19.12.2025 à 12:57
Olga Gille-Belova, Maître de conférences au Département d'Études slaves, Université Bordeaux Montaigne
Plus de mille prisonniers politiques croupissent toujours dans les geôles d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir sans discontinuer depuis 1994. Mais 123 d’entre eux, dont de nombreux responsables d’opposition de premier plan, viennent d’être libérés, en contrepartie de la levée de certaines sanctions américaines. Un « deal » qui s’inscrit dans le contexte plus large de l’implication de Minsk aux côtés de Moscou face à l’Ukraine.
La libération de 123 prisonniers politiques, le 13 décembre 2025, constitue un événement majeur pour le Bélarus, par son ampleur, par la notoriété de plusieurs détenus concernés, mais aussi par le contexte : cette vague s’inscrit dans une séquence de négociations et de marchandage diplomatique entre l’administration Trump et le régime d’Alexandre Loukachenko.
Selon Viasna, principale ONG bélarusse de défense des droits humains, il restait encore 1 110 prisonniers politiques au 15 décembre 2025. Depuis 2020 et la répression massive du mouvement de contestation né pour dénoncer le trucage par Alexandre Loukachenko de l’élection présidentielle tenue le 9 août de cette année-là, qui lui avait permis d’obtenir un sixième mandat consécutif, 4 288 personnes ont été condamnées à des peines de prison ferme pour des raisons politiques.
En 2020, les arrestations ciblées avaient débuté dès le printemps, pendant la période préélectorale, dans une logique préventive visant à neutraliser des adversaires jugés dangereux – comme Viktor Babaryko ou Sergueï Tikhanovski, condamnés à respectivement 14 et 18 ans de prison en 2021.
Le pic correspond toutefois à l’après-élection présidentielle du 9 août 2020, période marquée par une mobilisation durable contre Alexandre Loukachenko, officiellement déclaré vainqueur – malgré les multiples preuves de fraude massive – avec 80 % des voix face à Svetlana Tikhanovskaïa, épouse de Sergueï et soutenue par l’ensemble de l’opposition démocratique.
Durant plusieurs mois, l’objectif du pouvoir est clair : étouffer une contestation perçue comme une menace pour la survie du régime. Arrestations, violences, condamnations : l’appareil coercitif est mobilisé pour briser la dynamique de rue et dissuader toute possibilité de protestation. Les années suivantes, la répression se poursuit, mais de manière plus diffuse : l’arbitraire et l’intimidation deviennent des instruments de contrôle, destinés à empêcher toute remobilisation.
Cette répression marque un durcissement du régime autoritaire bélarusse, qui se traduit également dans les modifications législatives : les infractions existantes voient leur définition élargie, et de nouvelles sont incluses dans le code pénal ; les peines sont alourdies ; des restrictions administratives et des outils de « labellisation » (extrémisme, terrorisme) permettant de criminaliser des actes ordinaires (reposts sur Internet, dons à des organisations indésirables, etc.) sont mis en place.
La répression ne vise plus seulement les personnes arrêtées à l’intérieur du pays. Depuis juillet 2022, une procédure pénale spéciale permet de juger un accusé en son absence, notamment lorsqu’il vit à l’étranger. Les procès par contumace deviennent ainsi un outil majeur de répression transnationale contre l’opposition en exil (responsables politiques, journalistes, activistes, chercheurs).
Dans ce cadre, 18 personnes – dont Svetlana Tikhanovskaïa (pour 14 ans) et son allié Pavel Latouchko (18 ans) – sont condamnées en 2023, et 114 autres en 2024.
Les premières libérations significatives interviennent en 2023, avec un objectif d’abord tourné vers le public intérieur : montrer la « magnanimité » du bat’ka (« petit père », surnom de Loukachenko promu par la propagande), à l’égard de ceux qui acceptent de « se repentir ». Le régime met en scène ces séquences de manière spectaculaire, comme une véritable pédagogie de la soumission.
La libération, le 22 mai 2023, de Roman Protassevitch, qui avait été arrêté après l’atterrissage forcé d’un vol Ryanair en 2021, illustre cette logique : le détenu libéré a offert, face caméra, un récit de repentance, largement médiatisé, voué à servir d’exemple à tous ceux qui seraient tentés de se rebeller contre le régime.
Dans le même esprit, une « commission de retour » a été créée par le décret présidentiel n° 25 du 6 février 2023. Elle ne correspond pas à une commission de grâce au sens strict : il s’agit d’une structure interinstitutionnelle destinée à traiter les demandes des Bélarusses vivant à l’étranger (un demi-million de personnes ont émigré depuis 2020) et souhaitant rentrer, en particulier ceux qui reconnaissent avoir commis des infractions et demandent pardon. Parallèlement, des détenus arrêtés lors des manifestations commencent à être libérés progressivement, notamment parce qu’ils arrivent au terme de leur peine (plus de 50 libérations en septembre 2023).
En 2024, les libérations prennent la forme de « vagues de grâce » associées à des moments symboliques (commémorations du 9 mai, événements politiques). L’année 2024 consacre aussi une consolidation institutionnelle après la réforme constitutionnelle adoptée par référendum le 27 février 2022.
Dans une apparente normalité, un nouveau cycle électoral s’ouvre le 25 février 2024, par un « jour de vote unique » qui combine élections législatives (110 députés) et municipales (plus de 12 000 sièges). Les scrutins offrent une large victoire aux forces pro-gouvernementales, en particulier à Belaïa Rous’. Puis, les 24–25 avril 2024, la première réunion de l’Assemblée populaire pan-bélarusse (Vsebelorusskoe narodnoe sobranie, VNS), élevée au rang d’organe constitutionnel, se conclut par la désignation de Loukachenko à la tête de son présidium. Le 26 janvier 2025, l’élection présidentielle entérine sa reconduction pour un septième mandat, avec un score officiel proche de 87 % et une participation dépassant les 85 %.
En 2025, la logique change : les libérations s’inscrivent davantage dans une stratégie de marchandage externe, principalement avec l’administration de Washington, et traduisent la volonté de Minsk de tester une normalisation des relations avec les pays occidentaux sans susciter la désapprobation de Moscou.
Après la visite, le 12 février 2025, du diplomate américain Christopher Smith (chargé du dossier bélarusse au Département d’État), trois détenus sont libérés le même jour (dont un citoyen des États-Unis) et transférés vers la Lituanie. La visite de l’envoyé spécial Keith Kellogg, accompagné de son adjoint John Cole et de Christopher Smith, les 20–21 juin 2025, est suivie par la libération de 14 prisonniers, dont Sergueï Tikhanovski (époux de Svetlana Tikhanovskaïa).
Les 10–11 septembre 2025, une nouvelle visite permet la libération négociée de 52 prisonniers, transférés vers la Lituanie, en échange d’un assouplissement des sanctions américaines, notamment visant la compagnie aérienne Belavia. On note également la présence de militaires américains comme observateurs lors des exercices militaires russo-bélarusses Zapad-2025, organisés près de Borisov.
Finalement, le 12 décembre 2025, le retour de John Cole à Minsk se solde par la libération de 123 personnes, dont Ales Bialiatski (prix Nobel 2022, fondateur de Viasna), Viktor Babaryko, ou encore les éminents représentants de l’opposition Maria Kolesnikova et Maxim Znak.
Cent quatorze d’entre eux sont ensuite transférés vers l’Ukraine et reçus par le président Volodymyr Zelensky le 13 décembre.
Cette libération s’est faite en échange d’une levée des sanctions américaines sur la potasse. John Cole s’est dit confiant quant à la libération de milliers de prisonniers politiques restants dans les mois à venir.
Ce mécanisme n’est pas nouveau. Après l’élection du 19 décembre 2010, plus de 700 personnes avaient été arrêtées lors de la répression d’une manifestation de contestation, dont plusieurs candidats. Par la suite, au moins 40 avaient été condamnées à des peines de prison ferme. Elles seront libérées entre 2011 et 2015 via la grâce présidentielle, généralement à condition de reconnaître les faits, demander la grâce et promettre de cesser toute activité politique.
Après la répression de 2010–2011, l’UE lie explicitement toute amélioration durable des relations avec Minsk à des progrès en matière de droits fondamentaux – au premier rang desquels figure la libération des prisonniers politiques. Ces libérations conduisent à un assouplissement des sanctions de l’UE, puis à une relance à partir de 2015 d’une coopération (Partenariat oriental, discussions sur facilitation des visas et réadmission, etc.).
Plusieurs analyses soulignent toutefois qu’à l’époque l’UE privilégie une logique de stabilité régionale plutôt qu’un changement structurel du régime bélarusse.
Cette fois, ce n’est pas Bruxelles, mais Washington qui prend l’initiative. Ses démarches s’inscrivent dans un cadre plus large – celui des discussions autour d’un règlement de la guerre en Ukraine –, mais elles produisent des résultats rapides.
D’un côté, l’administration Trump peut revendiquer des « dividendes » visibles : des libérations, médiatisées, présentées comme des avancées en matière de droits humains. De l’autre, Loukachenko remporte une victoire diplomatique : l’accueil de délégations américaines le repositionne comme interlocuteur « fréquentable » et contribue à sa légitimation internationale après des années d’ostracisation.
Minsk gagne aussi sur le terrain économique, tant la potasse occupe une place structurante dans l’économie bélarusse. Pour rappel, le chlorure de potassium entre dans les engrais « potassiques » largement utilisés en agriculture. Sa disponibilité et ses prix ont une répercussion directe sur les coûts des produits agricoles au niveau mondial. Il est également utilisé en industrie chimique, notamment dans la fabrication de savons/détergents, et de manière plus marginale dans l’industrie alimentaire comme substitut de sel ou additif. En 2019, Belaruskaliï (monopole d’État) représentait près de 20 % de la production mondiale de potasse, environ 4 % du PIB et 7 % des exportations bélarusses, constituant une source majeure de recettes fiscales et de devises, aux côtés de la transformation du pétrole russe.
Les sanctions américaines (août 2021), puis européennes (2022), ont entraîné une chute importante de la production, une réorientation des exportations vers la Russie et la Chine à partir de 2023 et une pression sur les prix. En ce sens, la levée des sanctions sur la potasse peut améliorer les finances publiques et desserrer la dépendance accrue de Minsk vis-à-vis de Moscou.
La coopération américaine avec Minsk a déjà été perçue comme un moyen d’éloigner le Bélarus de la Russie. Durant le premier mandat Trump, la visite à Minsk de Mike Pompeo, alors secrétaire d’État, le 1er février 2020, s’inscrivait dans une tentative de normalisation après des années de gel diplomatique. Elle était intervenue à un moment de tensions entre Minsk et Moscou, notamment autour de l’énergie. Pompeo avait alors annoncé que les producteurs américains seraient prêts à fournir au Bélarus jusqu’à 100 % de ses besoins en pétrole à des prix « compétitifs », ce qui avait irrité la Russie. Ce rapprochement Washington-Minsk avait été mis à l’arrêt à partir de la répression à grande échelle déclenchée par Loukachenko à partir d’août 2020.
Commentant la levée partielle de sanctions, la cheffe de l’opposition en exil Svetlana Tikhanovskaïa a déclaré :
« Les sanctions américaines visent des personnes. Les sanctions européennes visent un changement systémique : mettre fin à la guerre, permettre une transition démocratique et garantir que les responsables rendent des comptes. Ces approches ne sont pas contradictoires ; elles se complètent mutuellement. »
Jusqu’ici, les positions américaine et européenne étaient globalement alignées (non-reconnaissance de la légitimité de Loukachenko, sanctions, soutien à l’opposition). Les initiatives de l’administration Trump ouvrent néanmoins une brèche : si Washington assouplit sa posture, combien de temps les Européens pourront-ils maintenir une ligne ferme – sanctions, soutien à l’opposition, refus de légitimation – dans un climat transatlantique plus incertain ?
Les responsables européens ont salué les libérations et la médiation américaine, tout en réaffirmant que les sanctions de l’UE relèvent de décisions européennes et qu’elles restent en place au regard des objectifs stratégiques de l’Union. Par ailleurs, d’après les informations publiques disponibles, l’UE ne semble pas avoir été associée aux négociations elles-mêmes ; elle aurait plutôt été informée et consultée en aval, notamment pour organiser l’accueil des personnes libérées.
De son côté, Loukachenko s’est empressé de dissiper tout doute quant à sa fidélité vis-à-vis de Moscou. Il a insisté publiquement sur le fait qu’un « gros deal » avec Washington ne se ferait « pas aux dépens de la Russie » et qu’il est « en plein accord » avec Vladimir Poutine. En l’absence de commentaire officiel du Kremlin, on peut supposer que les dirigeants russes ont été informés des négociations.
La rapidité des libérations interroge sur la perception que le régime a de l’opposition. Loukachenko semble suffisamment assuré de la solidité du système pour ne plus craindre une déstabilisation intérieure. À ses yeux, l’opposition en exil serait marginalisée, sans relais dans la société, et divisée par des rivalités internes. Le pouvoir n’a jamais cherché à emprisonner tous ses opposants : il leur a souvent laissé la possibilité de quitter le pays – ou l’a imposée (Maria Kolesnikova avait été emprisonnée après avoir déchiré son passeport à la frontière afin d’éviter une expulsion).
L’opposition s’est reconstituée à l’étranger, notamment entre Vilnius et Varsovie, avec des structures quasi gouvernementales : le bureau de Sviatlana Tikhanovskaïa, à la fois plate-forme de coordination des forces démocratiques, vitrine internationale et point de contact institutionnel ; le Cabinet transitoire unifié, conçu comme un « gouvernement en exil » préparant une éventuelle transition ; le Conseil de coordination, pensé comme une alternative au Parlement, malgré la difficulté à maintenir un lien organique avec la société restée au pays, comme l’a montré la faible mobilisation lors des élections qu’il a organisées en mai 2024. Dans ce contexte, l’action de l’opposition en exil se concentre sur le lobbying pour maintenir ou durcir les sanctions, la documentation des violations des droits humains et la préparation de scénarios de transition. Sa capacité à peser sur l’intérieur demeure limitée, faute de relais organisés et face au coût très élevé de l’engagement politique au Bélarus.
On peut toutefois se demander si Loukachenko n’est pas aveuglé par son opportunisme de court terme et s’il ne sous-estime pas les risques à long terme de ces libérations qui vont redynamiser l’opposition en exil. La diaspora bélarusse n’a jamais été aussi nombreuse (plus d’un demi-million de Bélarusses ont quitté le pays depuis 2020), l’opposition en exil n’a jamais été aussi bien structurée et institutionnalisée, et elle n’a jamais bénéficié d’un soutien aussi important de la part de la communauté internationale – ou, du moins, de l’UE.
Si les prisonniers libérés lors des premières vagues ont été transférés vers la Lituanie, la majorité de ceux libérés en décembre 2025 a été, nous l’avons dit, accueillie par l’Ukraine – un fait symboliquement fort. Après 2020, de nombreux Bélarusses avaient fui vers l’Ukraine ; après le début de la guerre en février 2022, une partie a réémigré vers la Pologne et la Lituanie.
Jusqu’ici, l’attitude ukrainienne envers Minsk a été marquée par la prudence, afin d’éviter de pousser Loukachenko vers une implication plus active aux côtés de la Russie. Si Zelensky a condamné la répression de 2020, Kiev ne s’est pas engagé de manière systématique auprès de l’opposition bélarusse en exil. La séquence de décembre 2025 pourrait-elle ouvrir un changement ? Kiev pourrait-il devenir, aux côtés de Vilnius et Varsovie, un troisième pôle politique de l’opposition bélarusse ?
Olga Gille-Belova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.12.2025 à 12:56
Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande École
Marie-Nathalie Jauffret, Chercheure - Prof. Communication & Marketing

En quelques jours, la publicité d’Intermarché a eu un succès viral époustouflant. Un milliard de personnes l’auront regardée. Un tel phénomène conduit à s’interroger sur les raisons de cette réussite, d’autant que l’enseigne, elle, n’est pas présente dans le monde entier ! Quels ressorts intimes ce film a-t-il mis en mouvement ? Il était une faim, ou le récit d’un conte ordinaire par Intermarché…
Le 6 décembre 2025, les chaînes françaises diffusent une publicité sous la forme d’un conte de Noël relatant l’histoire d’un loup rejeté par les habitants de la forêt. L’animation est accompagnée des paroles de Claude François le Mal-Aimé (1974), et se termine sur le logo de la grande enseigne de distribution française Intermarché avec la signature : « On a tous une bonne raison de commencer à mieux manger. » Le spectateur ne s’y trompe pas : il s’agit bien d’une publicité, doublée d’un discours moralisateur.
Si le format long (2 minutes 30) et le registre émotionnel constituent une formule habituelle de la part d’Intermarché et de son agence partenaire Romance, qui accompagne la marque depuis sept ans, le récit du Mal-Aimé surprend par son parti pris esthétique, alternant des plans en live et une partie animée en 3D, produite par la société montpelliéraine Illogic Studios, un format hybride qui tranche avec les publicités précédentes de l’enseigne.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’agence Romance signe un « conte de Noël » pour Intermarché. En 2017 déjà, elle racontait l’histoire d’un petit garçon qui, avec sa grande sœur, cherchait à sauver Noël en apportant des légumes au Père Noël pour que celui-ci puisse passer par la cheminée, le tout porté la chanson de Henri Salvador, J’ai tant rêvé (2003). L’agence Romance a confié qu’elle devait normalement tourner la suite de ce conte avant de finalement produire à la place le Mal-Aimé.
Le conte du Mal-Aimé intervient dans un contexte bien particulier, marqué par une augmentation des images générées par l’intelligence artificielle (IA). Dernièrement, c’est Coca-Cola qui a sorti un nouveau film d’animation de Noël entièrement conçu par IA avec le studio américain Secret Level. Ce spot dure une minute et met en scène des animaux et les célèbres camions rouges de la marque pour un voyage à travers le monde. Le spot s’achève sur un père Noël inspiré des illustrations de Haddon Sundblom, figure emblématique de l’histoire de la marque.
À lire aussi : « Coca-Cola is coming to town », ou l'épopée publicitaire de Santa
Le paysage audiovisuel et publicitaire tend à se modifier par le recours croissant aux images conçues par les intelligences artificielles génératives. Dans ce contexte, le choix d’Intermarché de conserver des techniques traditionnelles qui requièrent la participation d’une soixantaine de personnes est loué par les spectateurs en France comme à l’international.
Comme l’explique le cofondateur d’Illogic Studios Lucas Navarro :
« Pour le faire, c’était important de passer par de vrais artistes très talentueux et non pas de faire appel à l’IA donc, c’est vraiment un choix qu’on a fait. »
Ce conte auquel le public adhère va à l’encontre des théories qui présentent le public comme crédule et adhérant à tous les messages marketing. Le sociologue français Baudrillard présente la publicité comme une « logique de la fable et de l’adhésion », c’est-à-dire que les spectateurs veulent y croire, et cette acceptation reliée à l’émotion fait le succès de la publicité (au sens large).
En racontant l’histoire d’un loup mal-aimé qui apprend à manger sainement, Intermarché ne vend pas des légumes, mais propose un véritable conte de Noël aux spectateurs. La publicité en tant que « logique de la fable et de l’adhésion » telle qu’explicitée par Baudrillard bat ici son plein. Personne n’y croit vraiment, et pourtant nous y adhérons tous !
Comme l’explique le sociologue :
« C’est toute l’histoire du Père Noël : les enfants non plus ne s’interrogent guère sur son existence et ne procèdent jamais de cette existence aux cadeaux qu’ils reçoivent comme de la cause à l’effet – la croyance au Père Noël est une fabulation rationalisante. »
La publicité fonctionne en effet sur le même schéma : l’adulte accepte de redevenir un enfant à la vision de cette publicité qu’il reçoit comme un cadeau.
Le spectateur qui regarde le loup carnivore se transformer en loup végétarien pour se faire des amis devient également complice de cette fable. Et pour garder cette émotion intacte, Intermarché ne montre aucune trace de prix ou d’étiquette, relayant le discours commercial au second plan.
En effet, loin de la réalité quotidienne et des soucis économiques traversés par la France, ce conte de Noël se projette autour du vivre-ensemble. Les rires et les sourires parcourent les personnages différents de ce foyer français dans lequel le feu crépite, non loin d’une table autour de laquelle des adultes, dont une maman soucieuse de son fils qui s’ennuie et un oncle célibataire, apprécient les festivités dînatoires.
Le loup qui est un louvard (un loup adolescent) s’interroge sur son manque d’amis et les controverses qu’il soulève. Par sa personnalité en effet, le loup représente l’instinct sauvage, les pulsions qui guident le canidé à consommer de la viande et à menacer ses futurs amis jusqu’à les tuer, les sacrifier pour ses propres besoins alimentaires.
À lire aussi : Jean Baudrillard, le philosophe qui a prédit l’intelligence artificielle, trente ans avant ChatGPT
Tel un serial killer infiltré dans la société qui doit apprendre à devenir végétarien pour être accepté. Bourdieu parlerait de la violence symbolique quand un changement d’identité est requis pour se fondre dans le groupe. Les spectateurs préfèrent y voir un sens de l’adaptation et le refus d’une violence qui pourrait détruire le groupe social et amical.
Mais le loup reste le malheureux anti-héros de l’histoire. Il est vrai que ce premier niveau de lecture sert à propager l’idée que la violence ne peut être admise dans un groupe social et qu’il est important durant ces festivités d’être soudé malgré les tempéraments de chacun et chacune.
L’utilisation du symbole de la restriction de la consommation de viande, sert-elle à déculpabiliser une clientèle qui économiquement ne pourra peut-être pas consommer de viande en ces périodes festives au profit du végétal ? Les motivations d’un changement de culture alimentaire peuvent aussi être écologiques (réduction d’eau, d’utilisation des terres, etc.), éthiques (protection animale…) ou exprimer la recherche d’être en meilleure santé.
Thierry Cotillard, le président du groupement Mousquetaires, qui détient les enseignes Intermarché, a tout de même tenu à clarifier son intention : « C’est pas ça le message. Le message, c’est “on n’exclut personne” […], c’est le vivre-ensemble », et non la promotion du végétarisme. Mais la démarche de l’enseigne est pourtant bien construite autour du « mieux manger », message que l’agence Romance parvient bien à mettre en scène depuis sept ans dans ses publicités.
En se positionnant comme accompagnatrice de ce changement de paradigme alimentaire, Intermarché endosse par là même un rôle de prescripteur moral qui dépasse sa dimension commerciale, rejoignant d’autres éthos de marques. La marque se présente en effet moins comme un distributeur que comme un garant éthique capable de guider ses consommateurs vers des choix plus responsables.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
19.12.2025 à 12:15
Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie, INSEEC Grande École
Les mémoires vives de type RAM sont des composants essentiels des produits électroniques et informatiques. Leur prix a fortement augmenté ces dernières semaines. Pour certains d’entre-eux, le prix a même été multiplié par quatre ou cinq en quelques semaines. Comment expliquer cette évolution ? Quel impact cela pourrait-il avoir sur le prix des ordinateurs, mais aussi sur l’inflation ou sur le développement de l’intelligence artificielle ? Les économies européennes seront-elles atteintes ? Julien Pillot répond à nos questions.
The Conversation : Pourquoi assiste-t-on depuis quelques semaines à une forte hausse du prix des mémoires vives ?
Julien Pillot : La hausse des prix concerne certains types de mémoires vives (RAM), qui constituent un ensemble beaucoup plus large. C’est l’évolution du prix de la DDR5 et la HBM3 qui inquiète de nombreux analystes actuellement. Pour comprendre les évolutions en cours, il faut avoir en tête que ces formats de mémoire vive sont essentiels à deux usages : la DDR5 est utilisée pour faire fonctionner l’ensemble de nos équipements informatiques et électroniques grand public, à des fins notamment de bureautique ou de gaming, quand la HBM est destinée aux supercalculateurs, essentiellement à des fins d’entraînement des intelligences artificielles (IA). Or, sur ce dernier point, nous observons une accélération sensible de la demande, en lien avec le vif engouement pour l’IA depuis deux ans et la construction de centres de données qui va de pair. Cette pression très forte de la demande explique le phénomène, suivant les canons de l’économie : quand la demande augmente et que l’offre ne suit pas, le prix croît. C’est d’autant plus vrai que cette croissance ne pouvait être que très imparfaitement anticipée, et que le secteur des composants informatiques connaît très souvent des cycles de surproduction/sous-production plus ou moins courts.
*Quel impact cela peut-il avoir ?
J. P. : L’augmentation des coûts de fourniture est une chose, mais il y a également un risque que les délais de production s’allongent, et que les prix des produits finis augmentent pour le grand public. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut avoir en tête que la production est principalement le fait de trois entreprises : les Coréens SK Hynix et Samsung d’une part, et l’Américain Micron d’autre part. Cet oligopole très concentré réalise près de 93 % de la production mondiale. Pour faire face à la croissance de la demande, ils doivent puiser dans leurs stocks, mais surtout augmenter leur capacité de production, ce qui veut dire très concrètement construire de nouveaux sites ou agrandir les sites existants. Outre que créer de nouvelles unités de production prend du temps, cela représente aussi un important investissement.
Ces acteurs sont donc placés devant un dilemme : la hausse de la demande sera-t-elle suffisamment durable pour justifier ces investissements ? Rien ne serait pire pour ces acteurs que de se retrouver, à terme, avec des surcapacités de production qui, non seulement s’avèreraient difficiles à amortir, mais en outre pourraient créer un choc déflationniste sur leur production, comme cela s’est vu en 2022-2023 avec le ralentissement de la demande. C’est un cas classique en économie industrielle qui explique aussi pourquoi les trois géants de la mémoire vive limitent leurs plans d’expansion.
Cet accroissement de la demande n’était-il pas du tout prévisible ?
J. P. : L’accélération exponentielle, depuis 2023-2024, et l’avènement de ChatGPT ont surpris beaucoup de monde. Cet « effet blast » a eu pour principale conséquence le fléchage d’une quantité colossale de fonds vers le développement de l’IA et, par conséquent, vers les composants critiques des architectures essentielles à leur entraînement. Ce qui explique autant la valorisation record d’une entreprise comme Nvidia qui fournit les GPU [processeurs graphiques], que la hausse de la demande, et donc des prix, de la mémoire vive.
Ce mouvement a été d’autant plus fort que, dans le même temps, les autres véhicules d’investissement, comme la blockchain ou le métavers, marquaient une pause, voire s’effondreraient.
Si la situation à court terme est favorable aux producteurs de RAM qui bénéficient à plein de l’effet-prix qui résulte de l’accélération de la demande (SK Hynix, le fournisseur de Nvidia, aurait même déjà écoulé la totalité de sa production prévue pour 2026), elle nécessite néanmoins de pouvoir offrir au marché ce qu’il demande, car une pénurie durable ne profite à personne. Raison pour laquelle ils ont réagi.
De quelle façon ?
J. P. : En adaptant leur outil de production. Ils se sont focalisés sur la production des mémoires vives les plus demandées, quitte à en délaisser d’autres. Mais à un moment, on arrive au bout des capacités d’adaptation des acteurs, ce qui explique les goulets d’étranglement, par exemple sur les DDR5, les producteurs favorisant les mémoires HBM qui offrent de meilleures marges. Mais, retour de bâton, le goulet d’étranglement sur la DDR5 est tel que les producteurs envisagent désormais de la privilégier. Il faut dire que les perspectives de profits sont très alléchantes.
À lire aussi : Pourquoi la bulle de l’IA ne devrait pas éclater… malgré des inquiétudes légitimes
Cela veut-il dire que les biens électroniques et informatiques vont voir leur prix s’envoler à court terme ?
J. P. : C’est très très difficile à dire, car répondre à cette question revient à poser un problème avec beaucoup d’inconnues. Certains analystes tablent sur une augmentation de 20 % du prix des smartphones, mais ces conclusions me paraissent prématurées. Les facteurs d’incertitude sont bien trop nombreux pour être si catégorique.
L’impact va, en effet, dépendre des décisions prises par les entreprises, et des marges de manœuvre dont elles disposent… Nous avons déjà évoqué le dilemme qui concerne les producteurs de RAM. Leurs arbitrages à court terme seront déterminants dans les mécanismes de fixation des prix pour les différents types de RAM. Les autres inconnues concernent la demande, notamment celle qui émane des acteurs de l’électronique grand public.
À court terme, et à périmètre constant (stabilité de la demande et des prix des autres composants), la hausse du prix des mémoires vives augmente leurs coûts de production. Quant aux goulets d’étranglement, ils peuvent ralentir les cadences de livraison des composants, et donc allonger les délais de production et/ou réduire les quantités de produits finis produites. Avec des répercussions évidentes sur leur trésorerie.
Pour savoir l’impact sur le consommateur final, tout va dépendre de la capacité autant que la volonté des entreprises à répercuter ou non cette hausse sur leurs clients. Chaque entreprise va prendre sa décision en fonction de sa situation concurrentielle et financière propre, en arbitrant entre sa trésorerie et le risque de perdre des parts de marché. Une entreprise en position de force peut décider de répercuter la hausse. Une autre confrontée à une forte concurrence sera tentée de maintenir les prix actuels aussi longtemps que possible, et donc de rogner ses marges.
Autre facteur qui va jouer : l’évolution des prix des autres composants. Les produits électroniques sont complexes. Ils sont l’assemblage d’un tas de composants dont les prix varient indépendamment les uns des autres. Il est possible que, tandis que le prix de la RAM augmente, celui d’autres éléments baisse, ce qui peut permettre à un assembleur de faire une péréquation.
Enfin, la hauteur de gamme des produits finis va également jouer un rôle très important dans les arbitrages des producteurs. Sur les produits bas de gamme, il est probable que les producteurs soient peu incités à répercuter la hausse des coûts, car le consommateur est très sensible au prix. À l’inverse, pour du haut de gamme, l’entreprise retrouve des marges de manœuvre, car le prix n’est pas le critère de choix déterminant. Une entreprise, comme Samsung, qui couvre toutes les gammes de produits peut également jouer une péréquation en acceptant de réduire ses marges sur les produits d’entrée de gamme, et de « se rattraper » – au moins en partie – sur les produits haut de gamme.
Sans même évoquer les impacts imputables aux décisions de politique commerciale, ou d’éventuels chocs exogènes tels que celui qui avait frappé la production de disques durs en 2011-2012, tous ces éléments mis bout à bout font qu’il est déjà très difficile d’avoir une vue d’ensemble des répercussions macro-économiques de la hausse du prix, tant l’impact global dépend d’une infinité de décisions micro locales.
Ces mémoires vives sont utilisées pour les modèles d’IA. Faut-il craindre, dès lors, que cela pèse sur les entreprises du secteur alors que de nombreuses personnes évoquent une bulle financière ? En renchérissant les coûts de production de l’IA, la hausse du prix des mémoires vives ne va-t-elle pas déstabiliser l’équilibre financier des entreprises les plus fragiles du secteur ?
J. P. : Tout va dépendre des arbitrages des acteurs, et notamment des producteurs de mémoire vive. Vont-ils continuer ou non à favoriser la production des mémoires vives pour l’IA, les fameuses HBM ? Il pourrait aussi y avoir une bascule à moyen terme qui aboutirait à un ralentissement du rythme de développement de l’IA, le temps de digérer les investissements colossaux réalisés jusqu’ici. Pour quelles raisons ? Des pressions venant de la société ou des actionnaires. Ces derniers voient bien que la croissance de l’IA consomme beaucoup de cash, et s’inquiètent de perspectives de monétisation qui sont soit plus lointaines, soit moins importantes que celles promises par les acteurs de la tech.
Certains investisseurs pourraient bien être tentés de pousser les entreprises à se réorienter vers des projets moins gourmands en capacité de calcul, qui nécessitent moins d’énergie et de cash. À moins que ce ne soit les dirigeants d’entreprise eux-mêmes qui fassent ce choix par volonté à la fois de préserver leur trésorerie et de trouver des modèles peut-être plus frugaux, plus spécialisés et mieux adaptés aux besoins réels des acteurs du marché. Dans un cas comme dans l’autre, cela aurait un effet sur la demande de RAM. Cela ne reste qu’un scénario. En revanche, il me semble raisonnable d’estimer que tôt ou tard les gros argentiers de l’IA vont réclamer des éléments de preuve d’un possible retour sur investissement, ce qui poussera les entreprises spécialisées à chercher à réduire leurs coûts.
Deux Coréens, un États-unien, quel impact pourrait avoir l’absence de l’Europe dans cette technologie ?
J. P. : Les Européens se retrouvent encore une fois dans une extrême dépendance pour des biens d’une importance cruciale, stratégique et même vitale. Nous ne sommes pas complètement absents de l’industrie des semi-conducteurs – l’Europe compte même deux champions, avec ASML pour la fabrication d’équipements, et STMicroelectronics pour la fabrication de puces –, mais pour ce qui concerne la mémoire vive, nos entreprises sont totalement dépendantes des exportations de la Corée du Sud ou des États-Unis, deux pays avec lesquels il vaut mieux avoir de bonnes relations. Le déficit commercial européen pour les semi-conducteurs atteint 10 milliards à 20 milliards de dollars (entre 8,5 milliards et 17 milliards d’euros) par an !
Nous commençons à prendre conscience de nos dépendances multiples. L’European Chips Act (ECA) a été une première réaction qui vise à couvrir 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs. Une entreprise comme STMicroelectronics est bien placée, mais elle est absente du segment des mémoires vives. Il faudrait maintenant élargir le champ de l’ECA à ces composantes vitales de l’économie numérique. Le plus vite sera le mieux, car, vous l’aurez compris, ces composants électroniques ont acquis une dimension critique pour l’ensemble de l’économie qui se numérise à marche accélérée.
Propos recueillis par Christophe Bys.
Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.12.2025 à 15:50
Aurore Ingarao, Maitre de conférences en Marketing , Université d’Orléans
Même les animaux de compagnie ont désormais le droit à des calendriers de l’Avent. Rien d’étonnant alors que les « pets » occupent une place de plus en plus grande dans la vie des personnes. Il était fatal que le monde des affaires et du marketing s’intéressât à ce marché prometteur.
La période des fêtes de fin d’année est l’occasion pour les marques de s’enrichir, en raison des nombreux rendez-vous qui sont autant d’occasions de cadeaux qui sont aussi des achats payés en monnaie sonnante et trébuchante. Entre les fêtes et les secret santa, la tradition du calendrier de l’Avent est devenue importante, créant un attachement symbolique et émotionnel avec les consommateurs. Les calendriers de l’Avent représentent ainsi un marché particulièrement porteur avec plus de 35 millions de vente chaque année en France.
Si l’origine du calendrier de l’Avent est religieux, il a évolué vers une véritable machine marketing. Depuis quelques années, nous assistons à une diversité des calendriers proposés, traduisant l’ouverture croissante de cette pratique, autrefois réservée aux enfants et désormais plébiscitée aussi par les adultes. Décriés par certains car les traditions collectives seraient de cette façon mises au service du consumérisme, voire du capitalisme, les calendriers de l’Avent n’en finissent pas pour autant de séduire. Illustrant le succès des calendriers, certains sites se spécialisent et le site calendrierdelavent.com s’affiche comme le site de référence dédié. Ce sont plus de 30 catégories et 450 calendriers différents qui y sont alors proposés. Sur ce site, par exemple, une catégorie connaît un succès particulier : les calendriers destinés aux animaux de compagnie (pets en anglais et dans la langue du marketing).
Si, en 2025, le calendrier de l’Avent pour animaux « tendance » se veut éco-responsable, fabriqué à partir de matériaux recyclés, avec des friandises naturelles ou des jouets issus de l’artisanat local, le site calendrierdelavent.com propose une catégorie pour animaux : 10 pour les chats, 20 pour les chiens et… deux pour les rongeurs, avec des prix variants de 5,99€ à 59,99€.
Ce marché trouve toute sa place en France qui compte parmi les pays européens ayant le plus d’animaux de compagnie. On dénombre, en effet, 75 millions d’animaux domestiques détenus par 61 % de Français, soit un marché de pas moins de 6,6 milliards d’euros.
À lire aussi : Derrière chaque petite porte : les secrets du succès des calendriers de l’avent
Les chiffres du marché témoignent de l’évolution du statut de l’animal de compagnie, qui a fortement évolué depuis le 18 février 2015. La loi n°2015-177 (Code civil, art. 515-14) stipule que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
L’animal de compagnie est ainsi un véritable membre de la famille, comme le clame le slogan de Santévet, une assurance pour animaux : « Votre animal fait partie de votre famille : assurez sa santé ».
L’attachement aux animaux de compagnie se révèle être un levier efficace pour le succès des entreprises. Étudié par les chercheurs, notamment via le budget consacré à l’alimentation des animaux de compagnie, le concept d’attachement trouve ses origines dans la psychologie sociale, à partir des travaux sur les relations interpersonnelles.
Pour Géraldine Michel, professeure à l’IAE de Paris-Sorbonne, le calendrier de l’Avent est un « produit qui ne connaît pas les crises parce que c’est un objet symbolique qui a une dimension sociale, régressive et d’attachement. Aussi bien pour les enfants que pour les parents_ ». Et quand l’animal de compagnie est un véritable membre de la famille, impossible de le priver de cette symbolique de l’attachement et la théorie du même nom qui se basent sur plusieurs critères principaux, tels que la recherche de proximité ou encore le sentiment de sécurité. Les relations homme-animal de compagnie se construisent ainsi selon ces critères dans leurs relations d’attachement. La théorie du même nom se base sur plusieurs critères principaux, tels que la recherche de proximité ou encore le sentiment de sécurité. Les relations homme-animal de compagnie se construisent ainsi selon ces critères dans leurs relations d’attachement.
Les calendriers à destination des pets sont divers : du format très classique offrant des friandises ou des jouets, aux conseils ou activités à partager, des formules proposent même de créer son propre calendrier ou de le personnaliser avec le prénom de son animal.
Ces calendriers permettent de générer un rituel et accentuent l’inclusion de l’animal dans la vie familiale, de même qu’un enfant attend d’ouvrir la petite fenêtre magique chaque soir. Le rituel vient alors s’inscrire comme une activité familiale.
Du point de vue du discours, les entreprises jouent la carte de la séduction : « Partagez chaque jour du mois de décembre une parenthèse de bonheur avec votre fidèle compagnon, grâce à notre sélection de calendriers de l’Avent animaux ». Il s’agit de stimuler « la curiosité et la gourmandise », instaurer « un moment de complicité unique » et valoriser « votre animal aux yeux de toute la famille ».
Le discours intègre l’animal à la vie de famille. On s’adresse aux « amoureux des animaux » à qui l’on propose de « partager la féérie de Noël » en « instaurant une tradition festive qui ravit toute la famille ». Tous ces arguments proviennent de sites Internet proposant des calendriers de l’Avent pour les animaux.
Les marques misent sur « le plaisir, la santé et la sécurité », car les calendriers de l’Avent sont proposés par les meilleures marques qui répondent aux propriétaires soucieux de la composition des produits pour « leur offrir une expérience sensorielle originale ». Le discours est orienté vers le bien-être mais également le plaisir des animaux. Et pour rassurer leur propriétaire, ce sont des produits éco-responsables, en circuits courts ou présentés en éditions limitées. Les mots ne sont pas anodins et font écho au discours des marques alimentaires pour enfants, dont les industriels cherchent à rassurer les parents quant à leur qualité.
Et pour finir de convaincre les propriétaires hésitants, certains adoptent une approche pédagogique avec un jeu de questions/réponses : « Qu’est-ce qu’un calendrier de l’Avent animaux et pourquoi en offrir un ? », « Comment choisir un calendrier de l’Avent animal adapté à son compagnon ? », ou encore « Quels sont les bienfaits d’un calendrier de l’Avent animaux au quotidien ? »…
Si les calendriers de l’Avent ne cessent de monter en gamme, nous pouvons imaginer ce que pourront être les prochaines éditions ? Pourquoi pas des accessoires tels que des colliers ou manteaux qui répondraient aux critères de l’originalité ? Des produits inédits de la part des marques de luxe, comme les colliers Louis Vuitton ou les hoodies Prada pour répondre aux attentes de luxe des propriétaires de nos amis à quattre pattes ?
Aurore Ingarao ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.12.2025 à 15:42
Marguerite Taiarui, Doctorante au Criobe, Centre de ressources pour les rahui, UMR241 Secopol, École pratique des hautes études (EPHE)
Les lagons polynésiens connaissent un déclin marqué de certaines populations de poissons. Dans ce contexte, la science seule ne suffira pas à prendre des décisions pour améliorer l’état de ces écosystèmes : les connaissances acquises par les pêcheurs à travers leur expérience de terrain apportent un regard complémentaire précieux. Ces deux formes de savoirs peuvent être alliées au service d’une gestion plus durable de la pêche.
La nuit est tombée depuis longtemps sur le récif barrière de Mo’orea. Je suis dans l’eau, lampe éteinte, guidée seulement par les silhouettes de deux pêcheurs et d’un collègue anthropologue. Nous sommes là pour observer une technique de pêche que je ne connaissais jusqu’ici qu’à travers des récits, et qui est souvent qualifiée de ravageuse : le ha’apua.
Plus tôt dans la journée, les pêcheurs ont passé plusieurs heures à disposer des filets, formant un cœur et menant à une cage. À l’endroit précis où ils ont installé ce dispositif, ils savent que les poissons se mettront en mouvement et s’y engouffreront.
Le signal est donné. Nous allumons nos lampes et les agitons dans l’eau. Nous avançons en ligne, sans vraiment comprendre ce que nous faisons, jusqu’à distinguer, dans la pénombre, les reflets argentés d’une cage pleine de ’ī’ihi (poissons-soldats). Ce qui me frappe n’est pas tant la quantité de poissons que la finesse de la manœuvre : tout repose sur une compréhension du lagon que ces pêcheurs ont reçu de leurs aînés mais ont également construite par l’observation, l’expérience et l’affûtage de leurs pratiques.
Cette expédition nocturne en dit long sur la pêche récifo-lagonaire en Polynésie française : une pratique à la fois ancienne, complexe et exigeante. Essentielle à la vie des communautés, elle nourrit les familles, soutient une économie locale et porte une dimension culturelle forte. Cependant, pêcheurs, scientifiques et habitants observent désormais des changements inquiétants : diminution de l’abondance et des tailles de certaines espèces pêchées, dégradation des habitats, prolifération de macroalgues. Les causes sont multiples : surpêche, croissance démographique, urbanisation, pollution terrigène, réchauffement climatique.
Que faire pour gérer durablement la ressource face à ces transformations ? On aurait tendance à se tourner vers la science pour obtenir des chiffres, les analyser puis définir des règles. Pourtant, les savoirs locaux sont immenses : la finesse du ha’apua, orchestré dans la nuit noire par deux pêcheurs expérimentés, révèle une compréhension du lagon qu’aucun instrument scientifique ne peut remplacer.
À lire aussi : C’est quoi la pêche durable ? Quand une étude d’ampleur inédite bouscule les idées reçues
Comprendre ce qui se passe dans les lagons polynésiens nécessite de mobiliser plusieurs formes de connaissances. La science, d’un côté, apporte des outils puissants pour étudier la biologie des espèces ciblées, mesurer certaines tendances et quantifier l’effet des pressions environnementales. Ces repères sont indispensables pour imaginer des règles de gestion cohérentes : tailles minimales de capture, seuils d’effort de pêche, fermetures spatiales ou temporelles.
Mais ces approches reposent en général sur des données abondantes, standardisées et recueillies sur de longues périodes. Dans les lagons polynésiens, elles sont difficiles à collecter : le nombre de pêcheurs est inconnu, les captures rarement déclarées, les ventes souvent informelles, les techniques variées et plusieurs dizaines d’espèces sont ciblées. S’ajoute à cela une contrainte simple : les scientifiques ne peuvent pas être partout, tout le temps. Documenter finement chaque portion de lagon, pour chaque engin de pêche et chaque espèce demanderait des moyens considérables, alors même que les changements environnementaux se produisent dès maintenant. Nous n’avons ni le temps, ni la possibilité de revenir en arrière pour savoir comment les choses ont évolué.
C’est précisément là que les savoirs locaux deviennent essentiels. Les pêcheurs observent le lagon au quotidien, parfois depuis des décennies. Ils détectent des signaux, des variations d’abondance ou de comportement que les suivis scientifiques peinent à capter. Leurs connaissances fines constituent un matériau précieux pour comprendre le fonctionnement du lagon. Mais ces savoirs ont aussi leurs limites : ils sont situés, fragmentés, liés à des pratiques spécifiques. Ils ne suffisent plus toujours pour anticiper l’avenir dans un contexte de changements rapides.
Science et savoirs locaux éclairent chacun une facette du lagon, sans jamais en offrir une vision complète. C’est la complémentarité de ces deux systèmes de connaissances, et non leur opposition, qui permet d’imaginer des solutions plus justes, plus robustes et adaptées au terrain.
À lire aussi : Prévisions météo : quand savoirs locaux et sciences se nourrissent
Le lendemain de notre expédition nocturne, je dissèque, sous le regard attentif des deux pêcheurs, quelques ’ī’ihi capturés dans le ha’apua, dans le cadre d’une étude de traits biologiques. L’un d’eux me glisse :
« Tu verras, ils sont tous matures. Cette espèce, ça commence à se reproduire tôt, autour de 12 centimètres. »
Ce moment, en apparence anodin, résume pourtant le cœur du travail engagé depuis plusieurs mois à Tahiti et Mo’orea. Les pêcheurs, les gestionnaires et les scientifiques ont choisi six espèces de poissons à étudier, en fonction de leurs préoccupations. Parmi ces dernières, la mise en place de tailles minimales de capture revient régulièrement. Les pêcheurs le demandent depuis longtemps : ils voient eux-mêmes que certains prélèvent des poissons trop petits et que la pression augmente. Mais comment fixer ces tailles ?
Nous sommes en mars 2023. Après quatre années d’interdiction, la zone de pêche réglementée de Tautira s’apprête à rouvrir à la pêche pour deux demi-journées. Le comité de gestion souhaite instaurer des tailles minimales de capture et se tournent vers des scientifiques pour les conseiller. Sur la base d’études menées ailleurs dans le Pacifique, les recommandations tombent : 18 cm pour les ’ī’ihi et 25 cm pour les ume tārei (nasons).
Les pêcheurs contestent immédiatement : « on ne voit jamais d’individus de ces tailles ». Après discussion, la taille des ’ī’ihi est abaissée à 15 cm mais celle des ume tārei est maintenue.
Les résultats de l’ouverture confirment la complexité de l’exercice. Sur 1 490 ’ī’ihi capturés, seuls 7 % mesuraient moins de 18 cm. À l’inverse, moins d’une vingtaine de ume tārei ont pu être pêchés et 69 % étaient en dessous de 25 cm. La biologie « importée » ne reflétait pas la réalité locale, tandis que l’intuition des pêcheurs sur les ’ī’ihi ne traduisait pas non plus les tailles réelles de cette espèce sous l’eau.
Ces deux exemples montrent bien que ni pêcheurs ni scientifiques ne détiennent, seuls, la solution complète. Les premiers apportent leur observation continue du terrain ; les seconds des repères biologiques indispensables. La question n’est pas d’avoir raison, mais d’apprendre à se comprendre pour élaborer ensemble des règles réalistes, légitimes et applicables.
Les pêcheurs sont souvent présentés comme les premiers responsables du déclin des stocks. Pourtant, ceux que l’on accuse si facilement sont aussi ceux qui nourrissent la population.
Leur connaissance fine du milieu, construite au fil des saisons et de l’expérience, n’est pas opposée à la science : elle la complète là où les données manquent ou arrivent trop tard. La science, de son côté, apporte des repères indispensables pour comprendre la biologie des espèces et anticiper les effets des changements en cours.
Reconnaître ces savoirs à égalité, c’est faire preuve d’empathie et d’intelligence : accepter que chacun voit une part du lagon, selon son histoire et ses outils. C’est en croisant ces regards, plutôt qu’en les hiérarchisant, que peuvent émerger des solutions durables, légitimes et réellement applicables.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a eu lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Marguerite Taiarui est membre du Centre de ressources pour les rāhui, du Criobe (UAR3278) et de l’UMR241 Secopol. Elle a reçu des financements de la Direction des ressources marines de la Polynésie française, de la Fondation de France, de l’Association nationale pour la recherche et technologie et de Bloomberg Philanthropies. Elle tient à remercier les pêcheurs pour le partage de leurs connaissances et de leur temps, ainsi que les collègues et étudiants ayant contribué aux travaux mentionnés dans cet article.
18.12.2025 à 15:39
Rawane Yasser, Researcher, Agence Française de Développement (AFD)
Anda David, Senior researcher, Agence Française de Développement (AFD)
Parmi les mesures destinées à atténuer les effets du changement climatique, les politiques fiscales et sociales jouent un rôle central pour garantir une transition écologique équitable. Cela suppose toutefois de prendre en compte les différences de situation et les vulnérabilités propres aux différents groupes sociaux. Des études menées en 2024 par des chercheuses et chercheurs de l’AFD en partenariat avec des universités en Afrique du Sud, en Colombie et au Mexique ont évalué ces dispositifs. Leurs conclusions apportent des pistes concrètes pour que les politiques sociales et fiscales accompagnent efficacement les transitions écologiques non seulement sans accroître les inégalités, mais également en contribuant activement à les réduire.
Le changement climatique constitue sans aucun doute le défi le plus important auquel l’humanité est confrontée.
En menaçant les progrès en termes de réduction de la pauvreté, d’amélioration des conditions de travail et de développement durable, il rend d’autant plus urgents les efforts visant à atténuer ses effets. Cependant, il devient également essentiel d’intégrer les questions d’équité dans les discussions, car les impacts du changement climatique ne sont pas répartis de manière uniforme.
Les transitions écologiques, conçues pour répondre à la crise climatique en évoluant vers un modèle de développement résilient et durable, impliquent de transformer en profondeur nos économies et nos modes de production pour les rendre plus durables. Cependant, ces transitions, pouvant provoquer des chocs socio-économiques et des pertes d’emploi, risquent de creuser les inégalités à travers un impact négatif disproportionné sur les plus vulnérables si la justice n’en constitue pas le socle. Elles sont avant tout un choix de société qui repose sur la répartition des coûts, des opportunités et des protections face aux changements à venir. D’où l’urgence de faire des transitions écologiques des transitions justes.
C’est dans cette perspective que le rôle des politiques sociales et fiscales devient essentiel. Elles doivent être repensées pour construire un contrat social plus équitable qui sera capable de répondre à l’aggravation des inégalités et d’accompagner les changements qu’impliquent les transitions écologiques.
Dans une synthèse des travaux récents menés avec nos partenaires, nous avons analysé comment les politiques sociales et fiscales peuvent être à la fois un facteur d’atténuation des risques de la transition, mais aussi un levier de transformation sociale.
Le cœur de notre analyse est que les transitions écologiques doivent se structurer autour de deux piliers fondamentaux : ne laisser personne de côté et répartir équitablement les coûts et les bénéfices.
Pour ce faire, nous proposons des éclairages et des outils pratiques pour rendre cette équité opérationnelle et concilier objectifs climatiques et sociaux, en mobilisant des exemples de l’Afrique du Sud, du Mexique et de la Colombie.
Nous prenons la transition juste comme point de départ, car elle est de plus en plus reconnue comme le cadre de référence pour la construction d’économies durables. Cette approche met l’accent sur la dimension sociale de la transition écologique et énergétique et souligne la nécessité de garantir les moyens de subsistance des personnes affectées négativement par cette transition. Elle prône une transition inclusive vers une économie sobre en carbone et durable, qui ne laisse personne de côté.
Cette approche juste est indispensable en raison des effets potentiellement inégaux des politiques de transitions sur les différents groupes sociaux. La transformation structurelle qu’implique la transition écologique crée à la fois des opportunités et des vulnérabilités, et risque d’exacerber les inégalités existantes. Certains travailleurs seront en mesure de s’adapter et bénéficier des nouvelles technologies bas-carbone, d’autres risquent d’être laissés pour compte.
Certains groupes de la population sont particulièrement exposés à ces risques.
Un travail de recherche mené en Colombie constate que les femmes, les personnes issues d’une formation technique et les travailleurs informels ont moins de chance de pouvoir occuper des « emplois verts », c’est-à-dire des emplois qui contribuent à protéger les écosystèmes et la biodiversité ; réduire la consommation d’énergie, de matériaux et d’eau ou encore de diminuer l’intensité carbone de l’économie.
Introduire des instruments fiscaux – taxes énergétiques, réformes de subventions – peut également produire des effets inégalitaires lorsqu’ils ne sont pas accompagnés de mécanismes de redistribution. Le cas d’une taxe sur les carburants au Mexique le démontre : les ménages à faibles revenus consacrent une part plus importante de leurs revenus à leurs besoins énergétiques, ont une capacité d’adaptation limitée, et sont particulièrement vulnérables aux politiques de transition inéquitables.
Une approche juste des transitions vertes, qui prend en compte ces vulnérabilités, devient donc essentielle. Mais comment traduire efficacement ces principes en politiques sociales et fiscales ?
Pour éviter que les transitions écologiques accentuent les inégalités, nos recherches ont conclu que les politiques sociales doivent soutenir les personnes les plus exposées en identifiant les groupes à risque.
Une étude réalisée sur le secteur minier du charbon en Afrique du Sud établit le profil des travailleurs qui risquent une perte d’emploi suite à une transition énergétique : près de 80 % de ces travailleurs sont des jeunes (entre 15 et 35 ans) employés dans la province de Mpumalanga, au nord-est du pays. Par ailleurs, dans le Mpumalanga, le taux de personnes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) s’élève à 45,9 % en 2023 chez les jeunes avec de fortes disparités en termes de genre.
Ces données désagrégées sont importantes car elles permettent d’orienter des politiques ciblées et adaptées aux vulnérabilités spécifiques des différents groupes, ici les jeunes et les femmes. Parmi ces politiques, les priorités les plus urgentes visent à faciliter la transition des jeunes à faibles revenus vers des emplois verts, ainsi que la mise en place des mesures renforçant l’économie des soins (petite enfance, soutien aux familles), pour lutter contre les obstacles limitant la participation des femmes au marché du travail tout en créant des opportunités d’emploi et de la diversification économique.
Le travail de recherche sur les politiques de transitions justes appliquées au secteur minier en Afrique du Sud propose des mesures de protection sociale (aide ponctuelle au revenu, aide à la mobilité, formations et options de retraite anticipée) adaptées aux cohortes spécifiques de travailleurs déplacés en fonction de leur âge et de leurs compétences.
Pour être efficaces, les politiques sociales doivent également investir dans des compétences adaptées aux secteurs émergents (carburants durables, services aux entreprises). Les stratégies de formation doivent aller au-delà des savoir-faire génériques pour privilégier des parcours vers l’emploi, notamment dans les zones fortement dépendantes du charbon comme Nkangala en Afrique du Sud.
L’étude de l’écosystème de compétences des micros, petites et moyennes entreprises révèle des biais structurels des politiques et stratégies actuelles de transition en faveur des grandes entreprises. Des formations spécifiques conçues avec les entreprises pourront également garantir une adéquation avec la demande réelle du marché du travail.
Réorienter les subventions énergétiques pour créer de l’espace fiscal est un premier levier pour une transition juste. Les rediriger vers des investissements verts ciblés socialement – en particulier pour les ménages à faible revenu – élargis à la fois l’espace fiscal et améliore l’équité de la transition. C’est ce que montre les travaux de recherche au Mexique qui proposent de réallouer les subventions à l’électrique vers l’installation de panneaux solaires dans des municipalités stratégiques. Cette reconfiguration des flux financiers permettra de générer une part d’électricité entre 6,9 % et 9,2 % de la consommation régionale totale sans construction de nouvelles centrales et bénéficierait directement aux ménages.
Au-delà des réallocations des ressources existantes, une transition juste nécessite la mobilisation de nouvelles recettes d’une manière progressive et durable. Sans mesures compensatoires adéquates, la fiscalité environnementale risque d’accroître les inégalités. Au Mexique, l’effet régressif d’une taxe sur les carburants a été démontré. Un transfert universel pur serait un mécanisme efficace pour compenser ces effets régressifs. Ça consiste en un montant égal par habitant et inconditionnel pour l’ensemble de la population.
Au-delà des outils et des mesures techniques, ces travaux démontrent la nécessité de repenser notre contrat social. Une transition écologique juste ne se résume pas à corriger des effets indésirables : elle doit redéfinir la manière dont nos sociétés répartissent l’effort, la protection et les opportunités. Les travaux de l’Institut de recherche des Nations unies pour le développement social (UNRISD) rappellent d’ailleurs que sans un nouveau pacte social, fondé sur la justice et la redistribution, les transitions risquent de renforcer les fractures existantes.
Reconnaître que certains supporteront davantage les coûts de la transition – parce que leur emploi, leur territoire ou leurs conditions de vie les exposent plus fortement – est un point de départ essentiel. Dans un contexte de polarisation croissante, remettre la solidarité au centre est indispensable : elle seule permet de maintenir l’adhésion collective face aux transformations à venir.
Une transition juste suppose donc d’assumer collectivement ces asymétries et d’organiser une solidarité réelle : entre générations, entre territoires, entre groupes sociaux. C’est ce qui permettra à la transition verte d’être non seulement possible, mais aussi légitime et durable.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.