21.12.2025 à 08:00
Ce texte analyse comment la violence structurelle — produite par la suprématie blanche, la colonialité, le validisme et le capitalisme carcéral — organise l'abandon social des personnes les plus marginalisées, en particulier celles vivant à l'intersection du handicap et de la racialisation. Il propose des perspectives abolitionnistes centrées sur les soins communautaires, l'inclusion radicale et le leadership des personnes les plus affectées, pour imaginer des alternatives concrètes aux systèmes qui punissent, normalisent et invisibilisent. La santé mentale ne souffre pas d'un manque d'efforts individuels, mais de violences structurelles ignorées.
Ce texte analyse comment la violence structurelle — produite par la suprématie blanche, la colonialité, le validisme et le capitalisme carcéral — organise l'abandon social des personnes les plus marginalisées, en particulier celles vivant à l'intersection du handicap et de la racialisation. Il propose des perspectives abolitionnistes centrées sur les soins communautaires, l'inclusion radicale et le leadership des personnes les plus affectées, pour imaginer des alternatives concrètes aux systèmes qui punissent, normalisent et invisibilisent. La santé mentale ne souffre pas d'un manque d'efforts individuels, mais de violences structurelles ignorées.

[description alternative de l'image : le fond est blanc. Le titre principal "Abandon innocence and adopt abolition" [1] est écrit en grosses lettres noires, sur deux lignes. Au dessous se trouve le texte "to shut the whole genocidal system down" [2] qui est écrit en petites lettres noires, sur une seule ligne.]
Ce texte souhaite contribuer à l'élaboration d'une politique du soin et de la justice sociale qui déplace le pouvoir des institutions vers les communautés, tout en reconnaissant et en réparant les traumatismes engendrés par la violence structurelle — cette violence structurelle qui opère à la fois localement et à l'échelle globale, qui découle des structures, des déséquilibres de pouvoir, des normes ou des pratiques inégalitaires et préjudiciables des diverses institutions qui gouvernent la société. Ce texte et la brochure qu'il présente, sont disponibles en téléchargement ici et ici.
Le mouvement abolitionniste s'articule autour de trois dimensions interdépendantes : Defund (définancer les systèmes de punition), Dismantle/Abolish (démanteler les institutions de contrôle et de violence), et Build (construire des mondes durables libérés de la violence structurelle). Ce texte — comme les précédents — s'inscrit dans cette dernière perspective, parce que c'est aussi celle qui est la plus négligée, celle qui interroge la manière de préfigurer et d'imaginer ensemble des espaces de soin, de responsabilité collective et de transformation sociale en dehors des logiques punitives. Nous devons nous reconnecter avec les communautés les plus opprimées — au niveau local et global — pour qu'elles nous guident dans le travail visant à mettre fin à la violence autour de nous, pour qu'elles nous montrent comment créer les conditions propices à une guérison plus profonde. Un élément central de la guérison, c'est qu'aucune personne ne se sente ignoré.e, rejeté.e ou rendu.e invisible.
Le racisme individuel est toujours la forme de racisme la plus facilement reconnaissable par les membres de la culture occidentale (Pat Dudgeon et al., p. 16). Cela permet de comprendre à quel point la violence structurelle peut s'enraciner profondément dans la société. Sa nature invisible, lorsqu'elle ne peut être abordée ou simplement mise en lumière, engendre une idéologie du statu quo accepté, sans qu'aucune alternative ne semble possible. [3] [4] [5] [6]
Si la violence directe est encore relativement bien comprise, la violence structurelle demeure largement méconnue. Il existe encore d'innombrables mouvements qui ne s'attaquent pas aux inégalités structurelles ou systémiques à l'origine des injustices. [7] Pour les théoricien.nes de la théorie critique de la race [8], la violence structurelle est aussi comprise comme le produit du refus de décoloniser et d'articuler l'interconnexion entre les oppressions. La violence structurelle ne fonctionne jamais de manière isolée : elle repose sur une architecture faite de race, de genre, de capacité, de classe et de colonialité. L'intersectionnalité « considère les catégories de race, de classe, de genre, de sexualité, de nationalité, de handicap, d'origine ethnique et d'âge – entre autres – comme interdépendantes et s'influençant mutuellement » (Intersectionality, p. 35). Leanne Betasamosake Simpson a effectivement critiqué les structures coloniales qui cloisonnent, fragmentent et marginalisent ces connaissances. Le refus de reconnaître cette interdépendance [9] est aujourd'hui de plus en plus perçu comme une forme de violence sociale. Parler de sexisme, de sexisme, de sexisme... puis de racisme, de racisme, de racisme... ou de validisme, de validisme, de validisme... ainsi que d'autres systèmes d'oppression de manière séparé, efface les expériences vécues à leur croisement et perpétue le statu quo. Une analyse intersectionnelle permet de penser et d'explorer des réalités sociales beaucoup plus complexes — centrées sur les besoins des personnes les plus marginalisées — afin de dépasser et contrer les lectures unidimensionnelles, réductrices et omniprésentes de l'oppression. L'intégration de l'intersectionnalité a constitué un progrès significatif dans le domaine des politiques d'égalité, car elle permet d'éviter l'approche dominante, centrée sur une seule question et privilégiant le genre (Intersectionality, p. 102). Une telle analyse permet de cartographier et de mettre en lumière les systèmes qui perpétuent les déséquilibres de pouvoir. Elle permet de s'engager dans des pratiques de libération coalisées et intersectionnelles. [10]
Tant que nous continuerons à laisser les gens penser que c'est l'une ou l'autre, nous continuerons à tourner en rond et à ne pas être capables d'identifier la cause du mal, à savoir le fonctionnement simultané de tous ces systèmes (Talila Lewis) [11]. Cette citation illustre bien le piège des lectures binaires qui nous empêchent de penser la complexité des oppressions. La justice transformatrice rejette les binaires simplistes agresseurs/victimes (No More Police, p. 288). [12] Pour sortir du cercle des réformes [13], les transformations systémiques nous demandent de penser cette complexité — l'interconnexion entre les différentes formes de violence et d'oppressions, qu'elles soient sociales, médicales, raciales, psychiques, historiques — pour ne laisser personne de côté (No Body Is Disposable). No Body Is Disposable est essentiel à la construction de mouvements véritablement intersectionnels. Il rappelle que les luttes sont indissociables, et qu'aucune transformation sociale ne peut advenir tant que certaines vies continuent d'être considérées comme jetables. Ces problèmes structurels enracinés dans les institutions — qui valorisent la conformité, la productivité, la normalisation ; conçues pour contrôler, punir et effacer — nécessitent des solutions structurelles.
C'est notre incapacité à reconnaître la complexité des systèmes d'oppression qui assure le maintien du statu quo des puissant.es (Melbourne School of Mental Health, p. 14). Le conflit entre transformation personnelle et systémique doit devenir une tension constante et dynamique, une force vivante qui produise du débat. Certain-es soutiennent qu'il vaut mieux faire quelque chose que ne rien faire, mais les réformes réformistes renforcent la force des systèmes carcéraux.
Le néolibéralisme, en valorisant l'autonomie individuelle (indépendance) au détriment des solidarités collectives et des protections sociales (interdépendance), institutionnalise une violence structurelle en laissant certaines populations — notamment les plus vulnérables — livrées à elles-mêmes. Dans le prolongement de ces discours néolibéraux qui individualisent la responsabilité collective et historique des dynamiques structurelles, les institutions policières et les décideurs politiques tendent à déplacer l'attention vers les comportements des individus et des communautés surveillées. [14] Elles occultent ainsi les pratiques et les responsabilités collectives et systémiques. Cette logique encourage l'idée que chacun.e doit "se débrouiller", même face à des injustices systémiques ou des vulnérabilités structurelles et profondes. L'abandon organisé [15] devient une forme de violence structurelle : les institutions se retirent progressivement tout en exigeant des individus qu'ils « s'optimisent » ou s'adaptent et deviennent « résilients » face à cette même violence. Ce déplacement de responsabilité a pour fonction d'invisibiliser la violence du système et de naturaliser ses effets. Cet abandon est une caractéristique déterminante du néolibéralisme. [16] L'abolition vise à apporter de véritables solutions à la violence produite par cet abandon et la violence structurelle (No More Police, A Case for Abolition ; p. 56).
Celles et ceux qui subissent le plus la violence structurelle sont aussi celles et ceux qui sont les plus effacées, tout en portant les visions abolitionnistes les plus précieuses pour imaginer d'autres mondes. Le monde universitaire, les prisons et la communauté [17] elle-même continuent de déshumaniser, d'exclure et de marginaliser les membres qui ont des pensées idéologiques radicales, révolutionnaires et abolitionnistes (Abolish Criminology, p. 108) [18] [19] [20] [21] — révélant ainsi un profond manque d'imagination sociologique ou d'analyses systémiques face aux alternatives possibles à l'ordre établi. L'inclusion radicale des personnes handicapées, associée à une solidarité active avec elles dans chaque mouvement, est ainsi une condition fondamentale pour faire avancer cette véritable justice intersectionnelle.
Bien que le fascisme [22] ne soit qu'une intensification des violences structurelles déjà présentes, et malgré certaines évolutions acceptées et visibles ailleurs, il demeure encore en France très mal vu de “sortir du moule”, de "refuser de suivre” ou de ne pas se “conformer à la norme”. [23] [24] Parler des violences structurelles est difficile puisqu'elle invite à nommer des responsables, non pas individuels, mais parce qu'elle nécessite de rendre visibles les positions de privilège qui permettent à ces violences de perdurer.. Toute la difficulté réside dans le fait de mettre en lumière les mécanismes systémiques et de désigner celles et ceux qui les perpétuent, consciemment ou non. Parce qu'elle échappe à la reconnaissance collective, cette incompréhension rend la responsabilisation difficile, voire dérangeante, car elle implique de remettre en question des normes profondément enracinées...
Pour obscurcir ces violences et éviter toute responsabilisation collective et historique, la suprématie blanche [25] mobilise toute une panoplie d'outils comme le modèle biomédical [26], le blâme de la victime, l'incarcération, l'exclusion, le réformisme, le gaslighting racial, social et structurel, y compris celui du féminisme blanc libéral [27], le travail social [28], le tokénisme, l'objectivité, la désensibilisation organisée, l'innocence blanche [29], les larmes blanches [30], la "victime idéale" [31], le positivisme, la stigmatisation structurelle, la neutralité, l'individualisme, l'universalisme républicain [32], la méritocratie, le paternalisme, la culture de la suprématie blanche [33], le complexe industriel du sauveur blanc, la colonialité de l'être/du savoir/du pouvoir, les pratiques eugénistes modernes... Ces dispositifs sont des outils qui permettent au capitalisme de fonctionner sans avoir à recourir à une violence directe constante et visible. Ils visent à contraindre les individus à se surveiller ou à se gérer eux-mêmes.
On ne peut guérir dans un système qui dissimule les préjudices. Les traumatismes qu'engendrent ces violences structurelles ne disparaissent pas d'eux-mêmes ; il est essentiel de les reconnaître, de les comprendre et de les guérir. Mais comme l'écrit T. L. Lewis, ces politiques étouffent la dissidence et sèment la discorde au sein des communautés, nous privant des conditions nécessaires pour soutenir celles et ceux qui ne se sentent pas encore en sécurité pour témoigner et porter des perspectives abolitionnistes — des idées et des positions souvent inconfortables et déstabilisantes pour les espaces qui n'ont pas encore appris à écouter. [34] Il existe encore trop d'espaces où il est plus facile de parler des menaces extérieures que de reconnaître l'impact que nous avons les un·es sur les autres, avec dignité et vérité (Liberated To The Bone, p. 95). Être abolitionniste, c'est aussi dire la vérité (Abolition and Social Work, p. 36).
Pour Ruth Wilson Gilmore (Abolition Geography, p. 348), l'abolition est une pratique risquée parce qu'elle s'oppose directement à ces forces de la mort et de l'abandon organisé de ces institutions dont les racines profondes sont celles des systèmes de colonisation. L'abolition — inextricablement liée à la décolonisation — est un mouvement visant à mettre fin à la violence systémique ou structurelle et les vulnérabilités qui maintiennent le statu quo. R. W. Gilmore insiste sur le fait que la véritable alternative au capitalisme carcéral passe par la solidarité, les soins collectifs abolitionnistes, et le refus de hiérarchiser les vies, en s'opposant aux conditions optimales et flexibles pour le capital. Ces conditions sont intentionnellement difficiles à reconnaître, parce qu'elles sont institutionnalisées, valorisées et invisibilisées, ce qui les rend d'autant plus résistantes à la transformation. [35] Pour Nelson Maldonado-Torres, la décolonialité n'est pas seulement une opposition aux forces qui cherchent à déshumaniser ou à détruire, mais un profond désir d'éviter la mort et l'effacement d'autrui. Il précise que « Si nous ne parlons pas d'abolition et de réparations, nous ne parlons pas vraiment de décolonisation. » (Countering the Coloniality of Peace and Justice)
Faire progresser notre compréhesion collective au-delà du « méchant » policier, vers une compréhension de la violence structurelle, est essentiel à la construction d'une politique abolitionniste fondée sur l'empathie et la communauté (J. Briond). [36] [37] Des organisations plus radicales, comme INCITE ! (Femmes, personnes non binaires et transgenres de couleur contre la violence), affirment que la violence institutionnalisée, sous toutes ses formes, doit être prise en compte pour mettre fin aux violences subies par les groupes victimes de multiples oppressions. (Intersectionality, p. 64) « Bien que cela puisse paraître paradoxal, on ne peut mettre fin aux violences sexistes en s'attaquant directement à ce problème. On ne peut y mettre fin qu'en s'attaquant aux problèmes structurels qui les favorisent, et qui sont également à l'origine de l'ensemble des abus qui touchent l'ensemble de la communauté » (Chang 2018). [38]
Comment faire face à cette résistance raciste qui résiste à la guérison de la colonisation et qui se positionne comme "libératrice" des communautés en marge ? Dans ce nouvel épisode, il s'agit de se demander ce qu'il se passe lorsque des mouvements censés œuvrer à la justice sociale reproduisent ces violences structurelles, ou choisissent de les ignorer — par ce refus catégorique de nommer la suprématie blanche ou de ne pas appeler à la décolonisation de leurs espaces. Il montre aussi qu'il n'y a rien de pire — pour lutter contre ces violences structurelles — que de centrer nos analyses sur les personnes handicapées les plus privilégiées. Cela renforce le tokénisme, qui agit comme un frein aux transformations profondes et structurelles, en donnant l'illusion du changement tout en maintenant les structures oppressives intactes. Le tokenisme encourage les réformes cosmétiques qui « sapent l'énergie des visions radicales ». (Charlotte Rosen)
Ce texte propose des outils pour réfléchir à ce qui contribue à masquer la responsabilité historique du colonialisme, de la colonialité, de la suprématie blanche et de la blanchité [39] dans la crise écologique planétaire. L'omission de l'intersectionnalité est préoccupante dans les débats sur le changement climatique, où les désavantages intersectionnels sont largement ignorés. Au sein de l'Union Européenne, les victimes de ces désavantages intersectionnels ne peuvent toujours pas bénéficier de protection juridique, en violation flagrante de l'article 6 de la CDPH. [40] [41] À force d'associer des individus — par les récits et par les mots — à des faits hostiles et stigmatisants, on finit par les exclure (1) des espaces censés œuvrer à la justice sociale, (2) du champ de l'empathie et (3) de la considération sociale.
Pour assurer ce maintien des oppressions structurelles, les États-nations exposent intentionnellement certaines communautés à la précarité, à la stigmatisation, à la violence, à la privation et/ou construisent des catégories qui invitent à une répétition sans fin de l'assujettissement, de la criminalisation, de la pathologisation. À cette fin, le validisme/capacitisme a toujours été au cœur des anatomies économiques, politiques, juridiques, médicales et sociales des États coloniaux. (T. Lewis). Les États-nations vivent de la déshumanisation qu'ils produisent, exploitent, institutionnalisent et normalisent. L'abolition exige la fin de la déshumanisation (S.M. Rodriguez) et consiste à imaginer une constellation de stratégies et d'institutions alternatives qui soutiennent la vie [42], dans le but ultime de supprimer le système pénitentiaire, la police et les systèmes hiérarchiques d'inégalité perpétués par le régime capitaliste mondial systémique. De nombreux abolitionnistes se méfient de l'idée de simplement abolir un système sans commencer à repenser ce qui peut le remplacer (Genealogies of Resistance to Incarceration, P. 217). Dans de nombreux exemples, parce que de nombreux mouvements ne reconnaissent pas la suprématie blanche et la colonialité comme des systèmes actifs, les mécanismes étatiques ne sont même plus nécessaires, car les militant.es incarnent l'État dans leurs actions, leurs inactions et leurs interactions (ibid, p. 229), en ne modifiant pas la hiérarchie des structures dans lesquelles sont placées les populations marginalisées (The Tension Between Abolition and Reform, p. 6). Ces milieux « progressistes » ne cherchent même pas à déconstruire les privilèges hérités de la suprématie blanche, et refusent systématiquement de reconnaître cet héritage historique. Ils mobilisent un langage du changement tout en perpétuant les hiérarchies épistémiques [43], culturelles et sociales qu'ils prétendent combattre, y compris au sein des luttes écologistes, antiracistes, féministes, queer... comme dans ces nombreux espaces du mouvement des droits des personnes handicapées qui ne voient pas que le handicap n'élimine pas le privilège blanc. Ces espaces perpétuent aussi la violence latérale (colonialisme intériorisé). [44] [45] [46]
De nombreux espaces sont encore structurellement blancs parce qu'ils refusent de penser la blancheur structurelle. On l'observe lorsque la blancheur [47] [48] "se défend", y compris dans les espaces dits "radicaux". Une gauche qui refuse de démanteler la suprématie blanche n'est pas une gauche critique, c'est une gauche de gestion, coloniale, blanche, néolibérale, insensible à la couleur, aux traumas et à la vulnérabilité structurels... La violence structurelle doit être passée sous silence pour dissocier la blancheur de la colonialité. Ce silence permet aux colons blancs de croire qu'ils vivent dans une société postraciale ou postcoloniale, alors que ces structures coloniales demeurent intactes.
L'abolition nous demande d'aller au-delà de cette simple résistance, d'échapper à ce piège mortel de la « normalité » (Andrea Ritchie). Elle nécessite de sortir de ces espaces parfois traumatisants pour imaginer des soins et des relations où ces violences structurelles n'existent plus. L'état actuel de la santé mentale est directement imputable à ce déni de justice sociale et appelle à mettre en lumière les effets de la violence structurelle persistante sur la qualité de vie des personnes les plus marginalisées. Cela souligne l'urgence de reconnaître et de valoriser leurs épistémologies et leurs perspectives uniques. [49] Cela fait pourtant près d'un demi-siècle qu'il est officiellement reconnu que la santé ne peut être dissociée du bien-être social. La Conférence internationale de 1978 sur les soins de santé primaires d'Alma-Ata, affirmait déjà que “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et non pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité”. Cette définition aurait dû entraîner une transformation profonde des structures sociales et institutionnelles ; au lieu de cela, la violence structurelle continue de façonner la santé mentale et l'existence quotidienne des groupes les plus marginalisés. Comme le souligne Paul Farmer, “les inégalités en santé révèlent les structures de pouvoir qui organisent le monde.” (Pathologies of Power, 2003)
En Occident, la plupart des personnes, y compris, il faut le dire, la plupart des usagers des services de santé mentale — comme de nombreus.es pair-aidant.es —, continuent de comprendre la folie et la détresse principalement comme un « problème », une « maladie » ou une forme de « trouble ». Cela n'est pas surprenant. Ce concept est accepté dans les conceptions publiques, politiques, médiatiques, culturelles et thérapeutiques dominantes. C'est ce qu'on nous a appris, et c'est encore l'approche principale de la plupart des organisations travaillant dans ce domaine. (This Is Survivor Research, p. 47) Ces désignations participent à un processus qui transforme un problème social, structurel et politique en psychopathologie individuelle. Le débat sur la stigmatisation reste encore piégé dans ce langage qui l'a générée. Les diagnostics ne sont pas neutres, Ils participent à hiérarchiser les comportements, à moraliser les réactions traumatiques, à comprendre la souffrance au niveau individuelle plutôt que structurelle, à légitimer la surveillance, le contrôle ou l'exclusion et verrouiller la compréhension de la personne dans un récit biomédical. On ne peut prétendre lutter contre la stigmatisation en se contentant de déplacer celle-ci vers un langage prétendument plus « doux » ou plus « acceptable », tout en maintenant intactes les structures qui la produisent. Cette stratégie ne diminue en rien la violence symbolique : elle la rend simplement plus difficile à identifier, plus acceptable, plus diffuse, et donc plus efficace. En naturalisant les cadres existants et en masquant les rapports de pouvoir à l'œuvre, ce déplacement contribue non seulement à renforcer la stigmatisation, mais aussi à consolider les structures sociales qui l'organisent.
Certaines des choses qui semblent s'améliorer pourraient en réalité nous conduire vers une situation encore pire. (Prison by Any Other Name, p. ix)
Pour des milieux censés travailles à la santé mentale, cela est inquiétant car la stigmatisation est considérée comme une cause fondamentale des inégalités de santé (Hatzenbuehler et al.), comme une barrière au rétablissement (B G Link et al.), ou liée à la consommation de substances psychoactives (Earnshaw)... De nombreuses personnes victimes de violations flagrantes des droits humains s'opposent à l'usage de cette notion de “trouble”, car leurs réactions sont normales et compréhensibles au regard des violences qu'elles ont subies. La stigmatisation est mobilisée par certains groupes pour maintenir d'autres individus dans la dépendance, la misère ou l'exclusion, pour atteindre des objectifs d'exploitation, de gestion, de contrôle ou d'exclusion. Le pouvoir de la stigmatisation (stigma power) ne peut fonctionner sans la complicité implicite ou explicite des groupes les plus privilégiés, qui bénéficient du maintien des hiérarchies sociales et de l'exclusion des plus vulnérables.
Il est aujourd'hui largement reconnu que le manque de diversité nuit au bien-être et à l'expérience collective (Mugo et Puplampu). La participation des personnes les plus marginalisées est particulièrement importante si nous voulons nous attaquer aux inégalités intersectionnelles mises en lumière par la pandémie, qui continuent de nuire à la santé et à la justice. (thebmj)
Ce texte s'appuie sur deux cadres critiques solides, DisCrit (Disability & Critical Race Theory) [50] — un prolongement essentiel et récent de la Critical Race Theory qui élargit ses fondements en y intégrant une analyse du validisme — et Disability Justice. DisCrit développe une critique abolitionniste de l'éducation [51], de la prison, du diagnostic et des institutions de contrôle qui normalisent, catégorisent et organisent l'exclusion et la haine. DisCrit met à nu la co-constitution du racisme et du validisme que la plupart des mouvements, même “progressistes”, continuent de refuser de penser ensemble. Disability Justice, de son côté, met en lumière l'importance de l'interdépendance, du leadership des personnes les plus marginalisées et des pratiques communautaires de soin.
Perturber la violence structurelle et guérir les communauté nécessite une compréhension de base et la mise en place de cadres théoriques pour construire des communautés responsables, sensibles et résilientes aux traumatismes (ex : TRC, TIC et TVIC). Le leadership des personnes les plus impactées est l'un des facteurs les plus cruciaux pour bâtir une culture réactive, sensible et résiliente à ces traumatismes structurels. L'acquisition de compétences culturelles ET structurelles est étroitement liée à l'inclusion radicale, aux soins, au bien-être communautaires et à la justice des personnes handicapées. Si l'on ne s'attaque pas à la violence structurelle et au capacitisme systémique dans les institutions sociales concernées, les efforts de réforme ne mèneront qu'à des problèmes différents. (Jennifer Sarrett)
Il est aussi primordiale de se concentrer sur sa positionnalité et les relations de pouvoir, de discuter ouvertement de l'histoire du colonialisme et de ses manifestations modernes afin de centrer les récits des personnes historiquement opprimées [52]. Être solidaire avec les personnes multi-marginalisées signifie de reconnaître les oppressions systémiques auxquelles elles sont confrontées, d'apprendre à reconnaître toutes les formes de violences et d'injustices "cachées". La violence structurelle crée les conditions de possibilité des violences interpersonnelles. Elle normalise la souffrance, la rend acceptable, ordinaire, incompréhensible et invisible. La première priorité d'une communauté est la sécurité des plus marginalisé.es. Lorsque les plus marginalisé.es se sentent en sécurité, nous sommes tous.tes en sécurité.
C'est précisément contre cette normalisation de la souffrance que s'inscrit le mouvement No Body Is Disposable — un appel politique essentiel qui dénonce la manière dont les violences structurelles produisent la disposabilité de certaines vies. L'invisibilisation ou la mise à l'écart des corps handicapés est une stratégie de pouvoir qui permet de maintenir l'illusion d'une société fondée sur l'autonomie, la performance et la productivité, en reléguant à la marge celles et ceux qui en déstabilisent les normes. De tels mouvements remettent en question l'idée selon laquelle la vie d'une personne est moins précieuse ou moins digne lorsqu'elle est écrasée par des systèmes d'oppression — souvent superposés (Taylor, 2022). L'abandon de ces personnes constitue une complicité directe avec un impératif de profit excédentaire, qui pousse un système producteur de handicap à faire disparaître toute forme de fragilité dès son apparition (Crip Theory, p. 204).
Ensemble, ces cadres critiques — ancrés dans une perspective intersectionnelle (DisCrit et Disability Justice) — exigent une attention rigoureuse à la complexité de ces expériences et à la multiplicité de réponses nécessaires pour les comprendre et les valoriser. Ils visent à rendre intelligibles et accessibles ces réalités multiples et imbriquées, notamment pour les personnes les plus exclues, tout en ouvrant ces concepts, à la fois académiques et communautaires, à un public plus large. [53] Ces approches offrent des outils critiques pour rompre avec le paternalisme structurel qui domine encore très largement la société française, ainsi que le champ professionnel du handicap, et qui reproduit racisme, sexisme, validisme, colonialité...
Ces perspectives sont aussi indispensables pour penser la justice climatique critique et imaginer des alternatives qui ne reconduisent pas les hiérarchies existantes. Elles ouvrent la voie à une réflexion sur la responsabilité communautaire et sur le développement d'un véritable leadership des survivant·es, afin de transformer et guérir les conditions qui favorisent la violence dans nos communautés.
L'intersectionnalité a été utilisée à mauvais escient pour ignorer des oppressions que nous n'osons pas nommer. De nombreuses institutions et milieux se revendiquent aujourd'hui de l'intersectionnalité sans jamais confronter les systèmes de domination les plus enracinés — en particulier la suprématie blanche et l'hétéropatriarcat suprémaciste blanc. Ce refus de confrontation traduit cette peur du conflit qui est propre à la culture de la suprématie blanche, où le confort des dominants prévaut sur la justice critique. Cette culture s'exprime par la peur de la colère et du désordre, l'évitement du conflit comme valeur morale, la recherche d'un “ton juste”, d'une politesse ou d'un langage "neutre" et "lissé" qui rassure les dominant.es.
L'abolition est une vision pleine d'espoir qui signifie que chaque moment où un préjudice survient est une opportunité de transformer les relations et les communautés. (Emptying cages : abolition, accountability and dialogue, p. 7)
L'intersectionnalité ne peut pas être réduite à un outil de « diversité » ou d'« inclusion » qui ne remet pas en cause les structures de pouvoir. Les oppressions systémiques sont tellement normalisées qu'elles ne sont même pas nommées dans les espaces censés être critiques. L'intersectionnalité est née de luttes féministes radicales, historiquement menées par des femmes racisées et doit rester un outil de démantèlement des oppressions, et non simplement de gestion de la diversité. Repolitiser l'intersectionnalité, c'est ne pas en faire un simple cadre analytique neutre, mais l'utiliser pour dénoncer les oppressions systémiques, surtout lorsqu'elles dérangent ou qu'elles sont invisibilisées dans les espaces académiques, institutionnels ou "militants". Il existe très peu de recherches accessibles sur les violences structurelles en France, et encore moins sur la critique du droit comme outil de domination ou d'exclusion. Le droit, souvent présenté comme neutre ou universel, participe pourtant à la reproduction des hiérarchies raciales, sociales et corporelles.
Il est reconnu que les personnes handicapées œuvrent pour l'abolition depuis longtemps (Critical Resistance). Il n'a jamais été aussi important de comprendre pleinement les liens entre les différents lieux de ségrégation et d'incarcération des personnes handicapées et de se concentrer sur la manière dont ces systèmes affectent tous les corps et tous les esprits, handicapés ou non. Pour cette raison, ce texte met en lumière la différence fondamentale entre :
Il ne s'agit plus seulement de “faire une place” aux personnes marginalisées, mais de repenser le monde depuis nos perspectives.
Les communautés autochtones comprennent que les individus sont en processus, que nous survivons à des traumatismes historiques/intergénérationnels et à la colonisation. Pour travailler sérieusement à la santé mentale et prendre conscience de ces traumatismes, il est nécessaire de se permettre de percevoir les expériences de vie des autres et de comprendre ce que ces personnes perçoivent et voient à leur tour. Pour faire ce travail, il est nécessaire de construire des espaces sûrs.
Dans une société qui valorise l'amnésie et la responsabilité individuelle, celles et ceux qui se souviennent représentent une menace pour la complicité collective. Les traumatismes complexes témoignent de la continuité des violences communautaires, structurelles et coloniales... Cette reconnaissance du préjudice — bien qu'elle soit souvent très difficile, parce que le traumatisme est invisible — est indissociable de tout processus d'abolition. L'abolition vise à réparer et à mettre fin aux préjudices.
Les témoignages de survivant.es de traumatismes sont souvent difficiles — autant à dire qu'à entendre — et nécessitent une supervision ainsi qu'un soutien par les pairs pour en prendre conscience et agir [55]. Face à l'effondrement de l'empathie dans la société, faire reconnaître des traumatismes complexes et invisibles — au-delà de la victime "idéale" [56] [57] — devient un acte politique essentiel. S'exprimer ouvertement reste pourtant risqué, par crainte de ne pas être entendu.e, ou de subir des représailles ou un rejet supplémentaire. Cette reconnaissance permet pourtant de créer des communautés sensibles aux traumatismes, sensibles à la stabilité et à la sécurité culturelle. Elle rend possible l'émergence de collectifs capables de comprendre et reconnaître l'impact des violences structurelles et interpersonnelles, et d'y répondre par des pratiques de soins abolitionnistes et culturellement adaptées, en intégrant des approches de réduction des préjudices et de la responsabilisation communautaire face à ces violences omniprésentes. Il est largement admis que les pairs-aidant.es doivent partager des caractéristiques contextuelles et être capables d'une véritable empathie (Solomon, 2004). Le soutien par les pairs [58] est pourtant susceptible de trouver une utilité accrue dans les nombreux contextes marqués par des contraintes de ressources qui ne sont pas en mesure de faire preuve d'empathie (Peer support in prison, p. 26).
Il faut néanmoins comprendre le fonctionnement de la violence structurelle, connaître ses racines, reconnaître son omniprésence, son invisibilité, son fonctionnement et savoir quelles sont les personnes qui y participent le plus — qui ignorent son fonctionnement — et celles qui en sont le plus impactées.... celles qui sont réduites au silence. Ce sont ces voix qui dérangent et qui pourraient pourtant sensibiliser les espaces censés travailler à la justice sociale, à la santé mentale et au bien être social et émotionnel.
Ce texte invite à comprendre pourquoi la justice des personnes handicapées — et non la simple gestion de personnes réduites à l'étiquette de “handicap” ou de "situation de handicap" — constitue une exigence fondamentale pour toutes les formes de justice sociale, en particulier la justice raciale. En reliant la justice climatique, la justice des personnes handicapées et la violence structurelle, il dénonce les impasses du progressisme libéral et invite à penser la libération au-delà des cadres épistémiques dominants.
Ce texte est destiné aux survivant.es de la violence structurelle — à ces personnes essentielles qui sont rendues invisibles et vulnérables par les structures mêmes contre lesquelles elles résistent —, à toutes ces personnes qui sont anéanties au nom de la normalité, de la domination et de la cupidité insatiable. Il s'adresse aussi à toutes celles et ceux qui, souvent sans le reconnaître, bénéficient de cette violence, afin de les inviter à prendre part à la responsabilisation — qui passe aussi par cette nécessité, ou au mieux le désir d'embrasser la honte. Les survivant·es de la violence structurelle portent souvent des traumas complexes [59] invisibles qui les tiennent à distance des espaces réformistes. Ces traumas sont liés à la suprématie blanche, à la destruction coloniale et raciale des systèmes de soin. Ces espaces réformistes et inaccessibles aux personnes traumatisées oublient que la vulnérabilité est un antidote aux violences structurelles [60] — et que seul l'accueil de leur vérité, dans des lieux réellement sûrs, peut ouvrir la voie à une véritable transformation collective. Cette transformation se manifeste dans des réflexions et de petits actes quotidiens qui défient l'effacement. Le burn-out est collectif et structurel, il n'est pas individuel. [61] L'abolition ne comprend pas la violence de manière individuelle, mais comme une responsabilité collective et systémique. Elle nous demande de déplacer le regard du blâme personnel vers la responsabilité partagée et les structures sociales qui perpétuent les violences.
Ce texte s'inscrit dans une perspective abolitionniste qui vise à repenser radicalement nos systèmes juridiques, éducatifs, sanitaires et environnementaux, en rupture avec les logiques coloniales et normalisatrices. Loin d'un plaidoyer pour une meilleure inclusion dans l'existant, il appelle à une transformation structurelle, à la valorisation des formes de savoirs marginalisées, et à l'émergence de modèles de justice fondés sur l'interdépendance, la pluralité épistémique et la libération collective. Tout ceci est indispensable pour créer les conditions propices à une guérison profonde. Le bouleversement le plus profond que nous puissions apporter face à une société violente est de créer les soins, la sécurité, l'interdépendance et la mutualité. Il existe des personnes effacées qui font face à des luttes intersectionnelles, qui travaillent en première ligne, qui réfléchissent à des espaces de solidarité radicale et qui refusent de se conformer aux récits uniques. Le handicap ne doit plus être une catégorie à éviter — ou susciter la peur, la méfiance, le mépris, la pitié — mais plutôt avec laquelle il est nécessaire de construire une alliance. La théorie éco-sociale nous enseigne que le corps est une archive vivante des inégalités. Le trauma complexe en est une expression : il témoigne de la peur sociale de la vérité, de la mémoire et de la responsabilité communautaire. Il met à nu la manipulation institutionnelle, le mensonge collectif, et la peur du soin réel — celui qui transforme les rapports de pouvoir plutôt que de les masquer. Lorsqu'il est marginalisé dans les discours dominants, cet oubli épistémique participe à l'échelle globale à l'effacement massif des personnes noires, queer, autochtones, pauvres, genrées, handicapées, "folles"…
Alors que la France est semble-t-il le pays leader de la ségrégation en Europe [62], ce nouveau texte permet un retour vers le passé pour comprendre comment la diversité et les capacités humaines ont été — et sont encore, par soucis de rentabilité — systématiquement désactivées et dévalorisées par des logiques d'extraction, d'exploitation et de dépossession des ressources. Pour apporter des réponses aux multiples crises, il serait aussi question de ne pas trop s'habituer à vivre dans les restes de cet empire colonial.
Bien que la théorie intersectionnelle ait suscité un intérêt considérable, la question du handicap reste rarement abordée, notamment en France. (Célia Bouchet, Résumé). L'analyse intersectionnelle, volontairement complexe, gagne en lisibilité lorsqu'elle est abordée à travers un terrain concret tel que la justice climatique. Cela permet d'en saisir toute la portée et de la relier à une pratique abolitionniste du quotidien. Les perspectives abolitionnistes portées par les personnes les plus marginalisées sont systématiquement effacées des discours et des espaces dominants de la société cisgenre, hétérosexuelle, blanche, valide et de classe moyenne ou supérieure — tant en Europe qu'aux États-Unis. Leurs expériences demeurent largement ignorées.
Le silence des privilégié·e·s n'est jamais neutre. Lorsque des personnes occupant des positions sociales audibles — dans les médias, les institutions, l'université ou les milieux militants — choisissent de ne pas remettre en question les structures de domination telles que la suprématie blanche ou la colonialité, elles participent activement à leur perpétuation. Ce refus de prise de position n'est pas une absence d'engagement. C'est un choix politique qui porte une responsabilité directe dans le maintien du statu quo. C'est là que s'active le complexe industriel du sauveur blanc, un système où des figures privilégiées se présentent comme des alliées, tout en consolidant les hiérarchies qu'elles prétendent déconstruire. [63] En ne renonçant pas non plus aux postures autoritaires, on condamne au silence les voix essentielles des personnes handicapées, ce qui nous prive des perspectives abolitionnistes qui inclut les corps-esprits blessés que le système carcéral punit par l'enfermement et l'effacement. L'autoritarisme ne fait que se nourrir du silence des libéraux, de leur apathie morale et de leur indifférence à la souffrance d'autrui (Jairo I. Fúnez-Flores). Le système de contrôle social et carcéral sanctionne systématiquement les personnes qui tentent de résister à la violence structurelle, c'est-à-dire à l'ensemble des conditions sociales, économiques, raciales et institutionnelles qui les ont marginalisées et rendu vulnérables. En réprimant leurs résistances — colère, refus, survie, auto-défense, protestation ou simple impossibilité de se conformer aux attentes institutionnelles — l'appareil pénal contribue directement à renforcer l'État carcéral. Autrement dit, la prison ne corrige rien et reproduit exactement les rapports de domination qui ont précipité les individus dans la précarité, la stigmatisation ou la psychiatrisation. Dans le champ du handicap et de la santé mentale critiques, le danger vient souvent de celles et ceux — les personnes dites “normales” — qui, ne comprenant pas le fonctionnement de la violence structurelle, y compris dans les espaces ayant des engagements préalables anti-carcéraux. Ces espaces embrassent les réflexes de l'État carcéral, en criminalisant les comportements de survie, en réduisant les réactions traumatiques à des problèmes individuels, en pathologisant la colère, en moralisant la détresse, tout ceci pour invisibiliser les causes systémiques. Ces espaces réformistes, en individualisant des causes structurelles qu'ils ne comprennent pas, en refusant de reconnaître leur propre responsabilité, en ne rendant pas compte de leurs privilèges, renforcent le système carcéral. Ce sont précisément ces violences qui, en se répétant et en s'institutionnalisant, ont donné naissance au système d'incarcération mondial.
Il ne faut pas se mentir, une société qui ne comprend ni la solidarité, ni l'attention, ni la responsabilité, ni les soins nécessaires envers les plus vulnérables — les chiffres de la défenseuse des droits en témoignent depuis de nombreuses années — est une société profondément carcérale. Une société dans laquelle le handicap est le première motif de saisine est une société qui n'est pas civilisée ; c'est une société qui, sous des formes souvent naturalisées, organise et reproduit la marginalisation de celles et ceux qu'elle devrait en premier lieu protéger.
Il faut attirer l'attention sur les échecs des mouvements qui nient la spécificité de nos vécus et participent activement à l'effacement et aux violences que nous subissons. Et parce que nous pouvons nous-mêmes en témoigner, nous sommes aussi épuisé.es de devoir sensibiliser constamment notre entourage sur nos vulnérabilités invisibles et complexes. Le plus grand paradoxe réside dans ce manque de connaissances sur les inégalités structurelles et l'épidémiologie sociale — le manque de prise en compte des déterminants sociaux de la santé — au sein des milieux censés œuvrer à la fin des prisons, ce qui révèle à quel point ces espaces participent eux aussi à la reproduction d'une logique carcérale. [64] Les inégalités sociales et territoriales de santé restent fortes en France, avec l'un des niveaux les plus élevés d'Europe (Observatoire des inégalités). Les inégalités d'accès à la santé sont avant tout une question d'identité. Elles sont structurées par des hiérarchies raciales, validistes, de genre, de sexualité... et pas seulement une question de classe sociale. Les systèmes de santé sont historiquement construits sur la colonialité et le validisme pour surveiller les populations racisées, contrôler les corps déviants, pathologiser ceux jugés “non civilisés”, gérer les populations “à risque”, décider de qui mérite de vivre ou non.
L'incarcération est un lieu de gestion de la souffrance psychique, sociale et neurologique, un lieu de tri, de neutralisation, de punition, de pathologisation, et de refus de soin, pour des personnes déjà prises dans des violences structurelles. Le déficit de culture épidémiologique sociale au sein des communautés et des institutions contribue aux dérives punitives. Les personnes neurodivergentes ou ayant un fonctionnement cognitif différent sont particulièrement exposées à cette logique de "disposabilité". Tant que la structure sociale demeure intacte — exempte de responsabilisation et de justice sociale, sans DÉCOLONISATION — parler d'abolition ou de soin revient à individualiser, à incarcérer et à médicaliser une souffrance collective. Cela revient à blanchir l'abolition, en la vidant de sa radicalité pour la rendre compatible avec les mêmes systèmes qu'elle prétend abolir. Une partie essentielle du projet de décolonisation consiste à déstabiliser les préjugés qui ont servi à délégitimer les groupes dont les épistémologies ont été niées, et à reconstruire des identités affranchies des catégories imposées par le pouvoir colonial. Les structures de domination se diffusent dans toute la culture par le biais des structures institutionnelles — qui normalisent la violence — des croyances idéologiques et des actions quotidiennes des personnes concernées, et ces effets se transmettent de génération en génération.
En tant que médiateur pair-aidant et médiateur santé, j'écris sur l'abolition parce que je ne trouve aucune réponse ou sécurité satisfaisante dans le milieu anticarcéral tel qu'il existe aujourd'hui. Il serait urgent d'appeler à des campagnes pour défendre et rendre simultanément visibles les formes structurelles et systémiques de violence d'État qui touchent plus particulièrement les personnes à la fois handicapées et racisées. Le handicap et la folie sont aussi largement absents des analyses de l'incarcération et de sa résistance (Abolition. Feminism. Now., p. 61), que les droits des personnes handicapées sont essentiels aux droits humains et occupent donc une place centrale dans les programmes de justice sociale (Ibid., p. 61). [65] [66] Mon engagement est aussi façonné par l'expérience directe d'un traumatisme complexe, dont les racines sont indissociables des violences structurelles que je dénonce. Bien que la recherche internationale ait encore récemment démontré que les traumatismes ne peuvent être compris sans reconnaître leur dimension structurelle [67], le milieu anticarcéral échoue à reconnaître que la prison elle-même est une source de violences structurelles et d'exclusions, qu'elle est un outil central du colonialisme. Ces violences ne se contentent pas de punir, elles produisent et reproduisent l'effacement et l'incarcération : “La violence structurelle détermine qui tombe malade, qui est incarcéré.e, et qui est oublié.e.” (Paul Farmer ; 2003) C'est pourquoi toute démarche abolitionniste authentique doit non seulement s'attaquer aux violences structurelles, mais aussi se recentrer sur les survivant·es des traumatismes qu'elles engendrent — en reconnaissant leur savoir, leur vécu, et leur besoin de sécurité réelle. (2e principe de Disability Justice)
Parler de la violence structurelle — en lien avec l'abolition, l'exclusion sociale, la ségrégation et l'incarcération — est nécessaire, parce que les personnes les plus directement touchées ont aussi besoin d'entendre autre chose que le discours académique dominant sur l'abolitionnisme pénal. Ce discours, souvent produit depuis des espaces universitaires éloignés de ces réalités, continue de penser la violence à partir du point de vue des groupes dominants. Dans les sociétés validistes, les milieux censés œuvrer à la déconstruction des systèmes d'oppression doivent en premier lieu identifier les populations les plus structurellement marginalisées, effacées et difficilement accessibles, dont la position sociale les expose directement à la violence et à l'incarcération. Si l'on veut perturber et remettre en question cette culture condescendante qui perdure dans les établissements d'enseignement, comme dans la société française notamment, il faut aborder la participation des usagers à l'échelle systémique, à tous les niveaux et dans tous ses aspects.
Il est très difficile de subir sans relâche des représailles lorsqu'on tente simplement de sensibiliser à la nécessité d'une responsabilisation collective, historique et systémique, et de rendre visible l'ampleur et la profondeur de la violence structurelle ainsi que son impact persistant sur les personnes les plus vulnérabilisées. Cette difficulté tient au fait que la violence structurelle est inextricablement liée à la structure sociale elle-même et aux privilèges non mérités qui en découlent. Ce lien demeure largement ignoré, y compris dans les milieux “progressistes”, qui peinent à reconnaître que, du point de vue des groupes opprimés, les mécanismes par lesquels les États-nations privent, déshumanisent et rendent certaines vies jetables sont omniprésents. (Intersectionality, p. 162)
Dès lors qu'on reconnaît l'omniprésence du validisme comme le principe organisateur des politiques de punition, de soin et de contrôle des corps, on comprend mieux le lien entre la création de l'État carcéral moderne et le handicap. Le carceral ableism définit, pour cette raison, le validisme comme un mécanisme de surveillance, de punition sans fin et d'exclusion, y compris dans les milieux militants, anticarcéaux, féministes... L'intersectionnalité n'a aucune légitimité dans les espaces insensibles au langage et aux pulsions nécropolitiques de la société capitaliste, ou si elle continue d'exclure les vécus de handicap, de traumatisme, de vulnérabilité neurologique invisible et complexe... Tant qu'elle reste invisible, elle continue d'effacer, d'enfermer, de tuer en silence... Chaque personne incarcérée, effacée... est une preuve silencieuse de l'échec des politiques sociales, sanitaires, éducatives, du logement, etc.
En tant qu'abolitionnistes, notre travail est d'accroître notre capacité à construire des relations et des structures de soin. (No More Police, A Case for Abolition, p. 219)
Nous devons à la fois guérir et nous organiser pour la justice sociale. Nous devons guérir des blessures et des violations profondes et changer les conditions sociales et économiques qui causent des traumatismes aux prochaines générations [...] La guérison vise à contrer et à réparer l'impact traumatique de la suprématie blanche. (The Politics of Trauma ; p. 67, 147)
Si vous lisez ces mots et que vous partagez cela — que la décolonisation est la condition minimale pour toute transformation réelle, que ces transformations ne commencent seulement lorsque les voix effacées deviennent enfin audibles — n'hésitez pas à me contacter via Global Disability Justice.
Il n'y a rien de pire que les sauveur-ses blanc-hes qui parlent de violences structurelles, d'abolition, d'anti-patriarcat... sans jamais appeler au démantèlement de la suprématie blanche. Rien d'autre que le démantèlement de la suprématie blanche ne peut mettre fin au patriarcat, à toutes les formes de capacitisme, au sexisme, au racisme, au classisme, au ciblage et à la haine/violence des queers, des trans, des musulman.nes et des migrant.es, et ainsi de suite... (Talila Lewis)
Quelques rappels :
Un glossaire est disponible sur Global Disability Justice pour comprendre la santé mentale et le bien être social et émotionnel d'un point de vue du monde majoritaire marginalisé (Sud Global). L'utilisation d'un langage et d'une terminologie respectueux et inclusifs est un élément essentiel à la réconciliation et au renforcement des relations entre les personnes les plus marginalisées et la communauté au sens large. Dans ce texte, les mots en bleu doivent absolument être compris depuis cette perspective du Sud Global et des communautés marginalisées.
1 - L'abolition repose sur plusieurs principes fondamentaux :
Dans ce texte, l'abolition est entendue non pas comme une simple suppression d'institutions oppressives, mais comme une pratique politique et communautaire radicale, fondée sur les principes du féminisme noir et des mouvements anti-violence. Comme le rappellent Mariame Kaba, Andrea Ritchie et Beth E. Richie dans No More Police [69], le féminisme abolitionniste est né de la nécessité de construire des alternatives à la violence étatique et interpersonnelle, en plaçant au centre les besoins et les voix des personnes les plus touchées.
L'abolition, dans cette perspective, est une invitation à imaginer et à bâtir des systèmes de soin, de justice et de sécurité fondés sur la dignité, la solidarité et la transformation collective — et non sur la punition, la surveillance ou l'exclusion. Le féminisme noir est une politique qui s'attaque à la source de nos problèmes et des préjudices, soulage les souffrances et éradique la violence. Le féminisme noir nous demande de créer de nouvelles formes de responsabilité, de gouvernance et de socialité qui créent le monde que nous voulons.
2 - Les savoirs autochtones face à l'héritage raciste de la psychologie
Bien que cette déclaration ne soit pas suffisante, l'APA (plus grosse association de psycholoques au monde) a reconnu que :
Le gouvernement Australien, en collaboration avec les insulaires du détroit de Torres, avait lui aussi déclaré précédemment que :
tout en précisant que :
Ce faisant, un biais en faveur de ce que les constructions occidentales définissent comme la « norme idéale », propagée par le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ), ne sert que les intérêts des élites impériales. En effet, lorsque le DSM-5 a été lancé, aucune personne autochtone n'a été consultée lors de son élaboration (Bohanna et al., 2018 ; Bohanna et al., 2013 ; Fitts et al., 2019). La Society of Indian Psychologists a confirmé ce constat et a souligné que le DSM-5 utilisait les données de personnes majoritairement blanches, de classe moyenne, en bonne santé et instruites, issues de bonnes familles, excluant les membres amérindiens, ce qui, à son tour, augmente les faux positifs et les erreurs flagrantes dans le diagnostic des Amérindiens souffrant de handicap ou de problèmes de santé mentale (American Psychiatric Association, 2013 ; Gray, 2012).
Le DSM‑5 recense une vaste liste de troubles — des centaines de diagnostics — mais cette logique de catégorisation psychiatrique a fait l'objet de critiques concernant sa tendance à pathologiser l'ordinaire. Elle est aujourd'hui remise en question par des approches plus structurelles, communautaires et sensibles aux traumatismes, qui cherchent à dépasser la simple pathologisation des vécus. Cette classification est rigide et individualisante, elle fragmente les vécus en catégories médicales. En France, le maintien d'un modèle centré sur les troubles contribue à invisibiliser les causes structurelles (racisme, colonialité, pauvreté, violences institutionnelles) et à invisibiliser les savoirs communautaires et expérientiels. Le maintien de cette approche catascopique ne fait que prolonger la forme biomédicale du colonialisme qui gangrène les efforts actuels en matière de santé mentale mondiale (cf. Drake & Whitley, 2014). (Peer support : an International Charter, p. 5)
3 - Intersections entre race, handicap et enfermement
4 - absence de perspectives structurelles et féminisme blanc
[1] “Abandon Innocence and adopt abolition” est inspiré de l'article Organizing Against Abandonment (Avery Review, n° 60), qui explique le concept d'abandon organisé développé par Ruth Wilson Gilmore, sur la manière dont les États et les structures capitalistes décident de retirer des ressources, de négliger des vies, de sacrifier des communautés dans le silence institutionnel. Dans ce contexte, “Abandon innocence” signifie refuser ce consentement silencieux à ce renoncement systémique, et “adopt abolition” signifie imaginer des formes de vie, de soin et de relations qui ne reproduisent plus ces violences.
[2] En abordant la violence à travers l'échelle spatiale, on comprend que les violences interpersonnelles et les violences globales ne sont pas séparées mais co-produites. Les logiques d'abandon, de ségrégation et de contrôle qui s'exercent dans les corps — à travers le trauma, la pauvreté, la médicalisation ou la criminalisation — reproduisent les mêmes structures que celles observées à l'échelle des États, des frontières et des politiques globales. L'échelle spatiale permet ainsi de relier les espaces intimes et collectifs, personnels et planétaires, pour montrer comment la domination circule du micro au macro, de la relation au système, de la micro-violence quotidienne, souvent invisible — une remarque qui blesse, un refus d'écoute, le mensonge, l'abus, l'hypocrisie, l'arrogance, un acte de commérage, une négligence institutionnelle, etc. — à l'infrastructure, c'est à dire la matérialisation de ces violences dans les systèmes : les lois, les politiques publiques, la police, les dispositifs administratifs, les modèles économiques.
Si nous démantelons les systèmes qui enferment et punissent, nous pourrons explicitement lutter contre le génocide et la dépossession, et créer un monde axé sur la réciprocité et la responsabilité radicales (Tabitha Lean)
[3] Le terme « violence structurelle », qui remonte à au moins un demi-siècle dans les études sur la violence, désigne les institutions dominantes qui imposent des préjudices systémiques aux individus vulnérables. La violence structurelle est continue car elle est ancrée dans l'organisation de la société (Winter et Leighton, 2001). Johan Galtung, qui a introduit le terme dans les années 1960, a caractérisé la violence structurelle comme une forme de préjudice qui « tue lentement » en raison de son caractère indirect, mais profondément ancré dans les structures sociétales (Farmer et al., 2006 ; Lee, 2019). Contrairement à la violence physique, souvent visible et épisodique, la violence structurelle agit de manière persistante, marginalisant les individus et les groupes en créant des inégalités qui limitent leur capacité à atteindre le bien-être physique et mental (Lee, 2019). Les forces historiques et les processus cumulatifs limitent subtilement, et souvent imperceptiblement, l'action individuelle, limitant l'accès aux bénéfices du progrès social pour les populations considérées comme vulnérables (Browne et al., 2024). De plus, la violence structurelle exacerbe souvent la violence interpersonnelle, notamment les violences émotionnelles et psychologiques, le racisme interpersonnel, les violences verbales, les violences sexistes, l'exclusion sociale et les violences physiques infligées par les individus entre eux (Macpherson et Wathen, 2023). Souvent invisible, la violence structurelle se normalise au quotidien en raison de sa nature persistante et répétitive (Winter et Leighton, 2001). Cependant, elle n'est ni naturelle ni inévitable ; elle est plutôt le produit de structures et de politiques institutionnelles qui peuvent être modifiées, prévenues ou démantelées par une action délibérée (Winter et Leighton, 2001).
[4] Malgré les avis du comité des droits de personnes handicapées de l'ONU chargé d'évaluer la mise en oeuvre de la CDPH, le modèle médical encore dominant en France ne prend pas en compte les violences structurelles. Il conçoit le handicap comme un problème à traiter, plutôt que comme une conséquence des inégalités sociales et structurelles. À ce titre, il ne constitue pas une approche fondée sur les droits humains, car il nie les dimensions sociales, politiques et structurelles du handicap. Il réduit les personnes à leurs “incapacités” et maintient une hiérarchie implicite entre vies “pleines” et vies “déficientes”. Il est aussi nécessaire de recourir (ou d'en imaginer d'autres) aux outil concrets pour compenser (droit à la compensation) non seulement un déficit fonctionnel, mais aussi l'exposition à la violence structurelle, sociale et institutionnelle. Le déni de la violence structurelle n'est pas neutre : il sert un projet politique et économique, le maintien des inégalités sociales et raciales.
[5] Les formes institutionnelles/structurelles de violence sont souvent lentes et invisibles — résultant de processus plutôt que d'événements (Galtung, 1990). Elles peuvent ne pas être perçues comme de la violence, ni par l'agresseur ni par la victime, car les contextes culturels des deux parties façonnent leurs perceptions de ce qui constitue la violence.
[6] « lorsque nous tentons de mettre fin à la violence par la violence, nous perdons la possibilité de nous libérer de la violence. »(Beth Richie)
[7] La violence structurelle ne peut être pensée isolément. Parler uniquement de racisme systémique n'est pas suffisant. Les violences structurelles ou systémiques doivent être aussi abordées à partir d'une perspective intersectionnelle, et tenir compte de l'interdépendance du validisme structurel et institutionnel avec d'autres discriminations structurelles comme le racisme et le sexisme. [...] Une question centrale que nous soulevons est de savoir comment ce moment politique nous oblige à analyser et à aborder la violence de l'anti-noirceur et du racisme systémique, qui est aggravé par la discrimination intersectionnelle, par exemple en raison du capacitisme structurel au sein de la société cisgenre hétérosexuelle, blanche et valide, de la classe moyenne/supérieure (Erevelles, 2011a, 2011b ; Erevelles Hall 2011 ; Afeworki Abay, 2019) (Intersectional Colonialities, p. 26)
[8] La théorie critique de le race (ou Critical Race Theory (CRT) est née dans les années 1980, en réaction à l'échec perçu du mouvement des droits civiques à produire une réelle égalité. Un corpus de travaux vieux de quatre décennies qui s'interroge sur les raisons pour lesquelles la législation antidiscriminatoire non seulement ne parvient pas à remédier au racisme structurel, mais renforce encore les inégalités raciales (R. D. G. Kelley). Elle a émergé principalement dans les facultés de droit, lorsque des juristes noir·es, latinxs et asiatiques ont commencé à critiquer la prétendue neutralité du droit, l'universalisme abstrait de la Constitution, et l'usage libéral du droit comme levier de progrès, sans transformation des structures racistes sous-jacentes. Plusieurs juristes et penseur·euse·s états-unien·ne·s ont effectivement démontré, dans leurs travaux, que l'égalité raciale ne pouvait pas être atteinte uniquement par le biais du droit—et c'est l'un des points de départ centraux de la Critical Race Theory (CRT). La CRT constitue une critique radicale du droit, du racisme, du libéralisme et de la neutralité prétendue des institutions. Le droit libéral protège davantage les structures existantes que les personnes marginalisées. DisCrit (Disability and Critical Race Theory) est un prolongement essentiel de la CRT, qui permet de penser ensemble race et handicap comme systèmes de pouvoir co-constitutifs, et de critiquer à la fois le validisme et le racisme structurel dans le droit, l'éducation, la santé ou le système carcéral. En lire plus sur Global Disability Justice
[9] L'interdépendance profonde des systèmes coloniaux d'oppression fondés sur le handicap, la race, la classe et le genre est trop souvent négligée dans les discours hégémoniques. Des appels transnationaux se font entendre en faveur d'une transformation, attendue depuis longtemps, des institutions racistes historiques et systémiques (Afeworki Abay et Hutson, 2024 ; Schalk, 2018).
[10] S'engager dans des pratiques de libération coalisées et intersectionnelles nécessitent des stratégies militantes et communautaires qui refusent les approches unidimensionnelles des oppressions. Elles articulent les différents systèmes de domination (racisme, sexisme, validisme, colonialité, capitalisme, etc.) et s'ancrent dans des coalitions entre mouvements, afin de construire des formes de libération qui placent au centre les personnes vivant à l'intersection des violences structurelles et ne laissent aucune communauté de côté.
[11] Samantha Cooms et Al., Intersectional theory and disadvantage : a tool for decolonisation. (UQ eSpace)
[12] Plutôt que de s'obstiner à supposer qu'il n'y aura jamais de violence ni de préjudice dans la société, chacun.e doit pouvoir accéder à du soutien et à des ressources. L'épanouissement de chacun.e est lié à la libération de chacun.e.
[13] Les réformes censées améliorer le système actuel risquent d'enraciner des institutions dangereuses, violentes, racistes, classistes, capacitistes et oppressives, les rendant encore plus difficiles à déraciner. Lorsque la captivité est perçue comme plus douce et plus clémente, elle devient plus acceptable et moins urgente à combattre, même si elle continue de détruire d'innombrables vies. (Prison by Any Other Name, p. 10)
[14] ces personnes « en colère » exposées aux violences structurelles puis abandonnées par les espaces réformistes. Quand une personne ne rentre pas dans les cases de la productivité, de la stabilité émotionnelle ou de la conformité sociale, elle devient « trop compliquée », « trop fragile », « trop intense », elle est exclue.
[15] L'abandon organisé est un terme largement utilisé mais peu défini. D'une manière générale, il fait référence aux politiques économiques et sociales qui ont émergé sous la dictature de Pinochet, parrainée par les États-Unis au Chili, et qui ont été popularisées sous l'administration Reagan (« Reaganomics ») aux États-Unis et sous la Première ministre Margaret Thatcher (« Thatchérisme ») au Royaume-Uni. Elles sont imposées aux nations du Sud global par des institutions telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international sous la forme de « programmes d'ajustement structurel ». Le néolibéralisme « sert de prétexte pour démanteler les programmes de protection sociale, privatiser les institutions et services publics, éliminer la réglementation gouvernementale et redistribuer les ressources aux entreprises et aux élites fortunées, tout cela au nom de la “responsabilité budgétaire” ». (No More Police, A Case for Abolition, p. 48)
[16] Policing The Planet, p. 174
[17] Les communautés ont un rôle central à jouer dans le traitement et l'élimination de la violence (Mimi Kim, Creative Intervention).
[18] Et pourtant, quels que soient les facteurs sous-jacents, les personnes atteintes d'un traumatisme crânien comptent parmi les plus vulnérables de la société et les plus incarcérées. (Policing Vulnerability, p. 37) L'intersectionnalité n'a de sens que si elle inclut toutes les réalités marginalisées : leurs besoins en soins non satisfaits les exposent à une forte incarcération. Les oublier, c'est trahir l'esprit même de l'intersectionnalité.
[19] Austin Duncan rappelle que vivre avec un traumatisme crânien, c'est exister dans un corps que la société ne sait pas nommer. Ce corps, à la fois neurologique, social et politique, échappe aux classifications ordinaires — c'est pourquoi il ne peut être séparé des rapports de pouvoir qui le façonnent. Son texte montre que le traumatisme crânien est une expérience profondément intersectionnelle : il révèle comment les oppressions capacitistes, raciales, genrées et économiques s'entrecroisent pour déterminer qui a droit à la reconnaissance, au soin, ou simplement à l'écoute.
[20] Le handicap en chiffres - édition 2024 montre sans ambiguïté une vulnérabilité structurelle puissante. Il montre que les taux de discrimination sont significativement plus élevé chez ces personnes que l'ensemble de la population. Il montre une vulnérabilité accrue : des difficultés accrues dans les activités quotidiennes, une restitution d'accès aux soins, un revenu plus faible, etc. Ces vulnérabilités favorisent les discriminations et/ou les exclusions.
[21] Economies en santé : toujours les mêmes lésés (Collectif Handicaps)
[22] L'abolition est l'antidote au fascisme (Critical Resistance)
[23] Cette incapacité du « Nord global » à apprendre du reste du monde est née d'une suprématie blanche inventée qui a soutenu le colonialisme et l'impérialisme (Santos 2014 : 19) (Africa Social Work, p. 5). (→The end of the cognitive Empire). L'ethnocentrisme européen était indissociable du projet colonisateur (Pat Dudgeon et al., p. 46).
[24] Partout dans le monde, on reconnaît l'épuisement du modèle académique actuel, dont les origines remontent à l'universalisme des Lumières. (Achile Mbembe)
[25] Le terme "suprématie blanche" ne désigne pas « des postures fascisantes flagrantes et extrêmes de petits groupes néonazis, mais plutôt de la priorisation systémique et systématique des intérêts blancs, tenue pour acquise et passée sous silence par le courant politique dominant » (Gillborn, 2005, p. 2). La suprématie blanche est la structure sociale qui prévaut actuellement dans toutes les sociétés majoritairement blanches — et sans doute aussi à l'échelle mondiale (conséquence du colonialisme européen) — où les Blanc.hes bénéficient le plus des pratiques économiques, politiques et culturelles dominantes et y dominent. Si la grande majorité des Blancs de chaque pays peuvent trouver les croyances et les actions de ces groupes odieuses et souhaiter leur défaite, ces mêmes Blanc.hes peuvent néanmoins bénéficier de la structure sociale de la suprématie blanche.
Les militants abolitionnistes attirent l'attention sur l'intersection entre le colonialisme, le capitalisme, la suprématie blanche et la violence d'État. (Sinclair et al.)
[26] Le modèle médical de la santé mentale attribue la détresse et la souffrance uniquement à des causes internes et individuelles, telles que des déséquilibres chimiques ou des différences de fonctionnement cérébral. Il néglige les facteurs relationnels, sociaux, culturels, économiques et environnementaux à l'origine de la détresse et des traumatismes. Ce modèle se concentre sur la classification, le diagnostic et le traitement des « maladies » mentales par des experts exerçant un pouvoir sur les « patients ». Cela implique parfois des traitements forcés et l'incarcération.
[27] Pour résumer le gaslighting structurel, les personnes privilégiées fonctionnent souvent comme l'État : elles disposent du privilège de définir ce qui est ou non une violence. Tant que les effets ne les touchent pas directement, la violence reste invisibilisée, minimisée ou niée. C'est exactement ce que décrit le concept de gaslighting structurel : un processus collectif et institutionnalisé par lequel les expériences vécues des personnes marginalisées sont délégitimées, déformées ou présentées comme exagérées. Ainsi, les violences structurelles sont systématiquement requalifiées en “problèmes individuels”, en “mauvaises perceptions” ou en “cas isolés”, alors qu'elles relèvent d'un système organisé. Ce mécanisme permet aux groupes dominants de maintenir leur confort, leur autorité et leurs valeurs comme norme sociale, au détriment des réalités vécues par les personnes opprimées.
[28] Il est essentiel d'interroger les origines du travail social en tant que projet psychologique occidental, prolongement actif de la colonialité. La colonialité est également appelée la matrice coloniale du pouvoir, incluant le contrôle de l'histoire, du savoir, de la santé et de la justice. (Rhea V. Almeida et al., “Coloniality and Intersectionality”)
[29] Dans son analyse de la société néerlandaise, Gloria Wekker a introduit le concept d'« innocence blanche » pour désigner un « être au monde » particulier qui repose sur le non-savoir et, plus précisément, sur le fait de na pas vouloir connaître la violence du colonialisme/colonialité et ses effets sur la vie quotidienne. « Cela est fortement lié aux privilèges, aux droits et à la violence qui sont profondément désavoués », affirme Wekker dans son analyse intersectionnelle des archives culturelles néerlandaises.
[30] Les larmes blanches sont une métaphore puissante du refus de responsabilité. Elles renvoient à la manière dont les personnes privilégiées — qu'elles soient blanches, valides — utilisent l'émotion pour neutraliser la critique et préserver leur confort, plutôt que d'écouter les vécus de celles et ceux qui subissent la violence structurelle — ce qui a pour effet d'étouffer la parole des personnes concernées et de détourner l'attention du problème systémique.
[31] une femme handicapée victime d'abus institutionnel n'est pas vue comme une “victime idéale”, car son agresseur est “le système”, pas une personne unique.
Le système, lui, échappe à toute responsabilité morale. La notion de “victime idéale” (Christie, 1986) ne sert pas seulement à définir qui mérite compassion : elle fonctionne aussi comme un outil d'invisibilisation des violences structurelles. En réduisant la violence à des actes individuels et en dépolitisant la souffrance, elle empêche de nommer les mécanismes institutionnels, économiques et coloniaux qui la produisent.
[32] l'universalisme, qu'il soit républicain ou libéral, nie les interdépendances et reproduit la suprématie blanche en prétendant que la neutralité est possible. L'universalisme occidental s'est construit sur une hiérarchie entre humanités où certaines vies sont jugées dignes de protection, et d'autres pas. De nombreux milieux dits « progressistes » continuent de s'appuyer sur cet universalisme.
[33] Cette dynamique est au cœur de la suprématie blanche, qui repose sur la capacité à produire l'illusion que les inégalités sont “naturelles”, “inexistantes” ou “accidentelles”. En délégitimant la parole des opprimé·es, elle entretient l'idéologie du statu quo et déplace la responsabilité collective sur les individus. Ainsi, les violences structurelles sont normalisées, tandis que toute tentative de les nommer est présentée comme excessive, irrationnelle ou dangereuse.
[34] La responsabilisation passe par la décolonisation qui nécessite une écoute à deux oreilles (→ Two-Eared Listening)
[35] Le Dr Martin Luther King a dit : « De toutes les inégalités qui existent, l'injustice dans les soins de santé est la plus choquante et la plus inhumaine. »
[36] Les propositions les plus radicales ne se concentrent donc pas seulement sur le complexe carcéral, mais sur la lutte contre les conditions de violence structurelle qui donnent lieu à la criminalité, y compris le manque de logement, d'éducation, d'emploi, de soins culturellement adaptés et médicaux.
[37] Ce que beaucoup de personnes nouvellement attirées par le travail visant à mettre fin aux prisons et au maintien de l'ordre ignorent, c'est que la plupart des militants qui œuvrent à la justice transformatrice et la responsabilité communautaire depuis deux décennies sont également ancrés dans la philosophie de la réduction des risques, et l'utilisent pour tisser leurs politiques et leurs pratiques en actions concrètes. Cela s'explique en partie par le fait que la réduction des préjudices est non binaire et nous aide à nous libérer de notions telles que « innocence » et « culpabilité », « bonnes personnes » et « mauvaises personnes », « propre » et « sobre », etc. Libérer ces concepts et les pièges de la dichotomie entre réussite et échec est essentiel à notre travail en faveur de la justice transformatrice (Abolition and Social Work, p. 83).
[38] Les femmes racisées reconnaissent depuis longtemps que la possibilité de ne pas être victime d'agressions sexuelles au travail est indissociable des obstacles systémiques à l'accès à des salaires équitables, à la protection du travail, au logement, à l'éducation, à l'accès à l'alimentation, aux soins de santé et à l'immigration. (White Feminist Gaslighting)
[39] Chabani Manganyi nous dit qu'à cause de son narcissisme, la blancheur ne peut avoir de pitié que pour elle-même.
[41] Conseil de l'Europe, Intersectionality, (Conseil de l'Europe)
[42] L'abolition est une question de présence, non d'absence. Il s'agit de construire des institutions qui affirment la vie. – Ruth Wilson Gilmore
[43] Envisager la fermeture des institutions de confinement/incarcération est insuffisante. Ce qu'il faut, c'est un changement épistémique. (Liat Ben Moshe, → disepistemology)
[44] La violence latérale désigne des comportements préjudiciables, tels que la moquerie, la diffamation, les coups bas, l'intimidation ou, à l'extrême, la violence physique, entre membres d'un groupe ou d'une communauté opprimés. C'est pour cette raison qu'on l'appelle souvent « colonialisme intériorisé ». On la retrouve dans les communautés minoritaires du monde entier, où le contrôle des ressources et le pouvoir décisionnel appartiennent presque exclusivement à la culture dominante. (source : Healing Fundation) Sans une prise en compte de nos habitudes individuelles et interpersonnelles d'oppression intériorisée et d'agression latérale, la véritable liberté est impossible. (Sami Schalk ; Black Disability Politics) En lire plus sur Global Disability Justice
[45] Nombre de femmes blanches et cisgenres survivantes ont eu beaucoup de mal à percevoir la suprématie blanche ou leur privilège blanc comme une contrainte. Principalement parce qu'elles avaient été si victimisées, il leur était difficile de percevoir le pouvoir structurel qu'elles détenaient en étant blanches. Pour y parvenir, elles avaient besoin d'éducation et d'échanges. Elles avaient besoin d'un niveau de guérison qui leur permettrait d'appréhender cette complexité émotionnellement, puis d'agir en conséquence. Sans cela, une personne peut connaître une profonde guérison personnelle, tout en continuant à perpétuer des comportements oppressifs et à maintenir des systèmes néfastes au détriment des autres. Ce n'est pas cela la guérison (The Politics of Trauma. Somatics, Healing, and Social Justice, p. 62). C'est le cycle de la violence : celles et ceux qui ont été blessés par la violence, au lieu de se donner les moyens de guérir, s'approprient, comme l'a dit Audre Lorde, les outils du maître et deviennent celles et ceux qui nuisent.
[46] La hiérarchie au sein du monde du handicap et entre les différents types de handicaps (visibles et invisibles) est très difficile à démanteler. Une approche holistique tend à aborder la globalité du corps et de l'esprit et ne se concentre pas principalement sur le handicap physique, contrairement aux études dominantes sur le handicap et au militantisme pour les personnes handicapées. (Sami Schalk) Le leadership des personnes noires handicapées doit aussi aider au développement une compréhension approfondie des liens et des manifestations du capacitisme et du racisme.
[47] La blancheur empêche les Blanc.hes de se connecter à l'humanité (Ibram X. Kendi)
[48] Les femmes blanches choisiront aussi d'utiliser leurs larmes comme une arme plutôt que d'envisager de s'engager dans une véritable responsabilité (Autumn Asher BlackDeer)
[49] L'accent prédominant mis sur les mécanismes de classe dans la recherche française, en reléguant le handicap à un angle mort analytique (Célia Bouchet), illustre précisément ce contre quoi Omi et Winant (1986) mettent en garde : la tendance à subsumer un type d'oppression sous un autre, comme si toute forme de domination découlait exclusivement de la structure de classe.
[50] 1.DisCrit se concentre sur la manière dont les forces du racisme et du capacitisme circulent de manière interdépendante, souvent de manière neutralisée et invisible, pour maintenir les notions de normalité.
2.DisCrit valorise les identités multidimensionnelles et remet en question les notions singulières d'identité telles que la race, le handicap, la classe, le genre ou la sexualité, etc.
3.DisCrit met l'accent sur les constructions sociales de la race et des capacités, tout en reconnaissant les impacts matériels et psychologiques de l'étiquetage comme racialisé ou handicapé, qui exclut les personnes des normes culturelles occidentales.
4.DisCrit privilégie les voix des populations marginalisées, traditionnellement ignorées dans les enquêtes.
5.DisCrit examine les aspects juridiques et historiques du handicap et de la race, ainsi que la manière dont ces deux aspects ont été utilisés, séparément et conjointement, pour nier les droits de certains citoyens.
6.DisCrit reconnaît la blancheur et les capacités comme des biens et considère que les gains pour les personnes étiquetées comme handicapées sont largement le fruit de la convergence d'intérêts des citoyens blancs de la classe moyenne.
7.DisCrit appelle à l'activisme et soutient toutes les formes de résistance.
[51] L'éducation est le lieu où la violence structurelle est manifeste. La France ne fait pas exception. Lire aussi l'excellent et passionnant ouvrage incontournable : Lessons in Liberation, An Abolitionist Toolkit for Educators.
[52] Alors que les politiciens continuent de faire des boucs émissaires ceux qui ont le moins de pouvoir dans la société, les conditions de violence structurelle qui précèdent si souvent la violence interpersonnelle persistent. (Abolitionist futures) Lorsque la société continue de transformer les plus vulnérables en boucs émissaires, les mécanismes de la violence structurelle, qui nourrissent les violences interpersonnelles, restent intacts.
[53] Disability Justice se définit d'ailleurs volontairement comme un cadre communautaire plutôt qu'académique, afin de garantir son accessibilité aux personnes les plus marginalisées.
[54] voir une interprétation de ces dix principes
[55] l'évitement de la rétroaction et de la réflexion est aussi une caractéristique de la culture de la suprématie blanche, propres aux milieux de travail perfectionnistes (La culture de la suprématie blanche dans nos organisations)
[56] Le concept de « victime idéale » a été introduit par le criminologue Nils Christie. (The ideal victim. In : From crime policy to victim policy : reorienting the justice system. London : Palgrave Macmillan UK, 1986) Les personnes qui ne correspondent pas à certains critères — par exemple les personnes racisées, pauvres, handicapées, toxicomanes, prostituées, ou vivant avec des troubles psychiques — sont souvent privées de la reconnaissance du statut de victime. Elles sont perçues comme “ambivalentes”, “peu crédibles” ou “responsables” de ce qu'elles subissent. Nils Christie souligne que cette hiérarchisation morale des victimes sert à maintenir l'ordre social : elle conforte les institutions (justice, médias, police) dans leur pouvoir de décider qui mérite compassion et qui mérite contrôle. Les personnes traumatisées, psychiatrisées ou racisées sont souvent exclues du statut de victimes crédibles — même lorsqu'elles subissent des violences systémiques.
[57] Un vaste paysage traumatique reste invisible car nos ressources conceptuelles et nos idéaux sociétaux actuels ne parviennent pas à en saisir les nuances. Cette non-victimisation perpétue un cycle où seules les personnes qui s'alignent sur la « victime idéale », le « traumatisme idéal » et la « réponse idéale » sont validées, tandis que les autres sont rendues invisibles, renforçant ainsi les inégalités structurelles.(BMJ Mental Health)
[58] Ce sont les institutions coloniales et eugénistes qui ont historiquement généré les violences structurelles. Ces violences ont engendré un besoin de pair-aidance. L'objectif final de la pair-aidance est le changement social, dire la vérité au pouvoir. Mais de nombreuses formations de soutien par les pairs sont totalement dépolitisées, institutionnalisent la pair-aidance et renforcent fortement le modèle médical (Retour d'expérience de décennies d'institutionnalisation de la pair-aidance lors de récents échanges avec Project LETS). À l'inverse, les soins abolitionnistes ne peuvent pas être institutionnalisés. La directrice de Project LETS, Stephanie Lyn Kaufman-Mthimkhulu, illustre la pratique de l'abolition en décrivant une combinaison de pratiques éclairées par la justice des personnes handicapées et la libération de la folie.
[59] Le traumatisme est étroitement lié à l'exclusion sociale et aux inégalités systémiques. Ces personnes sont souvent qualifiées comme étant difficiles à atteindre ou « cachées ». (International Journal of Qualitative Methods, Résumé) Cela exige une compréhension « incarnée » et assez fine de la violence interpersonnelle et structurelle, de se décentrer des groupes dominants et homogènes. Ceci permet de remettre en question les récits dominants qui confondent un échec personnel avec une réponse à un traumatisme systémique.
[60] la vulnérabilité est un super pouvoir. Ne pas utiliser l'expertise vécue est un gaspillage (Peer support in mental health, p. 227)
[61] Le soin est un acte de résistance radical contre des systèmes conçus pour nous isoler. Ce que nous appelons souvent burn-out est la conséquence prévisible de nos efforts pour survivre au sein de systèmes conçus pour nous épuiser (Ly Xinzhèn M. Zhangsūn Brown)
[63] Le sauveurisme blanc désigne une posture morale et politique dans laquelle des personnes ou institutions blanches se présentent comme bienveillantes ou altruistes à l'égard des groupes marginalisés, tout en reproduisant les rapports de pouvoir issus de la suprématie blanche et des violences structurelles. Sous couvert d'aide, de solidarité ou d'humanitarisme, le sauveurisme blanc recentre le sujet blanc dans des histoires et des luttes qui ne sont pas les siennes, effaçant la voix, l'autonomie et l'expertise des personnes directement concernées. Ce comportement, qui se veut vertueux, renforce en réalité la dépendance et la structure sociale, puisqu'il ne remet pas en cause les structures économiques, politiques et culturelles qui produisent la marginalisation, mais s'y rend complice en les reproduisant sous des formes “compatibles” avec la morale dominante. Autrement dit, le sauveurisme blanc perpétue les mêmes logiques coloniales et paternalistes qu'il prétend combattre — sous couvert de bonté et d'humanisme.
[64] Ce domaine étant encore relativement mal connu en France, lire l'ouvrage publié récemment : L'épidémiologie sociale. Concepts, méthodes et exemples d'application, Presses de l'EHESP
[65] Des résultats confirment la forte prévalence des antécédents de TC dans les populations carcérales. Ces personnes sont paradoxalement absentes de la théorie abolitionniste — souvent perçues comme “trop confuses”, “instables” ou “difficiles à organiser” politiquement — alors qu'elles sont au cœur de la réalité carcérale. (E. Durand et al.)
[66] Des sources confirment que les personnes victimes de traumatismes crâniens sont les plus impactées par les violences structurelles et les traumatismes complexes 1, 2, 3, 4. L'errance thérapeutique après traumatisme crânien est une réalité documentée 5, 6, 7 …
[68] L'intersectionnalité de la violences désigne la manière dont les différentes formes de violence (raciale, sexiste, validiste, coloniale, économique, etc.) s'entrecroisent, se renforcent et se reproduisent mutuellement, plutôt que d'agir séparément. Voir aussi Matrice de la violence (invisible, normalisée, institutionnalisée) ou Matrice de domination (race, genre, capacité, classe, colonialité).
[70] Sheila Wildeman, Critical Pathways to Disability Decarceration : Reading Liat Ben-Moshe and Linda Steele, 2023, page 4, Schulich Law Scholars
21.12.2025 à 08:00
A propos des récentes émeutes au Maroc, vues depuis un coin de la France.
A propos des récentes émeutes au Maroc, vues depuis un coin de la France.

En France l'expression « zbeuler » est désormais généralisée, en particulier parmi toutes celles et ceux qui cherchent à rompre la normalité, celle de l'exploitation au travail, de l'autorité des flics, du patriarcat, etc… Zbeuler c'est désordonner un état de fait que les riches et les puissant.e.s cherchent à imposer aux autres. Linguistiquement l'expression tire son origine du mot arabe « zbel » qui signifie la poubelle, les ordures, et par extension tout ce qui doit être jeter ou éliminer. Au Maroc, ce terme peut vite prendre une connotation sociale, du fait notamment de la popularisation d'un personnage de dessin animé dénommé « Bouzebal ». Littéralement « homme-poubelle », Bouzebal est un jeune galérien de banlieue dont l'ennemi juré est « Kilimini » (contraction phonétique du français « qu'il est mignon » en darija marocaine), un fils de riche incarnant la jeunesse dorée partie étudier à l'étranger et qui parle bien français. Lors des nuits du 30 septembre au 2 octobre dernier près d'une trentaine de villes marocaines, petites et grandes, ont été secouées par un gros zbeul qui semble en grande partie l'œuvre de « bouzebals » comme diraient certain.e.s par mépris de classe, et d'autres en signe de familiarité. Dans tous les cas, bouzebals ou pas, en prenant d'assaut des commissariats et saccageant des banques, tous ces révolté.e.s ont défié l'autorité avec une intensité rarement vue ces derniers temps au Maroc.
Ces deux nuits d'émeutes font suite à une série de rassemblements à travers le pays, à commencer par celui tenu devant l'hôpital Hassan II d'Agadir le 14 septembre, dénonçant l'état déplorable de l'établissement où huit femmes enceintes sont décédées lors du mois d'août après des césariennes. Une semaine plus tard deux autres rassemblements sont organisés à Tiznit et Essaouira, deux villes proches d'Agadir, lors desquels une dizaine de manifestant.e.s sont interpellé.e.s et relâché.e.s. Puis, sur le réseau social Discord, un collectif se présentant hors de partis ou syndicats, nommé « GenZ212 », en référence à la génération Z née entre 1995 et 2010 et à l'indicatif téléphonique national, appelle à se rassembler pacifiquement le samedi 27 septembre dans plus d'une dizaine de grandes villes du pays, pour exiger des réformes de la santé et de l'éducation et contre la corruption, « par amour de la patrie et du roi ».
A Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech, Agadir, Meknès, des centaines de personnes se retrouvent dans les rues en criant des slogans comme « Liberté, dignité, justice sociale » et appelant à des réformes. Très vite les flics mettent fin aux rassemblements en nassant les manifestant.e.s et en faisant des dizaines d'interpellations dont 70 rien qu'à Rabat, au motif que les manifs n'étaient pas autorisées. Dans la plupart des cas il s'agit de simples vérifications d'identité et les interpellé.e.s sont libéré.e.s sans poursuites judiciaires.
Le lendemain le collectif renouvelle l'appel et, malgré les nombreuses arrestations de la veille, de nouveaux rassemblements ont lieu dans les grandes villes et d'autres plus petites comme Safi ou Tinghir. A Casablanca, des manifestant.e.s envahissent même une autoroute urbaine et 24 personnes sont interpellées pour entrave à la circulation.
Dans la nuit du 29 au 30 des centaines de personnes bravent une fois de plus l'interdiction de manifester quitte à se faire interpeller. Ce soir-là les flics empêchent tout rassemblement à Casablanca et font une cinquantaine d'arrestations à Rabat ainsi qu'une soixantaine à Marrakech. Dans cette ville rongée par l'industrie du tourisme, des manifestant.e.s déterminé.e.s se sont élancé.e.s en manif sauvage en criant « Le peuple veut la fin de la corruption », principal mot d'ordre du mouvement, mais aussi « Vive le peuple », un slogan qui, dans cette société vivant sous le joug d'une monarchie détenant tous les pouvoirs, sonne comme une manière subversive de détourner le sempiternel « Vive le roi ».
Deux nuits de zbeul généralisé
Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre le mouvement prend des formes émeutières spontanées qui débordent complètement les appels du collectif GenZ212 dans une vingtaine de villes, souvent en périphérie des grandes agglomérations mais aussi dans de petites villes plus isolées. A Nador, Errachidia, Berkane, Béni Mellal, Tiznit, Kénitra, Khénifra, Guelmim, Rabat, Meknès, Ouarzazate, Casablanca, Fès, Agadir, Témara, Skhirat, des manifs sauvages parcourent les rues et souvent les forces auxiliaires (flics anti-émeutes) se prennent des jets de pierre bien mérités.
Ailleurs la révolte prend une tournure plus compliquée pour les autorités qui doivent faire face à des centaines d'émeutier.e.s. A Inezgane, en banlieue d'Agadir, trois caisses de flics sont défoncées, une agence d'assurance et trois banques sont attaquées, une agence de la poste du Maroc est incendiée, un supermarché Marjane est éventré et des bijouteries sont pillées. A Ait Amira, une petite ville de 50 000 habitants au sud d'Agadir, la gendarmerie royale perd 12 bagnoles dont certaines sont complètement incendiées, et plusieurs banques sont défoncées dans une liesse collective.
A l'autre bout du pays, dans la ville d'Oujda, les flics se font copieusement caillasser, mais ces ordures tentent de reprendre le contrôle en fonçant dans la foule avec leurs camions, causant au moins un blessé grave qui a perdu une jambe.
Au total, pour la seule nuit du 30 au 1er, les autorités annoncent que 142 voitures de police auraient subi des dégâts.
Dans la nuit suivante, du 1er au 2 octobre, alors que le ministère de l'intérieur finit par autoriser les sit-in appelés par le collectif GenZ212, des émeutier.e.s attaquent l'autorité et le capital là où ils se trouvent, souvent bien loin des lieux officiels de rassemblement. La révolte gagne de nouvelles villes avec une intensité plus forte que la nuit précédente.
A Salé, ville pauvre qui jouxte Rabat la capitale, après des affrontements avec les keufs, deux caisses de la sûreté nationale y finissent calcinées, une banque est cramée dans le quartier Al Amal, plusieurs autres perdent leur vitrine ainsi que deux agences de transfert, puis la devanture d'un supermarché Carrefour est défoncée sur la route de Kénitra.
A Marrakech, alors qu'une marche prend forme dans les rues du centre, à l'autre bout de la ville les forces auxiliaires perdent le contrôle du quartier Sidi Youssef Ben Ali [1], par ailleurs connu pour avoir été un foyer d'insurrection contre les autorités coloniales françaises dans les années 50. Environ 200 personnes, majoritairement très jeunes, arrosent de pierres et de bouteilles les forces auxiliaires postées à l'entrée du quartier. Le comico du coin est ensuite incendié, une banque pillée, deux agences de transfert saccagées. Il faudra toute la nuit aux flics pour reprendre le contrôle de la zone.
A Tamansourt, une bourgade à quelques kilomètres au Nord de Marrakech, la gendarmerie est incendiée. Plus loin sur la côte atlantique, à El Jadida, une manif sauvage met le zbeul sur la corniche, notamment en cassant des voitures. A Taroudant, des manifestant.e.s attaquent la préfecture et commencent à incendier la porte du bâtiment. A Kelaat M'Gouna, petite ville plus isolée au Sud des montagnes du Haut Atlas, il y a aussi du grabuge dans les rues avec des incendies et de la casse.
Et puis, à Leqliaa, en banlieue Sud d'Agadir, un poste de la gendarmerie royale est attaqué par des dizaines de personnes. Les grilles de l'entrée sont arrachées et, selon les autorités, un 4x4 est sorti, des motos brûlées, et le feu mis à plusieurs endroits du bâtiment. Des flics, en partie réfugiés à l'intérieur, finissent par tirer dans la foule à balles réelles, assassinant trois personnes et faisant plusieurs blessé.e.s. Le ministère de l'intérieur annonce que 3 policiers ont été grièvement blessés dans l'attaque.

La justice à plein régime pour enfermer à tour de bras...
Le 2 octobre, un communiqué signé au nom du collectif Genz212 rejette « toute forme de violence ou de vandalisme » et il est décidé, suite à un vote sur Discord auquel ont participé plus de 15 000 personnes, de continuer les rassemblements en les limitant à des horaires fixes de 17h à 20h, et en déplaçant les lieux de rendez-vous sur des grandes places plus éloignées des quartiers populaires « pour éviter de graves incidents avec les flics ». Une campagne de nettoyage des rues est même organisée le 6 octobre avec photos à l'appui. Après cet appel au calme, le collectif se désolidarise des émeutier.e.s dans une lettre adressée au roi. Le texte comprend huit revendications dont la principale est la démission du gouvernement d'Aziz Akhannouch, le premier ministre, tandis qu'une autre, un peu plus loin dans la liste, exige l'abandon des poursuites judiciaires pour tou.te.s les détenu.e.s lié.e.s aux « protestations pacifiques », mais pas pour « ceux dont l'implication dans des actes de saccage a été prouvée »…
Le soir du 2 octobre, dans le quartier Sidi Youssef Ben Ali à Marrakech, nombreu.ses.x sont celleux qui ne voulaient pas s'arrêter malgré la répression. De nouveau les flics se sont fait caillasser, une banque a été saccagée et des commerces défoncés. On imagine qu'ailleurs aussi, parmi celles et ceux sorties dans les rues les soirs précédents, beaucoup n'avaient pas envie de rester sages. Il semble pourtant que la normalité ait repris le dessus à partir du 3 octobre, même si le collectif GenZ212 a continué d'appeler à se rassembler dans les grandes villes, réunissant quelques dizaines de manifestant.e.s à chaque endroit.
Au total, dans l'ensemble du pays, des milliers de personnes ont été arrêtées lors des rassemblements et émeutes, ainsi que les jours suivants, à l'issue d'enquêtes souvent basées sur des photos et vidéos circulant sur internet. Plus de 2400 d'entre elles ont été poursuivies par la justice, certaines ont déjà été condamnées à de très lourdes peines de prison, et des centaines attendent toujours leur procès, soit en détention préventive, soit en liberté provisoire après paiement d'une caution qui atteint généralement 2000 à 5000 dirhams (200 à 500 euros).
Quelques dossiers et chiffres sortis dans la presse donnent une idée du carnage judiciaire en cours :
• A Agadir, le 14 octobre, 17 personnes ont été condamnées à de la prison ferme pour des faits commis à Ait Amira dans la nuit du 1er au 2 octobre. Elles étaient poursuivies notamment pour « destruction de biens publics et privés », « vol en réunion », « incendies volontaires » et « violences contre les forces de l'ordre ». Trois ont été condamnées à 15 ans de prison ferme, un à 12 ans, neuf à 10 ans, un à 5 ans, un à 4 ans et deux à 3 ans.
• A Ouarzazate, 6 personnes de Kelaat M'Gouna étaient poursuivies pour « incendie volontaire », « dégradation de biens publics et privés », « entrave à la circulation », « violences contre les forces de l'ordre ». Trois d'entre elles ont été condamnées à 4 ans fermes, deux autres à 2 ans et le dernier à 1 an.
• A Oujda près d'une soixantaine de personnes ont été poursuivies pour « violence envers les forces de l'ordre » et « participation à des attroupements nocturnes armés », et 17 autres pour « formation d'une bande criminelle », « attroupement armé » et « organisation d'une manifestation non autorisée », « possession d'armes blanches », « dégradations de biens publics et privés » et « agressions contre les forces de l'ordre ». Fin octobre, 8 d'entre elles ont été condamnées à des peines de prison ferme d'une durée de 15 à 18 mois, tandis que 7 autres ont pris du sursis.
• A Agadir et Casablanca, deux personnes ont été condamnées à 4 et 5 ans de prison ferme pour « incitation à commettre des délits et crimes via les réseaux sociaux ».
• À Marrakech, 26 personnes ont été poursuivies dans six dossiers pour « violences envers les forces de l'ordre », « participation à un attroupement armé », « incitation en ligne », « dégradation de biens publics et privés », et « possession d'armes blanches ».
• A Kénitra, 17 personnes, dont 9 mineurs, ont été poursuivies pour « pillages », « destructions de biens publics et privés », « incendies volontaires ».
• A Rabat, plusieurs personnes ont été poursuivies pour « attroupement armé » et « outrage aux symboles du Royaume ».
Un roi qui semble toujours hors d'atteinte
Le 8 octobre, une soixantaine d'intellectuels, artistes et militants des droits humains adressent, à leur tour, un courrier au roi, demandant de « traiter les causes profondes et structurelles de la colère » [2]. Les militant.e.s de la GenZ212 attendent désormais « un signe fort » du monarque lors d'un discours qu'il doit tenir le 10 octobre au parlement. La veille, le collectif décide même d'annoncer la « suspension de toutes formes de protestation prévues pour le 10 octobre », « par respect pour sa majesté le roi Mohammed VI que dieu l'assiste et le glorifie ».
Au Maroc, bien qu'il y ait un parlement élu et un premier ministre nommé parmi la formation politique arrivée en tête des élections législatives, le roi, entouré de son cabinet royal, reste seul à la tête du pouvoir. Il préside le conseil des ministres, peut en renvoyer un quand il le souhaite, limoger le chef du gouvernement, dissoudre le parlement, suspendre la constitution, appeler à de nouvelles élections, ou diriger par dahir (décret royal). En plus de son statut politique il est « commandeur des croyants », soit le chef religieux du pays où l'islam est religion d'État. Pour renforcer ce statut, la dynastie des Alaouites, à laquelle appartient la famille royale, se présente comme descendante du prophète Mahomet, rien que ça. Le roi est donc le chef suprême auquel chaque marocain.e doit se soumettre. D'ailleurs chaque année se tient une cérémonie d'allégeance durant laquelle des centaines de hauts fonctionnaires, ministres, dignitaires du régime, députés, élus locaux, hauts gradés de l'armée, de la police et des services de renseignements, se prosternent devant « sa majesté » juchée sur un étalon et protégée du soleil par une ombrelle, le tout retransmis en direct à la télévision.
D'autre part, partout sur le territoire l'autorité du roi, et plus largement celle du « Makhzen », terme très répandu au Maroc pour désigner l'État, est assurée par des moyens de contrôle de la population reposant à la fois sur un appareil administratif et policier classique, et un système de renseignements plus officieux. La moindre critique du roi est quasi inexistante tant ce système diffuse efficacement la crainte du pouvoir. A l'échelle des quartiers, par exemple, des agents appelés moqaddems, représentants semi-officiels de l'autorité, instiguent la délation de tout comportement subversif, autant d'un point de vue politique que moral d'ailleurs, dans un État où, notamment, sont punis d'emprisonnement les relations homosexuelles et les rapports sexuels hors mariage.
Des luttes qui restent en mémoire
Depuis 26 ans que Mohammed VI a pris la succession du trône à la mort de son père Hassan II, les autorités ont toutefois été défiées par plusieurs mouvements de révolte, alors que la répression s'est montrée toujours aussi féroce. L'un de ceux qui doit ressurgir le plus dans les mémoires des révolté.e.s d'aujourd'hui est certainement le hirak [3] du Rif [4] débuté en octobre 2016. Suite à la mort d'un marchand de poisson écrasé dans un camion-poubelle alors qu'il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par le Makhzen, des dizaines de milliers de personnes ont envahit les rues d'Al Hoceima, capitale du Rif, en mémoire du défunt et pour protester contre leurs conditions de vie. Après huit mois de manifestations et rassemblements incessants, des discours questionnant de plus en plus ouvertement la légitimité du Makhzen, puis l'interruption du prêche d'un imam appelant à stopper le mouvement, les autorités finissent par arrêter des centaines de personnes. En réaction, le 20 juillet 2017 se tient une grande marche pour leur libération, lors de laquelle un manifestant est blessé à la tête par une grenade lacrymogène dans des affrontements avec les flics. Plongé dans le coma il décède quelques semaines plus tard. Quand aux personnes arrêtées, environ 500 sont condamnées à des peines de prison, quatre prennent 20 ans pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l'État ». Récemment, le plus médiatique des détenu.e.s du hirak du Rif, Nasser Zefzafi, a fait sortir de sa prison une lettre en soutien à la GenZ212, et l'appel à la libération des prisonnier.e.s a été scandé plusieurs fois dans des rassemblements.
Les mémoires sont aussi évidemment marquées par le mouvement du 20 février en 2011, dans le sillage des printemps arabes, avec ses manifestations critiquant le régime pendant plusieurs mois, des postes de police attaqués à différents endroits, mais aussi neuf morts dont au moins trois assassinés par les flics. En partie récupéré par les partis politiques, islamistes compris, il débouchera sur une réforme de la constitution et de nouvelles élections législatives. Ces dernières années, d'autres révoltes ont été symptomatiques du niveau de misère dans laquelle vit une partie du pays. Fin 2018 des « manifestations de la soif » ont lieu à Zagora contre les coupures d'eau puis, début 2019, des habitant.e.s de la ville minière de Jérada sortent dans les rues durant plusieurs mois suite à la mort de deux hommes qui, comme plein d'autres, gagnaient leur vie en revendant clandestinement du charbon extrait dans des puits désaffectés de l'ancienne mine [5].
Au Maroc beaucoup de gens doivent faire ce genre de boulots pour vivre, tout en devant faire allégeance à un roi qui, en plus de son statut politique et religieux, contrôle le plus grand groupe financier du pays, Al Mada, regroupant de multiples filiales dans la banque, la grande distribution, l'immobilier, les télécoms, l'énergie et, historiquement, les mines. Avec son entreprise Managem, la famille royale, à la tête d'une fortune de plus de 6 milliards de dollars, exploite une dizaine de mines d'or et d'argent dans les régions les plus pauvres du pays, aggravant les conditions de vie par l'accaparement de l'eau et la pollution [6]. Celle d'Imider, au sud de la chaîne de montagne du Haut Atlas, est bien connue car depuis les années 80 des habitant.e.s s'y opposent. À partir de 2011, des opposant.e.s ont même coupé l'alimentation en eau de la mine, tout en montant un camp pour occuper le site autour de la vanne [7].
Coupe du monde, CAN, TGV, … Le Maroc des grands projets
Dans les manifestations de ce début octobre, de nombreuses fois ont été pointées du doigts les dépenses faramineuses pour la construction des stades devant accueillir la coupe d'Afrique des nations (CAN) en 2026 et la coupe du monde de foot en 2030. A Tanger et Casablanca, au tout début du mouvement, les écrans installés dans les rues affichant un décompte avant le début de la CAN ont même été hackés pour y diffuser des insultes contre les flics (cheh !) et des revendications pour la santé et l'éducation. Pendant les rassemblements des slogans critiquaient des infrastructures coûtant des milliards en comparaison avec le piteux état des hôpitaux où les patient.e.s doivent parfois apporter leurs propres draps et matériel médical. Comble de l'indécence le tout nouveau stade de Rabat comprend, en sous-sol, une clinique flambant neuve destinée aux sportifs… Pour 2030, les autorités ont annoncé en grande pompe la construction d'un stade de 115 000 places, soit le plus grand du monde, pour un coût de 5 milliards de dirhams (environ 500 millions d'euros). Et puis, à l'approche des compétitions, le Makhzen mène des programmes d'éviction des pauvres dans les quartiers centraux des grandes villes. A Casablanca, depuis 2024, des centaines d'habitations ont été détruites dans l'ancienne médina et leurs occupant.e.s relogé.e.s dans des quartiers excentré.e.s, pour construire à la place une large avenue royale reliant la grande mosquée Hassan II.
Si les chantiers pour les coupes de football cristallisent les tensions, le décalage entre des grands projets capitalistes sollicitant des investissements massifs et le niveau de vie local concerne tous les domaines. Ces grands projets sont souvent guidés par les intérêts d'investisseurs étrangers, émiratis, chinois et français en tête. Un jour peut-être la tempête qui, lors des chaudes nuits du 30 septembre au 2 octobre, a fait valdinguer des banques, des supermarchés, des comicos et des agences de transfert d'argent, se dirigera jusqu'aux infrastructures de ce capitalisme néocolonial. Peut-être, par exemple, qu'elle atteindra la nouvelle ligne de TGV reliant Tanger à Casablanca (320 kilomètres en tout), commandée en 2010, pour 3 milliards d'euros, au groupe français Alstom qui s'est refait un pactole d'1 milliard d'euros en vendant 18 nouvelles rames de train en 2024. Peut-être même que cette tempête passera plus au Sud, là où convergent désormais les regards voraces des grands groupes français spécialistes de la transition énergétique...
Hydrogène vert et néocolonialisme au Sahara Occidental
Le Sahara Occidental, un territoire de plus de 260 000 km², est occupé et administré par l'État marocain sur 80 % de sa superficie depuis 1975 bien que l'ONU le considérait encore jusqu'à peu comme « non autonome » [8] et qu'une organisation armée sahraouie, le Front Polisario, contrôlant les 20 % restant, en revendique toujours l'indépendance. En octobre 2025, le conseil de sécurité de l'ONU a finalement reconnu un plan visant à faire de ce territoire une région autonome sous souveraineté marocaine, validant un processus de colonisation débuté par des années de guerre et de massacres, et poursuivi par l'occupation, la répression et la prédation économique.
Dans la zone occupée par les autorités marocaines, les tensions s'étaient ravivées en 2010 lorsque plus de 15 000 sahraoui.e.s ont monté un campement à Gdeim Izik en périphérie de Laayoune pour protester contre leurs conditions de vie. Le démantèlement du camp par les flics s'était soldé par au moins une dizaine de morts dont plusieurs policiers [9]. En 2020 le conflit armé entre l'armée marocaine et le Front Polisario avait même repris après 20 ans de cessez-le-feu. Aujourd'hui les tensions sont toujours bien palpables mais pas de nature à freiner la nouvelle ruée vers l'or « verte » [10].
Car si le Sahara Occidental est historiquement exploité pour ses ressources halieutiques et ses gigantesques gisements de phosphates, servant à la fabrication d'engrais agricoles, c'est désormais son exposition aux vents et son ensoleillement qui attirent les investisseurs. Ces conditions climatiques en font une zone très rentable pour la production d'énergies « vertes » et donc de carburant décarboné, comme de l'« hydrogène vert », dérivable en ammoniac, un ingrédient essentiel des engrais azotés. En mars 2024, le royaume a lancé son « Offre Maroc », un appel à venir exploiter un million d'hectares pour la production d'hydrogène vert. Il se voit répondre à 4 % de la demande mondiale d'ici 2030.
Alors que les relations diplomatiques entre la France et le Maroc étaient en crise depuis 2021, après que les services secrets marocains aient été accusés d'espionner, entre autres, le portable de Macron, à l'aide du logiciel israélien Pegasus, elles se sont vite revigorées quand ce dernier a annoncé, en juillet 2024, qu'il soutenait la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Trois mois plus tard était organisée en grande pompe une visite du président français accompagné de neuf représentants de groupes énergétiques, avec des gros contrats à la clefs.
Ainsi, Engie va investir 15 milliards d'euros en partenariat avec l'office chérifien des phosphates (OCP), le plus grand groupe minier marocain, dans six projets liés aux énergies renouvelables, à l'ammoniac vert et au « dessalement durable ». A côté de la petite ville de Chbika, Total va construire et exploiter un centre de production d'ammoniac vert destiné à l'export sur le marché européen. Puis, à Dakhla, MGH Energy a signé un contrat pour construire une usine de e-fuels tandis qu'HDF Energy projette d'y bâtir une giga-usine capable de produire 200 000 tonnes d'hydrogène vert par an. Par ailleurs, tous ces rapaces sont bien accompagnés par l'agence française de développement (AFD), conforme à ses missions néocoloniales visant à soutenir les intérêts de la France dans le développement capitaliste de ses anciennes colonies et du reste du dit Sud global.
Bref, avec tous ces projets, il y a de quoi tapisser d'éoliennes et de panneaux solaires polluants des milliers d'hectares de désert, le tout pour faire tourner l'agro-industrie dévastatrice partout dans le monde. Au Sahara Occidental comme ailleurs, la fameuse transition énergétique n'est rien d'autre qu'une nouvelle conquête afin d'exploiter toujours plus la planète et ses ressources.
L'appétit des exploiteurs n'a pas de limites et tant qu'ils pourront continuer leurs sales affaires les pauvres en subiront toujours les conséquences. Au Maroc, la propagande du Makhzen, bien relayée par ses influenceurs baltajias (nom donné aux pro-monarchie), brouille les pistes en alimentant sans cesse le discours nationaliste selon la devise « Allah, la nation, le roi » et ciblant l'ennemi algérien ou sahraoui. Mais, comme le montre cette dernière révolte, nombreu.ses.x sont celleux qui savent très bien où se trouvent les responsables de leur misère et comment les attaquer.
Solidarité avec les révolté.e.s du Maroc, de Madagascar, du Népal, d'Indonésie, du Pérou, et du monde entier !
Contre tous les pouvoirs, liberté pour toustes !

[3] Mot arabe signifiant mouvement
[4] Région montagneuse située au Nord du Maroc le long de la côte méditerranéenne
[6] ;https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/maroc-or-mines-soudan-roi-mohammed-vi-monopole-exploitation-pauvrete" class='spip_url spip_out auto' rel='nofollow external'>https://orientxxi.info/magazine/maroc-le-roi-son-or-et-le-groupe-managem,3106 ;https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/maroc-or-mines-soudan-roi-mohammed-vi-monopole-exploitation-pauvrete
[7] https://www.cadtm.org/Maroc-l-histoire-d-une-lutte-Le-mouvement-contre-la-mine-d-Imider-dure-depuis
[8] Selon la charte des nations unies, sont dits non autonomes des « territoires dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles mêmes ».
21.12.2025 à 08:00
Alors que le nombre de mort-es de la police et des matons ne cesse d'augmenter, on a pris le temps cette semaine de réaliser 1h de fanzine radiophonique pour en découdre avec les crimes d'État, en partant de l'histoire des luttes des proches de victimes des crimes sécuritaires dans les années 80, en passant par un panorama de la pensée abolitionniste du système pénal et en donnant la parole à une mère de victime de « refus d'obtempérer ».
Alors que le nombre de mort-es de la police et des matons ne cesse d'augmenter, on a pris le temps cette semaine de réaliser 1h de fanzine radiophonique pour en découdre avec les crimes d'État, en partant de l'histoire des luttes des proches de victimes des crimes sécuritaires dans les années 80, en passant par un panorama de la pensée abolitionniste du système pénal et en donnant la parole à une mère de victime de « refus d'obtempérer ».
Minuit Décousu, c'est un fanzine radiophonique nocturne sur Radio Canut (Lyon et alentours) et Cause Commune (Paris/IDF). Semaine après semaine pendant une heure, on en découd avec la nuit et on tire les fils de sons, de textes, d'archives et de voix qui s'entremêlent.
Alors que la loi Cazeneuve va bientôt sur ses 10 ans et que le nombre de personnes tuées des mains de la police ( 43 personnes cette année, et 71 en 2024) et des matons ne cesse d'augmenter, on a pris le temps de réaliser 1h de fanzine radiophonique pour en découdre avec les crimes d'État. On a donc fait chauffer les micros, rouvert les cartons des archives des luttes contre les violences policières et pénitentiaires pour concocter cette heure de radio, dans laquelle tu pourras entendre :
Et pêle-mêle, divers enregistrements faits à Lyon pendant des rassos et manifs contre les violences d'État ces six dernières années et des archives de Minuit Décosu où l'on peut entendre Farid El Yamni, Awa Gueye, Najet Kouaki et Naguib Allam.
L'émission s'écoute sur notre audioblog, ici, et un peu partout en podcast. Bonne écoute !

Visuel : Photo noir et blanc de la manifestation du 21 mars 1984 place Vendôme à Paris. On y voit des femmes qui tiennent des panneaux avec des photos de visages de victimes de crimes racistes. Derrière elles des personnes qui tiennent des pancartes qui sortent du cadre.
L'entretien complet de Flagrant Déni peut s'écouter dans l'émission des camarades des Canut Infos du lundi. On peut aussi participer à aider financièrement la prochaine grande enquête de Flagrant Déni, les infos se retrouvent sur leur site.
21.12.2025 à 08:00
Ce mois-ci nous nous intéressons à la COP 30 qui s'est déroulée à Belem au Brésil ; non pas aux négociations éternellement infructueuses qui se tiennent au milieu des lobbyistes, mais aux personnes, à l'extérieur, qui se sont réunies pour réclamer un autre mode de gouvernance pour trouver des solutions au réchauffement.
Ce mois-ci nous nous intéressons à la COP 30 qui s'est déroulée à Belem au Brésil ; non pas aux négociations éternellement infructueuses qui se tiennent au milieu des lobbyistes, mais aux personnes, à l'extérieur, qui se sont réunies pour réclamer un autre mode de gouvernance pour trouver des solutions au réchauffement.
Dernier épisode de l'année, auprès du Village des Peuples réuni en marge de la COP 30 au Brésil, ou comment revendiquer un autre leadership pour oeuvrer dans le contexte climatique.
1. Réfléchir depuis les peuples
2. Considérer la colonialité dans son ensemble et comprendre comment les COP en sont partie prenante
3. Appliquer des mesures concrètes
4. Faire financer par les puissants la transition

Si leplayer ne fonctionne pas, tout est accessible ici
DOUBLAGE
Vivie Lizae
Lune
MEDIAS
De Olho Nos Ruralistas — « Un œil sur l'agrobusiness »
Amazonia Real
Yvyrupa
Goldman Prize > Alessandra Korap Munduruku
Francophones :
We Demain > Cop 30
Mediapart
Blog Mediapart Grain > L'agrobusiness prépare sa mainmise sur la COP climat au Brésil
Reporterre
Politis
Basta > « Une fraction minoritaire de l'humanité est à l'origine du bouleversement climatique »
Recherche.PantheonSorbonne > Villes millénaires sous canopée amazonienne
Déclaration finale du Village des Peuples (anglais) :
https://cupuladospovoscop30.org/en/final-declaration/
MUSIQUE
1'52 Brisa Flow - Fique Viva (Clipe Oficial).mp4
16'43 OWERÁ - Xondaro Kaaguy Reguá (Official Video).mp4
28'19 Oriente - Brasil Colônia
VISUEL
Dessin représentant l'entité Curupira
Auteur Criscoloni
21.12.2025 à 08:00
Une petite étude personnelle sur les navires câbliers, Orange Marine ou encore Alcatel Submarine Networks.
Une petite étude personnelle sur les navires câbliers, Orange Marine ou encore Alcatel Submarine Networks.
Il y a peu de temps, j'ai regardé un documentaire d'ARTE qui s'appelle « Internet, un géant très vulnérable ». Le documentaire adopte une approche assez peu critique et le questionnement latent est surtout de savoir comment rendre les réseaux internet plus résilients. Mais ça donne au moins à voir l'intérieur de plusieurs infrastructures stratégiques comme des data centers. On y parle aussi beaucoup des câbles de fibre optique sous-marins, une infrastructure primordiale pour le fonctionnement d'internet et l'échange d'informations à travers le monde.
Les câbles sous-marins, un enjeu stratégique
Ces câbles sous-marins sont souvent décrits comme un point faible du réseau. Ils sont placés au fond des mers par des navires câbliers, et peuvent subir les tempêtes (être déplacés par les courants, remonter à la surface), des accidents de pêche (les filets des chalutiers peuvent les endommager) ou d'authentiques sabotages (par exemple, des navires de la flotte secrète russe laisseraient volontairement traîner leur ancre pour sectionner les câbles « ennemis »). Ils remontent vers les côtes dans des postes d'atterrage qui les relient au réseau terrestre électrique ou fibre.
Le documentaire montre l'importance du travail permanent d'entretien du réseau de ces câbles, permis par la flotte mondiale de navires câbliers. Ces grands bateaux sont dotés d'équipements spéciaux pour installer et réparer les câbles sous-marins. Sans eux, le réseau est rapidement défectueux. Alors j'ai eu envie de faire quelques recherches sur cette flotte industrielle stratégique, et, comme je vis en France et parle/écrit en français, sur la flotte française de navires câbliers.
La flotte de navires câbliers
J'ai d'abord été surpris de découvrir qu'il n'existe « que » une centaine de navires de ce type dans le monde ! La France se trouve en bonne position dans le classement des pays détenteurs de navires, comme les États-Unis, la Russie, le Japon et le Royaume-Uni. Autant dire qu'ils ont beaucoup de boulot, au vu de l'extension vitesse grand V des réseaux de la domination numérique. Et ça veut aussi dire que quelques navires en moins égal un réseau fragilisé et une extension de celui-ci ralentie.
Selon wikipedia, ces bateaux sont disposés à rester en mer entre 30 et 45 jours, emportant un équipage de 60 à 120 personnes. Ils possèdent des caractéristiques techniques particulières du fait de leur tâche spécifique (transport et pose de câble), comme un ballastage important en eau de mer. On peut lire la page wikipedia « Câblier » et la section caractéristiques pour plus de précisions à ce sujet.
En France, deux entreprises se partagent essentiellement le gâteau des navires câbliers : Orange Marine et Alcatel Submarine Networks (ASN).
Alcatel Submarine Network est l'un des trois leaders mondiaux du secteur. L'État français a acquis 80 % du capital d'ASN en 2024 à Nokia, qui détient toujours le reste de l'entreprise. La flotte d'ASN compte 7 navires câbliers : les bateaux Île de Bréhat, Île de Batz, Île de Sein, Île d'Aix et Île d'Yeu sont destinés à la pose des câbles sous-marins. Les navires Île d'Ouessant et Île de Molène sont eux destinés à l'entretien des câbles. L'armateur de la flotte est « Louis-Dreyfus Armateurs ». L'usine historique de la société se trouve à Calais (950 quai de la Loire), où sont fabriqués et embarqués les câbles. Un autre site industriel est à Dunkerque (2405 route du Pertuis du Môle 2). Aux Ulis dans l'Essonne (1 avenue du Canada), la société possède un datacenter important et son siège social. Il y a aussi un site au 21 quai Gallieni à Suresnes, là où se trouve également le siège social de l'armateur. Enfin, il existe un site de production à Greenwich (Angleterre) et un à Trondheim (Norvège).
Louis-Dreyfus armateur s'occupe aussi de la flotte de câbliers du malaisien Optic Marine Service (OMS Group). C'est un armateur historique français, qui s'occupe par exemple de la gestion du port de Cherbourg, et s'est spécialisé dans le transport maritime industriel (éolien offshore, aéronautique, pose de câbles). En France, le groupe a des infrastructures à Suresnes, Dunkerque, Blagnac, et La Ciotat.
Orange Marine dispose d'une flotte de 8 bateaux : le N/C Léon Thévenin, le N/C René Descartes, le N/C Raymond Croze, le N/C Antonio Meucci, le N/C Teliri, le N/C Pierre de Fermat (basé à Brest à la BMA (Base Marine Atlantique)), l'Urbano Monti et le Sophie Germain, basé à la Seyne-sur-Mer. En effet, Orange Marine compte deux bases navales en France (à Brest et à la Seyne-sur-Mer près de Toulon), et une en Italie à Catane. Le siège social se situe au 21 rue Jasmin à Paris. A Fuveau, près d'Aix-en-Provence, dans la ZAC Saint-Charles, Orange Marine dispose d'installations industrielles pour la conception et la production de ses engins sous-marins, des robots des profondeurs servant à entretenir ou installer des câbles. Le site internet d'Orange Marine décrit chacune de ses méga-machines, ainsi que les navires et les bases navales du groupe.
Une fois ces recherches faites, je me suis amusé à suivre certains navires en utilisant myshiptracking.com ou marinetraffic.com. Pour connaître les chantiers sur lesquels travaillent les équipages des bateaux, étudier leurs routes, leurs ports de mouillage, etc. Une étude très instructive et révélatrice de la matérialité de toute cette économie du cloud et de la donnée !
Une liste plus ou moins à jour de tous les navires câbliers est disponible sur la page wikipedia « Liste des navires câbliers en service dans le monde ».
On fait quoi d'ça ?
Pour moi, ces navires contribuent activement à la destruction de la planète et à la colonisation capitaliste de tous les territoires. Leur rôle est essentiel dans la mise au pas du monde par une société de surveillance et d'auto-contrôle fondée sur les technologiques numériques et de l'information. Mais comment les mettre à l'arrêt ?
Un gros bateau, c'est quand même pas simple à arrêter… et pourtant, il y a toujours un chemin. Des actes de piraterie éclairés montrent que les bateaux ne sont pas hors d'atteinte. Au Pérou, en 2023, deux navires pétroliers ont été attaqués par des membres de l'association indigène pour le développement et la préservation du Bajo Puinahua. A bord de pirogues, ils ont envoyé cocktails molotovs et lances vers l'équipage ! La même année près d'Arcachon, une vingtaine de bateaux de plaisance, plus petits, sont partis en fumée directement dans le port. C'est aussi arrivé à Fréjus en 2020, à Marseille à plusieurs reprises, dans le Lot ou encore à Saint-Nazaire et à Saint-Cyprien. Même qu'à Évian en 2014, c'est le bateau des gendarmes qui a pris feu ! Et puis, quand il est difficile de s'attaquer directement au bateau, il y a toujours l'infrastructure portuaire : fin décembre 2024 à Amsterdam, des anarchistes ont endommagés deux grues en brisant les consoles d'ordinateurs et les manettes. Avec l'électrification progressive des ports, on imagine aussi que ces derniers deviendront plus vulnérables aux coupures de courant. Et puis bien entendu, les bateaux ont des équipages, un commandement, et des armateurs. Les sociétés auxquelles ils appartiennent ont des locaux, des organigrammes, des lieux de production. La créativité n'a pas de limite.
Ma petite étude sur les navires câbliers s'arrête là. Libre à toi de la continuer, d'utiliser ce texte comme bon te semble et de le modifier à ta guise !
21.12.2025 à 08:00
À l'aube du vendredi 18 décembre, la police a procédé à l'évacuation du centre social Askatasuna à Turin, au terme d'une opération préparée de longue date et menée avec un important déploiement de forces. En soirée, des milliers de personnes ont manifesté contre l'expulsion, faisant face à une répression immédiate et violente — charges, gaz lacrymogènes et canons à eau. Cette opération s'inscrit pleinement dans le climat répressif promu par le gouvernement Meloni, visant la criminalisation des mouvements sociaux. Askatasuna paie aujourd'hui sa capacité à activer des luttes centrales, du No TAV au soutien au peuple palestinien.
À l'aube du vendredi 18 décembre, la police a procédé à l'évacuation du centre social Askatasuna à Turin, au terme d'une opération préparée de longue date et menée avec un important déploiement de forces. En soirée, des milliers de personnes ont manifesté contre l'expulsion, faisant face à une répression immédiate et violente — charges, gaz lacrymogènes et canons à eau. Cette opération s'inscrit pleinement dans le climat répressif promu par le gouvernement Meloni, visant la criminalisation des mouvements sociaux. Askatasuna paie aujourd'hui sa capacité à activer des luttes centrales, du No TAV au soutien au peuple palestinien.
Le vendredi 18 décembre à l'aube, la police a lancé l'opération d'évacuation du centre social Askatasuna à Turin. Les forces de l'ordre ont fait irruption dans le bâtiment, perquisitionnant les locaux et plaçant l'espace sous contrôle policier. Une opération préparée de longue date, menée avec un déploiement massif de moyens. En soirée, la tension est montée dans les rues de la ville : des milliers de personnes sont descendues manifester contre l'expulsion. La réponse de l'État a été immédiate et brutale : charges, gaz lacrymogènes, canons à eau. Une répression violente visant à disperser et intimider celles et ceux qui refusaient de se taire.

Ce qui s'est produit hier ne peut être compris isolément. L'évacuation s'inscrit dans un climat général de répression en Italie, porté par le gouvernement de Giorgia Meloni, qui fait de la criminalisation des mouvements sociaux et des espaces autonomes un axe central de son action politique. Une ligne sécuritaire assumée, facilitée aussi par les renoncements et les complicités d'une partie du centre-gauche institutionnel.
Le centre social n'était pas seulement un bâtiment occupé au cœur de Turin, mais une expérience politique, sociale et culturelle ayant traversé plus de deux décennies d'histoire militante. Né à la fin des années 1990, dans un contexte de transformation néolibérale des villes italiennes, il répondait à la nécessité de créer des espaces soustraits aux logiques du marché, à la spéculation immobilière et au contrôle institutionnel.
Il a avant tout représenté un espace libre : un lieu où construire une socialité différente, loin de la marchandisation du temps libre et de la culture. Un espace de production culturelle non normalisée, militante, conflictuelle. Mais cette dimension culturelle a toujours été indissociable d'un engagement politique profond.
Les luttes qui s'y sont développées traversaient l'ensemble de la société italienne : mobilisations étudiantes et universitaires, lutte historique du mouvement No TAV contre les grands projets inutiles et destructeurs, combats pour le droit au logement, contre la gentrification, pour la justice environnementale. Ces dernières années, le centre social a aussi joué un rôle constant dans l'activation politique autour des luttes internationales, notamment le soutien au peuple palestinien. C'est précisément cette capacité à mobiliser, politiser et mettre en relation des milliers de personnes autour de luttes centrales qui est aujourd'hui visée et punie.
Loin des caricatures médiatiques qui décrivent ces espaces comme des foyers de désordre ou de violence, l'expérience était profondément enracinée dans son quartier et dans la ville. Elle a toujours entretenu un dialogue avec les habitantes et les habitants, participant à des initiatives solidaires et à des moments de vie collective. Elle faisait partie intégrante du tissu vivant de Turin.
Ces derniers mois, une perspective semblait pourtant s'ouvrir avec l'hypothèse d'une reconnaissance comme « bien commun », qui aurait pu représenter une reconnaissance — même partielle — de la valeur sociale produite. Mais le maire de Turin, issu du Partito Democratico, a fait marche arrière, ouvrant la voie à l'intervention policière d'hier. Un choix politique clair, qui s'inscrit pleinement dans le climat répressif actuel.
La criminalisation de cette expérience n'est pas un cas isolé. Elle fait partie d'une offensive plus large contre toute forme d'organisation autonome, de dissidence politique et de contestation sociale. Les espaces autogérés, les luttes écologistes, les mouvements pour le logement ou la solidarité internationale sont systématiquement présentés comme des menaces à l'ordre public afin de légitimer leur répression.
S'ils ont peur de ces espaces, c'est parce qu'ils ont peur de ce qu'ils produisent : de la culture critique, de l'organisation collective, des pratiques de solidarité concrète. Ce sont des lieux capables de transformer l'indignation en action, et l'isolement en force commune.
Ce matin, ce qu'il reste autour du bâtiment, c'est un cordon de véhicules de police. Ils ont fait le désert. Ils protègent le vide qu'ils ont eux-mêmes créé. Une démonstration de force, une preuve musculaire par laquelle le pouvoir tente d'imposer le silence. Mais on n'évacue ni une histoire, ni ce qu'elle a semé.
Peut-être n'avons-nous pas été assez capables de le défendre. Mais une chose est certaine : d'une manière ou d'une autre, nous le reprendrons.
Enfin, une réponse collective est déjà en construction : demain, samedi 20 décembre 2025 à 14h30, une manifestation est appelée à Turin contre l'évacuation et la répression. Un rendez-vous pour réaffirmer que cette histoire ne s'arrête pas avec une opération policière, et que les espaces de lutte, de solidarité et de liberté continuent à vivre dans les rues.
Nous serons toujours complices et solidaires.
Que viva Aska !

20.12.2025 à 15:07
Depuis plusieurs semaines, Renversé est bloqué par plusieurs opérateurs en Suisse. La cause ? Un article dans lequel est nommé le policier lausannois impliqué dans les meurtres de Mike et Camila.
Depuis plusieurs semaines, Renversé est bloqué par plusieurs opérateurs en Suisse. La cause ? Un article dans lequel est nommé le policier lausannois impliqué dans les meurtres de Mike et Camila.
Depuis plusieurs semaines, le site de Renversé est inaccessible pour beaucoup de personnes car il est bloqué par plusieurs opérateurs. La cause ? Un article publié en septembre dans lequel est nommé le policier lausannois impliqué dans les meurtres de Mike et Camila. L'avocate du policier semble prête à tout pour censurer votre site d'informations favori...
Le 25 août dernier, le grand public découvre l'existence de groupes WhatsApp sur lesquels des policiers lausannois échangent des propos haineux, racistes, transphobes, mysogine, validistes et autres. Cette nouvelle, peu surprenante, fait suite aux meurtres de Marvin, Camila et Michael, tous commis en 2025 à Lausanne lors d'interventions policières brutales et disproportionnées. Ces événements tragiques s'ajoutent à la longue liste des crimes policiers en Suisse. Rappelons que dans le canton de Vaud, huit personnes ont trouvé la mort suite à un contact avec la police depuis 2017. L'écrasante majorité de ces personnes sont des hommes noirs.
Les médias révélent par la suite que le policier qui a pris Camilla en chasse et provoqué l'accident de scooter qui lui a coûté la vie était déjà prévenu pour le meurtre de Mike Ben Peter, un homme noir tué par des policiers en 2018 à Lausanne. De plus, la presse indique que ce même policier a participé à au moins un des groupes WhatsApp aux contenus haineux et racistes.
C'est alors que le 3 septembre, un article intitulé « La peur va changer de camp » est publié sur Renversé par des contributeur.ices anonymes. Cet article dénonce la « protection totale et le soutien inconditionnel » dont jouissent les policiers « malgré des fait accablants et incontestables ». Il donne également le nom de ce policier impliqué dans la mort de deux personnes et dénonce la justice qui, une fois saisie, « acquitte, et permet à des policiers meurtriers de continuer à exercer ». En plus de cette impunité policière, l'article parle de comment « les noms des victimes des violences policières [...] sont traînés dans la boue », via certains médias qui relaient « des informations visant à criminaliser les victimes et ainsi, à justifier leur mort ».
Le 17 octobre (soit plus d'un mois après la publication de l'article) l'avocate du policier en question contacte Renversé par email. Elle exige le retrait du nom de son client de Renversé, arguant qu'il est « accompagné de qualificatifs susceptibles d'appeler à des violences à son encontre » et que la publication représente « une atteinte à sa personnalité ». Peu après la réception de ce mail, renverse.co est bloqué par les opérateurs suisses. L'avocate en question aura sûrement obtenu, et allez savoir comment, que les fournisseurs d'accès internet bloquent votre site d'information favori. À ce jour, nous n'avons toujours pas été informéexs des raisons de ce blocage. Ce, malgré notre réponse fin novembre à l'avocate qui l'informait que l'article avait été retiré et qui l'enjoignait à nous faire parvenir dans les 10 jours la décision formelle ayant autorisé le blocage du site.
En attendant d'avoir plus d'informations sur la situation, nous avons retiré le nom du policier et nous demandons que l'accès au site soit rétabli dans un délai de 10 jours. Au delà du fond douteux et de la forme illicite de cette procédure de blocage du site dans son entier, nous dénonçons une procédure bâillon et une limitation inacceptable de la liberté des médias et de la liberté d'expression. Cet article a été publié car il avait pour objectif d'informer et qu'il relève de l'intérêt public. Par exemple, il est tout à fait légitime que d'autres personnes ayant été victime d'actes litigieux aux dimensions potentiellement discriminatoires de cet agent sachent à qui elles ont eu affaire. Tel aurait été une des nombreuses mesures nécessaires que les autorités auraient dû prendre pour protéger la population, mais de toute évidence elles rechignent à réagir à la hauteur de la gravité des faits dont l'institution policière est autrice.
Ainsi, on ne peut qu'appuyer le constat soulevé par les rédacteurices d'un « deux poids-deux mesures » entre la façon dont les policiers sont protégés et le traitement réservé par l'État aux victimes des violences qu'il commet. Dans ce contexte, le blocage du site de Renversé est un acte d'intimidation d'autant plus inadmissible quand on sait que depuis, une personne au moins a trouvé la mort suite à une détention à l'hôtel de police. Cette limitation d'accès au site est un dommage collatéral de cette impunité policière et nous adressons avant tout notre solidarité et pensées aux proches de Mike, Camila, Michael, Nzoy, Hervé, Lamin, Marvin et toutes les autres personnes tuées par la police en Suisse pour qui nous réclamons encore justice et vérité.
En attendant que tout ça se résolve, le blocage du site de Renversé semble quelque peu aléatoire. Vous avez peut-être même la chance de toujours pouvoir y accéder sans rien avoir à faire. Pour les moins chanceuxses, vous avez trois options pour continuer à vous informer et à publier sur Renversé :
19.12.2025 à 17:29
Occupation en cours, par le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, des Plateaux sauvages, 5 rue des Platrières - métro Père Lachaise. Rassemblement ce vendredi à 18h !
Occupation en cours, par le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, des Plateaux sauvages, 5 rue des Platrières - métro Père Lachaise. Rassemblement ce vendredi à 18h !

Nous sommes le Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, composé de mineurs isolés originaires d'anciennes colonies françaises. Nous sommes en lutte depuis plus de 2 ans pour l'égalité des droits et contre le système raciste qui oblige les jeunes en recours à dormir dans la rue.
Nous sommes restés 3 mois et demi à la Gaîté lyrique. Nous avons permis à 500 jeunes de ne pas passer l'hiver dehors, nous avons construit un lieu de lutte politique mais, à la fin, les institutions n'ont pas donné de solution. Depuis l'expulsion violente du 18 mars, nous avons multiplié les rendez-vous avec la mairie pour trouver une solution et éviter d'occuper à nouveau. Mais la situation prouve que nous n'avons pas le choix que de recommencer.
Aujourd'hui plus de 300 jeunes dorment dans des tentes en plein hiver dans les rues de Paris.
La préfecture expulse les campements et propose des hébergements en province, pas adapté aux mineurs, loin de nos démarches administratives, scolaires et de santé. Nous voulons des hébergements ici et maintenant. L'État est responsable mais vu la politique raciste et réactionnaire menée, nous n'en attendons rien. La résistance se fait dans nos réseaux locaux de solidarité.
La Mairie de Paris a la capacité de loger les personnes à la rue. Qu'elle montre sa volonté d'être réellement une ville d'accueil dans ce contexte. Cette fois, nous ne voulons plus d'intermédiaires, nous voulons négocier avec Anne Hidalgo, qui est la principale responsable.
Depuis l'expulsion de la Gaîté nous avons rencontre des députés, des maires d'arrondissement et des candidats aux élections municipales qui ont dit apporter leur soutien à notre lutte. S'ils veulent vraiment être à nos côtés ils doivent venir maintenant où nous sommes pour montrer leur soutien et faire pression pour que la mairie apporte des solutions.
Nous ne souhaitons pas occuper ce bâtiment pour y vivre mais pour forcer les institutions responsables à ouvrire des places d'hébergement.
Tant que nous sommes là, nous appelons à la solidarité de tout le monde, que notre occupation ne serve pas uniquement à avoir un hébergement mais que ce soit un lieu de lutte antifasciste et antiraciste.
Nous appelons à un rassemblement de soutien devant les Plateaux sauvages aujourd'hui à 18H. Venez massivement pour protéger d'une expulsion policière.
19.12.2025 à 13:12
En cette fin d'année 1977, en pleine nuit, dans le calme bourgeois du 8e arrondissement, retentit un grand boum ! L'épicerie de luxe Fauchon, son caviar, ses litchis, son armagnac millésimé... viennent de partir en (saumon ?) fumée !
En cette fin d'année 1977, en pleine nuit, dans le calme bourgeois du 8e arrondissement, retentit un grand boum ! L'épicerie de luxe Fauchon, son caviar, ses litchis, son armagnac millésimé... viennent de partir en (saumon ?) fumée !
Le Nouvel Observateur titre dès le lendemain : "Des Pères Noël dynamiteros ont fait sauter Fauchon."
Le Front libertaire, journal de l'OCL, titrera : "Oui, Fauchon ÉTAIT un travailleur épicier". Deux visions du monde, déjà...
Fauchon est un symbole du luxe, et même si ça ne bloquera pas les commandes de Noël, c'est un geste spectaculaire qui fera sourire beaucoup de smicards.
La Gauche prolétarienne, groupe mao, avait déjà, en 1970, lancé l'opération "Fauchons chez Fauchon !" et par conséquent braqué l'épicerie de luxe pour redistribuer la bouffe dans les bidonvilles de petite couronne.
Le plastiquage de Fauchon est revendiqué par, dans l'ordre : le « Groupe autonome Noël noir pour les riches » puis les « Smicards en pétard », et enfin le « Groupement pour le Progrès et le Renouveau de la Corse » ; tout le monde veut tirer la couverture à soi.
Peu importe les auteur-es exact-es de cette charmante action, c'est dans l'air du temps : une vague de réappropriations, de destructions ont lieu effectivement au milieu des années 1970 dans toute l'Europe.
C'est le grand moment du mouvement autonome, issu de plusieurs traditions qui se sont théorisées dans le mouvement opéraiste italien [1], dans le sens de l'autonomie ouvrière ou prolétarienne, qui entend s'affranchir des syndicats et promouvoir des pratiques indépendantes, principalement d'auto-organisation et d'actions directe.
Certains groupes se déclareront autonomes des syndicats comme base de leur action ; d'autres autonomes des organisations politiques (principalement les syndicalistes révolutionnaires).
L'autonomie italienne repose sur des bases politiques provenant en droite ligne du conseillisme, mouvement des conseils ouvriers, plus communément appelés les soviets dans leur forme initiale, c'est à dire des assemblées d'ouvrier-es fonctionnant sur le principe de la démocratie directe, horizontale et à visée insurrectionnelle.
Les positions de principe sont anti-capitalistes, en refusant les rapports marchands, et anti-étatiques, dans la continuité des idées libertaires, en insistant particulièrement sur le refus des élections, le refus de la police, de la prison et de la justice.
Les pratiques sont directement inspirées de la propagande par le fait de tradition anarchiste et tournées vers l'action violente : destructions de matériel voire de lieux de productions par tous les moyens, sabotages, enlèvements, séquestrations, détournements d'avions... Bref, de l'Angleterre à la Grèce en passant par l'Allemagne, l'Italie, et même la Palestine, c'est la folie. Ça a un petit parfum explosif de la fin 19e s.
À partir des années 1970, les autonomes en Europe se positionnent politiquement en opposition aux syndicats, considérés comme des encadrants du mouvement ouvrier, en opposition à l'extrême-gauche institutionnelle, qu'elle soit communiste autoritaire, trotskyste ou maoïste, voire même contre certaines organisations anarchistes ou libertaires.
Les méthodes de l'autonomie sont des pratiques plus visibles que celles des groupes constitués, elles créent immédiatement ce qu'on appellerait aujourd'hui une "contre culture" : pratique du squat, des auto-réductions, du sabotage revendiqué, de pratiques émeutières (cassage de vitres, incendies, confrontations avec les flics) en manifestation ou rassemblement, pratique clandestine de la lutte armée. Les décisions, selon les groupes, sont prises en assemblée générale (particulièrement à Jussieu) ou en groupes informels.
Les autonomes en France sont aussi très mobilisé-es contre le nucléaire ; beaucoup sont issu-es des luttes anti-nucléaires qui sont fortes dans ces années-là, et considèrent qu'elles ne sont pas assez radicales (surtout après la mort de Vital Michalon à Creys-Malville dans la lutte contre le générateur Superphénix).
L'autonomie est très consciente de reposer sur des solidarités internationales : l'assassinat en prison de la "bande à Baader" par l'État allemand, suite à l'enlèvement du patron Hans Martin Schleyer par la Rote Armee Fraktion en RFA, est un choc qui va décider le mouvemment autonome à tenter en France ce qui se fait en Italie, en Allemagne, en Grèce, et dans beaucoup d'autres pays.
En marge de combats politiques d'une autre ampleur et dont il n'est pas question dans cet article, les autonomes en France vont donc s'attaquer dès 1977 à tout un tas de trucs qui nous pourrissent encore la vie aujourd'hui : sabotages de bornes de métro (les composteurs), des parcmètres, de commerces dont les prix sont trop chers... Bref !
C'est dans ce contexte que l'épicerie Fauchon est plastiquée.
M. Bory, patron de Fauchon, déclarera flegmatiquement :" Dans cette affaire, je ne regrette que mes collections de grands crus et armagnacs millésimés pour lesquels j'avais de la tendresse... "
Fauchons de tous les pays, rassurez-vous : de la tendresse, on n'en a toujours pas plus pour vous que vous n'en avez pour nous !
[1] Lire par exemple cet article sur l'Italie et celui-ci par exemple sur l'Espagne à ce sujet. Cet article n'a a bsolument pas pour ambition de faire l'histoire de l'autonomie et de recenser tous les groupes et pratiques existants.
18.12.2025 à 18:00
Écriture de lettres aux personnes enfermées - Rdv samedi 20 décembre à 14h place des fêtes
Écriture de lettres aux personnes enfermées - Rdv samedi 20 décembre à 14h place des fêtes
Écrire des lettres aux personnes enfermées est une pratique intemporelle de solidarité face à la répression Étatique. En cette période de Noël, souvent difficile quand on est seul-e et enfermé-e, nous vous invitons à écrire ensemble à des prisonnier-es !
Nous vous proposons par exemple de soutenir les camarades antifa arrêté-es suite à une manifestation fasciste à Budapest (Hongrie) ! Certain-es d'entre elles sont incarcérées depuis plusieurs mois dans l'attente de leur procès, dans des conditions désastreuses.
C'est aussi un moment pour apprendre à écrire ensemble et à prendre les précautions nécessaires pour ne pas envoyer d'éléments incriminants à des détenu-es dont l'enquête est toujours en cours.
Soutien à touxtes les personnes enfermées ! Crève la taule, les CRA, les HP etc.💥
🗓️ samedi 20 décembre - 14h
📍Place des fêtes - Paris
