18.11.2024 à 15:50
Gilles Séraphin, Professeur des universités en sciences de l'éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
En France, afin de protéger un enfant en danger, il est possible de le confier à un proche. Ce type d’accueil, encore minoritaire, est plus développé dans les départements et les territoires d’outre-mer et présente un certain nombre d’avantages.
En France, afin de protéger un enfant en danger, il est possible de le confier à un proche. Au niveau judiciaire (une mesure judiciaire en protection de l’enfance est imposée aux détenteurs de l’autorité parentale, avec recherche de leur adhésion), la mesure de « confiage » à un membre de la famille ou à un « tiers digne de confiance » est mise en œuvre depuis 1958 (article 375-3 du code civil).
Au niveau administratif (une prestation administrative en protection de l’enfance repose sur l’accord formalisé des détenteurs de l’autorité parentale), la prestation de « tiers durable et bénévole », est créée en 2016 (article L 221-2-1 du CASF). Les conditions d’application sont précisées par les décrets n° 2016-1352 du 10 octobre 2016 et n° 2023-826 du 28 août 2023.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics semblent redécouvrir ce dispositif et favorisent le placement d’un enfant en danger chez un proche bénévole plutôt qu’en établissement ou en famille d’accueil professionnalisée.
Depuis la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dans le cadre de l’assistance éducative judiciaire, le magistrat doit préalablement analyser les possibilités de recours à un membre de la famille ou à un tiers avant de confier l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance.
Les raisons de ce regain d’intérêt sont multiples. Selon une revue de littérature conduite par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) :
« Lorsque les institutions administratives ou judiciaires sont impliquées, plusieurs éléments plaident en faveur du développement de ce dispositif de prise en charge : l’accueil par un proche semble être l’option “préférée” par les enfants, les parents et les proches, lorsque les premiers doivent être retirés du domicile parental ; ce dispositif favorise le maintien de l’enfant dans son environnement, voire dans son cercle familial élargi, en conformité avec le droit international et européen qui garantit le droit de l’enfant à vivre dans sa famille. »
Ce type de dispositif aurait des résultats « au moins équivalents, sinon légèrement meilleurs, que ceux d’autres dispositifs de protection de l’enfance ». En outre, il a l’immense avantage d’être bénévole, donc peu onéreux, le département ne versant qu’une indemnité d’entretien mensuelle pour l’enfant.
Toujours selon l’étude de l’ONPE, fin 2022, « la part des placements chez les tiers dignes de confiance parmi l’ensemble des mineurs accueillis au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) s’élève ainsi à 8 % – contre 40 % pour les prises en charge en famille d’accueil et 36 % pour les accueils au sein d’établissements habilités. L’accueil par un proche demeure donc très minoritaire.
Cependant, les départements et régions d’outre-mer (DROM) ont davantage recours à cette modalité d’accueil. Les prises en charge par un tiers digne de confiance comptent en effet pour 19 % de l’ensemble des placements de mineurs dans ces territoires (hors Mayotte) ».
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Cette surreprésentation semble avoir des raisons historiques puisque ce mode d’accueil y est ancien. À La Réunion, par exemple, il était de tradition de confier le dernier-né à une sœur qui n’avait pas (encore) d’enfants, pour une durée indéterminée. En outre, des enfants pouvaient être éduqués, parfois sur une longue période, par des proches plus aisés, ou vivant dans des lieux favorables à l’éducation de l’enfant, à proximité d’établissements scolaires par exemple.
Enfin, de façon générale, d’autres adultes pouvaient participer à l’éducation des enfants, souvent en vivant la journée au foyer : ce sont les « nénennes », des dames expérimentées équivalant à des « nounous » mais qui prenaient soin des enfants sur de très longues périodes, au foyer des parents, à tel point qu’elles avaient une place dans la vie de la famille.
Ainsi, dans le cadre interprétatif culturel, sur une période donnée, il peut se concevoir qu’un enfant ne vive pas avec ses parents. Une assise culturelle – ou une référence – existe. Alors qu’en France métropolitaine les pratiques de confiage sont progressivement devenues rares et surtout peuvent être incomprises puisqu’assimilées à des formes d’abandon, elles sont encore largement développées en France d’outre-mer puisqu’elles sont culturellement instituées et expliquées. Il ne s’agit pas d’un abandon d’un enfant, mais d’un confiage dans une relation de confiance partagée.
Le questionnaire mené en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin entre 2021 et 2024, dans le cadre du programme de recherche Enfant protégé confié à un proche (EPCP) mené par le laboratoire Cref de l’Université Paris Nanterre, permet de déterminer qui sont les enfants, parents et tiers et quels sont leurs besoins.
De façon générale, les tiers sont des membres de la famille (81 %), souvent des grands-parents (58 %). Ils sont également dans une très large proportion des femmes (91 %), ne vivant pas en couple dans deux tiers des cas. 38 % de ces tiers dont on connaît la situation professionnelle occupent un emploi, la quasi-totalité étant ouvriers ou employés et 62 % sont soit au chômage, soit inactifs. Selon leur déclaration, 44 % perçoivent un des minima sociaux. Il s’agit donc d’une population quasi exclusivement issue de ce que nous pourrions appeler des classes populaires, bénéficiant souvent d’aides, et régulièrement éloignée du marché du travail.
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78 % des tiers répondants affirment n’éprouver aucune difficulté. Les rares difficultés mentionnées, et les besoins afférents, sont d’ordre pécuniaire (insuffisance de moyens de subsistance), administratif (manque de soutien pour établir des documents et faire valoir des droits), d’habitat (logement exigu), de conciliation vie professionnelle/vie familiale, voire de carence de soutien individualisé auprès de l’enfant (suivi psychologique ou aide aux devoirs principalement).
Les enfants, pourtant marqués par un parcours de vie caractérisé par de nombreuses violences (physiques et/ou sexuelles et/ou psychologiques et/ou de situation de négligence et/ou de violences conjugales), émettent également un avis globalement positif sur ce mode de protection. Malgré la blessure de la séparation d’avec la famille d’origine, qui revient très souvent dans les témoignages, le tableau dressé paraît assez lumineux. Ces enfants émettent des opinions marquées par l’espérance et semblent bâtir des projets.
Par ailleurs, les quelques parents qui ont répondu les rejoignent globalement dans cet avis positif. Ces proportions, exceptionnelles, sont à souligner.
Selon la revue de revue de littérature conduite par l’ONPE :
« Certaines constantes émergent dans les différentes recherches menées en France et à l’international : la fragilité socio-économique des familles concernées par ces situations d’accueil, la plus forte implication des femmes dans les prises en charge, l’obligation morale qui impulse l’engagement des proches, le bouleversement du quotidien des accueillants lors de l’arrivée de l’enfant à leur domicile, la difficulté des familles à gérer la pluriparentalité, les besoins d’accompagnement encore non satisfaits par les services médico-sociaux, ou encore l’impression des parties prenantes de s’inscrire dans une certaine normalité en dépit de la singularité de leur situation familiale. »
Certes, il faut rester prudent sur les comparaisons internationales puisque ces enfants et familles ne vivent pas dans les mêmes cadres juridiques, et ne bénéficient pas des mêmes droits, notamment sociaux. L’expression des besoins n’est donc pas identique.
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Toutefois, la plupart de ces constats généraux caractérisent fortement la population des tiers ultramarins étudiée, voire sont plus appuyés en ce qui concerne ces territoires (notamment en ce qui concerne la fragilité économique, la surreprésentation des femmes parmi les tiers, les difficultés de recours aux services médico-sociaux…). D’autres semblent moins associés, y compris en comparaison avec la France métropolitaine (notamment la difficulté de gérer la pluriparentalité puisque dans les Drom elle est traditionnellement reconnue et pratiquée).
Ainsi, dans les DROM comme en France métropolitaine, ce mode de protection est jugé favorablement par une très grande majorité d’acteurs. Ils font toutefois part d’un manque de soutien des autorités, tant au niveau financier, de l’information juridique et administrative qu’en termes de soutien psychologique.
Cette expérience du confiage, beaucoup plus développé dans leurs territoires, les Drom pourraient la mettre à profit de la France entière, quand il s’agit de faire évoluer les politiques publiques, notamment en ce qui concerne l’évaluation des situations. En effet, le référentiel HAS aujourd’hui en vigueur considère peu la disponibilité et la qualité de ces ressources constituées par les proches. Ils pourraient mettre aussi cette expérience à profit pour construire des dispositifs d’accompagnement adaptés, conformément aux nouvelles attentes règlementaires.
En outre, la situation des tiers ultramarins souligne l’extrême urgence d’imaginer des dispositions complémentaires (dans le cadre d’une politique d’aide aux aidants, d’un bénéfice total de tous les droits familiaux engagés par cette parentalité quotidienne pour que les tiers solidaires, principalement des femmes issues de milieux modestes, ne deviennent plus encore victimes de leur solidarité.
Sur ce programme de recherche, Gilles Séraphin a reçu des financements de : Fondation de France, Union européenne (programme Erasmus +), département de Guadeloupe.
18.11.2024 à 15:49
Maria Mercanti-Guérin, Maître de conférences en marketing digital, IAE Paris – Sorbonne Business School
La guerre de l’information que se livre la famille royale et la presse anglaise ne date pas d’hier. Mais à l’ère des réseaux sociaux et des deepfakes, la gestion chaotique de la communication autour de l’état de santé de Kate Middleton suite à l’annonce de son cancer a suscité un déluge de rumeurs complotistes et nuit à l’image de la princesse. La royauté est à un tournant en matière de communication.
Le 9 septembre 2024, le compte Instagram officiel du Prince et de la Princesse de Galles diffusait une vidéo annonçant la fin de la chimiothérapie de Kate Middleton. Réalisée par Will Warr, un publicitaire connu pour son travail pour des marques comme Uber Eats, Tesco ou Puma, cette vidéo a immédiatement « cassé » Internet avec plusieurs millions de vues en quelques heures. Au-delà des marques de sympathie, cette communication illustre une vie sous contrainte des réseaux sociaux et des fake news.
Elle dévoile des images très privées de Kate, filmées dans le Norfolk en pleine nature. Kate dans un décor bucolique se présente comme une survivante, un porte-drapeau de la lutte contre le cancer tirant sa force de l’amour de sa famille, de ses fans et de sa connexion privilégiée avec la nature. Bien que Kate soit devenue une figure incontournable sur les réseaux sociaux, avec plus de 54 millions d’abonnés sur ses comptes, la famille royale reste généralement réservée. La maxime « Never explain, never complain » (Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier) est toujours d’usage. Mais à l’ère des fake news et de la surinformation, cette stratégie devient de plus en plus difficile à maintenir et la maladie de Kate a donné lieu à une bataille intense sur les réseaux sociaux.
La vidéo où elle annonce son cancer a été vue plus de 5 millions de fois. Après l’annonce, le taux d’engagement sur les publications royales a bondi de 300 %. Parallèlement, des photos de la fête des mères, retouchées par IA, et le silence sur son état de santé ont alimenté toutes sortes de rumeurs complotistes. La disparition prolongée de Kate a été reprise par le hashtag #WhereIsKate. La famille royale a répondu avec #WeLoveYouCatherine, qui a été utilisé plus de 500 000 fois en 24 heures.
Quelles leçons tirer de ce marketing social chaotique où souffrir en privé est vu comme une faute et ne pas révéler son dossier médical un crime de lèse-majesté ?
Dans The Disinformation Age, Bennett et Livingston (2020) décrivent comment les plates-formes numériques ont bouleversé la communication publique, introduisant une ère où la désinformation est devenue omniprésente et particulièrement difficile à contrôler. Ces communications perturbatrices pénètrent dans les sphères publiques dominantes qui étaient autrefois les gardiens institutionnels de toute communication. Pourtant, la guerre de l’information que se livrent la famille royale et la presse anglaise ne date pas d’hier. Du drame de Diana en passant par les déboires d’Harry, de nombreux chercheurs se sont penchés sur cette presse très vite convertie à la dictature du clic et à l’économie de l’attention. Plusieurs étapes dans la dégradation de l’information sont à distinguer :
Étape 1, place au sensationnel
L’étape 1 correspond aux années 1980-1990 où la place réservée à la culture des célébrités et au gossip prend le pas sur le contenu sérieux et documenté. En 1998, seuls 8 % des éditoriaux du Sun et du Mirror pouvaient être considérés comme traitant de la politique ou de l’économie, le reste étant consacré aux potins ou au sport.
Étape 2, la chasse aux clics
L’étape 2 apparaît dans les années 2000 au cours desquelles le contenu généré par les utilisateurs commence à concurrencer celui des paparazzis. Le mobile se généralise et l’économie de l’attention cultivée par le journalisme sur Internet alimente un flot ininterrompu de contenus dont le seul objectif économique est de servir de support à la publicité digitale. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène.
Étape 3, l’ère de l’IA
L’étape 3 a commencé dans les années 2010. La génération d’images de célébrités par IA a pris son essor avec les GANs (generative adversarial networks), une technologie qui oppose un générateur d’images à un discriminateur pour créer des visuels réalistes. Les deepfakes utilisent des GANs, et superposent un visage (souvent celui d’une célébrité) sur une vidéo existante de manière très réaliste. Les expressions faciales, la voix, les mouvements de la personne réelle sont parfaitement imités. La frontière entre le réel et le fabriqué n’existe plus.
Cette ère des deepfakes est la dernière étape de la désinformation qui rend presque impossible une stratégie sociale efficace à savoir, comment utiliser au mieux son image pour promouvoir une marque ou une cause, gérer une communauté de fans, obtenir le maximum d’engagements sur ses publications. Les efforts de Kate Middleton pour préserver une image positive se heurtent à ce que Bennett et Livingston appellent « l’architecture de la désinformation », une dynamique systémique où les acteurs malveillants utilisent la technologie pour amplifier le doute, la suspicion, et brouiller les frontières entre le vrai et le faux.
Le problème est que Kate elle-même y a eu recours. La photo de la fête des mères et même la vidéo de son annonce du cancer auraient été retouchées par l’IA. D’anciennes photos de la Reine sont soumises au même processus de vérification grâce à des outils de détection d’IA disponibles sur Internet et accessibles à tous. Cette utilisation par la Famille royale de l’IA marque la fin de la communication institutionnelle et des différents narratifs développés jusque-là avec succès par la monarchie fondés sur la tradition et la famille.
Le deuxième aspect de la désinformation réside dans une surmonétisation de chaque apparition publique. Le « Privacy Paradox » (être vu et rester caché) est reproché à la monarchie : réclamer une vie privée tout en s’exposant et en tirer avantage en termes de popularité. Le problème est que ce sont les médias, réseaux sociaux, marques et autres plates-formes d’influence qui en tirent le bénéfice le plus important.
Concernant la publicité digitale, une analyse menée sur l’outil de Social Listening TalkWalker montre qu’en une semaine moyenne, le hashtag #KateMiddleton a été utilisé 4 500 fois et a touché presque 130 millions de personnes. Un des signes que l’image de Kate est abîmée par ces multiples polémiques est confirmée par l’analyse de sentiment effectuée, une méthode qui consiste à utiliser des outils d’IA pour identifier et évaluer les émotions ou opinions exprimées dans un texte, comme positif, négatif ou neutre. 438 influenceurs gagnent leur vie grâce à ce hashtag, qui permet de rassembler une communauté autour d’un sujet précis, augmentant ainsi leur visibilité et attirant l’intérêt des marques pour des collaborations.
Parmi eux, 93 % sont actifs sur X et plus de 5 % sur YouTube. C’est sur ce réseau que la monétisation serait la plus forte avec 4 400 euros par mois et par influenceur gagnés grâce à la thématique « Kate Middleton ». Kate est également une influenceuse dont la particularité est de ne rien recevoir en retour.
Reiss, L.K. Bennett et Zara ont vu leurs ventes augmenter de 200 % après que Kate ait porté leurs créations. Les vêtements qu’elle choisit se vendent en moyenne cinq fois plus rapidement. L’impact économique annuel de Kate sur la mode britannique est estimé à 1,2 milliard d’euros. La pression pour qu’elle revienne et continue son travail d’ambassadrice de mode est donc particulièrement forte.
Sa stratégie sociale reposait jusqu’alors sur 5 piliers : cible populaire, positionnement sur l’univers de la mode, proximité, capacité à générer de l’engagement, adoption de codes tirés de l’industrie du cinéma et du divertissement. Mais une dernière règle avait été oubliée : le contrôle absolu n’existe pas. Son humanité devient un produit comme les autres. Ce n’est pas seulement la mort de la vie privée, c’est la transformation de chaque moment personnel en contenu à consommer, partager, et analyser. Et ce modèle ne tolère ni pause, ni silence.
La royauté est, donc, à un tournant en matière de communication. Sa stratégie doit, désormais, reposer sur une agilité en termes de gestion de crise, une révolution concernant la transparence de l’information, l’attachement à une authenticité non médiatisée par les écrans. Dans un monde où chaque image peut être falsifiée, la sincérité des moments capturés et la véracité des informations partagées deviennent des valeurs cruciales pour redonner de la crédibilité à la communication publique. Un engagement éthique sur son refus d’utiliser des images ou films générés par l’IA pourrait restaurer la confiance perdue. Enfin, le retour sur le terrain et la multiplication de visites authentiques avec de « vrais gens » pourraient, pour un temps, faire taire les rumeurs. Dernière règle, accepter que le silence est un luxe que même les princesses ne peuvent se permettre.
Maria Mercanti-Guérin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 15:49
Frédéric Gauthier, Professeur associé en logistique internationale, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Définir l’origine d’un produit est plus compliqué qu’il n’y paraît. Le droit, au niveau national ou européen, fixe un certain nombre de règles pour déterminer ce qu’il est autorisé d’apposer comme origine.
On parle beaucoup du made in France, mais de quoi parle-t-on ? Pour définir le made in France il convient de comprendre au préalable les règles d’origine appliquées au sein de l’Union européenne. Le made in EU nous permet en effet de comprendre le made in France. Ces règles définissent ce qui fait qu’un pays est bien celui qui fabrique. La douane et la règlementation douanière avec elle, dans sa mission régalienne de contrôle aux frontières des marchandises, a par nature la crédibilité de définir et de contrôler des produits made in France. Elle nous apporte ainsi une clarification sur la question.
La règlementation douanière qu’il convient d’appréhender pour comprendre le made in France est celle des règles d’origine définies au niveau de l’Union européenne. Définis dans le Code des douanes de l’Union, les articles 59 à 63 en donnent les caractéristiques. L’article 60 explique la notion fondamentale de produit soit sans transformation soit entièrement obtenu dans un même pays. Le mot entièrement explique le questionnement du made in. En effet, dans le même article, la notion de transformation substantielle est affirmée. À partir de quand peut-on dire qu’une transformation change le pays d’origine d’un produit ?
Cette définition liée à la transformation appelle des précisions que l’acte délégué de l’Union 2015/2446 ne manque pas d’apporter. L’article 31 y précise quel type de marchandise peut être compris dans la notion de transformation. Ainsi, les animaux vivants qui sont nés et ont été élevés dans un pays ne sont pas concernés par la notion de transformation. Suivent dans le même document les transformations permettant aux produits de devenir made in EU. L’article 34 du même règlement précise par contre la liste des opérations sur le produit fini qui sont insuffisantes pour modifier l’origine d’un produit, comme simplement apposer des étiquettes.
L’entreprise qui revendique une origine doit pouvoir le prouver par son processus de production, par la certification de ses fournisseurs et l’identification des produits achetés. On retient de cette base réglementaire que l’origine d’un produit s’intéresse au produit lui-même et à la réalité de son élaboration. Cette origine est ainsi déterminée au cas par cas selon la spécificité de l’industrie et de son organisation, même si des principes généraux président à leur application.
Pour définir le pays d’origine d’un produit, plusieurs principes peuvent s’appliquer. La douane met en ligne une fiche précieuse pour définir l’origine d’un produit.
Il peut s’agir d’un changement de code de nomenclature du produit que l’on peut consulter dans l’encyclopédie tarifaire en ligne. En effet, chaque produit est repris dans la nomenclature qui est un système de codification des marchandises, où il possède un code. La première règle existante s’appelle le changement de position tarifaire. Dans ce cas, les premiers chiffres du code diffèrent de ceux des produits importés et non originaires de l’Union européenne. À cette condition la transformation sera substantielle et le dernier pays ainsi défini deviendra pays d’origine.
La deuxième règle est le critère de valeur ajoutée que l’on peut trouver dans d’autres cas. À la transformation doit s’ajouter une valeur ajoutée minimum. La troisième règle est celle de l’ouvraison (opération de transformation partielle d’un produit) spécifique que l’on trouve par exemple dans l’industrie textile. Certains produits textiles peuvent être soumis à la règle établissant que la confection complète (c’est-à-dire toutes les opérations qui suivent la coupe de tissus) doit avoir lieu dans le pays qui donne l’origine. L’opération spécifique de transformation permet alors d’acquérir l’origine Union européenne.
Il peut exister des cas particuliers qui font qu’un produit donné ne peut se voir attribuer un pays d’origine selon les règles primaires précédemment citées. Des règles résiduelles permettent d’y remédier. Les enjeux sont nombreux : comment assurer une souveraineté voire une préservation et un essor des industries existantes dans l’Union européenne au sein d’un environnement mondial ? Qu’en est-il par ailleurs de ces règles confrontées aux règles des autres pays ?
Non seulement l’Union européenne n’est pas seule, mais, étant très intégrée au commerce international, elle a établi des accords préférentiels avec un grand nombre de pays dans le monde.
L’origine d’un produit dans l’UE ainsi définie est appelée origine non préférentielle. L’entreprise vérifie alors si elle peut bénéficier d’une origine dite préférentielle. Cette dernière ne concerne pas le seul pays de fabrication du produit mais également le pays où il va être livré.
Par exemple, si une entreprise exporte des produits au Maroc, elle peut se demander s’il existe un accord préférentiel entre l’Union européenne et ce pays. Cet accord peut permettre de réduire les droits de douane qu’une entreprise aurait à payer. L’entreprise peut ainsi bénéficier d’avantages compétitifs à l’achat comme à la vente, car les concurrents d’autres pays auront à les payer. L’achat et la vente peuvent ainsi se trouver liés et avoir des implications stratégiques à considérer : où se fournir, où produire, où vendre…
Les règles d’origine non préférentielles de l’Union européenne vont s’appliquer pour définir une origine France. À la différence des règles présentées précédemment, les autres pays de l’Union européenne deviennent des pays tiers. Le bureau de douane de Clermont-Ferrand est spécialisé dans les questions liées au made in France. De la même manière, l’utilisation abusive du made in France pour des ventes en France est du ressort de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes.
S’il n’est pas si simple d’identifier le made in France, la douane nous donne des outils pour le faire. Les règles applicables sont très finement adaptées à la diversité des situations aussi différentes qu’il existe de produits et de pays. Le made in France se définit dans un environnement concurrentiel où les forces et faiblesses de la production en France s’affichent. Il se pense à l’échelle des consommateurs, de la politique des États, des marchés et des entreprises, ce qui fait de lui une évidence complexe.
La production française est renforcée par la perception des consommateurs, mais également par son empreinte carbone plus faible et la réactivité des entreprises lorsque des chaînes d’approvisionnement plus courtes sont possibles. Sans oublier l’exportation, où le made in France a à faire valoir sa différence dans un monde de contraintes compétitives. Le made in France affiche ce qu’est notre compétitivité et notre attractivité en France, dans l’Union européenne et dans le monde.
Frédéric Gauthier pour l'Université de Picardie Jules Verne - Laboratoire des Technologies Innovantes comme professeur associé
18.11.2024 à 10:56
Fabien Bottini, Professeur des Universités en droit public, Le Mans Université
François Langot, Professeur d'économie, Directeur de l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université
Les avancées technologiques provoquent d’une part la disparition de certains emplois, mais aussi l’apparition de nouveaux métiers. Comment anticiper ces évolutions pour accompagner au mieux et éviter les tensions sur le marché du travail ?
En juillet 2024, un rapport public nous apprenait que la réindustrialisation du pays patinait faute notamment de capacités suffisantes de formation. En octobre, des aéroports ont été durement touchés par une grève spontanée. Début novembre, Auchan et Michelin annonçaient respectivement 2400 et 1250 suppressions de postes… Autant d’informations révélatrices des tensions actuelles sur le rapport au travail.
Or, celles-ci vont inévitablement s’accentuer sous le coup des transitions écologique et démographique ou bien encore d’innovations technologiques telles que l’intelligence artificielle. C’est la leçon que l’on peut tirer de la révolution numérique des années 1980, puisque l’adoption des ordinateurs a éliminé de nombreux emplois exécutant des tâches dites routinières dans les bureaux et les usines.
Si la chose est connue, il ne faut toutefois pas perdre de vue que cette révolution a dans le même temps fait naître de nouveaux types de travailleurs, comme les développeurs de logiciels et les spécialistes en informatique. Des jobs inédits à l’époque qui emploient aujourd’hui des millions de personnes. En 2000, il y avait d’ailleurs approximativement 20 millions d’employés en France contre plus de 27 millions aujourd’hui, soit 200 000 nouveaux emplois créés chaque année en moyenne. De sorte que si les transitions entraînent des pertes d’emplois à court terme, elles sont également susceptibles d’en créer à plus long terme.
Comme l’ont expliqué Joseph Schumpeter puis Philippe Aghion, ce phénomène de « destruction créatrice d’emplois », souvent perçu comme anxiogène, peut de ce point de vue constituer des opportunités pour le monde du travail, surtout s’il est accompagné par l’État et les partenaires sociaux.
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D’où l’importance de bien maîtriser ses tenants et aboutissants. D’autant qu’on s’attend à ce que les effets des transitions en cours soient démultipliés par la raréfaction de l’accès à certaines ressources nécessaires aux besoins essentiels de chacun et la fragmentation du marché mondial, dans un contexte géopolitique tendu.
Pour s’approprier ce phénomène, de nombreuses données statistiques nouvelles sont mobilisables, par exemple pour étudier les conséquences de ces mutations sur les inégalités de salaire, mais aussi l’impact des réformes juridiques destinées à accompagner et rendre profitable pour toutes ces futures réallocations d’emplois. Encore faut-il véritablement utiliser ces ressources pour adapter les politiques publiques aux besoins d’accompagnement que ces mutations du travail font naître.
Si les gouvernants sont aujourd’hui conduits à faire des choix difficiles pour redresser les comptes publics, l’importance de ce travail prospectif ne doit ainsi pas être sous-estimée. Car la transition démographique et le vieillissement de la population qu’elle induit accroissent les besoins de financement de la sécurité sociale, tels que ceux des retraites. Des réformes, comme celle conduisant à un recul de l’âge moyen de départ en retraite, peuvent certes en partie garantir la soutenabilité de ses dépenses. Mais cette dernière sera avant tout assurée par des ressources croissantes venant d’un travail plus efficace. Or, cette réallocation continue des travailleurs vers les emplois les plus productifs est un phénomène complexe, car ils sont exposés de façons hétérogènes au ralentissement d’activités polluantes ou à l’automatisation de certaines tâches, pour ne prendre que ces exemples.
Ceux effectuant des tâches « robotisables » devront en effet effectuer une mobilité, comme ceux employés dans des entreprises carbonées ou trop âgés pour être formés aux nouvelles technologies. Autant de situations qui s’accompagnent potentiellement d’une perte de revenus, en faisant les perdants de ces mutations. Cela confirme l’importance pour les pouvoirs publics d’anticiper finement les mutations du travail, pour absorber ces risques de fortes variations de revenus et éviter de nouvelles tensions sociales.
Surtout que les interrogations sont nombreuses : comment opérer les réallocations d’emploi avant qu’il n’y ait des licenciements ? Quels nouveaux mécanismes inventer pour compenser les pertes de revenu, former tout au long de vie, prévenir les problèmes de santé associés ? Comment, en d’autres termes, penser ces changements pour ne pas avoir à les panser dans le cadre d’une société vieillissante, où la pérennité financière de la protection sociale et son rôle d’« amortisseur social » posent question ?
Évaluer nationalement les systèmes existants d’aide à l’embauche et à la formation, de soutien aux bas revenus, de retraite, d’organisation du travail… pour définir les réformes permettant d’optimiser leurs rendements est un premier élément de réponse.
Mais à condition que ce rendement s’apprécie non seulement du point de vue économique, mais aussi du point de vue social et environnemental, comme devraient par exemple le permettre les nouvelles obligations de reporting extrafinancier pesant sur les entreprises, ou la publication d’un index de l’égalité professionnelle. Une seconde piste à creuser, complémentaire, passe par une nouvelle répartition des compétences entre le niveau national et les échelons locaux, qui renforce les prérogatives de ces derniers pour orienter et accompagner le redéploiement de l’emploi au niveau de leurs territoires.
Ceci suppose d’abord de donner aux élus locaux et chefs d’entreprises de leurs circonscriptions les moyens de cerner les besoins de leurs populations et de leurs travailleurs. Pour ce faire, il leur faudra notamment mettre en place de nouveaux outils de gouvernance pour prendre des décisions concertées et éclairées, par exemple via la constitution de nouveaux réseaux « sentinelle », rendant possible de monitorer, en temps réel et de façon adaptée, les transformations à l’œuvre. De ce point de vue, il serait utile de profiter de l’ancrage territorial des Universités et centres de recherche spécialisés pour créer de nouveaux partenariats public-privé sur ces questions. Ce regard croisé entre élus, employeurs et monde de la recherche pourrait ensuite être mobilisé pour évaluer, de façon indépendante et efficace, au niveau local, les réponses sur-mesure à apporter aux défis propres d’un territoire, à la lumière de leur capacité à s’articuler au mieux avec les initiatives nationales, supranationales, voire internationales.
Repenser l’interaction entre les échelles de l’État et les sphères publiques et privées s’impose d’autant plus que ces transitions changeront la géographie de l’emploi plus vite qu’on ne le croit. Elles font d’ailleurs déjà naître de nouvelles questions, liées à la territorialisation de l’énergie, l’économie circulaire, la souveraineté alimentaire, la relocation résidentielle et industrielle, la planification du care et de l’éducation…
Autant d’évolutions dont l’analyse devrait rester une priorité pour les pouvoirs publics. Cela leur permettra de mobiliser au mieux la boîte à outils juridiques et socio-économiques à leur disposition pour accompagner les destructions créatrices d’emplois, d’une façon qui permette la continuité de la satisfaction des besoins essentiels des habitants, travailleurs et entreprises. Ce n’est qu’à cette condition que ce processus pourra devenir une véritable opportunité.
Fabien Bottini est chargé de mission pour la Fondafip, le think-thank des Finances publiques, membre de l'Observatoire de l'éthique publique (OEP) et de la MSH Ange Guépin. Il a perçu ou perçoit des subventions de la part du LexFEIM et du Thémis-UM, laboratoires de recherche en droit, et de la Mission de recherche Droit & Justice. Il est par ailleurs titulaire de la chaire "Innovation" de l'Institut Universitaire de France et de la chaire "Neutralité Carbone 2040" de Le Mans Université qui financent également en partie ses travaux.
François Langot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 10:44
Eric Dugas, Professeur des universités et chargé de mission handicap (empathie/inclusivité, jeux, handicap/maladie, mise en jeu corporelle, rapport à l'espace/architecture), Université de Bordeaux
Dans le cadre DuoDay, le Premier ministre, Michel Barnier recevra jeudi 21 novembre son binôme. Cette initiative vise à rapprocher les personnes en situation de handicap du monde du travail l’emploi. Pourtant intéressante que soit cette initiative, il serait nécessaire d'aller plus loin maintenant.
Malgré des progrès notables, de nombreuses incitations, recommandations et obligations ces dernières décennies, le taux de chômage touche actuellement quasiment deux fois plus les personnes en situation de handicap (PSH). Sachant que les représentations et autres préjugés ou discriminations persistent encore de nos jours.
Dans ce contexte contrasté, un évènement tire son épingle du jeu. Il s’agit de « DuoDay ». C’est un évènement national, construit sur une journée, qui permet aux PSH de découvrir des métiers en entreprise en formant un duo avec un professionnel « valide » volontaire. Apparue en Irlande en 2008, cette initiative s’est étendue en Europe, notamment en France avec une septième édition qui se réalise depuis 2018, en novembre, dans le cadre de la « Semaine européenne pour l’emploi » des PSH. En 2023, 27 613 duos ont été ainsi créés et 13 550 employeurs ont participé à cette journée en plein essor.
Cette initiative originale est intéressante sur plusieurs points. D’une part, elle permet surtout la rencontre avec autrui, l’interaction en face à face, réduisant ainsi la distance physique pour mieux réduire la distance sociale. Car la mise à distance freine le processus dynamique et interactionnel de la participation sociale, ce qui peut conduire à la désaffiliation ou à la disqualification sociale. Sans compréhension, sans éprouver l’autre, guère de reconnaissance in fine ; les PSH vivent alors l’expérience du déni de reconnaissance.
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L’éveil et la préoccupation empathiques se dessinent dans cette rencontre à l’autre. Il s’agit dès lors pour le duo de mieux se connaître, mais surtout pour l’employeur de connaître et comprendre les PSH. Or elles sont dans un perpétuel « entre-deux » dans lequel le regard posé sur eux est parfois ambivalent, entre attirance et rejet. En cette occasion offerte, autant faire pencher la balance du bon côté…
Enfin, ce stage d’une journée non rémunéré peut mettre le pied à l’étrier vers l’emploi, permettre de développer son réseau. Environ un quart des PSH seulement ont obtenu un emploi ou un stage prolongé à l’issue de cette expérience. Ce n’est pas rien… Mais est-ce bien perçu par les PSH ? Le temps fugace d’une rencontre est-il le temps des PSH ?
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Pourtant, des voix s’élèvent, dont celles des premiers concernés, les PSH. Si le « DuoDay » est très riche, il est toutefois asymétrique dans sa conception. C’est à la PSH de venir chez l’employeur. Une domination symbolique renforcée par la rencontre dans l’espace de travail de l’entreprise ou de la structure d’accueil. Or, les espaces ne sont pas de simples décors, ils conditionnent aussi nos manières d’être et nos comportements.
Pêle-mêle, lit-on sur les réseaux sociaux que des PSH ainsi que des personnes dites « valides/ neurotypiques » n’apprécient guère ce liant unilatéral et médiatique, même si les entreprises sont volontaires et bienveillantes. L’évènement peut être perçu, voire vécu, comme infantilisant, déresponsabilisant ou démonstratif pour la bonne image de l’entreprise, etc. Dès sa première édition, l’initiative DuoDay est loin de faire l’unanimité. Des PSH se sont senties « le stagiaire d’un jour », la figure de proue du « selfie inclusif », celle de « l’assistée »… Alors, « DuoDay, propagande ou opportunité ? » Une opération de communication avant tout ou un levier, parmi d’autres, révélant le potentiel des PSH pour lutter contre les préjugés et favoriser leur employabilité ?
Si on considère que l’inclusivité sociale et professionnelle demande un lien de réciprocité - au sens où les PSH revendiquent de s’intégrer selon leurs moyens, et d’être incluses selon leurs besoins – alors la participation active et effective à ces dispositifs doit les situer dans une expérience plus égalitaire. Dit autrement, si la rencontre physique, le face-à-face, le co-éprouvé est un levier essentiel de l’éveil à l’autre et aux altérités, le « aller vers » de l’employeur à l’endroit des PSH qui travaillent est essentiel. L’employeur se rendrait compte qu’ils sont autrement capables en voyant concrètement les adaptations et aménagements qui permettent un environnement de travail propice à la créativité, à l’accomplissement individuel et collectif, à la productivité et performance pour tous (pas seulement les PSH).
C’est ainsi que certaines personnes ont proposé le « DuoDay inversé ». Pour illustration, c’est aux travailleurs/employeurs de consacrer une journée immersive auprès des PSH dans leur environnement de travail, à l’instar du « Duo2 » organisé sur une journée par la Fondation des Amis de l’Atelier.
L’empathie, concept multidimensionnel à utiliser avec précaution et mesure, peut se résumer par la capacité à se mettre à la place des autres, tout en sachant que cet autre n’est pas soi, pour comprendre ce qu’il éprouve, ressent et pense. En ce sens, la motivation à se soucier de l’autre puis la prise de perspective vis-à-vis des PSH requièrent par exemple des éléments clés in situ : interagir ensemble, l’observation d’autrui et l’inversion des rôles pour partager et exprimer les ressentis.
Ici, l’idée soumise n’est pas une sorte de « vis ma vie », en inversant les rôles, ni un « DuoDay inversé » unilatéral, mais un DuoDay réciproque, bilatéral, symétrique, sur un minimum de 2 jours d’affilé ou sur une période donnée. Ces temps conjugués sont plus longs, mais gagneraient en efficacité en jugeant enfin la PSH non pas sur ses manques, mais sur ses compétences.
Observer et rencontrer une PSH dans son environnement (de travail ou de la vie quotidienne) ne la place pas dans une situation de dominé ou dans une position inconfortable. Elle la place dans une situation permettant de comprendre que si le handicap est présent, la situation de handicap, quant à elle, dépend d’une part, de l’environnement et de l’aménagement du lieu de travail ou de vie et, d’autre part, du regard porté sur la PSH ; car le premier miroir, c’est l’autre.
Ces deux facteurs sont indissociables et, selon la qualité de l’organisation et de la maîtrise de ces deux rencontres, le curseur de la reconnaissance oscillera du côté positif ou négatif. La juste distance demande donc un effort de réciprocité (aller vers et recevoir). D’ailleurs, débuter le premier DuoDay en allant sur le terrain de la PSH rendra plus sereine la seconde rencontre en entreprise (avec le même professionnel, voire un autre de la même entreprise ou du même service), du fait de la mise en confiance au premier rendez-vous. Sachant que la PSH peut être un étudiant, un employé, un entrepreneur, en reconversion professionnelle ou un travailleur en ESAT.
Se rencontrer physiquement, et doublement, permettrait de mieux saisir et d’agir au cœur d’un véritable processus d’inclusivité professionnelle, donc d’employabilité et de recrutement. En somme, l’inclusivité est un mécanisme réciproque, plus horizontal, qui sollicite deux DuoDays indispensables et inséparables, comme les deux faces d’une pièce de monnaie. N’oublions pas, à l’instar du psychosociologue Jacques Salomé, que si c’est dans l’ombre de soi-même que l’on fait les rencontres les plus lumineuses, encore faut-il oser le pas vers l’autre, pour mieux faire le pas de côté, celui de la dignité.
Eric Dugas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.11.2024 à 10:44
Lucas Miailhes, Doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL)
Les constructeurs européens envisagent de plus en plus d’opter pour la technologie de batterie lithium-fer-phosphate (LFP), très répandue en Chine, plutôt que la nickel-manganèse-cobalt (NMC) plus répandu en Europe. Un choix technologique important en termes de souveraineté industrielle et de dépendance économique aux producteurs de métaux… mais qui peut aussi les aider à vendre des véhicules électriques plus abordables.
Face à la demande croissante de véhicules électriques plus abordables, les constructeurs européens diversifient de plus en plus leur portefeuille de batteries. Ils commencent à intégrer la technologie LFP (pour lithium, fer, phosphate), un type de batteries lithium-ion qui domine actuellement le marché en Chine du fait de son coût moins élevé que les batteries NMC (pour nickel, manganèse, cobalt), plus fréquentes en Europe.
De quoi questionner la pérennité des investissements européens dans la production de batteries, qui ont jusqu’ici surtout concerné le NMC. Cela pose aussi la question d’une dépendance potentielle envers les fabricants asiatiques, avec des implications différentes en termes de métaux critiques.
Autrement dit, c’est un enjeu de souveraineté industrielle pour le secteur automobile du vieux continent, qui souligne la complexité d’un écosystème où différentes technologies coexistent pour répondre à la multiplicité des usages de la mobilité électrique. Il implique des choix politiques et industriels qui influenceront l’adoption du véhicule électrique et les dépendances futures de l’Europe.
Les batteries lithium-ion sont au cœur de la révolution des véhicules électriques. Elles sont l’élément stratégique essentiel des voitures électriques, dont elles constituent jusqu’à 40 % de leur poids. Leur fabrication nécessite un savoir-faire hautement spécialisé, des investissements importants en capital fixe et l’utilisation de matières premières critiques. Un véhicule électrique utilise environ 200 kg de ces matériaux, soit six fois plus qu’un véhicule à combustion interne.
Le secteur automobile a largement orienté les trajectoires prises par le développement technologique des batteries, notamment pour améliorer leur densité énergétique, leur capacité de charge rapide et leur sécurité d’usage, tout en abaissant les coûts.
Théoriquement, on peut utiliser toutes sortes d’éléments chimiques dans les batteries li-ion. Mais pour l’heure, le marché est dominé par deux technologies : les batteries NMC et LFP. La comparaison entre les batteries LFP et NMC révèle une équation complexe entre prix, accessibilité, sécurité, performance et autonomie.
En 2023, les batteries NMC (nickel, manganèse, cobalt) représentaient près de deux tiers du marché mondial, tandis que les batteries LFP (lithium, fer, phosphate) occupaient 27 % des parts de marché. En Europe, 55 % des véhicules électriques sont équipés de batteries NMC, 40 % utilisent des batteries NCA (nickel, cobalt, aluminium), et seulement 5 % sont dotés de batteries LFP.
De fait, les constructeurs européens ont jusqu’ici privilégié les batteries NMC et NCA pour leur grande autonomie, tandis que les batteries LFP étaient principalement utilisées par les constructeurs chinois. C’est principalement en raison des exigences des consommateurs en termes d’autonomie, de performance et de recharge rapide que l’Europe s’est jusqu’ici engagée dans la voie des batteries NMC à haute teneur en nickel.
Il n’empêche, les batteries LFP se distinguent par leur coût plus faible, un facteur crucial dans le contexte actuel où le prix élevé des véhicules électriques constitue le principal frein à leur adoption massive.
Ce n’est pas tout : elles offrent également une meilleure sécurité, une durée de vie plus longue et acceptent mieux les charges complètes, ce qui les rend plus pratiques pour une utilisation quotidienne. Cependant, comparées aux batteries NMC, les batteries LFP présentent une densité énergétique inférieure, ce qui se traduit par une autonomie plus limitée à volume égal.
Les constructeurs automobiles européens l’ont bien compris et ont récemment annoncé des changements de stratégie significatifs. ACC (Automotive Cells Company), issue d’une joint venture entre Stellantis, Mercedes-Benz and TotalEnergies, a récemment suspendu la construction de ses gigafactories en Allemagne et en Italie, suite à un changement de sa stratégie d’approvisionnement pour y inclure des batteries LFP.
Tesla a également décidé d’équiper ses modèles Model 3 et la Model Y avec la batterie LFP dès 2021. Volkswagen, enfin, prévoit d’adopter la technologie LFP pour rendre ses voitures électriques plus abordables d’ici deux ans.
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Ces annonces ont suscité une certaine inquiétude pour la pérennité des investissements dans les batteries NMC, mais peuvent être vues comme une diversification de la part des constructeurs européens, pour répondre à une variété de besoins et de contraintes tout en limitant les risques économiques.
Cela leur permettra aussi de mieux s’adapter à la segmentation du marché :
les batteries LFP pourraient dominer le marché des véhicules électriques d’entrée et de milieu de gamme (véhicules destinés aux petits trajets urbains ou pour des applications nécessitant une autonomie relativement faible),
tandis que les NMC pourront se segmenter sur le segment haut de gamme (ou pour les applications nécessitant une plus grande autonomie, comme les véhicules longue distance).
Cette diversification, si elle peut rendre les voitures électriques plus abordables en réduisant le coût des batteries, ne va pas sans risque : elle oblige les constructeurs européens à se tourner vers les acteurs asiatiques.
Ampere, la filiale électrique de Renault, intègre déjà la technologie LFP dans sa stratégie de batteries en collaboration avec LG Energy Solutions (Corée du Sud) et CATL (Chine). Même chose pour Stellantis qui a signé un accord stratégique avec le chinois CATL en novembre 2023.
Déjà, environ la moitié des capacités de production de batteries situées sur le sol européen sont rattachées à des entreprises chinoises et sud-coréennes, une tendance qui pourrait s’aggraver avec les batteries LFP. En effet, 95 % des batteries LFP sont fabriqués en Chine avec des constructeurs comme BYD et CATL qui maîtrisent parfaitement les procédés de fabrication.
Ces partenariats ne sont pas un problème en soi. Ils peuvent même représenter une opportunité pour bénéficier de l’expertise technologique de ces acteurs, qui produisent des batteries de haute qualité et compétitives au plan économique.
Le vrai problème de dépendance européenne aux matières premières concerne en réalité le NMC.
En effet, les batteries LFP sont constituées de carbonate de lithium, tandis que les batteries NMC sont faites à partir d’hydroxyde de lithium, dont les chaînes d’approvisionnement sont distinctes. L’Europe importe 78 % du carbonate de lithium du Chili (plutôt que de Chine), et a même signé un accord en ce sens avec le Chili. Dans le même temps, les nouveaux projets d’extraction minière en France et en Europe devraient également permettre de renforcer les approvisionnements européens en lithium.
Le problème de dépendance concerne l’hydroxyde de lithium utilisé pour les batteries NMC. En effet, pour transformer le carbonate de lithium en hydroxyde de lithium, il faut le raffiner. Or, ce sont des acteurs chinois qui raffinent 62 % de la production mondiale de lithium. S’il existe un potentiel pour des projets de raffinage de lithium en Europe, les investissements dans ce maillon de la chaîne de valeur tardent à se matérialiser.
La fabrication des batteries NMC nécessite également du nickel et du cobalt, qui sont des matériaux identifiés comme critiques par la Commission européenne en partie de par le risque géopolitique de leur approvisionnement. Le cobalt est principalement extrait au Congo et raffiné par la Chine à 67 %.
Autrement dit, pour les constructeurs européens, miser davantage sur les batteries LFP permettrait aussi de limiter les risques de dépendances en matière d’approvisionnement en métaux critiques.
À lire aussi : Batteries lithium-ion : l’Europe peut-elle s’extraire de la dépendance chinoise ?
Mais cette diversification du portefeuille des constructeurs européens a des répercussions sur l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur des batteries en Europe, de leur fabrication à leur recyclage.
Les producteurs de matériaux pour batteries NMC comme Axens pourraient faire face à des difficultés de reconversion si le marché devait basculer de façon significative vers le LFP. Umicore, un acteur majeur dans la production de matériaux actifs de cathode, avait délibérément choisi de ne pas intégrer le LFP dans son portefeuille pour se concentrer sur les technologies NMC qu’elle maîtrise. Cela pourrait compromettre leur capacité à s’adapter rapidement à cette nouvelle demande.
Des questions industrielles se posent également au niveau du recyclage. Le recyclage des batteries usagées est essentiel pour réduire la dépendance à l’importation de matières premières et peut également renforcer la résilience européenne en cas de perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par des tensions géopolitiques.
Or, les matériaux utilisés dans la cathode déterminent l’attrait économique de leur recyclage. Étant donné que les batteries LFP ne contiennent ni cobalt ni nickel, les métaux les plus valorisables, elles remettent en question l’intérêt économique des efforts de recyclage.
Le recyclage des batteries LFP est ainsi beaucoup moins intéressant au plan économique que celui des batteries NMC, d’autant plus que les LFP contiennent environ 20 % de lithium en moins que les NMC.
C’est là tout le paradoxe : le développement des capacités de recyclage de batteries en Europe dépend de la stabilisation future des choix technologiques opérés par les fabricants de voitures électriques. Et ce choix technologique, loin d’être anodin, pose des questions de souveraineté industrielle.
Étant donné les capacités de recyclage européennes actuelles, les batteries NMC peuvent être plus facilement recyclées que les LFP. En effet, les techniques de recyclage dominantes en Europe, basées sur la pyrométallurgie, sont efficaces pour récupérer le nickel et le cobalt, mais moins adaptées pour le lithium.
Cela aurait pu changer au regard des projets qui avaient été annoncés par Orano et Eramet qui proposaient de développer l’hydrométallurgie efficace pour récupérer le lithium. Néanmoins, Eramet a récemment annoncé l’annulation de son projet de recyclage face au recul de la demande pour les véhicules électriques en Europe.
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Résumons :
le NMC permet une autonomie accrue des véhicules, tout en étant plus coûteux, et entraîne une dépendance accrue à des pays tiers en termes de métaux critiques. Mais son recyclage est rentable, et la filière industrielle déjà là.
Le LFP, de son côté, permet une autonomie moindre, mais une meilleure longévité des batteries et moins de défaillances techniques, et permet de limiter la dépendance en métaux critiques. Ce sont toutefois les acteurs chinois qui en maîtrisent pour l’heure la chaîne de valeur, et son recyclage est moins rentable pour les acteurs européens, la filière européenne ne maîtrisant pour l’heure pas les procédés requis.
Dans ces conditions, les constructeurs européens ont-ils raison d’ouvrir prudemment la porte au LFP pour les voitures électriques ? La réponse à cette question tient du dilemme industriel, avec des arbitrages politiques et économiques forts à réaliser tout au long de la chaîne de valeur de la batterie, de la mine jusqu’au recyclage. Une chose est sûre, c’est le bon moment de se poser la question, alors que l’Europe se préoccupe de plus en plus de son approvisionnement en matières premières critiques, dans un contexte de relance minière.
Lucas Miailhes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.