LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 50 dernières parutions

16.09.2025 à 16:41

Les internats scolaires, déclin ou renouveau ?

Bruno Poucet, Professeur émérite des universités en histoire de l'éducation, CAREF, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

S’ils ont longtemps été la norme de scolarisation des lycéens, les internats ne rassemblent plus que 3 % des élèves de l’enseignement secondaire aujourd’hui.
Texte intégral (1615 mots)

Ils ne rassemblent plus aujourd’hui que 3 % des élèves dans l’enseignement secondaire. Pourtant, les internats ont longtemps été la norme de scolarisation des lycéens. Retour sur leur histoire et leur place dans les politiques éducatives actuelles.


Au centre du système scolaire depuis la création des lycées jusque dans les années 1960, les internats ont ensuite connu un déclin régulier de leurs effectifs. Mais au tournant des années 2000 s’est amorcée une politique de revalorisation de ces établissements, suivie de la création dans les années 2010 et 2020 de dispositifs consacrés à la lutte contre le décrochage, entre internats d’excellence et internats tremplins.

Quels sont les résultats de ces politiques ? Combien d’élèves suivent-ils désormais des études en pension complète ? Quels projets éducatifs les internats ont-ils véhiculés au fil du temps ?

Internat et enseignement secondaire

Si on se limite à la création des lycées de garçons en 1802 et des établissements privés en 1850 (loi Falloux), on peut dire qu’un établissement secondaire comporte toujours un internat au XIXe siècle. Un lycéen est alors d’abord un interne. Ce n’est pas le cas dans les lycées publics de jeunes filles, créés à partir de 1880 : les élèves ne sont pas hébergées sur place mais dans des pensions. Dans les établissements gérés par des congrégations, en revanche, elles sont internes, comme leurs homologues masculins. Aucun de ces établissements n’est mixte et tous disposent d’un personnel correspondant au sexe des élèves.

La vie dans ces établissements est assez rude : le chauffage, lorsqu’il existe, est rudimentaire, l’eau pour les ablutions est souvent froide et l’hygiène relative, la nourriture peu appétissante, la discipline quasi militaire. Dans des dortoirs immenses, la promiscuité et l’absence d’intimité sont totales. Le régime est spartiate : on est là pour étudier, peu de distractions existent hormis la cour de récréation ou la promenade du jeudi après après-midi. Ajoutons que dans la plupart des établissements, on ne retourne dans les familles que pendant les vacances, avec parfois une sortie possible le dimanche.

Ce régime perdure jusque dans les années 1960 : réservés à une minorité aristocratique ou bourgeoise, les internats des établissements secondaires restent des institutions fréquentées, faute des moyens de transport et parce que ces parents croient au bienfait de l’encadrement éducatif étroit. Mais aussi, tout simplement parce qu’ils ont l’habitude de confier l’éducation de leurs enfants à des tiers. Or, les choses évoluent rapidement dans les années 1960.

L’internat en déclin

La massification et la démocratisation du système éducatif à partir des années 1960 (scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans à partir de 1967, accès massif aux différents lycées à partir des années 1990), la création d’établissements secondaires proches du domicile, l’urbanisation croissante, engendrent une réduction rapide du nombre d’élèves internes dans les établissements publics, puis dans les établissements privés sous contrat.

Le nombre de collèges a en effet doublé entre 1960 et 2016, le nombre de lycées a augmenté, de son côté, de 20 %. Les transports scolaires se sont multipliés, facilitant ainsi l’accès aux établissements. La volonté des parents d’éduquer eux-mêmes leurs enfants et de moins déléguer, le coût, enfin, pour les familles, contribuent à délaisser progressivement les internats.

En 1960, selon les chiffres du ministère, 22 %, des élèves du second degré étaient internes dans le public, en 2024, ils sont 3,3 % (soit 183 900 élèves). En revanche, le nombre de demi-pensionnaires a augmenté considérablement (+13,2 % depuis 1994). Il y a des disparités selon les établissements et les lieux de leur implantation. L’internat est-il voué à la disparition ?

Vers un renouveau de l’internat ?

Actuellement, le taux d’occupation des internats est loin de remplir les capacités disponibles, mais ne décline plus. Tous établissements publics confondus, 51 000 places étaient vacantes en 2022-2023.

Il y a une trentaine d’années, le ministère s’est interrogé sur les objectifs à mener afin de revaloriser l’internat ou du moins d’arrêter son déclin. En 1999, la nouvelle politique est impulsée par le ministre Jack Lang puis par Jean-Louis Borloo, en 2005. Les internats sont rénovés, les grands dortoirs supprimés, des chambres individuelles ou à quelques élèves sont créés, la nourriture est améliorée, la mixité fait son entrée.

La vie scolaire, avec un personnel spécialisé et formé, prend désormais en charge les élèves et les encadre de façon souple, en étant attentive aux problèmes que certains rencontrent et en les aidant dans leurs apprentissages. Les élèves quittent, sauf exception, le lycée chaque semaine, des sorties individuelles sont autorisées et des activités culturelles ou sportives, parfois spirituelles dans certains établissements privés, sont organisées.

Par ailleurs, un nouveau type d’élèves est visé dans les établissements publics. Il s’agit de mieux encadrer les jeunes défavorisés, et d’aider à leur promotion, à leur réussite. Ainsi, la circulaire interministérielle du 28 mai 2009 créée des internats d’excellence destinés aux élèves de milieux défavorisés volontaires, mais faisant preuve de réelles capacités intellectuelles. Le premier ouvre à Sourdun (Seine-et-Marne), dans l’académie de Créteil. L’encadrement est renforcé, des activités sportives et culturelles sont organisées. Avec la loi sur la refondation de l’école de la République, en 2013, un accent différent est mis, ils deviennent des internats de la réussite pour tous et visent ainsi à réduire les inégalités sociales et territoriales.

Rentrée dans un internat d’excellence (académie d’Amiens, 2024).

Par ailleurs, par une circulaire du 29 juin 2010, des internats très spécifiques sont créés : ils visent à la réinsertion scolaire d’élèves polyexclus (au moins de deux collèges), voire délinquants : ce sont les établissements de réinsertion scolaire (ERS) : 2 000 élèves seraient potentiellement concernés. Un partenariat avec la Protection judiciaire de la jeunesse est organisé.

En 2019, un plan Internats du XXIe siècle, dans le cadre de l’école de la Confiance est décidé : il est prévu de créer en 2023, 240 internats à projets et d’accueillir 13 000 jeunes dans trois types de structure : les internats d’excellence déjà existants, les résidences à thèmes, dans les zones rurales et de montagnes, les internats des campus des métiers et des qualifications, pour les élèves de la voie professionnelle.

Enfin, en 2021 sont créés huit internats tremplins afin de prendre en charge une centaine de collégiens en situation de décrochage scolaire.

Force est donc de constater que l’on a désormais une diversité de formes possibles d’internats qui deviennent un instrument en matière de politique éducative, afin de faire face aux difficultés de l’école, même s’il n’y a pas de solution miracle en la matière.

Quel bilan ?

Une évaluation récente de la direction de l’évaluation du ministère (DEPP) conclut que

« l’internat propose, en moyenne sur l’ensemble des lycéens, des conditions d’hébergement globalement satisfaisantes (..). Les élèves internes réussissent aussi bien que les autres élèves, voire un peu mieux en lycée professionnel et dans les établissements régionaux d’éducation adaptée (EREA) dans la mesure où la continuité scolaire est mieux assurée ».

En revanche, les internats de réinsertion scolaire n’ont guère donné de résultats probants dans la mesure où ils peuvent, au contraire de ce qui est recherché, devenir une quasi-école de délinquance. Par ailleurs, un autre défi est à prendre en compte : celui de la baisse démographique. Ainsi, l’internat, en dépit des politiques éducatives menées, est certes peu développé, mais il s’est maintenu en changeant en grande partie de fonction.

The Conversation

Bruno Poucet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

16.09.2025 à 16:40

Arabie saoudite : le smartphone, objet d’émancipation mais aussi de surveillance des femmes

Hélène Bourdeloie, Sociologue, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Paris Nord et chercheuse au LabSIC et associée au Centre Internet et Société (CIS– CNRS), Université Sorbonne Paris Nord

En Arabie saoudite, le smartphone est à la fois un outil d’émancipation et de contrôle de la femme.
Texte intégral (2410 mots)

Massivement adopté dans le royaume, le smartphone est utilisé par les Saoudiennes de multiples façons, souvent pour étendre leur marge de manœuvre dans une société où, malgré de récentes avancées, leurs droits restent nettement inférieurs à ceux des hommes. Si l’objet constitue un vecteur d’« empowerment », il est aussi un instrument de surveillance.


En janvier 2019, l’affaire Rahaf Mohammed al-Qunun fit le tour du monde : cette jeune Saoudienne qui cherchait à fuir sa famille se retrouva immobilisée en Thaïlande, son passeport confisqué. Munie de son smartphone, elle utilisa les réseaux sociaux pour alerter les organisations internationales sur le sort qui l’attendait. Le Canada accepta finalement sa demande d’asile. Le chargé d’affaires saoudien en Thaïlande déclara alors que les autorités auraient mieux fait de la priver de son téléphone, révélant ainsi le pouvoir inédit de cet objet connecté.

La même année, la militante Manal al-Sharif, connue pour avoir cofondé le mouvement Women to Drive en 2011 et l’avoir popularisé sur les réseaux sociaux, ferma ses comptes Twitter et Facebook. Ces outils, qui lui avaient d’abord permis de libérer sa parole, étaient devenus un piège au service de la propagande saoudienne et de la désinformation. Instruments de résistance et de mobilisation féministe résonnant auprès du monde entier, les réseaux sociaux se révélèrent des armes oppressives.

À la fin des années 2010, de nombreuses Saoudiennes se servaient des réseaux sociaux pour développer leur entreprise ou leur business.

Ces exemples reflètent la grande diversité de la condition de la femme en Arabie saoudite – une condition qui ne saurait se réduire à la représentation stéréotypée de la femme musulmane victimisée, soumise ou, à l’inverse, de la femme entrepreneuse glamour et cosmopolite. Ils traduisent également le rôle que peut jouer le smartphone dans la négociation avec les normes de genre.

Alliant conservatisme religieux et avant-gardisme technologique, le royaume se hisse parmi les nations les plus connectées de la planète, se distinguant par des taux de pénétration record en matière de microblogging et de réseaux sociaux comme YouTube. Introduit dans les années 2000, le smartphone s’est très rapidement implanté dans cette société qui a fait de la numérisation et de l’investissement dans la tech l’un de ses nouveaux étendards politiques.

La ségrégation de genre instituée…

Façonnée par des dimensions historiques, culturelles, religieuses et économiques, l’identité de la femme saoudienne est plus complexe que celle véhiculée par l’Occident, qui voit en elle une subordonnée.

Il est vrai que l’héritage tribal et la doctrine wahhabite, dominants dans le pays, ont longtemps fixé un cadre rigoriste qui a façonné la place des femmes dans la société. Mais paradoxalement, c’est le boom pétrolier des années 1970 qui a renforcé et institutionnalisé la ségrégation de genre, constituant à la fois un obstacle et un levier à l’émancipation des femmes.

Toutefois, dans les années 2000, des réformes progressives ont eu lieu : depuis 2014, les Saoudiennes peuvent travailler dans de nombreux secteurs sans l’accord de leur tuteur ; depuis 2018, elles peuvent ouvrir leur propre entreprise et conduire sans cette autorisation préalable ; et depuis 2019, les femmes peuvent voyager sans accord tutélaire. Le plan Vision 2030 a du reste accéléré ce mouvement en inscrivant la libéralisation économique et sociale au cœur du projet politique saoudien.

La société reste néanmoins sexiste et hiérarchisée, avec des rapports de genre s’inscrivant dans un système patriarcal où l’homme détient l’autorité et définit l’honneur féminin comme un bien à protéger. Cette hiérarchie se manifeste dans la famille, l’espace public, la loi ou encore la langue, qui consacre la domination masculine.

C’est dans ce contexte d’une société ségrégationniste, où les Saoudiennes ont longtemps été assignées à la sphère domestique, mais aussi de réformes en faveur des droits des femmes, que le smartphone exerce un rôle polyvalent et paradoxal.

Les normes de genre ébranlées par le smartphone

Les Saoudiennes se sont rapidement approprié l’internet et, plus encore, le smartphone. Initialement plus connectées que les hommes – elles étaient 96 % à utiliser l’internet en 2015, contre 88 % pour les hommes (selon la Commission des Technologies de l’Information et de la Communications, devenue Commission de l’espace et de la technologie Space and Technology Commission) –, les Saoudiennes passaient aussi plus de temps en ligne, et se connectaient davantage depuis leur domicile et via leur smartphone. Ces pratiques s’expliquaient à la fois par la construction statutaire de l’identité de genre, qui les confinait à l’espace domestique, et par l’interdiction de conduire, laquelle contribuait à renforcer leur usage du smartphone.

Loin d’être un simple outil technique, le smartphone a dès lors été investi comme support de visibilité et d’expression de soi pour compenser une invisibilité engendrée par la ségrégation de genre.

Toujours à portée de main, le smartphone s’est aussi imposé comme un accessoire de mode, éminemment visible pour les Saoudiennes vêtues d’abāya et de niqāb, une visibilité d’autant plus marquée avant la déclaration en 2018 du prince héritier Mohammed Ben Salmane, homme fort du royaume, déclaration selon laquelle le port de l’abāya n’était pas obligatoire.

Dans cette société stratifiée où les objets ont un pouvoir distinctif – un iPhone dernier cri est un marqueur social et esthétique –, le smartphone devient une parure ostentatoire, un instrument de stylisation et de présentation de soi qui s’exhibe dans les espaces publics, en particulier dans les centres commerciaux où les femmes peuvent déambuler en confiance.

Au-delà de son rôle symbolique, le smartphone a ouvert un espace d’émancipation grâce à la photographie et aux réseaux sociaux, alors même que l’image humaine est controversée dans l’islam et que les photographies furent longtemps proscrites en Arabie saoudite, le pays étant allé jusqu’à bannir les premiers téléphones munis d’appareils photos. Ces interdictions ont progressivement cédé, en dépit de restrictions persistantes.

En 2016, l’essor de Snapchat joua un rôle décisif. Très populaire en Arabie saoudite – le royaume figurait parmi les premiers utilisateurs au monde –, l’application permit aux jeunes femmes de se rendre visibles à travers des selfies et portraits retouchés. Les filtres constituaient autant de stratégies pour contourner la censure islamique, un portrait ou un corps modifié n’étant plus considéré comme une représentation humaine. Ces usages ludiques pouvaient être transgressifs : montrer ses cheveux ou son visage, même transformés, revenant à défier les normes.

Le smartphone a ainsi permis aux Saoudiennes de négocier avec les codes, d’affirmer la présence des femmes dans l’espace numérique et, parfois, de contester l’ordre social établi.

Le smartphone : instrument au service ou contre le féminisme ?

Pour les Saoudiennes, empêchées de conduire jusqu’en 2018, le smartphone devint un instrument de mobilité via les applications de VTC Uber ou Careem, leur permettant de se déplacer sans recourir à un membre masculin de leur famille ou à un chauffeur privé. Les applications de géolocalisation rassuraient quant à elles les proches, facilitant les sorties des jeunes filles.

Au-delà, le smartphone constitue un véritable instrument de militantisme. Le mouvement Women to Drive trouva ainsi une nouvelle ampleur grâce au numérique. En 2013, c’est en effet avec leur mobile connecté que des Saoudiennes, bravant publiquement l’interdiction de conduire, se filmèrent au volant et diffusèrent leurs vidéos sur YouTube et Twitter.

Plus largement, dans ce pays où la scène politique est inexistante, c’est sur les réseaux sociaux que se tiennent les débats et mobilisations féministes. C’est d’autre part grâce au développement de services numériques que les Saoudiennes ont pu s’affranchir de certaines règles du système de tutelle. Ainsi, créée en 2015, l’application gouvernementale Absher a-t-elle pu simplifier le quotidien des femmes, leur ouvrant même la voie pour déjouer le système en s’octroyant elles-mêmes l’autorisation de voyager.

Pourtant, le smartphone peut aussi jouer contre le féminisme. Cette même application Absher, initialement conçue pour faciliter l’ensemble des démarches administratives, a ainsi été dénoncée comme un objet de surveillance renforçant le contrôle sur les femmes. Par ailleurs, instrumentalisés par le régime, les smartphones sont devenus des objets de filature via leur numéro IMEI, permettant de traquer les personnes dissidentes ou des Saoudiennes tentant d’échapper à leur possible funeste destinée.

Outil d’émancipation et d’empowerment, le smartphone en Arabie saoudite est donc aussi un instrument de contrôle. C’est cet objet qui, au-delà des cas de Rahaf Mohammed ou de Manal al-Sharif cités plus haut, a permis à des femmes de développer leur entrepreneuriat sur Instagram, ou à des prédicatrices musulmanes de défendre leurs droits sur la scène numérique en luttant en faveur de la préservation du système de tutelle, considéré par certaines d’entre elles comme un dispositif de protection de la femme saoudienne.

Au service du féminisme – un regard tourné vers l’Orient met du reste au jour la pluralité de ses visages, irréductible à un modèle de résistance calqué sur l’expérience occidentale –, le smartphone en Arabie saoudite peut servir la cause des femmes autant que la desservir. Il a pu ainsi œuvrer contre le féminisme en renforçant le contrôle des voix dissidentes, en développant l’espionnage et la traque, et en consolidant, via les réseaux sociaux, une culture de la surveillance déjà ancrée dans le tissu social. Ni simple outil d’émancipation, ni pur instrument d’oppression, le smartphone demeure un objet et un espace de tensions où se redessinent les rapports de pouvoir et les normes de genre.


Ce texte prend appui sur une communication présentée lors du XXIe congrès de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) qui a eu lieu en 2019.

The Conversation

Hélène Bourdeloie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

16.09.2025 à 16:39

L’appétit insoutenable de nos sociétés en métaux, et comment lui survivre

Adrien Luxey-Bitri, Maître de conférences en Informatique, Université de Lille

Catherine Truffert, PDG IRIS Instruments, BRGM

Le numérique ne fonctionne pas sans électricité et l’électricité décarbonée dépend du numérique. Comment sortir de ce cercle vicieux ?
Texte intégral (2281 mots)
La mine d’uranium de Rössing, dans le désert du Namib, en Namibie. Ikiwaner, CC BY

Le numérique ne fonctionne pas sans électricité et l’électricité décarbonée dépend du numérique. Comment sortir de ce cercle vicieux, qui exerce une pression intense sur la disponibilité en ressources minérales nécessaires aux deux secteurs ? Nous proposons de dépasser le mantra de l’efficience et d’axer l’innovation sur la sobriété afin d’améliorer la qualité et la durabilité des services numériques fondamentaux sans puiser inutilement dans le réservoir limité des ressources minérales.


Le numérique occupe une place de plus en plus centrale dans notre quotidien. De nombreux services, y compris ceux de l’État, en rendent l’utilisation incontournable. Une multitude de solutions sont mises à disposition des citoyens, qui les adoptent volontiers pour effectuer des démarches à distance, s’informer ou se divertir. Le numérique est ainsi vécu comme un compagnon facilitateur dans un mode de vie rythmé par la quête d’efficacité et l’optimisation du temps.

Cependant, bien que souvent considéré comme immatériel, le numérique a un impact environnemental, tant pour les générations actuelles que futures. Cette réalité, encore mal comprise, s’explique en grande partie par sa consommation énergétique.


À lire aussi : La réalité physique du monde numérique


Sans électricité, pas de numérique

La consommation électrique des terminaux (ordinateurs, smartphones, objets connectés…) augmente avec leur nombre, dopé par l’essor des usages du numérique. De son côté, la consommation électrique des réseaux reste stable une fois l’infrastructure en place. Celle des centres de données, enfin, explose, entraînée par les besoins croissants de l’intelligence artificielle (IA), l’un des usages informatiques les plus énergivores de l’Histoire d’après l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA).

En France, les services numériques représentent déjà 11 % de la consommation électrique nationale, sans compter l’électricité importée via l’utilisation de services hébergés à l’étranger.

À l’échelle mondiale, l’IEA prévoit le doublement de la consommation des centres de données d’ici 2030 — soit l’addition de la consommation électrique actuelle du Japon — et rien n’indique que cette tendance ralentisse.

Bien au contraire, le gouvernement français a annoncé durant le Sommet pour l’Action sur l’IA début 2025, la création de 35 nouveaux centres de données dédiés à l’IA nécessitant à eux seuls 3 gigawatts d’électricité — l’équivalent de deux réacteurs nucléaires EPR.

Sans numérique, pas d’électricité décarbonée

Une réalité souvent ignorée de l’électricité décarbonée est sa dépendance au numérique.

En effet, le numérique joue un rôle clé dans le pilotage du réseau électrique. Ce pilotage est rendu plus complexe par l’introduction d’énergies intermittentes (solaire, éolien) et par les véhicules électriques. Il s’appuie sur un vaste déploiement de capteurs numériques qui collectent de nombreuses données sur le réseau électrique. Celles-ci sont ensuite traitées dans des centres de données pour modéliser le réseau, anticiper les variations et optimiser sa gestion.

Par ailleurs, les acteurs du numérique sont incités à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui les conduit à investir massivement dans les énergies bas carbone. Ils le font d’autant plus volontiers que cela contribue à leur image de marque. Google a par exemple acquis en 2025 une capacité de production de 8 gigawatts d’énergie « verte ».

Paradoxalement, la transition vers une électricité décarbonée accélère ainsi l’essor du numérique — qui est entièrement tributaire de l’électricité. Ce cycle entraîne un emballement de la production électrique et numérique sans qu’aucun mécanisme de régulation ne soit, à ce jour, envisagé pour en limiter l’ampleur.

L’omniprésente dépendance minérale

Rappelons que la décarbonation de l’électricité ambitionne de réduire un des multiples impacts des activités humaines sur l’environnement : les émissions de gaz à effet de serre responsables du dérèglement climatique. Ces émissions sont identifiées par le GIEC comme étant l’impact environnemental le plus urgent à juguler car il menace directement l’habitat et l’existence de nombreuses populations du globe… mais les autres impacts liés à l’activité humaine n’en sont pas moins importants.

Or, le déploiement massif d’unités de production d’énergies intermittentes, de bornes de recharge et de stockage d’électricité (batteries…) réclame des minéraux en grande quantité. Ainsi, le géologue Olivier Vidal calcule que pour les seuls besoins de la décarbonation de l’énergie, nos sociétés doivent miner autant d’ici 2055 que depuis l’aube de l’Humanité. Sachant que la durée de vie d’un panneau solaire est d’environ 25 ans, il s’agit d’un investissement récurrent, à moins que l’amélioration du recyclage ne permette de réduire drastiquement la demande de minéraux directement issue des mines.


À lire aussi : Les panneaux solaires, fer de lance de la transition ou casse-tête pour le recyclage ? Le vrai du faux


Les minéraux concernés sont principalement le cuivre (conducteur d’électricité irremplaçable), le lithium, plomb et cobalt des batteries, les terres rares (néodyme, dysprosium…) des éoliennes qui peuvent en contenir des centaines de kilos par unité, le silicium dopé (au bore, phosphore, cadmium, indium…) et l’argent des panneaux solaires, sans oublier l’aluminium et l’acier des pylônes électriques, dont la fabrication demande manganèse, nickel, chrome, molybdène…

Du côté du numérique, la diversité de minéraux nécessaires atteint des sommets. Un « simple » smartphone en contient plus de soixante : le tantale pour la miniaturisation des condensateurs, le germanium pour le dopage des semi-conducteurs, l’or et le molybdène pour les connecteurs inoxydables, à nouveau le cobalt pour la résistance des alliages…


À lire aussi : Connais-tu le lien entre ton téléphone portable et les cailloux ?


Plus le matériel électronique est dense et miniaturisé, plus il contient d’alliages métalliques variés et fins, comme le processeur Apple A18 qui équipe les iPhone 16, ou le processeur nVidia Blackwell (5 nanomètres) qui domine le marché de l’IA.

Produire de tels équipements requiert des matières premières d’une pureté sans pareil, qui ne peuvent être issues du recyclage.

Les minéraux sont une ressource finie. Ils existent depuis la création de la Terre, et se concentrent dans le sous-sol au gré des événements géologiques. Actuellement, deux origines d’approvisionnement co-existent : la primaire (l’extraction minière), et la secondaire (le recyclage).

Les filons miniers les plus riches et faciles d’accès ont sans surprise été exploités les premiers : la teneur en minéral des gisements diminue.

Pour extraire au plus vite et à moindre coût, l’exploitation minière « de masse », le plus souvent à ciel ouvert, se développe, ce qui en accroît l’emprise au sol, la quantité d’énergie consommée, ainsi que les déchets (roches « stériles », boues, eaux polluées…). Les impacts environnementaux explosent pour miner la même quantité de substance.

Notons que la perspective d’une exploitation des ressources au fond des océans ou spatiales reste à ce jour un pari risqué.

Concernant la seconde source — le recyclage — le « gisement » est insuffisant pour répondre aux besoins d’aujourd’hui. En effet, avant de pouvoir recycler un objet, faut-il encore qu’il soit en fin de vie. Or, la demande en électricité nécessite l’addition de nouvelles capacités de production décarbonée, et non — à ce stade — leur remplacement.

L’électronique en particulier ne peut pas être considérée comme un gisement secondaire d’envergure, car son recyclage est problématique à divers niveaux. Pour commencer, nous ne collectons mondialement qu’un périphérique usagé sur cinq. Ensuite, nous ne savons récupérer industriellement que onze minéraux dans les déchets électroniques : fer, aluminium, cuivre, argent, or, nickel, chrome, cobalt, cadmium, néodyme et dysprosium. Leur séparation est rendue particulièrement difficile par leur diversité, les alliages, la miniaturisation, la complexification et la variété des produits collectés. Enfin, le recyclage ne permet pas d’atteindre la pureté des minéraux nécessaire à la fabrication de nouveaux composants électroniques.

Ce que sobriété veut dire

Ainsi observe-t-on un cercle vicieux entre les transitions énergétique et numérique qui accroît exponentiellement la demande en minéraux et ses impacts environnementaux.

La société civile, soucieuse de l’environnement, fourmille d’initiatives pour rendre soutenables les activités humaines : en se passant de numérique quand il n’est pas nécessaire, en subordonnant la quête d’optimisation au respect de limites matérielles que l’on s’est fixées, en augmentant la durée de vie des périphériques

Des coopératives commerciales émergent pour répondre démocratiquement à de nombreux défis : Enercoop fournit de l’énergie décarbonée, Commown de l’électronique écoconçue, Mobicoop assure la mobilité, Telecoop la téléphonie…

Du côté du numérique, il existe la fédération CHATONS, constituée de 90 collectifs qui fournissent au public divers services : e-mails, sites web, sauvegardes…

Mentionnons en particulier l’association Deuxfleurs à laquelle nous contribuons.

Plutôt que reposer sur des centres de données, Deuxfleurs propose des services numériques en utilisant comme seule infrastructure matérielle d’anciens ordinateurs de bureau répartis au domicile de quelques-uns de ses membres.

Intégrer de telles initiatives pourrait permettre de maîtriser notre consommation minérale grâce au réemploi, à la réparation électronique, à la conception de services numériques durables… Pour nous, voilà ce que « sobriété » veut dire.

The Conversation

Adrien Luxey-Bitri appartient à l'Université de Lille, est membre de l'association Deuxfleurs et du centre de recherche en informatique Inria.

Catherine Truffert est PDG de IRIS Instruments, filiale du BRGM. Elle est par ailleurs présidente du Centre de Ressources Technologiques Cresitt Industrie et membre de l'association Deuxfleurs.

PDF

16.09.2025 à 15:18

Suprématie du dollar : les tarifs douaniers de Trump sur l’Inde pourraient la fragiliser

Sambit Bhattacharyya, Professor of Economics, University of Sussex Business School, University of Sussex

La hausse des droits de douane imposée par Donald Trump à l’Inde risque de pousser ce pays à se rapprocher de la Chine et de la Russie, et de fragiliser la position des États-Unis sur l’échiquier mondial.
Texte intégral (1526 mots)

Au-delà de l’économie, la politique tarifaire de Donald Trump s’affirme comme un levier de diplomatie aux répercussions géopolitiques considérables. L’imposition de droits de douane de 50 % à l’Inde, alliée stratégique des États-Unis au sein du Quad, le dialogue quadrilatéral pour la sécurité, menace non seulement les échanges bilatéraux, mais risque aussi de rapprocher New Delhi de la Russie et de la Chine, de renforcer la cohésion des BRICS+ et de fragiliser la primauté du dollar sur la scène mondiale.


La politique tarifaire de Donald Trump semble être devenue autant un outil de politique étrangère qu’une stratégie économique. Mais la décision de l’administration d’imposer des droits de douane de 50 % à l’Inde, un allié clé des États-Unis dans le cadre du dialogue quadrilatéral pour la sécurité (surnommé en anglais, le Quad) – le groupe de coopération militaire et diplomatique informelle entre les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie – pourrait avoir des répercussions importantes, non seulement sur le commerce international, mais aussi sur la géopolitique mondiale.

La justification américaine de cette hausse des droits de douane est avant tout politique. La Maison Blanche affirme que l’Inde a tiré profit de l’achat et de la revente de pétrole russe, au mépris des sanctions imposées après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Cela a aidé la Russie à surmonter les effets des sanctions et à continuer de financer sa guerre en Ukraine.

Il est évident que la politique tarifaire et les déclarations récentes de Washington et de New Delhi ont gravement détérioré une relation bilatérale encore naissante. À tel point que le premier ministre indien, Narendra Modi, a refusé de répondre aux appels téléphoniques de Trump. De son côté, Trump ne prévoit plus de se rendre en Inde pour le sommet du Quad prévu plus tard dans l’année.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, a participé au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin, en Chine, du 31 août au 1er septembre, en compagnie du président russe Vladimir Poutine. Les trois dirigeants ont été photographiés ensemble en pleine discussion cordiale et M. Modi a rencontré séparément MM. Xi et Poutine en marge du sommet, présenté comme une alternative à l’ordre hégémonique dominé par les États-Unis.

Il apparaît désormais évident que la hausse des droits de douane américains ne détournera pas l’Inde de ses achats de pétrole russe. Bien au contraire, Modi a confirmé la volonté de son pays non seulement de maintenir ces importations, mais aussi de les accroître.

Rien d’étonnant à cela : la posture de l’Inde à l’égard de la Russie, en tant qu’importateur net de pétrole brut, relève moins d’une ambition géopolitique d’envergure que d’une nécessité économique concrète, celle de maîtriser l’inflation.

Sur le plan énergétique, l’Inde reste très dépendante des importations, et sa population — majoritairement pauvre et vulnérable — a besoin de prix stables et abordables. Aucune pression venue des États-Unis ou de leurs alliés du G7 ne saurait modifier cette réalité économique fondamentale.

Le revers américain fait le jeu de Moscou

L’instauration des droits de douane américains risque de réduire les exportations indiennes de vêtements et de chaussures vers les États-Unis, les grandes marques occidentales se tournant vers des fournisseurs moins coûteux dans d’autres pays. Une telle dynamique se traduirait par une augmentation des prix pour les consommateurs américains.

Cependant, l’impact sur les fournisseurs indiens devrait rester limité, la demande mondiale en vêtements et chaussures demeurant très élevée. Ils pourraient aisément se tourner vers d’autres marchés.

Les pierres précieuses représentent un autre pilier des exportations indiennes, où le pays détient une position dominante à l’échelle mondiale. Les droits de douane américains ne devraient pas modifier sensiblement cette situation, l’Inde disposant de nombreux débouchés à l’exportation, bien que les États-Unis figurent parmi ses principaux clients.

Le renforcement des échanges commerciaux entre l’Inde et la Russie devrait favoriser de nouvelles opportunités d’investissements réciproques. Pour la Russie, la conjoncture économique pourrait globalement s’améliorer à la suite de ces droits de douane. L’Inde a d’ailleurs laissé entendre qu’elle augmenterait probablement ses importations de pétrole, tandis que la Russie profiterait d’achats de vêtements et de chaussures à prix compétitifs en provenance d’Inde, les fournisseurs indiens cherchant à rediriger leurs exportations vers de nouveaux débouchés.

Le renforcement des relations économiques avec l’Inde, qui ambitionne de porter les échanges bilatéraux à 100 milliards de dollars américains (92 milliards d’euros) d’ici 2030, offrira à la Russie un important marché alternatif à la Chine pour écouler ses produits. Elle y gagnera également un fournisseur majeur de biens de consommation, habituellement importés, contribuant ainsi à maintenir des prix abordables pour les ménages russes.

La fin de la primauté du dollar américain ?

L’Occident court le risque que, si les tensions tarifaires se traduisent par des sanctions financières plus strictes, les investissements indiens se détournent des États-Unis et des pays du G7 au profit de la Russie et de la Chine. Les investisseurs indiens sont actuellement très présents dans les secteurs de l’automobile, de la pharmacie, des technologies de l’information et des télécommunications en Occident, mais ces flux pourraient être redirigés vers d’autres marchés.

On observe de plus en plus de signes d’une cohésion renforcée, non seulement au sein de l’OCS, mais également au sein du groupe des BRICS+, qui regroupe un nombre croissant de nations commerçantes. Initialement composé des membres fondateurs – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – le groupe s’est récemment élargi pour inclure l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Indonésie et les Émirats arabes unis.

Ces économies en pleine croissance s’efforcent déjà de mettre en place des mécanismes techniques pour les investissements mutuels et les règlements commerciaux dans leurs monnaies locales plutôt qu’en dollars américains.

Les chocs commerciaux mondiaux provoqués par l’imposition de droits de douane par les États-Unis ont entraîné une baisse à court terme de la valeur du dollar américain. Si cette dépréciation reste modeste d’un point de vue historique, elle masque néanmoins un risque plus important à long terme.

Le problème ne concerne pas les transactions commerciales, qui ne constituent qu’une part marginale des opérations en dollars. Les risques à long terme résident plutôt dans une possible diminution du rôle du dollar dans la gestion d’actifs, l’investissement, les activités financières et les réserves internationales.

En particulier, le rôle quasi exclusif du dollar comme monnaie de réserve pour les pays du BRICS et du Sud est aujourd’hui menacé.

Toute politique susceptible de remettre en cause ce statut mettrait en danger la prospérité et la sécurité des États-Unis. Le problème, c’est que toute orientation financière ou commerciale rapprochant les principaux partenaires commerciaux américains de la Russie et de la Chine aurait précisément cet effet.

The Conversation

Sambit Bhattacharyya bénéficie d'un financement de UK Research and Innovation, du Conseil de recherche économique et sociale, du Conseil australien de la recherche et du Conseil européen de la recherche.

PDF

16.09.2025 à 14:14

What babies’ cries really tell us – and why maternal instinct is a myth

Nicolas Mathevon, Professeur (Neurosciences & bioacoustique - Université de Saint-Etienne, Ecole Pratique des Hautes Etudes - PSL & Institut universitaire de France), Université Jean Monnet, Saint-Étienne

Is it possible to interpret babies’ cries in order to understand their needs accurately?
Texte intégral (2259 mots)

The sound slices through the quiet of the night: a muffled sob, then a hiccup, quickly escalating into a high-pitched, frantic wail. For any parent or caregiver, this is a familiar, urgent call to action. But what is it a call for? Is the baby hungry? In pain? Lonely? Or simply uncomfortable? For generations, we’ve been told that understanding this primal language is a matter of intuition, a “maternal instinct” that allows a mother to divine her child’s needs. Society often reinforces this idea, creating an elite class of quasi-psychic super-parents who seem to know everything, and leaving many others feeling inadequate and guilty when they can’t immediately decipher the message.

As a bioacoustics researcher, I have spent years studying the communication of animals – from the soft calls of crocodile nestlings synchronizing their hatching and pushing the parent to dig the nest, to the calls of zebra finches allowing mate recognition. I was surprised to discover, upon turning my attention to our own species, that the cries of human babies hold as much, if not more, mystery. My colleagues and I have spent over a decade applying the tools of acoustic analysis, psycho-acoustic experiments and neuro-imagery to this intimate world. Our findings, detailed in my book, The intimate world of babies’ cries, challenge many of our most cherished beliefs and offer a new, evidence-based framework for understanding this fundamental form of human communication.

The first and perhaps most important thing to know is this: you cannot tell why your baby is crying just from the sound of the cry alone.

Busting the ‘language of cries’ myth

Many parents feel immense pressure to become “cry experts”, and an entire industry has sprung up to capitalise on this anxiety. There are apps, devices, and expensive training programmes all promising to translate cries into specific needs: “I’m hungry,” “change my diaper,” “I’m tired.” Our research, however, shows these claims are baseless.

To test this scientifically, we undertook a large-scale study. We placed automatic recorders in the rooms of 24 babies, recording them continuously for two days at a time at several ages during their first four months of life. This resulted in an enormous dataset of 3,600 hours of recordings containing nearly 40,000 cry “syllables”. The dedicated parents carefully logged the action that successfully soothed the baby, giving us a “cause” for each cry: hunger (soothed by a bottle), discomfort (soothed by a diaper change), or isolation (soothed by being held). We then used machine learning algorithms, training an artificial intelligence on the acoustic properties of these thousands of cries to see if it could learn to identify the cause. If there was a distinct “hunger cry” or “discomfort cry”, the AI should have been able to detect it.

The result was a resounding failure. The AI’s success rate was only 36% – barely above the 33% it would get by pure chance. To ensure this wasn’t just a limitation of technology, we repeated the experiment with human listeners. We had parents and nonparents first “train” on the cries of a specific baby, just as a parent would in real life, and then asked them to identify the cause of new cries from that same baby. They fared no better, scoring just 35%. The acoustic signature of a cry for food is not reliably different from a cry of discomfort.

This doesn’t mean parents can’t figure out what their baby needs. It simply means the cry itself is not an entry in a dictionary. The cry is the alarm bell. It is your knowledge of the essential context that allows you to decode it. “It’s been three hours since the last feeding, so they are probably hungry.” “That diaper felt full.” “They’ve been alone in the crib for a while.” You are the detective; the cry is simply the initial, undifferentiated alert.

What cries actually tell us

If cries don’t signal their cause, what information do they reliably convey? Our research shows they transmit two crucial pieces of information.

The first is static information: the baby’s unique vocal identity. Just as every adult has a distinct voice, every baby has a unique cry signature, primarily determined by the fundamental frequency (pitch) of their cry. This is a product of their individual anatomy – the size of their larynx and vocal cords. It’s why you can recognise your baby’s cry in a nursery. Interestingly, while babies have an individual signature, they do not have a sex signature. The larynxes of baby boys and girls are the same size. Yet, adults consistently attribute high-pitched cries to girls and low-pitched cries to boys, projecting their knowledge of adult voices onto infants.

The second, and more urgent, piece of information is dynamic: the baby’s level of distress. This is the most important message encoded in a cry, and it is conveyed not so much by pitch or loudness, but by a quality we call “acoustic roughness”. A cry of simple discomfort, from being a little cold after a bath, for instance, is relatively harmonious and melodic. The vocal cords vibrate in a regular, stable way. But a cry of real pain, as we recorded during routine vaccinations, is dramatically different. It becomes chaotic, rough, and grating. This is because the stress of pain causes the baby to force more air through their vocal cords, making the cords vibrate in a disorganised, non-linear way. Think of the difference between a clean note from a flute and the harsh, chaotic sound it makes when you blow too hard. This roughness, a collection of acoustic phenomena including chaos and sudden frequency jumps, is a universal and unmistakable signal of high distress. A melodious “wah-wah” means “I’m a bit unhappy,” while a rough, harsh “IIiiRRRRhh” means “This is serious!”.

It’s learning, not instinct

So, who is best at decoding these complex signals? The pervasive myth of “maternal instinct” suggests that mothers are biologically hard-wired for the task. Our work comprehensively debunks this. An instinct, like a goose’s fixed behaviour of rolling an egg back to its nest, is innate and automatic. Understanding cries is not like this at all.

In one of our key studies we tested mothers and fathers on their ability to identify their own baby’s cry from a selection of others. We found absolutely no difference in performance between the two. The single most important factor was the amount of time spent with the baby. Fathers who spent as much time with their infants were just as adept as mothers. The ability to decode cries is not innate; it is learned through exposure. We confirmed this in studies with non-parents. We found that childless adults could learn to recognise a specific baby’s voice after hearing it for less than 60 seconds. And those with prior childcare experience, like babysitting or raising younger siblings, were significantly better at identifying a baby’s pain cries than those with no experience.

This all makes perfect evolutionary sense. Humans are “cooperative breeders”. Unlike in many primates where the mother has a near-exclusive relationship with her infant, human babies have historically been cared for by a network of individuals: fathers, grandparents, siblings, and other members of the community. In some hunter-gatherer societies like the!Kung, a baby may have up to 14 different caregivers. A hard-wired, mother-only “instinct” would be a profound disadvantage for a species that relies on a team.

The brain on cries: experience rewires everything

Our neuroscientific research reveals how this learning process works. When we hear a baby cry, a whole network of brain regions, called the “baby-cry brain connectome”, springs into action. Using MRI scans, we’ve observed that cries activate auditory centres, the empathy network (allowing us to feel another’s emotion), the mirror network (helping us put ourselves in another’s shoes), and areas involved in emotion regulation and decision-making.

Crucially, this response is not the same for everyone. When we compared the brain activity of parents and nonparents, we found that while everyone’s brain responds, the “parental brain” is different. Experience with a baby strengthens and specialises these neural networks. For example, parents’ brains show greater activation in regions associated with planning and executing a response, while nonparents show a more raw, untempered emotional and empathetic reaction. Parents shift from simply feeling the distress to actively problem-solving. Furthermore, we found that individual levels of empathy – not gender – were the strongest predictor of how intensely the brain’s “parental vigilance” network activated. Caring is a skill that is honed through practice, and it physically reshapes the brain of any dedicated caregiver, male or female.

Why this matters: from coping to cooperation

Understanding the science of crying is not just an academic exercise; it has profound real-world implications. Incessant crying, especially from colic (which affects up to a quarter of infants), is a primary source of parental stress, sleep deprivation, and exhaustion. This exhaustion can lead to feelings of failure and, in the worst cases, can be a trigger for shaken baby syndrome, a tragic and preventable form of abuse.

The knowledge that you are not supposed to “just know” what a cry means can be incredibly liberating. It removes the burden of guilt and allows you to focus on the practical task: check the context, assess the level of distress (is the cry rough or melodic?), and try solutions. Most importantly, the science points to our species’ greatest strength: cooperation. The fact that any human can become an expert caregiver through experience means you are not meant to do this alone. The unbearable cries become bearable when they can be passed to a partner, a grandparent, or a friend for a much-needed break.

So, the next time you hear that piercing cry in the night, remember what it truly is: not a test of your innate abilities or a judgement on your parenting skills, but a simple, powerful alarm. It’s a signal designed to be answered not by a mystical instinct, but by a caring, attentive and experienced human brain. And if you’re feeling overwhelmed, the most scientifically sound and evolutionarily appropriate response is to ask for help.


Nicolas Mathevon is the author of The intimate world of babies’ cries: The best ways to understand and calm your baby.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


The Conversation

Nicolas Mathevon has received funding from the ANR, IUF, and Fondation des Mutuelles AXA.

PDF

16.09.2025 à 13:58

Impôts sur l’héritage : une réforme nécessaire ?

Nicolas Frémeaux, Professeur des universités et maître de conférence, Université de Rouen Normandie

Alors que la France devient une société d’héritiers, une réforme de la fiscalité des successions est jugée de plus en plus nécessaire par les économistes.
Texte intégral (1708 mots)
D’ici à 2040, plus de 9 000 milliards d’euros de patrimoine devraient être transmis. Sylv1rob1/Shutterstock

La moitié des Français n’hérite de rien ou presque, alors que 10 % des héritiers les plus riches concentrent plus de 50 % des héritages. Alors pourquoi l’impôt sur l’héritage est-il aussi impopulaire ?


L’héritage est de retour en France, et ce retour est massif. On peut chiffrer ce phénomène de plusieurs manières. Commençons par les flux successoraux, c’est-à-dire ce qui est transmis tous les ans sous forme d’héritages et de donations. Ce flux se situe actuellement entre 350 milliards et 400 milliards d’euros et, d’ici à 2040, plus de 9 000 milliards d’euros de patrimoine devraient être transmis.

Une autre manière de se représenter le retour de l’héritage consiste à décomposer l’ensemble du patrimoine privé détenu par les Français (qu’il soit immobilier, financier ou professionnel) entre ce qui vient de l’épargne et ce qui vient de l’héritage. Comme l’ont montré les économistes Facundo Alvaredo, Bertrand Garbinti et Thomas Piketty, l’héritage est aujourd’hui largement supérieur à l’épargne. Il représente près des deux tiers du patrimoine des ménages contre un tiers pour l’épargne. C’était l’inverse dans les années 1970, moment où l’héritage a connu son plus bas niveau historique.

La moitié des Français n’hérite de rien

Le niveau actuel reste inférieur à celui observé à la veille de la Première Guerre mondiale où l’héritage constituait plus de 80 % du patrimoine. Même si les sociétés actuelles diffèrent de celle du XIXe siècle sur de nombreux aspects, elles sont finalement assez proches sur le plan patrimonial, que ce soit du point de vue des niveaux de richesses détenues ou de l’importance prise par les transmissions patrimoniales.

Ce panorama serait incomplet si on se limitait à ce constat macroéconomique. L’héritage est bien plus concentré que les revenus. La moitié des Français n’hérite de rien ou presque quand, dans le même temps, 10 % des héritiers les plus riches concentrent plus de 50 % des héritages. Au sommet de la distribution, on estime que les 0,1 % des héritiers les plus riches reçoivent plus de 13 millions d’euros de patrimoine au cours de leur vie.

C’est la nature même des inégalités qui change. La figure du rentier, qu’on pouvait penser disparue, est de retour. Pour une part limitée, mais croissante de la population, la principale source de richesse sera l’héritage et non les revenus du travail.

Substitution aux revenus du travail

Le retour de l’héritage a une conséquence inattendue : créer un (quasi) consensus chez les économistes en faveur d’une réforme de l’impôt successoral. Il n’est pas tant lié aux enjeux de justice sociale, qui dépassent le seul cadre de la science économique, qu’aux effets de l’héritage du point de vue de l’efficacité économique.

L’héritage peut être la source d’inefficacités puisque recevoir un capital peut réduire l’offre de travail, dans le sens où le capital hérité peut se substituer aux revenus du travail. Cet « effet Carnegie » a été vérifié dans plusieurs pays.

Aux États-Unis, les économistes Douglas Holtz-Eakin, David Joulfaian et Harvey Rosen ont mis en évidence une réduction de l’offre de travail parmi les récipiendaires d’héritages importants. En Allemagne, Fabian Kindermann, Lukas Mayr et Dominik Sachs estiment que, pour chaque euro récolté par l’imposition des successions, neuf centimes additionnels sont obtenus via l’imposition des revenus des suites de la hausse de l’offre de travail. De ce point de vue, imposer les héritages pourrait accroître l’activité économique.

Réduction de l’épargne

Les réponses comportementales négatives à l’impôt successoral sont quant à elles limitées, ce qui en fait un « bon impôt » à l’aune du même critère d’efficacité.

Une de ces réponses passe par l’épargne. Si le patrimoine potentiellement transmis par les donataires est réduit par l’impôt successoral, alors ceux-ci pourraient décider de réduire leur épargne. Cette intuition a été confirmée par les rares études sur la question qui concluent bien à un effet négatif – l’imposition réduit l’incitation à épargner –, mais de faible ampleur. Le fait que l’épargne dépende de nombreux facteurs économiques et de motifs autres que l’altruisme familial, comme l’aversion au risque et la prévoyance, explique que l’impôt successoral à lui seul a des effets limités.

Exil fiscal

Une réponse plus radicale pourrait être l’exil fiscal. Une trop forte imposition pourrait inciter les individus à émigrer vers des cieux (fiscaux) plus cléments. Là encore, identifier le seul effet de l’imposition sur la décision d’émigration est complexe. Comme pour l’épargne, ce type de décision dépend de nombreux déterminants économiques et personnels : potentielle rupture avec l’environnement professionnel et familial, mauvaise perception par l’opinion publique ou démarches administratives complexes.


À lire aussi : Impôt sur la fortune : si souvent enterré, et pourtant toujours en vie


Les économistes Karen Smith Conway et Jonathan C. Rork, aux États-Unis, et Marius Brülhart et Raphaël Parchet, en Suisse, montrent que les migrations internes des ménages âgés (susceptibles de transmettre leur patrimoine dans un futur proche) ne s’expliquent que marginalement par les différences fiscales entre États ou cantons. Ainsi, les retraités aisés sont relativement insensibles aux variations d’impôt successoral.

Argument moral

Si l’héritage pose un problème de justice sociale et d’efficacité économique, pourquoi le sujet n’est-il pas plus central dans le débat public ? Surtout, pourquoi observe-t-on un affaiblissement de l’impôt successoral ?

Depuis les années 1980, de nombreux pays, comme les États-Unis, la Suède, le Canada ou encore l’Australie, ont supprimé ou réduit leur impôt successoral, en mobilisant le plus souvent des arguments moraux. La France semble échapper à ce phénomène, mais, malgré une stabilité des principaux paramètres fiscaux que sont les taux et les abattements, la multiplication des niches fiscales a bien réduit la progressivité de l’impôt.

Ce qui peut sembler être un paradoxe n’en est en fait pas un. La critique actuelle de l’impôt successoral repose avant tout sur des arguments moraux selon lesquels taxer l’héritage revient à taxer la mort et à sanctionner l’altruisme familial. De manière générale, il contreviendrait à la liberté de transmettre librement son patrimoine.

D’après un sondage Odoxa, réalisé en avril 2024, 77 % des personnes interrogées considèrent l’impôt successoral injustifié et 84 % souhaitent qu’il soit diminué « pour permettre aux parents de transmettre le plus possible à leurs enfants ».

Informer sur les inégalités

Il y a plusieurs précautions à prendre quand on évoque l’argument de l’impopularité de l’impôt. La méconnaissance de la réalité de l’héritage et la surestimation de l’impôt successoral invitent à la prudence dans l’interprétation des réponses. On peut concevoir une forte opposition à un impôt qu’on pense confiscatoire. Plusieurs travaux soulignent que le fait d’informer les répondants sur le niveau des inégalités augmente sensiblement le soutien à l’impôt successoral.

Le dialogue de sourds entre les pro et les anti pourrait empêcher tout débat relatif à l’héritage. Un débat qui pourrait être remis à l’ordre du jour pour d’autres raisons.

Au début du XXe siècle, des causes extérieures, comme les guerres et les crises, ont joué un rôle majeur dans la mise en place d’impôt progressif sur les revenus et sur les successions dans de nombreux pays. Il n’est pas dit que les crises actuelles, qu’elles soient climatiques, sociales ou géopolitiques, n’aient pas des effets similaires dans les années à venir.

The Conversation

Nicolas Frémeaux a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.

PDF
21 / 50
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌓