LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Terrestres
Souscrire à ce flux

ACCÈS LIBRE

▸ les 2 dernières parutions

25.10.2024 à 10:55

La bananisation des Antilles, histoire d’une colonisation agricole

Malcom Ferdinand

9 Antillais·es sur 10 ont du chlordécone dans le sang. Dans « S’aimer la Terre », Malcom Ferdinand raconte l’histoire hautement toxique et profondément coloniale de ce pesticide associé à la culture de la banane. L’extrait que nous publions retrace la mise au pas des humains et des écosystèmes par la France pour la banane d'exportation. La banane, un fruit made in impérialisme.

L’article La bananisation des Antilles, histoire d’une colonisation agricole est apparu en premier sur Terrestres.

Texte intégral (5217 mots)
Temps de lecture : 18 minutes

Cet extrait est tiré de l’ouvrage de Malcom Ferdinand, S’aimer la Terre. Défaire l’habiter colonial, paru dans la collection “Ecocène” des éditions du Seuil en 2024.

Pòyò

Pou suiv an fantaz kolonial

Ki ni moun ki méyè paskè lapo-yo pli klè

Ki ni péyi-wa épi limiè lakonésans

Ek ni péyi-san-listwa épi mizè liniorans

Kapitaliz bétjé, fizi épi lasians

Tounen lé Zantiy ek laforè L’Afrik

Adan an sel bitasion bannann pòyò La Frans.

La banane impériale française : une colonisation agricole

Pour la France, la banane ne représente pas seulement un chiffre d’affaires de quelque 300 millions de francs par an, mais encore possède une importance de tout premier ordre dans le développement de la colonisation africaine.

Désiré Kervégant, ingénieur d’agronomie coloniale, 1935.

Pourquoi et comment les Antilles françaises sont-elles devenues des îles à bananes ? Bien que les quelques livres existants sur l’histoire de la banane aux Antilles apportent des informations utiles, ils restent invariablement mus par la perspective d’une célébration de cette culture

Légende Dessin de Gousset, in Les Annales coloniales, 1935, n° 48, p. 6 (Source CIRAD)

Si le développement de la banane est bien un phénomène global, initié par quelques entreprises étatsuniennes dans la deuxième moitié du xixe siècle en Amérique centrale dont la fameuse United Fruits Company, suivi par les Anglais, avec des exportations de bananes à partir de la Jamaïque et de l’Amérique du Sud dès 1866 puis des îles Canaries dès 1884, il existe bel et bien une spécificité de l’industrie bananière française.

Vous y êtes presque ! Merci de consulter vos emails pour valider votre inscription.

Le développement de l’industrie bananière en France au tournant du xxe siècle fit partie intégrante d’un projet colonial de l’Empire français présenté comme une « colonisation agricole

Aussi l’histoire de la bananisation des Antilles est-elle inséparable de l’histoire du projet colonial de l’Empire français. Cette bananisation est un processus complexe, faisant intervenir au moins dix éléments présentés dans le schéma suivant.

Éléments de la bananisation française

Le premier élément et le point de départ de la bananisation est sans doute la revigoration de l’idéologie coloniale française. La défaite de la guerre franco-prussienne (1870-1871) inflige une blessure à l’égo collectif français – notamment la défaite de Sedan –, c’est-à-dire une difficulté à réconcilier le fantasme d’une identité de la nation française à l’image d’un conquérant supérieur, puissant et dominant, et la réalité sensible d’une défaite face à l’autre européen-allemand.

Face à cette humiliation, les colonies françaises apparaissent comme les terrains de jeu où il serait à nouveau possible de faire ressurgir cette identité fantasmée, ce soi national, ce soi qui ne pense pouvoir exister qu’à travers l’infériorisation d’un autre. Aussi l’appel à une « mise en valeur » des colonies françaises n’est-il rien d’autre que la tentative perverse de renouer avec l’image déchue de ce soi national fantasmé à travers l’imposition de violences et de rapports de domination aux tissus du vivant et aux peuples colonisés.

Le développement de l’industrie bananière en France au tournant du xxe siècle fit partie intégrante d’un projet colonial de l’Empire français.

L’autre n’existe qu’en tant qu’il met en valeur le soi colonial, comme en témoigne le botaniste Charles Naudin en 1897 :

La France a un glorieux passé, et elle a montré sa puissance colonisatrice sous l’ancienne monarchie. […] Elle comprend mieux aujourd’hui sa mission providentielle, et, renonçant à s’agrandir en Europe, elle tourne sagement ses vues sur son domaine colonial, plus vaste actuellement qu’il ne l’a jamais été. C’est qu’effectivement ses véritables intérêts sont de ce côté, on pourrait dire son avenir, peut-être même son existence comme nation, […] et ceux qui tiennent dans leurs mains les destinées du pays comprennent la suprême importance de notre exploitation coloniale, par l’agriculture, le commerce, l’industrie et aussi par l’éducation des populations autochtones qu’il faut conquérir à notre civilisation et à nos mœurs. Les franciser, si on me permet d’employer ce terme, est un des premiers buts à atteindre.

Tout aussi perverse, la forme de cette mise en valeur en tant que partie intégrante de l’idéologie coloniale fut celle d’un productivisme compulsif. Dans un rapport au ministre des Colonies sur les jardins d’essai en 1899, il est précisé que ces jardins auront « un double but : améliorer et accroître sans cesse la production agricole de la colonie

Les colonies sont présentées à la fois comme des espaces où produire « sans cesse », mais aussi comme ces espaces où il sera sans cesse possible de réaffirmer violemment l’être colonial français. Ainsi, loin du seul objectif d’approvisionnement du marché métropolitain, le développement des plantations de bananes dans la première moitié du xxe siècle avait aussi pour but de rétablir la grandeur coloniale de la France et d’accomplir sa mission civilisatrice auprès de peuples jugés primitifs.

Défrichement d’une forêt en vue de la plantation d’une bananeraie aux alentours des années 1920. (D. R., ©CIRAD)

Le deuxième élément est la poursuite de la colonisation en tant que telle, à savoir la poursuite de l’accaparement de terres, d’un contrôle militaire, juridique, économique et politique de peuples entiers et de territoires. Peuples et territoires entiers soumis à l’autorité impériale, soumis à l’habiter colonial. Cette colonisation première reste la condition de la colonisation politique et environnementale, de la colonisation agricole, des déforestations et de l’installation des plantations.

Le troisième élément est celui de la consommation de la banane en France métropolitaine/hexagonale, à savoir l’appétence des Métropolitains pour ce fruit. Importée en France métropolitaine au début du xxe siècle depuis les Amériques via les entreprises étatsuniennes, et depuis les Canaries par l’Angleterre, la banane connaîtra un véritable succès auprès des palais des Métropolitains.

Lire aussi sur Terrestres : Anna Tsing et Donna Harraway, « L’ère de la standardisation: conversation sur la Plantation », février 2024.

Le quatrième élément a trait à la gestion du marché métropolitain de la banane qui était jusqu’aux années 1930 majoritairement dépendant des importations étrangères. Le développement d’une production de bananes à partir des colonies françaises d’Afrique et des Amériques fut mis en place en vue de maîtriser l’approvisionnement d’un marché métropolitain français.

Dès lors, cinquième élément, un protectionnisme (post)colonial et capitaliste fut instauré par l’État visant à garantir une place de choix sur le marché métropolitain à la production des colonies françaises assurée par des entreprises, durant la période coloniale, après les indépendances et les départementalisations, au moyen de plusieurs comités interbananiers, de droits tarifaires favorables, de primes à l’installation et de subventions.

Le développement d’une production de bananes à partir des colonies françaises d’Afrique et des Amériques fut mis en place en vue de maîtriser l’approvisionnement d’un marché métropolitain français.

Ce rapport privilégié du marché hexagonal français avec ses anciennes colonies fut maintenu au sein même de l’Union européenne. Malgré l’arrivée sur le marché de bananes du Costa Rica et de Saint-Domingue, la France hexagonale garantit un approvisionnement à partir des bananeraies des ex-colonies françaises, à savoir la Martinique, la Guadeloupe, la Guinée, le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

Le sixième élément, marquant la différence avec les précédents mouvements d’expansion coloniale du xviie siècle, est la place prépondérante des sciences appelées « sciences coloniales ». La transformation des colonies françaises en plantations fut aussi et surtout un projet scientifique comprenant la création d’institutions et de connaissances scientifiques ayant pour finalité le projet colonial.

Le septième élément désigne la longue formation et organisation d’une filière coloniale française de la banane. Cette filière débuta par la formation d’agents au sein d’instituts de sciences coloniales, qui furent nommés dans toutes les colonies pour mener à bien la transformation des paysages autochtones en plantations d’exportation. S’est ensuivie la création d’entreprises en charge de toutes les phases nécessaires au circuit acheminant les bananes des colonies aux étals de la Métropole/Hexagone.

Cela comprend des entreprises en charge de la plantation de bananiers, de leur culture, de la récolte et de l’emballage des bananes, de leur transport des plantations aux ports des colonies, de leur importation via le transport maritime des colonies et des anciennes colonies aux ports de la Métropole/Hexagone (notamment Dieppe, Nantes, Bordeaux, Marseille), du transport des ports vers les mûrisseries, et enfin leur transport aux commerces de la Métropole/Hexagone.

Cela comprend aussi des entreprises en charge de la fabrication des équipements nécessaires aux circuits de commercialisation de la banane (et d’autres fruits coloniaux). On y trouve des entreprises spécialisées dans la mécanisation de l’agriculture (tracteurs/camions), l’irrigation, la production de pesticides, la fabrication d’engins de pulvérisation de pesticides, la fabrication des matériaux d’emballage des bananes (bois, papier, plastique), la réfrigération des navires et les procédés physico-chimiques du mûrissement artificiel.

Le développement de la production de bananes impliqua l’exploitation de peuples colonisés à la fois dans la conduite des plantations de bananes mais aussi dans la construction des infrastructures.

Enfin se déploie aussi un travail d’organisation de la filière à travers la création de différents groupements de producteurs, des comités interprofessionnels bananiers, des comités de propagande de la banane ayant pour but de coordonner tous ces différents acteurs en fonction des évolutions du marché et des aléas cycloniques ou volcaniques affectant la production.

“Emballage de régimes entiers de bananes aux Antilles. Stockage avant transport” (Gallica)

Les deux prochains éléments essentiels à la bananisation des colonies et des anciennes colonies françaises concernent les moyens. Il y va, en huitième élément, du développement d’infrastructures et de technologies permettant d’acheminer le fruit de son lieu de production dans une région d’une colonie à la bouche d’un consommateur métropolitain, tout en respectant ses désirs en termes de saveur, de texture, de consistance et d’esthétique.

Cela comprend les infrastructures lourdes telles que la création d’un réseau de transports des terres intérieures des colonies aux côtes, allant de la construction de routes, de rails, de l’achat de véhicules et de locomotives, aux aménagements de ports avec des entrepôts réfrigérés dans les colonies et en Métropole ainsi qu’à l’aménagement de cales réfrigérées dans les navires et leur conteneurisation. Cela comprend aussi le développement technologique relatif aux procédés d’emballement, aux méthodes de réfrigération et aux méthodes de mûrissement artificiel.

Lire aussi sur Terrestres : Malcom Ferdinand, « Anthropocènes noirs. Décoloniser la géologie pour faire monde avec la Terre », juin 2020.

Il y va surtout, neuvième élément, des « moyens » humains. Le développement de la production de bananes impliqua l’exploitation de peuples colonisés à la fois dans la conduite des plantations de bananes mais aussi dans la construction des infrastructures telles que les chemins de fer et les ports, dans des conditions de travail exécrables où le travail forcé et le travail non rémunéré de milliers d’enfants, d’hommes et de femmes adultes étaient légalisés sous la Troisième République.

Manger la banane en France métropolitaine (puis hexagonale) est dépeint comme l’adhésion à ce projet colonial.

L’extrait de la communication d’Yves Henry, directeur de l’agriculture en Afrique-Occidentale française, lors du Congrès colonial de Marseille en 1906, illustre l’imbrication du développement de la banane avec l’exploitation déshumanisante des peuples de Guinée :

Il ne fait de doute pour aucune des personnes qui connaissent cette colonie qu’un exploitant y trouvera aisément toute la main-d’œuvre nécessaire, qu’elle appartienne aux races Soussous ou à la race Bambara. À la condition de les surveiller et de ne pas les traiter durement, on obtient un fonctionnement normal des équipes dressées à un travail particulier. […] Dans les débuts, il sera sans doute nécessaire de les payer 1 franc par jour, mais, par la suite, on arrivera facilement à créer de petits villages de culture, dont les travailleurs se contenteront de 0 fr. 75. Indépendamment du travail fourni par les hommes, on peut utiliser avec profit les femmes et les enfants, pour les petits travaux de nettoyage.

Henry y vante de manière raciste l’abondance d’une main-d’œuvre locale, lesdites « races Soussous et Bambara » qui, tels des animaux sauvages, pourraient être « dressés » à un fonctionnement normal, ainsi que la possibilité d’exploiter avec profit les femmes et les enfants.

Enfin, le dixième élément concerne le renforcement d’un imaginaire colonial à travers plusieurs stratégies, dont les campagnes publicitaires et les expositions coloniales. Ces collections d’images, de discours et d’expositions autour de l’industrie de la banane contribuent à asseoir une représentation coloniale du monde, de son fonctionnement et des connaissances, structurée autour d’une hiérarchie de valeurs où les rapports de domination hommes/femmes, colons/colonisés, Blancs/non-Blancs, Métropole/colonies, sont présentés comme naturels.

Ainsi, manger la banane en France métropolitaine (puis hexagonale) est dépeint comme l’adhésion à ce projet colonial, comme le renforcement de cette hiérarchie de valeurs qui dessine des terres lointaines et des corps racisés comme les serviteurs naturels de la Métropole et de sa population majoritairement Blanche. Ces dix éléments ont constitué les piliers de l’émergence d’une banane française.

Les sciences au service de la colonisation

Étudions pour chaque province le climat, le régime des eaux, la direction des vents, les variations de température, la composition du sol ; sachons ce que le soleil et la pluie et la terre nous permettent de tenter avec profit ; ayons des jardins d’essai, des laboratoires d’analyse et de bactériologie ; ayons une direction de l’agriculture. Jardins d’essai, laboratoires et direction de l’agriculture, que tout cela soit réuni aux mains d’hommes compétents, qui peut-être n’auront pas encore la science, mais qui du moins auront le sens de ce qu’il convient d’apprendre et des méthodes de travail. Ces hommes, des savants doublés d’administrateurs, seront les poseurs de jalons, les pionniers, comme on dit ; ils recueilleront les observations, constitueront les essais, enregistreront les résultats et, le jour où les colons arriveront dans le pays, seront à même de les conseiller, rien qu’en leur ouvrant le trésor de leur expérience.

Joseph Chailley-Bert, directeur de l’Union coloniale française, 1897.
“Emballage de régimes entiers de bananes aux Antilles. Stockage avant transport”, 1938 (Gallica)

L’un des éléments clés de cette colonisation agricole dont relevait l’industrie de la banane fut le rôle central joué par la science. Le soutien et le développement d’une science coloniale eut deux fonctions principales : déterminer les types de cultures possibles dans les colonies et leurs méthodes favorisant les plus grands profits, et former les colons et futurs agents coloniaux aux techniques nécessaires pour mettre en place cette exploitation.

Les sciences devront mettre la Terre au service du projet colonial.

Ainsi, au tournant du xxe siècle, une alliance fut réactivée entre domination coloniale et recherche scientifique au service de l’habiter colonial de la Terre. Alliance réactivée car il s’agit d’une situation bien différente des astronomes, des géographes et des botanistes qui profitaient des expéditions coloniales européennes pour mener à bien leurs recherches sur les plantes, les animaux et les étoiles dès la fin du xve siècle. Là, la colonisation et la quête du profit dans les Amériques, en Afrique, en Asie et en Océanie étaient les conditions de voyage du développement d’études scientifiques. Ici, un type de science, celle de l’exploitation capitaliste coloniale, devient la condition du projet de colonisation agricole.

Loin d’une science de la rencontre, dont la visée serait la connaissance des écosystèmes, leurs rythmes et leurs chemins, la science coloniale est bel et bien une science de la maîtrise de la nature forçant ses mouvements en vue de son exploitation et de l’accumulation capitalisteles sciences devront mettre la Terre au service du projet colonial.

Cette alliance entre sciences et projet colonial de l’Empire français s’est traduite par la création d’institutions et de centres d’expérimentations scientifiques distincts des institutions académiques existantes et entièrement dédiés à la colonisation. Furent alors créés – ou parfois réorganisés – au début du xxe siècle des jardins d’essai dans les colonies, chapeautés par le Jardin colonial situé à Nogent-sur-Marne qui orchestrait les échanges de plants et d’outils, une école d’agronomie coloniale formant les agents coloniaux, plusieurs revues dont la Revue des cultures coloniales, L’Agriculture pratique des pays chauds, L’Agronomie coloniale, la Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, facilitant les échanges de savoirs et de connaissances pratiques entre les colonies françaises.

Ainsi, à côté de la partie émergée du dispositif extractiviste, symbolisé par la plantation avec ses champs, ses hangars et ses entrepôts, ses cases et ses corps humains, se déploient en profondeur des institutions, des laboratoires, des centres de formation et des réseaux de circulation des savoirs qui rendent possible la plantation coloniale.

Les institutions des sciences coloniales françaises

À ces institutions nationales des sciences coloniales, dont les sièges furent situés en Métropole/Hexagone, furent rattachés dans chaque colonie des jardins d’essai, des laboratoires de chimie agricole et des écoles agricoles, dirigés par des « agents de culture » sous le contrôle du gouverneur de la colonie, le tout afin de mener à bien ce projet colonial. Par exemple, en Martinique, l’arrêté du 25 août 1910 stipule, entre autres, que le laboratoire de chimie agricole aura la charge de

l’étude des produits coloniaux, de la détermination de leur valeur et de leurs emplois commerciaux et industriels, de l’analyse des matières premières, de l’étude des falsifications, de la détermination et des essais de semences, des analyses de terres et engrais, et de toutes les questions pouvant intéresser la chimie et la technologie agricole et industrielle.

La cavendishisation du monde

C’est à partir de ce système scientifico-colonial que l’Empire français put mener cette colonisation agricole dans ses colonies au cours de la première moitié du xxe siècle, transformant des paysages humains et non humains de la Terre en plantations. Aussi, à côté de la colonisation agricole de la banane est-il nécessaire de retracer les développements scientifiques qui ont facilité cette colonisation. L’essor de cette industrie a été possible via trois principaux champs de recherche sur le bananier concernant ses usages, la sélection des variétés, et les pathologies de la plante et les insectes faisant obstacle au projet plantationnaire.

Concernant les usages, si, aujourd’hui, il va de soi que le bananier sert à la production de la banane dessert d’exportation, celle retrouvée dans toutes les épiceries des pays du Nord, cela n’a pas été toujours le cas. L’impératif de mise en valeur des sols coloniaux n’était pas conditionné à une forme précise. Cette plante originaire d’Asie du Sud-Est est connue depuis plus de deux mille ans. Le bananier est une herbe géante appartenant au genre Musa, contenant plus de mille variétésMusa sapientum. Si certaines espèces de bananiers ont été utilisées pour leurs différents fruits à déguster crus, ceux-ci ont connu et connaissent encore d’autres usages. Sans doute l’un des usages les plus répandus au monde est la consommation de banane à cuire qui rentre dans la composition de l’alimentation quotidienne de nombreux peuples de la Terre, notamment en Ouganda et en Inde. Le bananier était aussi utilisé comme plante d’ombrage aux caféiers et cacaoyers.

C’est à partir de ce système scientifico-colonial que l’Empire français put mener cette colonisation agricole dans ses colonies, transformant des paysages humains et non humains de la Terre en plantations.

Au-delà de la banane dessert sous forme crue, séchée ou en farine, il s’est agi de déterminer les usages du bananier et des bananes qui pourraient fournir les plus importants profits. Des recherches furent menées pour déterminer la rentabilité du bananier pour la production de boissons alcoolisées (cidre, bière ou vin), pour la fabrication de cordages, de chapeaux, de tissus et de vêtements à partir des pseudo-troncs des espèces Musa textilis ou abaca (le chanvre de Manille), des Musa tikap, Musa basjoo, Musa ensete et Musa ulugurensis, Musa livingstonia, pour la production de papier à partir de la cellulose du bananier, pour la potasse, des teintures ou du raffinage de sucre

Lire aussi sur Terrestres : Sophie Chao, « La plantation comme monde: l’ère des monocultures », novembre 2023.

Face à la multiplicité d’espèces de bananiers et de variétés de bananes, les travaux d’agronomie coloniale sur la banane soutenant le projet colonial français ont déterminé que les meilleurs profits seraient obtenus par l’exploitation du bananier dans les colonies françaises en vue de produire une banane dessert à exporter et écouler dans le marché métropolitain, au sein de plantations monoculturales. En 1935, Kervégant détaille les tentatives d’association de cultures dans les plantations de bananes, comme des pommes de terre dans les Canaries, des choux caraïbes aux Antilles françaises, des aubergines au Bengale, du maïs ou du riz aux Philippines, mais il les déconseille au motif qu’elles « retardent le développement de la plante principale

Dès lors, la majorité des recherches agronomiques sur la banane coloniale française eurent pour but le perfectionnement des plantations. Outre la détermination des meilleures conditions climatiques, topographiques, pédologiques et chimiques, celles du niveau d’irrigation, des rythmes de plantations et de récoltes, des techniques de coupe, d’emballement et de mécanisation, des modes de transport, du processus de réfrigération et des méthodes de mûrisserie en Métropole, je souhaite attirer l’attention sur deux points clés : la sélection des espèces de bananiers et des variétés de bananes à cultiver, et le développement des techniques de lutte contre les parasites, les maladies et les insectes qui font obstacle au projet colonial.

Bananier, extrait de l’ouvrage Flore médicale des Antilles, Jean Théodore Descourtilz et Amédée Pérée, 1829 (Wikipedia)

Les débuts de l’exportation en 1870 se firent en Jamaïque et sur la côte atlantique de l’Amérique centrale à partir de la variété connue sous le nom de « Gros Michel », tandis que dans les Canaries, où la culture était déjà plus intensive du fait du climat plus sec et des sols plus pauvres, ce fut la variété « Petite naine » (bananier de Chine ou Musa sinensis). La variété « Gros Michel » fut fortement impactée par un champignon nommé fusarium qui tue la plante. Remarquée rapidement au début du xxe siècle au Panama, elle fut nommée « maladie de Panama ». « Gros Michel » fut remplacé par la variété Cavendish (pòyò), qui reste la banane majoritairement exportée à travers le monde.

Deux points clés de la recherche agronomique sur la banane coloniale : la sélection des variétés de bananes à cultiver, et le développement des techniques de lutte contre les parasites, maladies et insectes qui font obstacle au projet colonial.

Le développement de monocultures intensives et la standardisation des plants entraînèrent aussi des ruptures biodiversitaires

Afin d’assurer la plus grande productivité des cultures coloniales, des recherches en pathologie des plantes et entomologie au sein de ces sciences coloniales furent menées, visant à déterminer les moyens techniques et technologiques de lutte contre ces dits « nuisibles ». C’est dans ce cadre que la lutte contre le charançon du bananier se développa dès les débuts du développement des bananeraies coloniales françaises. Aujourd’hui encore, la production de bananes des Antilles est soutenue par des rapports étroits avec le Cirad (anciennement Institut des fruits et agrumes coloniaux), ainsi que par un institut scientifique privé.

En somme, la bananisation des Antilles, ou plus exactement sa cavendishisation, fit partie intégrante d’un projet impérial français, pensant ensemble les colonies des Amériques et de l’Afrique, dans le but de valoriser l’être colonial français. La banane française ainsi produite à travers les déforestations et les déshumanisations des peuples de part et d’autre de l’Atlantique eut pour fonction de transformer la Terre à l’image du fantasme de toute-puissance d’un soi colonial français, narcissique et toxique, un moyen de cultiver un imaginaire colonial de la France et de la Terre.


SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

22.10.2024 à 16:53

Désamorcer la rage, différer la révolte

Collectif

Il y a 10 ans, Rémi Fraisse, jeune botaniste de 21 ans, était abattu par un gendarme dans la forêt de Sivens. Une atrocité qui risque de se produire encore, alors que le gouvernement lâche chaque jour un peu plus la bride de la répression policière. Cet hommage à Rémi revient sur la bataille médiatique qui a suivi sa mort.

L’article Désamorcer la rage, différer la révolte est apparu en premier sur Terrestres.

Texte intégral (3235 mots)
Temps de lecture : 12 minutes

Ce texte a été écrit par des personnes qui ont participé à la lutte contre le barrage de Sivens et d’autres qui n’y étaient pas, mais qui ont travaillé à reconstituer le fil précis de la bataille qui s’est menée dans les médias pour faire connaître la vérité sur cet assassinat. Les témoignages des unes et des autres sont mêlés dans un « nous » unique et fictif.

Il est suivi d’un court extrait de la pièce “M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle”, écrite et mise en scène par Joséphine Serre.


2014.

Suite à un appel très large, un « grand rassemblement » se tient le samedi 25 octobre sur le lieu-dit du Testet dans la forêt de Sivens. Au programme : prises de parole, spectacles, manifestation et conférences. Il s’agit de l’ultime tentative pour enrayer le projet de construction d’un barrage d’irrigation dans une vallée relativement préservée du département du Tarn. Depuis le 1er septembre, les travaux d’abattage des arbres ont repris malgré une intense mobilisation locale et l’occupation de la forêt, lancée un an plus tôt pour empêcher le démarrage du chantier. Lequel avance désormais à marche forcée, dans un climat de violences policières quotidiennes – comme ce sera le cas dix ans plus tard, à l’automne 2024, sur le chantier de l’A69 dans ce même département du Tarn.

C’est alors que la lutte contre le barrage de Sivens, qui n’avait jusque-là qu’un faible écho régional, va être propulsée sur la scène médiatique nationale

Enquête autour d’une mystérieuse « découverte » policière

Le lendemain matin de cette grande mobilisation, alors qu’il reste beaucoup de monde sur le site, la radio annonce : « le corps d’un homme a été découvert dans la nuit de samedi à dimanche sur le site du barrage contesté de Sivens ».

L’information provient d’un communiqué que la préfecture du Tarn a diffusé le matin même

Vous y êtes presque ! Merci de consulter vos emails pour valider votre inscription.

Pendant une partie de la journée, il y avait eu des affrontements avec les gendarmes postés dans la « base de vie », qui avaient repris au cours de la nuit. La « base de vie » est le nom attribué à l’enclos grillagé et entouré d’un fossé qui avait été construit pour mettre à l’abri les machines de chantier. Celles-ci avaient bien sûr été évacuées la veille du rassemblement : dès le vendredi soir, le peu qu’il restait avait été brûlé par les manifestant·es. Après quoi les gendarmes s’étaient installés dans l’enclos, se retrouvant ainsi positionnés à quelques encablures du rassemblement.

On fait le tour de la zone, pour demander aux groupes et aux gens si quelqu’un manque à l’appel.

Une jeune femme nous dit que son petit ami, Rémi, a disparu.

Elle nous explique que la veille, un peu avant 2 heures du matin, elle était avec lui et quelques amis autour d’un feu lorsque des cris ont retenti. Rémi est allé voir ce qu’il se passait et il n’a pas été revu depuis. À partir de ce moment-là, on envisage que ce Rémi soit la personne dont il est question dans le communiqué. Sa copine nous fournit quelques informations sur lui, notamment qu’il est botaniste et que c’est la première manifestation à laquelle il participe.

On s’organise pour faire le tour des personnes encore présentes sur place et tenter de récolter davantage d’éléments sur ce qui a pu se passer. Un groupe de jeunes gens nous décrit la scène étrange à laquelle ils ont assisté pendant la nuit. Vers 2 heures, peu de temps avant la fin des affrontements, une poignée de gendarmes sont sortis de la base de vie, s’enfonçant dans les nuages de gaz lacrymogène sans raison apparente, puis en sont ressortis avant de retourner à la base, en tirant quelque chose derrière eux. Une demi-heure plus tard, un fourgon de pompier est arrivé sur place. Puis gendarmes et pompiers ont quitté les lieux, abandonnant la base de vie, pourtant jalousement gardée jusque-là.

Ce jour-là.

Il ne faudra pas longtemps pour comprendre ce qu’il s’est passé. Une femme, épouse d’un gendarme, a contacté une amie opposante au barrage, pour l’alerter : hier, les gendarmes ont ramené de Sivens le corps d’un homme mort.

Nous comprenons alors que cet homme est mort sous leur yeux et, très certainement, de leur fait.

Récit contre récit

La gravité de la situation nous dépasse. Nous appelons des amis avocats pour leur demander conseil. Ils nous recommandent de publier le plus rapidement possible notre version des faits, en tout cas avant la publication des résultats de l’autopsie, annoncée pour le mardi après-midi.

Il nous faut trouver des preuves et des témoignages, afin d’empêcher le ministère de l’Intérieur d’imposer son propre récit manipulant si besoin les résultats de l’autopsie. Un texte doit donc être publié avant mardi. C’est dimanche, nous sommes en fin d’après-midi, et c’est une course contre la montre qui s’engage.

Dès le dimanche soir, alors qu’un rassemblement spontané à Gaillac est dissout par les forces de l’ordre, la machine communicationnelle du pouvoir se met en branle. Le procureur d’Albi et le ministère de l’Intérieur laissent entendre que le corps a été découvert par les gendarmes plus ou moins par hasard

Il nous faut trouver des preuves et des témoignages, afin d’empêcher le ministère de l’Intérieur d’imposer son propre récit. C’est une course contre la montre qui s’engage.

Le lendemain, le narratif du pouvoir commence à se dessiner à travers de multiple contre-feux. À 10 heures, un communiqué de presse du directeur général de la gendarmerie nationale pose le décor en décrivant le contexte dans lequel le corps a été découvert : des attaques visant des gendarmes « à coup de cocktails molotov, d’engins explosifs et de projectiles »off qu’« une seule grenade offensive »

Ce jour-là.

Gendarmes et policiers affirment que le sac à dos que portait Rémi contenait peut-être un engin incendiaire ou explosif, qui l’aurait tué.

À 17 heures, lors d’une conférence de presse, le procureur distribue un communiqué annonçant des éléments de l’autopsie, notamment qu’« aucune trace de particule métallique et de plastique n’a été retrouvée dans la plaie »

Le président du conseil général et le préfet du Tarn n’ont plus aucun argument en faveur du barrage. Ils avaient donc besoin de violence. Ils l’ont provoquée.

Ce communiqué est distribué aux journalistes dans un format insolite : une feuille blanche anonyme, sans en-tête ni date, ce qui permet à une journaliste d’en déduire qu’il n’y a « pour l’instant aucune base juridique pour apprécier la réalité des faits »Le Monde sera le plus explicite : « D’après nos informations, une analyse du sac à dos de la victime serait également en cours afin de déterminer si son contenu pourrait être de nature explosive »

L’analyse de l’avocat que nous avions consulté se trouve confirmée par ces « éléments de langage » disséminés dans une avalanche d’articles produits par la presse française en quelques heures.

Lire aussi sur Terrestres : Christophe Bonneuil, « Prêt à tuer pour un tas de terre », mars 2023.

Le lundi matin, quelques membres de la coordination ayant organisé le grand rassemblement du samedi se retrouvent pour rédiger ensemble un communiqué et l’envoyer tous azimuts aux médias (comme l’avait été l’appel à rassemblement). Ils et elles y dénoncent un meurtre qui n’est pas le fruit du hasard : « À l’heure où tous les mensonges et conflits d’intérêts dénoncés par les opposants depuis des mois ont été confirmés par les investigations des journalistes et le rapport des experts ministériels (…), le président du conseil général et le préfet du Tarn n’ont plus aucun argument en faveur du barrage, si ce n’est de monter en épingle la prétendue violence des opposants. Ils avaient donc besoin de violence samedi. Ils l’ont provoquée. »

La stratégie de tension décidée par le pouvoir, voilà ce qui a coûté sa vie à Rémi.

Divers journaux prennent très vite contact avec nous, dont Le Monde, qui se dit intéressé par notre récit, mais pas sous la forme d’un communiqué collectif (il n’en publie jamais) : vu la gravité des accusations portées, il faudrait une tribune signée nominativement. Deux d’entre nous acceptent d’y apposer leur nom et ainsi supporter le risque juridique – et policier : quelques jours plus tard, deux hommes étaient surpris en train de bidouiller le tableau téléphonique du village de l’un des signataires…

Ce jour-là.

Finalement, Le Monde nous fait faux bond : la tribune ne pourra être publiée que dans l’édition du mercredi. Entre-temps, Libération nous avait aussi contacté et se dit prêt à mettre le texte en ligne sur le site du journal dès le mardi matin. Notre texte est publié mardi 28 octobre à 13h22, avant l’annonce des résultats de l’autopsie et des analyses.

Plus de cinq jours après le décès de Rémi, la confirmation arrive. L’explosion de la grenade est bien l’unique cause de sa mort.

L’annonce a lieu mardi en fin de journée. Le procureur d’Albi y explique que des traces de TNT, éléments présents dans les grenades offensives des gendarmes, ont été découvertes sur le corps de la victime

Dès lors, le narratif du pouvoir évolue. Puisque ça ne peut et ne doit pas être la faute des gendarmes, l’hypothèse de la combinaison d’une grenade et d’un cocktail molotov est avancée à la presse par des sources policières et autres spécialistes du maintien de l’ordre

Lire aussi sur Terrestres : Collectif, « Autoroute A69: enterrons ce projet zombi! », juin 2024.

Finalement, ce n’est que le vendredi 31 octobre en début de soirée, soit plus de cinq jours après le décès de Rémi, que des sources proches de l’enquête confirment à la presse que les analyses réalisées sur le sac à dos ne mettent en évidence aucune substance, sinon la TNT présente dans la grenade utilisée par la gendarmerie.

L’explosion de la grenade est bien l’unique cause de la mort de Rémi.

« Il est décédé, le mec… Là, c’est vachement grave… Faut pas qu’ils le sachent… »

Moins d’une semaine après cette conclusion, une fuite confirme ce que nous soupçonnions dès dimanche : les autorités policières et politiques savaient depuis le début et ont sciemment menti.

Le Monde et Médiapart se sont procuré des documents issus du dossier de l’instruction ouverte suite au décès de Rémi, dont un procès-verbal qui retranscrit les propos tenus par les gendarmes cette nuit-là. À 2h03, l’un d’entre eux s’écrie, exprimant clairement la première réaction du pouvoir dans ce genre de situation : « Il est décédé, le mec… Là, c’est vachement grave… Faut pas qu’ils le sachent… »

Ce jour-là.

Nous sommes mis au courant de ces révélations par des journalistes du Monde avant leur publication, et ils nous proposent de publier une tribune réagissant à chaud à ces révélations. Ce qu’il s’agit de révéler cette fois, ce n’est pas un meurtre, mais un mensonge d’État. Pourquoi cet appel du pied de la part d’un média comme Le Monde ? Dans quel jeu politique veut-on nous engager ? Dans le doute, seul l’un d’entre nous est prêt à rédiger une tribune avec d’autres personnes extérieures, estimant important de dénoncer les exactions de l’État

Ces mensonges en série nous rappellent que le maintien de l’ordre ne repose pas seulement sur l’arsenal répressif, mais aussi sur la manipulation de l’opinion publique.

Mais ces révélations resteront sans effet : bien que pris en flagrant délit de mensonge, aucun responsable ne sera sérieusement mis en difficulté, ni le préfet, ni le ministre de l’Intérieur.

Quant au gendarme qui a lancé la grenade, il bénéficiera d’un non-lieu, confirmé en appel et en cassation.

Les mensonges en série de la part de la préfecture et du ministère nous rappellent que le maintien de l’ordre ne repose pas seulement sur l’arsenal répressif, mais aussi sur la manipulation de l’opinion publique.

Pendant plus d’un mois après l’annonce de la mort de Rémi, des rassemblements se sont tenus dans des dizaines de villes partout en France, des manifestations sauvages et des émeutes ont eu lieu dans la moitié d’entre elles.

Pour conjurer la révolte, les autorités ont employé tous les moyens possibles. Répression policière : des rassemblements ont été interdits, la faculté de Rennes a été fermée pour empêcher une assemblée générale, des manifestant·es ont été arrêté·es préventivement

Samedi 26 octobre, tous et toutes à Sivens !

Sculpture en hommage à Rémi Fraisse, érigée en 2015 par des artistes. L’œuvre a été saccagée quelques jours plus tard, comme le racontait Célia Izoard dans Reporterre en 2017.

Le passage qui suit est extrait de la pièce de théâtre “M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle”, écrite et mise en scène par Joséphine Serre et publié aux Éditions Théâtrales. Il s’agit d’une fiction librement inspirée de l’histoire de Rémi Fraisse. L’autrice a choisi d’imaginer la présence d’une sœur au moment de la mort, sur une ZAD, d’un jeune étudiant en botanique.

FRÈRE – Berce-moi avec des noms de plantes, s’il te plaît,

SŒUR – Aubépine, argousier, lavande, mûriers, ronciers, liserons, coquelicots, sureau, pavot, santoline, bluets, soucis, peigne de loups, baignoire de Vénus,

INFIRMIER.E.2 – Il part, il part !

SŒUR – Grand plantain, corne de cerf, langue de vache, iris, violette, chardon, pâquerette, herbe aux ânes, hellébores, barbe de chèvre, trèfle, roseau à balai, ronce des champs, reine des prés,

INFIRMIER.E.1 – On l’a perdu.

SŒUR – Prêle, armoise commune, cheveux de Vénus, roseau, églantines, fougères, grande cigüe, verveine, nénuphar, lentilles d’eau, renoncule flammette, adonis d’été, menthe poivrée, anémones, angéliques, campanules à feuilles de pêchers, douce-amère, bourreau des arbres, impatiente, dompte-venin, tremble, sanguinaire, buisson ardent, plante à feu, dent de chien, griffe de chat, gueule de loup, amonide goutte-de-sang, fleurs incendiaires, orchis guerrier, liane de feu, plante cobra, casque de Jupiter,

fleurs de la fureur.

SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Soutenir la revue Terrestres

Notes

2 / 2
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplomatique
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
  Pas des sites de confiance
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌓