21.05.2025 à 16:10
Juan Diego Rodriguez-Blanco, Ussher Associate Professor in Nanomineralogy, Trinity College Dublin
Kristina Petra Zubovic, Researcher at the Department of Geology, Trinity College Dublin
Une nouvelle étude montre comment les microplastiques des paillettes perturbent les mécanismes de minéralisation dans l’océan. Les coquilles et squelettes de la faune marine sont affectés, mais pas seulement. Cela pourrait également modifier le cycle du carbone de la planète.
Les paillettes sont festives. Elles sont appréciées pour les décorations, le maquillage et les projets artistiques. Elles peuvent sembler inoffensives et mignonnes, mais les paillettes cachent une facette plus sombre. En effet, ces paillettes brillantes voyagent loin des tables de fête et des cartes de vœux. On peut finir par les voir scintiller sur les plages, rejetées par la marée.
Dans une de nos études récentes, nous avons découvert que les paillettes fabriquées à partir d’un polymère plastique courant appelé polyéthylène téréphtalate (PET) ne se contentent pas de polluer les océans. Elles pourraient interférer avec la vie marine lors de la formation des coquilles et des squelettes de la faune marine, ce qui est beaucoup plus grave qu’il n’y paraît.
Pour le dire simplement, les paillettes favorisent la formation de cristaux non prévus par la nature. Ces cristaux peuvent briser les paillettes en morceaux encore plus petits, ce qui aggrave encore le problème de pollution et le rend plus problématique à long terme.
Nous avons tendance à voir les microplastiques comme de petites perles de plastique qui proviennent des produits cosmétiques utilisés pour le gommage du visage ou encore des fibres de vêtements, mais les paillettes constituent une catégorie à part parmi les microplastiques. Elles sont souvent constituées d’un film plastique stratifié recouvert d’une couche de métal. C’est ce même matériau que l’on retrouve dans les paillettes des fournitures de bricolage, des cosmétiques, des décorations de fête et des vêtements. Elles sont brillantes, colorées et durables – et surtout toutes petites. Elles sont donc difficiles à nettoyer – et faciles à ingérer par les animaux marins, car elles ont l’air appétissantes.
Notre étude publiée dans la revue Environmental Sciences Europe suggère que ce qui distingue vraiment les paillettes des autres microplastiques, c’est la façon dont elles se comportent une fois qu’elles dans l’océan. Elles ne dérivent pas passivement, mais interagissent activement avec leur environnement.
Nous avons recréé en laboratoire les conditions de l’eau de mer et y avons ajouté des paillettes, afin de voir si les paillettes affectaient la formation des minéraux comme ceux que les animaux marins utilisent pour fabriquer leurs coquilles.
Et nous avons observé quelque chose d’étonnamment rapide, mais de malgré tout très cohérent : les paillettes donnent un coup de fouet à la formation de minéraux tels que la calcite, l’aragonite et d’autres types de carbonates de calcium. On appelle ce processus « biominéralisation ».
Or, ces minéraux sont les briques de base que de nombreuses créatures marines, dont les coraux, les oursins et les mollusques, utilisent pour fabriquer leurs parties dures. Si les paillettes perturbent ce processus, la vie océanique pourrait être gravement menacée.
Au microscope, nous avons constaté que les particules de paillettes agissaient comme de petites plates-formes pour la croissance des cristaux. Des minéraux se formaient sur toute leur surface, en particulier autour des fissures et des arêtes. Il ne s’agissait pas d’une accumulation lente : quelques minutes suffisaient pour que des cristaux apparaissent.
Cela peut compliquer les processus naturels. Les créatures marines nécessitent des conditions très précises pour donner à leurs coquilles la forme et la solidité voulues. Lorsque quelque chose d’imprévu arrive, comme des paillettes qui accélèrent la cristallisation, cela peut entraîner des perturbations. C’est comme si on faisait cuire un gâteau et que l’on faisait chauffer le four à 1 000 °C au lieu de 250 °C : on obtiendra peut-être toujours un gâteau à la fin, mais ce ne sera pas du tout celui que l’on espérait faire.
Pire encore, à mesure que les cristaux grossissent, ils appuient contre les couches de paillettes, ce qui les fait se fissurer, s’écailler et se briser. Cela signifie que les paillettes finissent par se transformer en morceaux encore plus petits, connus sous le nom de nanoplastiques, qui sont plus facilement absorbés par la vie marine et presque impossibles à éliminer de l’environnement.
Poissons, tortues, huîtres ou même plancton, les microplastiques sont consommés par la faune marine. Ils affectent la façon dont ces animaux se nourrissent, grandissent et survivent. Lorsque nous mangeons des fruits de mer, ces microplastiques se retrouvent finalement également dans notre propre alimentation.
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Mais nos recherches montrent que les paillettes ne se contentent pas d’être mangées. Elles modifient également la chimie de l’océan, d’une façon subtile mais importante. En favorisant le mauvais type de croissance minérale, les paillettes pourraient interférer avec la façon dont les animaux marins forment leurs coquilles ou leurs squelettes.
Le problème ne se limite pas à la faune marine. L’océan joue un rôle clé dans la régulation du climat de planète et la formation de minéraux fait partie de cette équation. Si la formation de carbonate de calcium dans l’océan change, cela pourrait également affecter le cycle de la planète, soit la façon dont le carbone se déplace sur la planète.
Alors, la prochaine fois que vous verrez des paillettes sur une carte d’anniversaire ou dans une palette de maquillage, rappelez-vous de ceci. Elles peuvent sembler inoffensives à première vue, mais dans l’océan, elles se comportent comme des trouble-fêtes tape-à-l’œil du délicat équilibre chimique de ces milieux. Ce qui nous semble brillant et tout petit peut agir comme un perturbateur majeur et silencieux pour le monde marin.
Surtout, une fois les paillettes dans l’océan, elles ne vont plus nulle part : elles y restent.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
20.05.2025 à 17:47
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans ce quatrième épisode, on prend la mer !
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le quatrième épisode dédié aux océans !
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Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
20.05.2025 à 08:43
Service Environnement, The Conversation France
Dans la stratosphère, l’ozone protège la vie sur terre en absorbant des rayons UV nocifs. Mais, en dessous, dans la troposphère, il est à la fois polluant et gaz à effet de serre. Les clés d’un paradoxe, expliquent Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).
Saviez-vous qu’il existe un « bon ozone » et un « mauvais ozone » ? Selon l’altitude où on la rencontre, la molécule est soit d’une absolue nécessité pour la vie sur terre, soit un gaz à effet de serre doublé d’un polluant néfaste pour la santé.
Naturellement présent dans notre atmosphère, l’ozone, du latin « ozein » (qui signifie « sentir », ce gaz ayant une senteur caractéristique qui permet de le détecter), a été identifié en 1840. L’ozone joue un rôle radicalement différent selon qu’on le rencontre dans la stratosphère (15 à 35 km d'altitude et où l’on retrouve 90 % de l’ozone atmosphérique total) ou dans la troposphère (moins de 10 km).
Dans la stratosphère, il joue un rôle de bouclier protecteur en absorbant la plupart des UV nocifs pour l’ADN du vivant. Dans les années 1980, les scientifiques ont pris conscience que les activités humaines avaient perturbé cette couche d’ozone, au point qu’un trou s’y développe chaque printemps, ce qui a entraîné la naissance du protocole de Montréal en 1987. Ratifié par 197 Etats, il a permis de limiter l’usage des substances problématiques, principalement des chlorofluorocarbures et des halons, utilisés notamment pour la réfrigération et la climatisation.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Dans la troposphère en revanche, l’ozone devient un polluant aux effets néfastes tant pour la végétation que pour la santé humaine. Cet irritant des voies respiratoires supérieures a également un effet phytotoxique sur les plantes, entraînant des pertes de rendement agricole. C’est un polluant dit « secondaire », produit sous l’effet d’un ensoleillement important et de températures favorables, avec des pics au printemps et en été, du fait de l’ensoleillement et de la durée du jour accrus. Il existe de nombreux précurseurs de l’ozone, comme les oxydes d’azotes (NOx) émis par le trafic automobile et l’industrie, ainsi que les composés organiques volatils (COV) générés par les activités humaines et par la végétation.
La stratégie de lutte contre l’ozone troposphérique est de réduire les émissions de gaz précurseurs. La principale difficulté : la chimie de l’ozone est non linéaire. Selon le dosage en NOX et COV, de l’ozone pourra être formé ou être détruit. Il en découle que si les réductions ne sont pas équilibrées, on pourra aboutir à encore plus d’ozone. Paradoxalement, c’est dans les campagnes, à quelques dizaines de kilomètres des villes, que les conditions sont réunies pour que les concentrations d’ozone soient plus élevées.
Comme l’ozone stratosphérique, l’ozone troposphérique est aussi une question globale : plus de 50 % de la mortalité qui en découle en Europe est associée à de l’ozone transporté depuis les dehors du continent. Il y a urgence : en 2021, l’exposition à court terme a causé 22 000 décès prématurés dans le vieux continent, et l’augmentation des températures devrait encore davantage favoriser la production d’ozone. Ce texte est la version courte de l'article écrit par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université)
Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Sarah Safieddine, Camille Viatte et Cathy Clerbaux (Sorbonne Université).
19.05.2025 à 12:04
Emmanuelle Le Nagard, Professeure de Marketing, Directrice Académique du Programme Grande Ecole, ESSEC
Gisele de Campos Ribeiro, Professeure Associée, PSB Paris School of Business
Valérie Guillard, Professeur des Universités (Sciences de Gestion), Université Paris Dauphine – PSL
Le 8 avril dernier, l’indice de réparabilité laissait place à l’indice de durabilité. Pourtant, les consommateurs sensibles à l’environnement – écoconsuméristes – ont tendance à remplacer leur produit plus fréquemment que la moyenne. Alors, comment expliquer cette contradiction ?
Annoncé par le gouvernement en 2024, l’indice de durabilité entre en vigueur en France en 2025 pour deux catégories de produits. C’est déjà le cas pour les téléviseurs depuis le 8 janvier, et le 8 avril, les lave-linge. En affichant une note sur dix, cet indice informe les consommateurs sur le caractère plus ou moins durable des produits concernés.
Stimulées par des innovations constantes, des lancements fréquents de nouvelles versions ou des designs plus attractifs, la majorité des ventes de biens durables sont désormais des ventes de remplacement. Parmi ces biens de consommation destinés à offrir des services utiles à un consommateur, par une utilisation répétée, sur une période prolongée, une bonne partie remplace des produits qui marchent encore. La période d’utilisation d’un bien durable est devenue un enjeu majeur de la consommation durable. Plus elle est courte, plus le problème des ressources nécessaires pour leur production et celui de la gestion des déchets sont importants.
Les raisons qui poussent les consommateurs à remplacer des objets qui remplissent encore leur fonction première (c’est-à-dire la plus importante) ne sont pas encore claires. Afin d’y répondre, nous avons dans une recherche récente menée auprès de 948 consommateurs, étudié le concept d’obsolescence perçue des objets, ou le fait de remplacer un produit qui marche encore. Alors pourquoi ce paradoxe ?
En ce qui regarde l’obsolescence perçue des produits, nous avons identifié cinq dimensions :
la dimension technologique : « Il n’est pas aussi efficace que les derniers modèles » ;
la dimension esthétique : « Je trouve ce design un peu vieillot » ;
la dimension environnementale : « Ses performances environnementales ne sont pas bonnes » ;
la dimension sociale : « J’ai un peu honte d’utiliser cet objet en présence d’autres personnes » ;
la dimension commerciale ; « Ce type d’objet est impossible à revendre ».
Nous avons identifié trois profils de consommateurs, que nous avons baptisés les « éco-consuméristes », les « indifférents » et les « éco-modérés ».
Suite à l’identification de ces trois profils, nous avons étudié leurs caractéristiques. Les « éco-consuméristes » sont ceux qui se déclarent les plus sensibles à l’environnement, avec un score de 5,07 sur une échelle de 7 points, contre 3,87 pour les indifférents. Ils sont également ceux qui ont l’intention de renouveler leur produit (score de 4,99 contre 3,01), raccourcissant ainsi leur période d’utilisation. Ce groupe représente 30 % de notre échantillon de 948 consommateurs.
À lire aussi : Réparabilité, durabilité… Comment changer nos imaginaires pour rendre la sobriété désirable ?
Ces « éco-consuméristes » sont les plus innovateurs. Ils sont plus enclins à acheter les innovations, avec un score de 4,92 contre 3,32 pour le groupe des indifférents, les plus matérialistes (5,09 contre 3,96), et les plus sensibles aux jugements des autres (score de 4,46 contre 3,54). On y trouve également légèrement plus de femmes (58 %, contre 53 % pour les indifférents).
Ces consommateurs « écolos » sont en effet pris dans un paradoxe : les produits les plus récents sont aussi ceux qui ont les performances environnementales les meilleures, en termes de consommation énergétique, ou de consommation d’eau par exemple. Un consommateur interrogé nous a ainsi déclaré :
« Mon grille-pain. Je pense qu’il est obsolète. Il est un peu vieux et, à mon avis, consomme beaucoup d’énergie, ceux qui sortent maintenant doivent être plus écologiques. »
Ceci explique que ces consommateurs sont aussi ceux qui ont l’intention de remplacer leur produit actuel dans le futur le plus proche (score de 4,42 sur 7 contre 2,21 pour les indifférents).
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Un client avec une forte sensibilité à l’environnement peut ainsi préférer renouveler un lave-linge qui fonctionne encore, pour faire le choix d’acheter un lave-linge qui permet de laver à basse température ou d’adapter sa consommation d’eau. Les fabricants de ces biens durables ont donc intérêt à mettre en avant les performances environnementales des innovations. L’enjeu : convaincre ce segment de clients d’acheter précocement un nouveau produit, malgré leur conscience écologique.
Ce renouvellement anticipé peut avoir des conséquences écologiques néfastes, si cela n’est pas couplé à des solutions pour la seconde vie des biens : organisation d’un marché de seconde main, reconditionnement, don, ou encore de gestion ou valorisation des déchets (recyclage). Au vu de la sensibilité environnementale du segment des « éco-consuméristes », ceux-ci sont plus enclins à avoir recours à ces solutions permettant de réduire l’impact écologique du renouvellement anticipé des produits… même si celles-ci nécessitent des efforts supplémentaires de leur part.
Les pouvoirs publics, eux, dans une perspective de développement durable, devraient donc à la fois promouvoir la mise en place de ces solutions de seconde vie, mais également alerter sur les coûts associés à la gestion de la fin de vie de ces produits durables, souvent coûteux à recycler, ou à détruire. Ainsi, les clients, et notamment les plus sensibles à l’environnement, pourraient mieux prendre en compte ces coûts dans leurs décisions de renouvellement. Il faut également noter que nos résultats suggèrent que la mise en avant de l’amélioration des performances énergétiques des biens durables, encouragée par les pouvoirs publics, pourrait paradoxalement accentuer ce phénomène de renouvellement anticipé des biens durables.
Il serait donc intéressant, pour évaluer l’impact complet de ces comportements paradoxaux, de comprendre quels sont les comportements de ces consommateurs « écoconsuméristes en termes de seconde vie des produits ou de gestion des déchets. Ont-ils recours à la revente d’occasion, au don, au recyclage ?
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
18.05.2025 à 18:09
Anne Aguiléra, Chercheuse en socio-économie des mobilités, Université Gustave Eiffel
Benoit Conti, Chargé de recherche en Aménagement de l'espace et urbanisme, Université Gustave Eiffel
Florent Le Nechet, Maître de Conférences en aménagement de l'espace et urbanisme , Université Gustave Eiffel
Sylvestre Duroudier, Maitre de Conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Travailler dans une ville différente de celle de sa résidence est une pratique de plus en plus courante en France. Un atlas qui vient de paraître se penche sur la géographie de ces flux très majoritairement automobiles, et la façon dont une partie d’entre eux pourrait être remplacée par des transports collectifs.
En France, la voiture est utilisée pour 75 % des trajets domicile-travail. Ces déplacements sont aussi responsables du quart des émissions de gaz à effet de serre émis par les voitures des particuliers.
Si la plupart des gens travaillent dans leur ville de résidence, 3 millions de personnes (soit 10 % des actifs) ont leur emploi dans une autre ville. C’est 50 % de plus qu’il y a vingt ans. Les raisons en sont multiples : augmentation des prix immobiliers, transformations du marché de l’emploi, modification des modes de vie et de l’organisation du travail, etc.
Selon l’Insee, ces trajets font en moyenne 35 km (aller simple), soit le triple de la distance domicile-travail moyenne. Ils sont réalisés dans plus de 90 % des cas en voiture, et représentent désormais un tiers des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des trajets domicile-travail. Ils sont pourtant peu intégrés aux réflexions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre des mobilités du quotidien.
Dans le cadre d’un partenariat avec l’opérateur de mobilités Transdev, nous avons réalisé l’Atlas des déplacements domicile-travail interurbains en France continentale. Basé sur les données du recensement de 2018, il permet de visualiser et caractériser ces flux aux échelles nationale et régionale, et de réfléchir aux conditions de leur report vers les transports collectifs.
L’Atlas s’intéresse aux villes comptant entre 50 000 et 700 000 habitants, qui sont l’origine ou la destination de 80 % de ces déplacements. La carte ci-dessous, qui en est extraite, permet de visualiser les liaisons les plus importantes, c’est-à-dire comptabilisant au moins 500 actifs (dans un sens).
Les déplacements depuis et vers l’aire d’attraction de Paris concernent environ 100 000 personnes, soit une part minoritaire des flux interurbains étudiés dans l’Atlas. Ces échanges sont par ailleurs atypiques de par le mode de transport utilisé.
La performance des liaisons ferroviaires, les distances élevées et les difficultés de circulation et de stationnement dans l’agglomération parisienne favorisent bien plus qu’ailleurs un recours aux transports collectifs. Les déplacements entre Paris et Reims sont emblématiques de cette situation : la moitié des actifs concernés vont au travail en transports collectifs, contre 10 % pour l’ensemble des interurbains.
Partout ailleurs, les déplacements domicile-travail interurbains dessinent des systèmes variés, parmi lesquels quelques figures typiques se dégagent :
des étoiles autour de grandes villes (comme Rennes, qui échange beaucoup avec Vitré, Fougères et Saint-Malo) ou de villes de moindre taille (par exemple autour de Bourges) ;
des systèmes multipolaires, par exemple autour de Nantes qui échange beaucoup avec Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon et où les flux sont également importants entre ces villes (le différenciant en cela d’un système en étoile) ;
des corridors (comme Nancy-Metz-Thionville ou Perpignan-Avignon) ;
ou encore des échanges intenses entre deux villes de tailles proches (par exemple Pau et Tarbes, ou encore Belfort et Mulhouse).
À une échelle plus fine, comme le montre l’illustration ci-dessous, les flux les plus importants relient une commune périurbaine à une commune-centre (au sens de la commune principale d’une aire d’attraction), ou bien deux communes périurbaines.
Selon les liaisons, le volume des échanges et la part des transports collectifs sont très variables, comme le montre la carte de la région Occitanie. Les flux sont assez épars et dominés par la voiture entre les communes périurbaines de Montpellier et la commune-centre de Nîmes. À Béziers, une certaine dispersion des flux est également observée. Dans d’autres cas, les actifs interurbains sont plutôt concentrés sur des liaisons entre deux communes-centres, par exemple entre les communes de Castres et Mazamet, ou encore celles de Carcassonne et Limoux.
Le poids des transports collectifs dans les déplacements varie beaucoup selon les cas de figure : il est en particulier plus élevé pour les liaisons avec Montpellier depuis Béziers, Agde et Nîmes ou bien, plus au sud pour Narbonne-Carcassonne et Narbonne-Perpignan.
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Certaines lignes de transports publics sont déjà relativement bien utilisées par les actifs qui travaillent hors de leur ville de résidence : c’est plus souvent le cas quand l’emploi est situé dans une ville de plus de 700 000 habitants, quand la personne habite dans une commune-centre et travaille aussi dans une commune-centre, quand les communes de résidence et de travail sont situées à moins de 10 km d’une gare, ou encore lorsque le temps de trajet par la route dépasse 45 minutes. Mais les marges de progression restent très importantes.
Diminuer l’usage de la voiture individuelle sur une partie des trajets domicile-travail entre les villes est complexe, mais pas hors de portée. Selon les cas, il semble plus pertinent de réfléchir au renforcement de l’usage de lignes de transport public existantes ou bien à la création de nouvelles lignes voire de services de covoiturage.
L’amélioration de l’offre de transports collectifs actuelle (trains ou cars) suppose également une réflexion sur les modalités d’adaptation des horaires (heures de pointe du matin et du soir), des fréquences (notamment le soir, pour tenir compte des contraintes familiales) et des tarifs (par exemple pour cibler les télétravailleurs) afin de mieux les adapter aux besoins des actifs.
Cette politique de renforcement de l’offre fait surtout sens pour les trajets caractérisés par des volumes d’actifs importants et pour lesquels les transports collectifs font déjà l’objet d’un usage significatif, par exemple entre Rouen et Yvetot. Des politiques favorisant le rabattement vers les transports collectifs doivent également être envisagées, notamment dans les communes périurbaines : pistes cyclables, local à vélo sécurisé, parking-relais avec stationnement gratuit ou à faible coût pour les usagers des transports collectifs.
La création de nouvelles offres doit quant à elle se concentrer sur les liaisons les importantes en volume d’actifs, et envisager, selon les cas, de nouvelles infrastructures ferrées ou la mise en place d’offres routières du type cars express, comme celle qui existe par exemple entre La Rochelle et Niort.
Sur des liaisons concernant un peu moins d’actifs et des distances intermédiaires (10 à 30 km, typiquement), organiser des services de covoiturage fait partie des options pertinentes.
La question n’est pas seulement technique, elle est aussi politique, car les trajets interurbains transcendent les périmètres de autorités organisatrices de mobilité (AOM). Enfin, l’enjeu d’une meilleure gestion des mobilités interurbaines n’est pas seulement environnemental. Il est aussi social compte tenu des difficultés d’accès à l’emploi et au logement pour certaines catégories de population, et des budgets mobilité élevés pour ces navetteurs eu égard aux distances parcourues.
Anne Aguiléra a reçu des financements de nombreuses organisations de recherche publiques et privées dans le cadre de ses activités scientifiques. Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat de recherche avec l'entreprise Transdev.
Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat de recherche avec l'entreprise Transdev.
Sylvestre Duroudier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
17.05.2025 à 13:20
Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe
Oh lait lait à Bordeaux, Les Frox à Annecy, Marengo à Bayonne… à l’instar des micro-brasseries, les laiteries urbaines font (ou refont) leur apparition dans les villes. L’image d’Épinal de la laiterie localisée en pleine campagne et liée à une ferme s’estompe. La production de fromages au lait cru a désormais sa place en zone urbaine.
Le locavorisme et les circuits courts ont la cote. En 2020, 63 % des Français étaient prêts à consommer le plus de produits locaux possible pour soutenir l’économie. La pandémie de Covid-19 a modifié le comportement des consommateurs, entraînant de nouveaux modes ou lieu de production et de nouvelles vocations.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Au XIXe siècle déjà, des laiteries à Paris, Londres et Copenhague existaient, comme le souligne l’historien Fabien Knittel. Elles répondaient à l’essor croissant de l’urbanisation et la nécessité de fournir du lait frais aux populations. Ces derniers s’approvisionnaient auprès de fermes en périphérie des villes ou développaient des systèmes d’élevage urbain posant des problèmes sanitaires. Leur essor s’établira à partir des années 1860-1880 avec les techniques de pasteurisation et l’industrialisation du lait.
Alors pourquoi son retour au XXIe siècle ?
Les laiteries urbaines actuelles transforment le lait issu de circuits courts – fermes périurbaines ou rurales proches –, pour en faire des fromages, du beurre, de la crème. Le phénomène reprend vigueur dans les années 1970 à la suite de la dynamique des circuits courts, d’agriculture urbaine et de relocalisation de la production alimentaire. Ces initiatives répondent à une demande croissante des consommateurs pour les produits locaux, frais et traçables, tout en sensibilisant le public aux enjeux de l’élevage et de la production laitière. Et les Français sont de grands consommateurs de fromage : 27 kg par personne et par an en 2022.
En France, la Laiterie de Paris en 2013 est l’une des premières à transformer du lait local en yaourts et fromages directement en ville. En Europe la Stadtkäserei ouvre à Zurich en Suisse et en Amérique du Nord, le même phénomène se répand. Depuis 2020 l’accélération du phénomène est sensible en France, Belgique et Londres.
L’ouverture des laiteries urbaines n’est pas l’apanage d’une région ou d’une ville. Elles fleurissent sur tout le territoire, souvent dans les moyennes ou grandes villes : Annecy, Bordeaux, Pau et Bayonne, Marseille, Metz et Nancy, Limoges, Brest, Toulouse, Rennes, Avignon, Paris, Saint-Ouen. Et bien sûr la liste est loin d’être close.
Ces fromagers souhaitent recréer du lien entre consommateurs et producteurs, que la grande distribution a distendu. Face à la main mise sur le secteur des géants du lait, en soutien à l’agriculture en crise et aux commerces de proximité, les consommateurs découvrent ces nouveaux lieux de production, en ville. Cette proximité se fait à un triple niveau :
Le lait provient de producteurs locaux, en général de moins de 50 km.
La proximité du lieu de vente invite les consommateurs urbains à redécouvrir les productions artisanales au cœur de leur ville.
La proximité relationnelle du producteur et du consommateur qui veulent partager des valeurs identiques, des valeurs du terroir.
À lire aussi : Le lait de foin arrive dans nos magasins et ce n’est sans doute pas ce que vous pensez
Le lait de foin, provenant d’animaux nourris exclusivement d’herbe fraîche ou de foin, est par exemple un des produits emblématiques de ces laiteries urbaines. Il renforce le caractère authentique, rural et sain de la production fromagère dans l’imaginaire des consommateurs et qui se fait réalité.
Ces crémiers de temps modernes recherchent du sens. Ces fromagers urbains sont souvent issus de reconversion, délaissant leur ancien métier au profit d’un engagement. Ce changement radical dans leur vie correspond à leurs valeurs tournées vers le local, l’artisanal et aussi à un engagement plus profond envers la société et ce qu’ils ont envie de vivre. « En 2021, j’ai quitté mon emploi pour me recentrer sur un métier qui a du sens ». Délaisser un travail intellectuel au profit d’un travail manuel pour trouver une satisfaction dans la réalisation concrète des produits.
« Notre boutique située rive droite offre une vue directe sur le laboratoire pour vous dévoiler les différentes étapes de transformation », lit-on sur le site de la Laiterie brestoise.
Cette quête de sens se manifeste aussi par la transparence : de la traçabilité du lait, de la fabrication pour le partage avec les clients. Les opérations de production, d’affinage donnent à voir aux clients sous diverses formes : espaces aménagés, ateliers, fromagers ouverts au public ou encore ateliers de formations professionnelles dans un souci de partage.
Le prix du lait est souvent affiché dans un souci éthique vis-à-vis du producteur comme à la Laiterie de Lyon ou à Paris. Les mots clés « bio, urbain, local et artisanal » sont souvent écrits sur les bouteilles du précieux breuvage.
« C’est simple, on double le prix du lait. On achète leur lait environ 8O centimes d’euros le litre alors que Lactalis est à 35 centimes », rappelle Pierre Coulon, le fondateur de la Laiterie de Paris.
Certaines laiteries urbaines vont encore plus loin dans leur engagement écologique. Elles proposent des consignes pour les bouteilles de lait ou de yaourts comme à Marseille ou valorisent le zéro déchet comme à Limoges.
Si la France est le pays du fromage, la liste des produits n’a pas fini de s’enrichir… Ces laiteries-fromageries urbaines développent leurs propres créations alliant savoir-faire traditionnel et innovation. La transformation en ville permet d’expérimenter de nouveaux profils sensoriels et des méthodes d’affinage atypiques : croûtes atypiques, textures particulières ou arômes qui évoluent différemment de ceux produits en milieu rural traditionnel.
À Marseille, la laiterie urbaine revendique une identité voir un terroir lié à cette production avec saveurs méditerranéennes : zaatar, épices, coagulation à la figue et au citron. La laiterie de Paris propose un « sakura », un chèvre affiné à la fleur de cerises.
Au-delà du simple produit, ces initiatives visent souvent à éduquer le public aux enjeux de la production locale durable. Ces lieux deviennent des lieux de rencontres et d’échanges où la démarche artisanale et écologique est mise en avant. Ces laiteries urbaines reposent souvent sur une vision éthique et écologique où l’humain est aussi au centre tant côté producteur de lait que consommateur. La laiterie de La Chapelle accueille des classes pour former les jeunes enfants. De futurs amateurs de lait, de beurre et de fromage ?
Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.