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04.06.2025 à 16:31

Conclave sur les retraites : fumée blanche ou fumée rouge ?

Dominique Andolfatto, Professeur de science politique, Université Bourgogne Europe

Le « conclave » des partenaires sociaux sur les retraites s’achèvera le 17 juin. La CFDT escompte toujours un « bougé » sur l’âge de départ à la retraite. La CGT appelle à manifester le 5 juin pour l’abrogation de la réforme.
Texte intégral (1825 mots)

Plus de trois mois après son ouverture, le « conclave » sur les retraites touche à sa fin (prévue le 17 juin). La très contestée réforme de 2023, reculant l’âge du départ à la retraite de 62 à 64 ans, pourrait-elle être remise en cause ? La CGT, qui est sortie des négociations, appelle à une nouvelle manifestation pour son abrogation ce jeudi 5 juin. Au même moment, les députés communistes et ultramarins soumettront au vote une résolution pour l’abrogation du report de l’âge de la retraite à 64 ans.


Lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier 2025, François Bayrou rouvrait l’épineux dossier sur la réforme des retraites, mal refermé en 2023, après des manifestations réunissant plus d’un million de personnes, le recours contesté à l’article 49 alinéa 3 et le rejet d’un référendum sur le sujet par le Conseil constitutionnel. Le premier ministre faisait alors une proposition spectaculaire : ouvrir ce qu’il dénommait un « conclave » sur la question, en d’autres termes, une négociation nationale interprofessionnelle sur les retraites avec les partenaires sociaux.

Il s’agissait de réfléchir à de nouvelles perspectives pour le système de retraite et sa soutenabilité, d’apaiser les colères et, plus tactiquement, d’installer le gouvernement dans la durée, en s’assurant d’une neutralité des gauches comme de l’extrême droite, favorables à une révision de la réforme de 2023. C’était aussi un geste inattendu pour renouer le dialogue avec les partenaires sociaux – organisations patronales et syndicales – et les remettre dans le jeu, alors que ces acteurs historiques du système de protection sociale s’étaient sentis mis à l’écart de la réforme de 2023.

À quelques jours de l’échéance finale, quel est l’état des lieux de ces négociations ?

Un cadrage étroit

Dès la mi-février, François Bayrou adressait aux partenaires sociaux un courrier de cadrage très serré. Si les parties prenantes du conclave avaient toute liberté pour « discuter de l’ensemble des paramètres » du système des retraites, « sans totem ni tabou », le premier ministre fixait pour priorité le « retour à l’équilibre financier à un horizon proche ». Or ce dernier avait dramatisé la situation lors de sa déclaration de politique générale, évoquant un déficit de plus de 40 milliards d’euros, s’appuyant sur des données contestées qui ne seront pas validées par la Cour des comptes. Selon l’institution, le déficit serait de plus de 6 milliards d’euros dès 2025. Si aucune mesure n’était prise, il doublerait d’ici 2035 puis quadruplerait d’ici 2045.

Le « conclave » s’ouvrait fin février. Il consistait en une réunion hebdomadaire des partenaires sociaux et devrait rendre ses conclusions (éventuelles) au bout de trois mois. S’il s’agissait d’un « accord d’un nombre suffisant d’organisations », François Bayrou promettait de le traduire en un projet de loi qui serait soumis au Parlement.

Cependant, dès la première réunion, Force ouvrière (FO), troisième syndicat français en termes de représentativité, préférait quitter le « conclave ». Le syndicat déplorait que la lettre de cadrage se concentre sur le déficit, oubliant l’âge du départ à la retraite. Sans compter un véritable tir de barrage de plusieurs ministres sur le sujet. Bref, l’opinion semblait oubliée. Plus intéressant (et peu commenté), FO assénait implicitement une leçon de syndicalisme au gouvernement : elle refusait – en tant qu’organisation syndicale – d’être intégrée dans un processus de décision politique et « instrumentalisée ». En d’autres termes, le syndicat doit s’en tenir au rôle de porte-parole des salariés et à défendre leurs revendications sans participer au processus décisionnel, conformément au principe d’« indépendance politique » qui fonde l’identité de FO.

Une table de négociation qui se réduit

Restaient six organisations dans le jeu : trois patronales, quatre syndicales. L’une des premières devait également quitter la table à la mi-mars : l’U2P, l’organisation des entreprises artisanales et des professions libérales. Elle considérait qu’il était inutile de laisser croire qu’un retour aux 62 ans serait possible et de se perdre en conjecture. Cela ne pourrait qu’alourdir le « poids de notre protection sociale » alors que, selon l’U2P, des « mesures drastiques » s’imposent, notamment repousser l’âge légal de départ à la retraite » tout en permettant un départ anticipé de « personnes exposées à une forme d’usure professionnelle », dont l’espérance de vie est réduite.

Enfin, la CGT, second syndicat français en termes de représentativité, hésitante depuis la sortie de FO du « conclave », annonçait aussi le quitter après de nouvelles déclarations de François Bayrou, le 16 mars : il estimait un retour aux 62 ans impossible, compte tenu notamment du contexte international. Pour la secrétaire générale de la CGT, c’était là « enterrer » le conclave. Elle annonçait donc, dans un vocabulaire caractéristique, qu’« après consultation de la base », la CGT quittait ce dernier et appelait « les salariés à se mobiliser » et à construire un nouveau « rapport de force ».

L’État-providence à repenser ?

Restaient en lice cinq organisations sur huit, avec deux absences de la CFTC, la plus petite des confédérations syndicales représentatives, en désaccord avec certains thèmes abordés. Il est vrai que les échanges vont alors se poursuivre sur des thématiques élargies. Une nouvelle « feuille de route » était en effet établie à la mi-avril. Elle proposait de discuter de l’ensemble de l’État-providence et de possibles redistributions de ressources entre les différentes branches qui le composent (assurance-maladie, famille, retraite…). Si la CFTC, attachée à la branche « famille », désapprouvait cette approche plus globale, la CFDT, première organisation syndicale représentative, favorable – au contraire de FO – à une co-construction de l’action publique, se félicitait que puisse s’ouvrir un « second round de discussions ».


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Au fil des réunions hebdomadaires, les diverses modalités de financement des retraites ont été examinées : augmentation des cotisations patronales, part de capitalisation dans le financement (épargne retraite, fonds de pension), TVA sociale (transfert d’une partie de cotisations des entreprises pour financer la retraite sur la TVA, et donc augmentation de celle-ci d’un ou deux points). Aucun accord n’a véritablement émergé sur ces différents aspects, les syndicats étant particulièrement opposés à une TVA sociale (qui pèserait notamment sur les plus modestes) et les organisations d’employeurs rejetant toute cotisation nouvelle.

Dans la dernière période, le Medef, a semblé faire de la TVA sociale la solution pour sortir du déficit des retraites, cette dernière favorisant une baisse des cotisations sociales des entreprises et, en conséquence, leur compétitivité mais aussi les salaires nets. Emmanuel Macron, interrogé sur ce déficit, reprenait aussi l’argument lors de l’émission télévisée « Les enjeux de la France », le 13 mai.

Un bougé sur l’âge ?

La « gouvernance » et le « pilotage » du système des retraites ont donné lieu à d’autres échanges. Les syndicats et les patronats n’ont pratiquement plus qu’un rôle symbolique au sein de celle-ci, contrairement à ce qui avait été imaginé par les fondateurs de la Sécurité sociale en 1945. Une élite administrative spécialisée a pris la relève. La reconquête d’un rôle politique au sein de la gouvernance du système semble séduisante pour les syndicats mais les organisations patronales restent dubitatives, compte tenu de la complexité de celui-ci.

Les différentes parties prenantes encore autour de la table ont finalement décidé de prolonger leurs échanges jusqu’au 17 juin. Un accord est-il envisageable entre les cinq ? C’est la conviction de la CFDT qui escompte toujours un « bougé sur l’âge ». Il ne sera sans doute pas général mais, au cas par cas, en fonction de la pénibilité du travail ou d’impératifs d’égalité de genre. Pour la CFTC, il est probable que, d’une façon ou d’une autre, il faudra prévoir aussi des augmentations de cotisations afin d’assurer la pérennité du système.

In fine, pas d’abrogation de la réforme de 2023 en vue mais des ajustements et, à court terme probablement, des pensions moins bien revalorisées ou des cotisations alourdies. L’arithmétique est implacable. Tout cela sera-t-il mentionné dans l’accord escompté, faute duquel on parlerait d’un nouvel échec syndical ? Ce n’est pas certain. À son degré de technicité ou de cosmétique, on pourra juger si ce dialogue social inédit a relancé effectivement la démocratie sociale ou n’a constitué qu’une mascarade politique.

The Conversation

Dominique Andolfatto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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04.06.2025 à 16:05

From sovereignty to sustainability: a brief history of ocean governance

Kevin Parthenay, Professeur des Universités en science politique, membre de l'Institut Universitaire de France (IUF), Université de Tours

Rafael Mesquita, Professeur Associé à l’Université Fédérale du Pernambuco, Brésil

The United Nations Ocean Conference (UNOC 3) will open in Nice, France on June 9, 2025. Will it help to consolidate a new international law of the oceans?
Texte intégral (2024 mots)

The United Nations Ocean Conference (UNOC 3) will open in Nice, France, on June 9, 2025. It is the third conference of its kind, following events in New York in 2017 and Lisbon in 2022. Co-hosted by France and Costa Rica, the conference will bring together 150 countries and nearly 30,000 individuals to discuss the sustainable management of our planet’s oceans.

This event is presented as a pivotal moment, but it is actually part of a significant shift in marine governance that has been going on for decades. While ocean governance was once designed to protect the marine interests of states, nowadays it must also address the numerous climate and environmental challenges facing the oceans.

Media coverage of this “political moment” however should not overshadow the urgent need to reform the international law applicable to the oceans. Failing that, this summit will risk being nothing more than another platform for vacuous rhetoric.

To understand what is at stake, it is helpful to begin with a brief historical overview of marine governance.

The meaning of ocean governance

Ocean governance changed radically over the past few decades. The focus shifted from the interests of states and the corresponding body of international law, solidified in the 1980s, to a multilateral approach initiated at the end of the Cold War, involving a wide range of actors (international organizations, NGOs, businesses, etc.).

This governance has gradually moved from a system of obligations pertaining to different marine areas and regimes of sovereignty associated to them (territorial seas, exclusive economic zones (EEZs), and the high seas) to a system that takes into consideration the “health of the oceans.” The aim of this new system is to manage the oceans in line with the sustainable development goals.

Understanding how this shift occurred can help us grasp what is at stake in Nice. The 1990s were marked by declarations, summits and other global initiatives. However, as evidenced below, the success of these numerous initiatives has so far been limited. This explains why we are now seeing a return to an approach more firmly rooted in international law, as evidenced by the negotiations on the international treaty on plastic pollution, for example.

The “Constitution of the Seas”

The law of the sea emerged from the Hague Conference in 1930. However, the structure of marine governance gradually came to be defined in the 1980s, with the adoption of the United Nations Convention on the Law of the Sea (UNCLOS) in 1982.

UNOC 3 is a direct offshoot of this convention: discussions on sustainable ocean management stem from the limitations of this founding text, often referred to as the “Constitution of the Seas”.

UNCLOS was adopted in December 1982 at the Montego Bay Convention in Jamaica and came into force in November 1994, following a lengthy process of international negotiations that resulted in 60 states ratifying the text. At the outset, the discussions focused on the interests of developing countries, especially those located along the coast, in the midst of a crisis in multilateralism. The United States managed to exert its influence in this arena without ever officially adopting the Convention. Since then, the convention has been a pillar of marine governance.

It established new institutions, including the International Seabed Authority, entrusted with the responsibility of regulating the exploitation of mineral resources on the seabed in areas that fall outside the scope of national jurisdiction. UNCLOS is the source of nearly all international case law on the subject.

Although the convention did define maritime areas and regulate their exploitation, new challenges quickly emerged: on the one hand, the Convention was essentially rendered meaningless by the eleven-year delay between its adoption and implementation. On the other hand, the text also became obsolete due to new developments in the use of the seas, particularly technological advances in fishing and seabed exploitation.

The early 1990s marked a turning point in the traditional maritime legal order. The management of the seas and oceans came to be viewed within an environmental perspective, a process that was driven by major international conferences and declarations such as the Rio Declaration (1992), the Millennium Declaration (2005), and the Rio+20 Summit (2012). These resulted in the 2030 Agenda and the Sustainable Development Goals (SDGs), the UN’s 17 goals aimed at protecting the planet (with SDG 14, “Life Below Water”, directly addressing issues related to the oceans) and the world’s population by 2030.


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The United Nations Conference on Environment and Development (UNCED, or Earth Summit), held in Rio de Janeiro, Brazil, in 1992, ushered in the era of “sustainable development” and, thanks to scientific discoveries made in the previous decade, helped link environmental and maritime issues.

From 2008 to 2015, environmental issues became more important as evidenced by the regular adoption of environmental and climate resolutions.

A shift in UN language

Biodiversity and the sustainable use of the oceans (SDG 14) are the two core themes that became recurring topics in the international agenda since 2015, with ocean-related issues now including items like acidification, plastic pollution and the decline of marine biodiversity.

The United Nations General Assembly resolution on oceans and the law of the seas (LOS is a particularly useful tool to acknowledge this evolution: drafted annually since 1984, the resolution has covered all aspects of the United Nations maritime regime while reflecting new issues and concerns.

Some environmental terms were initially absent from the text but have become more prevalent since the 2000s.

This evolution is also reflected in the choice of words.

While LOS resolutions from 1984 to 1995 focused mainly on the implementation of the treaty and the economic exploitation of marine resources, more recent resolutions have used terms related to sustainability, ecosystems, and maritime issues.

Toward a new law of the oceans?

As awareness of the issues surrounding the oceans and their link to climate change has grown, the oceans gradually became a global “final frontier” in terms of knowledge.

The types of stakeholders involved in ocean issues have also changed. The expansion of the ocean agenda has been driven by a more “environmentalist” orientation, with scientific communities and environmental NGOs standing at the forefront of this battle. This approach, which represents a shift away from a monopoly held by international law and legal practitioners, clearly is a positive development.

However, marine governance has so far relied mainly on non-binding declaratory measures (such as the SDGs) and remains ineffective. A cycle of legal consolidation toward a “new law of the oceans” therefore appears to be underway and the challenge is now to supplement international maritime law with a new set of measures. These include:

Of these agreements, the BBNJ is arguably the most ambitious: since 2004, negotiators have been working toward filling the gaps of the United Nations Convention on the Law of the Sea (UNCLOS) by creating an instrument on marine biodiversity in areas beyond national jurisdiction.

The agreement addresses two major concerns for states: sovereignty and the equitable distribution of resources.

Adopted in 2023, this historic agreement has yet to enter into force. For this to happen, sixty ratifications are required and to date, only 29 states have ratified the treaty (including France in February 2025, editor’s note).

The BBNJ process is therefore at a crossroads and the priority today is not to make new commitments or waste time on complicated high-level declarations, but to address concrete and urgent issues of ocean management, such as the frantic quest for critical minerals launched in the context of the Sino-American rivalry, and exemplified by Donald Trump’s signing of a presidential decree in April 2025 allowing seabed mining – a decision that violates the International Seabed Authority’s well established rules on the exploitation of these deep-sea resources.

At a time when U.S. unilateralism is leading to a policy of fait accompli, the UNOC 3 should, more than anything and within the framework of multilateralism, consolidate the existing obligations regarding the protection and sustainability of the oceans.

The Conversation

Kevin Parthenay is a member of the Institut Universitaire de France (IUF).

Rafael Mesquita ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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04.06.2025 à 13:59

Les origines françaises de la Grande Roumanie

Jean-Robert Raviot, Professeur de civilisation russe et soviétique, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Co-directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques jusqu'en 2024., Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Après la Première Guerre mondiale, des Français, au premier rang desquels le géographe Emmanuel de Martonne, ont joué un rôle clé dans la création de la Grande Roumanie (1918-1940).
Texte intégral (3688 mots)
Emmanuel de Martonne, ici à cheval sur son terrain de thèse en Roumanie vers 1898-1900, allait devenir l’un des meilleurs experts de la Roumanie, et l’un des artisans de l’édification d’une Grande Roumanie au lendemain de la Première Guerre mondiale. Source : plaque de verre du fonds de Martonne, UMR PRODIG, Paris. Issu de : Gaëlle Hallair, « Les carnets de terrain du géographe français Emmanuel de Martonne (1873-1955) : méthode géographique, circulation des savoirs et processus de visualisation »

À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’effondrement de l’Empire austro-hongrois et de l’Empire russe a favorisé l’émergence d’une Grande Roumanie, avec le soutien actif de la France.


Le second tour de l’élection présidentielle roumaine du 18 mai 2025, qui s’est soldé par la victoire du candidat libéral pro-européen, le maire de Bucarest Nicusor Dan, s’est déroulé dans un climat de grande tension. Le candidat d’extrême droite George Simion, vaincu au second tour après avoir récolté 40 % des voix au premier (deux fois plus que Nicusor Dan), a notamment dénoncé des « ingérences françaises » en faveur de son adversaire. Rappelons que ce second scrutin intervenait quelques mois après que la Cour constitutionnelle a annulé, le 6 décembre 2024, le premier tour de la présidentielle organisé le 1ᵉʳ décembre et dont le résultat aurait été, selon les juges, faussé par une opération d’influence russe.

Des accusations du PDG de Telegram Pavel Durov, qui prétend que Nicolas Lerner, le patron de la DGSE, lui aurait « demandé de bannir des voix conservatrices en Roumanie avant les élections », jusqu’au soutien marqué d’Emmanuel Macron au maire de Bucarest, il flotte sur le feuilleton politique roumain comme un parfum d’« entre-deux-guerres ».

À cette époque, le tableau idéalisé de la bonne entente de la France avec sa petite sœur latine avait reçu quelques coups de canif. Pourtant, en 1918, la France avait contribué de manière décisive à la création de la Grande Roumanie. Les accusations d’ingérence visant Paris lors de la récente présidentielle roumaine s’inscrivent en fait dans une certaine profondeur historique… et géographique.

Tropisme roumain de la politique française

Peu avant le Printemps des peuples de 1848, alors que les territoires destinés à constituer la Roumanie contemporaine sont partagés entre l’Empire russe et l’Empire ottoman, les patriotes roumains avaient été les auditeurs éblouis du cours professé par Jules Michelet au Collège de France sur la Révolution française.

Autour de l’historien visionnaire, ils formèrent le « Cercle du Collège de France » et inspirèrent à Michelet ses Légendes démocratiques du Nord (1853). Peu après la guerre de Crimée (1853-1866), Napoléon III suscita la naissance de la Roumanie en favorisant l’union des principautés de Moldavie et de Valachie en 1859.

Le soutien de la France à la nation roumaine devait encore se préciser durant la Première Guerre mondiale. C’est alors que la France apporta un appui décisif à la construction de la « Grande Roumanie ». Ainsi, la question de l’influence française sur l’élection présidentielle roumaine de 2025 n’est pas inédite au regard de la longue durée, car en 1918 la Grande Roumanie fut constituée avec le soutien des réseaux militaires français, en particulier avec l’appui du maréchal Foch et du général Berthelot, chef de la mission militaire française en Roumanie, pour faire barrage à la « menace rouge ».

Le nom d’Emmanuel de Martonne est sans doute familier à toutes les générations d’écoliers, de collégiens, de lycéens et d’étudiants qui ont connu, au XXe siècle, les magnifiques cartes murales de la France, de l’Europe et du monde suspendues dans les classes des écoles primaires jusque dans les amphithéâtres universitaires. Mais si son nom s’est imprimé dans le cerveau de générations de jeunes Français, ces derniers ignorent en général que ce grand universitaire participa de manière déterminante au tracé des frontières de la Grande Roumanie.

Emmanuel de Martonne : prince de la « République des universitaires »

Gendre du grand géographe Paul Vidal de la Blache, Emmanuel de Martonne (1873-1955) fut un éminent représentant de la « République des universitaires » alors à son apogée. Comme quelques autres universitaires qui furent mobilisés en tant qu’experts pendant la Première Guerre mondiale et lors de la Conférence de la paix de 1919, son parcours et son engagement s’inscrivent dans une certaine tradition proroumaine de l’intelligentsia française.

Couverture du livre de Gavin Bowd, Un géographe français et la Roumanie : Emmanuel de Martonne (1873-1955), L’Harmattan, 2012. L’Harmattan

Alors que ce normalien agrégé se destinait initialement à l’étude de la géomorphologie, de Martonne fit de l’une des provinces roumaines, la Valachie, le sujet d’une thèse de géographie régionale d’inspiration vidalienne. En effet, dans son célèbre Tableau de la géographie de la France (1903), Vidal de la Blache faisait des régions ou des différents « pays » une échelle d’observation du territoire national. De là naquirent chez de Martonne un « terrain » et un véritable engagement pour ce pays exploré à pied au cours de nombreuses excursions géographiques. De Martonne n’a pourtant rien du tempérament de Michelet : excessivement sérieux, froid, voire rude, il se distingue par sa « prudence doctrinale » et sa méfiance à l’égard des « conceptions systématiques ».

Durant la Première Guerre mondiale, Emmanuel de Martonne, âgé d’une quarantaine d’années, est déjà parvenu au zénith de sa carrière. Il ne part pas au front, mais ses étudiants adressent à leur « cher Maître », du fond des tranchées, des descriptions émouvantes de strates géologiques rappelant les souvenirs heureux de leurs études et de leurs excursions d’avant-guerre. En 1916, la Roumanie – dont l’indépendance avait été reconnue par le traité de Berlin qui mit un terme à la guerre russo-turque de 1877-1878 – entre tardivement en guerre, dans le camp de l’Entente. Emmanuel de Martonne voit alors sa passion roumaine transformée en sujet géopolitique d’une actualité brûlante.

Parmi d’autres universitaires, il est mobilisé comme expert au sein du Comité d’études, un cercle de pensée fondé en février 1917 sous l’impulsion d’Aristide Briand, chargé de mettre en forme les buts de guerre français en Europe et au Moyen-Orient au cas où la victoire entraînerait le démantèlement de l’Empire austro-hongrois et de l’Empire ottoman.

Après l’entrée en guerre des États-Unis, la victoire se précise et, à partir de l’automne 1918, le président Wilson se montre plus favorable au projet de démantèlement de l’Empire austro-hongrois. Ce changement, qui donnera naissance aux nouveaux États d’Europe centrale et orientale, constitue également un tournant favorable à la cause du nationalisme roumain.

Les experts américains de l’Inquiry, l’équivalent américain du Comité d’études, envisagent désormais d’octroyer à la Roumanie les régions d’Autriche-Hongrie à peuplement majoritairement roumain, donnant progressivement corps et réalité au projet de la Grande Roumanie. En effet, en 1918, la Roumanie se retrouve, après quelques déboires, dans le camp des vainqueurs. L’effondrement de l’Empire austro-hongrois et de l’Empire russe puis le recul de la Russie bolchévique, entériné par le traité de Brest-Litovsk, donnent l’opportunité d’adjoindre à la Roumanie la Bessarabie, c’est-à-dire la Moldavie actuelle.

La Grande Roumanie existera jusqu’en 1940. Jacques Leclerc, CC BY-SA

Emmanuel de Martonne, traceur de frontières

Partisan de la dislocation de l’Empire austro-hongrois, Emmanuel de Martonne, devenu en 1918 le secrétaire du Comité d’études, se distingue par son engagement intransigeant en faveur de la cause roumaine.

Pendant la Conférence de la paix, il est convoqué comme expert au sein de la sous-commission Tardieu, qui regroupe les savants américains et français chargés des questions balkaniques. Ses nombreux rapports consacrés au tracé des frontières dans les diverses régions appelées à être intégrées au sein du nouvel État roumain forment un argumentaire géographique solide en faveur de la Grande Roumanie.

Textes, statistiques, enquêtes et cartes à l’appui, il contribue à créer, selon des critères géographiques jugés « modernes », obéissant en premier lieu à la géographie humaine, « un État national réunissant la presque totalité des populations roumaines », « une des réalisations les plus heureuses de l’idée nationale sorties de la Grande Guerre » selon lui.

Carte de la formation du territoire roumain, in Michel Foucher, Fragments d’Europe, Atlas de l’Europe médiane et orientale, Paris, Fayard, rééd. 1998, p. 165. Carte reprise dans : Gaëlle Hallair, Le Géographe Emmanuel de Martonne et l’Europe centrale, UMR PRODIG, UMR Géographie-cités, pp.148, 2007, Grafigéo, Mémoires et documents de l’UMR PRODIG, ISSN 1281-6477, Jean-Marie Théodat. ffhal-00282068f. hal.science/hal-00282068/document

À l’ouest de la Roumanie, taillant dans le vif d’une véritable mosaïque ethnique afin de permettre l’accès au Danube et aux voies de communication ferroviaires, le géographe dessine le nouveau tracé de la frontière avec la Hongrie et la nouvelle Yougoslavie dans la région extraordinairement complexe du Banat (région de Timisoara), en tentant d’évaluer les statistiques ethniques de la population.

Au nord-ouest, de Martonne, fervent avocat de la cause roumaine, souhaite que la Transylvanie et la Crisana, régions à majorité hongroises, soient intégrées à la Roumanie. Promettant que la Roumanie respectera le droit des minorités si elle fait l’acquisition de ces régions à majorité magyare, il s’appuie sur la théorie du dacianisme, apparue au XIXe siècle et désignant les Daces comme les ancêtres des Roumains et, par conséquent, les limites de la province romaine de Dacie comme le support des revendications territoriales roumaines à l’époque contemporaine. Ce thème historiographique majeur du nationalisme roumain avait pour enjeu territorial la Transylvanie.

Véritable casse-tête, la question de la frontière transylvaine avec la Hongrie suscite un grand nombre de rapports et d’expertises, et plusieurs propositions de tracés. Le premier annexe à la Roumanie 877 000 Hongrois et le second seulement 594 000, mais il invoque constamment le manque de fiabilité de la statistique hongroise « qui exagère le nombre des Hongrois, à la campagne de 5 à 20 %, dans les villes de 15 à 40 % ».

Au sud, la Dobroudja, objet de contentieux entre les Roumains et les Bulgares vaincus de la Première Guerre mondiale, est, selon le géographe, une région qui donne l’image d’un « bariolage ethnique », mais « où la prépondérance de l’élément roumain est évidente ».

Enfin, à l’est, la Bessarabie comprise entre les fleuves Prut et Dniestr correspond à peu près à la Moldavie actuelle : celle-ci n’est apparue que très tardivement au chapitre des revendications nationales roumaines. Dans l’espace laissé vacant par le recul russe, une éphémère république moldave indépendante fut proclamée à Kichinev (Chisinau, en roumain), en janvier 1918, mais elle fut incorporée trois mois plus tard au royaume de Roumanie (9 avril 1918). Il fallait donc adjoindre la Bessarabie à la Roumanie afin de renforcer cette dernière dans son rôle de bastion contre la Russie bolchévique. L’expertise d’Emmanuel de Martonne est sans ambiguïté :

« L’annexion intégrale de la Bessarabie est conforme à la justice ethnique, à l’histoire et à la géographie. Elle est en outre imposée par l’intérêt des populations. »

Inauguration d’un buste d’Emmanuel de Martonne à Bucarest par Nicusor Dan (de dos), alors maire de la capitale roumaine, le 2 juin 2024. Chaîne YouTube de Nicusor Dan

Doctor honoris causa de l’Université de Cluj en 1929, nommé citoyen d’honneur de la capitale transylvaine, Emmanuel de Martonne a été célébré comme le père de la Grande Roumanie jusqu’à l’époque de Ceausescu comprise, qui organisa des festivités du centenaire de sa naissance en 1973. La faculté des Études européennes de Cluj se trouve aujourd’hui encore dans une rue qui porte son nom.

Il est curieux de constater, au regard de l’actualité récente, que le thème du retour à la Grande Roumanie soit réapparu dans le programme du candidat nationaliste perdant de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) George Simion, qui promettait des maisons à bon marché, des prêts à taux zéro et… l’union avec la Moldavie. Érigée avec l’appui sans faille d’Emmanuel de Martonne comme un véritable bastion contre le bolchévisme, la Grande Roumanie fut en effet de nouveau séparée de la Bessarabie après le pacte germano-soviétique, ouvrant la voie à la création en 1944 d’une République soviétique socialiste moldave intégrée à l’URSS, qui allait devenir indépendante en 1991.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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04.06.2025 à 13:58

Petite histoire de la boîte de nuit, des sous-sols du Royaume-Uni aux plages d’Ibiza

Katie Milestone, Senior Lecturer, Music and Culture, Manchester Metropolitan University

Simon Morrison, Senior Lecturer and Programme Leader for Music Journalism, University of Chester

D’endroits exigus, très chauds, faiblement éclairés, bondés, remplis de fumée et de sueur, aux gigantesques clubs en plein air : une histoire de la boîte de nuit.
Texte intégral (1693 mots)
Cream session à l’Amnesia, l’un des clubs légendaires d’Ibiza, ouvert en 1976.

Des sous-sols de la banlieue de Manchester aux plages enflammées d’Ibiza, la boîte de nuit n’a jamais cessé de se réinventer. Avant d’être le lieu de fête par excellence, le club était surtout un refuge pour adolescents, car isolé du monde des adultes. Depuis, la culture du club s’est largement développée et les boîtes de nuit sont devenues de véritables espaces de liberté : une évolution autant sociale qu’artistique.


Quand le rock est arrivé au Royaume-Uni au milieu des années 1950, il y avait très peu d’endroits destinés aux jeunes pour danser sur ce tout nouveau genre musical. Mais, au début des années 1960, des lieux spécialement adaptés pour cela ont commencé à voir le jour dans les villes. Contrairement aux salles de bal, parfois grandioses et opulentes, qui avaient été les lieux de prédilection de la génération précédente, les nouvelles discothèques des années 1960, destinées aux adolescents, étaient le plus souvent situées dans des espaces totalement différents, en matière d’architecture et d’ambiance.

Plusieurs de ces nouvelles discothèques pour jeunes se trouvaient dans les sous-sols de bâtiments plutôt délabrés. Dépourvues des licences requises pour ouvrir un débit de boissons, elles s’adressaient à des jeunes n’ayant pas atteint l’âge légal pour consommer de l’alcool.

La nouveauté de ces espaces se reflétait dans l’incertitude quant à la manière de les décrire : ils étaient parfois qualifiés de « coffee dance clubs », parfois de « continental style ». Pour l'essentiel, ils diffusaient de la musique enregistrée, souvent très énergique, ce qui avait un effet direct sur les danseurs, et qui allait permettre aux adolescents britanniques, dont beaucoup s’identifiaient aux mods (la sous-culture des jeunes stylés qui a fleuri entre le début et le milieu des années 1960), de découvrir des artistes afro-américains de R&B.

Dans notre nouveau livre, Transatlantic Drift : The Ebb and Flow of Dance Music, nous évoquons ces clubs pionniers et les musiciens, interprètes et DJ novateurs, qui ont incité les gens à se réunir et à danser.

Dans les sous-sols

Le fait qu’ils soient installés dans des sous-sols renforce l’attrait exercé par les clubs. Les participants se sentaient appartenir à un mouvement clandestin et étaient littéralement cachés du monde des adultes. Pendant quelques années, entre 1963 et 1966, l’hédonisme souterrain a existé sous la surface – et la scène des clubs mods a prospéré. L’architecture de ces espaces offrait aux jeunes danseurs des environnements uniques qui leur permettaient de vivre des expériences particulièrement viscérales.

Il s’agissait d’espaces où régnait souvent une chaleur étouffante, peu éclairés, bondés, remplis de fumée et de sueur, où la musique ricochait sur les surfaces et se répercutait directement sur les corps des danseurs. L’emplacement souterrain est parfois souligné dans le choix des noms de ces clubs : Cavern, Dug Out, Dungeon, Catacombs, Heaven and Hell.

Le Sinking Ship Club de Stockport (sud de Manchester, Angleterre) était situé dans une grotte creusée dans des rochers de grès rouge. La condensation qui retombait sur les danseurs était imprégnée des dépôts minéraux rouges, leur laissant un souvenir sensoriel particulièrement vibrant d’une session de danse ayant duré toute la nuit.

À la fin de l’ère des clubs modernes, en 1966, les stars américaines du R&B Etta James et Sugar Pie DeSanto ont enregistré le titre « In the Basement (Part 1) ». Bien que la chanson fasse référence à une fête dans une maison plutôt qu’à une boîte de nuit, elle reflète l’esprit du milieu des années 1960, l’ère de la danse moderne, et les endroits où elle s’est épanouie. DeSanto, en particulier, était extrêmement populaire auprès des mods.

Outre la tendance à nommer les clubs en référence à leur emplacement souterrain, une autre tendance consistait à les nommer en référence à des lieux situés en dehors du Royaume-Uni, afin de donner un sentiment d’évasion et de glamour.

Il s’agissait souvent de mots d’origine latine comme La Discothèque, La Bodega, ou encore El Partido. Cette référence à l’Europe correspondait à la passion des mods pour le style européen continental. On peut également y voir un signe avant-coureur de ce qui allait se passer au fur et à mesure que ces lieux se transformaient.

Et la lumière fut

La fin du XXe siècle a enfin mis en lumière la culture des clubs. Une glorieuse rencontre entre divers effets spéciaux (musicaux, météorologiques et pharmaceutiques) s’est combinée pour former, pourrait-on dire, la dernière grande « sous-culture spectaculaire ». Dans les années 1980, des rythmes électroniques bruts partis de villes américaines comme Chicago et Detroit ont traversé l’Atlantique, d’abord au compte-gouttes, puis par vagues, et ont investi les clubs européens.

À Ibiza, par exemple, Alfredo Fiorito (qui avait fui les restrictions imposées par la junte dans son Argentine natale) jouait de la house de Chicago et de la techno de Detroit, en plus de son habituelle pop européenne et de l’electronica. Sa toile était la piste de danse de la boîte de nuit Amnesia, où il faisait le DJ tout au long de la nuit et jusqu’au matin. Ce n’est pas tant que son DJ mix ait fait exploser le toit de l’endroit, mais plutôt que l’Amnesia n’avait pas de toit à l’origine.

« Space Ibiza Late 90’s. DJ Alfredo », Space Ibiza (2015).

Au soleil, la vitamine D s’est mélangée a réagi au flux moins naturel de la drogue E dans le corps. La MDMA (ou ecstasy), abrégée en E, présentait une autre combinaison intrigante – cette fois, celle de l’ingéniérie allemande et de l’appropriation américaine. Pour les consommateurs, elle est devenue le parfait filtre pharmaceutique permettant d’apprécier la musique house.

Les Britanniques en vacances à Ibiza en 1987 ont eu une sorte de révélation et ont ramené la culture de la drogue au Royaume-Uni. De retour au pays, les fêtes se sont multipliées, avec notamment des raves illégales dans les fermes et les champs autour de l’autoroute M25 (la plus fréquentée du Royaume-Uni, la « M25 London orbital road » est l’autoroute circulaire de la métropole du Grand Londres, ndlr).

Des événements comme Sunrise, Energy et Biology évitèrent complètement les boîtes de nuit, préférant s’installer en plein air. Les ravers ont découvert que faire la fête au soleil les ramenait à quelque chose de primitif et de païen. Ils ont fait la fête dans et avec la nature, dans un Arden shakespearien reconstitué, alimenté par le soleil d’en haut et l’énergie du sol d’en bas.

C’est ainsi que l’histoire de la culture des clubs a émergé des caves et des sous-sols d’un monde souterrain et nocturne et a trouvé son chemin vers la lumière.

Les répercussions de cette dérive transatlantique, de ce flux musical de rythmes et d’idées, se sont ensuite propagées comme des vagues sonores à travers la planète. Nous pouvons en voir les traces dans des festivals tels que le carnaval de Notting Hill. Nous pouvons également suivre cette aventure qui a quitté les week-ends, puis le Royaume-Uni, pour suivre une piste néo-hippie qui a traversé l’Europe, et en particulier l’Europe de l’Est, jusqu’à la scène trance de Goa et aux fêtes de la pleine lune en Thaïlande.

À Ibiza, les nouvelles lois et réglementations sur les nuisances sonores ont littéralement permis de remettre le toit en place ; mais, ailleurs, l’esprit des raves et de la boule à facette, de la disco al fresco, semble inarrêtable.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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04.06.2025 à 13:57

Personnes âgées : une solidarité familiale trop souvent passée sous silence

Christophe Capuano, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université Grenoble Alpes (UGA)

Si les solidarités familiales autour des personnes âgées sont réelles, de nombreux clichés sur l’égoïsme de l’entourage circulent depuis deux siècles. Pourquoi ?
Texte intégral (2184 mots)

Contrairement à un cliché tenace, à l’approche de l’été, les familles ne s’empressent pas de déposer leurs proches âgés en maison de retraite pour partir en vacances. Pourtant, l’idée d’un entourage égoïste persiste, entretenu par les médias et les politiques au fil de crises, comme celle de la canicule de 2003. Les recherches sur les solidarités familiales dessinent une tout autre histoire. Comment expliquer son invisibilisation ?


Les réticences face à l’adoption d’une loi sur l’accompagnement de la fin de vie réactivent un certain nombre de représentations négatives sur les familles et leur supposé égoïsme. Certaines d’entre elles seraient susceptibles d’encourager, par intérêt, leur parent âgé à recourir à cette aide à mourir – soit pour recevoir un héritage, soit pour ne plus payer l’Ehpad. Quant aux personnes vulnérables concernées, elles seraient davantage susceptibles de la solliciter lorsque le sentiment d’abandon par leurs proches et d’isolement relationnel serait le plus aigu.

Lors de la crise sanitaire du Covid-19 ou de la canicule de l’été 2003, l’opprobre avait déjà été jeté sur les familles soupçonnées de délaisser leurs proches, tant en institution qu’à domicile.

Sans nier la réalité d’un sentiment d’isolement chez certains, il semble nécessaire d’éclairer la réalité de ces solidarités familiales intergénérationnelles. Et surtout de comprendre comment des représentations négatives, construites au cours des deux derniers siècles, se sont renforcées depuis les années 2000.

Des solidarités familiales invisibilisées

Les familles sont depuis longtemps soupçonnées de se défausser de leur responsabilité sur la solidarité publique. Cette vision naît avec le développement d’un système d’assistance en France, parallèlement au développement d’une pensée anti-individualiste et moralisante au XIXᵉ siècle.

La solidarité vis-à-vis des personnes âgées relève d’une logique de subsidiarité, fondée notamment sur l’article 205 du Code civil (1804) et l’obligation alimentaire des descendants vis-à-vis des ascendants. L’assistance publique intervient – pour des vieillards de bonnes mœurs et sans ressource – uniquement si les familles sont défaillantes ou trop pauvres pour aider leur parenté. Cela concerne le placement en hospices comme le versement de prestations à domicile, généralisé avec la loi d’assistance du 14 juillet 1905. Selon celle-ci, les sommes versées par les familles pour soutenir leur proche âgé sont défalquées des sommes (pourtant minimes) attribuées par la solidarité publique.

Or, les besoins sont immenses dans une société où il n’existe pas de dispositif de retraite et où les corps sont usés par le travail. De nombreux vieillards sont contraints de demander à entrer en institution pour échapper à la misère et rejoignent ainsi une longue liste d’attente. Dans ce contexte, les familles optent alors massivement pour une aide clandestine : il s’agit de dissimuler aux pouvoirs publics les quelques ressources qu’elles pourraient verser à leurs vieux parents restés à leur domicile.

Cette situation est révélée au grand jour lors de la Première Guerre mondiale lorsque des fils, envoyés sur le front, ne peuvent plus assurer ce transfert secret d’argent. Privées de ce complément financier, de nombreuses personnes âgées sombrent alors dans la misère la plus extrême. L’invisibilisation de ces solidarités au début du siècle a construit le mythe selon lequel les familles abandonneraient leurs proches à leur propre sort ou qu’elles frauderaient pour éviter de faire jouer l’obligation alimentaire ou la récupération sur succession après décès.

Cohabiter ou vivre en voisins

Durant l’entre-deux-guerres, le nombre d’entrées en institution continue sa hausse, parallèlement à une suspicion croissante vis-à-vis des familles. Celles-ci font pourtant ce qu’elles peuvent mais la dégradation de la conjoncture et le spectre du chômage rendent plus difficiles d’aider un proche âgé.

Durant l’Occupation et les années 1950, la cohabitation intergénérationnelle augmente pourtant, avec son lot de tensions intrafamiliales, mais elle est contrainte, et due aux circonstances exceptionnelles de la période. Il y a d’abord la nécessité de sortir son parent de l’hospice pour éviter qu’il ne meure de faim puis, après-guerre, une crise aiguë du logement que subissent toutes les générations françaises.

Le fort recul de cette cohabitation à partir des années 1960 et l’augmentation de la part des personnes âgées vivant seules sont lus comme un déclin des solidarités au sein des familles – y compris par les sociologues qui se focalisent sur l’éclatement des liens familiaux contemporains, en parallèle à la hausse des divorces. De leur côté les médecins dénoncent ce qu’ils désignent comme « le syndrome de la canne à pêche » : le dépôt à l’hôpital de leur proche âgé par les familles pour les vacances.

Ces condamnations moralisatrices et culpabilisantes masquent pourtant une autre réalité : le manque criant de soutien des pouvoirs publics aux familles aidantes et l’absence de dispositifs de répit pour permettre à ces dernières de souffler quelques semaines. Par ailleurs, les mutations sociales renforcent l’invisibilité des solidarités. La cohabitation intergénérationnelle recule avec la sortie de la crise du logement, les personnes âgées, en meilleure santé aspirent à vivre de manière autonome.

Mais vivre seul ne signifie pas vivre de manière isolée. La géographe Françoise Cribier et la sociologue Claudette Collot prouvent au début des années 1970 l’importance de l’habitat de proximité entre les générations. La régularité de visites des enfants adultes permet alors de nouvelles relations d’intimité à distance. À leur suite, plusieurs travaux comme ceux d’Agnès Pitrou montrent l’importance de cette redécouverte des solidarités familiales et de l’habitat choisi.

Se multiplient ainsi les études qui définissent la parenté comme réseau d’entraide. Les sciences sociales utilisent alors, durant les années 1980, l’expression d’« aidants familiaux » : la capacité protectrice de la famille est mise en regard des limites de la protection publique.

Ces travaux insistent sur le rôle attendu et assumé par les familles dans la promotion de la santé des personnes âgées fragiles. Ils utilisent différentes notions empruntées pour partie au monde anglo-saxon : support, secours, soins, assistance.

Les recherches en gérontologie et en sociologie de la santé traitent de la solidarité familiale en termes de soutien ou de support social ; elles mettent aussi au jour l’existence de « générations pivots » ou « générations sandwichs », des générations d’aidants au croisement de l’aide aux aînés et du support aux enfants ou jeunes adultes.


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Des clichés persistants sur les liens intergénérationnels

Si les travaux scientifiques sur l’aide familiale font pièce aux représentations d’un désengagement familial, cette vision biaisée continue d’être alimentée par des politiques et dans les médias. Dans le Paravent des égoïsmes, publié en 1989, l’ancienne ministre de la santé et de la famille, Michèle Barzach, reprend le schéma d’un supposé déclin des solidarités, dénonçant un « égoïsme collectif, qui nous mène à un lent dépérissement de la population, et un égoïsme individuel qui, au nom de la solidarité nationale, nous dispense de regarder autour de nous ». Elle condamne également la fin de la cohabitation avec les aînés qui n’aurait pas été remplacée par « d’autres formes de solidarité ». Voilà qui « aurait favorisé l’exclusion des personnes âgées, l’amélioration de leur situation matérielle ne suffisant pas à compenser leur isolement ».

En 1989, pour se prémunir de familles financièrement intéressées, la loi sur l’accueil familial fixe les conditions de rémunérations des familles nourricières, mais en exclut les familles naturelles qui hébergeraient un parent âgé. Durant les années 1990, lors des débats sur la création d’une allocation dépendance, certains sénateurs disent suspecter les familles de vouloir se « décharger de leurs obligations sur l’aide sociale ».

Ces conceptions idéologiques sont réactivées lors de la canicule de 2003 dont l’essentiel des victimes (14 802 morts) a plus de 75 ans. Les dirigeants et les médias accusent à tort les familles d’avoir délaissé leurs proches durant l’été comme le démontre bien l’historien Richard Keller. Ils diffusent cette affirmation alors même que 64 % des personnes sont mortes en institution, notamment en Ehpad.

Durant les années 2000-2020, dans un contexte où l’injonction est au maintien au domicile, les familles qui placent malgré tout leur parent âgé en institution restent soupçonnées de l’abandonner. Et comme le coût de l’hébergement en Ehpad, une fois soustraite l’ASH est à leur charge, elles sont également suspectées d’espérer un séjour le plus court possible. De là à voir certains membres familiaux souhaiter un décès rapide il n’y a qu’un pas, surtout qu’il pourrait être franchi en complicité avec une partie du corps médical qui y verrait une forme de thérapie létale – risques que brandissent les pourfendeurs de la loi sur l’aide à mourir.

C’est oublier pourtant que ces familles – en particulier les femmes aidantes – constituent les principales pourvoyeuses de « care » dans nos sociétés contemporaines, que le proche âgé soit maintenu au domicile ou en établissement. Et qu’une loi sur la fin de vie d’une telle portée sociétale ne peut être acceptée sans que les familles françaises y soient associées et y souscrivent, d’une façon ou d’une autre. C’est à cette condition que cette nouvelle disposition fonctionnera pleinement, comme nous le montrent les exemples belges ou néerlandais.


Cet article s’inscrit dans le projet KAPPA « Conditions d’accès aux aides et politiques publiques de l’autonomie. Origines, implications et perspectives d’évolution de la segmentation par âge », bénéficiant du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Christophe Capuano a reçu des financements de la MIre/Drees et de la CNSA.

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03.06.2025 à 16:35

Bac, brevet, CAP : petite histoire des examens en cinq questions

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

En quelques grandes questions, retour sur l’histoire des examens alors que les lycéens et étudiants passent les dernières épreuves de l’année.
Texte intégral (2355 mots)

À quoi les premières sessions du baccalauréat ressemblaient-elles ? Quand le brevet des collèges a-t-il été créé ? À partir de quand l’université s’est-elle féminisée ? En quelques grandes questions, retour sur l’histoire des examens alors que les lycéens et étudiants passent les dernières épreuves de l’année.


Le recours systématique à l’organisation d’examens et à la collation de « grades » attestés dans des diplômes pour valider les connaissances acquises par l’enseignement est une pratique apparue avec les premières universités médiévales au tournant des XIIe et XIIIe siècles.

L’élément central du dispositif a été la licence qui, de simple acte juridique (l’octroi d’une « autorisation », d’un « droit d’enseigner ») s’est assez vite transformée en « examen » et en « grade » pour se retrouver elle-même encadrée rapidement par deux autres grades, eux-mêmes conférés après examen : le baccalauréat d’abord et la maîtrise ensuite.

Ce dispositif « à trois étages » de validation des connaissances s’est imposé partout. La quasi stabilité du vocabulaire qui permet de le décrire – baccalauréat (certes parfois appelé « determinatio »), licence, maîtrise (ou master) – est la meilleure preuve de sa prégnance qui a survécu jusqu’à nos jours.

Alors que les lycéens passent les dernières épreuves du bac et que les étudiants guettent leurs résultats de fin d’année, retour en cinq questions sur l’histoire des premiers examens du parcours scolaire.

À quoi le baccalauréat servait-il lorsqu’il a été institué en 1808 ?

Il a gardé de l’ancien baccalauréat sa face universitaire et il a été le point de départ des baccalauréats dits « généraux » que nous connaissons. Mais avec une grande différence, au début, puisqu’il s’agissait d’un examen entièrement oral dont le jury était uniquement composé d’universitaires.

Le statut du 16 février 1810 précise que les examinateurs du baccalauréat doivent être au nombre de trois universitaires. Cet examen oral porte sur « tout ce que l’on enseigne dans les hautes classes des lycées » (les deux dernières). Peu à peu, des épreuves écrites sont ajoutées. Surtout, peu à peu également, le jury qui fait effectivement passer l’examen du baccalauréat comporte de moins en moins d’universitaires et de plus en plus de professeurs du secondaire.

Pour Napoléon Ier qui a été le créateur de ce baccalauréat, il s’agissait avant tout d’instruire dans les lycées nouvellement créés les futurs officiers et hauts administrateurs de son Empire. De fait, selon l’expression du philosophe Edmond Goblot, le baccalauréat a été tout au long du XIXe siècle « un brevet de bourgeoisie ».

Quand les filles ont-elles eu pour la première fois accès au lycée et à l’université ?

Même quand la loi Camille Sée de décembre 1880 institue avec le soutien de Jules Ferry des établissements d’enseignement secondaire féminin publics, les filles peuvent très difficilement passer le baccalauréat et suivre un cursus à l’université. En effet, à la différence des lycées de garçons institués en 1802, le plan d’études des lycées de jeunes filles ne comporte pas les disciplines qui sont alors le fleuron de l’enseignement secondaire et du baccalauréat : le latin, le grec et la philosophie.

Portrait de Julie-Victoire Daubié, par Pierre Petit (1861)
Portrait de Julie-Victoire Daubié, par Pierre Petit (1861). Wikimedia

Mais le baccalauréat n’est pas juridiquement interdit aux jeunes filles ; et certaines d’entre elles le passeront en candidates libres : une trentaine en 1890, une centaine en 1909. La première bachelière qui a obtenu le diplôme du baccalauréat est Julie Daubié, en 1861. Elle sera aussi la première licenciée es lettres française en 1871.

Il a fallu presque un demi-siècle pour qu’un décret en date du 25 mars 1924 aménage officiellement une préparation au baccalauréat présentée comme une section facultative alignée totalement sur le secondaire masculin, tout en perpétuant un enseignement secondaire féminin spécifique institué en 1880 (avec son diplôme spécifique de « fin d’études secondaires », au titre significatif…).


À lire aussi : Histoire : la longue marche des filles vers l’université


Les jeunes filles commencent alors leur « longue marche » conquérante. Dès 1936, les jeunes filles représentent le quart des élèves reçus à l’examen du baccalauréat. En 1965, leur taux d’accès arrive au même niveau que celui des garçons : 13 % de la classe d’âge. Et le pourcentage de jeunes filles inscrites à l’université monte vite : un quart des étudiants en 1930, un tiers en 1950, pour atteindre la moitié en 1981.

Pourquoi a-t-on créé le brevet ?

D’abord, de quel brevet parle-t-on ? Au XIXe siècle, le « brevet » est d’abord et avant tout un « brevet de capacité » qui certifie que l’on est « en capacité » de devenir maître (ou maîtresse) d’école, et plus généralement un examen qui est parfois requis pour être « en capacité » d’exercer certains métiers appartenant à ce que l’on appellerait maintenant la sphère des cadres intermédiaires.


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En 1947, dès le début de la forte augmentation du taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire qui commence sous la IVe République, le « brevet » est transformé en « brevet d’études du premier cycle du second degré » (BEPC), son appellation nouvelle signant ce qu’il est devenu avant tout, à savoir un examen qui scande un cursus secondaire désormais clairement constitué de deux cycles. Mais ce n’est nullement une condition pour passer en classe de seconde et cela ne l’a jamais été jusqu’ici, même si cela est envisagé.

À partir de 1981, le diplôme – désormais intitulé « brevet des collèges » – est attribué sans examen, au vu des seuls résultats scolaires. Mais, en 1986, un « examen écrit » est réintroduit avec le triple objectif annoncé de « revaloriser le diplôme », de « motiver » davantage les élèves, et de les « préparer » à aborder des examens ultérieurement. Lors de sa première mouture, le taux de reçus n’a pas dépassé 49 %.

CAP, BEP, bac pro : quand les diplômes de la voie professionnelle ont-ils été créés ?

Le certificat d’aptitude professionnelle (CAP), destiné à sanctionner un apprentissage, est institué en 1911. Cet examen est réservé aux « jeunes gens et jeunes filles de moins de dix-huit ans qui justifient de trois années de pratiques dans le commerce et l’industrie » (décret du 24 octobre 1911). Mais comme le CAP n’a pas été rendu obligatoire ni même associé à une grille de rémunération, le CAP demeurera un diplôme rare dans un premier temps.

Le brevet d’enseignement professionnel (BEP) a été créé en 1966. Il a été institué dans le but de remplacer progressivement le CAP en ayant un caractère plus théorique et moins pratique. Préparé en deux ans après la classe de troisième, il relevait d’une conception plus scolaire de la qualification ouvrière face aux exigences techniques de l’industrie et du commerce modernes.


À lire aussi : Lycée : surmonter les clichés sur la voie professionnelle


Le baccalauréat professionnel, institué en 1985, parachève cette évolution. Selon Jean-Pierre Chevènement, le ministre de l’éducation nationale, il s’agit en premier lieu de répondre aux besoins de la modernisation du pays en formant des « ouvriers » de plus en plus qualifiés, « souvent au niveau du baccalauréat, quelquefois à un niveau supérieur encore »(28 mai 1985).

Quand le bac s’est-il vraiment démocratisé ?

Le taux de titulaires d’un baccalauréat dans une classe d’âge donnée a été longtemps très restreint ce qui induit qu’il était réservé de fait, sauf exception, aux enfants de milieux socioculturellement favorisés. Il a été de moins de 3 % tout au long de la IIIe République. Et c’est seulement dans les dernières années de cette période que les établissements secondaires publics sont devenus gratuits, alors que c’était déjà le cas pour les établissements primaires publics depuis le début des années 1880.

Il y a eu alors un petit desserrage dans la sélection sociale, concomitant avec la montée du taux de titulaires du baccalauréat dans une classe d’âge. Mais la grande période de l’envolée du taux de bacheliers généraux se situe dans la période gaullienne : on passe de 10 % à 20 % de 1959 à 1969. Il reste à peu près à cet étiage durant presque vingt ans.

Bac de philo : le reportage incontournable des JT (INA ACTU, 2021).

Mais un autre baccalauréat est créé en 1970 : le « baccalauréat technologique ». Il va apporter un taux supplémentaire de titulaires d’un baccalauréat dans une classe d’âge : autour de 16 % – un taux qui reste quasiment constant depuis 1989. Les élèves des lycées technologiques sont d’origines socioculturelles plutôt modestes, et leurs destinations scolaires ou sociales aussi.

En 1985, une troisième couche apparaît : le « baccalauréat professionnel ». Le 8 octobre 1985, le ministre Jean-Pierre Chevènement précise qu’il s’agit « d’offrir, à l’issue de la classe de troisième, trois voies d’égale dignité » :

  • la voie générale, dans laquelle « peuvent s’engager ceux qui ont les capacités de poursuivre des études aux niveaux les plus élevés de l’Université » ;

  • la voie technologique, « qui conduira la majorité des jeunes qui s’y engagent vers un niveau de technicien supérieur » ;

  • la « voie professionnelle, qui assure, après l’obtention d’une qualification de niveau V, une possibilité de poursuivre la formation jusqu’au niveau du baccalauréat et même vers un niveau plus élevé ».

Il y a donc l’affirmation par le titre de baccalauréat d’une égalité de dignité, mais non d’un égalité de parcours – même si l’obtention du baccalauréat permet juridiquement l’entrée à l’Université. Entre 1987 et 2008, le taux de bacheliers professionnel dans une classe d’âge atteint 12 %, puis passe de 12 % en 2008 à 24 % en 2012 (en raison d’un changement de curriculum). Il se stabilise ensuite autour de 21 %.

Par ailleurs, dans le cadre de l’horizon annoncé par Jean-Pierre Chevènement de « 80 % d’une classe d’âge au niveau bac en l’an 2000 », on a une nouvelle accélération du taux de titulaires d’un baccalauréat général dans une classe d’âge qui passe de 22 % en 1987 à 37 % en 1995. Ces dernières années, il atteint 43 %.

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Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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