches consiste à supprimer les produits animaux normalement présents dans la recette, par exemple le chili sin carne, ou d’en proposer une version pescétarienne par exemple le cassoulet de poisson.
Une autre approche se focalise sur l’expérience : il ne s’agit pas de copier la viande, mais de proposer une expérience culinaire végétarienne esthétique et narrative. C’est une stratégie prisée des chefs de la restauration gastronomique.
Il y a aussi la reconversion, qui va mobiliser des hors-d’œuvre ou des accompagnements traditionnellement végétariens comme plats principaux. Par exemple, des ravioles de Royan, ou une soupe au pistou en guise de plat principal.
On peut encore citer la coproduction, qui laisse le client composer lui-même un plat végétarien selon ses préférences, ou la coexistence, qui consiste à afficher côte à côte alternatives carnées et végétales dans le même menu. On peut également choisir d’importer une expérience gastronomique végétarienne mais issue d’une autre culture, ou encore faire du végétal un pilier identitaire de la marque pour afficher un engagement environnemental et social.
Toutes ces stratégies sont complémentaires et ne sont jamais mutuellement exclusives. Elles peuvent se combiner au sein d’un même restaurant et parfois d’un même repas.
Service Environnement ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
15.12.2025 à 15:23
Frédéric Archaux, Chercheur, Inrae
Les couleurs chatoyantes d’un coquelicot ou d’une mésange attirent le regard, mais elles remplissent également d’innombrables fonctions pour le vivant. Dans son récent livre, « Toutes les couleurs de la nature », paru aux éditions Quae, Frédéric Archaux, ingénieur-chercheur à l’Inrae, explore ces questions couleur par couleur. Nous reproduisons ci-dessous le début du chapitre consacré à la couleur verte.
S’il ne fallait retenir qu’une seule couleur pour caractériser le vivant, ce serait assurément le vert, celui de la chlorophylle : la vie sur Terre n’aurait certainement pas été aussi florissante sans ce pigment révolutionnaire capable de convertir l’énergie du Soleil en énergie chimique.
Et sans les organismes photosynthétiques, des minuscules bactéries océaniques aux immenses séquoias, quel aurait été le destin des animaux ? Certains d’entre eux hébergent même dans leur propre organisme ces précieux alliés !
Notre appartenance au règne animal et notre régime alimentaire omnivore nous font oublier à quel point pratiquement tout le vivant repose sur un processus clé assuré presque exclusivement par d’autres règnes : la photosynthèse, ou comment convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique stockée dans des molécules organiques.
Cette énergie permet ensuite de créer d’autres molécules, parfois très complexes, de faire marcher nos muscles, de maintenir notre température corporelle, etc. Le vert est la couleur par excellence de cette photosynthèse, celle du pigment majeur qui capte et convertit l’énergie lumineuse, la chlorophylle (du grec khloros, vert, et phullon, feuille).
Bien sûr, tous les organismes photosynthétiques ne sont pas verts, car d’autres pigments (non chlorophylliens) peuvent masquer la chlorophylle. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, la photosynthèse chez les algues rouges repose exclusivement sur la chlorophylle A (la plus répandue sur Terre et sous l’eau), mais ces algues produisent également des carotènes et des protéines (phycobiliprotéines) de couleurs bleue et rouge, qui capturent l’énergie lumineuse puis la transmettent à la chlorophylle.
Il n’y a donc pas une mais des chlorophylles, A, B, C, D et F (sans parler des sous-types cl, c2, c3…), et la liste n’est probablement pas terminée (la forme F a été découverte en 2010). Si la chlorophylle A est universelle, la forme B se retrouve surtout chez des plantes, la C chez des algues brunes, des diatomées et des dinoflagellés, la D et la F chez des cyanobactéries. Si la chlorophylle E manque à l’appel, c’est qu’elle a été extraite en 1966 d’une algue, mais n’a toujours pas été décrite !
Du côté de leur composition chimique, ces molécules sont très proches de l’hème de notre hémoglobine, mais avec plusieurs différences de taille : l’ion métallique piégé est un ion magnésium et non ferrique. Surtout, au lieu de capter l’oxygène atmosphérique, la chlorophylle, elle, en rejette en découpant des molécules d’eau pour récupérer les atomes d’hydrogène.
La cascade biochimique est particulièrement complexe : la chlorophylle est la pièce maîtresse, parfois présente en plusieurs centaines d’unités, de photosystèmes qui comprennent d’autres molécules par dizaines. La très grande majorité des molécules de chlorophylle absorbent des photons et transmettent cette énergie d’excitation par résonance aux molécules voisines.
Les chlorophylles absorbent les radiations bleue et rouge, réfléchissant le jaune et le vert : voilà l’explication de la couleur des plantes. Les deux pics d’absorption peuvent varier sensiblement selon les types de chlorophylle. De proche en proche, cette énergie parvient jusqu’à une paire de molécules de chlorophylle, dans le centre de réaction du photosystème dont l’ultime fonction est de produire, d’un côté, les protons H+ et, de l’autre, les électrons.
Ces protons ainsi libérés peuvent alors être combinés au dioxyde de carbone (CO2) de l’air et former du glucose, un sucre vital au métabolisme de la plante et de tous les étres vivants. La réaction, qui consomme de l’eau et du CO, relargue comme déchet du dioxygène (O2).
Au fond, la conséquence la plus importante de l’apparition de la photosynthèse a été d’accroître de manière considérable la production primaire sur Terre, alors que celle-ci était initialement confinée à proximité des sources hydrothermales produisant du dihydrogène et du sulfure d’hydrogène, la photosynthèse a permis au vivant de se répandre partout à la surface du globe, pourvu que s’y trouvent de la lumière et de l’eau.
La photosynthèse capte près de six fois l’équivalent de la consommation énergétique de toute l’humanité pendant que nous relarguons des quantités invraisemblables de CO, par extraction d’énergies fossiles (35 milliards de tonnes chaque année), les organismes photosynthétiques en stockent entre 100 milliards et 115 milliards de tonnes par an sous forme de biomasse. Le joyeux club des consommateurs de CO2, comprend, outre les cyanobactéries à l’origine de la photosynthèse, d’autres bactéries, les algues et les plantes (par endosymbiose d’une cyanobactérie qui liera entièrement son destin à celui de la cellule eucaryote au fil de l’évolution, donnant naissance aux chloroplastastes).
Pourtant, le rendement de la photosynthèse demeure modeste : de l’ordre de 5 % de l’énergie lumineuse incidente est effectivement transformée en énergie chimique, soit dix fois moins que les meilleurs panneaux photovoltaïques actuels.
D’autres règnes du vivant ont fait de la place à ces organismes, au bénéfice de tous les protagonistes (symbioses) ou parfois au détriment des organismes photosynthétiques. Les lichens, qui comprennent environ 20 % des espèces de champignons connues, prennent des teintes variées, qui vont du gris au jaune, à l’orange, au rouge et au vert. Dans tous les cas, ces organismes qui s’accrochent (le mot « lichen » dérive du grec leikho, lécher) sont des assemblages d’espèces auxquels les scientifiques ne cessent d’ajouter des membres.
Pendant près de cent quarante ans, on a pensé qu’il s’agissait d’une simple association entre un champignon ascomycète et une algue, avant de découvrir que la colocation pouvait être partagée avec une cyanobactérie chlorophyllienne ou fixatrice d’azote, plusieurs algues, un autre champignon (une levure basidiomycète, l’autre grand embranchement des champignons), ou encore des protistes (des eucaryotes unicellulaires) et des virus.
En résumé, les lichens sont des mini-communautés qui peuvent regrouper trois règnes du vivant, sans compter les virus ! On continue cependant de placer ces communautés au sein des champignons, car seuls ces derniers réalisent une reproduction sexuée. La grande variabilité de la coloration des lichens provient de la résultante entre les pigments exprimés par tous les colocataires.
Le règne fongique n’a pas l’exclusivité de l’endosymbiose avec les algues, tel est aussi le cas par exemple des cnidaires.
On peut citer dans cet embranchement, qui comprend notamment les coraux, l’actinie verte, une anémone que l’on trouve de la Manche à la Méditerranée. Elle héberge dans ses bras verdâtres à pointe rosée des zooxanthelles, des algues photosynthétiques. L’anémone perd sa jolie coloration en l’absence de ses hôtes et dépérit.
Le mouton de mer est une curieuse limace de mer qui présente sur son dos des excroissances fusiformes vertes à pointe rose et jaune, appelées cérates. Cette espèce asiatique, qui mesure moins d’un centimètre, vit à faible profondeur. Elle parvient à ne pas digérer immédiatement les chloroplastes des algues chlorophylliennes qu’elle avale et à les faire migrer vers ses appendices dorsaux. Si le sujet est encore débattu, il semble que ces plastes continuent d’être fonctionnels et de fournir un complément en sucres bienvenu en période de disette.
Ce processus, appelé kleptoplastie (du grec kleptes, voleur), est connu, outre chez ces gastéropodes marins, chez deux autres vers plats et chez divers eucaryotes unicellulaires (certains foraminifères, dinoflagellės, ciliés, alvéolés), chez qui les plastes demeurent fonctionnels une semaine à deux mois après l’ingestion des algues.
Parente américaine de notre salamandre tachetée avec qui elle partage notamment une livrée noire rehaussée de points jaunes (la marque aposématique qu’elle est toxique), la salamandre maculée a noué, elle aussi, un partenariat avec une algue photosynthétique : Oophila amblystomatis.
L’œuf gélatineux dans lequel se développe l’embryon présente une coloration verte causée par la prolifération de l’algue. Il a été démontré expérimentalement que ces algues ont un effet très bénéfique sur la croissance et la survie des embryons de la salamandre, probablement grâce à l’oxygène que libère l’algue tandis que celle-ci bénéficie des déchets azotés produits par le métabolisme de l’embryon. Un véritable cas de symbiose donc.
Pendant plus d’un siècle, on a pensé que les algues présentes dans les mares fréquentées par l’amphibien colonisaient les œufs, mais l’imagerie de pointe associée à la recherche de l’ADN de l’algue dans les tissus des embryons a révélé une tout autre histoire : les algues envahissent les tissus de l’embryon durant son développement, où elles semblent s’enkyster.
La salamandre adulte continue d’ailleurs de contenir ces algues en vie ralentie, bien qu’en quantité de moins en moins importante avec le temps : on retrouve en particulier dans ses voies reproductrices et les femelles semblent capables de transmettre certaines d’entre elles directement à leurs œufs ! Les scientifiques cherchent encore à comprendre comment un vertébré est parvenu dans son évolution à se laisser envahir par une algue sans provoquer une attaque en règle de son système immunitaire !
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Frédéric Archaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.