31.10.2025 à 03:55
S. H.
Pour Philippe Godard, l’émancipation commence dès l’enfance. L’auteur, plusieurs fois publié chez Mr Mondialisation, nous invite aujourd’hui à repenser la « fabrique » des filles et garçons, afin de rompre avec le patriarcat et les rôles imposés. Et s’il suffisait d’une pédagogie non genrée pour libérer l’avenir de toute forme de domination ? Loin des […]
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« On ne naît pas femme, on le devient ! » relève de nos jours de l’évidence – et heureusement ! L’affirmation en miroir est tout aussi vraie : « On ne naît pas homme, on le devient », avec tout le cortège de soumissions qui s’attache aux femmes, de virilisme et de domination que traînent les hommes… Une caractéristique non pas absolue, mais assez généralisée et dont les mâles profitent, à l’inverse de ce qui est attaché au statut des femmes.
Une question cruciale se dissimule derrière ces affirmations : puisque nous sommes les produits d’une construction sociale à l’œuvre dès la naissance, celle qui nous fait « devenir » femme, ou homme, pourquoi ne pourrions-nous pas envisager de nous construire autrement ? Et même de lutter contre ce qui nie les femmes, et contre ce rapport qui ne profite qu’aux hommes ? De détruire cette éducation qui transforme les filles en femmes (soumises) et les garçons en hommes (dominateurs) ?
Posons donc cette double affirmation à un autre niveau, à un autre âge, puisque nos parents et le monde adulte en général nous font d’abord devenir des filles et des garçons pour qu’ensuite nous devenions des adultes conformes, femmes ou hommes :
« On ne naît pas fille, on le devient. »
« On ne naît pas garçon, on le devient. »
Car si être femme est très largement une construction sociale, familiale, éducative et surtout normative, s’il en est de même pour les hommes, alors, le plus déterminant de cette construction se produit durant l’enfance et l’adolescence, avant l’entrée dans l’âge adulte.
Au premier âge, se joue déjà beaucoup de ce qui concerne le futur rapport de chaque individu à la domination et à la soumission. Puis, à l’adolescence, le choc de la puberté implique de faire un choix, binaire ou non binaire, mais un choix dans tous les cas, quelle que soit l’orientation adoptée, ou même si l’hésitation s’installe.
Nous croyons souvent que l’âge adulte est celui de l’« autonomie » ; mais sommes-nous, femmes et hommes, si autonomes que cela si nous sommes enserrés depuis l’enfance dans des liens qui menottent, ceux de la domination et de la soumission ? Comment nous en libérer ? Filles et garçons n’auraient-ils pas un combat convergent à mener, chacun d’un côté du mur qui les sépare, mais pour, dans tous les cas, briser ce mur qui leur impose une manière de vivre dissocié.e.s les unes des autres ? Domination ou soumission, division jusqu’à l’hostilité, rien de cela n’a d’intérêt !

Pour sortir du virilisme, du patriarcat, de la violence sociale, de la violence machiste, de la vision binaire du genre, homme ou femme, il existe à coup sûr une voie qui se joue durant l’enfance. En sortir implique de mettre en œuvre une pédagogie de l’émancipation, lorsque les enfants « deviennent » peu à peu, dans le lent processus de l’éducation, ce qu’ils seront une fois adultes. Ce processus au long terme occupe la majeure partie du temps de leur enfance, et la détruit souvent lorsque les adultes façonnent des enfants conformes pour produire des adultes normés…
Par la suite, en atteignant l’âge adulte, le risque est grand que les valeurs culturelles reconnues et acceptées par la société soient trop bien enracinées dans chaque individu pour que nous puissions les modifier, les réorienter, mieux : les nier et construire un rapport aux autres enfin émancipé et émancipateur.
Adulte, il nous est difficile de rompre avec la domination comme avec la soumission puisque nous y avons consenti – ou que nous n’avons pas réfléchi aux conséquences ultimes de notre consentement à la norme… Ne vaudrait-il pas mieux travailler l’équité, l’intelligence, la réflexion et l’émancipation durant le processus éducatif plutôt que d’espérer faire bouger les positions des femmes et des hommes une fois adultes et leurs convictions culturelles, selon leur sexe et selon leur genre, bien établies ?
Notre objectif est de balayer un champ de réflexion le plus large possible, dans l’espoir de sortir enfin de l’impasse où, désormais, l’ensemble des règles sociales nous a conduit.e.s, femmes et hommes – avec bien entendu un avantage énorme aux êtres de pouvoir, de domination, qui sont pour la plupart des hommes, sans oublier les autres facteurs qui entrent en ligne de compte dans notre société de domination et de soumission. De soumission de la majorité acceptant la domination de certains, ou n’ayant pas encore trouvé la voie pour s’en libérer. S’en émanciper.
La pédagogie se constitue de tout ce qui, dans l’enfance, relève de l’accompagnement du jeune individu par les adultes qui l’entourent et qui prennent soin de lui. Elle ne se satisfait pas de méthodes éducatives toutes faites et prêtes à l’emploi, mais suppose un rapport constamment revisité entre les adultes et l’enfant, à partir de l’observation de cet enfant, là, particulier, qui, pour développer sa personnalité, n’a nul besoin de standards éducatifs – de normes.
La pédagogie est en outre – c’est essentiel – une transmission depuis l’enfant vers les adultes qui l’entourent. En effet, les enfants eux aussi communiquent leur état, bien-être ou mal-être, leurs envies, leurs craintes, dans un processus de transmission qui, s’il est bien compris par les adultes, sera émancipateur pour tous, enfants et adultes.
Cependant, dans l’immense majorité des familles actuelles, la réalité est très éloignée de ce schéma idéal, et les enfants deviennent trop souvent des adultes discriminants, racistes, virilistes, soumis ou dominateurs, opposés à toute émancipation. Pas tous, cependant, car certains adultes ne tombent pas dans la norme et la répression.
S’il en est ainsi, en toute logique, c’est que des éléments déterminants dans la constitution du genre, du rapport général de l’individu aux autres, à la société dans ses dimensions abstraites – l’ordre, la liberté, l’équité, l’adelphité – se jouent durant toute la période « pédagogique ». Durant l’enfance. C’est d’ores et déjà une certitude, à ce stade : « On ne naît pas fille, on le devient ; on ne naît pas garçon, on le devient. »
Lorsque naît un enfant, peu importe son sexe biologique. Ce n’est pas à ce niveau que se situent les enjeux principaux dans les premiers jours, les premiers mois, voire les premières années de la vie. Si nous nous référons à ce qu’attend tout nouveau-né de son environnement le plus proche, peu importe qu’il « soit » fille ou garçon. Il a besoin de soins adaptés, de nourriture, de chaleur, de contacts physiques, de regards – les muscles des yeux du tout-petit sont les premiers à être adultes, à peine quelques semaines après sa naissance 1.

L’environnement doit être « suffisamment bon », pour reprendre la fameuse formule de Winnicott. Cette formule fait sens : les parents ou les adultes qui prennent soin de cet enfant ne devraient surtout pas viser à être « parfaits », ce qui n’a aucun sens en la matière et qui limiterait la capacité de l’enfant à grandir. En effet, face à des parents « parfaits », ou qui se veulent tels et en font une sorte de sacerdoce, les enfants, en grandissant, développent des sentiments ambivalents : ils peuvent parfois considérer leurs parents comme parfaits, ce qui peut s’accompagner d’un malaise important car eux-mêmes ne pourront jamais, ou alors très difficilement, atteindre à leur tour ce niveau de supposée perfection.
Mieux vaut donc des parents absolument pas maltraitants, et « suffisamment bons », attentifs, attentionnés et ouverts, qui laissent de la liberté à leurs enfants et ne leur imposent pas un cadre rigide ou l’image d’adultes inégalables… Cette conception de la pédagogie est cruciale pour la suite du développement de l’enfant et pour vaincre – ou pas – le patriarcat.
En effet, si nous voulons que les enfants soient des individus heureux et émancipés, la pédagogie doit se donner pour tâche d’observer avant de transmettre, et de ne transmettre qu’en fonction de ce que le pédagogue – le parent ou l’adulte qui s’occupe de l’enfant – aura observé. C’est dire qu’une pédagogie émancipatrice n’est pas à sens unique, de l’adulte vers l’enfant, mais circulaire.
L’adulte observe l’enfant autant que l’enfant observe l’adulte et le monde dans lequel il vient d’arriver et dans lequel il grandit ; puisqu’il s’agit de transmettre, l’enfant transmet ce qu’il ressent, ce qu’il comprend, pose des questions, et l’adulte transmet ce qu’il sait, ce qu’il croit savoir, ses doutes aussi. La transmission est équitable, même si, bien entendu, l’adulte reste dans une position différente. A priori, il se trouve plus à même que l’enfant d’expliquer le monde, mais l’enfant a sur l’adulte la supériorité d’avoir devant lui un terme plus long, une durée de vie supérieure.
Dans cette transmission, les deux pôles ne sont pas équivalents ; aucun ne l’emporte sur l’autre, il ne s’y mène aucun jeu de pouvoir. Ce qui compte est qu’enfants et adultes s’observent les uns les autres, se découvrent, se comprennent, se questionnent. Le résultat recherché par l’enfant comme par l’adulte consiste en la capacité, chez l’un comme chez l’autre, à prendre en compte l’Autre, à affirmer sa propre personnalité, à ne pas nier celle de l’Autre. La conception qu’un être est un Autre, que sa vie est tout aussi importante que la mienne, naît dès l’enfance, et peut rester toute la vie chevillée au corps, au mental, à la vision du monde de l’individu.
« La liberté des autres prolonge la mienne. »
Tel est le sens profond de la « maxime » de Bakounine : « La liberté des autres prolonge la mienne. » L’Autre participe de ma liberté, et je participe de la liberté de l’Autre. Rien à ce moment là n’implique le genre ou le sexe biologique, juste le refus de la domination et de la soumission.
Si les adultes prennent en compte cette nécessaire liberté pour le développement de l’enfant dont ils prennent soin, que l’enfant puisse aller vers là où, peu à peu, il aura envie, besoin, de s’orienter, il n’y a alors plus aucune raison de « genrer » l’éducation d’un tout-petit, puis d’un enfant, et même d’un adolescent. À la condition de n’avoir comme but que son émancipation, d’être convaincu qu’un enfant – que les adultes autour de lui ne cherchent qu’à rendre libre – a bien assez de ressources en lui pour y parvenir. Ne pas genrer ne signifie pas « dégenrer » ; il s’agit juste, à ce stade, d’une neutralité qui est le gage de la véritable liberté de choix de l’enfant qui grandit.
« Il ne s’agit plus, dès lors, d’élever « une fille » ou « un garçon », mais un enfant ! »

Il ne s’agit plus, dès lors, d’élever « une fille » ou « un garçon », mais un enfant ! La distinction n’est pas sans objet. Lorsqu’on demande aux futurs parents s’ils préféreraient une fille ou un garçon, ils disent le plus souvent que cela n’a pas d’importance. Pourtant, lorsqu’ils se rendent à l’échographie, c’est plus de neuf parents sur dix qui demandent le sexe de l’enfant à venir. Et qui, par la suite, se préparent à accueillir une fille ou un garçon, et non plus un enfant, tout simplement.
Il y a donc du chemin à parcourir pour reconnaître, dans un premier temps, qu’une partie du « problème » est profondément enracinée dans notre mode de perception des enfants, et pour, ensuite, résoudre enfin cette discrimination potentielle qui ne dit pas son nom et qui, pourtant, va jouer un rôle déterminant dans la vie de l’enfant que les parents n’attendent que sous une bannière spécifique : garçon ou fille !*
Dans une famille suffisamment bonne et dans laquelle la transmission est circulaire, l’enfant se trouve libre de construire sa personnalité sans tenir compte de quelque genre que ce soit, tant que, dans le déroulement de sa croissance, il en est là où le processus de construction n’est pas encore genré.
Qu’il le devienne à un certain moment, par exemple à la « pré-adolescence » (pour reprendre une classification qui, de toute façon, est discutable), donc, vers les dix ou douze ans, ou plus tard, au moment de la puberté, cela n’est pas niable. Il y a un moment où l’être humain se pose la question de son genre, de ses attirances, de ses désirs, du mode de leur satisfaction, et non seulement en ce qui concerne le genre, mais pour tout ce qui comporte un choix dans l’existence : place dans l’échelle sociale, acceptation ou refus du consensus, critique ou acceptation de la norme, des normes, position par rapport aux parents et à leurs convictions, et ainsi de suite.
Durant la petite enfance et même par la suite, il n’est pas du tout certain que la question du genre soit vitale dans le développement de l’individu. Il n’est à coup sûr pas souhaitable que les adultes introduisent dans la vie de l’enfant un thème aussi crucial pour sa future vie adulte que l’appartenance de genre.
C’est à l’enfant d’introduire lui-même cette réflexion et de s’y confronter lorsqu’il le jugera utile, lui et lui seul – et il le jugera forcément utile à un moment, c’est une évidence, au plus tard lorsque débutera, ou pas, une activité sexuelle. Imposer un tel thème serait vouloir prendre le pouvoir sur un pan essentiel de la vie de l’enfant, voire déterminer son avenir à sa place.

Le questionnement sur le genre ne peut être délié de ceux sur la liberté, sur l’équité et sur l’adelphité. Isoler le genre comme un domaine de réflexion autonome, sans lien avec la réflexion sur la liberté, l’équité et l’adelphité, suppose que l’individu pourrait « penser » son genre, ou même le genre, indépendamment du contexte social, politique, ethnologique, philosophique, éthique et même économique. Ce n’est pas le cas, et ce n’est que par commodité qu’il est possible de parler du genre sans faire entrer une myriade de facteurs dans la discussion.
Il est évident qu’on ne peut pas non plus parler de tout à propos de quelque domaine que ce soit sans risquer de tomber dans l’idéologie, l’intolérance et… l’impuissance à changer le monde. Car tel est le but de cette remise en question d’une certaine conception genrée de l’enfance : changer le monde. Ne serait-ce que pour qu’il atteigne un niveau de tolérance qui rende la vie possible, ce qui n’est plus le cas pour tous les individus de cette planète. Parlons donc de la pédagogie qui voudrait ne pas genrer les enfants trop tôt, afin que ce soit eux-mêmes qui construisent leur genre.
Liberté, en premier lieu. Car poser le genre comme une part de l’identité de l’individu est une nécessité, et cette nécessité implique la liberté dans toutes ses dimensions : l’individu ne peut se « genrer » que dans la liberté. Elle est une condition à son choix mûri et réfléchi, et à la pleine expression de ses désirs. L’enfant comprend peu à peu son corps, découvre les différences avec d’autres corps, y compris le sexe biologique. Mais d’autres différences se font jour. L’enjeu est peut-être, dans cette compréhension des différences entre les individus, de conserver la possibilité de se construire en se comparant aussi aux autres.
La liberté de l’enfant, par rapport à la construction de son genre, se situerait dans cette possible comparaison sans que cela soit discriminant. L’enfant choisit alors son mode d’être au monde, sa position par rapport à un groupe, sa volonté de dominer, ou de ne pas être soumis, ou au contraire son inclination vers la soumission en croyant éviter la domination, et ainsi de suite.
Nous nous concentrons sur la construction du genre, mais celle-ci s’opère aussi dans les choix de l’enfant, depuis la possibilité de vouloir être dominant jusqu’à l’acceptation d’être soumis. Tel est bien l’idée émise par Beauvoir dans « On ne naît pas femme, on le devient » : c’est l’éducation qui amène les femmes à se soumettre aux hommes.
Pourquoi donc ce « choix » qui n’en est pas un, celui de la soumission, serait-il lié uniquement au sexe biologique ? S’il était vraiment libre, si les parents ne l’orientaient pas, l’enfant ne serait-il pas plutôt tourné vers le refus d’être dominé, le refus de se soumettre ? Pour cela, encore faut-il une pédagogie de la liberté, qui n’induise surtout pas l’idée qu’une femme est dominée et un homme dominant.
Équité, ensuite. L’enfant, dans ses choix fondamentaux pour le reste de sa vie, devrait constater une équité de traitement, quels que soient ses choix. Si certaines orientations sont ouvertement favorisées au détriment d’autres, alors, le petit garçon deviendra un homme, et la fille se soumettra, pour être conforme à ce que la société attend d’elle, à l’image de la gentille petite fille qui pleure et se fait jolie, etc., ce qui lui assure la tendresse intéressée du « premier sexe ». Pour éviter ce type de choix aliéné, encore faut-il que les parents, les adultes qui entourent l’enfant et notamment les éducateurs, tous les adultes en réalité, traitent filles et garçons de manière équitable.
Inutile de dire qu’en la matière, nous sommes très loin du compte. Ce qui implique que les parents doivent « retordre » la réalité dans le sens de l’équité de traitement. Il n’y a sans doute aucune recette prête à l’emploi pour réaliser cet objectif, mais il est certain que la prise de conscience de l’inéquité de traitement entre filles et garçons est essentielle, pour aller vers… l’équité et la travailler, en famille, en groupe, à tous les niveaux de la société.
Adelphité, enfin. L’adelphité évite le mot « fraternité », qui place les hommes en position exemplaire, et de sororité, concept à travers lequel ce sont les femmes qui sont l’exemple. En grec, adelphos désigne le frère et adelphê la sœur. Le terme d’adelphité implique ainsi une relation égalitaire entre sœurs et frères, entre hommes et femmes.

Il ne s’agit pas seulement de vocabulaire mais bien de dire, sans la moindre ambiguïté, qu’il y a équité, et en l’occurrence égalité parfaite, dans la possibilité de fonder une relation « adelphe » entre hommes et hommes, entre hommes et femmes, entre femmes et femmes, entre personnes binaires et non binaires, et que le genre ne devrait pas être un critère essentiel dans nos choix relationnels, tout en laissant la possibilité qu’il soit essentiel dans certains cas si les individu.e.s concerné.e.s le souhaitent.
Ainsi, l’adelphité ne suppose pas qu’il faille abolir les réunions non mixtes ni les imposer ; il y a des réunions mixtes et des réunions non mixtes ! « Adelphité » affirme juste qu’il y a égalité entre femmes et hommes, qu’il n’y a pas la moindre raison de privilégier un genre sur l’autre, un sexe sur l’autre, un type de relation sur un autre. L’adelphité comme objectif complète et donne tout leur sens à la liberté et à l’équité.
Liberté, équité, adelphité pourrait ainsi incarner une pédagogie non genrée, égalitariste, tournée vers l’avenir, positive dans la considération que les relations entre les individus, entre les groupes, entre les genres fonctionnent « tous azimuts », sans la moindre discrimination d’aucune sorte.
Les parents, ou les adultes qui prennent soin d’un enfant (éducatrices de jeunes enfants, éducateurs spécialisés, professeur.e.s des écoles, éducatrices sportives, etc.) ont une responsabilité fondamentale, que beaucoup peuvent avoir tendance à minorer : les principaux responsables d’un enfant seraient ses parents – ce qui est très logique mais pas certain à 100 % – ou alors les professeur.e.s – une confusion entretenue par l’intitulé même de leur ministère, « Éducation nationale », alors que ce dont il s’agit relève de l’« instruction publique »…

Nous constatons, dans notre société, une certaine propension à nous dégager des responsabilités en les transférant sur d’autres personnes, plus proches ou « plus qualifiées », peu importe le motif que nous inventons pour… nous rassurer. Or, le contexte dans lequel vit l’enfant est, dans son ensemble, essentiel dans la lutte contre le patriarcat, et la complexité de nous en libérer doit entrer en ligne de compte dans le processus de cette émancipation, chez l’enfant comme chez nous, adversaires résolu.e.s du patriarcat.
Ainsi, cette lutte pour s’envoler de la famille ou de l’institution où est placé l’enfant, lutte pour sa propre liberté, est rendue plus complexe du fait que les adultes ne sont souvent pas assez conscients de leur rôle et ne savent pas se situer dans la constellation éducative qui gravite autour de l’enfant. Si certains adultes jouent un rôle majeur dans cette constellation, cela ne signifie pas pour autant que d’autres adultes, plus éloignés du centre, de l’enfant, n’aient pas eux aussi une importance qui peut être cruciale à certains moments.
Le docteur Louis Le Guillant écrivait, en conclusion de Jeunes « difficiles » ou temps difficiles ? :
« L’adulte ne peut se contenter de poser des problèmes aux enfants et aux adolescents. Il doit aussi les résoudre. Sans quoi, je le crains, ni son ‘‘amour de la jeunesse’’, ni son savoir n’en feront tout à fait l’éducateur dont ils ont besoin. Est-il besoin de dire que cet éducateur ‘‘existant’’ et engagé doit se garder d’imposer et même de proposer avec trop d’insistance – ou de séduction – ses façons de voir et d’agir, qu’il doit connaître et respecter l’individualité des jeunes êtres qui lui sont confiés. Pendant longtemps encore, les attraits et les dangers de la domination menaceront les hommes 2. »
Le contexte – situations et personnages qui forment la constellation éducative – est sous-estimé dans la plupart des visions actuelles, qu’elles soient essentialistes ou relativistes.
Selon les visions essentialistes, en effet, les filles sont ainsi et les garçons comme ça ; il est inutile de chercher à modifier la réalité, et d’ailleurs, la société fonctionne avec des filles qui se transforment en femmes et des garçons qui deviennent des hommes. Les défenseurs de ce type de raisonnement – dont nous doutons pour notre part que cela relève de la raison ou même de la simple observation, car il ne s’agit que d’un confort de la pensée, ou plutôt du « non penser » – ne pourront jamais participer à l’évolution de la société, et encore moins aller vers l’émancipation des groupes, des individus, de l’humanité dans son ensemble.
Quant aux visions relativistes, elles nous ramènent à l’impuissance en affirmant que tous les individus sont différents – ce qui est vrai, par définition ! – et qu’il est donc impossible de tracer un programme général ; dans ce type de raisonnement apolitique, il est toujours supposé que « général » signifie « standard » et que tout programme d’action est donc forcément normatif.
La réalité se situe en dehors de ces deux visions : ni essence ni hasard de la naissance, mais « vérité » de l’éducation, du rôle des éducateurs, et plus généralement du type de transmission qui se joue pour tous les êtres humains et chacun en particulier. La pédagogie joue un rôle cardinal. Selon le type d’observation et de transmission qui se déroule entre les générations, les enfants seront normés ou pas, sauront ou non se révolter, deviendront ou pas autonomes…
Contre la norme, dans les diverses rébellions possibles, dans la recherche de cette autonomie si difficile à conquérir, se jouent toutes les questions fondamentales du genre et les positions politiques de l’individu devenant peu à peu adulte.
Il semble paradoxal que dans une société comme la nôtre, prétendument libérale voire libérée, les prédispositions du jeune enfant soient à ce point contrariées que nous subissons encore le patriarcat et la domination de la violence, de la bêtise et de la norme. En effet, les tout-petits et les jeunes enfants sont biologiquement orientés vers la coopération, et même l’empathie vers les plus faibles. De nombreuses expériences, depuis la fin du siècle précédent, montrent en effet que les tout-petits se placent du côté de ceux qui sont maltraités, qui sont dans les problèmes, qui ont besoin de notre aide et de notre solidarité 3.

Les rapports humains « automatiques », ceux qui seraient forcément majoritaires dans l’espèce humaine si le contexte pouvait être neutre, sont ainsi marqués par l’entraide plutôt que l’affrontement, et par la considération pour l’autre plutôt que la volonté de l’asservir. Certes, cette affirmation reste abstraite. Cependant, son intérêt ici est de constater que le choix d’une éducation « non genrée » est le plus logique, le plus évident, le plus positif pour l’enfant, puisqu’une éducation non genrée correspond précisément et profondément à ce que pensent et vivent les enfants : non-domination et refus de l’asservissement ou de l’humiliation. Or la hiérarchie des genres est une forme de domination, d’asservissement, voire d’humiliation.
L’éducation que reçoivent la plupart des enfants et qui les conditionne à ces rapports de domination et de soumission s’inscrit à contresens des premières expériences des tout-petits et des jeunes enfants. Elle constitue une forme de distorsion de l’esprit et des réflexions des jeunes êtres humains, pour les orienter à toute force vers de prétendues valeurs qui ne sont pas les leurs à la naissance. Caractériser ainsi l’éducation reçue comme responsable principale des processus de domination genrée, donc du patriarcat, est une étape fondamentale dans toute entreprise d’émancipation. Ses conséquences sont nombreuses.
« c’est l’ensemble de l’éducation qui doit être remis en question, en famille, à l’école, à tous les niveaux de la société ».
Tout d’abord, c’est l’ensemble de l’éducation qui doit être remis en question, en famille, à l’école, à tous les niveaux de la société. Ensuite, il est possible à des parents ou des adultes d’élever des enfants en dehors des processus patriarcaux du moment qu’ils ont pris conscience du fonctionnement des oppressions de genre et qu’ils peuvent influer sur le contexte de l’enfant. Enfin, dans une constellation éducative, certains éléments jouent un rôle négatif ; et il est important de les identifier et de faire en sorte que l’enfant ou l’adolescent s’en détache.
Ces processus émancipateurs se mettent en place en fonction d’axes d’accompagnement de l’enfant, qui sont des valeurs à proprement parler : des certitudes qui charpentent le processus d’émancipation lui-même. Ces valeurs sont principalement la liberté, l’équité et l’adelphité. Bien entendu, chaque famille, chaque constellation éducative, en ajoute d’autres, l’important étant que ces autres valeurs, ces autres axes éducatifs, n’entrent pas en contradiction avec ces trois piliers indispensables, selon nous, à une éducation non genrée et émancipatrice.
Soulignons cependant la nécessité de ne pas imposer ces valeurs lors de processus autoritaires – ce qui reviendrait à les nier. C’est ce que proposait Gérard Mendel : « Est Valeur à notre sens seulement ce que la progression du déconditionnement à l’Autorité aura permis d’asseoir collectivement 4. » Une valeur imposée par la force n’est pas une valeur sociale, opérante ; elle n’est qu’un cadre rigide que tout individu en recherche d’émancipation voudra fissurer ou briser pour s’en échapper.
Quant aux adultes qui ne veulent pas reproduire le cercle infernal du patriarcat, ils se trouvent dans la meilleure situation possible : des enfants à accompagner depuis leur naissance qui n’ont pas, dans leurs gènes, la volonté de dominer ou de se soumettre ; la certitude des dispositions biologiques et sociales de l’enfant pour l’émancipation, la découverte du monde, l’exubérance de la vie, à l’inverse de tout processus d’oppression ; la possibilité de cultiver ses valeurs afin de faire progresser le déconditionnement au contexte autoritaire et répressif, et d’asseoir collectivement, avec d’autres enfants et d’autres adultes, ces valeurs qui sont la base d’une éducation non genrée. Contre le patriarcat, l’aliénation, la soumission et la domination.
L’enfant, à sa naissance, tisse une alliance avec les adultes qui l’entourent et veillent sur lui, à commencer par sa mère qui devient ainsi la figure d’attachement primaire. On peut penser que l’enfant est contraint de faire alliance avec ceux qui lui prodiguent des soins, mais on peut aussi estimer que c’est l’inverse et que, loin d’être une contrainte, c’est un souhait profondément enraciné dans l’être humain : l’alliance avec ceux qui nous entourent est la manière la plus humaine et la plus évidente de vivre pleinement notre vie d’êtres humains, quel que soit notre genre.
En effet, il se construit entre l’enfant et sa ou ses figures d’attachement principales un lien qui doit être analysé. Ce n’est pas un lien qui emprisonne mais bien un lien qui libère car l’enfant comme ses figures d’attachement vivent en symbiose (au sens étymologique, ils « vivent ensemble »). Ce qui se joue entre eux n’est pas une relation d’autorité mais une relation d’alliance, et ce fait est essentiel. Les premiers muscles qui, chez l’enfant, deviennent « adultes » sont ceux qui permettent de maintenir les globes oculaires fixes, parce que ce n’est que par le regard que le tout-petit peut signifier du lien, lui qui ne peut encore se mouvoir seul, et encore moins parler pour exprimer des pensées complexes.

Dès sa naissance, l’enfant joue une partition dans la constellation d’éducateurs qui se penche sur lui ; cela aboutit à ce qu’il les accepte, se lie à eux, dans une relation qui est de confiance, de considération, d’entraide mutuelle, d’harmonie au sens musical du terme comme au sens banal. Nulle part dans cette relation ou ces relations nous ne trouvons trace d’autorité, car personne n’a autorité sur qui que ce soit, ni au sens d’authority, l’autorité constituée, formelle, ni à celui de leadership, l’autorité morale ou psychosociale. C’est une relation d’une autre nature qui se crée spontanément, et qui est déconditionnée à l’autorité.
Cela renvoie aussi à la notion d’« accompagnement », car ce terme a, parmi ses divers sens, celui d’accompagnement musical : dans une pièce musicale, certains instruments jouent à certains moments la partie principale, tandis que d’autres sont dans l’accompagnement. Ainsi, nous constatons là encore que ce n’est pas une affaire d’autorité, mais bien d’alliance, ou d’harmonie, pour suivre la métaphore musicale, à l’inverse de ce qu’est, au fond, le patriarcat qui oblige à suivre le chef d’orchestre et interdit de tenter une sérénade autonome !
Le déconditionnement à l’autorité est donc inné. Biologiquement humain, pourrait-on dire : l’être humain naît sans rapport d’autorité inscrit en lui. Bien entendu, cela ne dure pas longtemps, car bientôt, les parents, la famille élargie, l’école surtout ont le pouvoir et ressentent même souvent le devoir d’instiller un tel rapport autoritaire, patriarcal, aliénant. Pas partout cependant, pas tous les parents, pas toutes les éducatrices ou éducateurs. Or, il est fondamental que le rapport inné entre les êtres humains ne soit pas d’autorité, mais d’alliance. D’où la nécessité de retrouver, partout où nous le pouvons, ce rapport entre nous, déconditionné au pouvoir : l’autorité n’est pas une valeur ; l’alliance avec l’univers, oui !
Dans la famille, dans les lieux d’éducation, les adultes peuvent repousser l’idée d’une éducation genrée, dans la mesure où il s’agit de refuser toute éducation oppressive et aliénante. Les progrès, dans les milieux éducatifs, de la prise de conscience antipatriarcale peuvent laisser espérer que parents et éducateurs sont de plus en plus nombreux à considérer le virilisme comme un désastre. Ils sont, certes, encore à l’heure actuelle, plutôt minoritaires. Il s’agit donc plutôt d’initier un processus cyclique vertueux, en convainquant parents et éducateurs qu’une éducation non genrée est possible, souhaitable pour les enfants, quel que soit leur sexe biologique.
Reste à mener le combat. Ensemble ? La question a déjà été posée, à de très nombreuses reprises, et a reçu de multiples réponses. Lorsque les Afro Américains luttaient pour la reconnaissance de leurs droits civiques, l’une des questions centrales et quotidiennes de leur lutte était de savoir la part que pouvaient prendre les Blancs – ou qu’ils ne devaient surtout pas prendre. De même, dans les luttes pour l’équité dans le traitement des genres, contre les discriminations sexistes de toutes natures, la question de la mixité ou de la non mixité de la lutte peut se poser – ou se pose parfois de manière impérative.
« L’important est de ne surtout pas donner de recette ».
L’important est de ne surtout pas donner de recette. Au fil du temps, et sur la base de la cohérence fondamentale d’une pédagogie non genrée avec la recherche de son émancipation par l’individu qui grandit, ce qui sera utile pour atteindre ce résultat s’imposera au long du processus. D’autant que nous ne pouvons déterminer d’avance et arbitrairement la moindre valeur. Il s’agissait juste ici de montrer la cohérence profonde, qui fait sens politiquement, entre l’émancipation des individus et la possibilité d’une éducation non genrée.
Une attention particulière restera cependant nécessaire pour éviter que les garçons prennent le pouvoir dans ce combat qui peut être commun et partagé. Car la soif de pouvoir est, fondamentalement, l’ennemi à abattre.*
Un « même » combat n’est pas un combat où les oppressions particulières, contre les filles qui en subissent davantage sans le moindre doute, sont oubliées, gommées ou minorées, bien au contraire. Il s’agit et s’agira toujours, à l’inverse, de prendre ces oppressions comme base pour collectiviser le combat, élargir à toutes les oppressions en montrant leur caractère systémique et pas seulement conjoncturel.
Le patriarcat est une structure sociale. Il fait système. Lutter contre l’oppression particulière des filles, lutter contre les tendances machistes à considérer les hommes comme plus aptes à telle ou telle tâche, lutter contre toutes les formes du patriarcat… implique de lutter contre l’oppression tout court. Contre toutes les formes qu’elle revêt, dont le patriarcat est l’une des plus criantes et des plus fondamentales.
« La liberté des filles prolonge celle des garçons ! »
Les garçons ont en réalité, comme les filles, tout à gagner à un monde émancipé dans lequel les idées de domination/soumission seront mortes de notre lutte commune contre l’oppression, pour l’émancipation, l’alliance, la liberté, l’équité, l’adelphité. Pour paraphraser Bakounine et pour en finir avec la doxa patriarcale qui ne voit que l’oppression des filles comme condition de la domination des garçons : « La liberté des filles prolonge celle des garçons ! »
– Philippe Godard*
* Contact : philippe.godard@autistici.org
Illustration d’entête @Pavel Danilyuk/Pexels
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Renard polaire
Ils arrivent sans prévenir, mais leur son résonne fort. Le nouveau groupe Kazaya vient de sortir un chanson de hip-hop/funk écolo jamais vue : Extreme Hot Trip ! Embarquons dans le vaisseau de cet ovni musical, direction notre planète en surchauffe. Interview aussi délurée qu’urgente. Mené par Elsa Davoine et Hadi Rassi (Ami des lobbies), […]
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Mené par Elsa Davoine et Hadi Rassi (Ami des lobbies), le nouveau groupe Kazaya joue la carte de la parodie pour alerter autant que pour rassembler autour de problématiques sociétales bien connues. Résultat ? Extreme Hot Trip, un premier titre éponyme aussi surprenant que précis.
« la musique est le vecteur idéal, car c’est un art qui touche tout le monde. »
Une démarche née d’une complicité artistique ancienne. « En 2017, nous avons monté la série The Krapules. Elle évoquait déjà les thématiques de l’environnement, l’évasion fiscale, le néo-colonialisme ou encore la fabrication des jouets… Kazaya s’est naturellement inscrit comme une sorte de continuité », introduit Elsa.
« On faisait déjà de la musique tous les deux, sans pour autant avoir porté un projet aussi loin » poursuit Hadi. « On souhaitait parler de ce qui nous remue, et on s’est dit que la musique était le vecteur idéal, car c’est un art qui touche tout le monde. »
Dans ce tout premier clip, le duo incarne un couple, le Voyageur et la Voyageuse, projeté en 2050 à bord d’une capsule touristique, sur les restes fumants de notre planète. Rencontre faussement légère avec ce binôme du troisième type, entre présent et futur, humour et lucidité…

Le Voyageur : « Ma foi, il se porte très bien ! Il a toujours été très fort dans la création de joujoux. Après Space X, c’est lui qui a eu l’idée de génie de créer Extreme Hot Trip, surfant sur les catastrophes climatiques ! De ce qu’on en sait, l’industrie est fleurissante, même s’il ne reste que peu de milliardaires pour en profiter. Dommage qu’en parallèle, son programme sur Mars n’ait pas marché. Il a réalisé seulement sur place qu’il n’arrivait pas à respirer… C’est bête, c’était une riche idée. »
Elsa : « À l’instar de The Krapules ou d’Ami des lobbies, Kazaya se positionne toujours dans l’humour et la prise de recul. L’environnement y est une thématique cruciale, car elle concerne toutes les couches de la société. Même les ultra-riches, qui se sentent protégés, devraient comprendre qu’ils finiront par subir les conséquences de son dérèglement… »
« Avec Kazaya, parler d’environnement s’est révélé être une évidence. C’est un sujet à la fois vaste et complexe qu’on a essayé d’aborder de façon simple, car il touche tout le monde. »

Hadi : « J’ai toujours été attiré par l’art engagé, ça me pulse, mais j’aime aussi la légèreté et ce que l’humour peut porter en terme de réflexion. L’art est un prolongement de la vie, j’aime l’utiliser pour porter les questions qui bouillonnent en moi… Je trouve cela étrange qu’on puisse reprocher aux artistes de s’engager, car c’est justement un moyen de défendre nos valeurs en touchant du monde. Avec Kazaya, parler d’environnement s’est révélé être une évidence. C’est un sujet à la fois vaste et complexe qu’on a essayé d’aborder de façon simple, car il touche tout le monde. »
La Voyageuse : « Récemment, nous avons appris que Trump s’est fait greffer des bras et jambes bioniques, et s’est fait numérisé le deuxième hémisphère de son cerveau ! Bon, il s’avère que du coup, il s’est fait hacker et qu’on l’a retrouvé il y a quelques jours en train d’embrasser un afro-américain… Mais à part ça, oui, il est en pleine forme ! »
Le Voyageur : « Personnellement, j’adore Donald. Il a bien fait de s’attaquer aux Parcs Nationaux. Soyons honnêtes : ils ne servent pas à grand-chose. Et, économiquement parlant, ils n’ont rien de viables. D’ailleurs, on s’est dit qu‘il pourrait les remplacer par des forêts de data centers ! Ce serait tellement beau, avec des petites LED qui brillent de partout…

Sans doute aussi beau que New York. Sous l’eau, la ville est tellement plus intéressante qu’avant. Nous avons pu embrasser la Statue de la Liberté, nous l’avons même taguée avec nos noms ! Quel souvenir merveilleux. En effet, maintenant que les États-Unis ont effacé toute trace des autochtones, des Afro-américains, des gays et des femmes – enfin, sauf celles qui servent de reproductrices – c’est quand même beaucoup plus agréable à visiter… »
« Personnellement, je suis pour la propreté. Je me lave trois fois par jour »
La Voyageuse : « Personnellement, je suis pour la propreté. Je me lave trois fois par jour, j’ai toujours avec moi mon dressing portable, je considère que c’est essentiel d’être propre. Quant au fait de dire que les enfants sont des esclaves, c’est un peu poussif : à cet âge-là on a de l’énergie à revendre. Et c’est toujours mieux que de les laisser traîner dans les rues ! »
Le Voyageur : « Je pense que le plus important quand on part en vacances, c’est quand même le confort et le bien-être. C’est la base pour profiter d’un beau voyage… On ne peut pas se remettre en question sur tout, sinon, on ne fait plus rien ! On est en 2050, on sait que c’est foutu, les enfants aussi… Esclaves ou non, ça ne change pas grand chose à leur avenir. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous avons passé un très beau séjour, et ça, c’est l’essentiel. »

Elsa : « Oui, clairement. Il existe d’autres moyens de lutter, comme la recherche, le journalisme, les documentaires… Toutefois, dans une époque où nous subissons la montée du climatoscepticisme, du repli sur soi et du fascisme, les gens ont besoin de se détendre, de se défouler, et de trouver des moments pour rire face à l’éco-anxiété. C’est important d’offrir ces moments de fête, et de pouvoir rire collectivement. C’est pour cela que nous avons fait le choix de l’humour. »
« Quand des régimes fascistes arrivent au pouvoir, la culture est l’un des premiers domaines touchés. »

Hadi : « La culture en général est une arme contre l’obscurantisme. Quand des régimes fascistes arrivent au pouvoir, la culture est l’un des premiers domaines touchés car elle fait preuve d’humanisme, permet de débunker les fake news… La musique comme l’humour sont des moyens de faire passer des messages. Je le constate aussi dans les festivals où je suis invité : nous y venons en tant que militants, mais essayons aussi de faire la fête.
L’humour est essentiel pour se battre, c’est une arme très puissante, et probablement plus utile que de montrer du doigt. Ce n’est pas un hasard si quand Bolloré est arrivé chez Canal +, il a fait disparaître Les Guignols… »
Elsa : « En cela, il nous a semblé important d’utiliser des costumes colorés, sur un clip léger. Quant au funk et hip-hop, ce sont par essence des musiques contestataires, nées de couches sociales défavorisées qui subliment leurs difficultés par la joie. Saisir notre pouvoir d’action par la musique et la danse, c’est un moyen de le partager, pour faire face ensemble.
« Kazaya s’est inspiré des années 1970, qui marquent une prise de conscience populaire »
L’écologie n’est pas nécessairement punitive. Kazaya s’est inspiré des années 1970, qui marquent une prise de conscience populaire : il y avait alors de l’espoir, l’envie de construire des choses nouvelles, autour d’un élan joyeux et imaginatif. Je suis persuadée qu’on peut retrouver cet élan là !
D’ailleurs, l’usage du fond blanc dans notre clip est symbolique : il connote à la fois une société hyper high-tech, stérilisée, mais aussi l’image d’une page blanche à écrire, d’un futur qui n’est pas encore là et sur lequel nous pouvons agir. »
Le Voyageur : « En réalité, nous avons au départ hésité entre la Tasmanie et l’Amazonie. Extreme Hot Trip sélectionne des séjours avec plusieurs alternatives, uniquement autour de villes et de lieux ayant subi le réchauffement climatique. Par exemple, un pays touché par la sécheresse proposera du quad, un autre touché par les pluies torrentielles offrira des visites en deltaplane… On peut surfer dans un lieu ayant subi un tsunami, plonger dans un autre recouvert par la montée des eaux…
En ce qui nous concerne, nous avons trouvé les feux de forêt magnifiques ! Et finalement, la Tasmanie s’est imposée par défaut toutefois car l’Amazonie n’est plus à la carte. En fait, il s’avère que Bolsonaro a aussi pris du Composé V… et a rasé l’Amazonie. Se déplacer pour simplement y faire trois petits sauts, on n’y a pas trouvé d’intérêt… Finalement, aller en Tasmanie était un bon calcul avant que la région ne disparaisse à son tour. »

La Voyageuse : « Nous avons pensé faire une chanson sur le diable de Tasmanie. C’est vraiment trop mignon ! On en a croisé un lors de notre voyage, qui est un peu devenu notre mascotte. On aurait bien aimé le rapporter chez nous pour le relooker… »
Le Voyageur : « Cependant, faire une chanson sur un animal carbonisé, on s’est dit que ça ne plairait pas tant que ça, finalement. Par la suite, nous avons pensé écrire sur un arbre en feu. C’est tellement beau, un arbre en feu ! Mais il faut le voir en vrai pour comprendre. Alors, à défaut d’un projet précis, nous continuons d’explorer la question de la biodiservi… Biovidersi… Enfin, le concept de préservation de la nature. »
Hadi : « Nous allons continuer l’aventure Kazaya avec pour objectif la réalisation d’un EP de 5/6 titres. Avant cela, nous souhaitons d’abord travailler sur un triptyque, qui inclura Extreme Hot Trip.

Nous allons également poursuivre notre travail sur scène, Kazaya ayant déjà pu se produire dans différents festivals comme Les Résistantes, avec nos costumes, une mise en scène élaborée, une chorégraphie… Extreme Hot Trip devient alors une chanson qui s’étend sur 15 minutes, durant lesquelles nous faisons participer le public. À terme, nous imaginons un spectacle de 45min à 1h, prêt pour 2026...»
D’ici-là, c’est-à-dire 2026 comme 2050, Mr Mondialisation remercie chaleureusement Kazaya d’avoir joué à merveille le jeu de notre entretien spatio-temporel.
– Entretien réalisé par Marie Waclaw
Source image d’en-tête : ©Nebularts
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29.10.2025 à 05:00
Mr M.
Images choc, documentaires percutants ou expériences bouleversantes… Nombreux sont ceux qui rapportent avoir vécu ce fameux « déclic », les amenant à prendre conscience des enjeux environnementaux. Largement ancré dans nos imaginaires, le scénario du « choc, puis de l’épiphanie conduisant soudainement à un changement de mode de vie » n’est pourtant pas si fréquent […]
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Les stratégies de sensibilisation des acteurs de l’environnement – associations, ONG et même des acteurs publics – ne tendent qu’à une chose : le passage à l’action. À coup de slogans percutants, ils espèrent provoquer ce fameux « déclic », celui qui ne nous fera plus jamais voir les choses de la même manière, celui qui provoque un vrai changement de comportement au quotidien : devenir végétarien, réduire ses déchets ou encore laisser la voiture au garage le temps d’un aller-retour en vélo… Et au delà des écogestes, s’engager vers le militantisme pour une écologie politique.

Derrière cette rhétorique du déclic, qu’est-ce qui nous pousse véritablement à nous engager, ou pas, en faveur de l’environnement ? Ne s’agit-il que d’une simple question de prise de conscience, voire de bonne volonté ?
C’est dans le cadre de sa thèse que Maxence Mautray, jeune chercheur en sociologie de l’environnement à l’Université de Bordeaux (France), s’est posé la question. Il a alors recueilli le témoignage d’une centaine de ménages, « aux profils (genre et âge) et conditions de vie (revenu, statut familial, type d’habitat, etc.) très variés », ciblés par une politique locale de réduction des déchets ménagers.
Pourquoi certains d’entre eux se montrent-ils plus enclins à adopter les écogestes recommandés que d’autres ? Pour Hélène, vétérinaire de 41 ans dans la région, la réponse est simple : « Moi, je pense que les gens ne font pas d’efforts. Je pense qu’il faudrait avoir des messages un peu choc, pour qu’ils prennent conscience du changement climatique ».
Si ce discours est largement répandu, il doit cependant être nuancé, prévient le chercheur dans un article du journal scientifique The Conversation. L’engagement dans la réduction de ses déchets domestiques résulte plutôt d’un « processus diffus dans le temps, face auquel nous ne sommes pas tous égaux ». Loin d’être une question de simple motivation, l’adoption pérenne de pratiques écologiques dépend surtout de la position sociale des individus, de leurs routines et des contraintes liées à leurs conditions de vie.
Si une expérience ou un événement marquant peut être vécu comme un déclic par certains, « il est cependant bien plus la conclusion, plutôt que le point de départ, d’un cheminement individuel vers l’adoption de pratiques écologiques au quotidien », explique Maxence Mautray.
« Ce processus, menant à une plus forte sensibilité environnementale, n’est effectivement pas qu’une question de motivation, car il est fortement influencé par des variables sociologiques, notamment le genre, l’âge et le niveau de diplôme ».
Cette vision du déclic individuel est également remise en question par la journaliste Victoria Berni-André dans son ouvrage Vivant·es et dignes – Des petits gestes à l’écologie politique, où elle souligne que l’engagement écologiste est souvent le fruit d’un cheminement collectif et contextuel, plutôt que d’une révélation personnelle soudaine.

Près d’une moitié (44%) des femmes interrogées se disent par exemple « très sensibles à l’environnement », contre 38% des hommes. Alors que 49% des plus jeunes répondants (18-29 ans) estiment l’être également, seuls 30% des personnes de 75 ans ou plus optent pour cette réponse, « le pourcentage diminuant à mesure que l’âge augmente ».
Le niveau d’éducation semble également déterminant : 53% des personnes ayant obtenu un master ou un doctorat se classent dans la catégorie « très sensibles à l’environnement », contre 35% pour les répondants ne possédant aucun diplôme. Pourtant, certains ne perçoivent pas toujours le rôle majeur joué par leur capital économique, culturel et social dans leur engagement. « Ma formation, c’est un master environnement et développement durable et mon mari est chargé d’un service environnement. Donc on a toujours fait attention à l’environnement. Mais moi, le truc vraiment déclencheur, ça a été le film Demain », explique Sandrine lors d’un entretien.
Au-delà de ces facteurs, les conditions de vie des citoyens jouent aussi un rôle déterminant dans la mise en pratique de leur sensibilité écologique. « Aussi, en restant sur la question des déchets, composter en appartement est plus complexe qu’en maison avec jardin. Acheter en vrac demande parfois de se déplacer dans plusieurs commerces et d’allouer un plus grand budget aux courses », illustre le chercheur dans The Conversation. En plus de l’âge, du genre et du niveau de diplôme, « le pouvoir d’achat et la mobilité sont donc des facteurs structurels importants dans l’adoption de pratiques écologiques ». L’engagement est aussi parfois une simple question d’étiquette : est-on écolo ou d’abord économe ?
« Si les ménages précaires semblent se dire moins sensibles à l’environnement que les autres, l’observation de leurs pratiques de consommation et de vie met en lumière des modes de vie sobres, bien que non choisis ».
Ainsi, nombreux sont les ménages qui adoptent sans le définir comme tel, des gestes « bons pour la planète » : achats de seconde main, déplacements en transport en commun, tourisme local ou réparation des objets du quotidien. Un autre exemple est celui du gaspillage alimentaire. Chez Daniel, 58 ans et en recherche d’emploi, « les restes, on les mange ». Pas question de gaspiller. « J’ai pas les moyens de faire des courses tous les jours et de jeter ». Cet exemple illustre les propos de Victoria Berni-André, qui dans Vivant·es et dignes, évoque comment les pratiques écologiques des personnes précaires sont souvent invisibilisées.
Finalement, « les classes moyennes supérieures et aisées se montrent ainsi plus enclines à adopter le zéro déchet, dans sa forme promue par l’institution étudiée. Pour autant, les classes modestes ne semblent pas dénuées de considérations écologiques concernant les déchets, mais en appellent à des univers de références différents, ce qui les étiquète comme des individus à »éduquer » en priorité », alors que paradoxalement, elles en font souvent déjà plus que bien d’autres.

Ici, la question des inégalités sociales et du sentiment d’injustice qu’elles génèrent dans la population prend tout son sens devant les « efforts » à faire pour le climat. « Selon les usagers rencontrés, l’application uniforme du principe du pollueur-payeur aux déchets est inadaptée, dans la mesure où les ménages ont conscience d’être bien moins pollueurs que d’autres acteurs auxquels ils se comparent, comme les industries ou les grandes fortunes, par exemple ».
Si sensibiliser les individus aux enjeux climatique reste incontournable, il s’agit plutôt « de relativiser une forme spécifique de sensibilisation basée sur le déclic individuel comme point de départ de l’engagement écologique ». Pour le chercheur, « prioriser la mise en capacité d’agir et la valorisation des bonnes pratiques déjà en cours chez les ménages », y compris des plus précaires, semble plus pertinent dans un contexte d’inégalités sociales et environnementales criantes.

Finalement, cette étude pointe en filigrane le poids des mots et des discours dans l’argumentaire écologiste. Est-il réellement inclusif ? Qui convainc-t-on (vraiment) lorsqu’on parle d’environnement ? Dans Vivant·es et dignes, la journaliste Victoria Berni-André critique d’ailleurs l’approche individualiste de l’écologie par les petits gestes, soulignant que de telles stratégies peuvent occulter les dimensions sociales et politiques de l’engagement écologiste. Elle soulève la question de l’inclusivité dans les discours écologistes et plaide pour une écologie qui prenne en compte les réalités vécues de toutes et tous, en particulier les plus marginalisé·es.
– Aure Gemiot
Photo de couverture par David de Pixabay
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Mr M.
Si le chauffage au bois semble écologique à échelle individuelle, sa popularité le rend moins vert qu’on ne le croit… En effet, à dimension industrielle, le bois peut polluer ! Explications. Depuis la flambée des prix du gaz (+11,7% en juillet 2024 et +4,38% en janvier 2025) et de l’électricité ces dernières années avec une […]
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Depuis la flambée des prix du gaz (+11,7% en juillet 2024 et +4,38% en janvier 2025) et de l’électricité ces dernières années avec une hausse de 137,17% entre 2007 et 2024, le chauffage au bois connaît un regain spectaculaire, vanté comme la solution miracle pour une transition énergétique « verte ». En France, plus de 7,5 millions de foyers en sont équipés selon l’ADEME, et la filière bois bénéficie d’un soutien public massif, avec diverses aides de l’État comme le fonds Air-bois, le coup de pouce chauffage ou la prime Rénov’.
Mais derrière cette image rassurante se cache une réalité bien plus sombre, faite de déforestation, de pollution, de spéculation et d’exploitation industrielle des forêts primaires à l’autre bout du monde. Derrière la flamme, un désastre écologique et social souvent ignoré, qu’on pourrait presque qualifier de greenwashing. Enquête sur une filière qui, sous couvert d’écologie, détruit des écosystèmes.
Depuis le Grenelle de l’environnement, le bois-énergie est présenté comme « neutre en carbone : le CO₂ émis lors de la combustion serait compensé par celui absorbé lors de la croissance des arbres. Ce principe, martelé par l’ADEME, la filière bois et la Commission européenne, a permis au bois d’être classé comme énergie renouvelable. Résultat : la France a fait du bois la première source d’énergie renouvelable du pays, représentant plus de 33 % de la production d’énergie renouvelable nationale.
Mais cette équation est trompeuse. Le collectif scientifique EASAC (European Academies Science Advisory Council) a démontré dès 2018 que brûler du bois libère instantanément le carbone stocké, alors que la replantation et la croissance d’un arbre prennent des décennies, voire des siècles. L’EASAC insiste également sur la notion de carbon payback period : le temps nécessaire pour que la repousse des arbres compense le CO₂ émis lors de la combustion. Ce délai est souvent bien plus long que ce que les politiques climatiques exigent pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris.
Pire, un article du Monde, L’énergie tirée des forêts polluerait plus que le charbon, estime que la combustion de biomasse forestière émet en réalité plus de CO₂ par unité d’énergie produite que le charbon ou le gaz, à cause de la faible densité énergétique du bois et de l’humidité résiduelle. Les conclusions d’un nouveau rapport de Greenpeace Canada, intitulé De la biomasse à la biomascarade, sont sans appel : la ruée vers l’or vert est néfaste autant pour les forêts que pour le climat.
Comme le rappelle Axel Richard, chargé de mission « bois domestique » pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), dans un article de Vert :
À cela s’ajoute le « cycle de vie du chauffage au bois dans son ensemble, il ne faut pas oublier l’énergie utilisée pour fabriquer les appareils, transporter le bois, traiter et recycler les déchets »
Le chauffage au bois est tellement à la mode qu’il a un véritable impact sur les écosystèmes, que ce soit dans les forêts primaires d’Amérique du Nord, de Russie, d’Europe de l’Est ou d’Asie du Sud-Est. Et pour répondre à la demande européenne et asiatique, des millions de tonnes de granulés sont importées chaque année.
En France, près de 30 % des granulés consommés proviennent déjà de l’étranger selon Inter-pellet. Au Royaume-Uni, la centrale de Drax, l’une des plus grandes d’Europe, brûle chaque année plus de 7,5 millions de tonnes de pellets, importés en grande partie des États-Unis et du Canada, selon l’ONG Biofuelwatch.
Un rapport de l’ONG américaine Natural Resources Defense Council (NRDC) publié en 2023 dénonce la destruction massive des forêts anciennes du sud des États-Unis, abritant des écosystèmes uniques. Les images satellites montrent des coupes rases sur des milliers d’hectares, remplacées par des plantations industrielles pauvres en biodiversité. Même constat en Estonie et en Lettonie, où les forêts primaires sont livrées à l’industrie du granulé, comme l’a révélé une enquête du Guardian en 2022.

En Indonésie, la situation est dramatique. Selon un rapport d’Auriga et Earth Insight (2024), la production de biomasse pour l’exportation a multiplié la pression sur les forêts tropicales, déjà ravagées par l’huile de palme. Des millions d’hectares de forêts riches en biodiversité sont convertis en plantations de bois-énergie, mettant en péril les populations locales et la faune endémique, comme les orangs-outans ou les tigres de Sumatra, augmentant ainsi leur risque d’extinction. Le rapport souligne que plus de la moitié des concessions destinées à la production de biomasse se trouvent dans des zones abritant ces espèces menacées.
À Bornéo, selon un article de Reporterre une communauté autochtone a dû quitter ses terres sacrées pour qu’une multinationale fabrique des granulés de bois, et exporte vers… la France. Heureusement, sur place, des associations de protection de la biodiversité résistent. C’est le cas de Kalaweit, qui ne baisse pas les bras face à l’acharnement des gouvernements et entreprises à détruire les écosystèmes naturels.
Vendu avec une image d’Épinal, le chauffage au bois, loin d’être inoffensif, est l’une des principales sources de pollution de l’air en hiver dans les zones urbaines et rurales.
La combustion du bois domestique représente une source majeure d’émissions de particules fines (PM2,5 et PM10) en France. Selon les données du CITEPA (Centre Interprofessionnel Technique d’Études de la Pollution Atmosphérique), le secteur résidentiel est le premier émetteur des PM10 et PM2,5 en France (respectivement 34% et 53% en 2018), dont la quasi-totalité provient de la combustion des appareils de chauffage.
En Île-de-France, le chauffage au bois est responsable de 87 % des émissions de PM2,5 du secteur résidentiel, qui lui-même représente 54 % des émissions totales de PM2,5 dans la région, selon l’étude de DRIEAT IDF. Les PM2,5, plus petites, pénètrent profondément dans les poumons et la circulation sanguine, augmentant les risques graves, tandis que les PM10 irritent surtout les voies respiratoires supérieures, provoquant maladies respiratoires, cardiovasculaires et cancers.
Selon une étude de Santé publique France en 2025, entre 12 000 et 78 000 nouveaux cas de maladies chroniques (respiratoires, cardiovasculaires, métaboliques) chez les adultes sont attribuables annuellement à l’exposition aux particules fines, dont une part provient du chauffage au bois. Les effets sont particulièrement graves chez les enfants, les personnes âgées et les personnes déjà malades chroniques.
Les pics de pollution aux particules fines observés lors des vagues de froid sont directement corrélés à l’utilisation massive des poêles et cheminées, souvent anciens et mal entretenus, à l’inverse des équipements modernes qui restent minoritaires. D’autant plus qu’en Île-de-France, environ 36 % des utilisateurs de chauffage au bois l’utilisent pour le confort, souvent avec des équipements anciens ou mal entretenus, émettant ainsi des quantités importantes de particules fines.
Le principal argument des promoteurs du bois-énergie est la « neutralité carbone ». Mais, comme le rappelle le Natural Resources Defense Council (NRDC) dans une étude de 2021, cette neutralité est un leurre : « La combustion du bois libère immédiatement du carbone, mais la repousse des arbres prend des décennies pour réabsorber ce carbone, ce qui entraîne une augmentation des concentrations de CO₂ atmosphérique pendant des décennies, voire des siècles, aggravant ainsi le changement climatique à court terme. »
La politique européenne, qui classe la biomasse comme énergie renouvelable, encourage une fuite en avant : au lieu de réduire la consommation et d’investir dans l’isolation des logements et des millions de passoires énergétiques, on multiplie les chaufferies industrielles et on importe du bois à l’autre bout du monde.
En 2022, dans le cadre du paquet climatique Fit for 55, la Commission européenne a confirmé et ajusté la directive RED II, qui reconnaît la combustion du bois comme une source d’énergie renouvelable permettant aux États membres d’atteindre leurs objectifs de transition énergétique. Toutefois, cette approche est vivement critiquée par de nombreuses ONG et experts qui dénoncent un greenwashing : malgré l’existence de critères de durabilité, ceux-ci sont jugés insuffisants pour prendre en compte les impacts réels de la biomasse sur la biodiversité et le climat.
Les ONG, comme Greenpeace, dénoncent une « arnaque climatique » et appellent à exclure la biomasse forestière de la liste des énergies renouvelables. Sylvain Angerand, fondateur de Canopée, affirme :
« La biomasse forestière est présentée comme une solution verte, alors qu’elle détruit les forêts anciennes, libère d’importantes quantités de CO₂ et détourne les financements publics qui devraient être consacrés aux véritables solutions renouvelables »
L’essor du chauffage au bois a aussi des conséquences sociales dans notre société déjà fracturée géographiquement. Sans parler du prix d’achat et de pose de poêles (souvent plusieurs milliers d’euros), la flambée des prix du granulé, passé de 300 à plus de 600 euros la tonne, met en difficulté des milliers de ménages qui avaient investi dans des équipements déjà coûteux.
Les aides publiques, mal ciblées, ont favorisé la spéculation et l’industrialisation du secteur, au détriment des petits producteurs locaux. En Bretagne, en Auvergne ou dans le Jura, des filières artisanales peinent à survivre face à la concurrence des grands groupes et des importations. Cette dépendance à une ressource mondialisée fragilise la sécurité énergétique des territoires. En cas de crise géopolitique ou de mauvaise récolte, les prix s’envolent, et l’accès à l’énergie devient incertain. La promesse d’une énergie « locale et souveraine » s’effondre face à la réalité du marché globalisé.
Face à ce constat, il est urgent de repenser en profondeur notre rapport à l’énergie et à la forêt. Le chauffage au bois ne peut être considéré comme une solution écologique que s’il repose sur une gestion réellement durable, locale et limitée de la ressource. Il doit rester une option marginale, réservée aux circuits courts, et non devenir le pilier d’une politique énergétique à grande échelle.
La priorité doit aller à la rénovation thermique des bâtiments, à la réduction de la consommation et à la protection stricte des forêts primaires, en France comme à l’étranger.
La transition écologique ne peut se faire au prix de la biodiversité mondiale ni sur le dos des populations locales victimes de la déforestation. Des alternatives existent : isolation performante, pompes à chaleur alimentées par des énergies renouvelables, solaire thermique, réseaux de chaleur urbains ou mieux :
Ces solutions, combinées à une vraie politique de sobriété, permettraient de réduire la demande de bois-énergie et de préserver les forêts pour les générations futures.
– Maureen Damman
Photo de couverture : Pexels.
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