03.06.2025 à 16:33
Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de Lorraine
Catastrophe humanitaire à Gaza, plus de 50 000 morts palestiniens, accusations de génocide, d’épuration ethnique et de crimes contre l’humanité, violences policières à l’égard des manifestants pro-paix… Tout cela a provoqué dernièrement des menaces de sanctions à l’encontre d’Israël de la part de ses alliés occidentaux, dont la France, le Royaume-Uni et le Canada, et l’évocation d’un réexamen des accords liant l’UE à Tel-Aviv. Le soutien international à l’État hébreu, qui reste souvent qualifié de « seule démocratie du Moyen-Orient », vacille. Alors que Juifs et Palestiniens paient le prix de l’impasse politique, la question s’impose : peut-on toujours parler de démocratie à propos d’Israël ?
Quelles sont les conditions qui déterminent si un pays est, ou non, démocratique ? La réponse semble consensuelle : l’équilibre des pouvoirs ; la tenue d’élections périodiques et concurrentielles ; le pluralisme politique ; la reconnaissance de garanties du respect des droits fondamentaux des citoyens. L’égalité formelle est un prérequis (le vote), mais elle devrait s’accompagner de la protection des minorités pour éviter le règne de la majorité, l’aspiration à l’égalité matérielle et enfin les efforts coordonnés allant dans le sens de l’égalité épistémologique, assurant l’accès à l’information de qualité à tous.
La Déclaration d’indépendance de 1948, document fondateur d’Israël, vise un idéal démocratique. Elle établit « l’État juif dans le pays d’Israël » qui « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ». Tous ces éléments sont en partie suffisants pour affirmer qu’Israël est une démocratie.
Toutefois, compte tenu de la résurgence sur la scène politique israélienne des idées qui prônent l’établissement d’un État religieux, la Knesset (le Parlement israélien) a décidé en 1985 d’ajouter quelques articles plus explicites à la série de « Lois fondamentales » qui font office de Constitution.
Par exemple, un des amendements affirme que les candidats ne peuvent pas participer aux élections à la Knesset si le programme qu’ils défendent contient « la négation de l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, l’incitation au racisme ou le soutien à la lutte armée d’un État hostile ou d’une organisation terroriste contre l’État d’Israël ».
Or depuis l’instauration de l’actuel gouvernement en décembre 2022, au moins un, voire deux ministres – Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich – défendent des opinions ouvertement contraires à l’idée d’Israël en tant qu’État démocratique. Ils tiennent des propos très clairement racistes à l’égard des Palestiniens et s’opposent à l’égalité des droits sociaux et politiques entre les citoyens.
La démocratie moderne est fondée sur l’idée que les hiérarchies entre les individus introduites par des siècles de représentations conjoncturelles concernant la place des humains dans leur communauté sont injustifiées. Elle se comprend d’abord en pensant aux citoyens d’un pays, mais l’idée de l’universalité des droits humains s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1948 avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce souci démocratique et juridique pour les individus transparaît aussi dans les Conventions de Genève, documents qui fondent le droit humanitaire international. Or les actions militaires menées à Gaza contreviennent clairement à ces principes.
L’armée israélienne ignore la notion de « personnes protégées », qui désigne les civils, lesquels ne devraient pas être privés des moyens de subsistance nécessaires, y compris de l’accès à la nourriture. Le droit international humanitaire interdit expressément d’utiliser la famine comme une arme de guerre.
Or Israël, dans sa guerre contre le Hamas, suspend régulièrement l’approvisionnement alimentaire dans la bande de Gaza, ce qui engendre un risque critique de famine. Le ministre de la défense Israel Katz a affirmé le 16 avril 2025 que l’aide humanitaire ne pourra pas entrer dans la bande de Gaza « jusqu’à ce qu’un mécanisme civil soit mis en place pour contourner le contrôle des approvisionnements par le Hamas ». Depuis, plusieurs organisations sur place dénoncent une situation humanitaire catastrophique. Le journal israélien Haaretz arbore un titre sans ambiguïté : « Les gens mangent de l’herbe ».
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Les déplacements forcés annoncés depuis quelques mois sont, eux aussi, contraires au droit humanitaire.
Les pressions internationales et la dénonciation de ces contradictions semblent toutefois porter leurs fruits, au moins partiellement. Le 19 mai, le cabinet de sécurité a décidé de laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, malgré les protestations d’Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale. Mais le général responsable des « actions sur les territoires » Ghassan Alian a prévenu que la nourriture cessera bientôt d’être disponible à Gaza, ce qui témoigne mieux de la réalité du terrain que les déclarations optimistes du gouvernement israélien.
Le consensus semble être le suivant : le retour des opérations militaires (Chariots de Gédéon, opération qui vise à détruire les infrastructures administratives du Hamas et se présente comme préparant à un accord imminent) serait moralement justifié s’il est accompagné de l’aide humanitaire. Il n’en demeure pas moins que, en tout état de cause, plus de 50 000 Palestiniens auraient déjà perdu la vie, et l’ensemble de la population de Gaza restera traumatisée pour des décennies à venir par ses blessures physiques et psychiques. Les amputations sont plus nombreuses chez les enfants de Gaza que nulle part ailleurs dans le monde, selon The Guardian.
Côté israélien, les familles des otages constatent une fois de plus que la vie des dizaines de leurs proches maintenus à Gaza n’est qu’une des variables de l’opération israélienne – et font ce qu’elles peuvent pour s’opposer à cette approche du gouvernement Nétanyahou.
La société civile en Israël continue à se mobiliser, et le traitement de ces mobilisations est l’un des indices de la santé de la vie démocratique. C’est contre cette reprise des combats que protestaient, le 18 mai 2025, des centaines d’activistes et de membres des familles des otages détenus à Gaza depuis 602 jours au moment de l’écriture de ce texte. La manifestation avait lieu le lendemain du lancement de l’opération militaire « Chariots de Gédéon ».
Le 16 mai 2025, Alon-Lee Green, le co-leader (avec Rula Daood) national du mouvement Standing Together, déclarait dans son appel à manifester qu’il était « interdit de fermer les yeux, interdit de rester indifférent » face aux actions du gouvernement qui visent les citoyens et les enfants de Gaza, ainsi que les otages. Les manifestations à la frontière de Gaza – « pour arrêter les massacres, la famine et pour faire revenir les otages » – continuent. Une deuxième a eu lieu le 23 mai, et une troisième est prévue pour les 4-6 juin. Et cela malgré les violences policières et les arrestations, dont celle d’Alon-Lee Green, des participants aux manifestations.
Le combat de Standing Together se caractérise précisément par la volonté suivante : montrer à la société israélienne que ce ne sont pas les lignes de division religieuses ou ethniques qui devraient être déterminantes pour elle. Selon le mouvement, les plus grandes difficultés des habitants de la région sont des conséquences des politiques d’exclusion néolibérales associées à une conception militarisée de l’État du gouvernement actuel, et d’une certaine droite de façon plus générale. Standing Together soutient aussi les manifestants anti-Hamas à Gaza, qui savent qu’ils risquent leur vie et qui pourtant, depuis des mois, s’opposent au régime meurtrier et totalitaire du Hamas.
Dans le récit populiste déployé par le gouvernement Nétanyahou repose sur des fantasmes nationalistes imaginés à partir d’une certaine vision de l’histoire analysée par le politiste Dani Filc, où une opposition est créée entre, d’un côté, les « vrais » Juifs et, de l’autre, les traîtres. Ce populisme est politiquement soutenu par l’extrême droite, particulièrement présente parmi les colons installés en Cisjordanie.
La façon de faire de la politique de ces colons n’a rien de démocratique ; elle s’apparente plutôt à un « fascisme clérical », caractérisé par l’union des objectifs religieux et nationaux. Ce fascisme n’a rien d’égalitaire, et s’accommode très bien de rapports de domination socio-économiques de plus en plus tendus. Le fascisme se nourrit du sentiment d’injustice, mais prétend ensuite donner sa propre justification insensée des nouvelles injustices qu’il crée ou qu’il fortifie.
Dans une conversation plus récente toutefois, Dani Filc nuance son récit : le Likoud, après le 7 octobre 2023, quitte progressivement ce terrain populiste pour épouser la rhétorique fasciste. Noa Shpigel l’a noté dans un texte publié par Haaretz, où elle cite Liran Harsgor, de l’École de sciences politiques de l’Université de Haïfa. Pour Harsgor, « les frontières idéologiques et rhétoriques entre le Likoud et Otzma Yehudit (mouvement d’extrême droite d’Itamar Ben Gvir) se sont considérablement estompées ces dernières années ». Toutefois, ce phénomène n’est pas propre à Israël : face à la montée en puissance de mouvements d’extrême droite, les partis de droite classiques adoptent également des positions plus extrêmes.
La direction exclusionnaire est soutenue en même temps par le populisme de droite de Nétanyahou et par les positions anti-démocratiques et pro-militaires de mouvements fascisants tels que Otzma Yehudit. Elle a été symboliquement annoncée en 2018, avec une nouvelle loi à valeur fondamentale, la « Loi Israël, État-nation du peuple juif ». Contrairement à la Déclaration de l’indépendance de 1948, le texte de 2018 ne fait aucune référence à l’égalité, et déclasse la langue arabe, qui jusqu’alors était l’une des deux langues officielles de l’État.
L’Europe doit aider les mouvements, les personnes, les partis et les institutions en Israël et en Palestine qui sont conformes aux valeurs de l’Union européenne, conformes aux exigences de la démocratie au sens fort, qui inclut le respect du pluralisme et des droits humains, et non seulement au sens du règne de la majorité. La tragédie de Gaza doit conduire à l’autodétermination des peuples sur place, donc le plus probablement à deux États. Comme il existe de nombreux pays qui ne possèdent pas d’armées, une telle restriction peut également concerner la Palestine, ce qui fait disparaître l’un des arguments clés contre l’établissement de ce pays. Le Canada, le Royaume-Uni et la France ont déjà fait un pas important dans ce sens, avec une déclaration commune :
« Nous sommes déterminés à reconnaître un État palestinien dans le cadre de la recherche d’une solution à deux États et sommes prêts à collaborer avec d’autres parties à cette fin. »
La démocratie israélienne se défend, comme en témoignaient quasiment tout au long de l’année 2023 des manifestations contre la réforme visant à limiter le pouvoir, et donc l’indépendance, du judiciaire.
Depuis le 7 Octobre, le sentiment d’une menace existentielle a certes modifié la hiérarchie des luttes, et la première semble être celle pour la libération des otages. Mais ce qui est rejeté aujourd’hui, à savoir la politique autoritaire et de conquête, est mené par ce même gouvernement qui a essayé d’introduire des réformes judiciaires qualifiées d’antidémocratiques.
Ce qui manque dans ces revendications est sans doute l’exigence de la fin de l’occupation de la Cisjordanie. S’ajoute au malaise des observateurs un sondage récent montrant qu’en mai 2025, « 82 % des personnes interrogées étaient favorables à l’expulsion des habitants de Gaza, tandis que 56 % étaient favorables à l’expulsion des citoyens palestiniens d’Israël ». L’augmentation de positions aussi hostiles est en grande partie circonstancielle, due à la propagande jouant avec le mythe biblique d’Amalek, l’ennemi ultime à faire disparaître. Le besoin d’une autre façon de penser la politique est urgent.
Aujourd’hui, la ligne de division la plus importante telle qu’elle est perçue par les sondages n’est pas entre les Juifs et les citoyens palestiniens d’Israël, mais entre la gauche et la droite. Toutefois, même si les questions ethniques sont importantes dans les considérations derrière cette polarisation, on peut espérer qu’elle signifie plutôt le retour à la politique dans les débats publics, plutôt qu’à des considérations purement identitaires.
Anna C. Zielinska fait partie des "Friends of Standing Together", mouvement cité dans l'article.
03.06.2025 à 16:33
Stéphane Lamaire, Professeur associé au CNAM en droit du travail, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Depuis un demi-siècle, les textes se succèdent pour aboutir à la parité de rémunération entre les hommes et les femmes. Des écarts non explicables subsistent. Comment expliquer le maintien de cette différence de traitement ? La mise en place de la transparence des salaires aboutira-t-elle enfin à l’égalité ? Ou les entreprises, dans leur ensemble, trouveront-elles des moyens de perpétuer un traitement injuste ?
Déclarée « grande cause nationale » du quinquennat par le président de la République (discours du président de la République du 25 novembre 2017), l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes s’escrime à sa réalisation. En effet, la loi n°72-1143 du 22 décembre 1972 a consacré « l’égalite de rémunération entre les hommes et les femmes ». Or, depuis plus d’un demi-siècle, une douzaine de lois a redoublé d’efforts sans parvenir à la réalisation de cet objectif d’intérêt public dont la réalisation dépend désormais de la négociation collective d’entreprise (ou de branche professionnelle).
À ce titre, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 a soumis les entreprises à une obligation de négocier sur ce sujet assorti d’une nécessité de résultat sous menace de sanction pécuniaire en cas d’échec. Elle a notamment créé l’index de l’égalité salariale femmes-hommes par entreprise dont les conclusions sont désormais publiques et par conséquent connues de tous. Toutefois, si les résultats de cette démarche gouvernementale sont plutôt positifs, ils ne correspondent pas avec la réalité d’une inégalité persistante dans le domaine.
En effet, l’Insee (Insee Focus-no 349 du 4 mars 2025) précise qu’en 2023, le salaire moyen des femmes dans le secteur privé (21 340 € net par an) est de 22,2 % inférieur à celui des hommes (27 430 €). Une partie de cet écart s’explique par des justifications structurelles et statistiques (ex : temps partiel féminin), mais le ministère du travail reconnaît qu’il demeure environ 9 % d’écarts de salaire injustifiés. Par conséquent, commençons par examiner la manière collective par laquelle le droit du travail tente de s’approcher d’un objectif d’égalité réelle, puis passons au crible la façon par laquelle une salariée victime d’une inégalité salariale peut éventuellement tenter individuellement de corriger cette situation avant de découvrir les espoirs que soulève la prochaine transposition en droit français d’une directive européenne consacrée à la transparence salariale.
Au sein des entreprises, les organisations syndicales et les employeurs doivent conclure un accord collectif en matière d’égalité professionnelle disposant de diverses actions qualitatives permettant d’atteindre des objectifs annuels de progression fondés sur des critères clairs, précis et opérationnels (embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, santé et sécurité au travail, rémunération effective et articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale). Cette opération contrôlée par l’administration déconcentrée du travail fait l’objet d’une obligation de résultat « renforcée » car en cas de défaillance les entreprises employant au moins cinquante salariés encourent une pénalité (articles L. 2242-5 et R. 2242-7 code du travail) pour inexécution de leurs obligations liées à l’égalité professionnelle (articles L. 2242-8 et R. 2242-2 du code du travail).
Au surplus, soulignons qu’à compter du 1er mars 2026, les entreprises d’au moins 1 000 salariés devront atteindre une proportion minimale de 30 % (40 % au 1er mars 2029) de personnes de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les cadres membres des instances dirigeantes (loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle). Mais le droit va plus loin et pousse les entreprises (employant au moins cinquante salariés) dans leurs retranchements en matière d’égalité de rémunération. En effet, avant le 1er mars de chaque année, elles sont assujetties au calcul de l’index d’« écarts de rémunération » (signalons que la démarche a été étendue au sein des admirations publiques par la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023).
Par conséquent, en fonction de la taille de leur effectif, elles calculent et publient un certain nombre d’indicateurs ainsi que les actions mises en œuvre pour supprimer les écarts de salaires en question (Articles D. 1142-2-1 et D. 1142-3 du code du travail). Ainsi, elles doivent mesurer par tranche d’âge et par catégorie de « postes équivalents », les écarts de rémunération, de taux d’augmentations individuelles, et de promotions entre les femmes et les hommes. Elles doivent également recenser le nombre de salariés par genre parmi les dix salariés ayant perçu les plus hautes rémunérations ainsi que le pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation dans l’année suivant leur retour de congé de maternité. Si la note globale est inférieure à un seuil réglementaire requis (désormais de 85 sur 100), des mesures correctrices doivent être adoptées par la négociation collective dans un délai de trois ans.
En définitive, l’employeur peut être soumis à une pénalité pour l’absence d’accord (ou de plan d’action) ou pour la non-conformité de celui-ci aux principes généraux de l’égalité professionnelle. Il peut également se voir appliquer une sanction financière pour la non-publication de sa note en matière d’égalité de rémunération ou pour ne pas voir remédier aux mauvais scores résultant de son action à ce sujet. Malgré l’ensemble des efforts déployés, le bilan de cette démarche est controversé car cette politique publique s’appuie sur un diagnostic principalement établi par l’employeur pouvant faire l’objet de nombreux biais statistiques.
Selon le bilan effectué par le ministère du travail, au 1er mars 2025, 80 % des entreprises concernées ont publié leur note, confirmant une augmentation continue depuis plusieurs années (54 % en 2020, à la même date). Néanmoins, en fin d’année 2024, plus de 10 % des entreprises assujetties ne l’avaient pas publié pour l’exercice précèdent. En outre, la note moyenne déclarée progresse encore à un haut niveau avec 88,5/100 en 2025 (contre 88/100 en 2024) mais seules 2 % des entreprises ont une note de 100/100 (soit 560 entreprises). Enfin, notons que 6 % des entreprises ont obtenu une note inférieure au seuil requis. Or, depuis 2019, 2 000 mises en demeure et 209 pénalités financières seulement ont été notifiées par les services de l’État aux entreprises défaillantes.
Quand bien même le nombre de sanctions n’est pas un indicateur d’efficacité, ces derniers chiffres ne s’avèrent pas être en rapport avec le nombre d’entreprises ne respectant pas leurs obligations en la matière. Malgré tout, réjouissons-nous de la réduction notable de l’écart de revenu salarial entre femmes et hommes entre 1995 et 2023 (passant de 34 % à 22,2 %) et notons que cette tendance s’est accélérée par une baisse plus rapide des inégalités salariales depuis 2019.
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Si cette trajectoire positive place la France dans le peloton de tête de l’Union européenne, nous savons qu’elle ne gomme que trop lentement certaines inégalités structurelles. En définitive, si cette politique a le mérite d’éclairer un objectif d’intérêt général, il flotte autour d’elle un parfum de suspicion au sujet de l’authenticité des résultats obtenus. Plus exactement, il peut effectivement demeurer un décalage entre la présentation de ces bons éléments statistiques et les injustices ressenties par de nombreuses salariées.
À lire aussi : Rémunérations hommes/femmes : « Show me the money ! », les défis de la directive européenne sur la transparence
Effectivement, malgré une note globalement positive de son entreprise, une salariée peut avoir une suspicion au sujet de sa propre situation salariale et considérer à tort ou à raison qu’elle est moins bien rémunérée que ses collègues masculins. Elle peut donc être contrainte d’engager une action judiciaire individuelle en matière d’égalité de rémunération dont la principale difficulté résidera dans l’établissement de la preuve.
À ce sujet, elle privilégiera la procédure devant le conseil des prud’hommes, car elle y bénéficiera d’un notable aménagement de la charge de la preuve. En effet, elle n’aura pas à prouver l’existence d’une discrimination, mais devra au moins « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ». Au vu de ces éléments, il incombera à l’employeur de démontrer que « sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». À charge pour le juge, en dernier lieu, de prendre en considération ces éléments d’appréciation pour former sa conviction après avoir éventuellement ordonné « toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Quand cela sera possible, la salariée devra effectuer une comparaison de sa situation avec celle de ses collègues dans une situation « comparable ». Selon cette perspective, sont considérés comme ayant une « valeur égale », les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, ainsi que des capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités, de charge physique ou nerveuse. En définitive, l’action judiciaire individuelle peut apparaître plus prosaïque et efficace que l’action collective embourbée dans ses divers biais statistiques. Toutefois si la voie judiciaire est efficace sa pente est tout de même rude.
Au centre de ce bilan mitigé surgit la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes qui devrait être transposée en droit français avant la fin de l’année 2025. Sous réserve des détails de sa transposition, elle apparaît comme ambitieuse à de nombreux égards. Elle commence par préciser la notion de « rémunération » afin de supprimer plusieurs biais comparatifs, puis impose au reste de l’Union européenne une politique publique proche de celle déjà en vigueur en France.
Nous verrons donc si elle incitera le législateur français à durcir cette dernière ou quelque peu la modifier. Au-delà de cette série de futures modifications techniques, elle impose deux bouleversements majeurs. Premièrement, elle permet aux candidats à une offre d’emploi de recevoir des informations sur la rémunération initiale du poste convoité ou la « fourchette de rémunération initiale sur la base de critères objectifs non sexistes ». Assurément, la bonne communication de ces informations devrait permettre à la salariée de négocier de manière éclairée et transparente sa rémunération. Secondement, au cours de l’exécution de son contrat, elle pourra demander à recevoir par écrit des informations sur son niveau de rémunération individuel comparé à la moyenne des salaires ventilée par sexe pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail. L’ambition de cette transparence est de permettre de se comparer à une moyenne afin de savoir ce qu’il en retourne réellement de sa situation. Cela permettra d’apprécier la réalité d’une égalité de rémunération et le cas échéant de déterminer la preuve d’une éventuelle discrimination.
En définitive, les difficultés rencontrées par les politiques publiques dans le domaine qui nous intéresse soulèvent la question de l’efficacité d’un droit peinant à rendre effective une égalité proclamée. Dès lors, la transparence des salaires aura-t-elle la vertu d’atteindre cette égalité réelle, ou se heurtera-t-elle à de hautes cloisons culturelles entravant sa réalisation ? La réponse à cette dernière question dépendra en grande partie des détails de la transposition en droit français des principes issus de la directive du 10 mai 2023.
Stéphane Lamaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 16:27
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans l’épisode 6, on s’intéresse aux limites planétaires.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
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Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 15:59
Teresa Ubide, ARC Future Fellow and Associate Professor in Igneous Petrology/Volcanology, The University of Queensland
L’Etna, le plus grand volcan en activité d’Europe, situé en Sicile (Italie) et culminant à 3 324 mètres, est entré en éruption le lundi 2 juin 2025, heureusement sans danger pour la population selon les sources locales.
Lundi 2 juin matin (heure locale), le mont Etna, en Italie, s’est mis à cracher une énorme colonne de cendres, de gaz chauds et de fragments rocheux.
Un formidable panache de fumée exhalé par le plus grand volcan actif d’Europe, l’Etna en Sicile, s’est élevé sur plusieurs kilomètres dans le ciel.
Si l’explosion a produit un spectacle impressionnant, l’éruption n’a, à ce qu’il semble, fait ni victimes ni dégâts, et c’est tout juste si les vols en provenance ou en partance de l’île ont été perturbés. On a coutume de nommer les éruptions de l’Etna « éruptions stromboliennes » ; cependant, comme on le verra, ce terme ne s’applique pas forcément à ce récent événement.
L’éruption a commencé par une augmentation de la pression des gaz chauds contenus dans le volcan. Ce réchauffement a entraîné l’effondrement partiel d’un des cratères qui se trouvent au sommet de l’Etna.
Cet effondrement a déclenché ce qu’on appelle un « flux pyroclastique » : un panache de cendres, de gaz volcaniques et de fragments de roches qui jaillit des entrailles du volcan et se déplace à toute vitesse.
Ensuite, la lave s’est mise à couler sur les flancs de la montagne, dans trois directions différentes. Ces écoulements sont désormais en train de refroidir. Lundi soir, l’Institut national de géophysique et de volcanologie italien a annoncé que l’activité volcanique avait pris fin.
L’Etna est l’un des volcans les plus actifs du monde, donc cette éruption n’a rien d’exceptionnel.
Les volcanologues classent les éruptions en fonction de leur puissance explosive. Plus elles sont explosives, plus elles sont dangereuses, car elles évoluent plus vite et couvrent une zone plus importante.
Les plus bénignes sont celles qui se produisent à Hawaï (États-Unis), dans l’océan Pacifique. Vous en avez probablement vu les images : la lave coule mollement, comme léthargique, sur les pentes du volcan. Certes, elle abîme ce qui se trouve sur son chemin, mais le rayonnement en est relativement restreint.
Quand les éruptions se font plus explosives, en revanche, elles essaiment de la cendre et des fragments de roche à de plus grandes distances.
Tout en haut de l’échelle, on a les éruptions pliniennes, les plus explosives de toutes. On peut compter parmi elles la célèbre éruption du Vésuve, en l’an 79 de notre ère, qui fut décrite par Pline le Jeune. C’est elle qui a enseveli les villes romaines de Pompéi et d’Herculanum sous des mètres de cendres.
Lors d’une éruption plinienne, les gaz chauds, la cendre et les rochers peuvent être expulsés avec une telle violence et à une telle hauteur qu’ils atteignent la stratosphère – et lorsque le panache d’éruption retombe, les débris s’abattent sur la terre et peuvent causer des dégâts monstrueux sur une zone assez étendue.
Qu’en est-il des éruptions stromboliennes ? Ces éruptions relativement modérées empruntent leur nom au Stromboli, un autre volcan italien qui connaît une éruption mineure toutes les dix à vingt minutes.
Dans une éruption strombolienne, les éclats de roches et les braises peuvent parcourir des dizaines ou des centaines de mètres dans les airs, mais rarement davantage.
Le flux pyroclastique de l’éruption d’hier, sur l’Etna, s’est avéré doté d’une puissance explosive supérieure à cette moyenne – il ne s’agissait donc pas, au sens strict, d’une éruption strombolienne.
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Les éruptions volcaniques sont un peu comme le temps qu’il fait. Elles sont très difficiles à prédire avec précision, mais nous avons beaucoup progressé dans ce domaine. Pour comprendre le comportement futur d’un volcan, nous devons d’abord savoir ce qui se passe à l’intérieur à un moment X. On ne peut pas regarder dans le volcan directement, mais on dispose de mesures indirectes fiables.
Par exemple, que se passe-t-il avant que le magma d’éruption jaillisse des entrailles de la Terre ? En route vers la surface, le magma pousse des rochers et peut provoquer des tremblements de terre. En enregistrant les vibrations concomitantes, il nous est possible de suivre le trajet du magma jusqu’à la surface.
Le magma prêt à jaillir peut aussi provoquer un léger gonflement du terrain dans la région volcanique. Une affaire de quelques millimètres ou centimètres. L’observation attentive de ce phénomène, par exemple grâce à des satellites, nous permet de rassembler de précieuses informations sur une éruption à venir.
Certains volcans libèrent des gaz même en l’absence d’éruption stricto sensu. Il nous est possible d’analyser la composition chimique de ces gaz – si celle-ci se modifie, cela peut nous indiquer que le magma est de nouveau en route vers la surface.
Une fois qu’on a rassemblé toutes ces informations sur le fonctionnement interne d’un volcan, il est également indispensable de comprendre sa personnalité, pour savoir les analyser et comprendre ce qu’elles nous disent des éruptions à venir.
En tant que volcanologue, j’entends souvent dire qu’on a l’impression que les éruptions sont plus nombreuses de nos jours qu’autrefois. Ce n’est pas le cas.
Ce qui se produit, je l’explique à ceux qui m’interrogent sur le sujet, c’est que nous disposons désormais de meilleurs systèmes de mesure et d’un système médiatique mondialisé très actif. Donc on apprend systématiquement l’existence des éruptions – on en voit même des photos.
La surveillance est extrêmement importante. Nous avons la chance que de nombreux volcans – dans des pays comme l’Italie, les États-Unis, l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande – soient équipés d’excellents systèmes de surveillance.
Cette surveillance permet aux autorités locales de prévenir la population en cas d’éruption imminente. Pour le visiteur ou le touriste venu admirer ces merveilles naturelles que sont les volcans, écouter ces avertissements est crucial.
Teresa Ubide ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 15:59
Valentin Gachet, Doctorant en sciences de gestion, spécialisé en finance, Université Grenoble Alpes (UGA)
Alors que le confinement laissait entrevoir un avenir radieux pour Ubisoft, les dernières années ne semblent lui apporter que de mauvaises nouvelles. Entre franchises qui s’essoufflent, performances financières en berne et troubles internes allant jusqu’à un procès pour harcèlement sexuel et moral de trois anciens cadres, le géant français du jeu vidéo traverse une période délicate.
Depuis 2018, Ubisoft a plongé en bourse. Alors que son cours s’élevait jusqu’à 107 €, aujourd’hui le titre s’échange aux alentours de 10 €, soit une baisse de 86 % en cinq ans ! Et les résultats de l’exercice 2024-2025, communiqués le 14 mai dernier, n’ont pas rassuré les investisseurs avec des chiffres et prévisions en dessous de ce qu’avaient anticipé les analystes.
Dans une logique de réduction des coûts, Ubisoft s’est déjà séparé de 3 000 employés depuis 2022.
L’entreprise, qui bénéficie de plusieurs dizaines de millions d’aides publiques, a également annoncé en mars dernier la création d’une filiale qui va regrouper trois licences phares mais qui va surtout être détenue à 25 % par le géant chinois Tencent. De quoi alimenter l’hypothèse d’un rachat futur et d’un passage sous pavillon étranger. Le 9 octobre, un député a ainsi envoyé une lettre au premier ministre pour l’alerter sur « l’enjeu de souveraineté culturelle et industrielle forte » que représente la filière du jeu vidéo, sans citer expressément l’entreprise française.
Pourtant, Ubisoft, c’est aussi une histoire à succès. D’une petite entreprise de distribution de jeux vidéo fondée en 1986 en Bretagne, le groupe s’est depuis imposé comme l’un des plus grands éditeurs du globe. Connu pour ses licences phares Assassin’s Creed, Far Cry, Rainbow Six ou encore Just Dance, Ubisoft compte environ 17 000 employés et plus de 40 studios à travers le monde.
Sommes-nous donc en train d’assister à la chute du plus grand éditeur français ou est-ce le secteur du jeu vidéo qui se trouve en difficulté ?
En 2020, à la suite de témoignages sur les réseaux sociaux relatant des comportements abusifs au sein de l’entreprise, une enquête journalistique révèle les harcèlements moraux et les agressions sexuelles pratiqués par certains haut placés sur les employés. D’autres médias recueillent également des témoignages qui font apparaître un grave dysfonctionnement des ressources humaines. Toutes ces révélations amèneront au départ ou à la mise à pied de nombreuses personnes importantes au sein du studio, dont Serge Hascoët, directeur créatif considéré à l’époque comme le numéro 2 d’Ubisoft, validant la plupart des jeux développés. C’est également le cas de Guillaume Patrux, Game director, ou encore Michel Ancel, à l’origine de la saga à succès Rayman.
Ces évènements ne passent pas inaperçus et portent atteinte à l’image d’Ubisoft avec une baisse de plus de 9 % en bourse en une seule journée.
Mais ce n’est pas tout, la perte des personnes qui ont largement contribué au succès faramineux des jeux les plus connus et lucratifs de l’entreprise affecte les résultats de celle-ci : sur la période 2021-2022, le chiffre d’affaires est en baisse 4,4 % et il est en grande partie maintenu par le back-catalogue (+11 %), c’est-à-dire les anciens jeux publiés.
En 2022-2023, le back-catalogue est en recul et le chiffre d’affaires chute encore de 14,6 %, le résultat de sorties de jeux décevants (notamment Far Cry 6) et d’autres qui sont reportés (Skull and Bones, Avatar…).
Pour Ubisoft, la crise sociale ne s’arrête pas là…
En février dernier survenait en France une grève nationale lancée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV) pour lutter contre les licenciements de plus en plus nombreux dans le milieu mais également pour revendiquer une réduction du temps de travail. En octobre 2024, c’étaient les syndicats d’Ubisoft qui avaient déjà appelé à la grève pour demander une revalorisation des salaires et contester une diminution des jours de télétravail. Un mouvement qui avait déjà été précédé par une autre grève en février 2024, là encore sur la question des salaires…
Ubisoft a donc, depuis quelques années, de réels problèmes de management, ce qui ternit son image et fait fuir ses talents. Tout cela ne rassure pas ses investisseurs, d’autant que le studio doit également faire face à un problème qui touche plus largement le secteur du jeu vidéo.
Si Ubisoft s’est retrouvé au cœur des polémiques en 2020, nul doute que le studio aura tout de même profité de l’impact positif qu’aura eu la pandémie dans ce milieu. En effet, en se basant sur les ratios financiers de grandes entreprises du jeu vidéo, une étude a ainsi démontré que l’industrie est l’un des rares secteurs à avoir prospéré économiquement pendant cette période de crise. Un constat qui s’explique par un temps de jeu qui a largement augmenté du fait des confinements. À ce moment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait d’ailleurs recommandé la pratique des jeux en ligne pour garder un lien social tout en restant à distance.
D’autres chercheurs ont également mis en avant le rôle de la pandémie dans la perception positive et la pratique du jeu vidéo, mais en rappelant toutefois que cela reste encore une fois lié au contexte particulier et temporaire de l’épidémie.
La période 2020-2022 a été la plus prolifique en termes de croissance, mais aussi d’investissements dans les jeux vidéo. Par exemple, entre 2020 et 2021, le nombre total d’investisseurs en capital-risque actifs dans le financement de studios ou éditeurs a été multiplié par quatre ! Il est clair que les investisseurs espéraient une croissance continue du secteur sur les années qui suivent.
Cependant, les chiffres délivrés par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell) révèlent plutôt une tendance stagnante qu’une réelle progression depuis 2020.
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L’année 2023 a été un peu particulière puisqu’elle était marquée par la sortie d’une nouvelle génération de consoles qui a dopé les ventes, mais les résultats de 2024 montrent un retour à un niveau similaire aux années précédentes. Ces chiffres établissent donc une assez bonne résilience du secteur, toutefois bien loin des résultats que l’on pourrait attendre après les investissements massifs qui ont été faits. Résultat, les investisseurs se désengagent avec, pour conséquence, une baisse des cours boursiers et des licenciements. Un constat auquel Ubisoft ne déroge évidemment pas.
Et malheureusement pour l’éditeur français, en plus du contexte économique du jeu vidéo et de ses problèmes de management, il est également attaqué sur l’orientation prise par ses derniers jeux.
Si, jusqu’en 2015, Ubisoft a fait sa renommée en proposant continuellement des jeux plus ambitieux et captivants, les années suivantes semblent marquer un essoufflement. Les quatre premiers jeux de la licence Far Cry ont ainsi tous récolté une note supérieure à 85 sur 100 sur Metacritic (agrégateur de notes reconnu dans le milieu), les suivants n’atteignent pas ce niveau avec 81 pour Far Cry 5 et seulement 73 pour Far Cry 6.
Même constat pour la saga Assassin’s Creed qui peine à ravir les fans de la première heure. Une étude de cas de cette licence a pu démontrer qu’Ubisoft a modifié sa stratégie marketing depuis Assassin’s Creed Origins (2017). La formule a été adaptée et universalisée pour s’adresser au public le plus large possible, quitte à laisser de côté les aspects plus narratifs.
Un virage aux résultats discutables car, si les ventes sont plutôt encourageantes, égalant voire surpassant les premiers jeux, il faut rappeler que le coût des derniers épisodes est bien plus conséquent puisque, aujourd’hui, les budgets des grosses productions atteignent les 200 millions de dollars. Ubisoft ne communique pas sur les coûts de ses jeux, mais on estime qu’Assassin’s Creed Unity (2014) aurait coûté 140 millions d’euros et le dernier opus, environ 300 millions d’euros, marketing inclus.
Mais, plus important encore, les notes n’atteignent pas celles des précédents opus et les derniers jeux sont pointés du doigt pour leurs ressemblances. Des critiques qui s’étendent à toutes les licences d’Ubisoft puisque la formule a été adoptée pour tous les derniers projets.
Ce choix attire la méfiance des joueurs et a un impact sur les ventes de l’éditeur. D’ailleurs, si Assassin’s Creed Shadows, sorti le 20 mars dernier, semble apporter suffisamment de recettes pour donner une bouffée d’air à Ubisoft, le studio n’a pas communiqué sur le nombre d’unités vendues, ce qui est rarement une bonne nouvelle… Sans compter que le 3 juin, XDefiant, un jeu de tir multijoueur aux ambitions énormes réalisé par Ubisoft en mai 2024, a fermé définitivement ses portes, faute d’audience. Un échec colossal qui marque donc à nouveau la fracture entre le studio et les attentes des joueurs.
Le 24 avril dernier sortait le jeu Clair Obscur : Expédition 33, développé par Sandfall Interactive, un studio français nouvellement créé et composé d’une trentaine de développeurs, pour la plupart des juniors (et quelques anciens de chez Ubisoft).
Il s’agit d’un jeu de rôle se jouant au tour par tour, un genre assez peu populaire qui est donc loin d’être tout public… et qui a été vendu plus de deux millions d’unités en moins de deux semaines. Il atteint par ailleurs l’excellente note de 92. Une réussite qui prouve que le secteur du jeu vidéo ne se porte pas si mal et qu’il est même possible de capter l’attention des joueurs avec un style de jeu d’ordinaire boudé par le public et les éditeurs.
Ce succès met en exergue les difficultés du géant Ubisoft qui peine à rester aussi agile et innovant que de petits studios. Si elle veut sortir la tête de l’eau, l’entreprise va donc devoir réussir rapidement à s’adapter aux transformations du secteur tout en réglant ses problèmes internes.
Valentin Gachet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 14:39
Haoues Seniguer, Maître de conférences HDR en science politique. Spécialiste de l’islamisme et des rapports entre islam et politique, Sciences Po Lyon, laboratoire Triangle, ENS de Lyon
Philippe Corcuff, Professeur des universités en science politique, membre du laboratoire CERLIS (UMR 8070), Sciences Po Lyon
Le meurtre d’Aboubakar Cissé, assassiné dans la mosquée de la Grande-Combe (Gard) le 25 avril 2025, est le point d’acmé d’une culture du soupçon à l’égard de l’islam et des musulmans. Le récent rapport gouvernemental sur l’entrisme des Frères musulmans en France participe de cette logique de suspicion à tonalité conspirationniste qui s’est installée jusqu’au sommet de l’État. Au-delà de l'hostilité à l’égard des musulmans, les crimes racistes de Puget-sur-Argens (Var), ce 31 mai, soulignent la prégnance de la xénophobie dans l’espace public.
Aboubakar Cissé a été assassiné le 25 avril dernier. La trajectoire du meurtrier reste à préciser pour mieux cerner l’étendue de ses motivations. Néanmoins, cet événement revêt d’ores et déjà une portée emblématique à maints égards : d’abord, par la violence extrême de l’acte ; ensuite, par le fait qu’il s’agisse d’un musulman ordinaire, sans antécédents ; par le lieu du forfait, la mosquée de La Grand-Combe dans le Gard ; enfin, par le mode opératoire de l’assaillant, qui a pris soin de filmer son geste en l’accompagnant de paroles ouvertement anti-islam et antimusulmanes, les deux dimensions s’entremêlant dans les propos rapportés par l’AFP : « Ton Allah de merde. » Ce fait inordinaire ayant affecté un musulman du quotidien peut être interprété comme le point d’acmé d’une culture du soupçon à l’égard de l’islam et des musulmans qui s’est déplacée des marges de la sphère publique à son centre.
Dans une enquête de science politique publiée en 2022, nous avons mis en évidence que, depuis les attentats de 2015, des représentants de l’État ont glissé de la critique légitime des auteurs des attentats terroristes vers une suspicion plus étendue à l’égard du monde musulman, dans une « confusion conceptuelle entre conservatisme, rigorisme, radicalisation, séparatisme, islamisme et djihadisme ». Le récent rapport gouvernemental sur les Frères musulmans en France, en évoquant « un projet secret » sans « aucun élément sérieux pour le démontrer », selon les mots du politiste Franck Frégosi, participe de cette logique de suspicion à tonalité conspirationniste qui s’est installée jusqu’au plus haut niveau de l’État. Les acteurs incriminés sont sommés de faire constamment la preuve de leur innocence malgré leur légalisme affiché et revendiqué.
À lire aussi : Débat : Le traitement de l’islam en France est-il symptomatique d’une crise républicaine ?
Compte tenu des nombreux indices empiriques, il semble par conséquent difficile d’en ignorer la portée éminemment islamophobe. Pourtant, malgré ce qui relève de l’évidence factuelle – fondée tant sur le lieu du crime que sur les déclarations de l’assassin, confirmée par les premières investigations de la justice –, certains responsables politiques, journalistes et éditorialistes ont spontanément hésité à en admettre le caractère fondamentalement raciste, avec un aspect anti-islam remarquable.
Si le premier ministre François Bayrou a immédiatement qualifié ce meurtre d’« ignominie islamophobe », d’autres membres du gouvernement, et plus largement de la classe politique, n’ont pas adopté la même clarté. Les raisons de ces hésitations sont diverses. Le ministre de l’intérieur et des cultes Bruno Retailleau, après un silence inhabituel et sans se rendre directement sur les lieux du drame, s’est contenté d’évoquer la possibilité d’« un acte antimusulman », dans une prudence en décalage avec ses déclarations alarmistes sur la menace de « l’islamisme ».
Manuel Valls, ministre des outre-mer, a, pour sa part, parlé « d’un acte de haine à l’encontre des musulmans », tout en affirmant qu’il ne faut « jamais employer les termes de l’adversaire, ceux qui veulent la confrontation avec ce que nous sommes », car le terme islamophobie aurait été « inventé il y a plus de trente ans par les mollahs iraniens ».
Pourtant, les sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed ont montré dès 2013, dans leur livre Islamophobie, que le mot apparaît en français dès 1910 chez des administrateurs coloniaux-ethnologues. Toutefois, au-delà de la fake news, Manuel Valls met en accusation la façon la plus courante de qualifier les actes antimusulmans au niveau des institutions internationales, dans les ONG et dans la recherche en sciences sociales, comme l’a mis en évidence Houda Asal en 2014. Or, en n’en faisant qu’une arme aux mains de ceux qui voudraient déstabiliser le pacte républicain français, l’ancien premier ministre risque d’amoindrir la condamnation d’un meurtre horrible, en la mettant en balance avec un autre danger flou aux tonalités conspirationnistes affectant cette fois l’ensemble de la communauté nationale.
Dans le champ médiatique, l’éditorialiste Caroline Fourest, disqualificatrice de longue date du terme islamophobie, s’est précipitée pour relayer sur X, le 28 avril 2025, la version du présumé coupable qui, selon son avocat italien, nierait toute intention antimusulmane. Puis, le lendemain sur LCI, elle est allée jusqu’à soutenir, de manière non documentée, que c’est le mot islamophobie « qui a beaucoup tué dans ce pays ». D’autres, comme le journaliste Alexandre Devecchio ou le politiste Gilles Kepel dans le Figaro, ont préféré insister sur les potentielles instrumentalisations du terme islamophobie à gauche ou dans les milieux dits « islamistes », plutôt que d’interroger sérieusement la responsabilité politique et idéologique d’un climat globalement dépréciatif à l’égard des manifestations publiques et légales de l’islamité. Un climat qui a pu créer des conditions facilitant un passage à l’acte aux relents racistes et islamophobes manifestes.
En association avec l’air du temps anti-musulmans, c’est hostilité à l’égard des étrangers et des migrants qui a été légitimée dans les débats publics. Les crimes racistes commis le 31 mai à Puget-sur-Argens (Var) par un sympathisant des idées d’extrême droite ayant posté des vidéos xénophobes en constituent un indice effrayant. Hichem Miraoui, de nationalité tunisienne, a été assassiné et un jeune homme de nationalité turque a été blessé par balles.
Depuis le 7 octobre 2023 en France, un antisémitisme d’atmosphère, qui ne constitue pas la cause mécanique d’actes antisémites en recrudescence documentés par le rapport 2024 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, mais qui se présente comme un bain idéologique propice, a rendu davantage légitime aux yeux d’une petite minorité de personnes le passage à des actes extrêmes. C’est le cas du viol et des violences antisémites à l’égard d’une fillette de 12 ans à Courbevoie, le 15 juin 2024, où la judéité de la victime a été associée par ses agresseurs à l’État d’Israël et à la Palestine. Dans ce bain idéologique, des porosités se sont développées entre la notion floue et à géométrie variable d’« antisionisme » et l’antisémitisme.
De manière analogue, il existe une islamophobie d’atmosphère, au sein de laquelle la violence islamophobe peut apparaître davantage acceptable aux yeux de quelques personnes. Cet air du temps idéologique a été alimenté par des personnalités politiques, journalistiques et intellectuelles, dans un soupçon vis-à-vis des pratiques musulmanes visibles (comme le voile) indûment associées à « l’islamisme », catégorie aux frontières d’ailleurs dilatées, amalgamant les islamoconservatismes légalistes, critiquables du point de vue d’une éthique de l’émancipation comme les catho-conservatismes ou les judéo-conservatismes mais pas juridiquement condamnables, et les djihadismes meurtriers faisant peser des dangers mortels sur la population.
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Dans le cas de l’islamophobie, à la différence de l’antisémitisme actuel refoulé aux marges du débat public à cause de la mémoire des horreurs de la Shoah, la suspicion s’est exprimée jusqu’au sommet de l’État, lui donnant une légitimité forte. Ainsi la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » a d’abord été présentée comme une « loi contre les séparatismes », faisant suite au discours prononcé par le président de la République aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre 2020, contre « le séparatisme islamiste ». Dès après le drame de La Grand-Combe (Gard), Emmanuel Macron a réitéré une logique de soupçon vis-à-vis du voile musulman sur TF1, le 13 mai 2025 : « Je suis pour la charte olympique qui interdit le port de tout signe religieux dans les compétitions » ; interdiction qui n’est d’ailleurs pas présente dans la Charte du Comité international olympique comme l’ont montré par la suite des vérifications journalistiques.
L’islamophobie d’atmosphère, l’antisémitisme d’atmosphère, mais aussi la xénophobie d’atmosphère se présentent comme des modalités de l’aimantation des débats publics par les extrêmes droites. Dans une enquête sur les transformations idéologiques des espaces publics en France à partir du milieu des années 2000, nous avons construit le concept de « confusionnisme » pour en rendre compte.
Le confusionnisme renvoie au développement d’interférences et d’hybridations entre des postures et des thèmes d’extrême droite, de droite, de gauche modérée et de gauche radicale favorisant l’extrême droitisation dans un contexte de recul du clivage gauche/droite. C’est, par exemple, la valorisation du national et la dévalorisation du mondial et de l’européen, ou la fixation positive (comme dans « l’identité nationale ») ou négative (comme avec « les musulmans ») sur des identités supposées homogènes et closes.
La concurrence entre les combats contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie en a constitué un terrain de développement, à partir du début des années 2000, d’abord dans la galaxie antiraciste. Ainsi, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et SOS Racisme ont refusé de participer à une manifestation contre tous les racismes (parce qu’incluant la question de l’islamophobie), initiée par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), le 7 novembre 2004. Puis cette concurrence s’est étendue à la sphère politique. Ceux qui privilégient le combat contre l’antisémitisme vont dénigrer la notion d’islamophobie, comme Manuel Valls qui en fait, en 2013, « un cheval de Troie des salafistes ». Ceux qui privilégient l’islamophobie minorent l’antisémitisme, « résiduel » pour le leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, en 2024.
En quoi cette compétition a-t-elle eu des effets confusionnistes ? Pour plusieurs raisons :
cela a travaillé des intersections avec la tendance à l’enfermement des débats publics autour d’identités homogènes et closes, portée par la galaxie de l’ultradroite : identitarisme antisémite, chez Dieudonné et Alain Soral, et identitarisme islamophobe, chez Éric Zemmour ou dans « la théorie du grand remplacement » de Renaud Camus ;
cela a participé à la cristallisation des identités collectives en compétition, en les avivant via des concurrences victimaires ; les porte-parole de chaque identité mise en avant réclamant la place de « plus grande victime » ;
cela a contribué à la banalisation des schémas conspirationnistes, avec deux pôles opposés « le grand remplacement » et « le complot islamiste » ;
et cela a enrayé les convergences antiracistes comme réponse à l’extrême droitisation, les antiracistes étant divisés.
Nous faisons l’hypothèse que le contexte idéologique islamophobe a joué un rôle dans le meurtre de La Grand-Combe, comme la xénophobie d’atmosphère constitue un facteur à l’œuvre dans les crimes racistes de Puget-sur-Argens. Mais il ne s’agit pas d’une cause directe en un sens déterministe, c’est-à-dire d’une cause unique produisant nécessairement de tels effets. C’est une invitation pour les sciences sociales, dans la douleur de drames, à penser autrement les relations entre des contraintes sociales structurelles, d’une part, et des itinéraires individuels et des dynamiques spécifiques de situation, d’autre part.
Le pari de connaissance propre aux sciences sociales sur ce plan consiste à se saisir du défi formulé par le philosophe Emmanuel Levinas dans son grand livre de la maturité de 1974, Autrement qu’être, ou au-delà de l’essence : « La comparaison de l’incomparable. » Il s’agit de mettre en tension ce qui se répète dans la vie sociale, à travers « la comparaison », et des singularités, en tant que relevant pour une part de « l’incomparable ». Et cela sans abdiquer le souci scientifique d’intelligibilités partielles, ni prétendre pour autant enfermer les pratiques humaines dans une totalité devenant complètement transparente aux savoirs scientifiques.
Haoues Seniguer a reçu des financements de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (une bourse postdoctorale) entre 2013 et 2014
Philippe Corcuff est membre de l'association RAAR (Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes)