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01.12.2025 à 11:07

Les « hauts potentiels » en entreprise ne sont pas forcément des hauts potentiels intellectuels

Catherine Pourquier, Professeur de Conduite du Changement, Burgundy School of Business

Les entreprises recherchent leurs futurs leaders. Dans cette quête, un terme revient souvent : celui de « haut potentiel ». Mais que signifie-t-il réellement ? et que recouvrent les sigles HPI, HPE ou HiPo ?
Texte intégral (2831 mots)
On peut distinguer trois formes principales de « haut potentiel » : haut potentiel intellectuel (HPI), haut potentiel émotionnel (HPE) et haut potentiel « talent de l’entreprise » (HiPo). Mameraman/Shutterstock

Les entreprises recherchent activement leurs futurs dirigeants. Dans cette quête, un terme revient souvent : celui de « haut potentiel ». Mais que signifie-t-il réellement ? Est-ce une simple capacité intellectuelle supérieure ? une aptitude relationnelle hors norme ? ou un talent décelé pour évoluer dans l’organisation ? Derrière ce concept très utilisé, et les sigles HPI, HPE ou HiPo, se cache une réalité plus nuancée – et parfois mal comprise.


Le terme « haut potentiel » est devenu omniprésent dans les discours en ressources humaines. Pourtant, il n’existe pas de définition univoque. Les instruments et les travaux sur lesquels s’appuie cette notion restent fragiles. Ils obligent à la prudence quant à son utilisation sociale, dans le monde de l’entreprise notamment.

Si les capacités d’apprentissage des hauts potentiels ont été mises en évidence, la question de leur recrutement soulève des questions. Les profils haut potentiel, autrement qualifiés d’« atypiques », séduiraient de plus en plus les entreprises et permettrait une éclosion d’offre de cabinets de recrutement ou de coaching.

Ici la prudence s’impose, car en vertu du principe de non-discrimination dans le Code du travail, l’offre d’emploi doit rester suffisamment ouverte pour rester légale et attractive. C’est ici que mettre l’accent, dans une annonce ciblée pour des hauts potentiels, sur les compétences d’apprentissage et la dimension évolutive du poste prend tout son sens.

Trois formes de haut potentiel

On peut en distinguer trois formes principales, chacune avec ses spécificités et implications pour le management :

Haut potentiel intellectuel (HPI)

Il désigne une personne au quotient intellectuel (QI) élevé. Selon le psychologue David Wechsler, dont les échelles (WAIS, WISC) sont parmi les plus utilisées, « le quotient intellectuel représente la capacité globale d’un individu à agir de façon réfléchie, à penser rationnellement et à interagir efficacement avec son environnement ». Il s’agit du haut potentiel au sens psychométrique.

Exemple de tests de QI du psychologue David Wechsler. Wikimedia

Comme le soulignait le psychologue Howard Gardner dès 1983 dans Frames of Mind, le QI n’est qu’un indicateur parmi d’autres. L’intelligence ne se limite pas à sa dimension logico-mathématique : elle est aussi interpersonnelle, spatiale ou kinesthésique (perception consciente des mouvements). Un ingénieur brillant peut peiner à diriger une équipe s’il n’a pas développé les compétences relationnelles nécessaires.

Haut potentiel émotionnel (HPE)

Selon la définition fondatrice des psychologues Peter Salovey et John Mayer, l’intelligence émotionnelle est « la capacité à surveiller ses propres émotions et celles des autres, à les discriminer parmi elles et à utiliser cette information pour orienter sa pensée et ses actions ».

Le terme « haut potentiel émotionnel » circule dans la « vulgarisation psychologique », mais il ne fait pas l’objet d’une reconnaissance académique au même titre que le QI ou l’intelligence émotionnelle. Un manager doté d’un haut quotient émotionnel saura motiver, gérer les tensions, accompagner les transitions.

Haut potentiel dit « talent de l’entreprise » (HP-Talent)

Il est celui que l’organisation repère comme un futur leader à fort potentiel de développement, le High Potential Employee (HiPo). Selon les psychologues Rob Silzer et Allan Church, « les employés à haut potentiel sont ceux qui démontrent la capacité et la motivation à progresser rapidement vers des rôles de leadership ou des missions clés qui soutiennent la stratégie de l’organisation ».

Selon ces auteurs, il est identifié par des qualités comme « l’agilité d’apprentissage, le leadership émergent et le dynamisme collectif ». Dans cette perspective, et afin de créer un vivier de hauts potentiels, les grandes entreprises mettent en place des programmes de leadership destinés à accompagner ces profils de collaborateurs prometteurs.

Appropriation du concept par l’entreprise au XXᵉ siècle

Dans le langage managérial, être identifié comme un « haut potentiel » (ou HiPo) est souvent perçu comme un tremplin vers les postes de direction. Cette notion, omniprésente dans les politiques RH contemporaines, n’a pas toujours existé. Son origine n’a que peu à voir avec celle du « haut potentiel intellectuel » issu des tests de QI.

Le test Binet et Simon est un test de développement intellectuel mis au point par le psychologue Alfred Binet avec l’aide du psychiatre Théodore Simon. Wikimedia

Le mot « potentiel » émerge au début du XXe siècle dans la psychologie de l’intelligence, avec les travaux fondateurs des Français Alfred Binet et Théodore Simon en 1905. Le « haut potentiel » renvoie à des aptitudes cognitives exceptionnelles, mesurées par des tests standardisés, notamment ceux développés par Lewis Terman en 1916). L’idée de potentiel désigne une capacité intellectuelle mesurable et innée.

Le monde de l’entreprise ne s’approprie le concept qu’un demi-siècle plus tard. Dans les années 1950–1960 aux États-Unis, les grandes firmes, comme General Electric, AT&T ou IBM, créent des dispositifs pour repérer les futurs dirigeants. Ces Assessment Centers, inspirés des méthodes de sélection militaire, visent à identifier des individus capables d’apprendre vite, de s’adapter et de diriger.

Le « potentiel » devient alors managérial plutôt qu’intellectuel. À partir des années 1990, la notion s’élargit encore avec la popularisation de l’intelligence émotionnelle (IE), conceptualisée par Peter Salovey et John Mayer, comme mentionné auparavant. Cette capacité à reconnaître, comprendre et réguler les émotions – les siennes comme celles des autres – s’impose comme un atout majeur du leadership contemporain.

« Haut potentiel » au sein de Veolia Eau

Les différents types de HP (I, E et HiPo) ne fonctionnent pas de la même manière dans les organisations. Une étude qualitative menée par Claire Papier auprès de cadres de Veolia Eau en offre une illustration.

Certains voient dans le concept de HP un clin d’œil au « haut potentiel intellectuel » (HPI) ou émotionnel (HPE), popularisés par la psychologie contemporaine. Dans les faits, ces profils coexistent, mais seul le HiPo (High Potential Employee) constitue une catégorie reconnue dans les pratiques de gestion des talents.

Une personne à haut potentiel intellectuel (HPI)

Elle est souvent perçu comme une « machine de guerre intellectuelle ». Elle dispose d’une capacité de mise à distance émotionnelle, une sorte de régulation rationnelle des affects. Cela peut s’avérer utile dans des contextes de crise ou de forte pression.


À lire aussi : Scientifiquement, le HPI n’existe pas


Ces atouts ne suffisent pas, en soi, à garantir une réussite professionnelle : certaines organisations peuvent même peiner à intégrer ces profils perçus comme atypiques ou exigeants.

Une personne à haut potentiel émotionnel (HPE)

Elle excelle dans les interactions sociales. Leur diplomatie, leur capacité d’écoute et leur empathie en font des leaders naturels dans des environnements complexes.

Leur atout réside dans la compréhension des émotions et de la qualité relationnelle, essentielles dans les métiers du management, du soin ou de la médiation.

La notion de HiPo

Ces salariés sont identifiés comme ayant la capacité, la motivation et le potentiel de leadership nécessaires pour évoluer vers des fonctions stratégiques. Certains HPI ou HPE peuvent devenir HiPo – s’ils mettent leurs talents intellectuels ou émotionnels au service de la performance collective.

En somme, être HPI ou HPE peut être un atout. Si le HiPo n’est pas forcément un « génie » ou un « hypersensible », c’est avant tout quelqu’un capable d’apprendre vite, de s’adapter et de fédérer.

Un cadre de Veolia l’exprime en ces termes :

« C’est quelqu’un qui peut faire un métier, mais qui a aussi les ressources intellectuelles, physiques et émotionnelles pour évoluer vers d’autres fonctions, prendre un poste de manager et monter dans la hiérarchie sans rester sur ses acquis. »

Comment les repérer et ne pas passer à côté

La détection des personnes à hauts potentiels en entreprise dépasse aujourd’hui la simple évaluation des performances passées. Elle doit intégrer dorénavant des dimensions plus qualitatives, comme la capacité d’apprentissage, l’agilité et l’orientation collective. Selon Nicky Dries et Roland Pepermans, l’identification des talents repose sur un équilibre entre compétences actuelles et celles potentielles de développement futur.

Le potentiel n’est pas une compétence figée dans le temps, mais une trajectoire contextuelle. Il dépend de l’environnement, de l’accompagnement et de la reconnaissance. Sans cela, ces profils peuvent s’épuiser, se démobiliser ou quitter l’entreprise.

Muhammad Yunus, un potentiel leader… haut potentiel

Quelle que soit la forme de haut potentiel envisagée, une dimension apparaît cruciale : le sens éthique du leadership.

Une personne HPI, souvent hypersensible à la notion de justice, pourra faire des choix professionnels dictés par des valeurs équitables. Un profil HPE privilégiera la bienveillance, le respect et la qualité des relations humaines). Quant au HP-Talent, sa sensibilité à la culture organisationnelle l’amènera à s’aligner – ou à s’éloigner – selon la vision éthique portée par l’entreprise.

Notre article sur le leadership empathique d’un Prix Nobel de la paix a mis en évidence l’importance, chez un leader « hors norme », de l’éthique.

Selon les mots de Muhammad Yunus :

« Un leadership qui n’est pas éthique, ne mène nulle part. »

Le leadership de Muhammad Yunus révèle une combinaison remarquable de capacités intellectuelles et émotionnelles. D’un côté, Yunus démontre une aptitude exceptionnelle à concevoir, articuler et mettre en œuvre un modèle de micro-crédit qui a profondément transformé la finance sociale – signe d’un fonctionnement cognitif sophistiqué, caractéristique d’un haut potentiel intellectuel. De l’autre, l’étude souligne son haut degré d’empathie, sa gestion fine des émotions et sa capacité à mobiliser collectivement autour de valeurs humanistes – autant de traits associés à un haut potentiel émotionnel.

Sans prétendre à une évaluation formelle, qui mériterait d’être approfondie, il semble néanmoins possible de considérer que Yunus incarne un double potentiel : à la fois cognitif et émotionnel. C’est sans doute cette alliance entre la pensée et l’émotion, entre le « penser » et le « ressentir/agir », qui alimente chez lui une forme singulière de leadership – à la fois éthique, visionnaire et profondément humain.

Car, en définitive, c’est la variable humaine qui donne au haut potentiel sa « couleur » managériale – rationnelle, émotionnelle, ou systémique – et sa posture éthique.


L’autrice remercie Claire Papier, allumni Bourgogne School of Business (BSB), pour sa contribution à cet article à travers les entretiens qu’elle a menés auprès de cadres de Veolia Eau lors de sa thèse professionnelle.

The Conversation

Catherine Pourquier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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01.12.2025 à 11:06

L’intégration professionnelle des migrants est mise à mal par les restrictions budgétaires

Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

La loi de finance 2025 pourrait réduire les subventions consacrées à cette structure d’insertion. Retour sur ce modèle d’intégration par le travail et l’accompagnement social.
Texte intégral (1744 mots)
Les salariés des ateliers et chantiers d’insertion (ACI) bénéficient d’une rémunération au moins égale au smic. ChameleonsEye/Shutterstock

À l’occasion du mois de l’économie sociale et solidaire, zoom sur les ateliers chantiers d’insertion (ACI). Ces structures proposent un accompagnement social, un métier et un salaire, notamment pour les immigrés. Dans un contexte de restriction budgétaire, quels sont leur coût et leur bénéfice ? Permettent-ils une meilleure intégration des immigrés ?


Régulariser la situation d’un immigré ne lui garantit pas l’eldorado, comme beaucoup le croient. Un autre problème majeur est son intégration. Comment l’intégrer si le français n’est pas sa langue ? s’il n’a pas de domicile fixe ? de solution de garde ? de moyen de mobilité ? de réseau professionnel ? de compétences numériques pour accomplir une démarche administrative en ligne, ouvrir un compte, obtenir un logement, préparer un CV, obtenir une couverture médicale…

Un migrant est une personne qui quitte son lieu de résidence habituelle et qui s’installe temporairement ou durablement dans une autre région ou un autre pays. Un réfugié est une catégorie particulière de migrant. Selon la Convention de Genève de 1951, un réfugié est une personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de son ethnie, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social, ses opinions politiques ; et qui se trouve hors de son pays d’origine.

Les ateliers et chantiers d’insertion (ACI), dispositifs reconnus d’insertion par l’activité économique (IAE), sont une solution prévue par le Code du travail. Ils offrent un accompagnement renforcé et une activité professionnelle aux personnes rencontrant des difficultés sociales particulières, notamment les migrants et les réfugiés.

Alors combien coûte et rapporte l’intégration des immigrés ? les ateliers chantiers d’insertion ? Pour quelles réussites ?

Près de 1,68 milliard d’euros pour l’immigration et l’asile

Dans le projet de loi de finances pour 2025, l’immigration, l’asile et l’intégration mobilisent une part très importante des dépenses publiques. À ce titre, le programme 303 « Immigrations et asile » représente 1,68 milliard d’euros. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » représente 366,42 millions d’euros. La dotation prévue pour l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est de 353 millions d’euros et les crédits alloués à l’hébergement des demandeurs d’asile s’élèvent à 944,8 millions d’euros.

Selon la Cour des comptes, la lutte contre l’immigration irrégulière représente un coût annuel de 1,8 milliard d’euros. Le coût d’une journée en centres de rétention administrative (CRA) est estimé à 602 euros, incluant les frais de fonctionnement, d’investissement et la masse salariale des policiers.

Face à ces dépenses, le gouvernement français cherche naturellement des solutions pour augmenter ses recettes : plus d’impôt, plus de taxes, plus de prélèvements, moins d’exonérations, etc. La régularisation des immigrés pourrait également contribuer à cet objectif.

Cotisations sociales des immigrés

La régularisation massive des immigrants et travailleurs sans papiers pourrait être compensée par l’entrée attendue de cotisations sociales et d’impôts supplémentaires. Elles limiteraient voire annuleraient le coût net pour l’État à moyen terme.


À lire aussi : Pourquoi les travailleurs immigrés sont-ils surreprésentés dans les secteurs « essentiels » ?


À ce titre, France Terre d’asile a dévoilé un plan d’action sur la politique migratoire française. Il rapporterait 3,3 milliards d’euros par an aux finances publiques.

Le rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montre que la régularisation des immigrés dans les secteurs en tension en France permet de soutenir l’emploi, d’améliorer les salaires des travailleurs non qualifiés français et étrangers, et de stimuler l’économie à hauteur d’environ 1 % du PIB.

La régularisation des immigrés à elle seule ne suffit pas : son impact dépend de leur intégration et de leur accès effectif à l’emploi, facilité notamment par les ACI.

De 40 à 50 % d’intégration dans l’emploi

Les ACI constituent un exemple d’innovation sociale, appréhendée dans la littérature comme la mise en œuvre de « solutions novatrices à des problèmes sociaux, plus efficaces, durables ou justes que les solutions existantes, et dont la valeur profite à la société dans son ensemble ».

Organisés de manière ponctuelle ou permanente, les ACI sont des dispositifs conventionnés. Ils peuvent être créés et portés par un organisme de droit privé à but non lucratif – une association – ou un employeur public – une commune, un département, un centre communal d’action sociale, etc.

Les ACI permettent de lever de nombreux freins à l’emploi et de facto favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des immigrés en France. Ils offrent une chance, parfois une seconde chance, à plus de 130 000 personnes chaque année, avec un taux de sortie positive de 40 à 50 % vers un emploi durable, une formation adaptée, une dignité retrouvée, une meilleure estime de soi…

Banques alimentaires, Emmaüs Solidarité

Entre 2023 et 2025, une enquête de terrain menée auprès d’associations humanitaires accueillant des ACI dans le cadre de leurs activités, telles les Banques alimentaires et Emmaüs Solidarité, met en lumière plusieurs freins ainsi que des actions clés pour favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des personnes accompagnées.

Les personnes en parcours d’insertion sont de vrais salariés, sous un contrat à durée déterminée dits « d’insertion ». Ils perçoivent une rémunération au moins égale au smic horaire, parfois sur un temps partiel aménagé selon le projet de la structure. Les ACI jouent un rôle important en aidant les immigrés à résoudre de nombreux problèmes personnels, de santé ou administratifs tels que les titres de séjour, la maîtrise de la langue, le logement, la mobilité, la précarité numérique… facilitant leur insertion durable sur le marché du travail.

« Ce sont des personnes prêtes à travailler et à créer de la valeur pour l’économie française, puisqu’elles sont rémunérées et donc cotisent. Les contraintes administratives les empêchent d’être actifs et finissent par les rendre, malgré eux, une charge pour la société », souligne un travailleur social chez Emmaüs Solidarité.

Moins de contrats aidés et d’ETP

Le fonctionnement de ACI est de plus en plus fragilisé par l’accès limité aux ressources et la baisse des subventions, comme le rappelle la question écrite n°10832 de la 17ᵉ législature de l’Assemblée nationale.

Dans le projet de loi 2026, le gouvernement veut réduire les exonérations de cotisations sociales pour les ACI, pour répondre aux impératifs budgétaires. Le budget 2025 de l’insertion par l’activité économique (IAE) reconduit strictement les moyens alloués aux ACI depuis 2023, tout en appliquant une mise en réserve de 5,5 %.

Il réduit les 42 257 équivalents temps plein (ETP) prévus à seulement 40 500 postes réellement mobilisables sur le terrain. Il ne prévoit pas non plus la revalorisation de l’aide au poste malgré la hausse du smic. Avec seulement 32 000 parcours emploi compétences (PEC) financés contre 50 000 initialement annoncés, ce budget diminue significativement le nombre de contrats aidés, fragilisant encore les structures d’ACI et les emplois permanents et d’insertion qu’elles soutiennent.

Au regard des choix budgétaires actuels du gouvernement, ne faudrait-il pas repenser de manière plus stratégique l’impact des ACI ? Ne serait-il pas plus pertinent de reconsidérer le potentiel des ACI en matière de génération des ressources et des recettes pour l’État, grâce à une politique d’immigration plus humaine et plus rationnelle ?

The Conversation

Fadia Bahri Korbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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30.11.2025 à 20:37

En Afrique de l’Ouest, les services de prise en charge du VIH sous pression après la baisse des financements états-uniens

Sophie Desmonde, Chargé de Recheche Inserm (CRCN) en santé publique - Centre d'Epidémiologie et de Recherche en santé des POPulations (CERPOP), Inserm UMR 1295, Université de Toulouse, Inserm

Antoine Jaquet, Chercheur, Université de Bordeaux

Kiswend-Sida Thierry Tiendrebeogo, Médecin épidémiologiste et coordinateur IeDEA Afrique de l'ouest, Université de Bordeaux

Valériane Leroy, Research Director

Une étude dans des centres de prise en charge du VIH répartis dans sept pays ouest-africains documente les conséquences de la réduction des fonds états-uniens survenue en 2025.
Texte intégral (1923 mots)

Réorganisations voire interruptions d’activités de soins, difficultés à assurer la continuité des traitements par antirétroviraux, stress pour les équipes soignantes et les malades… les conséquences de la réduction des fonds alloués à la lutte contre le VIH par l’administration Trump 2 se font déjà sentir. C’est ce que révèle une étude menée au sein de sites de prise en charge d’enfants et d’adultes vivant avec le VIH, répartis dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Nous dévoilons ses résultats en primeur, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre 2025.


Depuis janvier 2025, le gouvernement des États-Unis d’Amérique a changé ses priorités en matière de santé. Cela s’est traduit par une réduction brutale de l’aide internationale fournie par le « Plan présidentiel américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida » (PEPFAR), programme clé du renforcement des systèmes de santé dans la lutte contre le VIH, ainsi que le démantèlement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui était le principal bailleur de fonds américain pour l’aide sanitaire à l’échelle mondiale.

L’apport de ces programmes a été largement démontré et a sauvé des vies. En Afrique de l’Ouest, une partie importante des programmes de prise en charge du VIH dépend de ces soutiens.

Une enquête auprès de sites pour adultes et enfants, dans sept pays d’Afrique de l’Ouest

Pour mieux comprendre l’impact direct de ces coupes budgétaires, nous avons mené une étude descriptive détaillant l’organisation administrative, les ressources humaines, la distribution des traitements antirétroviraux, le suivi virologique, et le vécu au quotidien des patientes, des patients et des équipes soignantes de 13 sites cliniques adultes et enfants participant à la collaboration de recherche International Epidemiologic Database to Evaluate AIDS in West Africa. Ces résultats ont été acceptés en communication orale à la 9e édition des Rencontres des études africaines en France.

En 2024, l’Afrique de l’Ouest et du Centre comptait plus de 5 millions de personnes vivant avec le VIH, dont 37 % d’enfants. Face à la dette publique, la région n’a que peu de marge budgétaire pour financer les services de santé et de lutte contre le VIH. Il en résulte une forte dépendance aux financements extérieurs, en particulier au « Plan présidentiel américain d’aide d’urgence à la lutte contre le sida » (PEPFAR) qui contribue à garantir la disponibilité des médicaments antirétroviraux, indispensables à la survie des personnes vivant avec le VIH.

De plus, les ONG et associations locales, majoritairement financées pour leur part par l’agence USAID, ont un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en apportant un soutien logistique et humain. Pour mieux comprendre les conséquences à court terme de cette nouvelle situation de rupture budgétaire, et comment les équipes soignantes et les malades s’y adaptent, nous avons mené une enquête dans 13 sites cliniques répartis dans sept pays d’Afrique de l’Ouest, avec lesquels nous collaborons depuis vingt ans dans le cadre de nos recherches sur le VIH au Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Nigeria et Togo. Ces sites suivent chacun en médiane plus de 3 000 malades adultes et enfants chaque année.

Entre avril et mai 2025, un questionnaire en ligne a été transmis aux responsables de sites. Le questionnaire comportait cinq volets : organisation du partenariat avec les bailleurs, ressources humaines, distribution des médicaments antirétroviraux, suivi de la charge virale, et ressenti des malades et des équipes soignantes vis-à-vis de la prise en charge globale.

Interruptions de soins communautaires, licenciements et autres impacts de la baisse des financements

Au total, 10 des 13 sites contactés ont complété le questionnaire. Parmi eux, cinq étaient directement financés par le plan PEPFAR et les autres par des ONG soutenues par l’agence USAID. La moitié des sites avaient déjà reçu des consignes de leur gouvernement pour adapter leurs activités en mode dégradé, démontrant une capacité de réponse rapide de la part des programmes nationaux de lutte contre le VIH.

Six sites sur dix ont dû suspendre ou supprimer des postes, touchant aussi bien des médecins que du personnel infirmier ou des conseillers techniques. Dans l’un des centres, une réduction de 25 % des primes a été décidée pour éviter des licenciements. Comme ces primes constituent l’essentiel du revenu pour les emplois associatifs, cette mesure a entraîné la démission de quatre médiateurs.

Dans un autre site, toutes les activités communautaires (groupes de soutien, séances d’éducation, conseil, dépistage) ont dû être interrompues entraînant le licenciement des personnes impliquées. Or ces activités jouent un rôle central dans la prise en charge du VIH : elles aident les malades à suivre leur traitement, assurent le suivi et renforcent le lien entre les équipes de soins et les communautés. Leur suspension fragilise l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH.


À lire aussi : L’éducation par les pairs dans la lutte contre le VIH menacée par les réductions de l’aide publique au développement


À la suite de ces suspensions et licenciements, les sites ont été obligés de revoir leur organisation. Ainsi ils ont mis en place des astreintes pour le personnel fonctionnaire, redéployé le personnel hospitalier, et redistribué les tâches afin d’éviter le surmenage du personnel soignant encore en poste, tout en assurant la continuité des soins VIH. En conséquence, s’ajoutent à la suspension des activités communautaires, des temps d’attente en salle de consultation rallongés, avec un impact direct sur la qualité globale de la prise en charge des patients.

La continuité du traitement à vie par antirétroviraux mise à mal

Dans huit des dix sites, tous les antirétroviraux restaient disponibles mais n’étaient plus délivrés pour une durée de six mois selon le calendrier habituel, mais seulement pour des périodes allant d’un à trois mois, ce qui a augmenté la fréquence des visites et la charge de travail pour les équipes comme pour les patientes et patients. Dans deux autres sites, des ruptures de stock déjà présentes avant les coupes budgétaires, persistaient et concernaient plusieurs antirétroviraux utilisés chez l’adulte.

Dans un centre, une situation particulièrement préoccupante et non éthique a été signalée : comme les contrats nationaux avec le plan PEPFAR imposent de garantir la continuité des soins à vie pour les personnes déjà sous traitement antirétroviral, les équipes ont eu pour instruction de prioriser ces malades en raison du risque de pénurie, et de ne pas commencer le traitement antirétroviral chez les adultes nouvellement diagnostiqués comme infectés par le VIH, contrairement aux recommandations universelles qui préconisent de tester et de traiter.

Cinq sites ont indiqué qu’il leur manquait des réactifs indispensables pour faire les tests de charge virale. Plusieurs sites ont reprogrammé les mesures de charge virale, alors que d’autres ont dû les faire réaliser par d’autres plateformes. Or, le suivi de la charge virale est un indicateur clé de la prise en charge du VIH : il permet de vérifier l’efficacité du traitement, de détecter les échecs thérapeutiques et de réduire le risque de transmission. Ces interruptions ou retards ont fragilisé le suivi clinique des patients les exposant à un risque accru de complications.

Trois sites ont rapporté une augmentation des interruptions de traitement ou des abandons de la part des patientes ou patients alors que deux sites n’ont pas constaté d’impact notable au moment de l’enquête.

Augmentation du stress et baisse de la satisfaction professionnelle

Ailleurs, les cliniciens ont observé une montée de l’anxiété des malades, liée à l’incertitude sur la disponibilité future des médicaments, de la frustration face aux examens retardés ou impossibles à réaliser, et la crainte que le traitement devienne moins efficace. Certains malades s’inquiètent de « ce qu’il adviendra si les financements américains s’arrêtent complètement ».

Dans les sites pédiatriques, les équipes rapportent un stress accru chez les enfants, lié notamment à l’arrêt de certaines activités récréatives qui jouaient un rôle important dans leur accompagnement.

Six sites sur dix rapportent un impact direct sur leurs équipes soignantes, avec un sentiment d’impuissance face aux restrictions, une baisse de la satisfaction professionnelle, et une augmentation du stress, notamment face à l’agressivité des malades dans ce contexte d’incertitude.

Et se profile un désengagement des pays donateurs au Fonds mondial de lutte contre le sida

Ces mesures documentent l’impact à court terme des réductions de financement dans un contexte géopolitique évolutif, et montrent que la dépendance aux financements extérieurs fragilise la continuité des soins.

D’autres pays, dont la France, ont déjà annoncé qu’ils allaient diminuer leur aide internationale, réduisant ainsi leurs engagements au profit du Fonds mondial de lutte contre le VIH.


À lire aussi : La France, championne de la lutte mondiale contre le VIH/sida ? Retour sur 40 ans de diplomatie face à la pandémie


Les conséquences à long terme pour les personnes vivant avec le VIH sont malheureusement déjà prévisibles, mais nous devrons les documenter en tenant compte de la résilience des systèmes de santé face à un tel événement.

The Conversation

Sophie Desmonde a reçu des financements de l'ANRS-MIE, Sidaction, et NICHD

Antoine Jaquet a reçu des financements de l'ANRS-MIE et des NIH.

Kiswend-Sida Thierry Tiendrebeogo a reçu des financements de l'ANRS-MIE.

Valériane Leroy a reçu des financements de l'ANRS-MIE, Expertise France, Sidaction, Europe-EDCTP, NICHD, UNITAID.

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