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Alain GRANJEAN
Transition écologique, économique et financière

CHRONIQUES DE L'ANTHROPOCÈNE


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02.10.2025 à 20:14

Coût et prix des sources d’électricité bas-carbone : qui paie quoi ?

Alain Grandjean

L’électrification de notre énergie est cruciale pour décarboner notre économie et lutter contre le réchauffement climatique, à condition que l’électricité soit produite par des sources bas-carbone. Mais cela pose la question des prix et de leur formation, en particulier pour les EnR et le nucléaire.

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Texte intégral (2334 mots)

L’électrification1 de notre énergie est cruciale pour décarboner notre économie et lutter contre le réchauffement climatique, à condition que l’électricité soit produite par des sources bas-carbone, ce qui est le cas en France. Elle est également essentielle pour réduire notre dépendance aux producteurs d’énergie fossile. Elle peut s’appuyer sur un mix de sources décarbonées (le nucléaire et les énergies renouvelables) présentant des avantages et inconvénients, et n’ayant pas les mêmes coûts. Les citoyens, les consommateurs professionnels et particuliers sont prêts à cette mutation, mais pas à n’importe quel prix. Les professionnels sont d’abord sensibles aux enjeux de compétitivité face à des concurrents qui ont accès à une énergie peu chère (en Chine et aux USA en particulier). Pour les particuliers, les questions se posent autrement, en termes de « fin de mois » et/ou d’équité (chacun veut être rassuré sur le fait que les efforts sont partagés). 

La première et la plus aiguë des questions économiques se pose ainsi : peut-on envisager une croissance de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale (via l’électrification des usages) si son prix n’est pas suffisamment attractif ? La réponse dépend bien sûr des prix des autres sources d’énergie (et surtout du gaz pour le chauffage et du pétrole pour le transport) et de celui des équipements nécessaires et de leur efficacité (chaudière, véhicule…).

La note que je présente ici vise surtout à expliquer comment se fixent les prix de l’électricité et répond à plusieurs questions. Quel est le lien entre ces prix et les coûts de production, qui sont, pour les sources bas-carbone, essentiellement fixes2 et liés aux investissements et à leur financement ? Quelles sont les aides et leur coût pour les finances publiques3 ? Quels sont les mécanismes en place aujourd’hui et comment devraient-ils et vont-ils évoluer ? Nous ne discuterons pas ici du fonctionnement du marché de l’électricité ni de son adéquation à une économie de coûts fixes4 (l’électricité bas-carbone repose massivement sur des coûts fixes -équipements de production et réseaux- alors que les coûts variables sont significatifs dans celui de l’électricité d’origine fossile) mais la question est posée par plusieurs experts5. Nous évoquerons néanmoins quelques pistes visant à le compléter.6

Cette note a pour objet de répondre à une deuxième question. 

Si l’électricité d’origine nucléaire a longtemps été peu coûteuse, l’ancienneté du parc (et du réseau électrique) obligent à réaliser de lourds investissements (de rénovation du parc, du réseau et dans de nouveaux équipements de production, nucléaires et renouvelables). Mais le nouveau nucléaire est beaucoup plus coûteux que le nucléaire historique (en €/kW il est, en France, de 4 à 7 fois plus cher en euros constants)7. Les renouvelables voient leur coût baisser régulièrement (le LCOE du solaire PV a été divisé par 10 en 20 ans) mais demandent des investissements complémentaires, liés à leur intégration dans le réseau, à leur variabilité et au fait qu’elles ne sont pas pilotables (et le cas échéant à leur décentralisation8). Comment départager les différents mix électriques envisageables à terme ? Les arguments économiques de coût et de prix permettent-ils de le faire ? On verra que pour répondre, il faut raisonner en “coût complet” puis se demander comment assurer que les prix aux consommateurs reflètent ces coûts (tout en tenant compte d’impératifs de compétitivité industrielle).

Ces questions sont déterminantes, dans le contexte actuel, d’une Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3)9 dont le décret n’est pas encore sorti et qui n’a pas fait l’objet d’un débat éclairé.

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Cette note aborde un sujet vaste et complexe et fournit de nombreux points de repère chiffrés et sourcés. Certaines données ne sont pas faciles d’accès. Malgré de nombreuses vérifications et relectures, des erreurs peuvent encore être présentes. Nous espérons qu’elle suscitera des suggestions et des corrections le cas échéant, y compris des acteurs publics chargés d’éclairer un débat important pour le pouvoir d’achat des français, l’autonomie de la France et le climat.

Elle a a bénéficié des remarques et suggestions de Ange Blanchard, Xavier Blot, Etienne Borocco, Jean-Pierre Gonguet, Stéphane His, Yannick Jacquemart, Alexandre Joly, Arthur de Lassus, Julien Marchal, Paul Neau, Nicolas Ott, Cédric Philibert que je remercie chaleureusement. Leur responsabilité n’est évidemment pas engagée dans ce document.

Plan détaillé

  1. La consommation d’électricité, son évolution possible 5
  2. Le prix payé par les consommateurs 10
    • 2.1 Le prix payé pour l’électricité 10
    • 2.2 Le prix payé par les consommateurs pour les autres énergies 15
  3. La production de l’électricité et ses coûts 17
    • 3.1 Quelques chiffres sur la production électrique française 17
    • 3.2 Les coûts de l’électricité : de quoi parle-t-on ? 19
    • 3.3 Les coûts de production constituent un indicateur limité mais utile pour comparer les moyens de production électrique entre eux 20
    • 3.4 Les coûts de production des EnR 21
  4. Le prix de production de l’électricité 29
    • 4.1 Le prix de gros de l’électricité 30
    • 4.2 Les aides publiques au nucléaire 32
    • 4.3 Les aides publiques aux EnR 38
  5. Les réseaux et leur tarification 43
  6. Les dispositifs de flexibilité et de stabilité et leur coût 44
    • 6.1 La flexibilité 44
    • 6.2 La stabilité 49
  7. Le coût total complet du système électrique 51
    • 7.1 Définition des coûts système 51
    • 7.2 L’attribution à une technologie de coûts ou valeurs système 52
    • 7.3 La comparaison des coûts totaux systèmes 54
  8. Les taxes et contributions 57
    Conclusion
  1. Nous ne discuterons pas ici de cette affirmation que nous considérons comme démontrée. Nous nous situons dans une perspective où la part de l’électricité dans les années 2050 atteint 60% en ordre de grandeur, et où en parallèle la production d’énergie finale décroît grâce à trois leviers, l’efficacité, la sobriété et…. l’électrification (du fait des gains de rendement générés par le passage de moteurs thermiques à des moteurs électriques). ↩
  2. Le prix de revient de l’électricité produite à partir d’énergies fossiles dépend largement de celui de ces énergies, qui est très variable. Le prix de revient de l’électricité produite à partir d’énergies bas-carbones dépend surtout de celui des équipements (centrales nucléaires, barrages hydrauliques, éoliennes, panneaux solaires etc.). Pour l’eau, le vent, le soleil, l’énergie primaire est gratuite. Pour le nucléaire, l’uranium extrêmement dense énergétiquement, est peu coûteux (12 à 15% du prix de revient du kWh (voir ici). Ce sont donc des coûts fixes. Leur coût variable est nul ou très faible. En savoir plus : Le poids du capital dans le prix des énergies renouvelables sur The Other Economy. ↩
  3. Cette question est l’objet de communications délibérément trompeuses, visant à ralentir voire arrêter les investissements dans les EnR. Voir le décodage dans cet article paru dans Science feed-back. ↩
  4. Si la majorité des moyens de production a un coût marginal nul, le prix de l’électricité chute souvent (et les prix négatifs sont plus fréquents), ce qui rend difficile la rentabilisation des capacités de stockage et de pointe. ↩
  5. Certains proposent un mix entre prix marginal et prix basé sur le coût total, pour mieux intégrer les investissements. ↩
  6. Comme les marchés de capacité, créés par l’autorité publique, ou les contrats à long terme (PPAs), créés par les acteurs de marché eux-mêmes et bien sûr toutes les évolutions tarifaires incitant au stockage et améliorant l’appariement de l’offre et de la demande. ↩
  7. Le coût overnight de construction du parc nucléaire historique a été, selon le rapport de la Cour des Comptes 2012, de 73 milliards en Euro 2010, soit environ 92 Mds€ 2024, et ce pour 58 réacteurs d’une puissance de 63 GW, soit 1 500€ le kW. Aujourd’hui ce coût se situe autour de 10 000 € le kW avec un espoir qu’il baisse à 5 500. ↩
  8. La décentralisation nécessite des équipements de raccordements au réseau ou de renforcement du réseau. Elle permet cependant de mieux répartir les actifs de production en fonction des besoins de consommation. ↩
  9. Voir le dossier de consultation ici. ↩

Crédit image : Mario Hains – Licence Creative Commons BY-SA 3.0

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22.09.2025 à 17:03

Croissance, décroissance : dissiper les confusions

Alain Grandjean

Le but de cette note est de démêler de nombreuses confusions autour des notions de décroissance et de croissance pour répondre aux deux questions posées.

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Texte intégral (5823 mots)

La croissance est-elle compatible avec les limites planétaires ? Et symétriquement la décroissance n’est-elle pas la bonne manière de respecter ces limites ? 

Le but de cette note est de démêler de nombreuses confusions autour des notions de décroissance et de croissance pour répondre aux deux questions posées.

La croissance : de quoi s’agit-il ?

Au sein du monde économique le terme croissance est employé et interprété dans  (au moins) trois sens différents :

  • la croissance c’est le progrès, l’amélioration des conditions (matérielles et immatérielles) de vie, de la santé, de l’espérance de vie, des libertés et des capacités individuelles,  le fait d’avoir un emploi choisi, bref c’est le progrès du « bien-être individuel et social »,
  • la croissance c’est la croissance du PIB,
  • la croissance c’est celle des flux matériels.

A noter que le terme de décroissance peut donc aussi être compris symétriquement en trois sens différents.

Nous allons voir que ces trois notions de croissance (ou décroissance) ne sont pas automatiquement corrélées deux à deux, et qu’il s’agit donc bien de notions différentes. Et nous suggérerons de ne pas employer ces termes sans complément …

a/ La croissance du PIB n’est pas corrélée à celle du bien-être social[1]

Rappel : le PIB d’un pays est, en simplifiant, la somme des valeurs ajoutées produites dans ce pays ; c’est aussi, c’est la beauté de la comptabilité nationale, la somme des revenus distribués par ces productions et c’est aussi celle des dépenses faites sur le territoire national. C’est un indicateur monétaire, majoritairement basé sur les flux marchands. Le PIB n’est pas une mesure physique de la production matérielle pour dire cela autrement.

Sa construction nécessite des calculs opérant une agrégation conventionnelle[2] de flux exprimés en unités monétaires[3]. Ces calculs sont notamment affectés par deux effets : l’effet qualité (un produit peut être plus cher car de « meilleure qualité » sans que son contenu matière soit supérieur), et l’effet « serviciel » (un service peut remplacer un produit et avoir un contenu matière inférieur).

Le PIB et sa croissance n’ont pas été faits à l’origine[4] pour être des indicateurs du bien-être social ni de son progrès, même si les journalistes et les commentateurs économiques le font croire.

Le PIB est utile pour déterminer les bases fiscales[5] et cadrer les dépenses publiques, ce qui a évidemment de l’importance dans le débat public, et a d’autres usages[6] opérationnels et politiques.

Venons-en à notre première absence de corrélation : la croissance du PIB n’est pas systématiquement corrélée à celle du bien-être social. Cela se démontre en prenant quelques exemples représentatifs.

Aux USA, depuis quelques années l’espérance de vie décroit, les revenus de la majorité des habitants baissent, les inégalités sociales croissent fortement[7] tout comme la pauvreté monétaire, alors que le PIB par habitant croit. Il existe aussi des cas de hausse du PIB sans création d’emplois[8] ou de création d’emplois rémunérés sous le seuil de pauvreté[9].

Le PIB ne prend pas en compte les services « gratuits » non publics (le travail à la maison, celui des bénévoles dans les associations, etc.) qui peuvent être une composante importante du « bien-vivre ensemble ». La transformation d’une activité non marchande en activité marchande (commander et se faire livrer un repas tout fait plutôt que le faire soi-même) augmente indiscutablement le PIB alors que son effet sur le bien-être social est discutable. Enfin le PIB ne prend pas en compte la destruction des ressources naturelles ni le dérèglement climatique.

b/ La croissance du PIB se découple dans certains pays de celle de l’empreinte carbone

Le découplage absolu[10] du PIB et de l’empreinte carbone ne s’observe pas au niveau mondial mais se constate dans plusieurs pays[11]. Ce découplage, observé sur une période encore courte, et avec encore des difficultés d’interprétation, est encore bien insuffisant[12] par rapport aux objectifs de l’accord de Paris. Il est inexact de dire qu’il n’existe pas, tout comme il est inexact de dire qu’il est en train de se réaliser à la bonne échelle.

Toutes les études montrent que pour être suffisant, le découplage entre l’empreinte carbone et le PIB (ou tout indicateur du bien-être social plus pertinent) nécessitera la décarbonation du mix énergétique – en cours et accessible dans certaines limites, et passant par l’électrification croissante de la fourniture d’énergie – et la réduction du contenu énergétique du PIB. Il nécessitera aussi des transformations plus profondes des processus de production-consommation et des arbitrages différents dans nos consommations. Les scénarios « Business as usual » ne le permettront pas et, en particulier, ceux qui se fondent exclusivement sur la technologie échoueront. Des changements significatifs dans nos modes de vie seront indispensables.

c/ La croissance du bien-être social peut se découpler de celle des flux matériels et l’absence de découplage pourrait au contraire conduire à une forte décroissance de ce bien-être

Il est assez peu discutable que la croissance du PIB, dans la grande majorité des pays et à l’échelle du siècle, s’est accompagnée de la hausse de plusieurs indicateurs de bien-être social : espérance de vie, revenus, baisse des inégalités (y compris entre hommes et femmes). Il s’agit de conséquences conjointes du développement du machinisme, permises en particulier par plus d’énergie et de progrès scientifiques et techniques, institutionnels, politiques, sociaux et culturels.

Mais la croissance du bien-être socialpeut résulter, dans les pays ayant un niveau suffisant de « développement », de la croissance de l’accès à des services réellement[13] peu matériels (l’aide à la personne, la formation, l’éducation, la culture, la justice, la sécurité intérieure et extérieure) et ne dépend pas uniquement de celle de biens et services matériels. Le bien-être social peut aussi ne pas être impacté négativement par une décroissance des flux matériels :  par exemple  plus de produits réparés localement, moins de produits neufs importés, moins de déplacements contraints et des modes de transport plus légers, plus de nourriture produite localement et moins carbonée…

Quant aux effets de l’absence de découplage, ce sont ceux du changement climatique dans un scénario de poursuite de la croissance des émissions de GES. Ils sont bien documentés par le GIEC et il est clair qu’ils sont délétères pour la très grande majorité des habitants de la planète. Sans prétendre à les résumer ici, on peut rappeler que notre planète deviendra en partie tout simplement inhabitable[14].

Peut-on remplacer, compléter ou enrichir le PIB ?

Si le PIB est devenu un mauvais indicateur de bien-être social, nous avons quand même besoin d’horizons, de sens à nos vies, d’une certaine forme de progrès. Le PIB a servi pendant des années de boussole sur ce plan. Mais nos sociétés sont aujourd’hui en panne de sens, et c’est pour certains une source profonde de souffrances et de tensions sociales. L’action contre la dérive climatique en donnant un but existentiel répond en partie à ce besoin de sens. Mais pas complètement car éviter le pire n’est pas un projet aussi mobilisateur sur la durée[15] que construire l’avenir.

Certains  (comme Eloi Laurent[16]) promeuvent un indicateur de santé globale, d’autres (comme Florence Jany-Catrice et Dominique Méda[17]) des tableaux de bord, d’autres le « verdissement du PIB »  (l’Insee[18]) ; nous participons chez Carbone4 à la construction d’indicateurs qui pourraient s’insérer dans un tableau de bord national[19], mais nous n’avons pas vocation à trancher ce débat sociétal.

Limitons-nous à dire ici que nous ne sommes ni promoteurs ni adversaires de la « décroissance » ou de la « croissance » du fait des confusions engendrées par ce terme.

En revanche, nous sommes convaincus de la nécessité au moins dans les sociétés dites développées de faire décroitre les flux matériels. Mais il est impératif que cette décroissance ne soit que la condition d’un projet de société suscitant l’adhésion, qui pourrait être précisément suivi par ces nouveaux indicateurs ou tableaux de bord.

Ce projet de société ne pourra susciter l’adhésion s’il n’est considéré comme socialement juste. Tous les travaux[20] sur la transition écologique mentionnent cette condition de succès. Une répartition considérée comme inéquitable des efforts sera un obstacle dirimant à la transition, même si à l’inverse, il est démontré[21] que les seuls efforts des plus aisés ne suffira pas. Les solutions à imaginer doivent se situer dans le « donut »conceptualisé par Kate Raworth[22] (au -dessus d’un  plancher social et en-dessous des limités planétaires).

La décroissance des flux matériels suppose celle de certaines activités (à forte empreinte matière[23]) et au contraire la croissance d’activités peu intensives en matières ou permettant la décroissance ou la transformation de celles qui le sont trop

Le respect des limites planétaires est compatible avec et nécessite la croissance (en volume[24]) de certaines activités et la décroissance d’autres (soit au sein d’une même entreprise, soit dans des entreprises distinctes). 

La croissance d’une entreprise peut se comprendre en deux sens : croissance du CA (donc du volume) et/ou croissance de la marge ; on peut imaginer plusieurs scénarios pour une entreprise qui veut s’aligner avec une trajectoire compatible avec l’accord de Paris. Il peut être souhaitable que certaines entreprises (aux business models pertinents) croissent au détriment d’autres. Il peut être souhaitable qu’elles décroissent en volume et soient stables ou croissantes en marge.

La décroissance des flux matériels suppose aussi la croissance des investissements nécessaires[25] pour la rendre possible sans dégrader fortement les conditions de vie. Quelques exemples : le développement de sources d’énergie bas-carbone (EnR électriques et thermiques, nucléaire), le réseau de distribution et de transport de l’électricité,  l’électrification de process industriels et de moyens de mobilité, le réseau de recharge électrique pour véhicules, les lignes ferroviaires de courte ou grande distance, la rénovation des bâtiments et des logements, etc. Elle suppose la décroissance de certaines consommations matérielles.

Il est difficile a priori d’en induire la résultante de l’ensemble de ces effets contraires sur le PIB[26].

Quoi qu’il en soit au niveau global, on observe que de plus en plus d’entreprises font de la décarbonation une opportunité de développement. Quelques exemples d’approches ou de secteurs concernés: efficacité énergétique, énergie décarbonée, économie circulaire, batteries, agroécologie, …

Ni la croissance du PIB, ni celle de la « marchandisation », ni celle des flux matériels ne sont une nécessité économique impérieuse. À l’inverse, la décroissance des flux matériels ne nécessite ni la sortie du capitalisme ni celle de l’économie marchande.

Le capitalisme est le système économique répandu dans presque tous les pays de la planète, sous des modalités très variables, souvent hybrides, qui peut faire cohabiter des entreprises à capitaux privés ou publics, des coopératives, des mutuelles et des associations et qui connait diverses formes de gouvernance et de partage des revenus. Il permet de mobiliser des capitaux (issus de l’épargne ou du crédit bancaire), des ressources biophysiques et du travail, en rémunérant la mise à disposition du capital et l’apport du travail qui permettent de constituer des actifs matériels et immatériels.

Ce système économique a connu des périodes de stabilité ou de quasi-stabilité (par exemple au Moyen-Âge où il y avait aussi des commerçants, des propriétaires de moulins, de ponts, etc., et des « capitalistes[27] »), de récession[28] et de décroissance du PIB. Il est faux de dire qu’il nécessite la croissance du PIB.

Les parts relatives des activités non marchandes (qu’elles soient publiques, associatives ou familiales) et marchandes sont très variables selon les moments de l’histoire et les pays. Et on peut penser qu’elle continuera à varier.

Dans l’histoire du capitalisme, l’invention scientifique s’est faite dans les laboratoires de recherche publics[29] et privés; l’innovation technique et sociale s’est faite dans les entreprises privées, souvent avec des aides publiques (qu’on pense par exemple au Crédit Impôt Recherche en France). Elle s’est faite aussi dans des communautés[30] bénévoles (comme les logiciels open source ou wikipedia) ou au sein d’associations (comme l’ONG DNDI[31]).

La dynamique entrepreneuriale est un « ingrédient » utile et probablement nécessaire pour accélérer la nécessaire transformation des modèles d’affaires.

Elle est indispensable pour mobiliser une partie de l’épargne privée. Elle l’est aussi pour accélérer le passage à une économie sobre, propre et bas-carbone.

Dans le domaine économique, l’avenir n’est pas déterminé

On ne pas l’induire à partir de tendances passées, les « disruptions » sont toujours possibles et les incertitudes relatives à toute prévision très élevées, ce d’autant plus qu’on se projette loin dans le temps. Les modèles mathématiques qui ont pour objet de faire de prévisions économiques sont discutables tant dans leurs hypothèses que dans les équations qui les constituent[32]. Déterminer l’avenir à partir de tels modèles s’est avéré, dans le passé, être un exercice pour le moins périlleux.

Une « croissance verte » qui proviendrait spontanément de dynamiques d’entreprises est une illusion

L’alignement du système économique (au sens large, englobant les infrastructures, les équipements et les règles du jeu ainsi que les outils de gestion micro et macroéconomiques) sur une trajectoire compatible avec les limites planétaires suppose des décisions des entreprises, des ménages et des autorités publiques (en matière de régulation et dans les différents registres des politiques publiques et de planification).

Pour autant, la rentabilité et le profit ne sont pas, de par leur seule nature, les causes des désordres sociaux et écologiques auxquels nous assistons au niveau planétaire ; c’est le fait qu’ils ne soient pas asservis à des objectifs humains et sociaux souhaitables qui est critiquable. Mais les modalités de cet asservissement sont de la responsabilité du politique.

A l’inverse laissées à elles-mêmes les forces du marché ont tendance à privilégier les solutions technologiques (numériques et autres) qui n’ont aucune raison de contribuer à la résolution du défi de la transition écologique. Le « technosolutionnisme[33] », idéologie selon laquelle l’essentiel des solutions est apporté par les technologies, n’est pas défendable :  leur développement est conditionné par leur nécessaire rentabilité, qui est calculée hors prise en compte des impacts négatifs ou positifs sur la nature.

Conclusions

Faire en sorte que notre économie soit compatible avec les limites planétaires et/ou soient du côté des solutions aux problèmes posés par le dépassement de ces limites, peut se traduire par un mix de croissance et décroissance d’activités.

Ceci ne conduit pas nécessairement à une perte de bien-être social et, au contraire, contribue à limiter les risques de perte de bien-être social, qui seront inévitables dans un monde dépassant les limites planétaires.

Ni la décroissance, ni la croissance verte n’apportent de solutions aux défis de la transition. La sortie du capitalisme, tel que défini ici n’est pas une condition de réussite de cette transition. Elle ne peut à l’inverse être laissée aux seules forces du marché et à des imaginaires « technosolutionnistes ».

Enfin, nous ne pouvons conduire la transition avec le seul indicateur qu’est le PIB même s’il reste utile. L’action publique doit être piloter en complément avec des indicateurs globaux reflétant les grands enjeux de la transition.


Notes

[1] Même si la croissance du revenu est généralement considérée comme une composante de la hausse du bien-être par ce qu’il permet d’acquérir (dont le contenu matériel n’est pas forcément la composante essentielle) Voir le rapport thématique de France Stratégie « Les incidences économiques de l’action pour le climat».

Voir aussi « Le PIB, une boussole résolument limitée pour guider nos sociétés », web-magazine Variances.

[2] Voir le module PIB, croissance et limites planétaires de la plateforme The Other Economy.

Voir aussi The Conversation, « Une croissance moins polluante ? Encore faut-il savoir ce que l’on entend par croissance…»

[3] Le PIB de l’année N est calculé à partir des données comptables des entreprises et il est ensuite « déflaté » grâce à une estimation de la hausse des prix de l’année N par rapport à l’année N-1. Voir le module PIB, croissance et limites planétaires de la plateforme The Other Economy.

[4] Voir le livre de référence sur le sujet : Une histoire de la comptabilité nationale d’André Vanoli, un des directeurs de la comptabilité nationale et fondateur du CNIS.

Voir aussi ce billet récent de l’INSEE.

[5] Le PIB est la somme des revenus primaires engendrés directement par la production. Les composantes du PIB sont des assiettes taxables !

[6] Voir le module PIB, croissance et limites planétaires de la plateforme The Other Economy, « le PIB et sa croissance sont des indicateurs centraux des discours et des politiques économiques ».

et voir the shift project « comprendre le PIB pour le remplacer selon ses usages ».

[7] Voir par exemple Le Monde – les décodeurs « comment évoluent les inégalités aux Etats Unis ».

[8] Pour plusieurs raisons possibles : affectation des gains de productivité aux marges des entreprises, délocalisation. On peut citer le cas des USA au début des années 2000 et surtout celui de l’Inde dans les deux dernières décennies (voir l’article de la Direction Générale du Trésor sur les enjeux structurels de la croissance en Inde.)

[9] Cas du Brésil, du Bengladesh et aussi des USA…

[10] Le découplage relatif c’est le fait que le ratio GES/ PIB décroit, sans que les GES décroissent ce qui caractérise le découplage absolu, situation dans laquelle les émissions de GES baissent alors que le PIB croisse.

[11] Selon le dernier rapport du GIEC, par exemple, Entre 2015 et 2018, 23 pays ont réussi un découplage absolu entre PIB et émissions territoriales, et 14 entre PIB et émissions imputables à leur consommation. Voir La Tribune – Opinion – La bonne nouvelle du dernier rapport du GIEC. Une étude récente publiée dans le Lancet observe un découplage dans 11 pays à hauts revenus entre 2013 et 2019.

[12] En 2020, 16 chercheurs ont étudié l’intégralité de la littérature sur le découplage (1157 analyses). Aucune ne fait état d’un découplage total, absolu, par le bas, global, et permanent, ce qui est considéré comme l’objectif à atteindre. Voir A systematic review of the evidence on decoupling of GDP,resource use and GHG emissions, Helmut Haberl et al 2020 Environ. Res. Lett. 15 065003.
Voir aussi la publication de Carbone4 :  Découplage et croissance verte, 2021.

[13] Réellement par rapport au numérique qui est faussement immatériel.

[14] Voir par exemple cette étude de la NASA

[15] Désigner un ennemi susceptible de vous envahir et lui faire la guerre peut mobiliser sur un motif de survie. Mais la question climatique ne peut se considérer ainsi.

[16]Voir son livre « Et si la santé guidait le monde ? ».

[17] Cf Les nouveaux indicateurs de richesse, Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice et le livre de  Florence Jany-Catrice et Dominique Méda  « Faut-il attendre la croissance ?»  2022.

[18] Voir ce billet de blog de l’Insee.

[19] La loi SAS de 2015 a instauré un tel tableau de bord comportant 10 indicateurs qui font l’objet d’un rapport annuel. Les Objectifs du développement durable de l’ ONU en constitue un autre formé de 17 objectifs, et de  plus de 200  indicateurs. Toutefois, comme le dit L’INSEE « force est de constater que ces indicateurs sont loin d’avoir l’écho du PIB dans le débat public.»

[20] Voir les rapports du Haut conseil pour le Climat et le module Inégalités de la plate-forme The Other Economy.

[21] Voir cette tribune parue en 2022 dans le journal le Monde.

[22] Voir son livre La Théorie du donut,  Plon, 2018.

[23] Au sens large : matières premières, énergie, biodiversité, surfaces, eau, pollutions, GES.

[24] C’est-à-dire une croissance des unités « physiques » (des heures de travail par exemple) qui le constituent et pas uniquement de leur prix.

[25] Il existe de nombreuses évaluation de ces besoins d’investissements (voir les propositions sur la plateforme The Other Economy sur un plan de reconstruction écologique. Les deux plus récentes en France sont celles du rapport Pisani-Ferry et celle de la Direction Générale  du Trésor. Voir Quels besoins d’investissements pour les objectifs français de décarbonation en 2030 ?  et le document de travail du 4 avril 2024.

[26] Le PIB est fonction croissance de la consommation et de l’investissement. L’effet total de plus d’investissement et de moins de consommation matérielle n’est pas facile à estimer.

[27] Voir par exemple cette visio du médiéviste Vincent Challet sur l’émergence du capitalisme au Moyen-Age.

[28] Au XIX° siècle, l’activité économique est cyclique et connait une phase de dépression de 1870 à 1896. Et la crise de 1929 où le PIB a chuté dans de nombreux pays n’a pas fait chuter le capitalisme.

[29] L’économiste Mariana Mazzucato a bien mis en évidence cette complémentarité public, privé. Voir son livre L’État entrepreneur: Pour en finir avec l’opposition public privé, traduction française, Fayard. 2020. Un exemple parmi bien d’autres. Le succès de l’iPhone tient en partie aux investissements considérables de l’État américain dans les infrastructures d’Internet (projet ARPANET), de l’écran tactile, ou celles du réseau de satellites qui nous permet de disposer du GPS.

[30] L’économiste Eléonor Ostrom a étudié la manière dont les biens communs ont été géré grâce à des communautés qui en dépendent, avec des modes de gouvernance spécifiques, qui dépassent l’opposition Etat/Marché. Voir son livre Elinor Ostrom, La gouvernance des communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles. De Boeck 2010

[31] Cette ONG (Drugs for Neglected Diseases initiative ) créée en 2003, met au point des traitements pour les maladies orphelines.

[32] Voir le working paper Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques : quelles capacités, quelles limites, quels usages ?, Alain Grandjean, Gaël Giraud

[33] Voir cet article Le « solutionnisme technologique », cette foi en l’innovation qui évite de penser le changement paru dans le Monde en 2023.

Image : La croissance vs la décroissance illustrée par Colcanopa Creative Commons BY NC 2.0

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23.06.2025 à 17:30

ZFE une totale absence de méthode tue une bonne idée

Marion Cohen

L’abandon des ZFE (zones à faibles émissions) c’est l’histoire d’un échec. Supprimées par les députés le 17 juin, elles étaient, avec le ZAN et la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des trois piliers de la loi Climat et Résilience de 2021. Elles étaient pourtant majoritairement acceptées par les gens concernés,…

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Texte intégral (4389 mots)

L’abandon des ZFE (zones à faibles émissions) c’est l’histoire d’un échec. Supprimées par les députés le 17 juin, elles étaient, avec le ZAN et la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des trois piliers de la loi Climat et Résilience de 2021. Elles étaient pourtant majoritairement acceptées par les gens concernés, totalement bénéfiques pour la santé et avec des dégâts sociaux peu importants et facilement corrigeables. Elles ont été sacrifiées sur l’autel d’un populisme de droite et d’extrême droite utilisant des arguments délirants. L’Etat n’a pas su les contrer. Surtout, les études d’impact sont arrivées trop tard et personne ne les a lues : quasiment aucune collectivité concernée n’avait jamais pensé en réaliser une alors que leurs résultats sont très favorables aux ZFE.

Quinze ans de réflexion, débats parlementaires, rapports et mission diverses pour aboutir à un fiasco

Les différentes méthodes des différents gouvernements français pour mettre en place les ZFE n’étaient pas les bonnes, c’est un euphémisme. Pourtant l’Etat, et surtout les collectivités concernées, ont largement eu le temps de connaitre leurs dossiers et peaufiner leurs stratégies : une première version en 2010 (les ZAPA issues du Grenelle de l’Environnement), une seconde en 2015 (les ZCR et l’instauration des vignettes Crit’Air), une troisième de 2017 (pour Paris et la métropole avec la circulation différenciée), une quatrième sous le nom de ZFE de 2019 (sur injonction européenne puis du Conseil d’Etat car la France trainait des pieds) et, enfin, l’obligation légale pour les villes de plus de 150 000 habitants de 2021.

Soit 15 ans de réflexion. 15 ans de débats parlementaires, de rapports et missions diverses, de polémiques et d’invectives. Et, au bout de 15 ans, parfaite réussite, l’idée était durablement installée dans la tête des Français que les Zones à Faibles Emissions n’étaient en fait que des Zones à Forte Exclusion. Idée en plus assez communément partagée du RN à LFI en passant par LR. Idée d’autant plus partagée que personne n’est allé y voir de plus près. A tel point que, le 28 mai 2025 jour où les ZFE ont été annulées par une commission de l’Assemblée nationale par LFI et le RN, personne n’était vraiment capable de dire quel était l’impact social et économique précis de ces ZFE sur les aires urbaines. Ni l’administration centrale, ni les administrations territoriales, ni les élus des strates du millefeuille territorial concernées, ni les députés et sénateurs.

Un fiasco. Mais aussi un débat totalement à côté de la plaque.

Si la Commission européenne a créé les ZFE ce n’est pas pour le plaisir d’embêter l’heureux propriétaire de la Clio diesel achetée en 2006 mais de limiter sa circulation dans les centres villes des grandes villes : son bon vieux diesel hors d’âge, CritAir3, est l’un des responsables des 48 000 morts prématurés en France pour cause de pollution. Les ZFE sont une mesure de santé publique et sont bâties sur les normes de l’OMS en matière d’émissions essentiellement de dyoxide d’azote qui, si elles étaient respectées éviteraient déjà sur la seule Île-de-France, environ 8 O00 décès par an, selon AirParif[1]. L’exemple le plus parlant pour l’Île-de-France étant celui des deux confinements de 2020 où, en trois mois, les restrictions de circulation ont permis d’éviter respectivement 510 décès en lien avec le monoxyde de carbone et les particules fines. Et en France ce sont 3 500 décès qui ont été évités en 2020[2]. Londres, Madrid, Berlin, Munich ou Lisbonne où des ZFE ont été mises en place et sont respectées (il y en a plus de 300 en Europe actuellement) ont toutes mesuré un effondrement des émissions de carbone. Les hôpitaux allemands à l’intérieur des ZFE ont ainsi enregistré une baisse significative, entre 2 et 4%, du nombre de diagnostics liés à la pollution atmosphérique due à la réduction des maladies cardiovasculaires et respiratoires chroniques. Et A Madrid les émissions ont baissé de 32% depuis l’instauration de la ZFE. Les ZFE c’est donc d’abord moins de morts malgré les dénis du RN (« Non, je suis catégorique : les ZFE n’ont aucun effet positif » a expliqué le député Pierre Meurin dans la revue Causeur)

Des bidouillages de chiffres sans queue ni tête en guise d’enquêtes

Mais la santé n’était pas la préoccupation. C’était l’atteinte liberticide au droit de circuler qui les motivait et ils ont déroulé des arguments de plus en plus délirants sans jamais être contredits. Au RN, le député Pierre Meurin a expliqué que « 13 millions de Français étaient menacés de PV à 68 euros » dès qu’ils mettraient une roue dans une ZFE. Ou que les ZFE c’était l’interdiction pour les ruraux de bénéficier des services publics de santé et de l’accès à l’emploi, « une mesure séparatiste mise en place par des technos-écolos-bobos urbains contre des Français bien élevés qui travaillent » explique-t-il au Monde! L’écrivain Alexandre Jardin a, lui, pris la tête de la jacquerie contre l’« ignominie » des ZFE au nom de ceux qu’il appelle les « gueux » : « on interdit de fait de ville plus de 20 millions de Français qui n’ont pas les moyens de changer de voiture et n’ont pas d’alternative pour aller travailler, se soigner à l’hôpital… vivre ! » écrit-il dans Le Figaro. Les élus de droite ont suivi, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau partant en guerre contre l’écologie punitive le ZAN[3] et les ZFE lors de leur campagne pour la présidence de LR. Et bien sûr les médias : ceux de l’extrême droite, avec le groupe Bolloré pied sur l’accélérateur, mais surtout Le Figaro qui en a fait un de ses chevaux de bataille. L’éditorialiste du quotidien, Yves Théard, homme pourtant modéré, a ainsi repris, sans pincette ni guillemets, les arguments de la Ligue des Conducteurs (elle existe) :« cette politique discriminante à relent bobo, a-t-il écrit le 9 mars, touche une fois de plus les banlieusards au niveau de vie modeste, privés d’autre moyen de transport, mais aussi les artisans, les livreurs, etc. Selon une enquête de la Ligue de défense des conducteurs, elle pourrait coûter leur emploi à un demi-million de personnes ». 500 000 chômeurs de plus, d’un coup d’un seul, pas moins ! Que « l’enquête » en question soit un bidouillage sans queue ni tête de chiffres tirés d’une étude officielle de l’Agence Parisienne d’Urbanisme et d’un sondage CSA, personne ne l’a vérifié. Elle a été largement reprise en février 2025, au moment où la grogne montait et qu’Alexandre Jardin, surfant sur la peur d’un retour des gilets jaunes, courait plateaux de télévision et manifs pour dénoncer la relégation des  « gueux ». Un déferlement de mauvaise foi (là aussi c’est un euphémisme) et d’hystérie anti-bobos accusés de repousser la pollution dans les banlieues pour mieux vivre entre eux dans leur centre-ville comme l’a expliqué l’économiste Pascal Perri dans Les Echos du 19 mai.  

En face ? Rien. On lui parlait exclusion sociale ? Le gouvernement répondait pollution et 48 000 morts prématurées par an. Mais, même là le Rassemblement national rétorqua que c’était totalement faux, que les études étaient biaisées, et il fut soutenu par des économistes pourtant respectables dans des hebdomadaires tout aussi respectables. Ceux qui auraient dû être en première ligne, les élus des métropoles et grandes villes, se sont, eux, réfugiés derrière un prudent « le gouvernement ne nous aide pas ». Alors que c’était à eux de les mettre en place et de connaitre l’impact social et économique des ZFE sur leurs propres villes, ils ne savaient rien. Ou si peu.

Pourtant, à partir du milieu de l’année 2024, alors qu’il était encore temps de contrer le populisme anti ZFE, les premières études sérieuses ont pointé leur nez. Pas beaucoup d’études. Seulement 4 en 6 mois. Mais elles démontraient tout le contraire du duo Jardin-Meurin.

Dans l’ordre de parution : la note d’Hugo Parsons pour l’APUR en août 2024 sur les impacts sociaux et économiques liés à la restriction des véhicules Crit’Air 3 et plus  dans la métropole du Grand Paris, l’étude de Charlotte Liotta sur les inégalités d’accès à l’emploi dans les ZFE en novembre 2024[4], l’étude de Lucie Carriou sur l’opportunité de la ZFE-m dans la communauté d’agglomération de Saint Nazaire en décembre 2024 et l’évaluation des impacts ex ante d’une zone à faibles émissions sur la pauvreté et la vulnérabilité liées aux transports[5] dirigée par Sandrine Mathy en avril 2025 sur la métropole de Grenoble.

Moins de 3 Franciliens sur 100 sont en fait impactés par la ZFE

Ces quatre enquêtes ont un point commun : elles n’ont eu aucun impact médiatique. Même la première, concernant Paris la plus grande et la plus polémique métropole française, a fait un grand flop médiatique. Seule la CCI d’Île-de-France y a réagi. Mieux : alors que l’APUR travaille pour la Mairie de Paris et la Métropole, aucun député parisien ou francilien n’en a tenu compte lors des débats sur les ZFE. Pourtant, il eût été intéressant de savoir qu’il n’y avait dans la métropole du Grand Paris « que » 47 000 ménages qui étaient à la fois en dessous du seuil de pauvreté, propriétaires d’une voiture ne répondant pas aux critères de pollution et assez éloignés d’un transport en commun. 47 000 ménages, c’est 2,69% des ménages de la métropole. Savoir cela a au moins deux avantages : d’une part détruire les arguments des anti ZFE et d’autre part, comme l’on sait enfin de quoi l’on parle et que les dégâts sociaux sont finalement assez limités, permettre à la Métropole de trouver des solutions, des prêts et des dérogations pour ces 47 000. Ou d’en trouver pour les 155 000 travailleurs essentiels vivant dans le périmètre de la ZFE obligés de prendre leurs voitures Crit’Air 3 ou plus à cause de leurs horaires décalés… Mais pour trouver une solution, il fallait connaitre le problème.

Très peu de ménages sont concernés et les solutions sont simples et peu onéreuses

A Grenoble, les résultats sont encore plus nets. L’enquête a été réalisée sur l’agglomération élargie, 822 000 habitants. Cela représente 362 000 ménages dont environ 29 000 (8%) sont réellement concernés par la ZFE : ils n’ont d’autre solution que d’y aller en voiture et la leur n’est plus dans les critères. Là aussi on est loin des assertions anti ZFE. Mais il y a plus intéressant : parmi ces 29 000 ménages, 16 500 ne sont pas des ménages à haut risque. Ils peuvent faire du report modal, du vélo ou acheter une jolie voiture qui va bien car ils sont plutôt aisés. Pour eux pas de problème.  Ensuite 3 770 autres ménages peuvent changer de destination sans souci aucun. En clair changer de supermarché ou de salle de cinéma ; l’enquête étant entre autres appuyée sur les données du CEREMA qui indiquent tous les motifs de déplacement le montre parfaitement. Après, 8 730 ménages (30% des ménages concernés par la ZFE) n’ont eux aucun report modal possible et n’ont d’autre solution que d’acheter une voiture. Pour la plupart (7130 ménages exactement) cela ne pose pas de problème, ils ont les revenus et un jour ou l’autre ils avaient prévu de changer leur voiture

Il en reste 1 600. 1 600 ménages qui n’ont strictement aucun moyen financier et ont obligation de circuler dans la ZFE pour une raison impérative (travail, soins, démarches administratives etc…). Là est le problème. Ils ne représentent « que » 0,4% des ménages de l’agglomération, mais ils ont un revenu par unité de consommation[6] inférieur au seuil de pauvreté (13.500€/an par unité de consommation en 2020) et la part des dépenses de mobilité dans leur revenu est supérieure à deux fois la médiane nationale ! Là, il y a besoin de politiques de soutien. Surtout qu’un cinquième environ de ceux-ci (on ne parle donc plus « que » de 0,08% des ménages de l’agglomération) cumule d’autres vulnérabilités (travail de nuit, grandes distances domicile-travail, structures familiales particulières renforçant la vulnérabilité etc …) qui appellent des aides spécifiques supplémentaires. L’économiste de l’environnement Sandrine Mathy a évalué le montant global de l’enveloppe d’aides financières pour cette catégorie de la population : 6 millions d’euros[7]. 0,8% du budget de la métropole de Grenoble pour corriger les inégalités sociales engendrées par la ZFE, cela devrait être possible.

L’avantage considérable de ces travaux est qu’ils permettent de dire exactement quoi faire pour compenser les effets discriminants des ZFE. Beaucoup d’élus (et d’économistes) se plaignent qu’on a mis en place les ZFE sans les mesures pour les accompagner et que l’Etat ne les aide pas. Mais en quoi est-ce à l’Etat de connaitre les besoins des habitants d’Echirolles ou de Fos sur Mer en matière de mobilité ? Les présidents de la métropole de Lyon ou d’Aix Marseille ne peuvent pas demander de l’aide tout simplement parce qu’ils sont incapables de quantifier leurs besoins. Alexandre Jardin n’a d’ailleurs pas tout le temps tort. Dans tous ses écrits et interviews, il parle, encore et encore, du même exemple qu’il dramatise à l’excès dans Le Figaro du 8 janvier : « je suis allé dans un petit village à côté de chez moi, pas très loin. J’ai discuté avec X qui m’a dit être obligé d’aller à l’hôpital une fois par semaine et en même temps d’aller chercher son enfant pour le ramener chez lui le week-end… Il est trop pauvre, il est au RSA, il a une bagnole de merde, il ne peut plus y aller, il va mourir. Et son fils ne le verra plus ». Alexandre Jardin habite à côté de Narbonne, ville qui a mis en place une ZFE. Le cas qu’il soulève est très exactement le même que ceux qu’analyse Sandrine Mathy à Grenoble. Il aurait pu être traité simplement si le Grand Narbonne avait réalisé ce type d’étude et pris conscience du problème. Alexandre Jardin préfère manifester devant l’Assemblée nationale alors que la solution est à côté de sa porte.

Adapter une ZFE aux besoins est finalement simple, comme à Saint Nazaire

Ce type d’études possède un autre avantage, montrer que chaque agglomération a ses solutions spécifiques. Saint Nazaire ne ressemble ainsi ni à Grenoble ni à Paris : non seulement les ménages les plus modestes se trouvent proches du centre-ville, mais Saint-Nazaire bénéficie en plus d’une offre extrêmement dense en matière de transports en commun. Or 65% des résidents de la ZFE travaillent à St Nazaire et 35% à Montoir de Bretagne qui sont toutes deux des communes parfaitement pourvues en matière de transport en commun : tous les habitants ou presque dont les voitures ne correspondant pas aux critères ont donc une alternative de déplacement. L’étude du CEREMA faite par Lucie Carriou a été réalisée en 2024. Elle montre qu’en cas d’application immédiate de l’interdiction des Crit’Air 4, 5 et NC environ 3600 VL appartenant à des résidents de la ZFE-m seraient interdits de circulation. Mais en cas d’application différée (sous deux ans) il n’y aurait plus que 760 voitures appartenant à des résidents qui seraient concernées. En tenant compte du renouvellement tendanciel du parc local, ce ne serait plus que 100 VU ou VUL appartenant à des résidents ou des professionnels résidents de la ZFE qui resteraient à « traiter » en 2026. C’est peu. Très peu même. Loin des délires populistes.

Reste un souci avec le parc automobile des résidents pauvres de la ZFE-m. Lucie Carriou évalue à 200 le nombre de véhicules concernés. 200 véhicules dont la plupart ne roulent généralement pas pour aller au travail puisque le centre-ville est très bien pourvu en transports en commun, mais que potentiellement leurs propriétaires n’ont pas forcément la possibilité financière de changer. 200 c’est très peu et la batterie de solutions possibles est assez grande : de la dérogation pure et simple (dans l’attente de l’achat d’un nouveau véhicule), aux aides financières en passant par les dérogations pour des cas précis ou la gratuité des transports en commun…. Problème identifié, problème résolu ?

Enfin, à St Nazaire comme ailleurs, les visiteurs occasionnels, les touristes ou les « gueux » de Jardin et Meurin : il en restera un peu plus de 1500 qui en 2026 ne répondront pas aux critères pour accéder à la ZFE. Pour eux une seule solution : laisser leur vieille voiture dans un parking relais à l’entrée de la ZFE puis transports collectifs, covoiturage, vélo etc…. Et des aménagements seront faits pour certains motifs comme les soins médicaux ou les convocations administratives. De même, dans certaines ZFE-m, l’accès à l’offre culturelle, commerciale et de loisirs peut être facilitée le week-end, période où les niveaux de trafic routier sont plus faibles, en modulant la période d’application de la ZFE-m, ou en encourageant le report modal par la gratuité des transports collectifs le week-end. La métropole de Saint Nazaire n’est pas plus une forteresse que les autres.

Aucune collectivité, en France comme en Europe, ne s’est penchée sérieusement sur l’accès à l’emploi dans les ZFE

Quant à l’emploi, c’est une autre problématique. Le sujet ne semble guère intéresser l’Etat ou les collectivités. Une seule étude pour l’instant, celle de l’économiste Charlotte Liotta. C’est d’ailleurs, selon l’économiste, la seule étude jamais réalisée en Europe sur les liens entre les ZFE et l’accès à l’emploi Elle a analysé l’impact attendu des ZFE sur l’accès aux emplois dans huit villes avec ZFE : Grenoble, Marseille, Montpellier, Nice, Reims, Rouen, Strasbourg et Toulouse. Elle a évalué l’accessibilité aux emplois, c’est-à-dire le nombre de postes auxquels peut prétendre un individu en fonction de sa catégorie socioprofessionnelle et de son temps de trajet. Et elle a comparé la situation actuelle (2024) à la situation future, à la date où chaque ville a prévu d’achever sa ZFE. Les résultats ne sont pas enthousiasmants, les pertes d’accessibilité à l’emploi pouvant atteindre plus de 20% en moyenne pour certaines catégories socio-professionnelles à Grenoble, Montpellier, Rouen, ou Strasbourg : certains trajets domicile-emploi deviennent plus longs, le ménage possède un véhicule polluant, l’alternative en transport en commun ou à pied est plus longue etc… En termes d’inégalités, les plus impactés sont les employés et les ouvriers dans 6 des 8 villes (Grenoble, Montpellier, Rouen, Strasbourg, Nice, et Toulouse). Les villes ont des problèmes spécifiques. Ainsi dans deux villes les ZFE n’affectent pas davantage les employés et ouvriers que les autres CSP[8] : Marseille, car les transports en commun sont relativement accessibles aux employés et ouvriers, et à Reims, car les ménages les plus modestes possèdent peu de véhicules polluants et habitent peu dans la ZFE.

Sur le dossier emploi/ZFE chaque ville va donc avoir des solutions différentes, il s’agit d’un travail sur les mobilités et l’intermodalité et l’Etat n’y peut rien. Il peut travailler sur les aides financières pour les véhicules mais le reste dépend des collectivités. Elles ne se sont clairement pas emparées du volet social des ZFE et les députés ont basculé dans le populisme : au sein de la commission de l’Assemblée nationale, le 28 mai 2025, la totalité des députés LFI et RN a voté pour la suppression des ZFE. Aucun ne devait probablement avoir lu une seule des quatre études d’impact.

La remise en cause des ZFE par l’Assemblée nationale est d’autant plus navrante que la même économiste Sandrine Mathy, avec la même équipe et sur le même territoire, avait réalisé en 2022-23 une étude sur l’acceptabilité de la ZFE. Ses résultats avaient montré une acceptabilité relativement élevée, 54% l’estimant acceptable ou très acceptable, que ce résultat était comparable aux niveaux d’acceptabilité dans d’autres villes européennes, et surtout que cette acceptabilité traversait toutes les couches de la population de manière similaire. En d’autres termes une mesure majoritairement acceptée par les gens concernés, bénéfique pour la santé et avec des dégâts sociaux assez peu importants et relativement facilement corrigeables, a été sacrifié sur l’autel du populisme.

Jean-Pierre Gonguet, journaliste.


Notes

[1] https://www.airparif.fr/sites/default/files/document_publication/Rapport-Enquete-Mortalite.pdf

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

[3] ZAN – Zéro artificialisation nette. Objectif à 2050 mise en place par la loi Climat et résilience de 2021 pour lutter contre l’artificialisation des sols.

[4] Voir un résumé ici https://www.connaissancedesenergies.org/pollution-zfe-inegalites

[5] Voir un résumé sur The Conversation https://theconversation.com/zones-a-faibles-emissions-au-dela-de-verdir-lautomobile-un-levier-vers-les-mobilites-durables-255638

[6] Pour comparer le niveau de vie des ménages, on divise le revenu global du ménage par le nombre d’Unité de consommation (UC) généralement calculé de la façon suivante : 1 UC pour le premier adulte, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans. Pour en savoir plus consultez la Fiche Comment mesurer les inégalités monétaires sur la plateforme The Other Economy.

[7] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2213624X24001639?via%3Dihub

[8] CSP : Catégorie socioprofessionnelle. Définition et liste complète de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles sur le site de l’Insee

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11.06.2025 à 16:13

Destruction de la vie sur Terre : Donald Trump prend la direction des opérations

Alain Grandjean

Donald Trump mène à marche forcée au niveau fédéral américain des actions de fond pour éliminer toute contrainte (fiscalité, normes, réglementations, interdictions, et les moyens de recherche et de contrôle…

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Texte intégral (5510 mots)

Donald Trump mène à marche forcée au niveau fédéral américain des actions de fond pour éliminer toute contrainte (fiscalité, normes, réglementations, interdictions, et les moyens de recherche et de contrôle qui vont avec) à la libre exploitation – entendre destruction- de la nature par les entreprises. Simultanément, il réduit tout ce qu’il peut au plan de la solidarité et du social. Il cherche aussi à faire adopter cette approche dans le monde entier, notamment en soutenant dans les pays européens les partis d’extrêmes droite qui la partagent[1]. Nous allons dans la suite tenter de mieux comprendre la logique des actions de Donald Trump et en déduire les domaines où doit s’envisager la lutte contre elles.

Cette simultanéité (de l’action anti-sociale et de la destruction du vivant) ne doit rien au hasard. Elle repose sur la psychologie de Donald Trump et sa conception du monde, partagées par une poignée d’ultra-riches[2]. Tout d’abord, une avidité sans limite[3] et une totale absence d’empathie[4] qui le conduisent à ne pas vouloir partager le moindre morceau de pain avec les « déshérités » de la Terre. Ensuite, une incompréhension abyssale des mécanismes biologiques et écologiques, qui lui fait penser qu’il pourra toujours s’en sortir (lui, sa famille et ses copains) même dans un monde où la nature est mise à sac, grâce à ses moyens financiers et à son pouvoir politique. Enfin, un sentiment de toute puissance tel qu’il pense pouvoir imposer cette « conception » au monde entier.

Quelques exemples des mesures prises par Donald Trump
Il nous est impossible ici d’être exhaustif tant l’activité de Trump est compulsive et intense. Limitons-nous à quelques exemples significatifs.
Côté « instruments de mesure », des centaines de professionnels ont été licenciés de la célèbre agence NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) de la NASA qui vient en outre de se voir imposer de ne plus mettre à jour sa base de données sur les catastrophes climatiques. On peut considérer aussi que les coupes dans les sciences sociales – sous la bannière d’une critique du « wokisme » pour le moins confusante- visent à limiter la connaissance des faits qui le dérangerait.
Côté santé, il a procédé à la suppression de plus de 12 milliards de dollars de subventions fédérales, au démantèlement des agences sanitaires, au retrait brutal de l’OMS et à l’arrêt des programmes USAID.
Côté régulation environnementale, dans la logique de son slogan de campagne « We will drill, baby, drill », il a signé un décret pour « libérer le potentiel extraordinaire des ressources de l’Alaska » (son pétrole), qui condamne le refuge faunique national de l’Arctique[5]. Il vient d’en signer un autre pour accélérer l’exploration et l’exploitation des minerais contenus dans les fonds marins[6], y compris dans les eaux internationales, en violation du droit international.Il a ordonné le maintien en activité de deux vieilles centrales à charbon des années 1960 qui allaient fermer[7]. Il a réduit, dans le budget qui vient d’être approuvé par la Chambre des représentants[8], les aides à la décarbonation mises à place par l’administration Biden[9].
Il a également décidé de mettre à zéro le cout social du carbone[10], utilisé par l’administration dans les études coûts-bénéfices pour intégrer à l’évaluation d’un investissement ou d’une politique publics les impacts que le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre de cet investissement ou politique causeraient à l’économie. Mettre à zéro ce coût c’est considérer que le changement climatique n’a pas de conséquences économiques négatives[11]. C’est ôter un frein de plus à la non-prise en compte du climat.
Cette mesure s’ajoute au refus de subvention de recherches portant sur le climat (entre autres) et à la réduction drastique des effectifs de l’agence américaine de l’environnement (l’EPA)[12].
Sur le plan international, Trump est aussi actif ; il exerce une forte pression pour que la Banque mondiale et le FMI ne s’occupent plus du climat. Il cherche à affaiblir le pouvoir d’un groupe de travail de haut niveau créé en 2020 pour examiner les risques liés au changement climatique[13].

1. Pénurie physique réelle ou imaginaire ?

Les risques de pénurie physique liées aux limites planétaires pourraient donner un semblant de rationalité à cette « conception ». Comme écrit dans un post[14] de ce blog : « Dans une situation de pénurie, pour que la population ne disparaisse pas entièrement, une minorité doit avoir accès à plus que ses besoins vitaux[15] quand une partie de la population ne peut que manquer du nécessaire. Dans cette situation, l’histoire a montré qu’une caste de dominants (une oligarchie) accapare des ressources en excès, exploite à son profit la peur de manquer de l’immense majorité de la population et use des méthodes les plus brutales pour conserver ses privilèges. »

Arnaud Orain, dans son essai sur le capitalisme de finitude[16] compare la montée de l’impérialisme contemporain (de Xi Ping à Trump en passant par Poutine, Erdogan et autres « apprentis empereurs ») avec des formes passées[17] du capitalisme protectionniste[18], en insistant sur l’idée que dans les deux cas, et contrairement à l’idéologie libre-échangiste, l’économie est vue comme un jeu à somme nulle. Ce qui est pris par l’un ne l’est pas par l’autre alors que l’idéal du libre-échange est la croissance du gâteau.

Citons un extrait de la quatrième page de couverture de son livre: « L’utopie néolibérale d’une croissance globale et continue des richesses est désormais derrière nous. Mais le capitalisme n’est pas mort pour autant. Sa forme actuelle n’est ni réellement nouvelle ni totalement inconnue, car elle est propre à tous les âges où domine le sentiment angoissant d’un monde « fini », borné et limité, qu’il faut s’accaparer dans la précipitation. Ce capitalisme se caractérise par la privatisation et la militarisation des mers, un « commerce » monopolistique et rentier qui s’exerce au sein d’empires territoriaux, l’appropriation des espaces physiques et cybers par de gigantesques compagnies privées aux prérogatives souveraines, qui dictent leurs rythmes. »

Arnaud Orain ne se prononce pas vraiment sur la réalité des tensions matérielles. Or la situation, sur ce plan, est devenue radicalement différente, ce qui fragilise l’analyse d’Orain (sans l’invalider), tant sur le plan des représentations que sur celui des réalités physiques. Jusqu’à la fin de la deuxième moitié du XX° siècle, la Nature était vue comme infinie. Et simultanément, le refus des limites voire la valorisation des transgressions se sont imposés comme valeurs en Occident[19], à l’opposé complet de la morale traditionnelle et de l’idéal chrétien de pauvreté, rappelé obstinément par le pape François et réitéré par Léon XIV. Ce refus des limites est devenu une des causes de la destruction de la nature, et il est évidemment partagé par Donald Trump et les ultra-riches.

Mais ce refus ne doit pas être confondu avec un aveuglement total : ces ultra-riches n’excluent pas une crise majeure -à laquelle ils contribuent[20]– et sont effectivement obsédés par le risque de manquer[21]. Ils en veulent toujours plus, en particulier pour se préparer à cette éventualité. A raison- de leur point de vue-car les limites sont bien là, objectives ; le monde est bien fini et les raisonnements économiques (comme par exemple celui qui fonde la règle de Hotelling[22]) sont tout simplement faux.

Donald Trump pourrait donc se dire que, pour qu’il dispose, lui, de plus de moyens physiques, il serait de bonne politique de réduire la pression anthropique globale sur la Nature, qui réduit la taille du gâteau[23]. Mais ce n’est pas du tout le cas, ce qui révèle une part de son psychisme. Il préfère détruire les instruments permettant de mesurer cette pression et la répartition sociale de ces effets (ce que peuvent faire les sciences sociales, cf encadré ci-avant), et supprimer les outils de régulation dans plusieurs buts :

  • ne pas limiter les gains des milliardaires et des « winners » futurs milliardaires ;
  • réduire la part du gâteau des « losers », les pauvres et déshérités qui sont aux premières loges du changement climatique et de la destruction du vivant ; « tout pour moi, rien pour les autres», c’est assez simple à comprendre.
  • faire cesser la production d’ informations qui seraient contraires à sa pensée et ses intérêts.

Citons sur ce point une récente tribune de Johanna Siméant-Germanos « La démocratie suppose de pouvoir collectivement délibérer d’une situation à partir de faits. Comme le disait Hannah Arendt, « la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie ». Si les faits ne sont pas connaissables, le débat est une fiction. Celui qui contrôle les récits contrôle en partie l’issue de la délibération. »

Les politiques fiscales et budgétaires qu’il veut mener sont limpides sur ce plan (réduire autant que possible les dépenses sociales et la fiscalité sur les plus riches). Les Etats-Unis se sont retirés de l’accord sur la taxation des multinationales et menacent de représailles les pays taxant les groupes américains[24]. Donald Trump veut faire voter un budget limpide : ce sont les classes sociales des déciles supérieurs qui vont en bénéficier au détriment des classes inférieurs comme le montre un rapport de l’office budgétaire du congrès[25]. Sans rentrer dans les détails, il comporte de très fortes réductions d’impôts et des réductions fortes des dépenses sociales et environnementales.

C’est ainsi qu’on peut également interpréter les mesures hallucinantes prises dans le domaine de la santé (voir encadré ci-avant), au moment même où les mutations de virus grippaux (H5N1[26] et H7N9[27]) alertent la communauté scientifique mondiale sur un nouveau risque pandémique. La conséquence en est inéluctablement des millions de morts, voire beaucoup plus.

2. Les ultra riches s’en sortiront-ils ?

Il peut sembler étonnant que Trump se sente personnellement protégé, tout comme sa famille et la caste des ultra-riches, des conséquences du changement climatique et de la destruction de la nature. C’est là qu’intervient son incompréhension des mécanismes du vivant, que Dieu même ne pourra pas modifier ! Il est assez évident que l’humanité ne peut faire face à des pandémies que par une action concertée au niveau mondial et par l’acquisition d’une immunité collective. Un virus virulent, pas autant qu’Ébola qui tue trop vite les porteurs, mais très contagieux pourrait frapper, sans possibilité de s’emmurer contre lui, la grande majorité des habitants de cette planète. Pour s’en protéger, la richesse ne sera pas une barrière absolue. Quant aux dégâts du changement climatique, il faudra disposer de moyens extraordinaires (dont des moyens de prévisions météos efficaces à tous les horizons de temps pour se réinstaller ailleurs, ce qui suppose de poursuivre les efforts scientifiques dans ce domaine !!!) pour éviter à coup sûr d’en être la victime. Plus globalement, il n’y aura pas la place pour une poignée d’humains même très riches dans une planète dévastée. Mais tout ceci ne pénètre pas dans le cerveau de Trump ni de celui des technophiles Trans humanistes qui l’influencent.

3. Combattre Trump : comment ?

Donald Trump et les ploutocrates qui le soutiennent, mettent bien dans le même sac la destruction de la vie non-humaine et celle des humains qu’ils soient issus des classes moyennes supérieures, moyennes et pauvres.

L’Europe a sa carte à jouer pour limiter la casse. Nous n’aborderons pas ici les mesures à prendre au plan écologique (voir par exemple notre dernier livre) mais nous nous limiterons à celles qui conditionnent leur implémentation.

Ce que nous venons de voir montre bien que l’opposition à Trump doit se faire sur les deux fronts simultanés : limiter sa violence contre la majorité des humains et contre la Nature. C’est aussi à l’évidence stratégiquement bien plus efficace : la Nature, si on s’autorise à la personnaliser, se révolte et nous fait sentir ses « désaccords » avec les préjudices qu’elle subit. Gaia rugit et même beaucoup plus…nous sentons et sentirons toujours plus notre douleur. Mais il est à craindre que cela ne soit guère efficace face à des « Trumps » aveugles et sourds, qui veulent en outre détruire tout instrument de mesure caractérisant l’ampleur de cette réaction. La Nature enfin ne vote pas ; les hommes si, dans les pays démocratiques et, espérons-le, encore pour quelque temps.

4. La séparation des pouvoirs.

Trump nous révèle tout d’abord à quel point il est important de sauvegarder l’essence de nos institutions qui visent à garantir la séparation des pouvoirs. Précisons.

A. La séparation du religieux et du temporel.

A cet égard le media le Grand continent a raison de nous alerter sur le risque de « l’option carolingienne ». Le pouvoir spirituel doit être séparé du pouvoir temporel. Ce n’est pas le cas dans de nombreux pays mais cela l’était aux États-Unis et c’est le cas en France. Or Trump est tenté de prendre le pouvoir sur la nomination des évêques[28] et ainsi de contrôler l’Église catholique aux États-Unis, comme Vladimir Poutine contrôle l’Église orthodoxe en Russie. Cela pourrait sembler anecdotique mais ça ne l’est pas. L’Église catholique bénéficie encore (malgré les scandales sexuels et sa posture moralement rigide) d’une écoute auprès de plus d’1,4 milliard de fidèles (sur 2,4 milliards de chrétiens) notamment dans les pays pauvres et en développement. Or les religions dans leur grande majorité promeuvent des modes de vie sobres.

B. La séparation du politique et de l’économique.

Trump est la caricature de ce qu’il faut éviter. Un businessman qui veut gérer un pays comme une affaire et qui patauge dans les conflits d’intérêt. Pire encore, il ne défend évidemment pas l’intérêt général de son pays, mais l’intérêt du monde des affaires et de ces proches et affidés. Le système politique américain qui a déplafonné les montants des financements de campagne est évidemment une des sources premières de cette situation[29]. Au-delà, l’idée, souvent promue par les milieux d’affaire, qui consiste à faire croire que l’État doit être géré comme une entreprise et que les entrepreneurs sont les mieux placés pour se faire, est fausse et doit être dénoncée.

C. La séparation du judiciaire, du législatif et de l’exécutif.

Cette séparation est bien connue depuis Montesquieu. Elle est menacée aux États-Unis par Donald Trump qui se considère à titre personnel comme au-dessus des lois et a pris plusieurs décisions pour s’inféoder la justice et tout particulièrement la Cour suprême.

D. Le scientifique et le politique.

Les attaques répétées de Trump contre la science[30] vise au premier chef le climat. Mais elles concernent aussi de fait le domaine de la santé et celui des sciences sociales. Il y a fort à parier que, tout comme Staline (avec l’affaire Lyssenko mais pas uniquement), Trump et ses amis milliardaires souhaitent le développement de la science quand elle va dans le sens de leurs intérêts et idéalement privatiser la science.

Cette confusion est éminemment dangereuse. Concernant la santé (et en particulier les vaccinations et actions collectives contre les pandémies), il est évident qu’il s’agit d’un commun mondial et que les actions de Trump vont augmenter drastiquement les risques pour la majorité de la population mondiale. Concernant les sciences du climat et de l’écologie, il est inutile d’argumenter longuement sur le fait que leurs apports sont d’autant plus décisifs qu’il s’agit de domaines où, les impacts étant pour l’instant peu accessibles aux sens, les évaluations des conséquences des dérives climatiques et de l’effondrement de la biodiversité reposent principalement sur les travaux des scientifiques.

5. La synergie entre enjeux démocratiques, sociaux et écologiques.

La clef pour cantonner l’action de Trump se trouve bien chez les classes moyennes supérieures, moyennes et pauvres[31] qui sont les plus exposées à son action. La démocratie reste le seul rempart contre la ploutocratie… Mais nos concitoyens sont trompés par les promesses de ces ploutocrates aux États-Unis comme partout.

Il n’y pas de doute que la bataille contre la « décérébration » d’une grande partie de l’humanité[32] par les industriels du numérique et la bataille pour une science[33] autonome, font donc cause commune avec celle contre la destruction de la nature. C’est l’absence de discernement et la croyance aussi aveugle que stupide dans des leaders charismatiques mégalomanes qui les fait accéder au pouvoir dans les démocraties. La régulation du numérique, des médias, de la publicité, la bataille pour l’autonomie financière de l’activité scientifique… doivent faire partie de tout programme mettant l’écologie en son cœur.

Politiquement donc, on est obligé de conclure, et ce sans aucun apriori idéologique, à la synergie entre une économie plus humaine et une économie plus écologique. C’est le sens de l’Encyclique Laudato Si’ et de la notion d’écologie intégrale qu’elle promeut. L’habitabilité de notre planète est à sauvegarder pour un ensemble de raisons qui en font une nécessité incontournable.

C’est aussi, et avec toute la modestie qui s’impose à nous, le sens de l’association The Other Economy qui a pour mission d’éclairer l’économie pour rendre possible une reconstruction écologique et socialement juste.

Alain Grandjean


Notes

[1] Voir notamment Par un canal officiel, les États-Unis de Donald Trump lancent un appel au changement de régime en Europe, traduction par Le Grand Continent du texte publié le 27/05/25 sur le compte officiel du Département d’État américain.

[2] Voir le post Le scenario NOE 2.0 sur le blog.

[3] A titre d’exemple les affaires du clan Trump et de ses amis sont l’une de priorités de Donald Trump. Comme l’écrit le New York Times les conflits d’intérêt sont sans précédent. Voir par exemple cet article de Mediapart. Son voyage récent au Moyen-Orient est sur ce plan spectaculaire.

[4] Cf ce propos d’Elon Musk le 28 février 2025, dans le podcast The Joe Rogan Experience : “The fundamental weakness of Western civilization is empathy »…

[5] https://www.ledevoir.com/environnement/834913/trump-reve-exploiter-plus-petrole-alaska-industrie-aussi

[6] https://www.humanite.fr/environnement/exploration-miniere/environnement-trump-veut-lancer-le-forage-au-fond-des-oceans-meme-dans-les-eaux-internationales

[7] Coal and Gas Plants Were Closing. Then Trump Ordered Them to Keep Running. New York Times, 6/06/2025

[8] À la date de publication de cet article le budget n’a pas encore été approuvé par le Sénat.

[9] https://www.wsj.com/politics/policy/what-is-in-republican-tax-bill-39809182

[10] La valeur de l’action pour le climat (concept proche du coût social du carbone) a été réévaluée en France par une commission présidée par Alain Quinet (voir La valeur de l’action pour le climat, Rapport de la commission Quinet, 2019). Elle est fixée à en 2030 à 256 euros.

[11] Le New York Times a titré le 10/05/25 “What’s the Cost to Society of Pollution? Trump Says Zero.” (Voir l’article en accès libre sur la plateforme DNYUZ).

[12] Donald Trump veut réduire massivement les effectifs de l’Agence de protection de l’environnement américaine, Le Monde, 26/02/25

[13] Voir cet article du Finantial Times, US pushes financial regulators to backtrack on climate risk project, 9/05/25

[14] Voir sur ce blog La surabondance va-t-elle conduire au retour de la pénurie ?, 10/02/23

[15] C’est dur à accepter mais évident mathématiquement. Si toute la population a moins que le minimum vital alors elle meurt en entier. Mais pour que ce ne soit pas le cas il faut bien que la distribution des ressources soient inégalitaire, certains auront plus que le minimum vital et d’autres moins. Dans les faits, les dominants ont toujours exploité la peur de la famine et se sont accaparés bien plus que le minimum vital.

[16] Le monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIᵉ – XXIᵉ siècle). Flammarion. 2025.

[17]Au XVIᵉ – XVIIIᵉ siècle et de 1880 à 1945.

[18] C’est ainsi qu’il est en général caractérisé dans l’histoire économique.

[19] Voir sur ce blog le post Pourquoi détruisons-nous la vie sur Terre ? 26/07/22.

[20] Voir Trump face au dérèglement climatique : du climatoscepticisme au radicalisme Dark MAGA, The Conversation, 15/05/25

[21] La peur du manque peut être incoercible; tout milliardaire qu’il soit Trump comme les autres a encore peur de manquer.

[22] Voir sur ce blog le post A quand la fin du pétrole ? 14/04/23 et la Fiche La règle de Hotelling, sur la plateforme The Other Economy.

[23] Voir le livre Les Orphelins de la planète de Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, Grasset, 2025.

[24] Pour en savoir plus sur les mesures de la communauté internationale visant à imposer une taxe minmale aux multinationales voir la fiche Évasion et paradis fiscaux (partie 3.3) sur la plateforme The Other Economy.

[25] Voir Preliminary Analysis of the Distributional Effects of the One Big Beautiful Bill Act, Congressional Budget Office, 20/05/25 et

[26] Voir Pourquoi les scientifiques se préparent à ce que la grippe aviaire devienne la prochaine pandémie, BBC World Service, 25/05/25.

[27] Grippe aviaire : qu’est-ce que la souche H7N9, transmissible à l’homme, qui vient de réapparaître aux Etats-Unis ? France info, 19/03/25

[28] Qui a été conquis de haute lutte par l’Église catholique au tournant du premier millénaire et constitue l’une des clefs de la réussite de la réforme grégorienne. Voir le livre de Gael Giraud, Composer un monde en commun.  Une théologie politique de l’anthropocène, Seuil, 2022.

[29] Notons que la collusion entre politique et monde économique est également bien présente en France malgré les limites imposées dans le domaine du financement des campagnes. C’est notamment lié au phénomène des « portes tournantes » (alternance au cours de la carrière d’une personne entre les positions de haute responsabilité dans le privé et dans la haute administration et/ou les cabinets ministériels) qui facilitent la capture du régulateur par le régulé. Voir par exemple Joël Moret Bailly, Hélène Ruiz Fabri et Laurence Scialom Les conflits d’intérêts, nouvelle frontière de la démocratie, Terra Nova, 2017,

[30] Voir L’anti-science version Trump arrive en France, AOC, 12/05/25.

[31] Même si, comme au moment de la Révolution française, les leaders potentiels de cette révolution ne sont pas issus de ces classes sociales.

[32] Voir entre autres le livre de Gérald Bronner. L’apocalypse cognitive, PUF, 2021

[33] L’anti-science version Trump arrive en France, David Chavalarias, 2025. Il ne s’agit pas ici d’idéaliser l’activité scientifique, qui est, qu’on le veuille ou non, à l’origine des grandes découvertes qui ont permis à l’humanité de dominer puis détruire la nature. Mais l’attaque de Trump ne vise pas à détruire la science, elle vise à la contrôler et à la mettre au service de ses intérêts (ou perçus comme tels plus précisément).

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14.05.2025 à 11:48

Les orphelins de la planète

Alain Grandjean

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public. Nous acceptons […]

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Texte intégral (865 mots)

C’est à l’automne 2023 que nous écrivons à 6 mains (Claude Henry, Jean Jouzel et moi) un long papier à l’initiative de Claude Henry, qui sera publié en décembre de la même année dans le Monde diplomatique. Nous prenons contact avec Grasset [1] qui nous propose d’en faire un livre court, grand public.

Nous acceptons avec enthousiasme. Pauline Perrignon, notre éditrice, aura été exceptionnelle dans tout le travail qui nous conduit à sa publication le 14 mai. Je l’en remercie ici vivement.

Outre l’honneur et la joie que j’ai ressentis de travailler avec Jean Jouzel, la rédaction de ce livre aura été une occasion de plus d’admirer les qualités humaines de Claude, qui va réussir, malgré de très lourds ennuis de santé, à aller au bout du travail et de la relecture des épreuves. Il décède le 17 avril 2025, sans voir son œuvre achevée. C’est pour moi une profonde tristesse de le perdre ; j’aurais tant aimé qu’il voit ce livre dans les librairies. Il aura été exemplaire à mes yeux pendant tous ces mois où il n’a jamais baissé les bras.

Je connais Claude depuis mon passage à l’école polytechnique, où il était professeur d’économie publique. Il était le directeur du laboratoire d’économétrie de l’école quand j’y suis entré. C’est là que j’ai fait ma thèse d’économie de l’environnement qu’il a de fait co-dirigée. Il a été pour moi un maître remarquable puis nous sommes devenus, si j’ose le dire ainsi, compagnons de route.

Au-delà de ses exceptionnelles qualités intellectuelles, j’ai le plus profond respect pour ses qualités humaines tout aussi exceptionnelles, son amitié inébranlable, sa fidélité et son exigence morale. Je suis très fier d’avoir participé avec Jean Jouzel à sa dernière aventure intellectuelle .

Je ne vais pas faire ici de résumé des Orphelins de la planète, mais me contenter de dire que c’est le reflet de l’adage préféré de Claude, attribué à Guillaume d’Orange [2]:

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »

Voici un extrait de la quatrième page de couverture :

De la planète que nous laisserons en héritage à nos enfants et petits-enfants, un médecin dirait que le pronostic vital est engagé. Pronostic engagé mais pas désespéré, car les éléments d’une alternative réaliste à un processus général de dégradation ont été élaborés. Encore faut-il que ceux qui y font obstinément obstacle n’aient pas le dernier mot.

Après des décennies de maltraitance aux mains d’entreprises obsédées par le profit et d’autorités publiques défaillantes ou complices, la planète est secouée par les désordres climatiques, appauvrie en ressources vitales, imprégnée de produits chimiques de synthèse dont la toxicité menace jusqu’à l’enfant dans le ventre de sa mère. Cependant, des pionniers mettent en œuvre des solutions capables de changer la donne : ils montrent en particulier qu’il est possible et nécessaire de travailler avec la nature, et non contre elle. 

L’association The Other Economy que nous avons créée avec Marion Cohen est évidemment en pleine cohérence avec ce livre et son message.

La situation planétaire se dégrade dangereusement pour des centaines de millions d’êtres humains. Nous ne pouvons pas baisser les bras dans le combat qui est le nôtre : éclairer l’économie pour rendre possible une reconstruction écologique et socialement juste !

Alain Grandjean


Les orphelins de la planète, Alain Grandjean, Claude Henry, Jean Jouzel, Grasset, 2025

Notes

[1] Merci à Jean-Pierre Gonguet qui nous a mis en relation avec Pauline Perrignon.

[2] Guillaume d’Orange est connu pour avoir été l’initiateur et le chef de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d’Espagne Philippe II au XVIe siècle.

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13.05.2025 à 10:17

Le scénario NOE 2.0

Alain Grandjean

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions […]

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Texte intégral (7182 mots)

De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Cette question nous hante à lecture des travaux du GIEC relatifs aux bouleversements climatiques en cours, qui verront les fluctuations dévastatrices inexorablement s’intensifier bien au-delà de ce que l’on a pu déjà observer, mais aussi à la lecture des travaux de l’IPBES sur la surexploitation des ressources et les destructions irréversibles de la nature qui sont déjà largement engagées et mesurables.

Pour fournir un éclairage à la question posée, le GIEC et bien d’autres organismes produisent des scénarios car, face à des incertitudes radicales, le scénario est un des outils qui peut nous aider à sortir de la sidération.

Il ne s’agit pas de décrire l’avenir qui est largement indéterminé mais d’imaginer des possibles pour ouvrir les yeux sur ce qui pourrait arriver. Il s’agit de faire émerger des boucles de causalité structurantes, jusque-là insoupçonnées ou insuffisamment documentées, pour être mieux équipé le cas échéant, et prendre les mesures qui s’imposeraient une fois les risques à éviter à tout prix à peu près bien définis.

C’est dans cet esprit que nous allons évoquer ici un scénario[1] original et, comme on le verra,  peu attractif pour l’immense majorité d’entre nous, même s’il nous semble assez plausible. Nous proposerons en conclusion une famille de solutions visant à  éviter qu’il se réalise, mobilisant des leviers économiques, politiques et culturels, donc systémiques. Car c’est bien nos dispositifs institutionnels et leurs faiblesses qui permettent les dérives qui caractérisent les comportements moteurs de ce scénario.

Mais, avant de l’exposer, quelques mots de contexte. Comme on le verra, ce scénario repose sur l’hypothèse que les « ultra-riches », déjà détenteurs du pouvoir industriel et financier, accèdent partout dans le monde à d’autres formes de pouvoir (informationnel et politique, voire aussi judiciaire) et mettent en œuvre des programmes conformes à ce qui leur semble être leur intérêt.

1 Les ultra-riches (UR) de qui s’agit-il ?

Le terme Ultra High Net Worth (UHNW) est utilisé en finance et en gestion de patrimoine pour désigner les individus[2] dont le patrimoine net est extrêmement élevé. Généralement, une personne est considérée comme UHNW si elle possède un patrimoine net de 30 millions de dollars ou plus. On peut en estimer le nombre aujourd’hui à environ 425 000[3]. Une autre caractérisation, davantage médiatisée, consiste à parler en termes de pourcentage de la population mondiale ; et on serait alors quelque part entre les 0,01% et les 0,001% (soit entre 80 000 et 800 000 personnes). Il faut garder à l’esprit que ce tout petit groupe reste lui-même extrêmement hétérogène, une toute petite fraction concentrant bien plus de richesse et de pouvoirs que le reste du groupe.   

Quelques éléments de psychologie

Nous allons dresser ici un portrait sans doute caricatural et dont la généralisation faite ici est excessive. Tous les UR ne se retrouveront pas dans ce portrait[4]. Mais il n’est pas théorique ; il est issu de rencontres avec des personnes ayant fréquenté cette classe sociale et de lectures d’articles sur le sujet.

Le type particulier d’ultra-riche « anxieux » retenu ici partage avec les autres de n’avoir aucune empathie[5] pour les personnes les plus pauvres et de ne manifester aucune solidarité vis-à-vis d’elles. Chacun se trouve là où il mérite d’être, il n’y a pas de meilleur allocataire de ressources que le marché, voilà sa doxa. Ce qui l’inquiète et contre quoi il estime légitime de « se protéger » c’est toute tentative de « confiscation et redistribution ». Il consacre une part significative de son temps et de ses ressources à optimiser la structuration juridique et fiscale de son patrimoine, se plaçant si possible juste à la limite de la fraude ou de l’évasion. Pourquoi, en effet, devrait-il partager ce qu’il a acquis à la sueur de son front et ou par son seul génie entrepreneurial (ou celui de ses parents) et qui lui revient donc de façon méritée? La société se montre souvent ingrate à son égard. N’est-il pas pourtant celui grâce à qui tant d’autres travaillent et vivent[6] ? On devrait lui élever des statues, mais au lieu de cela ce ne sont que critiques voire insultes et poings levés de la part de probables envieux moins méritants. Cette ingratitude qu’il ressent renforce son manque d’empathie à l’égard du reste du corps social. Son rêve est dès lors de faire sécession, et de s’offrir tous les services qui sont fournis par les impôts, en beaucoup mieux, sans en payer, puisque l’impôt profite surtout aux autres.

Jusque-là, rien de bien nouveau. Mais un ultra-riche est typiquement aussi une personne bien informée et toujours prompte à anticiper. Or la situation est nouvelle et préoccupante : l’état précaire de la planète, les risques d’effondrement et de violences à venir, les menaces physiques pesant sur lui et ses enfants, tout cela ne lui a sûrement pas échappé. Dès lors, sa peur de manquer et ne pas en avoir assez n’aura plus de borne; il va devenir anxieux et souffrir de pléonexie[7]. Son drame le plus profond est en effet de ne pas savoir ce que cela risque de lui coûter de pouvoir continuer à bénéficier de ce qu’il y a de mieux possible. Aura-t-il assez ? Comment savoir ? Tout est là, dans cette incertitude radicale.

C’est pour cela, pour calmer cette angoisse, qu’il faut surtout et avant tout en avoir toujours plus. Ce n’est pas pour aller sur Mars, Mars n’est probablement qu’une métaphore, mais c’est pour bénéficier de l’accès aux technologies les plus sophistiquées, aux soins les plus chers, aux moyens de se protéger contre des hordes hagardes et affamées ; en un mot pour garder la possibilité de s’offrir l’accès au cercle des puissants, de ceux qui s’en sortent, mais dont personne ne peut prédire la taille. Car ce serait trop bête, pour lui-même et sa famille, d’avoir travaillé autant et d’échouer ; de tout rater et de mourir avec la masse pour quelques misérables millions ou milliards de dollars qu’il aurait pu assez facilement rajouter à son patrimoine, un petit pourcentage qui pourrait faire la différence.

C’est pourquoi la stratégie la plus « rationnelle »[8] consistera, pour l’ultra-riche anxieux, à utiliser les schémas qu’il connait et maîtrise, ceux qui ont fait sa fortune, et à les exploiter autant que possible pour augmenter ses chances, même si la perpétuation de ces schémas est précisément ce qui accentue les risques systémiques à l’origine de l’angoisse qu’il s’agit de combattre [9].

2 Le scénario NOE 2.0.

Nous allons brosser ce scénario de manière impressionniste par touches successives. Nous n’allons pas tenter de décrire une histoire mais plutôt une ambiance et une dynamique.

Ce qui se trame sous nos yeux

Nous assistons à  la fin de la parenthèse des Lumières, la vérité scientifique est rabaissée au niveau de simple opinion ; l’amour du prochain, la règle d’or[10], la morale de base sont de vieux et vagues souvenirs qui commencent à prêter à sourire, face au cynisme en progression. 

La séparation des pouvoirs disparaît, et la porosité redevient totale entre pouvoir politique et richesse privée. Certains économistes évoquent aujourd’hui l’émergence d’un technoféodalisme[11] qu’on pourrait appeler aussi néotribalisme[12].

Cela n’est pas le fruit du hasard[13] mais plutôt la conséquence d’une colonisation par les UR de nouvelles sphères de pouvoir, informationnelle et politique, celles qui régissent les « valeurs ». La richesse et le pouvoir ne relèvent plus en effet uniquement des territoires ou de taille de populations. Ils reposent sur les données, la technologie dont l’Intelligence Artificielle, la cyberguerre et les robots. La puissance des algorithmes a permis la montée en puissance des géants du numérique qui se sont emparés de plus en plus efficacement des cerveaux des consommateurs pour guider leurs « choix » et renforcer à leur dépends, par leur hébétude consommatrice, les écarts de richesse. Les citoyens consommateurs encore un temps solvables ne sont plus capables de discerner le vrai du faux et ne réagissent qu’à des stimulations faciles à fabriquer. Dans l’esprit des concepteurs d’une telle organisation économique et sociale, ou plutôt dans l’esprit de leurs commanditaires, il s’agit de construire les outils d’une émancipation totale. S’émanciper de la démocratie, on le voit déjà clairement aux USA, mais les Chinois et la Russie ont déjà quelques longueurs d’avance. S’émanciper aussi des problématiques de finitude des ressources qui aura, on le sait tous, et eux aussi, des effets cataclysmiques si l’on ne change pas de cap. S’émanciper enfin progressivement du besoin de s’appuyer sur d’autres humains, au fur et à mesure que des machines plus dociles, plus performantes, et moins chères, apparaitront.  

Contrairement à une idée reçue, on l’a dit, l’UR ne vit pas dans le déni des crises climatiques et environnementales. Sa préoccupation centrale est de sauver sa peau et celle de ses proches et c’est l’un des enjeux majeurs de son désir obsessionnel de faire partie du « club ». Il n’est technophile que parce qu’il pense que c’est, pour lui (et son club), la seule voie de « salut ». L’avenir du reste de l’humanité, il s’en désintéresse complètement ; ou plutôt il veut à tout prix qu’elle ne lui soit pas un obstacle. Dans ses rêves les plus fous, il croit à la possibilité de s’émanciper à terme, si possible, de la mort, la source fondamentale de son angoisse.

Glissement progressif des valeurs

Dans ce scénario, le but n’est pas de « sauver les humains » mais juste quelques humains qui décideront pour tous en attendant d’être arrivés à bon port. Mais qu’est-ce que le « bon port » ? Ce point qui touche aux « valeurs » est capital. L’organisation d’une économie, ou plus largement d’une société, ressemble peu ou prou à un processus d’optimisation[14] d’un objectif (le bien-être général, l’utilité, le PIB… ) sous contraintes de ressources (l’espace, la terre, le financement, les matières premières disponibles, la puissance militaire..), et à l’intérieur d’une « enveloppe » de risques (limiter le risque d’explosion sociale, limiter le risque de perte de souveraineté etc.)

Il s’agit de procéder à cette optimisation tout en respectant, ou en faisant évoluer, certaines « valeurs sociétales» qui sont supposées faire consensus mais qui sont d’autant plus difficiles à expliciter qu’elles correspondent souvent à des synthèses ad hoc et fluctuantes de principes contradictoires (liberté d’entreprendre mais obligation de se comporter en acteur responsable, pluralité d’informations et liberté d’expression mais encadrement des excès, solidarité mais prise en compte du mérite, partage des responsabilités toujours délicat entre public et privé, préférence nationale mais souci de générosité internationale, etc.).

C’est ici qu’avoir la main sur la sphère informationnelle, qui formate l’opinion, est clé. Car plutôt que d’apparaître comme voulant juste égoïstement sauver leur peau, les UR se donnent du coup la possibilité de changer progressivement l’objectif et le narratif accompagnant l’évolution sociétale. Jusqu’ici, on visait toujours à avoir le plus gros PIB possible. Cela avait du sens puisque l’accroissement de la puissance d’une élite passait forcément toujours par un accroissement démographique. Au début des civilisations, il s’agissait surtout d’avoir plus de fermiers et plus de soldats, ensuite on a voulu plus d’ouvriers et d’ingénieurs, et, dans la phase finale, nos grandes multinationales ont voulu toujours plus de consommateurs. Mais, à présent que les robots peuvent supplanter les humains, et que la finitude des ressources devient une évidence, ne devient-il pas urgent de remplacer cette mesure absolue, devenue obsolète et dangereuse, par des mesures d’intensité ? Par exemple, ne serait-il pas plus légitime de chercher à maximiser la richesse (ou le « bonheur ») par habitant plutôt que la somme des richesses de tous les habitants ? Progressivement, il s’agit de passer de l’injonction faite aux masses de grandir (« croissez et multipliez-vous ») à une injonction plus qualitative et individuelle. L’important n’est pas de vivre mais de vivre bien, de trouver son épanouissement personnel[15]. Les ultra-riches trouvent dans la doctrine néo-libérale l’alliée parfaite de cette transformation. Elle permet en effet, sous couvert d’un récit positif permettant à chacun d’être libre de ses décisions[16], de considérer que chacun sera donc aussi responsable de ce qui lui arrive.

Que ce soit en matière d’éducation, de nutrition, de santé, d’épargne, de travail, les dés sont pipés et les pauvres ont peu de chance de faire les bons choix, mais ne pourront se plaindre. Le plaidoyer pour la retraite par capitalisation  (plutôt que par répartition)  et au sein de ce dispositif le remplacement graduel des contrats à prestations définies par des contrats à cotisations définies sont exemplaires de ce raisonnement. L’employé ou l’ouvrier ne pourra plus s’en prendre qu’à lui-même si sa stratégie d’épargne s’avère perdante. On lui donne la « liberté » du choix. Résultat, alors qu’il n’y comprend goutte, et qu’il sera la proie facile de « conseillers en placements » peu scrupuleux, il est forcé de venir « jouer » sur des marchés financiers dans lesquels, en moyenne, il ne fera évidemment pas le poids face à des acteurs bien mieux informés et organisés, capables d’anticiper, et qui prélèveront de ce fait et à ses dépens une manne supplémentaire 

De même, le discours tendant à faire de chaque citoyen le responsable de l’effondrement de la biosphère au travers de ses choix de consommation permet de ne pas s’attaquer au cœur du problème qui est ailleurs, dans la manière dont les intérêts privés et les lobbies ont pris la main sur l’appareil législatif. Les « petits gestes » seuls, on le sait[17], ne suffiront jamais, surtout s’ils imposent des sacrifices quotidiens à ceux qui ont à cœur de les produire.

NB Ceci n’est pas un appel à l’inaction individuelle, qui peut aussi avoir du sens (la sobriété n’est pas pour tout le monde un sacrifice et a des bénéfices bien établis par diverses traditions spirituelles) mais une alerte face à l’instrumentalisation qui en est faite à de fins de domination.

Robotisation et projection démographique : le rêve des UR

Les projections démographiques retenues et traditionnellement utilisées en prospective sont celles de l’ONU dont la dernière en date voit un pic de population vers 10 milliards en 2080 puis une redescente lente. Ces scénarios sont issus d’un raisonnement par continuité : les pays en développement finissent par faire leur transition démographique et les populations des autres pays se maintiennent cahin-caha ou se contractent lentement. Mais si, à horizon de trente ans les projections sont raisonnablement fiables, à plus long terme elles sont beaucoup plus discutables. Pour ne prendre qu’un exemple, une étude de l’université de Shanghaï a montré que la population chinoise pourrait être réduite de moitié d’ici 2100[18]. Si l’humanité se retrouve divisée par 2 à chaque génération (1 enfant par femme n’est pas irréaliste[19]) on se retrouve en 10 générations à une population de quelques millions.

Si l’on arrive à faire cela sans guerre nucléaire, sans troubles sociaux majeurs, sans malaises existentiels profonds que des drogues bien dosées ne pourraient apaiser, quel bonheur! Le rêve d’une super humanité aux effectifs très réduits, vivant une vie heureuse débarrassée du poids mort des masses, et réconciliée avec ce qui restera de Nature, est donc à portée de main. Dit autrement, vu des UR, quel monde est préférable à terme ? Un monde où l’on s’est à tout prix efforcé de maintenir 10 milliards d’humains sur une planète bien incapable de satisfaire leurs appétits bien légitimes de consommation mais au prix de destructions, de violences et de frustrations infinies ? Ou alors un monde où ceux qui y vivront pourront y vivre comme des pachas puisqu’ils seront suffisamment peu nombreux pour que leur empreinte ne soit plus délétère ?

On pourrait parier sur le fait que les technologies vont évoluer, devenir plus propres, et que le nombre d’humains qu’une terre réconciliée avec son espèce dominante pourra supporter sans dommage s’en trouve augmenté au fil des prochaines décennies, mais à quelle vitesse , et quelle probabilité? Ne vaut-il pas mieux, pour le bonheur de tous, utiliser la démographie comme variable d’ajustement ? Ce n’est d’ailleurs pas hors d’atteinte puisqu’elle montre déjà les signes d’un renversement brutal[20] qu’il suffira donc juste d’encadrer et de positiver. Voilà la grande évolution des valeurs et de l’objectif sociétal auxquels il faut s’attendre. Avec une conséquence tout à fait essentielle à bien comprendre pour ce scénario :  si les valeurs évoluent comme il est décrit ci-dessus, son achèvement constituera, ou en tout cas pourra être présenté comme une immense réussite pour l’humanité. L’histoire est écrite par les vainqueurs, et c’est vrai aussi des valeurs.

Quid des retraites ?

Les économistes mainstream continuent à penser qu’il faut des humains pour faire de la croissance, et faire repartir la natalité pour payer les retraites. Or dans le scénario NOE2.0 , le travail est fait par les robots dès qu’ils sont moins chers et plus efficaces que les humains, ce qui est envisageable dans les usines, les champs, mais aussi dans les fonctions administratives, publiques et privées, médicales, dans les cabinets d’avocats et de conseil et, last but not least, sur le théâtre d’opérations militaires[21]. De ce fait, l’UR pense qu’il n’a plus besoin des pauvres et encore moins de leur payer leur retraite. Seulement d’une petite armée de serviteurs zélés à qui il faudra bien laisser quelques miettes du festin. Il se dit que, par ailleurs la planète, à bout de souffle, ne pourra jamais donner à 9 milliards d’individus le niveau de vie des américains. L’UR qui possède les robots va se dire : au nom de quoi devrais-je me priver d’une planète dont je pourrais jouir seul simplement pour que ces armées d' »inutiles » puissent passer leur vie à manger des chips devant des séries Netflix (dans le meilleur des cas à lire des livres, voyager et aller au Musée)? 

Boucle de rétroaction positive

En attendant, l’UR anxieux sera de moins en moins intéressé aux solutions de mitigation (qui demandent de dépenser pour tous car les molécules de CO2 voyagent très facilement) et de plus en plus intéressé aux solutions d’adaptation (on peut plus facilement ne dépenser que pour soi), ce qui ne fera qu’accélérer les dynamiques déjà à l’œuvre. 

Ce raisonnement est sans doute faux. Les effets du changement climatique sont systémiques et difficiles à prévoir précisément (dans le temps et dans l’espace). Les espaces apparemment préservés ne le seront pas éternellement. Pour ne prendre qu’un exemple l’effondrement de l’AMOC, considéré à ce jour par le GIEC comme peu probable d’ici 2100 aurait des conséquences considérables sur de multiples régions du monde.

Mais notre UR considèrera toujours que les solutions d’adaptation sont locales et à sa portée, s’il est assez riche…

L’arche de Noe 2.0

Plus les inégalités s’accroissent, plus l’UR n’entrevoit comme seule stratégie valable, à sa disposition, que de s’enrichir encore le plus possible selon les outils à sa disposition (donc en carbonant encore plus vite et plus fort – « drill baby drill »).

Il contribue aux projets Arche de Noé 2.0[22] (Mars en étant un symbole[23]) sous forme de portions entières de territoires totalement « bunkerisés » en Nouvelle Zélande ou ailleurs et reliés en réseau pour pouvoir se déplacer en fonction des événements climatiques extrêmes qui s’amplifient et pour constituer plusieurs solutions de replis.

3 Pure Science-fiction ? Complotisme ? Ou tout simplement scénario vraisemblable ?

Les éléments de scénario exposés ici ne sont pas de l’ordre de la science-fiction et ne reposent sur aucune invention technologique ou autre ni sur un changement de programme génétique des humains ; même s’ils peuvent sembler s’inspirer d’œuvres de science-fiction (ne serait-ce que le célèbre 1984 de Georges Orwell), ils sont aujourd’hui plutôt vraisemblables comme nous allons  le voir. Ils ne sont pas du tout complotistes : rien de ce qui le fonde n’est caché, rien d’occulte ; tout cela se joue devant nous de manière transparente. Développons.

a) Les démocraties traditionnelles vacillent, tout comme l’indépendance des pouvoirs dans le monde. Aux USA, la confusion entre le pouvoir économique et politique est totale avec Donald Trump dont les propos donnent à penser qu’il souhaite  que la justice ne soit plus indépendante et, plus généralement, éliminer tous les contrepouvoirs ; quant à Elon Musk il utilise le réseau X comme une arme de propagande massive. La Russie est aux mains d’un despote richissime et Xi-Ping est un tyran totalitaire probablement richissime aussi et qui ne supporte les riches que s’ils lui sont inféodés. Plusieurs figures de la gauche française craignent la constitution d’une « internationale » de droite radicale, alors que le vice-président J.D.Vance et Elon Musk expriment ouvertement leur soutien à des formations d’extrême droite européennes[24].

b) Les premières mesures prises par Trump (démantèlement de l’US Aid, licenciement de fonctionnaires et réduction des dépenses publiques « à la hache », mise en place unilatérale de taxes sur les produits importés, mesures contre les immigrés, suppression des programmes d’aide aux vétérans, démantèlement de l’aide alimentaire, suspension des programmes de prévention d’Ebola, etc. vont peser sur les classes moyennes et les plus pauvres. Symétriquement le soutien aux  cryptoactifs va profiter au clan Trump et aux plus riches. Il a promis de réduire le taux d’impôt société (de 21% à 15%) de supprimer l’impôt sur les successions et de supprimer l’impôt fédéral sur le revenu. Toutes ces mesures sont à sens unique et se traduiront par un transfert de richesse des  plus pauvres vers les plus riches. Le journaliste Georges Monbiot[25] montre qu’il arrivera à faire accepter ces mesures en faisant croire à chacun qu’il est moins mal traité que les immigrés et autres « vermines » responsables des problèmes américains.

Le pouvoir américain rentre en conflit ouvert[26] avec les valeurs européennes d’État de droit, de pluralisme, de liberté d’expression (et de ses limites[27]). Il veut également mettre au pas la liberté scientifique et ses règles de fonctionnement.

c) Les ultra-riches ont déjà des comportements « sécessionnistes [28]» et « survivalistes [29]» ; ils sont déjà en quête de « havres de sécurité ». On peut légitimement penser que plus les crises s’enchaîneront et seront brutales, plus ce type de comportements sera renforcé.

d) Ne peut-on pas faire l’hypothèse que l’inaction actuelle face à la dérive climatique est d’ores et déjà la preuve d’un verrouillage politique de tout programme un peu musclé ? L’explication la plus probable à l’insuffisance de l’action se trouve dans la structure de plus en plus inégalitaire du monde.

e) La montée de l’IA pour tout usage (militaire, de contrôle des personnes, etc.), la robotisation et le « crétinisme numérique » s’observent facilement tout comme la puissance financière des grandes entreprises de la tech ; les plus grandes valorisations boursières dépassent les 3000 milliards de dollars.

f) Le malentendu à propos de la Chine commence à se dissiper. L’élite chinoise n’a jamais eu comme horizon politique de permettre à 1.4 milliards de chinois d’accéder à la consommation de masse. La ligne stratégique a consisté à trouver le moyen de rattraper 300 ans de retard technologique en à peine quelques décennies, et de se retrouver en position d’exercer une forme de chantage aussi en se plaçant au cœur et ou en amont des processus industriels. Dès lors, les ploutocrates chinois pourront se comporter comme l’UR décrit ci-dessus et c’est leur but.

Conclusion

Ce scénario n’est bien sûr que l’un des scénarios possibles. L’avenir n’est pas écrit. On pourra lui opposer de nombreuses critiques.

Mais il n’est pas invraisemblable. L’intérêt de le regarder en face est double. D’une part, il donne une clef d’explication assez simple à l’inaction actuelle (ou plus précisément à l’action insuffisante) face au changement climatique et la crise environnementale. D’autre part, il aide à résister en limitant la dépendance aux pouvoirs centraux. Des communautés locales sensibles à l’étouffement des libertés, à commencer par la liberté de pensée, s’organisent pour vivre si ce n’est en autarcie, au moins de la manière la plus autonome possible par rapport au déferlement numérique.

Enfin, il permet de réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour qu’il ne se réalise pas. Ce n’est en rien un appel au meurtre[30] ni à la désignation de boucs émissaires[31]. Ce qu’il faudrait faire pour l’éviter est d’ordre politique, économique et fiscal. On ne peut sortir de la domination d’une caste que par l’impôt (sur les revenus, le patrimoine et la succession), par l’existence et le financement démocratique de médias et de leur régulation[32] (au sens large y compris réseaux sociaux), par des systèmes électoraux (tels que le système français mais pas le système américain) qui encadre étroitement les financements privés des campagnes électorales, par l’encadrement strict des activités de lobbying[33] et enfin par la mise en œuvre de politiques économiques efficaces et socialement justes[34] qui ne soient pas au service direct ou indirect de cette caste. C’est sans doute uniquement alors qu’il sera aussi possible d’éviter les scénarios les pires en matière climatique.

Alain Grandjean et Pierre Lenders


Notes

[1] Ce que nous allons exposer ici n’est pas un scénario complet mais ses lignes de force.

[2] Ce sont, pour les plus puissants d’entre eux, surtout des hommes (ou femmes) d’affaires, détenteurs d’empires industriels, technologiques et/ou financiers, mais il s’agit aussi, anecdotiquement, de quelques stars du foot, du cinéma, de la télé ou de la mode. Il peut également s’agir de dirigeants politiques de régimes autocratiques et/ou oligarchiques, contrôlant les richesses du pays qu’ils dominent.

[3] Source : World Ultra Wealth Report 2024.

[4] Comme au sein de toute population, il y a une grande diversité parmi les ultra-riches puisqu’ils sont, pour un temps plus ou moins long encore, les résultats des mêmes hasards génétiques ainsi que d’une certaine mixité historique, culturelle, sociale et éducative. Mais pour les besoins de l’analyse, nous n’allons nous intéresser qu’à la fraction des ultra-riches, appelés ici ultra-riches « anxieux » qui agissent dans le sens du scénario. Les autres types étant soit très minoritaires (comme les vrais philanthropes), soit neutres du point de vue des conclusions (comme les ultra-compétitifs), on trouvera légitime de les ignorer.  

[5] « L’empathie est la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale. » a dit Elon Musk chez Joe Rogan (un célèbre podcasteur conservateur).

[6] L’UR promeut (sans nécessairement y croire) la théorie du ruissellement.

[7] La pléonexie est le  le désir d’avoir plus que les autres en toute chose. Voir le livre éponyme du philosophe Dany Robert-Duffour.

[8] Rationnelle, étant donné les présupposés acceptés par nos UR …

[9] A de rares exceptions près, les milliardaires le sont devenus grâce à des activités menées à grande échelle. Puisque, pour l’essentiel, nos économies sont encore très carbonées et/ou ont des impacts fortement négatifs sur la nature, un accroissement rapide de la richesse des ultra-riches qui n’attendrait pas que de nouvelles technologies, vertes, soient mises en place ne peut passer que par un renforcement de ces externalités.

[10] Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il fasse, règle qui se retrouve dans la majorité des civilisations.

[11] Voir Cédric Durand Techno-féodalisme – Critique de l’économie numérique. La découverte. 2020

[12] Voir sur ce blog l’article Perte du sens commun et néotribalisme, 2024.

[13] C’est aussi la conséquence de décennies de néolibéralisme adopté par la gauche sociale-démocrate, qui lui ont fait perdre la confiance des classes moyennes et pauvres. L’inefficacité des politiques mises en place, pour corriger l’explosion des inégalités générées par la mondialisation a donné envie aux électeurs de donner leur voix à des tribuns qui ,eux, agissent ou donnent le sentiment qu’ils vont le faire. Voir notamment l’article La concentration des richesses est due à des choix économiques et politiques sur la plateforme The Other Economy.

[14] Ou au moins de mobilisation des énergies vers l’atteinte de cet objectif. Dans les raisonnements économiques un peu formalisés c’est littéralement une optimisation mathématique qui est faite, ce qui est problématique au fond car simpliste. Voir sur ce blog l’article La Nature au cœur du raisonnement économique : l’émergence d’une nouvelle macroéconomie, 2025.

[15] Nombre de multinationales financent des programmes de développement personnel pour leurs employés dans une ambiguïté totale. S’agit-il de rendre ces employés mieux dans leur peau ou plus productifs ? Ne s’agit-il pas aussi de rendre acceptable des situations inacceptables et de faire peser sur l’individu (en l’aidant) le poids d’une structure et d’un système toxiques ?

[16] La valorisation des désirs individuels et la maximisation de l’utilité du consommateur sont des revendications libertaires et néolibérales. Voir le livre de Dany Robert-Duffour Le Divin Marché: La révolution culturelle libérale Gallimard. Poche, 2012.

[17] Voir la note de Carbone4, Faire sa part , 2019 qui montre que les efforts individuels nous font faire au mieux 25% du chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone.

[18] Voir l’article China’s falling population could halve by 2100, Asiatimes.com, 2024. Le taux de fécondité est de 1,18 en 2022. Un taux réduit à 1 conduit en gros à une division par deux tous les 30 ans.

[19] En Chine le taux de fécondité est de 1,18.

[20] Voir la littérature sur le crash ou l’hiver démographique.

[21] La pénétration des drones et le rôle de l’IA sont déjà manifestes dans les conflits actuels que ce soit au Proche -Orient ou en Ukraine.

[22] La bande dessinée “Arca ou la nouvelle Eden” (2024) dépeint un scénario de ce type où une élite fortunée fuit un cataclysme planétaire à bord d’un vaisseau spatial.

[23] Ironiquement, dans le film Don’t look up , la planète refuge est peuplée de monstres dévorant les quelques humains dès leur arrivée…

[24] Voir par exemple, «L’internationale fasciste se met en place» : l’intervention d’Elon Musk en Europe fait trembler la gauche française, Le JDD, 2024.

[25] Voir ses vidéos sur DDN. Par exemple, REVEALED: Trump & Elon Musk’s BRUTAL Secret, 2025.

[26] Voir Derrière les mots de J. D. Vance à Munich : le décryptage d’un discours qui a sidéré l’Europe, Le Monde, 2025.

[27] La liberté d’expression et ses limites sont définies à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

[28] La “sécession des ultra-riches” fait référence à l’envie de l’UR de se détacher des préoccupations et des obligations communes, notamment fiscales et sociales, créant ainsi une forme de séparation économique et sociale. Voici quelques références explorant ce phénomène : Le Rapport d’Oxfam France (2024), cet article de Reporterre (2024),  cet article de David Rushkoff dans the Guardian.

[29] Les ultra-riches achètent des bunkers et des propriétés privés sécurisées dans des destinations  à la mode : la Nouvelle-Zélande (et la région de Queenstown), le Costa-Rica, des îles privées aux caraïbes ou dans le pacifique sud. Des installations de luxe comme le Survival Condo Project au Kansas, proposent des appartements haut de gamme dans des silos à missiles reconvertis, offrant une protection contre diverses menaces.

[30] L’assassinat du patron de UnitedHealthcare, Brian Thompson,  a fait de  son assassin Luigi Mangione un héros sur le réseaux sociaux. Ce type d’actions est pourtant totalement inefficace, indépendamment de toute considération morale. Il est instantanément remplacé par un autre UR qui appliquera la même politique.

[31] Voir les livres de René Girard sur le sujet et notamment Le bouc émissaire.

[32] La récente décision de Mark Zuckerberg de ne plus modérer Facebook (via le fact checking) est une preuve évidente, s’il en fallait, que dans ce domaine, autant si ce n’est plus qu’ailleurs l’autorégulation par les acteurs concernées est un rêve qui peut se transformer en cauchemar. IL en va de même pour la publicité (voir la fiche sur la publicité sur la plateforme The other Economy )

[33] Selon le média Politico, la Commission européenne a décidé d’interdire l’utilisation de fonds européens pour des activités de plaidoyer et de lobbying menées par les ONG. Voir Marianne Gros et Louise Guillot, « Commission tells NGOs EU money is not for lobbying »Politico, 28 novembre 2024. Cette décision va exactement en sens inverse de ce que nous proposons ici.

[34] Tout un programme ! Les socio-démocrates qui incarnaient les intérêts et les espoirs des classes moyennes ont complètement échoué sur ce plan, sans doute en faisant trop de concessions au  néolibéralisme. La reconstruction idéologique reste à faire. Nous nous y employons au sein de l’association The Other Economy.

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