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14.07.2025 à 18:39

Discours de Chirac au Vel d’Hiv : pourquoi la France a attendu 1995 pour reconnaître la responsabilité de l’État

Sébastien Ledoux, Maître de conférences, historien, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

En 1995, le président de la République Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.
Texte intégral (2660 mots)

En 1995, Jacques Chirac est le premier président de la République à reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. Son discours, prononcé lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942, marque un tournant dans les politiques mémorielles et le rapport du pays à son passé.


Il y a 30 ans, le 16 juillet 1995, le président de la République Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs lors de la cérémonie nationale commémorant la rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942. Son discours est devenu jusqu’à aujourd’hui une référence morale et politique. Les présidents et premiers ministres l’ont ensuite régulièrement cité en suivant la même position.

Comment comprendre une telle notoriété et une telle autorité ? Il faut revenir pour cela à plusieurs contextes qui entremêlent des questions de savoirs historiques, de récit national, de normes morales et d’enjeux politiques.

La reconnaissance d’une vérité historique

Le 16 juillet 1995, Jacques Chirac reconnaît officiellement un fait historique établi et de mieux en mieux documenté depuis alors près de trente ans grâce à la publication de plusieurs travaux : La Grande rafle du Vel d’Hiv de Paul Tillard et Claude Lévy en 1967, La France de Vichy de Robert Paxton en 1973, Vichy et les Juifs de Michael Marrus et Robert Paxton en 1981, Vichy-Auschwitz de Serge Klarsfeld en 1985.

Jacques Chirac – Commémoration de la « rafle du Vél d’Hiv » en 1995 (Public Sénat).

Ces travaux ont été précédés de recherches menées par des juifs rescapés, comme Joseph Billig ou Georges Wellers qui publie dès 1949 la première étude sur la rafle du Vel d’Hiv au sein du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC).

Ces savoirs cumulés montrent de façon irréfutable la participation active de l’État français à la plus grande rafle de Juifs de la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Ouest, réalisée à Paris les 16 et 17 juillet 1942 : près de 13 000 Juifs ont été arrêtés à leur domicile, dont plus de 4 000 enfants. Bien sûr, Vichy a répondu à la demande des autorités allemandes de livrer des Juifs (28 000 arrestations demandées) et n’a donc pas initié lui-même ces arrestations. Il n’est pas directement responsable non plus de la politique génocidaire nazie instaurée en 1942 qui entraîne leur mort dans les chambres à gaz après leur transit au camp de Drancy, à l’exception d’une petite centaine d’entre eux.

Mais cette rafle est le fruit d’un accord entre les autorités allemandes et celles de Vichy dont le nouveau secrétaire général de la police, René Bousquet, fut l’artisan dans le cadre d’une intensification de la collaboration avec le Reich depuis avril 1942 suite à l’arrivée de Pierre Laval à la tête du gouvernement français.

C’est l’appareil d’État français qui a entièrement organisé cette vaste opération de police, sollicitant de nombreuses administrations nationales et parisiennes. Vichy a joué un rôle central dans l’engrenage génocidaire dont les Juifs vivant à Paris ont été victimes en juillet 1942. Cette rafle a par ailleurs été rendue possible par un antisémitisme présent dès 1940 avec les premières mesures prises contre les Juifs par le gouvernement de Pétain.


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Ces travaux historiques permettent de réfuter la thèse d’un régime qui aurait protégé les Juifs, y compris français (la plupart des 4000 enfants arrêtés ont la nationalité française). Déjà présente aux procès de Pétain et de Laval en 1945, cette thèse est évoquée très régulièrement via des ouvrages et des articles de presse pendant plusieurs décennies par d’anciens fonctionnaires de Vichy, le gendre de Pierre Laval ou son avocat pour défendre sa mémoire.

Une transgression politique et mémorielle

La vérité historique reconnue par le chef de l’État en 1995 relève aussi d’une transgression politico-mémorielle. À la Libération en effet, le récit de cette période est construit par de Gaulle à la tête du gouvernement provisoire : le régime de Vichy est déclaré « nul et non avenu », c’est la Résistance qui a assuré la continuité de la France et de la République.

Cette fiction historique est reprise ensuite dans les manuels scolaires comme par différents présidents de la République jusqu’à Mitterrand, ce qu’il explique lors d’un entretien télévisé en juillet 1992 lorsqu’un comité lui demande de reconnaître la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vel d’Hiv à l’occasion de son 50e anniversaire :

« En 1940, il y a un État français […] L’État français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. Et à cet État français, on doit demander des comptes. […] Mais la Résistance, d’abord le gouvernement de Gaulle puis la République et les autres ont été fondés sur le refus de cet État français. »

Alors qu’une loi est proposée dans son propre camp par le député socialiste Jean Le Garrec pour instaurer une commémoration nationale du Vel d’Hiv et qu’un scandale vient d’éclater au sujet de l’hommage qu’il rend à Pétain sur sa tombe depuis plusieurs années le 11 novembre, Mitterrand se décide à créer une journée nationale par décret le 3 février 1993 pour la rafle du Vel d’Hiv, mais il précise que les persécutions antisémites ont été commises par une « autorité de fait dite “gouvernement de l’État français 1940-1944” » pour ne pas engager la République ni la France dans cette rafle.

En déclarant le 16 juillet 1995 que la « France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable », Jacques Chirac engage, en tant que chef d’État, la responsabilité historique de la nation dans ce crime antisémite.

Un discours conforme aux normes sociales

Si ce discours présidentiel transgresse le modèle politico-mémoriel, il entre en revanche en conformité avec les normes morales d’une société en pleine évolution sur son rapport au passé que le succès de l’expression « devoir de mémoire » vient alors illustrer. Si Vichy hante la société française depuis les années 1970, c’est désormais la mémoire de la Shoah associée à la lutte contre l’antisémitisme qui est devenue centrale et constitue un élément structurant de positionnements politiques associés à de nouveaux interdits.

6 juillet 1942, la rafle du Vel d’Hiv (Archive INA)

La transgression vient de Jean-Marie Le Pen, président du Front national, qui par ses déclarations présentant la Shoah comme un « point de détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale » en 1987 ou ses jeux de mot (« Durafour crématoire ») est à contresens de nouvelles normes morales en train de s’établir autour d’une mémoire du génocide qui n’était pas absente de la société française mais à la marge d’un récit officiel dominé par l’héroïsme des résistants ou leur martyr avec la déportation.

Les condamnations de Barbie en 1987 et de Touvier en 1994, la profanation du cimetière juif de Carpentras puis la loi Gayssot pénalisant le négationnisme en 1990 participent à la construction de ces normes qui redessinent les frontières juridique, politique et morale de ce qui est collectivement acceptable de ce qui ne l’est pas. Or, dans les années qui précèdent le discours de Chirac, le Vel d’Hiv s’inscrit comme le double symbole de la mémoire de la Shoah et de la complicité de l’État français dans ce crime.

Alors qu’une pétition recueillant des milliers de signatures est lancée en juin 1992 dans la presse pour demander une prise de parole du chef de l’État afin qu’il reconnaisse officiellement la responsabilité criminelle de l’État français dans la déportation des Juifs pour le 50e anniversaire de la rafle, le silence de Mitterrand à cette cérémonie commémorative du Vel d’Hiv le 16 juillet 1992, qui provoque des sifflets de la foule, apparaît lui aussi transgressif au regard de ces nouvelles normes.

Le positionnement de Chirac le 16 juillet 1995 est au contraire pleinement conforme à ces normes sociales. Sa réponse « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français » intervient comme une mise aux normes par la parole politique au plus haut niveau institutionnel après des années de troubles suscités par les ambiguïtés mitterrandiennes (révélations sur son passé vichyste, sur son amitié avec Bousquet et sur son hommage à Pétain).

Un modèle de réconciliation au détriment de l’histoire ?

Dans son discours de 1995, le chef de l’État prend soin, dans un souci de réconciliation, de dégager les Français de toute responsabilité criminelle. Il rend au contraire hommage aux Justes de France qui auraient, selon lui, permis de sauver les trois quarts des Juifs sur le sol national sous l’Occupation, en reprenant la conclusion de Serge Klarsfeld dans son ouvrage Vichy-Auschwitz.

Cette nouvelle thèse des deux France – d’un côté la France de l’État français responsable de la déportation de plus de 76.000 Juifs, de l’autre la France des Justes qui ont sauvé les trois quarts des Juifs – est devenue le nouveau modèle mémoriel. Il n’est pas exempt de toute critique scientifique. La part importante des Juifs en France qui n’ont pas été déportés ne s’explique pas seulement par leur sauvetage par les Justes (en 2023, le titre était attribué à 4255 personnes), mais également par d’autres facteurs que des travaux plus récents ont bien montrés.

Les persécutions des Juifs par les autorités allemandes ou françaises étaient très diverses selon les régions et les périodes. Paris concentre la moitié des Juifs qui ont été déportés, la plupart des étrangers. Dans la zone occupée hors Paris, ce sont aussi les Juifs étrangers qui sont d’abord visés par les rafles mais également les Juifs français à partir de janvier 1944, arrêtés par la police française ou la Gestapo. En zone non occupée, après les grandes rafles d’août 1942 qui concernent aussi les femmes et les enfants, ce sont les hommes uniquement qui sont visés par Vichy alors qu’en zone occupée, la police française continue d’arrêter les femmes et les enfants.

D’autre part, des Juifs eux-mêmes, soit à titre personnel soit dans le cadre de mouvements résistants juifs), ont pu échapper à la déportation, par exemple en se réfugiant en zone libre : dans le Limousin, le Massif Central et le Sud-Ouest, la population juive est multipliée par dix entre 1939 et 1941.

Enfin, les sauvetages de Français non juifs à l’égard des Juifs doivent être présentés à côté des pratiques de délations aux autorités de Vichy, non négligeables, y compris pour récupérer des logements à Paris devenus inoccupés à la suite de la rafle du Vel d’Hiv attribués ensuite à des non-juifs par la préfecture de la Seine. 25.000 appartements occupés par les Juifs à Paris ont ainsi ensuite été « aryanisés ». Entre 1941 et 1944, 3000 lettres dénonçant des Juifs ont été envoyées au commissariat général aux questions juives, sans compter les lettres envoyées aux services de police localement.

The Conversation

Sébastien Ledoux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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10.07.2025 à 16:04

Comment le XIXᵉ siècle a réinventé les fêtes populaires, des cafés-concerts aux bals masqués

Corinne Legoy, Professeure en histoire contemporaine, Université d’Orléans

C’est au XIXᵉ siècle que s’invente la fête populaire telle qu’on la connaît, avec une nouvelle offre de divertissement, des parcs d’attractions aux cafés-concerts.
Texte intégral (3581 mots)

Si aucun siècle ni aucune culture n’ignorent les fêtes, c’est à partir du XIXe siècle que s’impose une nouvelle offre de divertissements, entre parcs d’attractions, théâtres, cafés-concerts, restaurants… multipliant les occasions de célébrations dans l’espace public. Explications alors qu’on s’interroge sur le sens contemporain de la fête.


Les fêtes populaires, dans les rues ou aux terrasses, en des lieux dédiés ou non, semblent, aujourd’hui, toujours un peu nous surprendre. Ainsi de la dernière fête de la musique, promue festival le plus cool du monde sur les réseaux sociaux, drainant une foule inédite de touristes fêtards attirés par l’événement.

Ainsi, un an auparavant, durant l’été des Jeux Olympiques, de ce Paris redevenu une fête aux yeux de bien des observateurs étonnés. Quelque chose s’était alors joué d’une vaste fête publique, irréductible aux grandes cérémonies orchestrées d’ouverture et de clôture et ce fut, pour beaucoup, une surprise. Comme si ressurgissait un usage perdu de la fête populaire, ce simple plaisir de s’amuser et de partager dans l’espace public et ses lieux.


À lire aussi : JO : la cérémonie d'ouverture de Thomas Jolly, grande fête civique et théâtrale


L’actualité, au reste, a brouillé le sens de la fête : la fermeture ou la fragilité de nombre de ses lieux (des discothèques aux bars et restaurants) ainsi que les confinements liés à la pandémie du Covid-19 ont conduit à s’interroger sur la place et les conditions de possibilité de la fête dans nos sociétés. Tragiques, les attentats de 2015, prenant pour cible une salle de spectacle, le Bataclan, et des terrasses de cafés, puis celui de 2016, lors du 14 juillet à Nice, ont tout à la fois associé nos cultures à des pratiques festives et teinté dramatiquement ces grands rassemblements publics.

La peur, aussi, rôde sur la fête. Elle est, de surcroît, régulièrement nourrie par la crainte des débordements, constamment rappelés, voire instrumentalisés, à l’image de ceux qui ont suivi la victoire du PSG en finale de la ligue des Champions le 1er juin dernier. Journalistes, chercheurs ou acteurs du monde de la nuit se sont ainsi, depuis quelques années, emparés de la question, s’interrogeant sur ce sens perdu de la fête ou sur sa présence-absence dans nos sociétés.

Le clown géant qui va prendre la tête de la Cavalcade du Bœuf Gras au Carnaval de Paris, en 1897. Le Petit Journal, via Wikimedia

Cette idée que l’on ne saurait plus, ou que l’on ne pourrait plus, faire la fête n’est cependant pas un constat neuf. Dès 1961, Willy Ronnis commente ainsi le 14 juillet dans l’île Saint-Louis : « ce jour-là, j’étais monté sur un petit tabouret pour avoir une vue plongeante du petit bal. Il y avait une telle gaieté dans les rues de Paris, au 14 Juillet. Ça s’est raréfié, peu à peu ». Mais ce discours de la nostalgie entoure toujours, en réalité, le discours sur la fête. Dès le XIXe siècle, bien des contemporains déplorent ces fêtes qui ne seraient plus ce qu’elles étaient. La mélancolie qui s’empare des fêtards au petit matin semble souvent s’emparer de nombre de ses observateurs, masquant la résistance et la réinvention des pratiques festives.

Au fond, les confinements n’ont-ils pas surtout montré leur puissance de renouvellement, ici sous contrainte, avec leurs apéros-zooms, l’organisation de fêtes et de dîners privés en dépit de la distanciation sociale imposée partout, l’improvisation de concerts ou de performances sur les balcons ?

Alors plutôt que de nous demander, sans doute en vain, si l’on sait encore ou si l’on ne sait plus faire la fête, essayons plutôt d’éclairer un peu ce qu’elle fut juste avant nous, en ce XIXe siècle où s’inventèrent bien des formes festives.

Les « nuits parisiennes », naissance d’un mythe

Si aucun siècle ni aucune culture n’ignorent les fêtes, c’est à partir du XIXe siècle que s’impose progressivement une nouvelle offre de divertissements marquée par la démultiplication et la diversification des lieux festifs. Elle est particulièrement visible à Paris où la présence et la pratique de la fête s’intensifient alors, contribuant à forger le mythe puissant des « nuits parisiennes ».

L’obsession des contemporains pour l’inventaire de tous ces lieux « consacrés à la joie » dit, à elle seule, le caractère inédit de cette offre et de ces pratiques : physiologies, tableaux de Paris, guides touristiques ou articles de presse dressent inlassablement la liste de ces lieux où sortir et s’amuser, cherchant à rendre lisible ce nouveau Paris festif et nocturne en train de naître.

Cette forte présence de la fête dans le Paris du XIXe siècle tient au moment charnière qu’il représente : moment où persistent des usages festifs hérités encore très vivaces et où s’inventent de nouveaux divertissements, liés à une culture urbaine en pleine mutation.

Le principal héritage festif est celui de Carnaval, dont la tradition, très ancienne, est encore étonnamment puissante au XIXe siècle. Foules costumées, cortèges, voitures de masques, bals et festins scandent cette parenthèse admise de subversion des normes et des codes, ce monde à l’envers railleur.

La Descente de la Courtille, entre 1835 et 1845, Musée Carnavalet
La Descente de la Courtille, entre 1835 et 1845. Jean Pezous, via Wikimedia -- (musée Carnavalet)

La rue, alors, est au peuple. Elle est parcourue de masques et de costumes, et traversée de grands cortèges rituels dont la population parisienne est longtemps coutumière : descente de la courtille, qui voit, dans la première moitié du siècle, les fêtards enterrer carnaval en un cortège déguisé, divagant et bruyant, rejoignant le cœur de Paris depuis la barrière de Belleville ; promenade du bœuf gras, ce défilé de bœufs, choisis pour leur fort poids en viande, mené en musique par des garçons bouchers déguisés et accompagné de chars ; cortège des blanchisseuses, enfin, avec sa reine des reines élue chaque année.

Fête rituelle, le carnaval parisien, en ce siècle des révolutions, se fait également politique. Les journées révolutionnaires de février 1848 qui chassent Louis-Philippe du pouvoir mêlent ainsi soulèvement politique et gestes carnavalesques quand, souvent, le mannequin traditionnellement brûlé à la fin des réjouissances prend le visage de tel ou tel homme politique. L’instrumentalisation de la fête en une arme d’affranchissement et d’affirmation est consacrée, et pour longtemps.

Progressivement, cependant, les fêtes de Carnaval deviennent plus commerciales, plus encadrées, leur présence reflue, en tout cas sous leurs formes anciennes, populaires et provocatrices. Les chars publicitaires se multiplient, les notables et les grands patrons s’imposent dans leur organisation. Carnaval alors se meurt – peut-être – mais les pratiques festives se renouvellent, affirmant leur présence dans la ville et leur vivacité populaire.

Danser pour faire la fête

Ces pratiques festives doivent alors beaucoup à l’essor, sans précédent, d’une offre de loisirs inédite, liée aux mutations de la ville et du rapport à elle : la nuit est conquise peu à peu par l’éclairage public qui se répand ; les divertissements proposés ferment plus tard ; un temps pour soi libéré peu à peu – même en d’étroites limites – permet de sortir plus aisément, et la diversification de l’offre permet presque à chacun – ouvrier, grisette, étudiant ou bourgeois – de trouver un lieu où divertir sa soirée et sa nuit.

Faire la fête, c’est alors avant tout danser. Ce goût si profondément ancré et si socialement partagé – qui fait parler de « dansomanie » – n’est certes pas tout à fait neuf, mais il bénéficie alors de l’expansion considérable du nombre de salles de bal jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle.


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Selon les mots de Victor Rozier, « de même qu’à Paris, chaque quartier a ses habitants, chaque boulevard ses promeneurs, chaque bal a son public » : étudiants aux bals du Prado et à Bullier (fondé sous le nom de Closerie des Lilas et qui est resté quand le bal s’est transformé en brasserie) ; classes populaires au Château-Rouge, à la Reine-Blanche ou à la Boule-Noire, les grands bals de Montmartre ; monde mêlé de toutes les catégories sociales à Valentino ou Frascati.

En réalité, cependant, on ne danse pas que dans des salles dédiées. Bien d’autres lieux permettent de danser. C’est le cas des guinguettes, qui naissent alors, ces modestes restaurants ou débits de boisson, ajoutant un bal à leurs attractions. Elles existent à Paris, mais surtout à ses barrières, sur un axe Belleville-Montrouge. La Grande-Chaumière est l’une des plus fameuses, située à la barrière de Montparnasse, alors sur la commune de Montrouge. Quand le nombre de salles de bal commence à refluer, notamment à partir des années 1880, elles poursuivent leur histoire, renouvelée par les bals musettes qui se multiplient sur les bords de Marne.

Les salles de bal font en effet face, dans la seconde moitié, à la rude compétition des innombrables divertissements crées alors : cafés-concerts, cabarets, music-halls, cirques, fêtes foraines, skating-rinks, puis, plus tardivement, parcs d’attraction (Luna-Park ou Magic-City).

Affiche de Toulouse-Lautrec pour les bals du Moulin Rouge (1891, Musée Carnavalet)
Affiche de Toulouse-Lautrec pour les bals du Moulin Rouge (1891, Musée Carnavalet).

Mais cette nouvelle offre culturelle n’est cependant pas qu’une offre de spectacles, elle est, indissociablement et profondément, participative : presque tous les lieux de divertissement sont alors, et c’est une particularité du temps, des lieux hybrides, où se combinent spectacles et possibilités festives. D’abord parce que l’on peut y boire, fumer et se déplacer librement, ensuite parce que l’on peut aussi, et souvent, y danser, enfin parce qu’ils abritent, tous, une foule de fêtes.

L’Élysée-Montmartre, fondé en 1807, combine ainsi salle de spectacle et salle de bal ; les Folies-Bergère (fondées en 1869) et le Moulin Rouge (fondé en 1889), de la même façon, sont à la fois établissements de spectacle et salles de bal. Plus étonnant, peut-être, pour nous, ces skating-rinks, salles de patinage (à glace ou à roulettes) où le public se presse autant pour patiner que pour les fêtes qui y sont régulièrement données.

La vogue des bals masqués

Parcs d’attraction, théâtres, cafés-concerts, restaurants… Tous ces lieux voient alors triompher, jusqu’à la Première Guerre mondiale, une forme totalement disparue – du moins dans sa dimension publique et populaire – de fête nocturne, aux échos considérables dans la ville, les imaginaires et la culture du temps : les bals masqués et costumés. Dérivés du bal de l’Opéra, crée en 1715, ils sont d’abord organisés durant la période de Carnaval puis s’en émancipent au fur et à mesure du siècle.

Tous les lieux de divertissement évoqués, à commencer par les théâtres, organisent leurs bals masqués, ouverts moyennant un billet d’entrée dont les tarifs varient selon le prestige des salles. Ils drainent dans les salles des foules considérables de fêtards, mais aussi bien des curieux, et attirent, dans les rues, des badauds guettant les déambulations des noctambules déguisés. Ces fêtes sont, aussi, dans la ville. Fascinantes ou scandaleuses, selon les points de vue des contemporains, elles sont affolantes pour les pouvoirs qui les surveillent scrupuleusement, mais les tolèrent pourtant et les laissent même se multiplier.

1912, photographie de la montée au bal des Quat’z’Arts au Skating de la rue d’Amsterdam. Association des Quat’Z’Arts

La présence publique de ces fêtes masquées est redoublée par celles qu’organisent de nombreuses associations, étudiantes, professionnelles ou syndicales. Fêtes privées officiellement, puisque sur invitation, certaines d’entre elles brouillent cependant la frontière du privé, s’invitant dans la ville et s’ouvrant, bon gré mal gré, à des fêtards échappant à leur cercle. Le cas emblématique est celui du bal des Quat’z’Arts (le bal des étudiants des Beaux-Arts), dont les cortèges (le soir, avant le bal, et au petit matin, après lui) sillonnent Paris en un rituel provocateur perdurant de 1892 à 1966.

La familiarité avec la fête était-elle alors plus grande ? Son inscription dans l’espace de la ville plus forte ? Son appropriation partagée plus intense ? Nous laisserons à chacun le soin de trancher… Et d’y penser, peut-être, le 14 juillet, le jour de cette fête, voulue républicaine et populaire, par les pères de la IIIe République qui en firent, en 1881, la fête nationale.

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Corinne Legoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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09.07.2025 à 16:17

Projet d’attentat « incel » déjoué : décrypter le danger masculiniste

Tristan Boursier, Docteur en Science politique, Sciences Po

L’arrestation d’un jeune homme pour un projet d’attentat masculiniste en France ravive les inquiétudes sur cette mouvance antiféministe qui converge de plus en plus vers les idéologies d'extrême droite.
Texte intégral (2245 mots)

Un adolescent a récemment été arrêté en France pour un projet d’attentat inspiré par le masculinisme, relançant l’alerte sur cette mouvance. Né en réaction aux avancées féministes, le masculinisme prétend défendre des hommes présentés comme opprimés et converge de plus en plus vers les idéologies d’extrême droite. Les réseaux sociaux offrent une nouvelle et inquiétante visibilité à cette mouvance, notamment auprès des jeunes hommes.


Le 27 juin 2025, un adolescent de 18 ans a été arrêté dans la région de Saint-Etienne (Loire). Il est soupçonné d’avoir projeté d’attaquer des femmes au couteau.

Le parquet national antiterroriste (PNAT) a, pour la première fois en France, mis un jeune homme en examen pour un projet d’attentat lié aux « incels » (contraction en anglais de « involuntary celibate » – célibataire involontaire – désignant une sous-culture en ligne caractérisée par une haine des féministes, accusées d’entraver leur accès sexuel aux femmes), qui s’inscrit plus largement dans la mouvance masculiniste.


À lire aussi : ' Adolescence ' est une critique poignante de la masculinité toxique chez les jeunes


Ce n’est un cas ni isolé, ni propre à la France. En 1989, Marc Lépine assassinait 14 femmes à l’École polytechnique de Montréal en dénonçant le féminisme. En 2014, aux États-Unis, Elliot Rodger tuait six personnes, expliquant dans un manifeste sa rancœur envers les femmes qui ne le désiraient pas. Depuis, plusieurs attentats perpétrés par des hommes ont été revendiqués au nom d’une même idéologie : le masculinisme.

Pour les masculinistes, les féministes et les femmes auraient inversé les rapports de domination, les hommes seraient désormais opprimés et il faudrait des mesures pour les protéger. Un récit fondé sur ce que le politologue Francis Dupuis-Déri appelle « le mythe de la crise de la masculinité ».

Le masculinisme : une résistance aux avancées féministes

Ces passages à l’acte sont souvent interprétés comme des dérives psychiatriques. Cette lecture psychologisante obère toutefois la dimension collective et politique du masculinisme qui doit être considéré comme un contre-mouvement social, c’est-à-dire une mobilisation qui se forme en opposition (en réaction) à un mouvement progressiste, ici le féminisme, pour défendre un ordre social hiérarchisé précis.

Le masculinisme s’organise activement – hors ligne et en ligne – contre l’égalité des genres, pour défendre les privilèges masculins mis en cause par les luttes féministes. La sociologue Mélissa Blais le décrit comme un contre-mouvement structuré, enraciné dans l’histoire des résistances aux avancées féministes.


À lire aussi : Masculinisme : une longue histoire de résistance aux avancées féministes


Bien qu’ancré dans une histoire longue, le masculinisme connaît aujourd’hui une reconfiguration numérique inédite, portée par la circulation transnationale de contenus sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas tant son idéologie qui est nouvelle, que ses formes, ses publics et ses canaux de diffusion.

Les réseaux sociaux ne créent pas cette idéologie, mais ils la rendent plus visible, plus accessible, et surtout plus attractive pour un public jeune en quête d’identité, de repères genrés et de récits explicatifs du monde. Ce nouvel écosystème permet ainsi au masculinisme d’échapper à la marginalité dans laquelle il était autrefois cantonné, pour s’imposer comme une forme contemporaine d’engagement réactionnaire.

Une idéologie qui prolifère dans la « manosphère »

Aujourd’hui, cette idéologie prolifère dans la « manosphère », un ensemble de sous-cultures numériques que l’on retrouve, par exemple, sur des forums comme Reddit (une plate-forme communautaire américaine qui regroupe des milliers de sous-forums thématiques, souvent modérés de façon laxiste), des chaînes YouTube, des serveurs Discord ou des groupes Telegram.

Dans ces espaces circulent des discours haineux, des guides de drague problématiques (valorisant la manipulation et mettant au second plan le consentement) et des appels à ce qui est décrit comme une revanche sexuelle à prendre sur les femmes, à travers, notamment, le viol ou le revenge porn.

La « néo-manosphère », selon certains chercheurs, s’est intensifiée au cours de la dernière décennie en migrant vers des plates-formes peu modérées, en s’adaptant aux codes de l’influence virale et en croisant ses récits avec ceux de l’extrême droite, du suprémacisme blanc ou du complotisme.

Ces contenus visent un public jeune et masculin, en quête de repères virils dans un monde présenté comme féminisé. Ils mobilisent des audiences massives, bien au-delà des marges. En France, des influenceurs masculinistes cumulent des abonnés et semblent connus des plus jeunes (moins de 15 ans) comme l’indiquent des éléments réunis par la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok chez les jeunes.

Le masculinisme converge de plus en plus vers les idéologies d’extrême droite. Cette alliance se construit autour d’un récit commun : celui d’un ordre social menacé par l’égalité, la diversité et la modernité.

Comme le montrent plusieurs études récentes, les discours antiféministes servent souvent de porte d’entrée vers des idées d’extrême droite (racisme, suprémacisme blanc, autoritarisme, opposition à la démocratie). Ainsi, selon ces recherches, près de 30 % des internautes fréquentant des espaces antiféministes migrent ensuite vers des contenus d’extrême droite. D’autres études non seulement confirment ces résultats mais précisent que les personnes exposées à du sexisme en ligne sont 10 % plus susceptibles d’approuver des idées radicales violentes, même si elles ne votent pas à l’extrême droite.

Un contre-mouvement exploité politiquement à l’extrême droite

Le masculinisme est aujourd’hui exploité par des figures d’extrême droite dans les espaces numériques. Thaïs d’Escufon, ex militante de Génération identitaire- groupuscule dissous en mars 2021 par le ministère de l’Intérieur, a par exemple réorienté ses productions numériques vers le masculinisme et vend des formations à destination des jeunes hommes, mêlant conseils de développement personnel, coaching en virilité, revalorisation de rôles genrés traditionnels, critique du féminisme et surtout conseils de drague.

Julien Rochedy, ancien président du Front national de la jeunesse, a également misé sur le masculinisme tout en produisant des discours suprémacistes blancs sur sa chaîne YouTube.


À lire aussi : Papacito ou comment les youtubeurs d’extrême droite gagnent leurs abonnés


Les discours masculinistes sont aussi investis par certains politiques. Aux États-Unis, Donald Trump a délibérément soutenu des figures de la manosphère comme Andrew Tate ou Jordan Peterson, contribuant à mobiliser une partie de l’électorat masculin.

Ce type de rhétorique se retrouve également ailleurs : au Brésil, avec l’ancien président Jair Bolsonaro, qui a multiplié les déclarations sexistes et homophobes ; en Argentine, avec Javier Milei. Dans ces cas, le masculinisme devient un vecteur de mobilisation politique autour d’une identité masculine perçue comme menacée. Il permet de réactiver des affects de ressentiment en les articulant à une promesse de restauration de l’ordre patriarcal.

Cette convergence est d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne d’une hausse de la menace terroriste liée à l’ultra droite : en France, en 2021, 29 personnes ont été arrêtées pour des faits de terrorisme liés à l’ultra droite contre 5 en 2020 et 7 en 2019 - le djihadisme demeurant la principale menace. Fin 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin évoquait 13 attentats d’ultra droite déjoués depuis 2017. Aux États-Unis, l’extrême droite est devenu la première cause de mortalité liée aux idéologies extrémistes depuis 2014 : sur les 442 personnes tuées par des extrémistes entre 2014 et 2023, 336 (soit 76 %) l’ont été par des extrémistes de droite.

Ces passages à l’acte s’inscrivent dans des réseaux, récits et références partagés. Comme le rappelle l’Anti-Defamation League, les nouvelles formes d’extrémisme se fondent sur une posture victimaire : des hommes qui se pensent persécutés, trahis par la modernité, autorisés à répondre par la violence.

Identifier le continuum masculiniste

Reconnaître le caractère politique du masculinisme plutôt que le réduire à des problématiques psychologiques individuelles est indispensable pour y répondre. Cela implique une formation plus poussée des magistrats, journalistes et enseignants à ces phénomènes. Cela suppose aussi une meilleure régulation des espaces numériques où ces idées circulent.

Il s’agit d’une part de reconnaître ce qui ne relève pas de l’opinion mais de l’incitation à la haine et d’autre part, de ne pas se focaliser uniquement sur les actes ou prises de position les plus spectaculaires (comme les influenceurs qui jouent volontairement sur l’outrance pour viraliser leurs contenus) et les plus meurtriers.

Si le masculinisme réussit à se répandre c’est aussi parce qu’il s’appuie sur des idées sexistes banalisées et qui sont déjà bien ancrées dans nos sociétés tels que la supposée émotivité et vénalité des femmes ou la meilleure rationalité des hommes.

Ces préjugés sont souvent inculqués dès l’enfance à travers une éducation genrée (deux tiers des femmes déclarent avoir été éduquées différemment des garçons). Cette socialisation différenciée naturalise les inégalités, que les discours masculinistes réactivent ensuite pour justifier la hiérarchie entre les sexes.

The Conversation

Tristan Boursier a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec société et culture (FRQSC).

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08.07.2025 à 15:32

Loi Duplomb et pesticides : comment la FNSEA a imposé ses revendications

Alexis Aulagnier, Chercheur postdoctoral, Centre Emile Durkheim, Sciences Po Bordeaux

La loi Duplomb a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale. Elle reprend plusieurs revendications de la FNSEA, opposée à la réduction des pesticides.
Texte intégral (1992 mots)

La loi Duplomb a été adoptée mardi 8 juillet par l’Assemblée nationale. Le texte reprend plusieurs revendications anciennes du syndicat majoritaire agricole, historiquement opposé à l’objectif de réduction de l’utilisation de pesticides. Il est le fruit d’une séquence au cours de laquelle la FNSEA est parvenue à s’appuyer sur la colère des agriculteurs pour imposer certaines de ses demandes.


La période est aux régressions en matière de politiques écologiques. Les reculs se multiplient en ce qui concerne le climat, l’énergie ou encore la biodiversité, comme l’atteste ce récent rapport du réseau Action climat. Comment expliquer ces rétropédalages environnementaux ?

Nous proposons d’analyser le cas des politiques liées aux pesticides, au cœur de l’actualité en raison du vote de la loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », dite Duplomb. Ce texte, soutenu par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, acte notamment la réintroduction temporaire d’un néonicotinoïde interdit depuis 2020, l’acétamipride.

Or ce texte n’est pas un fait isolé : il intervient au terme d’un processus à l’œuvre depuis deux ans, qui a vu des acteurs syndicaux comme la FNSEA réussir à fragiliser des politiques limitant l’usage de ces substances controversées.

Le plan Ecophyto, symbole du rejet de l’objectif de réduction des pesticides par une partie du monde agricole

Un rappel nécessaire : les pesticides sont encadrés, en France, par deux ensembles de politiques publiques. En amont de leur mise sur le marché, l’efficacité et les risques liés à leur usage sont évalués : c’est le système d’homologation, en place en France depuis près d’un siècle.


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Depuis la fin des années 2000, des politiques publiques visent par ailleurs à réduire l’usage de ces substances, dont les impacts apparaissent difficiles à contrôler. En 2008 a été lancé le plan Ecophyto, qui visait initialement à réduire de 50 % la consommation de pesticides.

Une part de la profession agricole, représentée en particulier par le syndicat majoritaire de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), n’a jamais fait mystère de son opposition à Ecophyto. Pour cette organisation, l’existence même d’une politique de réduction est illégitime, étant entendu que les risques liés aux pesticides sont déjà pris en charge par le système d’homologation.

Quand la FNSEA profite des manifestations pour remettre en cause le plan Ecophyto

En janvier et février 2024, le monde agricole a été secoué par un important mouvement de protestation sur l’ensemble du territoire français. Ces manifestations sont parties de la base, avec un mécontentement croissant dans plusieurs territoires à partir de l’automne 2023. Rien n’indique qu’Ecophyto était l’objet prioritaire de revendications au sein des collectifs mobilisés. Les spécialistes des mondes agricoles décrivent un malaise agricole multiforme, mêlant l’excès de normes et d’opérations administratives, un sentiment d’abandon et des préoccupations en matière de rémunération et de partage de la valeur.

En janvier 2024 pourtant, l’échelon national de la FNSEA, face à un exécutif déstabilisé par les mobilisations, a formulé une très large liste de revendications, incluant un « rejet d’Ecophyto ».

La stratégie a été gagnante : la mise en pause du plan a effectivement compté parmi les premières mesures annoncées par le gouvernement. Par la suite, le syndicat a imposé un changement d’indicateur pour ce plan, l’affaiblissant considérablement. Ce faisant, la FNSEA est parvenue à imposer une interprétation bien particulière de la colère des exploitants, instrumentalisant sa prise en charge politique pour contester un plan auquel elle s’opposait de longue date.

Cette séquence confirme la capacité de cette organisation à imposer ses priorités politiques, notamment dans des moments de crise. Les relations entre ce syndicat et les pouvoirs publics ont historiquement été privilégiées, notamment lors de la phase de modernisation de l’agriculture, qui s’est ouverte à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. S’est mis en place à l’époque un système dit de « cogestion », dans lequel le ministère de l’Agriculture et les organisations professionnelles agricoles menaient de front l’intensification des productions.

Cette relation de cogestion s’est considérablement affaiblie à partir des crises sanitaires (vache folle, nitrates) et économiques (quotas laitiers) des années 1990, qui ont vu ces politiques modernisatrices être questionnées. Mais à l’heure où l’agriculture est mise face au défi de l’écologisation, ce syndicat continue d’apparaître comme un interlocuteur incontournable pour les pouvoirs publics.

La loi Duplomb reprend le « pas d’interdiction sans solutions » de la FNSEA

On retrouve cette même dynamique autour de la loi Duplomb, dont le contenu a été fixé en Commission mixte paritaire le 30 juin. Ce texte prévoit notamment la réautorisation temporaire de l’acétamipride, un pesticide utilisé par des agriculteurs dans les productions de betterave et de fruits à coque. Il fait partie de la famille des néonicotinoïdes, dont l’usage a progressivement été proscrit en France, en raison notamment de leurs impacts sur les populations d’insectes.

Au-delà du seul cas de l’acétamipride, la disposition du texte qui permet sa réintroduction apparaît comme particulièrement problématique. Elle inscrit dans la loi la possibilité de déroger temporairement à l’interdiction de pesticides si « les alternatives disponibles à l’utilisation de ces produits sont inexistantes ou manifestement insuffisantes ». Ce texte législatif reprend une logique devenue depuis quelques années un leitmotiv défendu par la FNSEA : « Pas d’interdiction sans solution ».

À première vue, cette demande semble légitime : il apparaît raisonnable de ne pas priver les agriculteurs de substances nécessaires à leurs productions en l’absence d’alternatives clairement identifiées. Mais à y regarder de plus près, conditionner le retrait de pesticides à la disponibilité d’alternatives comporte plusieurs limites.

Premièrement, pour satisfaire à cette logique, il convient de définir ce qui est considéré comme une alternative à un pesticide. Or, les agronomes ont montré que la réduction de l’usage de ces substances peut passer par l’adoption de pratiques alternatives – modification des rythmes de culture ou des assolements, diversification des cultures, entre autres – et pas seulement par l’usage de technologies de substitution. De telles méthodes ou pratiques culturales peuvent facilement être négligées au moment de passer en revue les alternatives identifiées.

Deuxièmement, les solutions alternatives aux pesticides gagnent à être pensées en interaction les unes avec les autres – c’est ce que les agronomes appellent une approche systémique. Les stratégies alternatives de protection des cultures sont d’autant plus efficaces qu’elles sont associées. Or, dans la logique dessinée par la loi Duplomb, les alternatives sont envisagées isolément les unes des autres.

Enfin, le « pas d’interdiction sans solutions » nécessite de définir les paramètres retenus pour décréter qu’une alternative est « équivalente » au pesticide qu’elle est censée remplacer. À ce stade, la loi Duplomb précise qu’une solution alternative doit procurer une « protection des récoltes et des cultures semblable à celle obtenue avec un produit interdit » et être « financièrement acceptable ». Cette définition d’apparent bon sens comporte le risque de disqualifier nombre de solutions, en imposant la comparaison terme à terme de méthodes de protection des cultures très différentes.

La FNSEA, un interlocuteur clé pour l’État malgré une représentativité qui s’érode

Il ne s’agit pas ici de délégitimer la recherche de solutions alternatives aux pesticides, qui est un enjeu essentiel. De multiples projets ont été lancés ces dernières années, en lien avec les filières agricoles, pour identifier et diffuser des stratégies de protection à même de remplacer les pesticides les plus dangereux. Mais conditionner le retrait de substances à la disponibilité d’alternatives présente le risque de maintenir indéfiniment sur le marché des produits chimiques controversés.

Les opposants à la réduction de l’usage des pesticides l’ont bien compris, et ont fait de ce « pas d’interdiction sans solution » un slogan. L’introduction de cette logique dans le droit est une victoire – revendiquée – pour la FNSEA. La loi Duplomb était censée être une réponse législative aux malaises agricoles. Elle comprend en réalité des mesures techniques qui ne concernent qu’un nombre réduit d’exploitants, en particulier ceux qui possèdent les exploitations à l’orientation la plus intensive. Elle néglige une série d’enjeux essentiels : répartition des revenus, règles commerciales, etc. Plus qu’une prise en compte réelle des difficultés du monde agricole, elle apparaît comme un nouveau véhicule de revendications anti-écologistes d’un syndicat toujours majoritaire – mais en recul – et qui ne représente plus qu’une partie d’un monde agricole toujours plus fragmenté.

Une politique prenant en charge le malaise agricole et les enjeux environnementaux devra nécessairement passer par une réflexion de fond sur les modalités de représentation du secteur, notamment la gouvernance des chambres d’agriculture.

The Conversation

Alexis Aulagnier est membre du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyo. Le présent article est signé à titre individuel et ne reflète en rien la position du comité.

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07.07.2025 à 19:42

Réforme des retraites : quelle est la valeur juridique d’un « conclave » ?

Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Le gouvernement espère toujours un accord entre partenaires sociaux dans le cadre du conclave sur la réforme des retraites. Quelle serait sa valeur juridique ?
Texte intégral (1382 mots)

Le gouvernement espère toujours un accord entre partenaires sociaux dans le cadre du conclave sur la réforme des retraites. Mais quelle serait la valeur juridique de ce « conclave » ?


Tentant de clore le vif débat ouvert par l’adoption de la Loi au sujet du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, le 1er ministre a proposé aux représentants des salariés et des employeurs une procédure qu’il a qualifié de « conclave ». Cette dénomination évoquant la désignation d’un nouveau pape est d’autant plus mal choisie qu’elle renvoie en réalité à une vieille procédure fort républicaine de « concertation ». Quels sont ses fondements et ses modalités ?

La « concertation » selon la loi

Notre système politique a longtemps connu une tradition de « concertation » informelle ayant porté ses fruits en donnant lieu à des accords interprofessionnels fondateurs notamment dans le domaine des retraites (accords sur les régimes complémentaires de retraites des salariés cadres – AGIRC – en 1947 ainsi que non-cadres – ARRCO – en 1961). Toutefois la loi du 31 janvier 2007 a institué une procédure de « concertation » préalable aux votes de projets de Loi portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle.

Pour certains, cette institutionnalisation de la participation des parties prenantes à la formation de la loi représente un effort méritoire accordant une nouvelle place aux destinataires de la loi, mais pour d’autres il s’agit bien au contraire d’un abaissement supplémentaire de la place du parlement, voire une atteinte inadmissible à la souveraineté du peuple s’exprimant normalement par la représentation parlementaire. En effet, l’article 3 de notre Constitution précise que : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du referendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Par conséquent, dans les différentes branches du droit, la Loi est exclusivement formée par des parlementaires, le cas échéant sur un projet du gouvernement.

Néanmoins, en matière de droit du travail, la formation de la loi fait désormais l’objet d’une délibération publique associant divers acteurs privés considérés comme représentatifs et dont l’avis est sollicité de façon formelle. Cette procédure ne se confond pourtant pas avec la consécration d’une négociation collective interprofessionnelle préalable au vote de la Loi. Il ne s’agit pas de prévenir (ou de régler) un éventuel antagonisme social par le procédé de la négociation collective, mais de préférer un « dialogue » afin d’obtenir une mise en œuvre efficace des réformes voulues par les autorités publiques.

Pas de compétence autonome des partenaires sociaux

Dans plusieurs systèmes juridiques, comme en Allemagne (l’article 9, alinéa 3 de la constitution allemande, les acteurs sociaux ont obtenu un champ de compétence autonome constituant un domaine réservé en matière de droit du travail. C’est ce qu’ont réclamé les partenaires sociaux français (positions communes des 16 juillet 2001 et 9 avril 2008 sans obtenir satisfaction. En droit français, il n’existe pas de liste de thèmes pour lesquels les protagonistes sociaux bénéficient d’une priorité d’intervention leur permettant de supplanter le législateur. Si le principe constitutionnel de participation garantit et soutient la contribution de la négociation collective à la production normative du droit du travail, le législateur fixer toujours les grands principes.

La « concertation » représente donc un prudent englobement de la « démocratie sociale » par la « démocratie politique », conférant aux acteurs sociaux la possibilité de discuter les termes des projets de réformes du droit du travail mais conservant au bout du compte au législateur le pouvoir du « dernier mot » comme l’écrit Alain Supiot.

Un gouvernement peu contraint par la « concertation »

En outre, l’examen de la portée effective de cette « concertation » démontre sa modestie. Soulignons d’abord que les modalités prescrites sont très peu contraignantes. En effet, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État estiment que si la Loi adoptée n’a pas respecté la procédure prévue par les articles n°1 et suivants du Code du travail, mais qu’elle a tout de même suivi une procédure de « concertation » au moins équivalente, alors elle peut être jugée comme conforme à la Constitution. Il en découle que le gouvernement peut changer selon sa guise les modalités de la « concertation ». De surcroît, il peut décider d’étendre le domaine des thèmes soumis à la procédure en question comme il le fait actuellement au sujet de l’âge légal de départ à la retraite.

Par la suite, les acteurs professionnels ont le choix de donner une suite favorable ou défavorable à une sollicitation entièrement formulée par les pouvoirs publics. En cas de refus, liberté est laissée au gouvernement de former son projet de façon unilatérale. Cependant s’ils décident de se saisir du sujet, le gouvernement doit attendre la fin de leurs pourparlers. Dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord dont le contenu a pour effet de modifier la Loi, le gouvernement se trouve dans l’obligation de reprendre à son compte le texte conventionnel par le biais d’un projet de Loi. Dès lors, celui-ci peut reprendre fidèlement à son compte le texte issu de la négociation collective en l’incorporant intégralement à la Loi ou se réserver la possibilité de le réécrire par addition ou soustraction. Enfin, le projet en question est ensuite soumis au pouvoir d’amendement et de vote du parlement.

En cas d’échec des négociations, le gouvernement a la possibilité d’abandonner son initiative, ou de reprendre les fragments de compromis sociaux de son choix, pour présenter son propre projet au parlement. Selon ces différentes hypothèses, il doit éviter un procès en déloyauté de la part de signataires bafoués ou de négociateurs incapables de trouver un compromis. Dès lors, les marges de manœuvre sont plus ou moins larges selon les diverses situations mais à coup sûr relativement étroites en cas de conclusion d’un accord sur la base d’un large consensus des acteurs professionnels. Il en ressort que le champ de la coproduction des normes légales du travail s’apparente à un espace où le législateur et les protagonistes sociaux se surveillent et formulent des reproches réciproques.

En somme, par le biais de cette modeste procédure, le gouvernement trouve avantage à déléguer de manière contrôlée la formation de la Loi aux acteurs professionnels représentatifs soit pour se délier de sa responsabilité soit pour tenter de renforcer sa légitimité.

The Conversation

Stéphane Lamaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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07.07.2025 à 16:53

Conservateur ou progressiste : quel type de donateur êtes-vous ?

Thomas Leclercq, Professeur ordinaire en marketing, IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), Head of Marketing and Sales Department, IÉSEG School of Management

Etienne Denis, Professeur de Marketing, EDHEC Business School

Steven Hoornaert, Professeur en marketing digital; IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 - LEM - Lille Economie Management, F-59000 Lille, France, IÉSEG School of Management

En 2025, la politique influence nos dons. Où vous situez-vous ? Une étude démontre que la générosité des Français oppose conservateurs et progressistes.
Texte intégral (1650 mots)
Lorsqu’un conservateur reçoit une communication d’une association présentant un bénéficiaire qu’il considère comme étant proche, la probabilité de faire est don est de 73 %. Lightspring/Shutterstock

En 2025, la politique influence nos dons. Après la distinction entre la gauche et la droite, une étude démontre que la générosité des Français oppose conservateur et progressistes. Les premiers sont enclins à donner à des associations près de chez eux, résolvant des problèmes. Les seconds, pour des projets de justice sociale, apportant un changement ou un progrès. Résultat en chiffres et en graphiques.


Dans un contexte de polarisation politique croissante, nos choix en tant que consommateurs s’entremêlent de plus en plus avec nos convictions. L’expert en marketing Benjamin Bœuf souligne que les consommateurs préfèrent des marques qui démontrent un positionnement politique similaire au leur. Elle pousse les entreprises à intégrer ce critère dans leur stratégie marketing, ou à se positionner sur des questions de sociétés.

Mais cet impact dépasse largement nos décisions d’achat. Nos préférences politiques façonnent également nos élans de générosité et les causes que nous choisissons de soutenir. Cette influence s’explique en partie par le fait que notre orientation politique reflète des valeurs morales qui nous sont propres, qui guident nos actions et nos choix.

À travers notre recherche, nous avons mis en lumière trois tendances majeures qui révèlent comment ces orientations politiques influencent le comportement des donateurs : le cadrage du message, la proximité du bénéficiaire et le sentiment de justice sociale sous-jacent, la démarche de l’organisation caritative. Pour ce faire, nous avons mené une série d’études manipulant des communications provenant d’organisations caritatives, mesurant l’effet sur la propension à faire un don.

Vision conservatrice vs progressiste

Au-delà des préférences de chacun pour certains partis, les études sur l’orientation politique du psychologue social américain John Tost mettent en évidence la polarité entre les conservateurs et les progressistes (ou libéraux sur les graphiques), également décrite par la distinction gauche-droite. Les personnes de sensibilité progressiste estiment que chacun doit être libre de poursuivre son propre développement, et que la société doit être organisée dans un souci de justice sociale. À l’inverse, les conservateurs considèrent que l’être humain est fondamentalement individualiste, que la vie en société requiert dès lors des structures et des règles régissant la liberté de chacun.

Ce positionnement politique détermine la manière dont chacun perçoit la société et le rôle des individus au sein du collectif. Selon le professeur en psychologie Graham, une vision conservatrice met davantage l’accent sur la responsabilité individuelle et la préservation des structures sociales existantes. Une vision progressiste valorise la responsabilité collective et les initiatives visant à corriger les inégalités systémiques. L’orientation politique progressiste peut dès lors être mesurée en demandant aux répondants d’indiquer leur degré d’accord vis-à-vis d’affirmations telles que « J’ai une tendance à m’opposer à l’autorité ». On demandera aux répondants d’indiquer leur accord vis-à-vis d’affirmations telles que « Je pense que l’application des lois devrait être renforcée ». Ces différences fondamentales influencent directement le type d’organisations caritatives auxquelles les individus choisissent de donner.

Évitement d’un danger vs changement

Les personnes ayant une orientation politique conservatrice sont davantage attirées par des organisations qui communiquent sur l’évitement d’un danger ou la résolution d’un problème. « Votre don nous aidera à protéger des populations des risques d’épidémies » ou « votre geste permettra de mettre en œuvre des actions pour protéger notre planète ». Ces messages, centrés sur la protection ou la sécurité, trouvent un écho particulier auprès de ce public.

À l’inverse, les individus ayant une orientation politique progressiste privilégient des causes qui mettent en avant des opportunités positives de changement ou de progrès, avec un accent sur l’optimisme et l’amélioration. « Aidez-nous à créer un monde plus vert » ou « relevons ensemble le défi de l’égalité sociale ».


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Changement vs évitement

Afin de démonter cette préférence, nous avons présenté une expérimentation auprès de 150 répondants à travers laquelle les participants complétaient un questionnaire concernant leur orientation politique. À la suite de ce dernier, ils étaient invités à soutenir une association dont nous avons fait varier le message via trois groupes :

  • Un message neutre décrivant l’activité de l’organisation

  • Un message centré sur l’évitement

  • Un message centré sur le progrès


À lire aussi : Cibler les consommateurs sur leurs convictions politiques : une stratégie dangereuse


La probabilité qu’une personne d’orientation progressiste donne à une cause présentée sous la forme d’un progrès est de 85 %, contre 30 % pour les conservateurs recevant cette même communication. En revanche, la communication mettant en exergue la protection ou l’évitement d’un risque fait monter la probabilité de don à plus de 60 % pour les conservateurs, contre 36 % pour les progressistes.

Cause proche de son quotidien

Les conservateurs montrent une préférence pour des causes où le bénéficiaire est perçu comme étant proche d’eux, que ce soit culturellement, géographiquement ou socialement. Pour confirmer cette hypothèse, nous avons proposé un questionnaire sur l’orientation politique à 243 répondants. À la suite de celui-ci, nous leur avons proposé de soutenir une organisation caritative via un don.

Dans un groupe, cette dernière était décrite comme aidant les personnes dans la ville du répondant, dans l’autre nous présentions la même association pour un autre pays. Lorsqu’un conservateur reçoit une communication présentant un bénéficiaire qu’il considère comme étant proche, la probabilité de faire est don est de 73 %, contre 68 % quand le bénéficiaire est éloigné.

Justice sociale

En revanche, les progressistes sont davantage motivés par des causes centrées sur la justice sociale. L’enjeu est de corriger des inégalités ou de soutenir des groupes marginalisés comme les aides aux sans-abris ou le combat contre les drogues. Ces sujets sont centraux, car ils représentent les principales missions des organisations caritatives à but social. Pour démontrer cette tendance, nous avons administré un questionnaire sur l’orientation politique à 270 participants. À l’issue de celui-ci, ils ont été invités à soutenir une organisation caritative en réalisant une promesse de don.

Pour un premier groupe, l’organisation était présentée comme luttant pour un traitement égalitaire entre les hommes et les femmes, tandis que pour un second groupe, elle agissait contre l’abus et la cruauté envers les animaux domestiques. Les résultats indiquent que, chez les répondants progressistes, la probabilité de don atteint 76 % lorsque la cause est liée à la justice sociale, contre 58 % quand elle ne l’est pas de manière explicite.

Cibler les donateurs

Ces résultats offrent aux organisations caritatives un véritable levier pour optimiser leur communication. En comprenant mieux les différences d’orientation entre les publics conservateurs et progressistes, elles peuvent adapter leurs messages pour maximiser leur impact. Une campagne destinée à un public conservateur pourrait, par exemple, insister sur des enjeux de sécurité ou de préservation des valeurs locales. En revanche, une communication visant un public progressiste gagnerait à mettre en avant des projets innovants ou des initiatives pour réduire les inégalités sociales.

En ciblant mieux leurs donateurs, les organisations peuvent non seulement accroître leur efficacité, mais aussi s’assurer que leur message résonne profondément avec les convictions de leurs publics. Dans un monde de plus en plus polarisé, cette capacité à adapter la communication devient un atout clé pour mobiliser un soutien durable.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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