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10.12.2025 à 16:12

Face aux défaillances des marques, les groupes de « haters » organisent leur riposte en ligne

Virginie Uger Rodriguez, Maître de Conférences en marketing, Université d’Orléans

Pierre Buffaz, Professeur assistant en Sciences de Gestion, EDC Paris Business School

Sur les réseaux sociaux, les consommateurs déçus par une marque trouvent les outils pour exprimer leur colère. Des solutions existent pour les entreprises qui font face à ces groupes structurés.
Texte intégral (1122 mots)

Que disent les détracteurs d’une marque sur les réseaux ? Une nouvelle étude s’est penchée sur la dynamique des groupes de « haters » sur Facebook. En se fédérant, ces internautes engagés pallient certains manquements des marques qui les ont déçus.


D’ordinaire, les marques ont pour habitude de faire rêver ou d’être idéalisées par les consommateurs. Cependant, depuis quelques années, on note une aversion grandissante pour certaines d’entre elles. Aversion pouvant conduire jusqu’à la haine.

Avec 50,4 millions d’utilisateurs en France, les réseaux sociaux sont un terrain favorable à la propagation de cette haine.

Les consommateurs, fans de marques désireux de partager leurs créations, leur passion voire leur amour, n’hésitent pas à se regrouper au sein de communautés en ligne (groupes publics ou privés) hébergées sur ces réseaux.

Mais il est important de noter que les consommateurs ayant vécu une expérience négative avec une marque auront tendance à en parler plus ou à poster plus de commentaires négatifs que les consommateurs ayant vécu une expérience positive. Car il existe des communautés dont le point de convergence s’avère être la haine pour une marque donnée, notamment pour celles qui ne respectent pas le contrat de confiance établi avec les consommateurs : manquements ou défaillances dans les produits ou les prestations de services, retards de livraisons, vols annulés, pièces manquantes, airbags défectueux… Les marques concernées peuvent être issues de tous les secteurs d’activité. Les membres de ces communautés sont couramment appelés des haters, c’est-à-dire des détracteurs d’une marque.

Dans le cadre de nos travaux publiés dans Journal of Marketing Trends et présentés lors de conférences en France et à l’international, nous avons effectué une netnographie (analyse de données issues des médias sociaux, inspirée des techniques de l’ethnographie) au sein de deux communautés en ligne anti-marques (groupes Facebook). À noter que ces communautés étaient indépendantes des marques, ce qui signifie que celles-ci n’avaient aucune prise directe sur elles. Au total, ce sont plus de 1000 publications qui ont été collectées et analysées.

Une haine bien présente dans les discours des consommateurs

Plusieurs marqueurs permettent d’affirmer que les consommateurs au sein de ces groupes expriment leur haine de façon plus ou moins nuancée, allant d’une haine froide (peu vindicative) à une haine chaude (très virulente), par le vocabulaire utilisé, une ponctuation excessive, les émoticônes choisis…

La nature même des échanges peut être catégorisée selon quatre dimensions :

  • une dimension normative se référant aux comportements altruistes et d’entraide des membres pour pallier les défaillances des marques ;

  • une dimension cognitive exprimée à travers la sollicitation du groupe pour répondre à un besoin (question, problème rencontré, démarche à engager…) ;

  • une dimension affective comprenant l’expression des sentiments et des émotions des membres (déception, mécontentement, colère, dégoût, rage, haine) ;

  • et une dimension mixte relative aux discours mêlant des tons normatifs et affectifs.

La mise en place d’une structure organisationnelle et sociale

Les membres des groupes anti-marques s’organisent et se sentent investis de missions au travers des rôles qu’ils s’attribuent :

S’ils ont intégré ces groupes anti-marques, c’est que les consommateurs ont eu une expérience négative avec elles dans le passé ou bien, même s’ils ne sont pas consommateurs, qu’ils rejettent les valeurs qu’elles défendent ou représentent. En fonction de la marque et du caractère du fondateur de la communauté anti-marque, celle-ci est plus ou moins démocratique et tolère plus ou moins les discours antagonistes à la haine anti-marque.

À chaque niveau de haine sa réponse

Les manifestations de la haine au sein des communautés étudiées peuvent être catégorisées ainsi :

Pour pallier les défaillances de la marque, les consommateurs ont tendance à s’entraider au sein de la communauté en ligne anti-marque. Ils se partagent des informations et des bons plans. Ils s’apportent mutuellement du soutien tout en se servant de la communauté comme d’un exutoire. Globalement, les consommateurs réparent ou « bouchent les trous » que la marque aurait dû prendre en charge dans son contrat de confiance.

Quelles réponses apporter aux « haters » ?

Les communautés anti-marques peuvent avoir un potentiel de nuisance important se traduisant, entre autres, par une perte de clients et de fait une diminution du chiffre d’affaires.

Voici quelques pistes pour contenir la haine exprimée par certains consommateurs voire tenter de l’enrayer au sein de ces communautés :

  • une stratégie offensive avec une réponse directe à la communauté et à ses membres lorsque la marque est attaquée directement sur ses réseaux, en apportant des réponses oscillant entre le mea culpa, à travers une « publicité reconnaissant la haine », l’humour et l’entrée en dialogue avec les détracteurs ;

  • ou une stratégie défensive visant à identifier les communautés en ligne anti-marques, à surveiller leur activité, à comprendre leurs critiques et à mettre en œuvre des mesures correctives et/ou instaurer un dialogue.

Que les revendications des haters à l’égard des marques soient légitimes ou non, elles permettent de révéler des défaillances de marques parfois dramatiques voire illégales pouvant faire intervenir, en réaction, les pouvoirs publics.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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10.12.2025 à 16:12

Pour promouvoir la parité dans les cursus d’ingénieurs, la piste d’un concours spécifique

Diana Griffoulieres, Responsable d'ingénierie pédagogique numérique, EPF

Emmanuel Duflos, Professeur des universités et directeur de l'EPF École d'ingénieur-e-s, EPF

Liliane Dorveaux, PhD Mathématiques Appliquées,Chargée de Projet, EPF

En repensant les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs, peut-on encourager davantage de filles à candidater ? Une expérience menée par l’EPF École d’ingénieurs.
Texte intégral (2071 mots)

Les concours d’accès aux écoles d’ingénieurs sont-ils pensés pour encourager la parité ? Une école tente depuis la rentrée 2025 de repenser ses voies de recrutement pour obtenir davantage de filles dans ses effectifs. Un dispositif trop récent pour en tirer des conclusions définitives mais qui apporte déjà des enseignements intéressants.


La sous-représentation des femmes en ingénierie s’explique en partie par des biais implicites de genre présents dans les processus de sélection académiques et professionnels dont la part de femmes plafonne juste en dessous du tiers des effectifs en cycle ingénieur où le taux reste autour de 29,6 %. Dans un contexte compétitif, les candidates tendent à être désavantagées, non pas en raison de compétences moindres, mais en raison de dynamiques compétitives et de stéréotypes de genre, influençant à la baisse leurs résultats.

L’un des phénomènes en jeu est le « risque du stéréotype » : la peur de confirmer un stéréotype négatif peut affecter les performances cognitives, notamment la mémoire de travail, réduisant ainsi les résultats des femmes lors d’épreuves exigeantes, même si elles réussissent mieux en dehors de ce contexte. Les différences de performances observées entre hommes et femmes dans les environnements compétitifs ne sont pas liées à des différences biologiques, mais à des attentes genrées et à des stéréotypes.

De nombreuses références bibliographiques décrivent comment les structures patriarcales favorisent les parcours masculins en valorisant les normes de compétition, notamment l’affirmation de soi et l’assurance, traits socialement encouragés chez les hommes mais souvent perçus comme inappropriés chez les femmes. Schmader, en 2022, a précisé l’impact des biais culturels et l’influence de l’environnement dans la limitation du choix des jeunes femmes pour les carrières scientifiques et techniques, malgré leur intérêt potentiel.

Dans une vision d’impact sociétal, l’EPF École d’ingénieurs (ex-École polytechnique féminine), l’une des premières grandes écoles en France à avoir formé des femmes au métier d’ingénieure, a créé le dispositif « ParityLab », un concept pensé pour attirer via des actions à court et moyen termes davantage de jeunes femmes vers les écoles d’ingénieurs.

Cette initiative s’appuie notamment sur les résultats de la grande enquête nationale « Stéréotypes et inégalités de genre dans les filières scientifiques », menée par l’association Elles bougent, en 2024, auprès de 6 125 femmes. Elle met en lumière les freins rencontrés par les filles dans les parcours scientifiques et techniques : 82 % déclarent avoir été confrontées à des stéréotypes de genre, et plus de la moitié disent souffrir du syndrome de l’imposteur – un obstacle à leur progression dans des environnements compétitifs. L’enquête Genderscan confirme ces constats, en se focalisant sur les étudiantes.

Une voie d’accès alternative

Le dispositif ParityLab a été conçu en réponse à ces enquêtes et aux biais de genre dans l’accessibilité des filles aux filières scientifiques et techniques, afin de minimiser ces biais et de valoriser leurs compétences tout au long de leur formation. Il se compose de deux parties : un concours d’accès alternatif via Parcoursup, réservé exclusivement aux femmes (validé par la direction des affaires juridiques de l’enseignement supérieur) et un parcours de formation spécifique d’insertion professionnelle consacré aux femmes, qui est proposé depuis cette rentrée aux candidates retenues.

Un panel diversifié de 40 jurés a été constitué pour assurer le processus de sélection. Parmi eux, 26 provenaient du monde de l’entreprise et 14 du corps enseignant et des collaborateurs de l’école. Pour sensibiliser tous les membres du jury sur l’importance de faire une évaluation plus inclusive, un atelier de sensibilisation aux stéréotypes de genre leur a été dispensé.

Afin de faire une évaluation plus enrichie et équilibrée des candidates, les jurés ont travaillé en binôme pendant les sessions de sélection reposant sur une étude de dossier scolaire, une mise en situation collective et un échange individuel. Le binôme était constitué d’un représentant de l’industrie et d’un représentant de l’école afin d’enrichir l’analyse des candidatures par leurs regards croisés multidimensionnels et réduire les biais.

L’épreuve collective a permis via une problématique liée à l’ingénierie fondée sur des documents, d’évaluer la créativité, le leadership ou la capacité d’exécution sans toutefois aborder les connaissances disciplinaires. L’entretien individuel, quant à lui, repose sur un échange librement choisi par la candidate (engagement associatif, sport, intérêt sur un sujet scientifique ou non), visant à révéler sa personnalité et ses aptitudes à communiquer.

Premier bilan du concours

Afin d’évaluer le dispositif mis en place, une enquête a été conçue pour collecter les retours des membres du jury et des candidates sélectionnées à travers deux questionnaires différents. De plus, un retour d’expérience a été demandé à certains membres du jury afin de collecter des données qualitatives sur leur expérience.

Les réponses des candidates ont été recueillies par un questionnaire rempli par 23 candidates sélectionnées sur 35 possibles (65,7 %). Il était composé de 14 questions fermées, utilisant une échelle de Likert à cinq niveaux, et neuf questions ouvertes. Il avait pour objectif de comprendre les motivations des candidates à passer le concours, d’identifier les obstacles ou les découragements qui ont pu freiner leur intérêt pour les sciences et les actions qui pourront encourager davantage de jeunes filles à s’orienter vers les filières scientifiques et technologiques.

L’analyse des réponses montre que 56 % des répondantes doutaient de leurs capacités et 22 % se déclaraient neutres sur ce point. La peur d’être isolée dans la classe est moins marquée, seules 30 % des candidates se sentant concernées. Les réponses sur les préjugés sexistes sont mitigées, 30 % des candidates ont déclaré avoir entendu des commentaires décourageants, 26 % se sont déclarées neutres et 43 % ont affirmé ne pas avoir été confrontées à ce type de remarques.

Quand il leur a ensuite été demandé d’imaginer ce qui pouvait encourager d’autres filles à s’orienter vers les filières scientifiques, les répondantes placent en tête de leurs réponses l’existence de modèles féminins inspirants, une meilleure promotion des métiers liés à l’ingénierie et la déconstruction des stéréotypes de genre dès l’enfance.

Une dynamique encourageante

Le concours a permis de renforcer significativement la présence des femmes dans la formation scientifique généraliste de l’EPF École d’ingénieurs en 2025. Sur les 50 places ouvertes cette année, 35 ont été pourvues, avec un taux de sélection de 32 % parmi les 108 candidates. Une critique fréquente à l’égard de ce type de dispositif est la peur d’une réduction des places pour les hommes, relevant d’une vision « à somme nulle ». Ici, les places créées pour cette nouvelle voie s’ajoutent à l’existant et aucun quota n’est prélevé sur les admissions classiques.

Ces chiffres s’inscrivent dans une dynamique positive et encourageante. Une progression remarquable des néo-bachelières recrutées de + 11,5 % de jeunes femmes en première année du cycle ingénieur.

Il est à noter que la voie d’accès classique affiche elle aussi des résultats en progrès en matière de parité avec une augmentation du nombre de jeunes femmes de + 5 %, probablement en lien avec différentes stratégies internes et externes de lutte contre les biais de genre.

Les étudiantes du ParityLab suivent le même programme académique que les autres élèves de la formation généraliste de première année. En revanche, elles bénéficient (en plus) de modules ciblés sur les questions de stéréotypes et soft skills. Cette première cohorte devient un terrain d’étude pertinent pour mieux comprendre les freins à l’orientation vers ces filières encore majoritairement masculines.

Obtenir un échantillon plus large

La mise en place du concours a été l’objet d’une réflexion approfondie sur la mise en œuvre d’un processus de sélection équitable. Des actions de sensibilisation destinées aux membres des jurys, afin de réduire les biais liés aux stéréotypes de genre et d’évaluer les compétences transversales sans mettre en avant les compétences disciplinaires des candidates, ont été mises en place. Les retours sur l’atelier collectif ont été perçus positivement par les jurys et par les candidates. Cependant des pistes d’améliorations (logistique, gestion de temps) sont envisagées pour la prochaine session.

ParityLab constitue un dispositif qui pourra être transférable à d’autres écoles d’ingénieurs qui souhaitent renforcer la représentation des femmes dans leurs programmes. Les recherches futures pourraient aborder les mêmes problématiques avec un échantillon plus large pour confirmer les résultats obtenus dans cette étude, et mesurer son impact sociétal.

The Conversation

Diana Griffoulières es docteure en Sciences de l’éducation et elearning. Elle mène des travaux de recherche appliquée en éducation et est responsable de l’ingénierie pédagogique numérique à l'EPF Ecole d'Ingénieurs. Diana Griffoulières ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article.

Emmanuel Duflos est membre de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs. Il en est le Président actuel. La CDEFI est une conférence inscrite dans le code de l'éducation qui a vocation à représenter les écoles d'ingénieurs auprès de l'Etat. La CDEFI est engagée depuis de nombreuses années dans des actions dont l'objectif est de promouvoir les formations d'ingénieurs auprès des femmes. Emmanuel Duflos est aussi le directeur général de la Fondation EPF, reconnue d'utilité publique (FRUP), qui a pour mission de concourir à la formation des femmes en sciences et technologies. La Fondation EPF porte l'école d'ingénieurs EPF dont il est également le directeur général. La Fondation EPF et l'EPF sont à l'origine de l'expérimentation à l'origine de cet publication. En tant que FRUP, la Fondation EPF partage son savoir et son savoir-faire sur le projet ParityLab qui concoure à sa mission.

Liliane Dorveaux est co-fondatrice et Vice Présidente de WOMENVAI , ONG ayant le statut ECOSOC à l'ONU. Liliane DORVEAUX ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article.

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10.12.2025 à 16:11

Les liens de la pensée de Nick Land avec le (néo)nazisme

Arnaud Borremans, Chercheur associé à l'Institut de recherche Montesquieu (IRM), Université Bordeaux Montaigne

Peu connu mais influent dans les cercles intellectuels d’ultradroite, Nick Land a parsemé son œuvre de références explicites au nazisme.
Texte intégral (3254 mots)
Illustration évoquant l’« Ordre des neuf angles » sur le site du Terrorisme Research & Analyzis Consortium (TRAC). Trackingterrorism.org

Cette seconde analyse de l’œuvre de Nick Land, philosophe contemporain dont l’impact est réel sur une partie au moins du mouvement MAGA aux États-Unis et sur de nombreux groupuscules d’ultradroite dans le monde, met en évidence le rapport complexe que l’idéologue des « Lumières sombres » entretient avec le nazisme himmlérien et avec les organisations qui, aujourd’hui encore, s’y réfèrent.


Comme souligné par Philosophie Magazine et évoqué dans notre article précédent sur Nick Land, des connexions existent entre la pensée de ce philosophe britannique – père du concept de « Lumières sombres » en vogue dans une partie du mouvement MAGA autour de Donald Trump – et certains éléments du néonazisme.

Au-delà des liens les plus apparents des Lumières sombres avec le racisme et l’autoritarisme, d’autres éléments troublants semblent attester d’une certaine proximité entre la pensée landienne et l’idéologie nazie ou ses différentes évolutions post-1945.

À quel point le fond de la pensée de Land – et donc de celle de ses fidèles qui murmurent à l’oreille de Donald Trump – s’enracine-t-il dans l’idéologie du IIIe Reich ?

Des loups-garous et du Soleil noir

Dans son essai Spirit and Teeth (1993), Land emploie le terme de « loups-garous » pour qualifier la filiation philosophique dont il se réclame lui-même. Il décrit cet héritage comme celui des penseurs qui ont rejeté à la fois la logique platonicienne et la morale judéo-chrétienne, leur préférant une approche immanentiste, reconnaissant une valeur aux instincts animaux et admettant l’absurdité de rechercher une quelconque vérité objective. Parmi lesdits penseurs, il inclut Friedrich Nietzsche et Emil Cioran, c’est-à-dire un philosophe largement récupéré par les nazis et un intellectuel affilié au mouvement fasciste dans son pays, la Roumanie.

De plus, ce terme de « loups-garous » fait écho à la tentative des nazis, alors que les armées alliées et soviétiques rentraient en Allemagne, de constituer des unités de partisans dits « loups-garous » (Werwolf), censés repousser les envahisseurs et exécuter les traîtres.

Les renvois implicites vers le souvenir du IIIe Reich par ce choix de mot est déjà intrigant de la part de Land. Cependant, il ne s’en est pas tenu là. Il a aussi mobilisé la notion de « Soleil noir » pour un article en ligne censément dédié à l’œuvre du philosophe français Georges Bataille. Or, une recherche amène à retrouver les termes précis de Bataille : il n’a jamais traité d’un « Soleil noir » mais d’un « Soleil pourri ». Cette substitution d’expressions par Land pose question : s’agit-il d’une erreur grossière de sa part ou d’un « dog whistle » (« sifflet à chien », c’est-à-dire un message discret destiné à mobiliser les franges les plus radicales de ses sympathisants) ?

En effet, il est troublant de relever que le Soleil noir est un symbole retrouvé dans le château de Wewelsburg où siégeait Heinrich Himmler, chef de la Schutzstaffel (SS), principale milice du régime nazi. Le Soleil noir fut nommé ainsi après guerre par l’ex-officier SS Wilhelm Landig, comme démontré par l’historien Nicholas Goodrick-Clarke.

Soleil noir tracé au sol du château de Wewelsburg. Dirk Vorderstraße/Wikipedia, CC BY-ND

Ledit Landig a constitué dans les années 1950 un groupe occultiste à Vienne et a propagé avec ses affiliés un narratif autour du Soleil noir, présentant les nazis en perpétuateurs d’une tradition initiatique plurimillénaire et réaffirmant la justesse de leurs thèses racistes et eugénistes. De plus, ils affirmaient que des colonies nazies survivaient en Antarctique et allaient un jour reprendre le contrôle du monde à l’aide d’armes miracles, notamment de soucoupes volantes.

Aussi surprenantes ces correspondances soient-elles, elles ne prouvent rien en soi ; il peut s’agit uniquement de bévues de Land qui aurait mal anticipé les associations d’idées induites par ses mots. Cependant, ce ne sont pas les seuls éléments qui étayent que Land aurait le (néo)nazisme comme référence implicite.

Des liens de Land avec l’Ordre des neuf angles

L’Ordre des neuf angles (O9A) est une mouvance néonazie, occultiste et sataniste théiste, apparue en Angleterre à la fin des années 1960. Au-delà de son magma idéologique, elle est connue pour comprendre en son sein plusieurs organisations effectives, notamment la Division Atomwaffen et Tempel ov Blood aux États-Unis, Sonnenkrieg au Royaume-Uni, ou encore le groupe 764 au niveau mondial. Ces organisations sont traquées par plusieurs services de police, dont le FBI, pour des faits criminels de droit commun et même quelques attentats terroristes.

Or, Land a exprimé sa solidarité à leur égard sur un blog nommé Occult Xenosystems, maintenant fermé, et dont il est acquis par des indiscrétions d’utilisateurs sur une autre page qu’il en était bien l’administrateur.

Land y louait l’O9A pour la qualité de sa production intellectuelle, notamment celle de David Myatt (réputé comme le fondateur de l’O9A, derrière le pseudonyme d’Anton Long). Tout en faisant mine de s’en distinguer – il écrit notamment « le peu que j’ai appris sur David Myatt ne m’a pas attiré vers lui en tant que penseur ou activiste politique, malgré certaines caractéristiques impressionnantes (notamment son intelligence et son classicisme polyglotte) » –, il garde le silence sur le caractère antisocial et criminel du mouvement.

Une autre anecdote relance les spéculations sur l’investissement réel de Land auprès de l’O9A. Le journaliste britannique Tony Gosling a révélé à la radio, en 2022, qu’il avait connu Land au lycée. Selon lui, outre que Land serait le fils d’un cadre de la société pétrolière Shell ayant travaillé en Afrique du Sud (ce qui pourrait expliquer sa sympathie pour le capitalisme et le ségrégationnisme réaffirmée dans Les Lumières sombres), il aurait eu comme surnom, sans que Gosling ne fournisse de raisons objectives pour pareil sobriquet, « Nick the Nazi ».

Gosling sous-entend que ce surnom renvoyait bien à la sensibilité politique que ses camarades de classe imputaient à Land. Selon lui, Land avait surpris tout le monde lorsqu’il déclara, en 1978, qu’il avait pris la décision de devenir « communiste ». Sans présupposer de sa véracité, cette histoire intrigue parce qu’elle rappelle une stratégie assumée de l’O9A : l’infiltration et le noyautage d’autres organisations pour leur voler des ressources (idées, matériels, argent, recrues) et aussi pour leur nuire de l’intérieur, notamment en leur faisant commettre des erreurs.

Dès lors, une question se pose : Land aurait-il toujours été un militant de l’O9A qui aurait infiltré le CCRU, milieu de gauche, pour lui faire promouvoir l’accélérationnisme avec l’arrière-pensée que ce concept servait les intérêts de sa cause véritable, le néonazisme satanique ?

La piste de Miguel Serrano et du Black Order comme précurseurs de l’hyperstition

Parmi les organisations affiliées à l’O9A, une retient particulièrement l’attention : le Black Order qui couvre la zone Pacifique, notamment les Amériques du Nord et du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Outre son emploi assumé de la violence qui a déjà entraîné la commission d’attentats comme l’attentat de Christchurch en mars 2019 et son nom qui rend hommage explicitement au premier cercle d’Himmler, il apparaît que le fondateur du Black Order est un personnage clé reliant plusieurs protagonistes de ce sujet.

En effet, selon les historiens Nicholas Goodrick-Clarke et Jacob C. Senholt, Kerry Bolton est le distributeur international des ouvrages d’Anton Long, le chef de l’O9A dont Bolton serait par ailleurs un adepte. De plus, Bolton est aussi un associé de l’idéologue russe Alexandre Douguine qui échange directement et même publiquement avec Land. Il apparaît donc évident que si Land a un lien structurel avec l’O9A, celui-ci passe par le Black Order de manière privilégiée.

Une autre corrélation laisse songeur et laisse accroire à une causalité. L’un des fondateurs du Black Order fut Miguel Serrano (1917-2009), ancien diplomate chilien et sympathisant des nazis. Après la Seconde Guerre mondiale, Serrano sera connu comme auteur relayant dans ses ouvrages un narratif similaire à celui du groupe de Landig. Il ajoutait qu’Hitler ne serait pas mort à la fin de la guerre et qu’il reviendrait victorieux de sa base secrète en Antarctique, aidé de troupes de surhommes aryens armés d’artefacts magiques pour conquérir le monde.

Cette dimension eschatologique joue sur une figure du héros en sommeil, comme le roi Arthur ou le roi Sébastien au Portugal. Cette considération amène à se demander si Serrano a propagé ce narratif parce qu’il y croyait sincèrement ou parce que, fasciné par les travaux de Carl Jung sur l’inconscient collectif, il aurait essayé par ce biais d’influencer les esprits et de préparer le terrain mental à un retour du nazisme.

Cette démarche consistant à répandre avec force une idée, en la rendant séduisante autant que possible et en espérant qu’elle altère la réalité dans une certaine mesure, rappelle l’hyperstition de Land. Que Land ait eu l’entreprise de Serrano comme modèle inavoué (et inavouable) ne serait pas absurde, Jung étant une référence assumée par Land également depuis le CCRU.

Plus troublant, Land partage avec Serrano son attachement à une forme d’immanentisme et donc de néopaganisme, si bien qu’ils ont tous les deux refusé l’étiquette de sataniste. Land a ainsi déclaré, en réaction à une vidéo du polémiste états-unien Tucker Carlson, qu’il ne se considérait pas comme sataniste, du moins au sens théiste du terme. De son côté, Serrano a employé l’adjectif « sataniste » pour dénigrer les Juifs.

De la place de Land et de ses fidèles au sein de la mouvance néonazie

Néanmoins, aussi convaincants soient ces éléments, est-ce suffisant pour considérer la pensée politique de Land comme une sous-composante du (néo)nazisme, ou comme une branche distincte mais apparentée parmi les mouvements illibéraux ?

Tout le problème est que Land a lui-même entretenu l’ambiguïté sur des aspects cruciaux de son positionnement idéologique qui pourraient le rapprocher du nazisme. Ainsi, il s’est revendiqué « hyperraciste ». Or des divergences persistent sur le sens du terme : certains le comprennent comme un constat transhumaniste sur le fossé que les améliorations technologiques de l’humain vont creuser entre les élites, qui y auront accès, et le reste de la population ; d’autres y entendent une accentuation des « traits raciaux » par choix politique, ou du moins une accentuation de la ségrégation raciale via la technologie. À la lecture de l’article d’origine par Land, il semble concilier les trois interprétations en même temps.

Pareillement, sa complicité avec Alexandre Douguine pose question : si Land est vraiment un sympathisant inavoué du néonazisme, comment expliquer son dialogue continu jusqu’à cette fin d’année 2025 avec Douguine ? Il y fait mention durant son intervention dans l’émission The Dangerous Maybe d’octobre 2025. En effet, Douguine se définit comme un eurasiste et s’oppose donc à la fois à l’atlantisme anglo-américain et à la figure mythifiée de l’ennemi nazi. Une hypothèse est que leur perspective occultiste partagée les amène à considérer leurs camps comme deux forces antagonistes mais complémentaires, en termes métaphysiques. Cette hypothèse semble étayée par Land lui-même qui l’a mentionnée brièvement, en disant que Douguine voyait en lui un sataniste mais aussi un gnostique comme lui-même, contribuant à la même œuvre mais depuis l’autre bord.

En tout cas, l’influence en retour de Land sur les dernières générations de néonazis est dorénavant indéniable. Comme décrit par l’éditorialiste Rachel Adjogah, il existe une frange du mouvement néonazi qui se réclame fièrement de l’accélérationnisme landien, notamment en recourant à – ou même en créant – des cryptomonnaies et, surtout, en développant des chatbots romantiques tels que « Naifu », clairement biaisés pour relayer des théories du complot antigouvernementales : l’IA et la relation parasociale sont ainsi mises au service de la propagande néonazie.

Qui plus est, lesdits néonazis sont ostensiblement d’inspiration himmlérienne : ils ont repris le Soleil noir à leur compte et s’intéressent à l’occultisme, quitte à se revendiquer, en plus, du thélémisme, la religion créée par l’occultiste anglais Aleister Crowley, lui-même référence pour Land.

The Conversation

Arnaud Borremans ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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