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20.11.2025 à 16:16

Les textes des COP parlent-ils vraiment de climat ? Le regard de l’écolinguistique

Albin Wagener, Professeur en analyse de discours et communication à l'ESSLIL, chercheur au laboratoire ETHICS, Institut catholique de Lille (ICL)

Les textes des COP parlent surtout d’elles-mêmes. Une analyse de discours, menée entre 2015 et 2022, montre comment la nature passe au second plan derrière le langage diplomatique.
Texte intégral (2295 mots)

Derrière les grandes déclarations de la diplomatie climatique, que disent vraiment les textes des COP ? Une étude de leurs discours, passés au crible du « text mining », montre comment les mots des COP sont davantage centrés sur les mécaniques institutionnelles que sur l’urgence environnementale. Le langage diplomatique sur le climat fabrique ainsi un récit institutionnel dont la nature est presque absente.


Alors que la COP30 se tient au Brésil en ce mois de novembre 2025, des voix s’élèvent : ces montagnes onusiennes accoucheraient-elles de souris ? En effet, ces grand-messes du climat aboutissent le plus souvent à des textes consensuels. Certes, ils reconnaissent – sur le papier – la réalité des enjeux climatiques, mais ils ne sont que rarement suivis d’effets. On se souvient, par exemple, du texte de la COP26, à Glasgow (2021), qui évoquait enfin clairement la question de la sortie des énergies fossiles. Mais la mise en œuvre de cette promesse, non réitérée lors de la COP29, à Bakou (2024), reste encore à concrétiser.

Leur processus de décision même est de plus en plus critiqué. Il ne fait intervenir que les délégations nationales à huis clos, tout en donnant un poids important aux lobbies. On y retrouve bien sûr des ONG, mais aussi des grandes entreprises, comme Coca-Cola lors de la COP27, à Charm el-Cheikh (2022). L’occasion pour les États producteurs d’énergie fossile de se livrer à des opérations remarquables d’écoblanchiment – comme les Émirats arabes unis furent accusés de le faire lors de la COP28 à Dubaï. Dans le même temps, les populations autochtones et les mouvements des jeunes pour le climat peinent à se faire entendre à l’occasion de ces événements.

Afin de mieux comprendre l’évolution sémantique dans les déclarations des COP et de voir dans quelle mesure celles-ci reflètent l’urgence climatique, j’ai mené une analyse de discours à partir des déclarations officielles (en anglais) des COP entre 2015 – soit juste après la signature de l’accord de Paris – et 2022. Cela permet de mieux saisir les représentations sociales des instances internationales à propos du changement climatique, dans la mesure où ces discours prennent sens au cours de leur circulation dans la société.

Écolinguistique et text mining, mode d’emploi

Cette étude s’inscrit dans l’approche écolinguistique héritée des travaux d’Arran Stibbe ; une approche qui permet notamment d’explorer la manière dont les institutions cadrent les discours sur l’environnement, tout en aidant à comprendre comment les intérêts divergents d’acteurs différents aboutissent à des positions médianes. Pour le climat comme pour les autres grands sujets politiques internationaux, la façon dont les acteurs en parlent est capitale pour aboutir à des consensus, des prises de décision et des textes engageant les États.

J’ai mené cette analyse grâce à l’outil Iramuteq, développé par Pascal Marchand et Pierre Ratinaud. Il permet une approche statistique du nombre de mots présents dans un corpus textuel, des mots avec lesquels ils apparaissent le plus souvent, mais également de les croiser avec les définitions et leur sens en contexte.

Les sept catégories de récit que l’on retrouve le plus souvent dans les textes des COP climat entre 2015 et 2022. Fourni par l'auteur

Par ordre de poids statistique, on retrouve ainsi les thèmes suivants :

  • Fonds de soutien international (26,2 %, en vert fluo, classe 3), qui recoupe les discussions sur l’aide aux pays en voie de développement et la proposition d’un fonds afin de faire face au changement climatique.

  • Textes des COP (14,2 %, en bleu, classe 5). Cette catégorie intègre les passages qui évoquent le fonctionnement des COP elles-mêmes et des leurs organes administratifs, dont les objectifs sont actés grâce aux textes.

  • Préparation des COP (13,7 %, en rouge, classe 1). Il s’agit de tout le jargon lié aux coulisses des COP et aux travaux d’organisation qui permettent aux COP d’aboutir et à leurs décisions d’être appliquées de manière concrète.

  • Organisation des COP (13,6 %, en gris, classe 2). Il s’agit du détail concernant les événements des COP elles-mêmes, c’est-à-dire leur organisation et leur calendrier, avec le fonctionnement par réunions et documents à produire.

  • Conséquences négatives du changement climatique (11,6 % seulement, en violet, classe 6). Il s’agit des passages où l’accent est mis sur les dommages, les risques et les vulnérabilités, c’est-à-dire les conséquences négatives du réchauffement climatique.

  • Écologie (11,3 %, rose, classe 7). Cette classe traite des éléments d’ordre écologique liés au changement climatique, ainsi que des causes du réchauffement planétaire.

  • Gouvernance de la COP (9,2 %, vert pâle, classe 4). Dans cette dernière classe, on retrouve les éléments d’ordre stratégique liés aux COP, à savoir la gouvernance, les parties prenantes, les groupes de travail et les plans à suivre.


À lire aussi : Les mots de la COP : dictionnaire portatif des négociations climatiques


Que retenir de ce découpage ? Les questions strictement climatiques et écologiques ne totalisent que 22,9 % des occurrences dans les textes, ce qui paraît assez faible alors qu’il s’agit des raisons pour lesquelles ces COP existent. Dans une grande majorité des thématiques abordées par le corpus, les COP parlent d’abord d’elles-mêmes.

C’est peu surprenant pour une institution internationale de ce calibre, mais cela pose de sérieuses questions concernant la prise en compte des dimensions extra-institutionnelles du problème.

L’écologie déconnectée des autres mots clés

J’ai ensuite poussé le traitement des données un peu plus loin grâce à une méthode statistique appelée « analyse factorielle de correspondance ». Celle-ci permet de comprendre comment les différentes thématiques sont articulées entre elles dans les discours au sein du corpus.

Les récits en lien avec les thèmes qu’on retrouve au centre droit du graphe, liés aux textes des COP (bleu), à leur préparation (rouge), à leur organisation (gris) et à leur gouvernance (vert pâle) forment ainsi un ensemble homogène.

On note toutefois, dans la partie en bas à gauche, que la gouvernance des COP (vert pâle) a un positionnement hybride et semble jouer le rôle d’interface avec la thématique des conséquences négatives du réchauffement climatique (violet) et celle des fonds de soutien internationaux (vert fluo).

En d’autres termes, ces observations confirment que les COP se donnent bien pour objectif de remédier aux conséquences du changement climatique. Et cela, à travers la gouvernance mise en place par les COP, et avec la proposition d’aides aux pays les plus vulnérables comme moyen.

Quant au thème de l’écologie (en rose), il se retrouve en haut à gauche du graphe. Surtout, il semble comme déconnecté du reste des thématiques. Ceci montre que, dans ces textes, il existe peu de liens entre les propos qui traitent de l’écologie et ceux qui évoquent le fonctionnement des COP ou la mise en œuvre concrète de solutions.


À lire aussi : Les classes populaires en ont-elles vraiment marre de l’écologie ?


L’absence de termes pourtant centraux

Plus intéressant encore, les textes analysés brillent par l’absence relative de certains termes clés.

Ainsi, le terme animal (en anglais) n’est jamais utilisé. Certains termes n’apparaissent qu’une fois dans tous les textes étudiés, comme life, river ou ecological. D’autres apparaissent, mais très peu, comme natural (trois occurrences), earth (quatre occurrences). Des termes comme water, biodiversity ou ocean, aux enjeux colossaux, ne totalisent que six occurrences.

Ainsi, alors que les COP ont pour objectif de s’intéresser aux conséquences du réchauffement climatique sur les sociétés humaines et le vivant en général, il est marquant de constater que la plupart des champs thématiques du corpus parlent non pas des problèmes liés au changement climatiques, mais surtout des COP elles-mêmes, plus précisément de leur fonctionnement.

En d’autres termes, les COP se parlent à elles-mêmes, dans une logique de vase clos qui vise d’abord à s’assurer que les dispositions prises pour respecter l’accord de Paris sont bien respectées.


À lire aussi : À quoi servent les COP ? Une brève histoire de la négociation climatique


Cet état de fait contraste avec les conséquences concrètes du réchauffement climatique. Il illustre la vivacité de représentations d’ordre gestionnaire et institutionnel, qui s’autoalimentent en voyant d’abord l’environnement, la biodiversité et le vivant comme des ressources à préserver ou des objectifs à accomplir. En restant focalisées sur l’accord de Paris, les déclarations officielles voient ainsi le vivant et la biodiversité comme autant d’outils, d’objets ou de cases à cocher pour rendre compte d’engagements pris au niveau international.

C’est compréhensible étant donnée la nature des textes des COP et du contexte socio-institutionnel qui encadrent leur production. Il n’en reste pas moins que cela trahit bon nombre de représentations qui continuent de percoler nos imaginaires. Dans cette logique, les éléments d’ordre naturel, environnemental ou écologique constituent soit des ressources à utiliser ou préserver, soit des éléments à gérer, soit des objectifs à remplir. Or, cette représentation est loin d’être neutre, comme l’explique George Lakoff.

Ici, le changement climatique est donc traité comme un ensemble de problèmes auxquels il s’agit d’apporter de simples solutions techniques ou des mécanismes de compensation, sans que les conditions qui alimentent ce même dérèglement climatique (notamment liées au système économique et aux modes de production et de consommation) ne soient abordées à aucun moment dans les textes.

C’est cette même logique qui semble condamner les instances internationales à tenter de gérer les conséquences du réchauffement climatique, tout en évitant soigneusement d’en traiter les causes.

The Conversation

Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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20.11.2025 à 11:22

L’IA générative est-elle soutenable ? Le vrai coût écologique d’un prompt

Denis Trystram, Professeur des universités en informatique, Université Grenoble Alpes (UGA)

Danilo Carastan Dos Santos, Professeur assistant, Université Grenoble Alpes (UGA)

Djoser Simeu, Ingénieure de recherche en Intelligence Artificielle Frugale, Inria

Laurent Lefèvre, Chercheur en informatique, Inria

Les chiffres « verts » de Google sur son IA Gemini sont séduisants : seulement 0,003 g équivalent CO₂ par prompt. Mais le problème tient à sa méthodologie opaque.
Texte intégral (2747 mots)

Circulez, il n’y a rien à voir ? Les estimations du bilan environnemental de l’intelligence artificielle générative, comme celles réalisées à l’été 2025 par Google sur son IA Gemini, semblent rassurantes : seulement 0,003 g de CO2 et cinq gouttes d’eau par « prompt ». Des résultats qui dépendent en réalité beaucoup des choix méthodologiques réalisés, alors que de telles études sont le plus souvent menées en interne et manquent de transparence. Le problème est que ces chiffres font de plus en plus souvent figure d’argument marketing pour inciter à l’utilisation de l’IA générative, tout en ignorant le risque bien réel d’effet rebond lié à l’explosion des usages.


Depuis la sortie de ChatGPT fin 2022, les IA génératives ont le vent en poupe. En juillet 2025, OpenAI annonçait que ChatGPT recevait 18 milliards de « prompts » (instructions écrites par les utilisateurs) par semaine, pour 700 millions d’utilisateurs – soit 10 % de la population mondiale.

Aujourd’hui, la ruée vers ces outils est mondiale : tous les acteurs de la Big Tech développent désormais leurs propres modèles d’IA générative, principalement aux États-Unis et en Chine. En Europe, le Français Mistral, qui produit l’assistant Le Chat, a récemment battu les records avec une capitalisation proche de 12 milliards d’euros. Chacun de ces modèles s’inscrit dans un environnement géopolitique donné, avec des choix technologiques parfois différents. Mais tous ont une empreinte écologique considérable qui continue d’augmenter de façon exponentielle, portée par la démultiplication des usages. Certains experts, dont ceux du think tank spécialisé The Shift Project, sonnent l’alerte : cette croissance n’est pas soutenable.


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Or, tous les acteurs du domaine – y compris les consommateurs – sont aujourd’hui bien conscients que du coût environnemental qui accompagne les usages liés au numérique, mais pas forcément des chiffres que cela représente.

Poussés par de multiples raisons (obligations réglementaires, marketing, parfois par conscience environnementale), plusieurs des grands acteurs de la tech ont récemment réalisé l’analyse de cycle de vie (ACV, méthodologie permettant d’évaluer l’impact environnemental global d’un produit ou service) de leurs modèles.

Fin août 2025, Google a publié la sienne pour quantifier les impacts de son modèle Gemini. Que valent ces estimations, et peut-on s’y fier ?

Une empreinte carbone étonnement basse

Un modèle d’IA générative, pour fonctionner, doit d’abord être « entraîné » à partir d’une grande quantité d’exemples écrits. Pour mesurer l’électricité consommée par un « prompt », Google s’est donc concentré sur la phase d’utilisation – et non pas d’entraînement – de son IA Gemini. Selon ses propres calculs, Google annonce donc qu’un prompt ne consommerait que 0,24 wattheure (Wh) en moyenne – c’est très faible : environ une minute de consommation d’une ampoule électrique standard de 15 watts.

Comment les auteurs sont-ils arrivés à ce chiffre, significativement plus faible que dans les autres études déjà réalisées à ce sujet, comme celle menée par Mistral IA en juillet 2025 ?

La première raison tient à ce que Google mesure réellement. On apprend par exemple dans le rapport que l’électricité consommée par un prompt est utilisée pour 58 % par des processeurs spécialisés pour l’IA (l’unité de traitement graphique, ou GPU, et le circuit intégré spécifique Tensor Processing Unit, ou TPU), 25 % par des processeurs classiques et à hauteur d’environ 10 % par les processeurs en veille, et les 7 % restants pour le refroidissement des serveurs et le stockage de données.

Autrement dit, Google ne tient ici compte que de l’électricité consommée par ses propres data centers, et pas de celle consommée par les terminaux et les routeurs des utilisateurs.

Par ailleurs, aucune information n’est donnée sur le nombre d’utilisateurs ou le nombre de requêtes prises en compte dans l’étude, ce qui questionne sa crédibilité. Dans ces conditions, impossible de savoir comment le comportement des utilisateurs peut affecter l’impact environnemental du modèle.


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Google a racheté en 2024 l’équivalent de la production d’électricité annuelle de l’Irlande

La seconde raison tient à la façon de convertir l’énergie électrique consommée en équivalent CO2. Elle dépend du mix électrique de l’endroit où l’électricité est consommée, tant du côté des data centers que des terminaux des utilisateurs. Ici, on l’a vu, Google ne s’intéresse qu’à ses propres data centers.

Depuis longtemps, Google a misé sur l’optimisation énergétique, en se tournant vers des sources décarbonées ou renouvelables pour ses centres de données répartis partout dans le monde. Selon son dernier rapport environnemental, l’effort semble porter ses fruits, avec une diminution de 12 % des émissions en un an, alors que la demande a augmenté de 27 % sur la même période. Les besoins sont colossaux : en 2024, Google a consommé, pour ses infrastructures de calcul, 32 térawattsheures (TWh), soit l’équivalent de la production d’électricité annuelle de l’Irlande.


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De fait, l’entreprise a signé 60 contrats exclusifs de fourniture en électricité à long terme en 2024, pour un total de 170 depuis 2010. Compte tenu de l’ampleur des opérations de Google, le fait d’avoir des contrats d’électricité exclusifs à long terme compromet la décarbonation dans d’autres secteurs. Par exemple, l’électricité à faibles émissions qui alimente les prompts pourrait être utilisée pour le chauffage, secteur qui dépend encore fortement des combustibles fossiles.

Dans certains cas, ces contrats impliquent la construction de nouvelles infrastructures de production d’énergie. Or, même pour la production d’énergie renouvelable décarbonée, leur bilan environnemental n’est pas entièrement neutre : par exemple, l’impact associé à la fabrication de panneaux photovoltaïques est compris entre 14 gCO2eq et 73 gCO2eq/kWh, ce que Google ne prend pas en compte dans ses calculs.

Enfin, de nombreux services de Google font appel à de la « colocation » de serveurs dans des data centers qui ne sont pas nécessairement décarbonés, ce qui n’est pas non plus pris en compte dans l’étude.

Autrement dit, les choix méthodologiques réalisés pour l’étude ont contribué à minimiser l’ampleur des chiffres.

Cinq gouttes d’eau par prompt, mais 12 000 piscines olympiques au total

La consommation d’eau douce est de plus en plus fréquemment prise en compte dans les rapports environnementaux liés au numérique. Et pour cause : il s’agit d’une ressource précieuse, constitutive d’une limite planétaire récemment franchie.

L’étude de Google estime que sa consommation d’eau pour Gemini est de 0,26 ml – soit cinq gouttes d’eau – par prompt. Un chiffre qui semble dérisoire, ramené à l’échelle d’un prompt, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières : il faut le mettre en perspective avec l’explosion des usages de l’IA.

Globalement, Google a consommé environ 8 100 millions de gallons (environ 30 millions de mètres cubes, l’équivalent de quelque 12 000 piscines olympiques) en 2024, avec une augmentation de 28 % par rapport à 2023.

Mais là aussi, le diable est dans les détails : le rapport de Google ne comptabilise que l'eau consommée pour refroidir les serveurs (selon un principe très similaire à la façon dont nous nous rafraîchissons lorsque la sueur s’évapore de notre corps). Le rapport exclut de fait la consommation d’eau liée à la production d’électricité et à la fabrication des serveurs et autres composants informatiques, qui sont pourtant prises en compte pour le calcul de son empreinte carbone, comme on l’a vu plus haut. En conséquence, les indicateurs d’impact environnemental (carbone, eau…) n’ont pas tous le même périmètre, ce qui complique leur interprétation.


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Des études encore trop opaques

Comme la plupart des études sur le sujet, celle de Google a été menée en interne. Si on comprend l’enjeu de secret industriel, un tel manque de transparence et d’expertise indépendante pose la question de sa légitimité et surtout de sa crédibilité. On peut néanmoins chercher des points de comparaisons avec d’autres IA, par exemple à travers les éléments présentés par Mistral IA en juillet 2025 sur les impacts environnementaux associés au cycle de vie de son modèle Mistral Large 2, une première.

Cette étude a été menée en collaboration avec un acteur français reconnu de l’analyse du cycle de vie (ACV), Carbone4, avec le soutien de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ce qui est un élément de fiabilité. Les résultats sont les suivants.

Pendant les dix-huit mois de durée de vie totale du modèle, environ 20 000 tonnes équivalent CO2 ont été émises, 281 000 m3 d’eau consommée et 660 kg équivalent antimoine (indicateur qui prend en compte l’épuisement des matières premières minérales métalliques).

Résultats présentés par Mistral à l’été 2025. Mistral AI

Mistral attire l’attention sur le fait que l’utilisation du modèle (inférence) a des effets qu’ils jugent « marginaux », si on considère un prompt moyen utilisant 400 « tokens » (unités de traitement corrélées à la taille du texte en sortie) : ce prompt correspond à l’émission de 1,14 g équivalent CO2, de 50 ml d’eau et 0,5 mg équivalent antimoine. Des chiffres plus élevés que ceux avancés par Google, obtenus, comme on l’a vu, grâce à une méthodologie avantageuse. De plus, Google s’est basé dans son étude sur un prompt « médian » sans donner davantage de détails statistiques, qui seraient pourtant bienvenus.

En réalité, l’une des principales motivations, que cela soit celles de Google ou de Mistral, derrière ce type d’étude reste d’ordre marketing : il s’agit de rassurer sur l’impact environnemental (ce qu’on pourrait qualifier de « greenwashing ») de l’IA pour pousser à la consommation. Ne parler que de l’impact venant des prompts des utilisateurs fait également perdre de vue la vision globale des coûts (par exemple, ceux liés à l’entraînement des modèles).


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Reconnaissons que le principe d’effectuer des études d’impacts est positif. Mais l’opacité de ces études, même lorsqu’elles ont le mérite d’exister, doit être interrogée. Car, à ce jour, Mistral pas plus que Google n’ont pas dévoilé tous les détails des méthodologies utilisées, les études ayant été menées en interne. Or, il faudrait pouvoir disposer d’un référentiel commun qui permettrait de clarifier ce qui doit être pris en compte dans l’analyse complète du cycle de vie (ACV) d’un modèle d’IA. Ceci permettrait de réellement comparer les résultats d’un modèle à l’autre et de limiter les effets marketing.

Une des limites tient probablement à la complexité des IA génératives. Quelle part de l’empreinte environnementale peut-on rattacher à l’utilisation du smartphone ou de l’ordinateur pour le prompt ? Les modèles permettant le fine-tuning pour s’adapter à l’utilisateur consomment-ils plus ?

La plupart des études sur l’empreinte environnementale des IA génératives les considèrent comme des systèmes fermés, ce qui empêche d’aborder la question pourtant cruciale des effets rebonds induits par ces nouvelles technologies. Cela empêche de voir l’augmentation vertigineuse de nos usages de l’IA, en résumant le problème au coût environnemental d’un seul prompt.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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20.11.2025 à 11:22

Pourquoi la transformation numérique n’est pas une voie royale vers la neutralité carbone

Bisrat Misganaw, Associate Professor of Strategy and Entrepreneurship, Neoma Business School

Beniamino Callegari, Associate Professor, Kristiania University College

Mehdi Bagherzadeh, Professeur, Neoma Business School

Présenté comme une des voies vers la neutralité carbone, le numérique n’est pas une solution miracle : il s’accompagne d’un coût environnemental et humain conséquent.
Texte intégral (2278 mots)

Souvent présenté comme un levier indispensable pour décarboner nos économies, le numérique est loin d’être une solution miracle. Derrière ses promesses techniques et économiques se cachent des coûts environnementaux et humains croissants. La planète ne bénéficiera pas nécessairement d’une numérisation massive qui risque, au contraire, d’aggraver notre dépendance en termes de ressources et d’énergie.


Au cours des dernières années, la transformation numérique a souvent été présentée comme nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Le Forum économique mondial de Davos, par exemple, estimait que le secteur des technologies numériques constitue le levier d’influence « le plus puissant pour accélérer l’action pour limiter la hausse des températures mondiales à moins de 2 °C ».

Lors de la COP29, fin 2024, la déclaration sur l’action numérique verte (Green Digital Action) affirmait « le rôle vital des technologies numériques dans l’action climatique », tout l’enjeu étant d’en tirer parti pour atténuer le changement climatique. Mais dans le même temps, cette même déclaration « prenait note avec inquiétude des effets néfastes pour le climat dus aux […] technologies numériques et aux outils, dispositifs et infrastructures connexes ». Au final, le numérique est-il plutôt porteur de promesses ou de menaces pour l’atteinte des objectifs de neutralité carbone ? La déclaration ne le dit pas.

Dans une étude récente, nous avançons que le problème au cœur de l’idée d’un secteur numérique allié du climat repose sur plusieurs hypothèses clés, discutables à bien des égards.

Certes, il existe déjà – et existera à l’avenir – de nombreux exemples qui montrent que la numérisation peut soutenir la cause de la neutralité carbone. Par exemple, lorsqu’il s’agit de solutions qui permettent des gains d’efficacité énergétique, le pilotage de la production décentralisée d’électricité renouvelable, ou encore lorsqu’elles accélèrent les processus de recherche et développement (R&D).


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Mais l’argument selon lequel la numérisation de l’économie permettra d’atteindre la neutralité carbone repose sur quatre hypothèses implicites, selon lesquelles elle entraînerait nécessairement :

  • davantage de dématérialisation,
  • des gains d’efficacité énergétique,
  • une réduction des coûts de main-d’œuvre,
  • enfin, des décisions économiques plus respectueuses de l’environnement de la part des acteurs économiques.

Or nous montrons qu’aucune de ces hypothèses n’est réaliste.

Ne pas confondre numérisation et dématérialisation

Le lien entre numérisation et dématérialisation, souvent présenté comme allant de soi, doit être interrogé. En effet, la numérisation s’accompagne d’une dépendance aux infrastructures informatiques aux capteurs électroniques utilisés pour convertir et traiter toujours plus d’information sous forme numérique.

Cela implique de construire de nouvelles infrastructures et de nouveaux appareils informatiques. Ces derniers ont une matérialité : leur fabrication implique d’utiliser des ressources minérales limitées, en particulier des métaux rares. Ce problème est encore amplifié par la dépréciation et l’obsolescence plus rapide des appareils informatiques.

Certes, on pourrait dire que ces frais sont compensés par les avantages supplémentaires générés par les services numériques. Cependant, ces avantages ont eux-mêmes un coût pour l’environnement.


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Cela tient d’abord à leur consommation d’énergie. Par exemple, une seule requête ChatGPT consomme entre 50 et 90 fois plus d’énergie qu’une recherche Google classique. Le fonctionnement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) nécessite aussi de grandes quantités d’eau pour le refroidissement des infrastructures informatiques, certains modèles consommant, à large échelle, des millions de litres pendant leurs phases d’entraînement et d’utilisation. Enfin, l’essor des IA génératives pourrait faire croître la demande en cuivre d’un million de tonnes d’ici 2030.

Selon un rapport du ministère de la transition écologique, le secteur du numérique représentait 2,5 % de l’empreinte carbone annuelle de la France et 10 % de sa consommation électrique en 2020. Sans intervention, les émissions de gaz à effet de serre du secteur pourraient croître de plus de 45 % d’ici à 2030. Selon un rapport des Nations unies, en 2022, les data centers du monde entier ont consommé 460 térawattheures d’électricité, soit l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de la France. Il est attendu que cette consommation sera multipliée quasiment par deux en 2026 pour atteindre 1 000 térawattheures.

Les risques d’effet rebond

La promesse de gains d’efficacité énergétique dans le numérique doit également être interrogée, car ces technologies produisent des effets rebond. Les gains d’efficacité font baisser les prix, ce qui augmente la demande, augmentant la consommation d’énergie et la quantité de déchets électroniques produits. La conséquence : une pression accrue sur les limites planétaires.

Ces effets rebond peuvent être directs ou indirects. Un exemple d’effet rebond direct tient à la facilité d’usage des services numériques : en témoigne par exemple l’augmentation constante du nombre de messages en ligne, de visioconférences, de photos et de vidéos stockées sur nos téléphones et/ou dans le cloud, etc.

On peut illustrer l’idée d’effet rebond indirect ainsi : lorsque l’argent, économisé par une entreprise grâce à la réduction des déplacements professionnels (grâce aux réunions virtuelles ou au télétravail), versé sous forme d’augmentations au salarié, lui sert à acheter un billet d’avion pour partir en vacances.

Les cryptomonnaies ont des effets rebond indirects considérables en termes de consommation d’énergie, et donc d’impact climatique. Jorge Franganillo/Flickr, CC BY-SA

Prenons enfin l’exemple des cryptomonnaies, souvent défendues pour leurs avantages en termes de décentralisation financière. Celle-ci s’accompagne d’un coût énergétique élevé : leur consommation d’électricité a dépassé celle de l’Argentine et devrait continuer à augmenter à mesure que la finance décentralisée se développe.

Moins de main-d’œuvre mais davantage d’impacts environnementaux

Le numérique est souvent vu par les décideurs comme une façon de réduire les coûts de main-d’œuvre, et cela dans la plupart des secteurs. La main-d’œuvre a un coût économique, mais elle est également la plus durable de tous les intrants :il s’agit d’une ressource abondante et renouvelable dont l’utilisation n’affecte pas directement les limites de la planète.

La numérisation du travail, si elle permet de réaliser des économies en remplaçant une partie de la main-d’œuvre humaine (et durable) par des machines gourmandes en énergie et en ressources, se fait donc au détriment de l’environnement et amoindrit la durabilité des activités économiques – et non l’inverse.

Même en considérant qu’une partie de la main-d’œuvre déplacée pourrait être absorbée par de nouveaux business models, ces derniers ne seront pas forcément plus durables que les business models d’aujourd’hui. De plus, cela ne ferait que renforcer les tendances actuelles en matière d’inégalités, qui ont des effets délétères sur la durabilité. Une neutralité carbone qui serait atteinte au prix d’un appauvrissement massif de la population et au mépris des objectifs de développement durable des Nations unies paraît inacceptable.

Enfin, l’argument selon lequel le numérique permettrait aux entreprises de prendre des décisions plus soutenables n’est pas fondé. Ces décisions sont prises en tenant d’abord compte de la maximisation des profits, des opportunités de croissance et de l’amélioration de son efficacité en interne, conformément aux structures de gouvernance en place. Les décisions en matière de numérique n’échappent pas à cette règle.

Tant que la maximisation de la valeur pour les actionnaires restera le principe directeur de la gouvernance d’entreprise, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que la numérisation impulsée par les entreprises privilégie le développement d’une économie neutre en carbone plutôt que les préoccupations de rentabilité. Au contraire, les technologies de l’information semblent avoir jusque-là surtout renforcé les tendances actuelles.

Se méfier du solutionnisme technologique

Les arguments qui précèdent montre que la numérisation en soi ne soutient pas toujours la neutralité carbone. Comme toutes les innovations majeures, elle permet d’élargir l’éventail des possibles au plan économique. Cela signifie qu’il existe des opportunités significatives d’investissements durables et transformateurs.

Mais il convient de se méfier des solutions purement technologiques aux problèmes de durabilité, même si elles sont réconfortantes car elles n’impliquent aucun changement réel du statu quo. Ce faux sentiment de sécurité est pourtant précisément ce qui nous a conduits collectivement à épuiser les limites planétaires.

Le numérique peut soutenir la transition verte, mais, pour que ses opportunités puissent être exploitées, un véritable changement dans les processus décisionnels doit s’opérer. Pour l’heure, les États et quelques entreprises restent les seuls niveaux auxquels ces décisions sont prises. En d’autres termes, nous avons besoin d’un déclic collectif pour mieux appréhender les liens entre technologie, énergie et société, sans quoi atteindre la neutralité carbone grâce au numérique ne restera qu’un vœu pieux.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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