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29.06.2025 à 08:30

François Mitterrand, à l’origine du déclin de l’influence postcoloniale de la France en Afrique ?

Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de Lausanne

Pascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de Lausanne

Malgré un programme de gauche influencé par le tiers-mondisme, l’ancien président François Mitterrand n’a pas rompu avec le néocolonialisme en Afrique, bien au contraire.
Texte intégral (2132 mots)

Trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État militaires adossés à discours de rupture et de rejet de la France : le Mali (2021), le Burkina Faso (2022) et le Niger (2023). C’est la fin des relations néocoloniales franco-africaines conçues au moment des indépendances des années 1960 et maintenues, voire renforcées, pendant les années 1980 et 1990, particulièrement par François Mitterrand. Comment comprendre les choix de l’ancien président de la République, malgré un programme de gauche favorable au renouveau démocratique et à l’émancipation des pays africains ?


À l’occasion de la publication de l’ouvrage François Mitterrand, le dernier empereur. De la colonisation à la françafrique (aux éditions Philippe Rey, 2025), la gestion des liens et des relations entre l’Afrique et la France par l’ancien président de la République interroge : et si les deux mandats de François Mitterrand avaient été une occasion manquée de rompre avec ce que l’on nomme aujourd’hui la Françafrique ? Ne peut-on pas, en outre, imaginer cette gestion « de gauche » de la relation avec le continent comme une continuité de ce que furent les « égarements » d’une partie de la gauche française aux heures les plus sombres des guerres de décolonisations ?

La situation actuelle appelle en effet une analyse de longue durée. Rappelons les faits récents : depuis 2020, trois pays majeurs du « pré-carré » français en Afrique subsaharienne ont connu des coups d’État : le Mali en 2021, le Burkina Faso en 2022), puis le Niger en 2023. L’histoire politique et sociale de ces coups d’État est complexe et bien différente d’une nation à l’autre, mais un fait doit retenir notre attention. Le plus significatif quant aux relations franco-africaines, c’est que ces coups d’État se sont adossés à un discours clair de rupture et de rejet de la France, considérée comme une puissance néocoloniale empêchant une « véritable » indépendance, au-delà des indépendances « formelles » de 1960.

Que ce discours puisse être relativisé – la France a perdu beaucoup de ses instruments et de son pouvoir d’influence depuis les indépendances – n’infirme pas le fait que celui-ci semble avoir eu une résonance certaine dans les populations de ces pays, en particulier la jeunesse, comme en témoigne les manifestations d’hostilité envers l’ancienne puissance tutélaire (même si l’évaluation de la prégnance de ce discours est difficile, en raison notamment de l’absence de moyen de mesure de l’opinion).

La récente décision du Sénégal, allié historique et l’un des plus « fidèles » à la France – avec la Côte d’Ivoire et le Gabon –, de demander le retrait des troupes françaises ajoute un signe clair. Nous sommes dans une conjoncture historique caractérisée, qui marque la fin des relations franco-africaines telles qu’elles avaient été conçues dès 1960 : un mélange de liens directs entre les chefs d’État français et les chefs d’État africains – marque du « domaine réservé » du président de la République s’autonomisant de tout contrôle parlementaire et, plus largement, démocratique –, d’interventions militaires au prétexte de protéger les ressortissants français afin de protéger les États « amis », d’affairisme trouble animé par des réseaux eux-mêmes opaques et, enfin, d’instrument d’influence tel que le contrôle de la monnaie (le franc CFA étant sous contrôle du Trésor français), des bases militaires garantes des positions géostratégiques de l’Hexagone ou encore les centres culturels, chargés de diffuser l’excellence de la culture française. Le tout institutionnalisé à travers des accords bilatéraux de coopération).

Or, au cours des deux mandats de François Mitterrand, l’Afrique subsaharienne francophone avait connu d’importantes poussées démocratiques dynamisées par l’appétence de la société civile, comme ce fut le cas entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, notamment au Mali, au Burkina Faso ou au Niger. François Mitterrand parvient au pouvoir en 1981 (il y restera jusqu’en 1995) comme patron de la gauche et porteur d’un programme commun qui consacre plusieurs de ses propositions aux relations de la France avec le « tiers-monde », comprenant une normalisation des rapports avec les anciennes colonies d’Afrique.

Le programme commun de la gauche est typique du courant tiers-mondiste des années 1970, souhaitant rompre avec le nécolonialisme, qui a déterminé des « aires d’influence » occidentales structurant, en articulation avec la guerre froide, les relations internationales. François Mitterrand a pourtant un lourd passé colonial : il a été ministre de la France d’outre-mer en 1950 et surtout ministre de l’intérieur et enfin ministre de la justice durant la guerre d’Algérie, au cours de laquelle il a adopté des positions ultrarépressives. Des marqueurs traumatiques au sein de la gauche française et qui sont restés invisibles et inaudibles depuis soixante-dix ans. Jamais il n’a été anticolonialiste, au contraire, toute son action politique durant la IVe République a visé à conserver l’empire. Or, pour devenir le personnage central de la gauche, ce passé est inassumable. François Mitterrand va donc réécrire sa biographie au cours des années 1960 et 1970 à travers ses ouvrages, pour se présenter comme un contempteur de la colonisation, qui aurait même anticipé les indépendances. Pure fiction, mais le récit prend et le légitime comme leader de la gauche.

En 1981, dans cette dynamique, il nomme Jean-Pierre Cot au ministère de la coopération et celui-ci croit naïvement que sa feuille de route est d’appliquer les changements inscrits dans le programme commun, avec, pour horizon, la suppression du ministère de la coopération et la réintégration de l’Afrique dans les prérogatives du ministère des affaires étrangères. Car, si formellement ces prérogatives existent puisque la direction des affaires africaines et malgaches (DAM) du ministère des affaires étrangères gouverne normalement la diplomatie, le domaine réservé présidentiel concernant l’Afrique s’incarne dans une « cellule africaine » dont les membres sont nommés par le fait du prince ; ce dont témoignera, d’ailleurs, avec éclat, la nomination de Jean-Christophe Mitterrand, le propre fils de François Mitterrand, au sein de cette cellule. Dans ce tableau, Jean-Pierre Cot dérange : en tenant ouvertement un discours de recentrage des dépenses du ministère et en refusant l’octroi de subsides pour des dépenses somptuaires de potentats locaux, tout en encourageant la démocratisation des régimes africains, il indispose plusieurs de ceux-ci, qui en font état à François Mitterrand.


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En 1982, François Mitterrand est à la croisée des chemins : doit-il poursuivre l’expérience de rupture initiée par Jean-Pierre Cot ou revenir aux pratiques bien implantées de la Françafrique ? Il choisit alors la seconde option. Bien évidemment, les contraintes de la realpolitik expliquent en partie ce revirement : en répondant aux sollicitations de quelques dignitaires africains, le président français maintient en place la Françafrique et donc, dans son esprit, l’influence géopolitique de la France). Car pour François Mitterrand, farouche défenseur de l’empire durant la période coloniale, l’influence française dans les anciennes colonies répond en définitive à une forme de continuité. Certes, la France a perdu la possession de ces territoires, mais, finalement, elle peut continuer à exercer son influence sur ceux-ci, influence qui est pour François Mitterrand, comme l’était l’empire au temps des colonies, la condition de la puissance de l’Hexagone. Ce faisant, il affermit les relations quasi incestueuses entre les chefs d’États africains et le président de la République française, relations émancipées de tout contrôle démocratique comme nous l’avons vu, en France comme en Afrique. Et François Mitterrand ne se contente pas de reprendre de lourd héritage du « pré-carré », il le renforce.

Entre 1981 et 1995, la France procédera à pas moins d’une trentaine d’interventions militaires en Afrique et, surtout, François Mitterrand n’encouragera jamais concrètement les poussées démocratiques, malgré les ambiguïtés de son discours de La Baule, en 1990, laissant entendre une « prime à la démocratisation », qui ne sera jamais mise en œuvre. De plus, les scandales autour de la cellule africaine se multiplieront, mettant directement en cause son fils Jean-Christophe et, à travers lui, la figure de François Mitterrand et l’image de la France dans les pays africains.

Une occasion historique de renouveler les relations franco-africaines a donc été perdue sous les deux mandats de François Mitterrand. Ses successeurs suivirent les pas du « sphinx », fossilisant le système de la Françafrique. Seul Emmanuel Macron osa poser crûment la question du maintien de ce système, mais le « en même temps » macroniste – entre initiatives mémorielles visant la mise au jour des responsabilités historiques de la France durant le génocide des Tutsis, dans la guerre du Cameroun ou dans les massacres de Madagascar (1947) avec un rapport à venir, et un soutien effectif à des régimes corrompus – a rendu cette politique illisible.

Le résultat de ce blocage, permanent après 1982, sont sous nos yeux : une stigmatisation de la France comme puissance néocoloniale, le revirement anti-français de plusieurs pays de l’ancien « pré-carré » et son remplacement par d’autres acteurs mondiaux, à l’image de la Chine ou de la Russie.

François Mitterrand avait pourtant un programme, une majorité politique et un soutien global de l’opinion. Les fantômes de la colonisation ont eu raison d’une rupture qui aurait probablement changé l’histoire. C’est bien son parcours durant la période coloniale qui explique sa politique, celle d’un homme qui avait grandi avec l’empire, qui l’avait promu et défendu jusqu’aux ultimes moments de sa chute… et avait regardé celui-ci s’effondrer avec regret.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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29.06.2025 à 08:30

Mais pourquoi certains requins « freezent » lorsqu’on les retourne ?

Jodie L. Rummer, Professor of Marine Biology, James Cook University

Joel Gayford, PhD Candidate, Department of Marine Biology, James Cook University

Plutôt qu’une stratégie de survie ingénieuse, l’immobilité tonique pourrait n’être qu’un simple « bagage évolutif ».
Texte intégral (1419 mots)
Lorsqu’on retourne certains requins, ils se figent totalement. Rachel Moore

Vous avez peut-être déjà vu cette scène dans votre documentaire animalier préféré. Le prédateur surgit brutalement de sa cachette, gueule grande ouverte, et sa proie… se fige soudain. Elle semble morte. Cette réponse de figement – appelée « immobilité tonique » – peut sauver la vie de certains animaux. Les opossums sont célèbres pour leur capacité à « faire le mort » afin d’échapper aux prédateurs. Il en va de même pour les lapins, les lézards, les serpents et même certains insectes.

Mais que se passe-t-il quand un requin agit ainsi ?

Dans notre dernière étude, nous avons exploré ce comportement étrange chez les requins, les raies et leurs proches parents. Chez ce groupe, l’immobilité tonique est déclenchée lorsque l’animal est retourné sur le dos : il cesse de bouger, ses muscles se relâchent et il entre dans un état proche de la transe. Certains scientifiques utilisent même cette réaction pour manipuler certains requins en toute sécurité.

Mais pourquoi cela se produit-il ? Et ce comportement aide-t-il réellement ces prédateurs marins à survivre ?

Le mystère du « requin figé »

Bien que ce phénomène soit largement documenté dans le règne animal, les causes de l’immobilité tonique restent obscures – surtout dans l’océan. On considère généralement qu’il s’agit d’un mécanisme de défense contre les prédateurs. Mais aucune preuve ne vient appuyer cette hypothèse chez les requins, et d’autres théories existent.

Nous avons testé 13 espèces de requins, de raies et une chimère – un parent du requin souvent appelé « requin fantôme » – pour voir si elles entraient en immobilité tonique lorsqu’on les retournait délicatement sous l’eau.

Sept espèces se sont figées. Nous avons ensuite analysé ces résultats à l’aide d’outils d’analyse évolutive pour retracer ce comportement sur plusieurs centaines de millions d’années d’histoire des requins.

Alors, pourquoi certains requins se figent-ils ?

Des requins et d’autres poissons nagent au-dessus d’un récif corallien
Chez les requins, l’immobilité tonique est déclenchée lorsqu’on les retourne sur le dos. Rachel Moore

Trois hypothèses principales

Trois grandes hypothèses sont avancées pour expliquer l’immobilité tonique chez les requins :

  1. Une stratégie anti-prédateur – « faire le mort » pour éviter d’être mangé.

  2. Un rôle reproductif – certains mâles retournent les femelles lors de l’accouplement, donc l’immobilité pourrait réduire leur résistance.

  3. Une réponse à une surcharge sensorielle – une sorte d’arrêt réflexe en cas de stimulation extrême.

Mais nos résultats ne confirment aucune de ces explications.

Il n’existe pas de preuve solide que les requins tirent un avantage du figement en cas d’attaque. En réalité, des prédateurs modernes, comme les orques, exploitent cette réaction en retournant les requins pour les immobiliser, avant d’arracher le foie riche en nutriments – une stratégie mortelle.


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L’hypothèse reproductive est aussi peu convaincante. L’immobilité tonique ne varie pas selon le sexe, et rester immobile pourrait même rendre les femelles plus vulnérables à des accouplements forcés ou nocifs.

Quant à la théorie de la surcharge sensorielle, elle reste non testée et non vérifiée. Nous proposons donc une explication plus simple : l’immobilité tonique chez les requins est probablement une relique de l’évolution.

Une affaire de bagage évolutif

Notre analyse suggère que l’immobilité tonique est un trait « plésiomorphe » – c’est-à-dire ancestral –, qui était probablement présent chez les requins, les raies et les chimères anciens. Mais au fil de l’évolution, de nombreuses espèces ont perdu ce comportement.

En fait, nous avons découvert que cette capacité avait été perdue au moins cinq fois indépendamment dans différents groupes. Ce qui soulève une question : pourquoi ?

Dans certains environnements, ce comportement pourrait être une très mauvaise idée. Les petits requins de récif et les raies vivant sur le fond marin se faufilent souvent dans des crevasses étroites des récifs coralliens complexes pour se nourrir ou se reposer. Se figer dans un tel contexte pourrait les coincer – ou pire. Perdre ce comportement aurait donc pu être un avantage dans ces lignées.

Que faut-il en conclure ?

Plutôt qu’une tactique de survie ingénieuse, l’immobilité tonique pourrait n’être qu’un « bagage évolutif » – un comportement qui a jadis servi, mais qui persiste aujourd’hui chez certaines espèces simplement parce qu’il ne cause pas assez de tort pour être éliminé par la sélection naturelle.

Un bon rappel que tous les traits observés dans la nature ne sont pas adaptatifs. Certains ne sont que les bizarreries de l’histoire évolutive.

Notre travail remet en question des idées reçues sur le comportement des requins, et éclaire les histoires évolutives cachées qui se déroulent encore dans les profondeurs de l’océan. La prochaine fois que vous entendrez parler d’un requin qui « fait le mort », souvenez-vous : ce n’est peut-être qu’un réflexe musculaire hérité d’un temps très ancien.

The Conversation

Jodie L. Rummer reçoit des financements de l’Australian Research Council. Elle est affiliée à l’Australian Coral Reef Society, dont elle est la présidente.

Joel Gayford reçoit des financements du Northcote Trust.

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27.06.2025 à 11:14

Poland, divided between Trump and the EU

Jacques Rupnik, Directeur de recherche émérite, Centre de recherches internationales (CERI), Sciences Po

With the new Polish president, nationalist Karol Nawrocki, European Trump supporters, led by Viktor Orbán, have gained an additional ally.
Texte intégral (2514 mots)
Karol Nawrocki in the Oval Office with Donald Trump on May 25th 2025, ten days before the first round of the Polish presidential election. It is very rare for a sitting US president to receive a candidate in a foreign election. White House X account

Nawrocki’s narrow victory (50.89%) over Trzaskowski, the mayor of Warsaw and candidate of the government coalition, illustrates and reinforces the political polarisation of Poland and the rise of the populist “Trumpist” right in Central and Eastern Europe. Since the start of the war in Ukraine, there has been much speculation about whether Europe’s geopolitical centre of gravity is shifting eastwards. The Polish election seems to confirm that the political centre of gravity is shifting to the right.

A narrow victory

We are witnessing a relative erosion of the duopoly of the two major parties, Civic Platform (PO) and Law and Justice (PiS), whose leaders – the current Prime Minister, Donald Tusk, and Jarosław Kaczyński respectively – have dominated the political landscape for over twenty years.

Kaczyński’s skill lay in propelling a candidate with no responsibilities in his party, who was little known to the general public a few months ago, and, above all, who is from a different generation, to the presidency (a position held since 2015 by a PiS man, Andrzej Duda). Nawrocki, a historian by training and director of the Polish Institute of National Remembrance, has helped shape PiS’s memory policy. He won the second round, despite his troubled past as a hooligan, by appealing to voters on the right.

In the first round, he won 29.5% of the vote, compared to Trzaskowski’s 31.36%, but the two far-right candidates, Sławomir Mentzen (an ultra-nationalist and economic libertarian) and Grzegorz Braun (a monarchist, avowed reactionary, and anti-Semite), won a total of 21% of the vote. They attracted a young electorate (60% of 18–29-year-olds), who overwhelmingly transferred their votes to Nawrocki in the second round.


A weekly email in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


Despite a high turnout of 71% and favourable votes from the Polish diaspora (63%), Trzaskowski was unable to secure enough votes from the first-round candidates linked to the governing coalition, including those on the left (who won 10% between them) and the centre-right (Szymon Hołownia’s Third Way movement, which won 5% in the first round).

A Tusk government struggling to implement its programme

There are two Polands facing each other: the big cities, where incomes and levels of education are higher, and the more rural small towns, which are more conservative on social issues and more closely linked to the Catholic Church. The themes of nationhood – Nawrocki’s campaign slogan was “Poland first, Poles first” – family, and traditional values continue to resonate strongly with an electorate that has been loyal to PiS for more than twenty years. The electoral map, which shows a clear north-west/south-east divide, is similar to those of previous presidential elections and even echoes the partition of Poland at the end of the eighteenth century. The PiS vote is strongest in the part of the country that was under Russian rule until 1918. A more traditional Catholicism in these less developed regions, coupled with a strong sense of national identity, partly explains these historical factors.

The economic explanation for the vote is unconvincing. Over the past 25 years, Poland has undergone tremendous transformation, driven by steady economic growth. GDP per capita has risen from 25% to 80% of the EU average, although this growth has been unevenly distributed. Nevertheless, a relatively generous welfare state has been preserved.

Clearly, however, this growth, driven by investment from Western Europe (primarily Germany) and European structural funds (3% of GDP), does not provide a sufficient electoral base for a liberal, centrist, pro-European government.

It is precisely the government’s performance that may hold the key to Trzaskowski’s failure. Having come to power at the end of 2023 with a reformist agenda, Donald Tusk’s government has only been able to implement part of its programme, and it is difficult to be the candidate of an unpopular government. Conversely, the governing coalition has been weakened by the failure of its candidate.

The main reason for the stalling of reforms is the presidential deadlock. Although the president has limited powers, he countersigns laws and overriding his veto requires a three fifth majority in parliament, which the governing coalition lacks.

The president also plays a role in foreign policy by representing the country, and above all by appointing judges, particularly to the Supreme Court. This has hindered the judicial reforms expected after eight years of PiS rule. It is mainly in this area that Duda has obstructed progress. The election of Nawrocki, who is known for his combative nature, suggests that the period of cohabitation will be turbulent.

What are the main international implications of Nawrocki’s election?

Donald Tusk is now more popular in Europe than in Poland; in this respect, we can speak of a “Gorbachev syndrome”. In Central Europe, the Visegrad Group (comprising Hungary, Poland, the Czech Republic, and Slovakia) is deeply divided by the war in Ukraine, but it could find common ground around a populist sovereignty led by Hungary’s Viktor Orbán. Orbán was the first to congratulate Nawrocki on his victory, followed by his Slovak neighbour Robert Fico. The Czech Republic could also see a leader from this movement come to power if Andrej Babiš wins the parliamentary elections this autumn. Nawrocki would fit right into this picture.

Since Donald Tusk returned to power, particularly during Poland’s EU presidency, which ends on 30 June, the focus has been on Poland’s “return” to the heart of the European process. Against the backdrop of the war in Ukraine and Poland’s pivotal role in coordinating a European response, the Weimar Group (comprising Paris, Berlin, and Warsaw) has emerged as a key player. Three converging factors have made this possible: the French president’s firm stance toward Russia; the new German chancellor, Friedrich Merz, breaking a few taboos on defence and budgetary discipline; and Donald Tusk, the former president of the European Council, regaining a place at the heart of the EU that his predecessors had abandoned. A framework for a strategic Europe was taking shape.

However, President Nawrocki, and the PiS more generally, are taking a different approach to the EU: they are positioning themselves as Eurosceptic opponents defending sovereignty. They are playing on anti-German sentiment by demanding reparations 80 years after the end of the Second World War and asserting Poland’s sovereignty in the face of a “Germany-dominated Europe”. The Weimar Triangle, recently strengthened by the bilateral treaty between France and Poland signed on 9 May 2025, could be weakened on the Polish–German flank.

As a historian and former director of the Second World War Museum in Gdansk and the Institute of National Remembrance, Nawrocki is well placed to exploit this historical resentment. He has formulated a nationalist memory policy centred on a discourse of victimhood, portraying Poland as perpetually under attack from its historic enemies, Russia and Germany.

While there is a broad consensus in Poland regarding the Russian threat, opinions differ regarding the government’s desire to separate the traumas of the past, particularly those of the last war, from the challenges of European integration today.

Memory issues also play a prominent role in relations with Ukraine. There is total consensus on the need to provide military support to Ukraine, under attack: this is obvious in Poland, given its history and geography – defending Ukraine is inseparable from Polish security. However, both Nawrocki and Trzaskowski have touched upon the idea that Ukraine should apologise for the crimes committed by Ukrainian nationalists during the last war, starting with the massacre of more than 100,000 Poles in Volyn (Volhynia), north-western Ukraine) by Stepan Bandera’s troops.

Alongside memory policy, Nawrocki and the PiS are calling for the abolition of the 800 zloty (190 euros) monthly allowance paid to Ukrainian refugees. Poland had more than one million Ukrainian workers prior to the war, and more than two million additional workers have arrived since it started, although around one million have since relocated to other countries, primarily Germany and the Czech Republic.

Prior to the second round of the presidential election, Nawrocki readily signed the eight demands of the far-right candidate Sławomir Mentzen, which included ruling out Ukraine’s future NATO membership. Playing on anti-Ukrainian (and anti-German) sentiment, alongside Euroscepticism and sovereignty, is one of the essential elements of the new president’s nationalist discourse.

A Central and Eastern European Trumpism?

Certain themes of the Polish election converge with a trend present throughout Central and Eastern Europe. We saw this at work in the Romanian presidential election, where the unsuccessful far-right nationalist candidate, George Simion, came to Warsaw to support Nawrocki, just as the winner, the pro-European centrist Nicușor Dan, lent his support to Trzaskowski. Nawrocki’s success reinforces an emerging “Trumpist” movement in Eastern Europe, with Viktor Orbán in Budapest seeing himself as its self-proclaimed leader. A year ago, Orbán coined the slogan “Over there (in the United States), it’s MAGA; here, it will be MEGA: Make Europe Great Again”. The “Patriots for Europe” group, launched by Orbán last year, is intended to unify this movement within the European Parliament.

American conservative networks, through the Conservative Political Action Conference (CPAC), a gathering of international hard-right figures, and the Trump administration are directly involved in this process. Shortly before the presidential election, Nawrocki travelled to Washington to arrange a photo opportunity with Trump in the Oval Office.

Most notably, two days before the election, Kristi Noem, the US Secretary of Homeland Security, was dispatched on a mission to Poland. Speaking at the CPAC conference in Rzeszów, she explicitly linked a vote for Nawrocki to US security guarantees for Poland:

“If you (elect) a leader that will work with President Donald J. Trump, the Polish people will have a strong ally that will ensure that you will be able to fight off enemies that do not share your values. […] You will have strong borders and protect your communities and keep them safe, and ensure that your citizens are respected every single day. […] You will continue to have a U.S. presence here, a military presence. And you will have equipment that is American-made, that is high quality.”

“Fort Trump”, that is how the outgoing President Andrzej Duda named the US military base financed by Poland after a bilateral agreement was signed with Donald Trump during his first term in office, in 2018. Similarly, the US House Committee on Foreign Affairs sent a letter to the President of the European Commission accusing her of applying “double standards”, pointing out that EU funds had been blocked when the PiS was in power, and claiming that European money had been used to influence the outcome of the Polish presidential election in favour of Trzaskowski. The letter was posted online on the State Department website. Prioritising the transatlantic link at the expense of strengthening Europe was one of the issues at stake in the Warsaw presidential election.

CPAC is playing a significant role in building a Trumpist national-populist network based on rejecting the “liberal hegemony” established in the post-1989 era, regaining sovereignty from the EU, and defending conservative values against a “decadent” Europe. Beyond the Polish presidential election, the goal seems clear: to divide Europeans and weaken them at a time when the transatlantic relationship is being redefined.

The Conversation

Jacques Rupnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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26.06.2025 à 17:33

L’Otan, une alliance désormais dénuée d’adversaire commun

Andrew Corbett, Senior Lecturer in Defence Studies, King's College London

À La Haye, le sommet de l’OTAN a exposé les divergences croissantes entre Washington et ses alliés européens, spécialement sur l’Ukraine.
Texte intégral (1465 mots)

Le sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à La Haye a mis en lumière la profondeur des divergences entre les États-Unis et leurs alliés européens. Le secrétaire général Mark Rutte tente de préserver l’unité d’une Alliance bousculée par le recentrage stratégique de Washington sur la Chine et par la compréhension dont Donald Trump fait preuve à l’égard de la Russie mais le communiqué final peine à dissimuler le degré de désaccord entre la plupart des membres de l’organisation et l’équipe en place à la Maison Blanche.


Mark Rutte avait une mission peu enviable cette semaine à La Haye. Le secrétaire général de l’OTAN devait concilier les visions divergentes des États-Unis et de l’Europe quant aux menaces sécuritaires du moment. À première vue, il a atteint son objectif, après voir employé la plus grande flagornerie à l’égard de Donald Trump afin d’obtenir de sa part des engagements cruciaux pour l’Alliance.

Mais ce sommet et les semaines qui l’ont précédé ont mis en évidence une réalité qu’il devient de plus en plus impossible à dissimuler : les États-Unis et l’Europe ne se perçoivent plus comme unis face à un ennemi commun. Créée en 1949 pour faire front à la menace soviétique, l’OTAN a été définie pendant toute la guerre froide par cet affrontement. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Moscou est redevenue l’adversaire principal. Mais ces dernières années, Washington se concentre bien plus sur une Chine de plus en plus belliqueuse.

Des signes symboliques reflètent ce basculement. Chaque déclaration finale de sommet de l’OTAN depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par la Russie en 2022 affirmait l’attachement à « la légalité internationale, aux buts et principes de la Charte des Nations unies » et à « l’ordre international fondé sur des règles ».

Ce langage a disparu dans la déclaration publiée à La Haye le 25 juin. Contrairement aux précédentes, elle ne compte que cinq paragraphes, brefs et focalisés exclusivement sur les capacités militaires de l’Alliance et les investissements nécessaires pour les entretenir. On n’y retrouve aucune mention du droit international ni de l’ordre mondial.

Ce texte semble être le fruit d’un sommet volontairement raccourci pour minimiser le risque d’un esclandre de Donald Trump. Mais il illustre aussi le fossé grandissant entre la trajectoire stratégique américaine et les priorités sécuritaires du Canada et des membres européens de l’Alliance.

Le point presse de Donald Trump lors du sommet de l’Otan.

La brièveté de cette déclaration et la restriction de son contenu à un spectre aussi étroit laissent penser que des désaccords profonds ont persisté jusqu’au bout.

Depuis le début de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les alliés de l’OTAN faisaient bloc derrière Kiev. Ce consensus semble aujourd’hui s’effriter.

Depuis janvier, l’administration Trump n’a autorisé aucune nouvelle aide militaire à l’Ukraine et a considérablement réduit son soutien matériel ainsi que ses critiques à l’encontre de Moscou. Trump a exprimé son souhait de clore rapidement le conflit, en acceptant de facto l’agression russe. Sa proposition envisage de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie ainsi que son contrôle de certaines régions occupées (Lougansk, parties de Zaporijia, Donetsk et Kherson). L’Ukraine, dans ce scénario, renoncerait à intégrer l’Otan, mais pourrait recevoir des garanties de sécurité et rejoindre l’UE.

À l’inverse, les Européens ont redoublé d’efforts pour financer et armer la défense ukrainienne, tout en renforçant les sanctions contre Moscou.

Autre signal de cette divergence croissante : le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a décidé de se retirer du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine, une coalition internationale informelle coordonnant l’aide militaire à Kiev.

Voilà longtemps que Trump martèle que les membres de l’Otan doivent respecter leur engagement pris en 2014 de consacrer 2 % de leur PIB à la défense – un effort dont Rutte a reconnu qu’il était nécessaire. En 2018, Trump avait même réclamé que ce seuil soit porté à 4 ou 5 %, une demande alors jugée irréaliste. Mais désormais, signe d’une inquiétude croissante face à la Russie et aux hésitations américaines, les membres de l’Alliance – à l’exception de l’Espagne – sont convenus de porter leurs dépenses à 5 % du PIB dans les dix prochaines années.

L’article 3 du traité fondateur impose aux États membres de maintenir et de développer leurs capacités de défense. Or, depuis 2022, il est apparu que nombre d’entre eux ne sont pas préparés à une guerre de haute intensité. Le sentiment que la menace russe est désormais directe et concrète s’est renforcé, notamment chez les États baltes, mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. Ces pays ont reconnu la nécessité d’augmenter leurs budgets militaires et de renforcer leur état de préparation.

Les États-Unis, de plus en plus focalisés sur la Chine, vont redéployer une plus grande partie de leur flotte dans le Pacifique, y affecter leurs nouveaux équipements les plus performants, intensifier leurs opérations de présence, leurs exercices conjoints, leur entraînement et leur coopération avec les marines alliées dans le Pacifique occidental. Ce repositionnement suppose de réduire l’engagement américain en Europe – et donc, pour les Européens, de compenser cette absence pour assurer la dissuasion face à la Russie.

Le pilier central de l’Alliance reste l’article 5, souvent résumé par la formule « Une attaque contre l’un est une attaque contre tous ». Or, en route vers La Haye, Trump semblait hésitant sur la position américaine vis-à-vis de cet engagement. Interrogé sur ce point lors du sommet, il a simplement répondu : « Je le soutiens. C’est bien pour cela que je suis ici. Sinon, je ne serais pas venu. »

Lord Ismay, premier secrétaire général de l’Otan, aurait un jour résumé ainsi le rôle de l’Alliance : « maintenir les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous contrôle ». L’Allemagne est désormais au cœur de l’Alliance, les Américains sont là – mais l’attention de Washington est ailleurs. Et Rutte aura fort à faire pour maintenir Trump mobilisé sur la défense de l’Europe, s’il veut continuer à contenir la Russie.

The Conversation

Andrew Corbett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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26.06.2025 à 17:09

Le christianisme a longtemps vénéré des saints « transgenres »

Sarah Barringer, Ph.D. Candidate in English, University of Iowa

Les historiens ont recensé au moins 34 récits documentés sur la vie de saints « transgenres », dont trois ont connu une grande popularité dans l’Europe médiévale.
Texte intégral (2821 mots)

La Marche des fiertés LGBTQIA+ – ou Paris Pride – aura lieu samedi 28 juin 2025. Elle célébrera l’égalité des droits et la visibilité des communautés lesbienne, gai, bi, trans, intersexe, asexuel et queer alors qu’aux États-Unis, en Russie, en Hongrie ou en Italie, les discriminations fondées sur les mœurs, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre se multiplient. Contrairement à un discours promu par les conservateurs états-uniens, qui tend à opposer les valeurs chrétiennes et la défense des minorités de genre, l’histoire du christianisme montre que des saints que l’on appellerait aujourd’hui « transgenres » ont bien été promus par l’Église médiévale.


Aux États-Unis, plusieurs États dirigés par des républicains ont restreint les droits des personnes transgenres : l’Iowa a signé une loi supprimant la protection des droits civils des personnes transgenres ; le Wyoming a interdit aux agences publiques d’exiger l’utilisation des pronoms préférés ; et l’Alabama a récemment adopté une loi qui ne reconnaît que deux sexes. Des centaines de projets de loi ont été présentés dans d’autres assemblées législatives d’État afin de restreindre les droits des personnes transgenres.

Plus tôt dans l’année, plusieurs décrets présidentiels ont été pris pour nier l’identité transgenre. L’un d’entre eux, intitulé « Éradiquer les préjugés anti-chrétiens », affirmait que les politiques de l’administration Biden en faveur de l’affirmation du genre étaient « antichrétiennes ». Il accusait la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi, de Biden, de forcer « les chrétiens à affirmer une idéologie transgenre radicale contraire à leur foi ».

Pourtant, de façon claire, tous les chrétiens ne sont pas antitrans. Et dans mes recherches sur l’histoire et la littérature médiévales, j’ai trouvé des preuves d’une longue histoire dans le christianisme de ce que l’on pourrait aujourd’hui appeler des saints « transgenres ». Bien que ce terme n’existait pas à l’époque médiévale, l’idée d’hommes vivant comme des femmes ou de femmes vivant comme des hommes, était incontestablement présente à cette période. De nombreux chercheurs ont suggéré que l’utilisation du terme moderne « transgenre » permettait d’établir des liens précieux pour comprendre les parallèles historiques.

Il existe au moins 34 récits documentés sur la vie de saints transgenres datant des premiers siècles du christianisme. Initialement rédigées en latin ou en grec, plusieurs histoires de saints transgenres ont été traduites dans les langues vernaculaires.

Saints transgenres

Parmi les 34 saints originaux, au moins trois ont acquis une grande popularité dans l’Europe médiévale : sainte Eugénie, sainte Euphrosyne et saint Marinos. Tous trois sont nés femmes, mais se sont coupé les cheveux et ont revêtu des vêtements masculins pour vivre comme des hommes et entrer dans des monastères.

Eugénie, élevée dans la religion païenne, est entrée au monastère pour en savoir plus sur le christianisme et est devenue abbesse. Euphrosyne est entrée au monastère pour échapper à un prétendant indésirable et y a passé le reste de sa vie. Marinos, né Marina, a décidé de renoncer à sa condition de femme et de vivre avec son père au monastère en tant qu’homme.

Ces récits étaient très lus. L’histoire d’Eugénie est apparue dans deux des manuscrits les plus populaires de l’époque : Vies de saints, d’Ælfric, et la Légende dorée, de Jacques de Voragine. Ælfric était un abbé anglais qui a traduit les vies des saints latins en vieil anglais au Xe siècle, les rendant ainsi accessibles à un large public profane. La Légende dorée a été écrite en latin et compilée au XIIIe siècle ; elle fait partie de plus d’un millier de manuscrits.

Euphrosyne apparaît également dans les vies des saints d’Ælfric, ainsi que dans d’autres textes en latin, en moyen anglais et en ancien français. L’histoire de Marinos est disponible dans plus d’une douzaine de manuscrits dans au moins 10 langues. Pour ceux qui ne savaient pas lire, les vies des saints d’Ælfric et d’autres manuscrits étaient lus à haute voix dans les églises pendant le service religieux le jour de la fête du saint.

Une personne allongée sur un lit semble se lever tandis qu’un homme vêtu d’une longue cape rouge s’avance vers elle
Euphrosyne d’Alexandrie. Anonyme via Wikimedia

Une petite église à Paris construite au Xe siècle était consacrée à Marinos, et les reliques de son corps auraient été conservées dans le monastère de Qannoubine au Liban.

Tout cela pour dire que de nombreuses personnes parlaient de ces saints.

La transidentité sacrée

Au Moyen Âge, la vie des saints était moins importante d’un point de vue historique que d’un point de vue moral. En tant que récit moral, le public n’était pas censé reproduire la vie d’un saint, mais apprendre à imiter les valeurs chrétiennes.

La transition entre l’homme et la femme devient une métaphore de la transition entre le paganisme et le christianisme, entre la richesse et la pauvreté, entre la mondanité et la spiritualité. L’Église catholique s’opposait au travestissement dans les lois, les réunions liturgiques et d’autres écrits. Cependant, le christianisme honorait la sainteté de ces saints transgenres.

Dans un recueil d’essais de 2021 sur les saints transgenres et queers de l’époque médiévale, les chercheurs Alicia Spencer-Hall et Blake Gutt affirment que le christianisme médiéval considérait la transidentité comme sacrée.

« La transidentité n’est pas seulement compatible avec la sainteté ; la transidentité elle-même est sacrée », écrivent-ils. Les saints transgenres ont dû rejeter les conventions afin de vivre leur vie authentique, tout comme les premiers chrétiens ont dû rejeter les conventions afin de vivre en tant que chrétiens.


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La spécialiste en littérature Rhonda McDaniel explique qu’au Xe siècle en Angleterre, l’adoption des valeurs chrétiennes consistant à rejeter la richesse, le militarisme masculin ou la sexualité a permis aux gens de dépasser plus facilement les idées strictes sur le genre masculin et féminin. Au lieu de définir le genre par des valeurs distinctes pour les hommes et les femmes, tous les individus pouvaient être définis par les mêmes valeurs chrétiennes.

Historiquement, et même à l’époque contemporaine, le genre est associé à des valeurs et des rôles spécifiques, comme le fait de supposer que les tâches ménagères sont réservées aux femmes ou que les hommes sont plus forts. Mais l’adoption de ces valeurs chrétiennes a permis aux individus de transcender ces distinctions, en particulier lorsqu’ils entraient dans des monastères et des couvents.

Selon McDaniel, même des saints cisgenres comme sainte Agnès, saint Sébastien et saint Georges incarnaient ces valeurs, montrant ainsi que n’importe quel membre du public pouvait lutter contre les stéréotypes de genre sans changer son corps.

L’amour d’Agnès pour Dieu lui a permis de renoncer à son rôle d’épouse. Lorsqu’on lui a offert l’amour et la richesse, elle les a rejetés au profit du christianisme. Sébastien et Georges étaient de puissants romains qui, en tant qu’hommes, étaient censés s’engager dans un militarisme violent. Cependant, tous deux ont rejeté leur masculinité romaine violente au profit du pacifisme chrétien.

Une vie digne d’être imitée

Bien que la plupart des vies des saints aient été écrites principalement comme des contes, l’histoire de Joseph de Schönau a été racontée comme étant à la fois très réelle et digne d’être imitée par le public. Son histoire est racontée comme un récit historique d’une vie qui serait accessible aux chrétiens ordinaires.

À la fin du XIIe siècle, Joseph, né femme, entra dans un monastère cistercien à Schönau, en Allemagne. Sur son lit de mort, Joseph raconta l’histoire de sa vie, notamment son pèlerinage à Jérusalem lorsqu’il était enfant et son difficile retour en Europe après la mort de son père. Lorsqu’il revint enfin dans sa ville natale de Cologne, il entra dans un monastère en tant qu’homme, en signe de gratitude envers Dieu pour l’avoir ramené sain et sauf chez lui.

Bien qu’il ait soutenu que la vie de Joseph méritait d’être imitée, le premier auteur de l’histoire de Joseph, Engelhard de Langheim, entretenait une relation complexe avec le genre de Joseph. Il affirmait que Joseph était une femme, mais utilisait régulièrement des pronoms masculins pour le désigner.

Un enfant et un homme âgé se tiennent à l’entrée d’un bâtiment avec des minarets tandis qu’une religieuse, entièrement vêtue de noir, leur parle
Marinos le moine. Richard de Montbaston via Wikimedia

Même si les histoires d’Eugénie, d’Euphrosyne et de Marinos sont racontées sous la forme de contes moraux, leurs auteurs avaient également des relations complexes avec la question de leur genre. Dans le cas d’Eugénie, dans un manuscrit, l’auteur fait référence à elle en utilisant uniquement des pronoms féminins, mais dans un autre, le scribe utilise des pronoms masculins.

Marinos et Euphrosyne étaient souvent désignés comme des hommes. Le fait que les auteurs aient fait référence à ces personnages comme étant masculins suggère que leur transition vers la masculinité n’était pas seulement une métaphore, mais d’une certaine manière aussi réelle que celle de Joseph.

Sur la base de ces récits, je soutiens que le christianisme a une histoire transgenre dont il peut s’inspirer et de nombreuses occasions d’accepter la transidentité comme une partie essentielle de ses valeurs.

The Conversation

Sarah Barringer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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26.06.2025 à 17:09

Près de 90 % des déchets textiles finissent brûlés. Comment changer cela ?

Manuel Morales Rubio, Enseignant-chercheur en Gestion stratégique, Clermont School of Business

Les déchets textiles pourraient être revalorisés de diverses façons : isolants thermiques et acoustiques, mousse pour l’automobile, rembourrage de matelas, pour faire de nouveaux vêtements…
Texte intégral (1986 mots)
L’immense majorité de nos déchets textiles finit dans un incinérateur, faute de solutions de recyclage adaptées et viables. Kaentian Street/Shutterstock

Alors que les soldes d’été, qui se déroulent du 25 juin au 22 juillet, viennent de débuter, la question du recyclage des déchets textiles reste lancinante. Ces derniers finissent le plus souvent incinérés, alors qu’ils pourraient être revalorisés de diverses façons : isolants thermiques et acoustiques, mousse pour l’automobile, rembourrage de matelas, pour faire de nouveaux vêtements…


Saviez-vous qu’aujourd’hui seuls 12 % des déchets textiles étaient recyclés et réutilisés dans l’Union européenne ? Un chiffre extrêmement bas si on le compare par exemple au 75 % de cartons recyclés et au 80 % de verre en France. L’immense partie des déchets textiles, produits par l’industrie, est donc envoyée directement à la déchetterie et sera in fine incinérée.

Mais alors, pourquoi si peu de recyclage ? Cet état de fait est-il voué à rester inchangé ? Pas forcément.

D’où viennent les déchets textiles ?

Mais, avant de voir comment les choses pourraient évoluer, commençons d’abord par voir ce que sont les déchets textiles et pourquoi ils sont si peu recyclés.

Les déchets textiles sont issus des vêtements fabriqués. Ce sont des chutes de tissu, des fibres et autres matériaux textiles en fin de vie, après usage ou production. Le prêt-à-porter ou la fast fashion, avec le renouvellement rapide des collections, aggrave le problème de gestion et de traitement avec des quantités croissantes de déchets textiles issues de la surproduction et de la surconsommation.

Les défis du recyclage

Mais si une grande partie de ces textiles finit ainsi en déchetterie, contribuant alors à la pollution et au gaspillage des ressources, c’est également faute de solutions de recyclage adaptées ou économiquement viable.

On trouve deux raisons principales à cela : la première est d’ordre technique et la deuxième découle de la pauvreté des normes existantes et des régulations institutionnelles.

De fait, le recyclage des déchets textiles est au cœur de nombreux défis techniques dus à la nature complexe et hétérogène des fibres textiles et matériaux de fabrication, au manque d’infrastructure et de moyen de collecte, aux coûts élevés pour le tri, à une absence de support technique et de conseil de la part des experts du recyclage…

Concernant les normes en vigueur, on peut noter qu’avant 2022, il n’y avait pas de régulations interdisant aux acteurs de la fast fashion (marques, magasins de détail, et fabricants) de détruire les invendus et les produits renvoyés par les clients.

Transformer les déchets textiles en opportunité d’affaires ?

Mais, en 2022, donc, la loi européenne anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) change la donne puisqu’elle impose désormais aux acteurs du prêt-à-porter (les marques, les magasins de détail et les fabricants) de trouver des utilisations alternatives à leurs produits textiles et vestimentaires retournés et invendus, évitant ainsi la mise en décharge ou l’incinération.

Pour permettre à ces textiles d’avoir une nouvelle vie, une opportunité reste sous-estimée : celle de la collaboration entre les secteurs de l’industrie textile et d’autres industries qui pourraient utiliser les résidus textiles qui étaient auparavant brûlés.

Les textiles invendus, retournés ou les déchets textiles post-industriels pourraient par exemple être transformés en matières premières capables d’être réintégrées pour devenir des isolants thermiques et acoustiques dans des bâtiments, des torchons industriels, des mousses pour l’automobile ou encore du rembourrage de matelas. Cette synergie entre industries offre plusieurs avantages : elle réduit les déchets, limite l’extraction de ressources vierges et favorise une économie circulaire plus durable. En mutualisant les savoir-faire et les besoins, les acteurs de différents secteurs optimisent également les chaînes de production tout en contribuant à une gestion plus responsable des matériaux textiles en fin de vie.

Cependant, pour l’instant, la complexité de la coopération intersectorielle rend la valorisation des coproduits et déchets textiles faible.

Mais ces actions mises en place entre industries, qu’on appelle symbioses industrielles, existent depuis longtemps dans d’autres domaines et laissent donc penser qu’il pourrait en être autrement.

La réutilisation des déchets d’un processus de production a ainsi été documentée dans la production de savon issue de graisse animale, la production d’engrais issus des résidus agricoles et animaux, ainsi que la peau et les os des animaux pour matière première pour le cuire et les armes.

Cette pratique de réutilisation des résidus est même devenue très commune de nos jours dans d’autres secteurs industriels comme la pétrochimie, la chimie organique, l’énergie, l’agro-industrie depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Le premier cas de symbiose industrielle identifié dans la littérature scientifique remonte à 1972 quand un groupe d’entreprises privées appartenant à différents secteurs industriels ont dû faire face à la pénurie d’eau dans la ville de Kalundborg au Danemark. En dialoguant toutes ensemble, elles ont pu optimiser l’utilisation globale de l’eau grâce à sa réutilisation.

Collaboration intersectorielle : une stratégie clé pour la circularité

Cependant, si l’on regarde les quantités de déchets textiles, cette possibilité de recycler les déchets textiles en développant les interactions entre industrie ne suffira pas. L’autre grand enjeu demeure la production initiale. Derrière la croissance démesurée des déchets textiles partout dans le monde ces dernières années, on trouve de fait la surproduction et la surconsommation des textiles, qui a été multiplié par quatre dans les cinq dernières années avec la prolifération des plates-formes de fast-fashion comme Shein et Temu.

L’objectif est donc de réduire le volume de matière première vierge nécessaire pour la fabrication d’un nombre croissante des vêtements. Cela pourrait se faire par une réduction de la consommation ou bien en réduisant nos besoins en matière première vierge. Ici, l’utilisation de déchets textiles reconditionnés peut également s’avérer judicieuse. Elle offre l’avantage de réaliser simultanément deux actions vertueuses : réduire nos déchets et limiter nos besoins en matières premières textiles.

En Europe, cependant, moins de 2 % du total des déchets textiles est aujourd’hui reconditionné pour fabriquer de nouveaux vêtements. Ce pourcentage est tellement faible, qu’il est difficile à croire, mais il s’explique par une déconnexion entre les acteurs de la fin de vie des vêtements, l’hétérogénéité des matériaux qui rend complexe la tâche du recyclage pour produire des vêtements d’une qualité égale ; et aussi une réglementation et régulation peu contraignante.

Les acteurs du recyclage et les déchetteries communiquent peu avec les associations qui gèrent les points de collecte textile, le tri et la vente des vêtements d’occasion (Mains ouverts, Emaus, Secours populaire, entre autres).

Les plates-formes digitales comme Vinted ne sont pas au courant des volumes gérés par les acteurs de l’écosystème physique. De plus, les initiatives de récupération et réutilisation des vêtements usagés appliqués par les grandes marques comme Zara et H&M ne représentent qu’une fraction de leurs ventes totales, et ne sont donc pas capables de changer la tendance envers une économie textile de boucle fermée.

Prêt-à-porter : en quête des solutions durables

C’est pourquoi il devient crucial d’activer l’ensemble de ces leviers au regard de l’impact environnemental de l’industrie textile, qui émet 3 ,3 milliards de tonnes de CO₂ par an, soit autant que les vols internationaux et que le transport maritime des marchandises réunis.

L’industrie textile est également à l’origine de 9 % des microplastiques qu’on retrouve dans les océans et consomme environ 215 trillions de litres d’eau par an si l’on considère toute la chaîne de valeur. Le textile et l’habillement sont à ce titre les industries qui consomment le plus d’eau au monde, juste après l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Le secteur textile est également associé à la pollution issue des produits chimiques et détergents utilisés dans les processus de fabrication et dans le lavage des vêtements.

À l’échelle mondiale, les perspectives liées à la surproduction et à la surconsommation sont préoccupantes puisque l’on estime que d’ici à 2050 le volume total de prêt-à-porter pourrait tripler.

Pour éviter que nos vêtements aient un coût environnemental aussi néfaste, une piste évidente serait de permettre une production plus locale.

Aujourd’hui, la chaîne de valeur textile reste de fait très mondialisée et les vêtements qui en sortent sont de moins en moins solides et durables. La production des matières premières est fortement concentrée en Asie, notamment dans des pays comme la Chine, l’Inde et le Bangladesh, qui représentent plus de 70 % du marché total de la production de fibres, de la préparation des tissus et des fils (filature), du tissage, du tricotage, du collage et blanchiment/teinture.

Face à cette réalité, la mise en place d’une stratégie territoriale de symbiose pourrait également réduire la dépendance excessive à des systèmes de production non durables, en relocalisant les capacités de production pour renforcer des circuits courts et plus territoriaux en Europe.

The Conversation

Manuel Morales Rubio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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