LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 50 dernières parutions

03.06.2025 à 16:35

Bac, brevet, CAP : petite histoire des examens en cinq questions

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

En quelques grandes questions, retour sur l’histoire des examens alors que les lycéens et étudiants passent les dernières épreuves de l’année.
Texte intégral (2355 mots)

À quoi les premières sessions du baccalauréat ressemblaient-elles ? Quand le brevet des collèges a-t-il été créé ? À partir de quand l’université s’est-elle féminisée ? En quelques grandes questions, retour sur l’histoire des examens alors que les lycéens et étudiants passent les dernières épreuves de l’année.


Le recours systématique à l’organisation d’examens et à la collation de « grades » attestés dans des diplômes pour valider les connaissances acquises par l’enseignement est une pratique apparue avec les premières universités médiévales au tournant des XIIe et XIIIe siècles.

L’élément central du dispositif a été la licence qui, de simple acte juridique (l’octroi d’une « autorisation », d’un « droit d’enseigner ») s’est assez vite transformée en « examen » et en « grade » pour se retrouver elle-même encadrée rapidement par deux autres grades, eux-mêmes conférés après examen : le baccalauréat d’abord et la maîtrise ensuite.

Ce dispositif « à trois étages » de validation des connaissances s’est imposé partout. La quasi stabilité du vocabulaire qui permet de le décrire – baccalauréat (certes parfois appelé « determinatio »), licence, maîtrise (ou master) – est la meilleure preuve de sa prégnance qui a survécu jusqu’à nos jours.

Alors que les lycéens passent les dernières épreuves du bac et que les étudiants guettent leurs résultats de fin d’année, retour en cinq questions sur l’histoire des premiers examens du parcours scolaire.

À quoi le baccalauréat servait-il lorsqu’il a été institué en 1808 ?

Il a gardé de l’ancien baccalauréat sa face universitaire et il a été le point de départ des baccalauréats dits « généraux » que nous connaissons. Mais avec une grande différence, au début, puisqu’il s’agissait d’un examen entièrement oral dont le jury était uniquement composé d’universitaires.

Le statut du 16 février 1810 précise que les examinateurs du baccalauréat doivent être au nombre de trois universitaires. Cet examen oral porte sur « tout ce que l’on enseigne dans les hautes classes des lycées » (les deux dernières). Peu à peu, des épreuves écrites sont ajoutées. Surtout, peu à peu également, le jury qui fait effectivement passer l’examen du baccalauréat comporte de moins en moins d’universitaires et de plus en plus de professeurs du secondaire.

Pour Napoléon Ier qui a été le créateur de ce baccalauréat, il s’agissait avant tout d’instruire dans les lycées nouvellement créés les futurs officiers et hauts administrateurs de son Empire. De fait, selon l’expression du philosophe Edmond Goblot, le baccalauréat a été tout au long du XIXe siècle « un brevet de bourgeoisie ».

Quand les filles ont-elles eu pour la première fois accès au lycée et à l’université ?

Même quand la loi Camille Sée de décembre 1880 institue avec le soutien de Jules Ferry des établissements d’enseignement secondaire féminin publics, les filles peuvent très difficilement passer le baccalauréat et suivre un cursus à l’université. En effet, à la différence des lycées de garçons institués en 1802, le plan d’études des lycées de jeunes filles ne comporte pas les disciplines qui sont alors le fleuron de l’enseignement secondaire et du baccalauréat : le latin, le grec et la philosophie.

Portrait de Julie-Victoire Daubié, par Pierre Petit (1861)
Portrait de Julie-Victoire Daubié, par Pierre Petit (1861). Wikimedia

Mais le baccalauréat n’est pas juridiquement interdit aux jeunes filles ; et certaines d’entre elles le passeront en candidates libres : une trentaine en 1890, une centaine en 1909. La première bachelière qui a obtenu le diplôme du baccalauréat est Julie Daubié, en 1861. Elle sera aussi la première licenciée es lettres française en 1871.

Il a fallu presque un demi-siècle pour qu’un décret en date du 25 mars 1924 aménage officiellement une préparation au baccalauréat présentée comme une section facultative alignée totalement sur le secondaire masculin, tout en perpétuant un enseignement secondaire féminin spécifique institué en 1880 (avec son diplôme spécifique de « fin d’études secondaires », au titre significatif…).


À lire aussi : Histoire : la longue marche des filles vers l’université


Les jeunes filles commencent alors leur « longue marche » conquérante. Dès 1936, les jeunes filles représentent le quart des élèves reçus à l’examen du baccalauréat. En 1965, leur taux d’accès arrive au même niveau que celui des garçons : 13 % de la classe d’âge. Et le pourcentage de jeunes filles inscrites à l’université monte vite : un quart des étudiants en 1930, un tiers en 1950, pour atteindre la moitié en 1981.

Pourquoi a-t-on créé le brevet ?

D’abord, de quel brevet parle-t-on ? Au XIXe siècle, le « brevet » est d’abord et avant tout un « brevet de capacité » qui certifie que l’on est « en capacité » de devenir maître (ou maîtresse) d’école, et plus généralement un examen qui est parfois requis pour être « en capacité » d’exercer certains métiers appartenant à ce que l’on appellerait maintenant la sphère des cadres intermédiaires.


Tous les quinze jours, nos auteurs plongent dans le passé pour y trouver de quoi décrypter le présent. Et préparer l’avenir. Abonnez-vous gratuitement dès aujourd’hui !


En 1947, dès le début de la forte augmentation du taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire qui commence sous la IVe République, le « brevet » est transformé en « brevet d’études du premier cycle du second degré » (BEPC), son appellation nouvelle signant ce qu’il est devenu avant tout, à savoir un examen qui scande un cursus secondaire désormais clairement constitué de deux cycles. Mais ce n’est nullement une condition pour passer en classe de seconde et cela ne l’a jamais été jusqu’ici, même si cela est envisagé.

À partir de 1981, le diplôme – désormais intitulé « brevet des collèges » – est attribué sans examen, au vu des seuls résultats scolaires. Mais, en 1986, un « examen écrit » est réintroduit avec le triple objectif annoncé de « revaloriser le diplôme », de « motiver » davantage les élèves, et de les « préparer » à aborder des examens ultérieurement. Lors de sa première mouture, le taux de reçus n’a pas dépassé 49 %.

CAP, BEP, bac pro : quand les diplômes de la voie professionnelle ont-ils été créés ?

Le certificat d’aptitude professionnelle (CAP), destiné à sanctionner un apprentissage, est institué en 1911. Cet examen est réservé aux « jeunes gens et jeunes filles de moins de dix-huit ans qui justifient de trois années de pratiques dans le commerce et l’industrie » (décret du 24 octobre 1911). Mais comme le CAP n’a pas été rendu obligatoire ni même associé à une grille de rémunération, le CAP demeurera un diplôme rare dans un premier temps.

Le brevet d’enseignement professionnel (BEP) a été créé en 1966. Il a été institué dans le but de remplacer progressivement le CAP en ayant un caractère plus théorique et moins pratique. Préparé en deux ans après la classe de troisième, il relevait d’une conception plus scolaire de la qualification ouvrière face aux exigences techniques de l’industrie et du commerce modernes.


À lire aussi : Lycée : surmonter les clichés sur la voie professionnelle


Le baccalauréat professionnel, institué en 1985, parachève cette évolution. Selon Jean-Pierre Chevènement, le ministre de l’éducation nationale, il s’agit en premier lieu de répondre aux besoins de la modernisation du pays en formant des « ouvriers » de plus en plus qualifiés, « souvent au niveau du baccalauréat, quelquefois à un niveau supérieur encore »(28 mai 1985).

Quand le bac s’est-il vraiment démocratisé ?

Le taux de titulaires d’un baccalauréat dans une classe d’âge donnée a été longtemps très restreint ce qui induit qu’il était réservé de fait, sauf exception, aux enfants de milieux socioculturellement favorisés. Il a été de moins de 3 % tout au long de la IIIe République. Et c’est seulement dans les dernières années de cette période que les établissements secondaires publics sont devenus gratuits, alors que c’était déjà le cas pour les établissements primaires publics depuis le début des années 1880.

Il y a eu alors un petit desserrage dans la sélection sociale, concomitant avec la montée du taux de titulaires du baccalauréat dans une classe d’âge. Mais la grande période de l’envolée du taux de bacheliers généraux se situe dans la période gaullienne : on passe de 10 % à 20 % de 1959 à 1969. Il reste à peu près à cet étiage durant presque vingt ans.

Bac de philo : le reportage incontournable des JT (INA ACTU, 2021).

Mais un autre baccalauréat est créé en 1970 : le « baccalauréat technologique ». Il va apporter un taux supplémentaire de titulaires d’un baccalauréat dans une classe d’âge : autour de 16 % – un taux qui reste quasiment constant depuis 1989. Les élèves des lycées technologiques sont d’origines socioculturelles plutôt modestes, et leurs destinations scolaires ou sociales aussi.

En 1985, une troisième couche apparaît : le « baccalauréat professionnel ». Le 8 octobre 1985, le ministre Jean-Pierre Chevènement précise qu’il s’agit « d’offrir, à l’issue de la classe de troisième, trois voies d’égale dignité » :

  • la voie générale, dans laquelle « peuvent s’engager ceux qui ont les capacités de poursuivre des études aux niveaux les plus élevés de l’Université » ;

  • la voie technologique, « qui conduira la majorité des jeunes qui s’y engagent vers un niveau de technicien supérieur » ;

  • la « voie professionnelle, qui assure, après l’obtention d’une qualification de niveau V, une possibilité de poursuivre la formation jusqu’au niveau du baccalauréat et même vers un niveau plus élevé ».

Il y a donc l’affirmation par le titre de baccalauréat d’une égalité de dignité, mais non d’un égalité de parcours – même si l’obtention du baccalauréat permet juridiquement l’entrée à l’Université. Entre 1987 et 2008, le taux de bacheliers professionnel dans une classe d’âge atteint 12 %, puis passe de 12 % en 2008 à 24 % en 2012 (en raison d’un changement de curriculum). Il se stabilise ensuite autour de 21 %.

Par ailleurs, dans le cadre de l’horizon annoncé par Jean-Pierre Chevènement de « 80 % d’une classe d’âge au niveau bac en l’an 2000 », on a une nouvelle accélération du taux de titulaires d’un baccalauréat général dans une classe d’âge qui passe de 22 % en 1987 à 37 % en 1995. Ces dernières années, il atteint 43 %.

The Conversation

Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

03.06.2025 à 16:35

Covid-19 : de nouvelles molécules anticoronavirus isolées à partir de l’argousier

Céline Rivière, Professeure des Universités, Chimie des substances naturelles, Université de Lille

Karin Séron, Chercheuse en virologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Des composés anticoronavirus ont été identifiés dans l’argousier, un arbuste épineux commun sur nos côtes. Une découverte qui plaide pour une meilleure préservation de la biodiversité.
Texte intégral (2648 mots)
L’argousier contient des composés actifs contre les coronavirus. Joanna Boisse/Wikimedia Commons, CC BY-NC-SA

L’arsenal pharmaceutique dont nous disposons pour combattre les coronavirus demeure très limité. En raison de la grande diversité des composés qu’elles produisent, les plantes pourraient s’avérer de précieuses alliées pour l’étoffer. Y compris les plus communes d’entre elles : des composés anticoronavirus ont en effet été découverts dans l’argousier, un arbuste épineux qui peuple nos rivages.


Cinq ans après l’émergence du SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, très peu de molécules antivirales efficaces contre ce coronavirus sont disponibles pour soigner les patients. Malgré les efforts des équipes de recherche académique et pharmaceutiques à travers le monde, le repositionnement des médicaments existants n’a pas donné les résultats escomptés.

Même si la pandémie est désormais considérée comme terminée, et que les vaccins permettent de protéger les personnes les plus à risque de faire des formes sévères, il demeure important de poursuivre les recherches. En effet, les spécialistes s’accordent sur le fait que l’émergence d’autres coronavirus hautement virulents se produira dans le futur.

La poursuite des efforts pour identifier des molécules actives contre cette famille de virus s’impose donc, notamment parce qu’il est particulièrement difficile d’anticiper l’apparition de ces nouveaux épisodes infectieux.

C’est précisément l’objet des recherches que nous menons en collaboration depuis plusieurs années au sein de nos équipes respectives. Nos travaux ont pour but de diversifier les sources de molécules antivirales, d’identifier de nouvelles cibles virales ou cellulaires, ou de découvrir de nouveaux mécanismes d’action.

Ils nous ont permis d’identifier un composé anticoronavirus prometteur à partir d’une plante commune, l’argousier (Hippophae Rhamnoides L., Elaegnaceae). Si ces travaux sont encore préliminaires, ils démontrent l’intérêt d’explorer le potentiel antiviral des molécules présentes dans les végétaux.

Peu de molécules efficaces contre les coronavirus

Les coronavirus humains se divisent en deux groupes : les coronavirus « peu virulents », responsables de simples rhumes (tels que HCoV-229E, HCoV-HKU-1, ou HCoV-NL63, par exemple), et les coronavirus « hautement virulents ». On trouve parmi ces derniers non seulement le SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, mais aussi le SARS-CoV-1, à l’origine en 2003 d’une épidémie qui avait contaminé plus de 8 000 personnes et entraîné près de 800 décès, ou encore le MERS-CoV, qui circule au Moyen-Orient.

Cinq ans après l’apparition du SARS-CoV-2, et malgré un effort international colossal en matière de recherche de molécules efficaces contre cet agent infectieux, un seul antiviral par voie orale est disponible sur le marché français, le Paxlovid. Celui-ci est basé sur l’association de deux composés : le nirmatrelvir, qui inhibe une enzyme nécessaire à la réplication du coronavirus SARS-CoV-2, et le ritonavir, un second inhibiteur d’enzyme qui permet, dans ce contexte, d’augmenter les concentrations sanguines du nirmatrelvir.

Un autre antiviral, le remdesivir, qui inhibe la polymérase virale (autre enzyme indispensable au virus pour se reproduire), est également disponible, mais par voie intraveineuse et seulement pour certains patients.

Cet arsenal limité souligne à quel point il est compliqué de mettre au point des molécules spécifiques dans des délais courts. La recherche d’antiviraux est un processus de longue haleine.

Les plantes, une réserve de substances actives à préserver

Les plantes représenteraient la seconde plus grande source de biodiversité de notre planète : on estime en effet que le nombre d’espèces végétales est compris entre 300 000 et 500 000. Parmi elles, de 20 000 à 50 000 sont employées en médecine traditionnelle.

Chaque plante a sa propre identité « phytochimique » : elle produit plusieurs centaines de composés dont les structures sont souvent uniques et complexes. Les végétaux constituent donc un réservoir majeur de molécules ayant potentiellement des activités biologiques très différentes les unes des autres.

De nombreux médicaments couramment utilisés à travers le monde s’appuient sur des principes actifs d’origine végétale. Ces derniers peuvent être utilisés après avoir été directement extraits de la plante, comme la morphine, extraite du pavot. Ils peuvent aussi être légèrement modifiés par réaction chimique, comme dans le cas du taxol (un anticancéreux obtenu par hémisynthèse, processus consistant à fabriquer une molécule à partir de composés naturels dont la structure chimique est déjà proche du composé souhaité) à partir d’un précurseur isolé de l’if européen ou des dérivés hémisynthétiques de l’artémisinine, une molécule à activité antipaludique extraite de l’armoise annuelle.

Cependant, à l’heure actuelle, seuls 15 à 20 % des plantes terrestres ont été évaluées pour leur potentiel pharmaceutique. En outre, jusqu’à présent, les molécules d’origine végétale ont été très peu étudiées par les scientifiques recherchant des antiviraux, qu’ils soient dirigés contre les coronavirus ou d’autres familles de virus.

En raison de leur grande diversité et des nombreuses molécules qu’elles produisent, les plantes constituent pourtant une source potentielle d’agents antiviraux très intéressante, pouvant être utilisés tels quels ou légèrement modifiés. Les composés produits par les plantes peuvent aussi inspirer la conception d’antiviraux obtenus par synthèse totale (autrement dit fabriqués entièrement artificiellement). Mais avant d’en arriver là, encore faut-il réussir à identifier les molécules actives, ce qui n’est pas une mince affaire.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Des milliers de molécules à séparer

Identifier une molécule biologiquement active à partir d’organismes vivants n’est pas simple, en raison du très grand nombre de composés qui constituent ces derniers. Cela requiert de passer par un « fractionnement bioguidé » : il s’agit de tester l’activité biologique à chaque étape du processus de séparation des composés (fractionnement). Ce fractionnement peut être accéléré en combinant des approches analytiques et statistiques.

Concrètement, lorsque l’on cherche à identifier un composé actif dans un végétal, la plante concernée est d’abord broyée et mise en contact avec des solvants (eau, éthanol, solvants organiques…). Les filtrats récupérés (appelés « extraits ») sont ensuite séchés. Ils contiennent des centaines, voire des milliers de molécules.

Ces extraits sont ensuite testés sur différents modèles (comme des cultures de bactéries, de champignons, de virus, de cellules tumorales, etc) afin de détecter une activité biologique (on parle de « criblage »).

S’il s’avère qu’un extrait présente un effet, il va subir plusieurs étapes de purification successives, par des techniques dites de chromatographie préparative. Le but est de séparer les nombreux composés différents qu’il contient pour ne garder que celui (ou ceux) responsable(s) de l’activité.

À chaque étape, du début à la fin de ce processus, les nouveaux extraits produits (on parle de « fractions ») à partir de l’extrait précédent sont testés, afin de suivre l’activité biologique. La phase ultime de ce « fractionnement bioguidé » est d’obtenir une molécule active purifiée dont on pourra déterminer la structure par des techniques spectroscopiques.

Le potentiel antiviral des plantes adaptées à des conditions extrêmes

Nos deux équipes s’intéressent depuis plusieurs années aux plantes extrêmophiles, qui, comme leur nom l’indique, vivent dans des conditions extrêmes. Ces espèces végétales doivent, en partie, leur capacité à survivre dans des milieux difficiles à des molécules spécifiques qui leur permettent de s’y adapter. Nous avons étudié en particulier les plantes halophytes, autrement dit poussant sur des sols qui contiennent des teneurs en sel très élevées.

En 2019, nos travaux ont permis d’identifier un agent antiviral d’origine naturelle, actif contre la réplication du virus de l’hépatite C, nommé dehydrojuncusol ; ce composé phénanthrénique a été découvert dans le rhizome de jonc de mer (Juncus maritimus Lam.) suite au criblage d’une quinzaine d’extraits de plantes halophytes et à un fractionnement bioguidé. Le déhydrojuncusol possède un mécanisme d’action similaire à celui de médicaments efficaces utilisés dans le traitement de l’hépatite C en inhibant une protéine du virus nécessaire à sa réplication.

Cette étude in vitro était la preuve que les plantes halophytes pouvaient contenir des antiviraux puissants aux mécanismes d’action similaires à ceux issus de la chimie de synthèse.

Dans la continuité de ces travaux, vingt-deux plantes strictement halophytes ou tolérantes au sel ont ensuite été collectées sur le littoral des Hauts-de-France, en partenariat avec les gestionnaires de ses sites naturels, dans le but cette fois de rechercher une activité contre les coronavirus humains.

L’argousier, une source d’inspiration d’agents antiviraux ?

Les extraits réalisés à partir de ces vingt-deux nouvelles plantes, parmi lesquelles la salicorne, la criste marine, la matricaire maritime, l’argousier, l’euphorbe maritime, l’oyat, ou encore le saule des dunes, ont été testés contre le coronavirus HCoV-229E, responsables de rhumes bénins.

Ceux qui se sont révélés les plus actifs ont ensuite été testés contre le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la Covid-19. Le but de ces recherches était en effet d’identifier des antiviraux capables de traiter plusieurs coronavirus humains.

Le meilleur candidat s’est avéré être un extrait d’argousier. Cette plante indigène, relativement tolérante au sel et à caractère envahissant, pousse dans les massifs dunaires de la région des Hauts-de-France.

Après un fractionnement bioguidé, des composés actifs ont pu être isolés et identifiés. Les plus prometteurs se sont avérés capables d’inhiber (in vitro) non seulement l’infection par le SARS-CoV-2, mais aussi par le HCoV-229E.

Quelle suite à ces travaux ?

Ces travaux ont permis de démontrer, au laboratoire, l’intérêt de molécules d’origine végétale dans la lutte contre les maladies humaines d’origine virale. Ils ne constituent cependant que l’étape préliminaire dans le long parcours semé d’embûches qui mène à la mise au point de nouveaux médicaments.

Après cette première étape de mise en évidence de molécules d’intérêt réussie, il faut ensuite poursuivre les essais, en passant notamment à des essais précliniques, autrement dit, sur des cellules humaines primaires isolées de biopsie de patients ou sur des animaux de laboratoire.

Si les résultats sont concluants, viendront ensuite les premières administrations chez l’humain, en général sur un petit nombre de volontaires sains (essais cliniques de phase I). La phase suivante (phase II) consiste à administrer le médicament à un plus grand nombre de patients afin de tester son efficacité, sa posologie et son devenir dans l’organisme (pharmacodynamique). Les essais de phase III portent sur un nombre encore plus grand de participants. Il faudra également les tester in vitro sur d’autres membres de la famille des coronavirus humains, tels que le MERS-CoV.

Toutes ces étapes nécessitent d’importants financements. Lorsqu’il s’agit d’identifier de nouveaux « candidats médicaments » (« drug candidate » en anglais), la finalisation de la recherche préclinique puis le passage en clinique reste le maillon faible, en raison du manque de moyens.

Il est cependant urgent aujourd’hui de trouver les moyens d’amener ces molécules d’intérêt à un stade plus avancé. En effet, dans l’optique de se préparer à une prochaine épidémie ou pandémie de coronavirus humains, disposer de médicaments actifs contre l’ensemble des coronavirus serait un atout majeur.

Rappelons qu’il faut en moyenne quinze ans pour qu’une molécule présentant un intérêt arrive sur le marché, et que le taux d’échec est très important (plus de la moitié des molécules qui arrivent en phase III échouent…). Il n’y a donc pas de temps à perdre. Actuellement, nos équipes continuent à chercher des composés antiviraux dans d’autres collections de plantes.

Nos travaux soulignent aussi que la découverte de molécules bioactives est très étroitement liée à la biodiversité végétale. La problématique de la dégradation des milieux naturels, qui s’est accentuée ces dernières décennies, doit donc être prise en considération dans le cadre des programmes de recherche qui ciblent le potentiel biologique des molécules d’origine naturelle.


Les autrices tiennent à remercier Malak Al Ibrahim, doctorante sur le projet (2021-2024, programme HaloHcoV PEARL), le Dr Gabriel Lefèvre (pour la sélection, la collecte et l’identification des différentes plantes testées), les gestionnaires de sites qui ont participé aux échanges et partagé leurs connaissances, ainsi que l’ensemble des membres des équipes de recherche.

The Conversation

Céline Rivière est membre de sociétés savantes (Association Francophone pour l'Enseignement et la Recherche en Pharmacognosie, Phytochemical Society of Europe). Elle est aussi experte pour l'ANSES. Elle a reçu des financements de la Région Hauts-de-France, de l'Union Européenne "Horizon 2020 Research and Innovation program" et I-Site ULNE (PEARL programme) et de l'ANR.

Karin Séron a reçu des financements de la Région Hauts-de-France, de l'Union Européenne "Horizon 2020 Research and Innovation program" et I-Site ULNE (PEARL programme) et de l'ANR.

PDF

03.06.2025 à 16:34

Niches socio-fiscales : comment faire le tri ?

Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School

Alors que s’ouvre le débat budgétaire, la question des niches fiscales est posée une nouvelle fois. Faut-il les supprimer ? Peut-on le faire ? Comment ?
Texte intégral (2215 mots)

Comment gouverner un pays qui possède 471 dépenses fiscales, pourrait s’exclamer en le paraphrasant le successeur du général de Gaulle ? Alors que pour réduire le déficit et donc la dette de la France, il faudrait voter 40 milliards d’économies, l’ensemble des niches socio-fiscales représenteraient un manque à gagner de 83 milliards d’euros par an.

Mais comment faire le ménage dans des niches réputées bien gardées ? Bonne nouvelle : la tâche peut être accomplie sans peser sur l’économie, à condition de définir au préalable une méthode rationnelle de tri des bonnes et des mauvaises niches.


La dérive du déficit public, encore attendu en 2025 à 5,4 % du PIB à peine plus bas qu’en 2024 (5,8 %) rappelle au pays qu’il est désormais l’homme malade de la zone euro et contraint le gouvernement à chercher 40 milliards d’euros en 2026 pour le ramener à 4,6 % l’an prochain.

Dans ce contexte, Bercy reprend une antienne de ses prédécesseurs : la chasse aux dépenses fiscales. Le gisement est important puisque les 471 niches recensées représenteraient selon le gouvernement un manque à gagner de l’ordre de 83 milliards par an, soit 25 % des recettes budgétaires ou 2,8 % du PIB. En ajoutant les exonérations de cotisations sociales, estimées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 à 91 milliards, la perte de recettes théorique sur l’ensemble des prélèvements obligatoires serait donc de 174 milliards soit très exactement la totalité du déficit public…

L’univers des dépenses socio-fiscales en 2025

Dans notre thèse consacrée aux dépenses socio-fiscales, nous les qualifions ainsi :

« Toute disposition, législative, réglementaire ou administrative, dont la mise en œuvre entraîne pour les administrations publiques une perte de recettes, qui peut être remplacée par une dépense budgétaire et qui accorde, directement ou indirectement, à une catégorie de contribuables, un allégement de ses prélèvements obligatoires par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme issue des principes généraux du droit et appliqué au segment spécifique de référence considéré. »


À lire aussi : La tronçonneuse de Buenos Aires et le DOGE de Washington : vague d’austérité sur le continent américain


Concrètement, tout comme leur évaluation qui doit tenir compte de la réaction des contribuables devant la fin d’une carotte fiscale, le périmètre des niches socio-fiscales est particulièrement difficile à tracer. À titre d’exemple doit-on suivre le gouvernement qui a déclassé certains taux réduits de TVA en simples modalités d’imposition et divisé par deux leur coût alors que ces différents taux avantageux pour les consommateurs représentent un manque à gagner pour les finances publiques de plus de 50 milliards par an.

Des méthodes globales inefficaces

Pour réduire le coût de ces avantages fiscaux, les méthodes dites globales ont montré leur inefficacité. Ainsi le plafonnement général en valeur absolue des seules niches fiscales instauré par les lois de programmation des finances publiques de 2012-2017 puis 2014-2019 a toujours été dépassé du fait de l’impossibilité juridique de restreindre le droit d’amendement des parlementaires au cours de l’examen des lois de finances.

Limité au seul impôt sur le revenu, le plafonnement des niches actuellement de 10 000 euros par foyer a été instauré sous la présidence de François Hollande au 1ᵉʳ janvier 2013. Il est lui-même mité de nombreuses exceptions et son rendement s’avère modeste puisque le supplément d’impôt collecté s’élève à environ 50 millions par an. Plus efficace serait la généralisation aux foyers imposables de la contribution différentielle (qui s’ajoute donc à la contribution exceptionnelle de 2011) sur les hauts revenus (sur le modèle de L’Alternative Minimum Tax américaine datant de 1969) et qui contraint depuis cette année les contribuables les plus aisées à payer au moins 20 % d’IR.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Trois types de mesures suggérées ou déjà appliquées dans le passé sont également à proscrire car elles agissent de manière indifférenciée sur des niches utiles. Il s’agit du rabot, de la règle du gage qui implique la suppression d’une mesure pour toute nouvelle création ou de la suppression d’office de niches à coût faible préconisée par la ministre chargée des comptes publics qui n’aurait qu’un impact marginal sur les finances publiques tout en détruisant des mesures utiles pour la sauvegarde d’un écosystème social, économique ou environnemental rare voire unique. Parmi les propositions globales, seule l’instauration d’une sunset clause, courante dans les pays anglo-saxons, qui conditionne le maintien d’une mesure à l’évaluation de son efficacité est pertinente. Encore faudrait-il commencer à chiffrer la cinquantaine de niches toujours non évaluées.

Une analyse individuelle et analytique

Notre théorie générale des dépenses socio-fiscales propose une méthode rationnelle de gestion de ces dispositifs fondée sur une série de cinq filtres successifs interrogeant d’abord leur légitimité (ainsi l’ancienneté d’une niche n’est jamais un critère pertinent de conservation d’une niche et l’effet d’aubaine est toujours un critère d’élimination), leur utilité (économique, sociale, écologique, etc.), leur pertinence (le dispositif bénéficie-t-il aux contribuables ou est-il capté par des intermédiaires ?), leur efficacité (en prenant en compte tous les coûts y compris ceux de gestion du fisc) ainsi que leur substituabilité (est-il possible de remplacer la mesure par une simple subvention moins coûteuse ?).

Pour mettre en œuvre les résultats, il faut encore franchir un sixième et ultime filtre à savoir l’acceptabilité sociale de la disparition de la mesure, une question éminemment politique.

Les niches illégitimes à supprimer

L’intégralité des niches dites brunes qui subventionnent les gaz à effet de serre et autres produits toxiques, dont le coût est au bas mot de 7 milliards d’euros, sont évidemment à supprimer, encore faut-il prévoir des mesures d’accompagnement pour les secteurs qui seraient lourdement touchés comme l’agriculture, la pêche ou les transports. L’abattement de 10 % sur les pensions, plafonné à 4 321 euros par foyer en 2024, est la deuxième niche fiscale la plus coûteuse à près de 5 milliards. Créée en 1977 pour compenser le fait que les pensions étaient parfaitement connues du fisc, ce qui interdisait toute fraude elle n’a désormais plus aucune justification d’autant qu’elle est par nature inéquitable, car régressive puisque ne profitant qu’aux foyers imposables.

Les taux réduits de TVA de 10 % sur les travaux (quatrième niche coûteuse), ou dans les DOM (huitième niche) et l’exonération d’IR des heures supplémentaires ou sur les pourboires (neuvième niche) coûtent chacun environ 2 milliards et ne semblent ni légitimes ni utiles. Il en est de même des nombreux avantages fiscaux liés à l’épargne (intéressement, assurance-vie…), mal évalués mais supérieurs à 6 milliards d’euros.

Dans ce dernier cas, la perte de cotisations sociales en fait en outre des niches sociales coûteuses. Enfin, l’alignement du taux de CSG des retraités les plus favorisés limité à 8,3 % contre 9,2 % pour les smicards est une évidente mesure d’équité sociale. D’ailleurs les multiples exonérations et taux réduits de CSG sur les retraites de base et les allocations chômage sont estimés à 4,3 milliards en 2019.

Des niches à aménager

Si la fiscalité des dons aux associations contribue au dynamisme d’un secteur mêlant bénévoles et salariés et doit être maintenue, il serait juste de transformer la réduction d’impôt au titre des dons aux associations (qui pèse près de 2 milliards d’euros par an) en un véritable crédit d’impôt, permettant ainsi à tous les donateurs, même les plus modestes, de bénéficier d’un avantage fiscal actuellement réservé, de manière inique, aux seuls contribuables dont les revenus dépassent le seuil effectif d’imposition.

Dans le même esprit, la demi-part supplémentaire accordée aux contribuables de plus de 74 ans titulaires de la carte du combattant bénéficiant à plus de 800 000 ménages et coûtant 480 millions d’euros devrait être remplacée, à coût constant, par un versement per capita à tous les anciens combattants.

France 24 – 2025.

Des niches économiquement ou socialement utiles

Trois des plus importantes dépenses socio-fiscales sont économiquement utiles et doivent être conservées après ajustements pour éviter les effets d’aubaine. La première, d’un coût de l’ordre de 80 milliards, est l’allégement massif des cotisations patronales initié en 1993 pour atténuer le poids des cotisations des entreprises, le plus élevé au monde, et qui a permis le maintien de millions d’emplois.

La seconde est le crédit d’impôt en faveur de la recherche, la plus coûteuse des dépenses fiscales (7,8 milliards en 2025), qui contribue puissamment à l’attractivité fiscale du pays en facilitant la création d’un écosystème de recherche appliquée très favorable à l’innovation. La troisième est le crédit d’impôt de 50 % des charges salariales (plafonnées à 12 000 euros par an) pour emploi d’un salarié à domicile pour un coût de 6,8 milliards d’euros par an en 2025 qui n’est probablement pas une véritable dépense fiscale mais plutôt une mesure de simplification traitant les ménages comme n’importe quelle microentreprise dont les charges doivent logiquement s’imputer sur leur revenu. Elle est dans tous les cas légitime au nom de la création d’emploi et de la lutte contre le travail au noir.

Quelle majorité pour voter ?

Les présentes recommandations aboutiraient à une économie budgétaire de 20 à 25 milliards d’euros par an mais se traduiraient par une nouvelle hausse des prélèvements obligatoires déjà les plus élevés de l’OCDE. En toute logique il faudrait les alléger d’un montant équivalent mais la dérive persistante des comptes publics rend cette hypothèse hautement improbable tout comme… leur adoption par l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, on voit mal comment le pays pourra éviter les injonctions du FMI.

The Conversation

Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

03.06.2025 à 16:33

Israël est-il toujours une démocratie ?

Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de Lorraine

Alors que la guerre à Gaza bat son plein et que l’État hébreu perd ses soutiens internationaux, la « seule démocratie du Moyen-Orient » peut-elle encore être qualifiée ainsi ?
Texte intégral (3152 mots)

Catastrophe humanitaire à Gaza, plus de 50 000 morts palestiniens, accusations de génocide, d’épuration ethnique et de crimes contre l’humanité, violences policières à l’égard des manifestants pro-paix… Tout cela a provoqué dernièrement des menaces de sanctions à l’encontre d’Israël de la part de ses alliés occidentaux, dont la France, le Royaume-Uni et le Canada, et l’évocation d’un réexamen des accords liant l’UE à Tel-Aviv. Le soutien international à l’État hébreu, qui reste souvent qualifié de « seule démocratie du Moyen-Orient », vacille. Alors que Juifs et Palestiniens paient le prix de l’impasse politique, la question s’impose : peut-on toujours parler de démocratie à propos d’Israël ?


Quelles sont les conditions qui déterminent si un pays est, ou non, démocratique ? La réponse semble consensuelle : l’équilibre des pouvoirs ; la tenue d’élections périodiques et concurrentielles ; le pluralisme politique ; la reconnaissance de garanties du respect des droits fondamentaux des citoyens. L’égalité formelle est un prérequis (le vote), mais elle devrait s’accompagner de la protection des minorités pour éviter le règne de la majorité, l’aspiration à l’égalité matérielle et enfin les efforts coordonnés allant dans le sens de l’égalité épistémologique, assurant l’accès à l’information de qualité à tous.

La Déclaration d’indépendance de 1948, document fondateur d’Israël, vise un idéal démocratique. Elle établit « l’État juif dans le pays d’Israël » qui « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ». Tous ces éléments sont en partie suffisants pour affirmer qu’Israël est une démocratie.

Toutefois, compte tenu de la résurgence sur la scène politique israélienne des idées qui prônent l’établissement d’un État religieux, la Knesset (le Parlement israélien) a décidé en 1985 d’ajouter quelques articles plus explicites à la série de « Lois fondamentales » qui font office de Constitution.

Par exemple, un des amendements affirme que les candidats ne peuvent pas participer aux élections à la Knesset si le programme qu’ils défendent contient « la négation de l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, l’incitation au racisme ou le soutien à la lutte armée d’un État hostile ou d’une organisation terroriste contre l’État d’Israël ».

Or depuis l’instauration de l’actuel gouvernement en décembre 2022, au moins un, voire deux ministres – Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich – défendent des opinions ouvertement contraires à l’idée d’Israël en tant qu’État démocratique. Ils tiennent des propos très clairement racistes à l’égard des Palestiniens et s’opposent à l’égalité des droits sociaux et politiques entre les citoyens.

« Israël : quelle démocratie ? – Une Leçon de géopolitique du Dessous des cartes | Arte » (2022).

Gaza, la catastrophe humanitaire

La démocratie moderne est fondée sur l’idée que les hiérarchies entre les individus introduites par des siècles de représentations conjoncturelles concernant la place des humains dans leur communauté sont injustifiées. Elle se comprend d’abord en pensant aux citoyens d’un pays, mais l’idée de l’universalité des droits humains s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1948 avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce souci démocratique et juridique pour les individus transparaît aussi dans les Conventions de Genève, documents qui fondent le droit humanitaire international. Or les actions militaires menées à Gaza contreviennent clairement à ces principes.

L’armée israélienne ignore la notion de « personnes protégées », qui désigne les civils, lesquels ne devraient pas être privés des moyens de subsistance nécessaires, y compris de l’accès à la nourriture. Le droit international humanitaire interdit expressément d’utiliser la famine comme une arme de guerre.

« Gaza, la famine et l’"éducide" », France 24 (28 mai 2025)

Or Israël, dans sa guerre contre le Hamas, suspend régulièrement l’approvisionnement alimentaire dans la bande de Gaza, ce qui engendre un risque critique de famine. Le ministre de la défense Israel Katz a affirmé le 16 avril 2025 que l’aide humanitaire ne pourra pas entrer dans la bande de Gaza « jusqu’à ce qu’un mécanisme civil soit mis en place pour contourner le contrôle des approvisionnements par le Hamas ». Depuis, plusieurs organisations sur place dénoncent une situation humanitaire catastrophique. Le journal israélien Haaretz arbore un titre sans ambiguïté : « Les gens mangent de l’herbe ».


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


Les déplacements forcés annoncés depuis quelques mois sont, eux aussi, contraires au droit humanitaire.

Les pressions internationales et la dénonciation de ces contradictions semblent toutefois porter leurs fruits, au moins partiellement. Le 19 mai, le cabinet de sécurité a décidé de laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, malgré les protestations d’Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale. Mais le général responsable des « actions sur les territoires » Ghassan Alian a prévenu que la nourriture cessera bientôt d’être disponible à Gaza, ce qui témoigne mieux de la réalité du terrain que les déclarations optimistes du gouvernement israélien.

Le consensus semble être le suivant : le retour des opérations militaires (Chariots de Gédéon, opération qui vise à détruire les infrastructures administratives du Hamas et se présente comme préparant à un accord imminent) serait moralement justifié s’il est accompagné de l’aide humanitaire. Il n’en demeure pas moins que, en tout état de cause, plus de 50 000 Palestiniens auraient déjà perdu la vie, et l’ensemble de la population de Gaza restera traumatisée pour des décennies à venir par ses blessures physiques et psychiques. Les amputations sont plus nombreuses chez les enfants de Gaza que nulle part ailleurs dans le monde, selon The Guardian.

Côté israélien, les familles des otages constatent une fois de plus que la vie des dizaines de leurs proches maintenus à Gaza n’est qu’une des variables de l’opération israélienne – et font ce qu’elles peuvent pour s’opposer à cette approche du gouvernement Nétanyahou.

Violences policières contre les manifestants pro-paix

La société civile en Israël continue à se mobiliser, et le traitement de ces mobilisations est l’un des indices de la santé de la vie démocratique. C’est contre cette reprise des combats que protestaient, le 18 mai 2025, des centaines d’activistes et de membres des familles des otages détenus à Gaza depuis 602 jours au moment de l’écriture de ce texte. La manifestation avait lieu le lendemain du lancement de l’opération militaire « Chariots de Gédéon ».

Le 16 mai 2025, Alon-Lee Green, le co-leader (avec Rula Daood) national du mouvement Standing Together, déclarait dans son appel à manifester qu’il était « interdit de fermer les yeux, interdit de rester indifférent » face aux actions du gouvernement qui visent les citoyens et les enfants de Gaza, ainsi que les otages. Les manifestations à la frontière de Gaza – « pour arrêter les massacres, la famine et pour faire revenir les otages » – continuent. Une deuxième a eu lieu le 23 mai, et une troisième est prévue pour les 4-6 juin. Et cela malgré les violences policières et les arrestations, dont celle d’Alon-Lee Green, des participants aux manifestations.

Manifestation à la frontière de Gaza, mai 2025. Anna Zielinska, Fourni par l'auteur

Le combat de Standing Together se caractérise précisément par la volonté suivante : montrer à la société israélienne que ce ne sont pas les lignes de division religieuses ou ethniques qui devraient être déterminantes pour elle. Selon le mouvement, les plus grandes difficultés des habitants de la région sont des conséquences des politiques d’exclusion néolibérales associées à une conception militarisée de l’État du gouvernement actuel, et d’une certaine droite de façon plus générale. Standing Together soutient aussi les manifestants anti-Hamas à Gaza, qui savent qu’ils risquent leur vie et qui pourtant, depuis des mois, s’opposent au régime meurtrier et totalitaire du Hamas.

Populisme de droite

Dans le récit populiste déployé par le gouvernement Nétanyahou repose sur des fantasmes nationalistes imaginés à partir d’une certaine vision de l’histoire analysée par le politiste Dani Filc, où une opposition est créée entre, d’un côté, les « vrais » Juifs et, de l’autre, les traîtres. Ce populisme est politiquement soutenu par l’extrême droite, particulièrement présente parmi les colons installés en Cisjordanie.

La façon de faire de la politique de ces colons n’a rien de démocratique ; elle s’apparente plutôt à un « fascisme clérical », caractérisé par l’union des objectifs religieux et nationaux. Ce fascisme n’a rien d’égalitaire, et s’accommode très bien de rapports de domination socio-économiques de plus en plus tendus. Le fascisme se nourrit du sentiment d’injustice, mais prétend ensuite donner sa propre justification insensée des nouvelles injustices qu’il crée ou qu’il fortifie.

Dans une conversation plus récente toutefois, Dani Filc nuance son récit : le Likoud, après le 7 octobre 2023, quitte progressivement ce terrain populiste pour épouser la rhétorique fasciste. Noa Shpigel l’a noté dans un texte publié par Haaretz, où elle cite Liran Harsgor, de l’École de sciences politiques de l’Université de Haïfa. Pour Harsgor, « les frontières idéologiques et rhétoriques entre le Likoud et Otzma Yehudit (mouvement d’extrême droite d’Itamar Ben Gvir) se sont considérablement estompées ces dernières années ». Toutefois, ce phénomène n’est pas propre à Israël : face à la montée en puissance de mouvements d’extrême droite, les partis de droite classiques adoptent également des positions plus extrêmes.

« Le gouvernement d’extrême droite en Israël, une épreuve pour la démocratie », France 24 (2022)

La direction exclusionnaire est soutenue en même temps par le populisme de droite de Nétanyahou et par les positions anti-démocratiques et pro-militaires de mouvements fascisants tels que Otzma Yehudit. Elle a été symboliquement annoncée en 2018, avec une nouvelle loi à valeur fondamentale, la « Loi Israël, État-nation du peuple juif ». Contrairement à la Déclaration de l’indépendance de 1948, le texte de 2018 ne fait aucune référence à l’égalité, et déclasse la langue arabe, qui jusqu’alors était l’une des deux langues officielles de l’État.

Juifs et Palestiniens ont besoin de la paix

L’Europe doit aider les mouvements, les personnes, les partis et les institutions en Israël et en Palestine qui sont conformes aux valeurs de l’Union européenne, conformes aux exigences de la démocratie au sens fort, qui inclut le respect du pluralisme et des droits humains, et non seulement au sens du règne de la majorité. La tragédie de Gaza doit conduire à l’autodétermination des peuples sur place, donc le plus probablement à deux États. Comme il existe de nombreux pays qui ne possèdent pas d’armées, une telle restriction peut également concerner la Palestine, ce qui fait disparaître l’un des arguments clés contre l’établissement de ce pays. Le Canada, le Royaume-Uni et la France ont déjà fait un pas important dans ce sens, avec une déclaration commune :

« Nous sommes déterminés à reconnaître un État palestinien dans le cadre de la recherche d’une solution à deux États et sommes prêts à collaborer avec d’autres parties à cette fin. »

La démocratie israélienne se défend, comme en témoignaient quasiment tout au long de l’année 2023 des manifestations contre la réforme visant à limiter le pouvoir, et donc l’indépendance, du judiciaire.

Depuis le 7 Octobre, le sentiment d’une menace existentielle a certes modifié la hiérarchie des luttes, et la première semble être celle pour la libération des otages. Mais ce qui est rejeté aujourd’hui, à savoir la politique autoritaire et de conquête, est mené par ce même gouvernement qui a essayé d’introduire des réformes judiciaires qualifiées d’antidémocratiques.

Ce qui manque dans ces revendications est sans doute l’exigence de la fin de l’occupation de la Cisjordanie. S’ajoute au malaise des observateurs un sondage récent montrant qu’en mai 2025, « 82 % des personnes interrogées étaient favorables à l’expulsion des habitants de Gaza, tandis que 56 % étaient favorables à l’expulsion des citoyens palestiniens d’Israël ». L’augmentation de positions aussi hostiles est en grande partie circonstancielle, due à la propagande jouant avec le mythe biblique d’Amalek, l’ennemi ultime à faire disparaître. Le besoin d’une autre façon de penser la politique est urgent.

Aujourd’hui, la ligne de division la plus importante telle qu’elle est perçue par les sondages n’est pas entre les Juifs et les citoyens palestiniens d’Israël, mais entre la gauche et la droite. Toutefois, même si les questions ethniques sont importantes dans les considérations derrière cette polarisation, on peut espérer qu’elle signifie plutôt le retour à la politique dans les débats publics, plutôt qu’à des considérations purement identitaires.

The Conversation

Anna C. Zielinska fait partie des "Friends of Standing Together", mouvement cité dans l'article.

PDF

03.06.2025 à 16:33

Le droit est-il impuissant au sujet de l’égalité de rémunération femmes-hommes ?

Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Loi après loi, l’égalité salariale entre hommes et femmes est inscrite dans les textes, moins dans la réalité. Pourquoi ? La solution viendra-t-elle de l’Europe ?
Texte intégral (2486 mots)

Depuis un demi-siècle, les textes se succèdent pour aboutir à la parité de rémunération entre les hommes et les femmes. Des écarts non explicables subsistent. Comment expliquer le maintien de cette différence de traitement ? La mise en place de la transparence des salaires aboutira-t-elle enfin à l’égalité ? Ou les entreprises, dans leur ensemble, trouveront-elles des moyens de perpétuer un traitement injuste ?


Déclarée « grande cause nationale » du quinquennat par le président de la République (discours du président de la République du 25 novembre 2017), l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes s’escrime à sa réalisation. En effet, la loi n°72-1143 du 22 décembre 1972 a consacré « l’égalite de rémunération entre les hommes et les femmes ». Or, depuis plus d’un demi-siècle, une douzaine de lois a redoublé d’efforts sans parvenir à la réalisation de cet objectif d’intérêt public dont la réalisation dépend désormais de la négociation collective d’entreprise (ou de branche professionnelle).

À ce titre, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 a soumis les entreprises à une obligation de négocier sur ce sujet assorti d’une nécessité de résultat sous menace de sanction pécuniaire en cas d’échec. Elle a notamment créé l’index de l’égalité salariale femmes-hommes par entreprise dont les conclusions sont désormais publiques et par conséquent connues de tous. Toutefois, si les résultats de cette démarche gouvernementale sont plutôt positifs, ils ne correspondent pas avec la réalité d’une inégalité persistante dans le domaine.

En effet, l’Insee (Insee Focus-no 349 du 4 mars 2025) précise qu’en 2023, le salaire moyen des femmes dans le secteur privé (21 340 € net par an) est de 22,2 % inférieur à celui des hommes (27 430 €). Une partie de cet écart s’explique par des justifications structurelles et statistiques (ex : temps partiel féminin), mais le ministère du travail reconnaît qu’il demeure environ 9 % d’écarts de salaire injustifiés. Par conséquent, commençons par examiner la manière collective par laquelle le droit du travail tente de s’approcher d’un objectif d’égalité réelle, puis passons au crible la façon par laquelle une salariée victime d’une inégalité salariale peut éventuellement tenter individuellement de corriger cette situation avant de découvrir les espoirs que soulève la prochaine transposition en droit français d’une directive européenne consacrée à la transparence salariale.

Un accord nécessaire

Au sein des entreprises, les organisations syndicales et les employeurs doivent conclure un accord collectif en matière d’égalité professionnelle disposant de diverses actions qualitatives permettant d’atteindre des objectifs annuels de progression fondés sur des critères clairs, précis et opérationnels (embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, santé et sécurité au travail, rémunération effective et articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale). Cette opération contrôlée par l’administration déconcentrée du travail fait l’objet d’une obligation de résultat « renforcée » car en cas de défaillance les entreprises employant au moins cinquante salariés encourent une pénalité (articles L. 2242-5 et R. 2242-7 code du travail) pour inexécution de leurs obligations liées à l’égalité professionnelle (articles L. 2242-8 et R. 2242-2 du code du travail).

Au surplus, soulignons qu’à compter du 1er mars 2026, les entreprises d’au moins 1 000 salariés devront atteindre une proportion minimale de 30 % (40 % au 1er mars 2029) de personnes de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les cadres membres des instances dirigeantes (loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle). Mais le droit va plus loin et pousse les entreprises (employant au moins cinquante salariés) dans leurs retranchements en matière d’égalité de rémunération. En effet, avant le 1er mars de chaque année, elles sont assujetties au calcul de l’index d’« écarts de rémunération » (signalons que la démarche a été étendue au sein des admirations publiques par la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023).

Indispensable indice

Par conséquent, en fonction de la taille de leur effectif, elles calculent et publient un certain nombre d’indicateurs ainsi que les actions mises en œuvre pour supprimer les écarts de salaires en question (Articles D. 1142-2-1 et D. 1142-3 du code du travail). Ainsi, elles doivent mesurer par tranche d’âge et par catégorie de « postes équivalents », les écarts de rémunération, de taux d’augmentations individuelles, et de promotions entre les femmes et les hommes. Elles doivent également recenser le nombre de salariés par genre parmi les dix salariés ayant perçu les plus hautes rémunérations ainsi que le pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation dans l’année suivant leur retour de congé de maternité. Si la note globale est inférieure à un seuil réglementaire requis (désormais de 85 sur 100), des mesures correctrices doivent être adoptées par la négociation collective dans un délai de trois ans.

En définitive, l’employeur peut être soumis à une pénalité pour l’absence d’accord (ou de plan d’action) ou pour la non-conformité de celui-ci aux principes généraux de l’égalité professionnelle. Il peut également se voir appliquer une sanction financière pour la non-publication de sa note en matière d’égalité de rémunération ou pour ne pas voir remédier aux mauvais scores résultant de son action à ce sujet. Malgré l’ensemble des efforts déployés, le bilan de cette démarche est controversé car cette politique publique s’appuie sur un diagnostic principalement établi par l’employeur pouvant faire l’objet de nombreux biais statistiques.

En progression

Selon le bilan effectué par le ministère du travail, au 1er mars 2025, 80 % des entreprises concernées ont publié leur note, confirmant une augmentation continue depuis plusieurs années (54 % en 2020, à la même date). Néanmoins, en fin d’année 2024, plus de 10 % des entreprises assujetties ne l’avaient pas publié pour l’exercice précèdent. En outre, la note moyenne déclarée progresse encore à un haut niveau avec 88,5/100 en 2025 (contre 88/100 en 2024) mais seules 2 % des entreprises ont une note de 100/100 (soit 560 entreprises). Enfin, notons que 6 % des entreprises ont obtenu une note inférieure au seuil requis. Or, depuis 2019, 2 000 mises en demeure et 209 pénalités financières seulement ont été notifiées par les services de l’État aux entreprises défaillantes.

Quand bien même le nombre de sanctions n’est pas un indicateur d’efficacité, ces derniers chiffres ne s’avèrent pas être en rapport avec le nombre d’entreprises ne respectant pas leurs obligations en la matière. Malgré tout, réjouissons-nous de la réduction notable de l’écart de revenu salarial entre femmes et hommes entre 1995 et 2023 (passant de 34 % à 22,2 %) et notons que cette tendance s’est accélérée par une baisse plus rapide des inégalités salariales depuis 2019.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Chaque lundi, recevez gratuitement des informations utiles pour votre carrière et tout ce qui concerne la vie de l’entreprise (stratégie, RH marketing, finance…).


En tête de l’UE

Si cette trajectoire positive place la France dans le peloton de tête de l’Union européenne, nous savons qu’elle ne gomme que trop lentement certaines inégalités structurelles. En définitive, si cette politique a le mérite d’éclairer un objectif d’intérêt général, il flotte autour d’elle un parfum de suspicion au sujet de l’authenticité des résultats obtenus. Plus exactement, il peut effectivement demeurer un décalage entre la présentation de ces bons éléments statistiques et les injustices ressenties par de nombreuses salariées.


À lire aussi : Rémunérations hommes/femmes : « Show me the money ! », les défis de la directive européenne sur la transparence


Effectivement, malgré une note globalement positive de son entreprise, une salariée peut avoir une suspicion au sujet de sa propre situation salariale et considérer à tort ou à raison qu’elle est moins bien rémunérée que ses collègues masculins. Elle peut donc être contrainte d’engager une action judiciaire individuelle en matière d’égalité de rémunération dont la principale difficulté résidera dans l’établissement de la preuve.

La voie privilégiée des prud’hommes

À ce sujet, elle privilégiera la procédure devant le conseil des prud’hommes, car elle y bénéficiera d’un notable aménagement de la charge de la preuve. En effet, elle n’aura pas à prouver l’existence d’une discrimination, mais devra au moins « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ». Au vu de ces éléments, il incombera à l’employeur de démontrer que « sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». À charge pour le juge, en dernier lieu, de prendre en considération ces éléments d’appréciation pour former sa conviction après avoir éventuellement ordonné « toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

Lumni 2018.

Quand cela sera possible, la salariée devra effectuer une comparaison de sa situation avec celle de ses collègues dans une situation « comparable ». Selon cette perspective, sont considérés comme ayant une « valeur égale », les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, ainsi que des capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités, de charge physique ou nerveuse. En définitive, l’action judiciaire individuelle peut apparaître plus prosaïque et efficace que l’action collective embourbée dans ses divers biais statistiques. Toutefois si la voie judiciaire est efficace sa pente est tout de même rude.

Au centre de ce bilan mitigé surgit la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes qui devrait être transposée en droit français avant la fin de l’année 2025. Sous réserve des détails de sa transposition, elle apparaît comme ambitieuse à de nombreux égards. Elle commence par préciser la notion de « rémunération » afin de supprimer plusieurs biais comparatifs, puis impose au reste de l’Union européenne une politique publique proche de celle déjà en vigueur en France.

La transparence pour mieux négocier

Nous verrons donc si elle incitera le législateur français à durcir cette dernière ou quelque peu la modifier. Au-delà de cette série de futures modifications techniques, elle impose deux bouleversements majeurs. Premièrement, elle permet aux candidats à une offre d’emploi de recevoir des informations sur la rémunération initiale du poste convoité ou la « fourchette de rémunération initiale sur la base de critères objectifs non sexistes ». Assurément, la bonne communication de ces informations devrait permettre à la salariée de négocier de manière éclairée et transparente sa rémunération. Secondement, au cours de l’exécution de son contrat, elle pourra demander à recevoir par écrit des informations sur son niveau de rémunération individuel comparé à la moyenne des salaires ventilée par sexe pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail. L’ambition de cette transparence est de permettre de se comparer à une moyenne afin de savoir ce qu’il en retourne réellement de sa situation. Cela permettra d’apprécier la réalité d’une égalité de rémunération et le cas échéant de déterminer la preuve d’une éventuelle discrimination.

En définitive, les difficultés rencontrées par les politiques publiques dans le domaine qui nous intéresse soulèvent la question de l’efficacité d’un droit peinant à rendre effective une égalité proclamée. Dès lors, la transparence des salaires aura-t-elle la vertu d’atteindre cette égalité réelle, ou se heurtera-t-elle à de hautes cloisons culturelles entravant sa réalisation ? La réponse à cette dernière question dépendra en grande partie des détails de la transposition en droit français des principes issus de la directive du 10 mai 2023.

The Conversation

Stéphane Lamaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF

03.06.2025 à 16:27

BD : L’Héritage du dodo (épisode 6)

Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay

Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp.
Texte intégral (703 mots)

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans l’épisode 6, on s’intéresse aux limites planétaires.


L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…

On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !

Retrouvez ici le sixième épisode de la série !

Ou rattrapez les épisodes précédents :

Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !



Rendez-vous la semaine prochaine pour l’épisode 6 !
Pour ne pas le rater, laissez-nous votre adresse mail


Ou abonnez-vous à L’Héritage du dodo sur :


Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?

Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.

The Conversation

Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.

Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

PDF
23 / 50
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌓