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17.11.2025 à 16:04

Château de Chambord : pourquoi les Français financent-ils « leur » patrimoine ?

Aurore Boiron, Maîtresse de conférences en Sciences de Gestion et du Management, Université d’Orléans

En deux mois, la collecte pour restaurer Chambord a largement dépassé son objectif. Que révèle ce succès sur les liens des contributeurs avec leur patrimoine ?
Texte intégral (1632 mots)

La campagne de financement participatif des travaux du château de Chambord est un vrai succès. Que dit cette réussite de l’intérêt des Français pour le patrimoine ? Les résultats obtenus sont-ils transposables à d’autres monuments ? Ou faut-il craindre que ces campagnes pour des édifices d’intérêt national ne détournent le public d’opérations moins ambitieuses mais indispensables ?


Le domaine national de Chambord (Loir-et-Cher), deuxième château le plus visité de France après celui de Versailles (Yvelines), a fermé l’accès à l’aile François Ier. Fragilisée par le temps et le climat, cette partie du monument nécessite des travaux de restauration estimés à 37 millions d’euros.

Bien que disposant d’un modèle économique solide, le domaine ne peut absorber seul un tel coût. Aux côtés du mécénat, Chambord a choisi de mobiliser aussi le grand public en lançant, le 19 septembre 2025, une campagne de financement participatif à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Intitulée « Sauvez l’aile François Ier, devenez l’ange gardien de Chambord », elle visait à collecter 100 000 euros.

Deux mois plus tard, la collecte a déjà dépassé l’objectif initial, atteignant 218 139 euros grâce aux 2 191 dons, déclenchant un nouveau palier à 300 000 euros. Ce succès interroge : pourquoi des citoyens choisissent-ils de contribuer à la restauration d’un monument déjà emblématique soutenu par l’État et par des mécènes privés ?


À lire aussi : Culture : faut-il mettre à contribution les touristes étrangers pour mieux la financer ?


Un mode de financement à géométrie variable

Le cas de Chambord n’est pas isolé. Le financement participatif consacré au patrimoine est devenu une pratique courante en France, malgré de fortes fluctuations. Selon le baromètre du financement participatif en France, 1,4 million d’euros ont été collectés en 2022, 5,7 millions en 2023, puis seulement 0,8 million en 2024. Les raisons de ces écarts restent à documenter, mais ces chiffres révèlent un mode de financement ponctuel, voire incertain.

Ce mode de financement repose sur les dons principalement en ligne des citoyens. Il ne remplace ni l’argent public ni le mécénat d’entreprise, mais les complète, parfois même symboliquement. Dans certains cas, il joue un rôle de déclencheur. En effet, en apportant la preuve d’une mobilisation locale, la participation citoyenne peut débloquer des subventions publiques conditionnées à cet engagement. En partenariat avec certaines régions, la Fondation du patrimoine peut ainsi apporter une bonification à la souscription, comme ce fut le cas pour la restauration de l’église de Sury-en-Vaux (Cher) dans le Sancerrois.

Les projets financés sont divers : restauration d’églises rurales, sauvegarde de moulins, mise en valeur de jardins historiques, consolidation de lavoirs… Cette diversité reflète la richesse du patrimoine français, mais aussi sa fragilité et le besoin constant de mobilisation pour sa préservation.

Une question de proximité

Des recherches menées en région Centre-Val de Loire montrent que la décision de contribuer repose sur divers éléments, notamment sur le lien, appelé proximité, entre le contributeur et le bien patrimonial. Les donateurs entretiennent souvent un lien particulier avec le monument qu’ils soutiennent. Ce lien est d’abord géographique. Il peut être lié au lieu de résidence, mais aussi à des séjours passés, des vacances ou encore des visites. Il n’implique donc pas toujours d’habiter à proximité.

Il est aussi affectif. Certains contributeurs expriment un attachement direct au bien patrimonial, car ce monument peut évoquer des origines familiales, des souvenirs personnels ou susciter une émotion particulière. D’autres s’y intéressent de manière plus indirecte, parce qu’il incarne, au même titre que d’autres biens, une identité territoriale ou encore une passion pour le patrimoine en général.

Chambord cumule les atouts

La campagne de Chambord se distingue des projets plus modestes. Contrairement à une petite église de village ou à un lavoir communal, ce château touristique active simultanément plusieurs types de liens, ce qui explique en partie son potentiel de mobilisation exceptionnelle. Les premiers témoignages de participants à la campagne de Chambord illustrent ces logiques de proximité.

Chambord est un marqueur d’identité territoriale fort, dont le lien géographique et affectif fonctionne à plusieurs échelles. Chambord est avant tout un symbole du patrimoine culturel français. Pour de nombreux contributeurs, soutenir cette restauration vise à préserver un emblème de la France et de son rayonnement culturel.

« Tout comme Notre-Dame de Paris, c’est un symbole de notre patrimoine que nous devons préserver », souligne Julie.

« Ce patrimoine exceptionnel contribue au rayonnement de la France à travers le monde », précise Benjamin.

Ce sentiment d’appartenance ne s’arrête pas au niveau national. Chambord est aussi un marqueur d’identité territoriale locale. Pour les habitants du Loir-et-Cher et de la région Centre-Val de Loire, Chambord est « leur » château, le fleuron de leur territoire, comme le confie un autre donateur anonyme.

« J’habite à proximité du château de Chambord et le domaine est mon jardin ! »

Cette capacité à créer un sentiment élargi d’appartenance géographique multiplie considérablement le potentiel de contributeurs.

Passion pour l’histoire

Ce lien affectif indirect s’exprime également lorsqu’il est nourri par une passion pour l’histoire ou pour le patrimoine en général. Ces passionnés ne soutiennent pas Chambord parce qu’ils y ont des souvenirs personnels, mais parce qu’il incarne, à leurs yeux, l’excellence de l’architecture française, le génie de la Renaissance ou l’héritage culturel commun. Leur engagement s’inscrit dans une forme d’adhésion à l’idée même de sauvegarder le patrimoine.

C’est le cas de Carole,

« passionnée d’histoire, je souhaite participer à la conservation d’un patrimoine qui doit continuer à traverser les siècles pour que toutes les générations futures puissent en profiter et continuer cette préservation unique ».

Au-delà de l’identité territoriale nationale ou locale ou encore de la passion patrimoniale, les commentaires des contributeurs expriment un lien affectif direct avec le monument. L’état alarmant de Chambord réveille des émotions patrimoniales profondes, liées aux valeurs que le monument incarne, comme la beauté et la grandeur.

« Personne ne peut rester insensible à la beauté de ce château », estime Dorothée.

France 3 Centre Val-de-Loire, 2025.

Urgence et souvenirs

L’urgence de la restauration suscite également une forme de tristesse et d’inquiétude,

« C’est très triste de voir un tel chef-d’œuvre en péril », pour Mickaël.

Ce lien affectif direct s’exprime également à travers l’évocation de souvenirs personnels, témoignant d’une identité singulière attachée au lieu, comme la sortie scolaire inoubliable, la visite en famille ou entre amis, les vacances familiales ou encore la découverte émerveillée de l’escalier à double révolution.

Cette accumulation de liens entre le bien patrimonial et les contributeurs explique en partie pourquoi Chambord peut viser un objectif au-delà des 100 000 euros, là où la plupart des projets patrimoniaux se contentent de quelques dizaines de milliers d’euros. Tous les monuments ne disposent pas des mêmes atouts.

L’exemple de Chambord montre la force de l’attachement des Français au patrimoine. Il illustre aussi à quel point la réussite d’un financement participatif patrimonial repose en partie sur une bonne compréhension des liens géographiques et affectifs qui unissent les citoyens à un monument.

Ce succès interroge. Le recours au don pour les « monuments stars » comme Chambord ne risque-t-il pas de détourner l’attention des patrimoines plus fragiles et moins visibles, ou au contraire de renforcer la sensibilisation des Français à leur sauvegarde ? Dans ce contexte, le ministère de la culture, sous l’impulsion de Rachida Dati, explore l’idée d’un National Trust à la française, inspiré du modèle britannique, pour soutenir l’ensemble du patrimoine.

The Conversation

Aurore Boiron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.11.2025 à 16:03

Miné par l’inflation, le Japon a-t-il vraiment fait un virage à droite avec sa nouvelle première ministre ?

Arnaud Grivaud, Maître de conférences, spécialiste de la politique japonaise contemporaine, Université Paris Cité

Première femme à diriger le Japon, la très conservatrice Takaichi Sanae prend les rênes du pays au moment où celui-ci est confronté à de sérieuses difficultés économiques.
Texte intégral (2717 mots)

*Pour la première fois, une femme se trouve à la tête du gouvernement au Japon. Un apparent progrès sociétal qui, pour autant, n’est pas synonyme de progressisme, au vu de ses opinions ultraconservatrices. Le gouvernement de Sanae Takaichi va avant tout devoir relever le défi de l’inflation qui frappe les foyers japonais… et, pour cela, peut-être assouplir certaines de ses positions. *


Le 4 octobre 2025, Sanae Takaichi remportait les élections internes à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD). Après deux semaines de suspense marquées par de multiples tractations et recompositions des alliances, elle est devenue, le 21 octobre, la première femme à se retrouver à la tête d’un gouvernement au Japon. Depuis, nombreux ont été les articles de presse à l’étranger soulignant le caractère historique de cet événement dans un pays que le pourcentage de femmes au Parlement place à la 141ᵉ position sur 193 dans le classement de l’Union interparlementaire, tout en rappelant à juste titre les positions très conservatrices de la nouvelle dirigeante, notamment sur les questions sociétales, mais aussi mémorielles).

Ce n’est certes pas la première fois qu’une femme se retrouve à la tête d’un parti politique au Japon. En 1986, Takako Doi devenait en effet la secrétaire générale du Parti socialiste (jusqu’en 1991 puis de 1996 à 2003) ; elle est aussi la première et seule femme à avoir été présidente de la Chambre basse (1993-1996). Néanmoins, Mme Takaichi est bien la première à devenir cheffe de gouvernement.

Un parcours classique de femme politique dans un monde d’hommes

Afin d’expliquer cette nomination, on peut commencer par lui reconnaître une habileté certaine en politique et une bonne maîtrise des stratégies communicationnelles.

À l’instar de l’actuelle gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, et de plusieurs autres femmes politiques japonaises, elle a été un temps présentatrice télé avant sa première élection à la Diète (Parlement japonais) en 1993.

Elle a ensuite navigué entre plusieurs partis politiques avant de s’arrimer au PLD et de se rapprocher de son aile droite, en particulier de l’ancien premier ministre Shinzō Abe (2012-2020, assassiné en 2022).

À plus d’un titre, Sanae Takaichi, 64 ans aujourd’hui, a en réalité mené une carrière typique… d’homme politique. Elle a progressivement gravi les échelons au sein d’un parti qui, malgré quelques évolutions, privilégie encore largement l’ancienneté (son principal adversaire, Shinjirō Koizumi, âgé de 44 ans, en a sûrement fait les frais). Elle n’a, par ailleurs, jamais eu à concilier maternité et vie professionnelle, contrairement à bien des Japonaises (les enfants de son mari, ancien parlementaire du PLD, étaient déjà âgés quand ils se sont mariés en 2004).

Gouvernement japonais posant en rang sur les marches de l’escalier
Sanae Takaichi (au centre, au premier rang), pose lors d’une séance photo avec les membres de son gouvernement à Tokyo, le 21 octobre 2025. Cabinet Public Affairs Office, CC BY-NC-SA

Le pari du PLD pour redynamiser son image

Mais l’arrivée de Mme Takaichi à la tête du PLD résulte avant tout d’un pari réalisé par une frange du parti (notamment par certains de ses caciques autrefois proches de Shinzō Abe, comme Tarō Asō) pour remédier aux récentes défaites électorales subies d’abord à la Chambre basse en 2024, puis à la Chambre haute en 2025.

En faisant d’elle le nouveau visage du parti, les objectifs étaient multiples. Il s’agissait tout d’abord de redonner une image dynamique à un PLD frappé par plusieurs scandales (liens avec la secte Moon, financements de campagne illégaux, etc.), ce que les trois précédents premiers ministres (2020-2025), aux styles parfois très austères, avaient peiné à réaliser.

Cette personnalisation de la politique n’est pas nouvelle au Japon, mais il est clair, depuis les années 2000, que la figure et le style du premier ministre ont désormais un impact déterminant sur les résultats électoraux du parti. Les cadres du PLD, conscients que leur destin est étroitement lié à la perception que l’opinion publique a de leur chef, n’hésitent pas à mettre entre parenthèses leurs éventuels désaccords et leurs luttes intrapartisanes.

Bien entendu, le parti n’avait aucun doute quant au fait que la candidate avait la ferme intention de ne surtout rien changer en substance concernant la gouvernance du PLD ou les règles de financement de campagne – en dépit du slogan et mot-dièse #KawareJimintō (#ChangePLD !) utilisé dans les réseaux sociaux officiels du parti lors de cette élection à la présidence.

Ainsi, Sanae Takaichi sait également qu’elle doit cette élection à la tête du parti au soutien de personnages essentiels qui n’hésiteront pas à la pousser vers la sortie s’ils estiment qu’elle les dessert plus qu’elle ne les sert. Elle qui a plusieurs fois évoqué son admiration pour Margaret Thatcher doit sûrement se rappeler de la violence et de la rapidité avec laquelle le Parti conservateur britannique avait évincé la Dame de fer. Elle a conscience que seules de multiples victoires électorales pourraient lui permettre de consolider sa place à la tête du parti. C’est ce qui avait permis à son autre modèle, Shinzō Abe, de battre le record de longévité au poste de premier ministre (sept ans et huit mois).

C’est justement sur ce point que Mme Takaichi a su convaincre son parti. L’un de ses atouts évidents réside dans le fait qu’elle semblait être la seule à pouvoir potentiellement capter la fraction de l’électorat qui s’était tournée vers le parti d’extrême droite Sanseitō aux dernières élections à la Chambre haute (il y avait obtenu 14 sièges).

En ce sens, contrairement aux élections à la présidence du PLD de 2021 et 2024 où elle avait terminé respectivement troisième puis seconde, sa candidature arrivait cette fois-ci à point nommé puisque, sur bien des sujets, ses positions très conservatrices sont alignées sur celles du Sanseitō (par exemple sur les questions migratoires).

Une redéfinition des alliances : le « virage à droite »

Par ailleurs, ce « virage à droite » peut aussi être vu comme une manifestation du mouvement de balancier (furiko no genri) observé depuis longtemps au sein du PLD, qui consiste en une alternance à sa tête entre des figures tantôt plus libérales, tantôt plus conservatrices.

Ce phénomène, qualifié d’« alternance factice » (giji seiken kōtai) par les spécialistes, est souvent invoqué comme explication de l’extraordinaire longévité de la domination du PLD (soixante-cinq années au pouvoir entre 1955 et 2025) ; il donnerait en effet à l’électeur la vague impression d’un changement sans pour autant qu’une autre force politique s’empare du pouvoir.

Cela étant dit, certaines choses ont d’ores et déjà changé. À la suite de la nomination de Mme Takaichi à la présidence du PLD, le Kōmeitō, parti bouddhiste qui formait avec lui une coalition depuis vingt-six ans (1999), a décidé d’en sortir. Officiellement, le Kōmeitō a expliqué son geste par le refus de la première ministre de réguler davantage les dons réalisés par les entreprises aux partis politiques (le PLD perçoit la quasi-totalité des dons faits par des entreprises au Japon).

Cependant, on peine à voir pourquoi cette réforme deviendrait aussi soudainement une condition sine qua non de sa participation au gouvernement alors que le Kōmeitō a, au cours de cette dernière décennie, fait des concessions que son électorat – par ailleurs très féminin et essentiellement composé des membres de la secte Sōka gakkai – a eu bien du mal à digérer, notamment la réforme de 2015 qui a élargi les cas dans lesquels les Forces d’autodéfense japonaises peuvent intervenir à l’étranger. C’est en réalité plutôt là que se trouve la raison pour laquelle ce parti, pacifiste et présentant une fibre plus « sociale », a décidé de quitter cette alliance qui ajoutait désormais à l’inconvénient d’être une coalition minoritaire avec un PLD affaibli, celui d’opérer un virage à droite qui n’allait pas manquer de crisper ses soutiens.

Mais, alors que la situation du PLD semblait encore plus critique – au point que l’élection de sa présidente comme première ministre devenait très incertaine –, Nippon Ishin no kai, le parti de la restauration du Japon, est venu à sa rescousse.

Ce parti, dont l’assise électorale se concentre dans la région d’Ōsaka, était demeuré dans l’opposition depuis sa création en 2015. Pour autant, en dehors de son ancrage local, il ne se distinguait pas vraiment du PLD sur le plan idéologique et votait de fait en faveur de la plupart de ses projets de loi. Son président, l’actuel gouverneur d’Ōsaka Hirofumi Yoshimura, suit, tout comme son fondateur Tōru Hashimoto, avocat devenu célèbre sur les plateaux de télévision, une ligne néolibérale et sécuritaire, saupoudrée de déclarations populistes anti-establishment, nationalistes et parfois clairement révisionnistes.

La compatibilité avec le PLD, désormais menée par Sanae Takaichi, n’a probablement jamais été aussi grande. Le parti a néanmoins pris la précaution de ne pas intégrer le gouvernement, et il sait qu’en dépit du fait qu’il ne possède qu’une trentaine de sièges à la Chambre basse (environ 7 %), il est celui qui peut à tout moment le faire tomber (le PLD occupe à l’heure actuelle 196 sièges, sur les 465 de la Chambre basse).

De la Dame de fer à la Dame d’étain ?

Pour autant, doit-on s’attendre à ce que ces nouvelles alliances accouchent d’importantes évolutions au niveau des politiques publiques ? C’est plus qu’improbable.

Même sur la question migratoire, Mme Takaichi ne pourra pas revenir sur la politique volontariste engagée en 2019 par Shinzō Abe lui-même, lequel avait bien été obligé d’accéder aux doléances du monde économique (soutien indispensable du PLD) confronté à une pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs (construction, hôtellerie, etc.). Le pays comptait en 2024 environ 3,6 millions d’étrangers sur son sol (3 % de la population totale), dont environ 56 % ont entre 20 ans et 39 ans. Plus de 23 % sont Chinois, 17 % Vietnamiens et 11 % Sud-Coréens. Bien que ces chiffres soient relativement modestes, il convient de rappeler que la population immigrée au Japon a augmenté de 69 % au cours de ces dix dernières années.

Bien sûr, tout comme Shinzō Abe, la première ministre ne manquera pas d’afficher sa fermeté et fera peut-être adopter quelques mesures symboliques qui n’auront qu’un impact numérique marginal.

Elle pourrait certes avoir les coudées plus franches si elle décidait de dissoudre la Chambre basse et remportait ensuite une large victoire électorale qui redonnerait à son parti une confortable majorité. Son taux de soutien actuel dans l’opinion publique (autour de 70 %), et les prévisions favorables au PLD concernant le report des votes des électeurs du Sanseitō, du parti conservateur et du parti de la restauration du Japon (environ 25 % de report vers le PLD), pourraient bien l’inciter à adopter cette stratégie.

Cependant, ce soutien dans l’opinion (notamment chez les jeunes où le taux atteint les 80 %) n’est guère le produit de ses positions conservatrices, mais plus le résultat d’une communication – aussi redoutable que superficielle – qui fait espérer un renouveau. C’est bien plus sur l’amélioration de la situation économique d’un Japon durement frappé par l’inflation (notamment liée à des importations rendues coûteuses par un yen faible) que la cheffe du gouvernement est attendue.

Ses premières déclarations en tant que première ministre montrent que Mme Takaichi en est bien consciente et qu’elle va par ailleurs devoir assouplir ses positions sur plusieurs thèmes. En somme, la Dame de fer va devoir opter pour un alliage plus malléable.

The Conversation

Arnaud Grivaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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17.11.2025 à 16:03

Comment la consommation précoce de pornographie affecte la sexualité des garçons et des filles

Jose Daniel Rueda Estrada, Director programa Master Universitario Trabajo Social Sanitario, UOC - Universitat Oberta de Catalunya

Mario Ramírez Díaz, Trabajador social sanitario, UOC - Universitat Oberta de Catalunya

La pornographie façonne à la fois le désir des enfants et adolescents et la manière dont les jeunes filles se perçoivent comme objets de désir.
Texte intégral (1814 mots)
Les écrans deviennent les premiers vecteurs d’éducation sexuelle des adolescents, exposant filles et garçons à des modèles de désir souvent violents et inégalitaires. Shutterstock

L’exposition des enfants et adolescents à la pornographie commence de plus en plus tôt, souvent avant l’âge de 10 ans, et façonne leur compréhension du désir, du consentement et des relations affectives. Elle influe sur la manière dont les jeunes apprennent à désirer, mais aussi sur celle dont les adolescentes apprennent à être désirées.


Le contact avec la pornographie se produit de plus en plus tôt. En Espagne par exemple, 20 % des adolescents ont accédé à ce type de contenu avant l’âge de 10 ans et plus de 90 % avant l’âge de 14 ans.

(En France, un rapport d’information du Sénat corrobore, en septembre 2022, ces tendances en dénombrant 1,1 million d’adolescents de 15 ans à 18 ans et 1,2 million d’enfants de moins de 15 ans sur 19 millions de visiteurs mensuels uniques de sites pornographiques, ndlr.)

Ces chiffres révèlent une enfance exposée trop tôt à des contenus qui façonnent leur manière de comprendre le désir, le consentement et les relations affectives. Dans un contexte où l’éducation sexuelle approfondie est pratiquement inexistante tant dans les familles qu’à l’école, Internet est devenu le professeur et la pornographie son programme.


À lire aussi : La pornografía miente: por qué no sirve para aprender


Une enfance exposée trop tôt

Les recherches les plus récentes réalisées en Espagne situent le début de la consommation de pornographie entre les âges de 8 ans et 13 ans. Le téléphone portable est le principal dispositif d’accès : il permet une consommation privée, immédiate et difficile à surveiller par l’entourage adulte.

Cet accès continu est dépourvu des filtres familiaux et éducatifs qui pourraient servir d’éléments de protection.

Ce que voient les enfants

L’exposition précoce à des contenus sexuels explicites dans lesquels sont reproduites des attitudes de violence, de domination et de machisme, et la consommation comme pratique intégrée dans la socialisation numérique des adolescents ont pour conséquence que la violence physique, la coercition ou l’humiliation des femmes, loin d’être reconnues comme des agressions, sont interprétées comme des comportements sexuels normaux, voire souhaitables.

Ce sont des contenus et des attitudes qui renforcent les modèles de virilité fondés sur la domination et le rabaissement.

Certains chercheurs ont constaté que les vidéos les plus visionnées comprenaient des scènes de cheveux tirés, de gifles ou d’insultes, et même un viol collectif (avec plus de 225 millions de vues). D’autres recherches ont confirmé que la consommation régulière de pornographie violente est associée à des attitudes de domination et d’agression sexuelle : 100 % des études ont établi un lien entre la pornographie et la violence sexuelle, 80 % avec la violence psychologique et 66,7 % avec la violence physique.

En définitive, à l’adolescence, cette exposition façonne les premières expériences affectives et normalise l’idée selon laquelle le pouvoir, la soumission et la violence font partie du désir

Les filles face au miroir de la violence

Les adolescentes consultent également la pornographie, bien que dans une moindre mesure et dans un contexte marqué par la pression esthétique, les normes de genre et le besoin de validation externe, facteurs qui influencent la manière dont elles construisent leur désir et leur relation avec leur corps.

Cette consommation est souvent vécue avec un malaise ou une ambivalence émotionnelle, et est rarement partagée entre pairs.

La nouvelle pornographie numérique renforce la chosification des femmes, en les présentant comme des instruments du plaisir masculin. Des plateformes, telles qu’OnlyFans, poursuivent cette logique, en commercialisant le corps féminin sous le couvert d’une liberté apparente qui répond à la demande masculine.

Ainsi, les jeunes filles apprennent que la reconnaissance sociale dépend de leur capacité à s’exposer, ce qui génère une socialisation fondée sur l’autosexualisation et le capital érotique.

Cet apprentissage perpétue les injonctions à la soumission et consolide un modèle de désir fondé sur l’inégalité. En conséquence, la pornographie non seulement façonne la manière dont les hommes apprennent à désirer, mais aussi la manière dont les adolescentes apprennent à être désirées.

Une éducation qui arrive trop tard

L’absence d’une éducation sexuelle adéquate est l’un des facteurs qui contribuent le plus à la consommation précoce de pornographie.

Dans le domaine éducatif, il existe toujours un manque de programmes abordant les relations affectives et sexuelles avec sérieux, naturel et dans une approche fondée sur les droits et les valeurs, ce qui favorise l’intériorisation des contenus pornographiques.

De plus, les écoles en Espagne, mais aussi dans d’autres pays, manquent de ressources pour une éducation sexuelle complète et, dans les familles, le silence et le tabou prévalent souvent.

Face à ce manque de repères, la pornographie devient la principale source d’information, annulant des dimensions essentielles de la sexualité telles que l’affection, l’égalité et le respect.


À lire aussi : Habilidades para gestionar los conflictos, clave en las parejas adolescentes


Éducation socio-affective et approche de genre

C’est pourquoi l’éducation socio-affective avec une approche de genre s’est avérée essentielle pour prévenir les effets de la consommation et promouvoir des relations égalitaires.

Intégrer une réflexion sur le consentement, le plaisir et la diversité permet de contrebalancer les messages de domination véhiculés par les écrans et de responsabiliser les adolescents à partir du respect mutuel.

Un défi pour la santé publique

La consommation de pornographie à l’adolescence constitue un problème émergent de santé publique. Ses effets transcendent l’individu et affectent le bien-être émotionnel, la socialisation et la construction des identités de genre, ce qui nécessite une approche préventive et globale de la part du système de santé.

De plus, il est prouvé que l’exposition précoce à des contenus sexuels explicites influence les comportements à risque, les addictions comportementales et la reproduction des inégalités de genre.

D’une question privée à un défi collectif

Les acteurs du travail social jouent un rôle clé en se positionnant entre le système de santé, la société et les familles. De cette position, les travailleurs sociaux peuvent détecter les conséquences psychosociales de la consommation (anxiété, isolement ou attitudes sexistes) et intervenir par des actions éducatives et d’accompagnement.

De même, le travailleur social en santé contribue à la conception de stratégies intersectorielles qui intègrent l’éducation affective et sexuelle dans les soins primaires et favorisent des relations saines dès le plus jeune âge. En fin de compte, accompagner les nouvelles générations vers une sexualité fondée sur l’empathie, le consentement et l’égalité est sa plus grande responsabilité.

La consommation de pornographie n’est plus une question privée, mais un défi collectif. Il ne s’agit pas d’un problème moral, mais d’un problème de santé et d’égalité. Si la pornographie enseigne à désirer avec violence, notre tâche est d’enseigner à désirer avec empathie. En ce sens, éduquer à l’égalité, à l’affection et au consentement n’est pas une option : c’est une urgence sociale.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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