01.06.2025 à 09:27
Johan Lepage, Chercheur associé en psychologie sociale, Université Grenoble Alpes (UGA)
La recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par un élément : leur orientation autoritaire – et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire et intolérant.
Le chercheur en psychologie sociale Stanley Milgram publie en 1964 la première recherche expérimentale sur la soumission à l’autorité. Son protocole consiste à demander à des personnes volontaires d’infliger des décharges électriques à un autre participant (en réalité un compère de Milgram) dans le cadre d’une recherche prétendument sur les effets de la punition sur l’apprentissage. Un échantillon de psychiatres prédit une désobéissance quasi unanime, à l’exception de quelques cas pathologiques qui pourraient aller jusqu’à infliger un choc de 450 volts.
Les résultats provoquent un coup de tonnerre : 62,5 % des participants obéissent, allant jusqu’à administrer plusieurs chocs de 450 volts à une victime ayant sombré dans le silence après avoir poussé d’intenses cris de douleur. Ce résultat est répliqué dans plus d’une dizaine de pays auprès de plus de 3 000 personnes.
Ces données illustrent la forte propension à l’obéissance au sein de la population générale. Elles montrent également des différences individuelles importantes puisqu’environ un tiers des participants désobéit. Les caractéristiques socio-démographiques des individus et le contexte culturel semblent n’avoir aucune influence sur le comportement dans le protocole de Milgram. Comment expliquer alors les différences individuelles observées ?
Nous avons conduit une nouvelle série d’expériences dans les années 2010. Nos résultats montrent un taux d’obéissance similaire ainsi qu’une influence notable de l’autoritarisme de droite : plus les participants ont un score élevé à l’échelle d’autoritarisme de droite, plus le nombre de chocs électriques administrés est important.
La psychologie sociale traite la question de l’autoritarisme depuis plusieurs décennies. Cette branche de la psychologie expérimentale a notamment fait émerger dès les années 1930 une notion importante : celle d’attitude.
Une attitude désigne un ensemble d’émotions, de croyances, et d’intentions d’action à l’égard d’un objet particulier : un groupe, une catégorie sociale, un système politique, etc. Le racisme, le sexisme sont des exemples d’attitudes composées d’émotions négatives (peur, dégoût), de croyances stéréotypées (« les Noirs sont dangereux », « les femmes sont irrationnelles »), et d’intentions d’action hostile (discrimination, agression).
Les attitudes sont mesurées à l’aide d’instruments psychométriques appelés échelles d’attitude. De nombreux travaux montrent que plus les personnes ont des attitudes politiques conservatrices, plus elles ont également des attitudes intergroupes négatives (e.g., racisme, sexisme, homophobie), et plus elles adoptent des comportements hostiles (discrimination, agression motivée par l’intolérance notamment). À l’inverse, plus les personnes ont des attitudes politiques progressistes, plus elles ont également des attitudes intergroupes positives, et plus elles adoptent des comportements prosociaux (soutien aux personnes défavorisées notamment).
Les attitudes politiques et les attitudes intergroupes sont donc corrélées. Une manière d’analyser une corrélation entre deux variables est de postuler l’existence d’une source de variation commune, c’est-à-dire d’une variable plus générale dont les changements s’accompagnent systématiquement d’un changement sur les autres variables. Dit autrement, si deux variables sont corrélées, c’est parce qu’elles dépendent d’une troisième variable. La recherche en psychologie sociale suggère que cette troisième variable puisse être les attitudes autoritaires. Cette notion regroupe des attitudes exprimant des orientations hiérarchiques complémentaires :
l’orientation à la dominance sociale, une attitude orientée vers l’établissement de relations hiérarchiques, inégalitaires entre les groupes humains ;
l’autoritarisme de droite, une attitude orientée vers l’appui conservateur aux individus dominants.
La recherche en psychologie expérimentale, en génétique comportementale et en neurosciences montre invariablement que ce sont les attitudes autoritaires, plus que toute autre variable (personnalité, éducation, culture notamment), qui déterminent les attitudes intergroupes, les attitudes politiques, et ainsi le comportement plus ou moins coercitif, inégalitaire, et intolérant des personnes.
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Étudions le cas d’un groupe : la police. Plusieurs études montrent que les policiers nouvellement recrutés ont des scores significativement plus élevés à l’échelle d’autoritarisme de droite que la population générale.
Ce résultat important suggère que les personnes autoritaires sont plus susceptibles de choisir une carrière dans la police (autosélection) et/ou que la police a tendance à privilégier les personnes autoritaires pour le recrutement (sélection). Les personnes autoritaires et l’institution policière semblent réciproquement attirées, ce qui entraîne un biais de sélection orienté vers l’autoritarisme de droite qui, on l’a vu, est responsable d’attitudes politiques conservatrices et d’attitudes intergroupes négatives.
À des fins de recherche, des universitaires ont développé un jeu vidéo simulant la situation d’un policier confronté à une cible ambiguë et devant décider de tirer ou non. Des personnes noires ou blanches apparaissent sur un écran de manière inattendue, dans divers contextes (parc, rue, etc.) Elles tiennent soit un pistolet, soit un objet inoffensif comme un portefeuille. Dans une étude menée aux États-Unis, les chercheurs ont comparé la vitesse à laquelle les policiers décident de tirer, ou de ne pas tirer, dans quatre conditions :
(i) cible noire armée,
(ii) cible blanche armée,
(iii) cible noire non armée,
(iv) cible blanche non armée.
Les résultats montrent que les policiers décidaient plus rapidement de tirer sur une cible noire armée, et de ne pas tirer sur une cible blanche non armée. Ils décidaient plus lentement de ne pas tirer sur une cible noire non armée, et de tirer sur une cible blanche armée. Ces résultats montrent un biais raciste dans la prise de décision des policiers. Ils réfutent l’hypothèse d’une violence policière exercée par seulement « quelques mauvaises pommes ».
On observe dans toutes les régions du monde une sur-représentation des groupes subordonnés parmi les victimes de la police (e.g., minorités ethniques, personnes pauvres). Les chercheurs en psychologie sociale Jim Sidanius et Felicia Pratto proposent la notion de terreur systémique (systematic terror) pour désigner l’usage disproportionné de la violence contre les groupes subordonnés dans une stratégie de maintien de la hiérarchie sociale.
On peut s’interroger sur la présence dans la police de membres de groupes subordonnés (e.g., minorités ethniques, femmes).
Une explication est l’importance des coalitions dans les hiérarchies sociales tant chez les humains que chez les primates non humains, comme les chimpanzés, une espèce étroitement apparentée à la nôtre. On reconnaît typiquement une coalition quand des individus menacent ou attaquent de manière coordonnée d’autres individus. Le primatologue Bernard Chapais a identifié plusieurs types de coalition, notamment :
les coalitions conservatrices (des individus dominants s’appuient mutuellement contre des individus subordonnés qui pourraient les renverser) ;
l’appui conservateur aux individus dominants (des individus subordonnés apportent un appui aux individus dominants contre d’autres individus subordonnés) ;
les coalitions xénophobes (des membres d’un groupe attaquent des membres d’un autre groupe pour la défense ou l’expansion du territoire).
La police regroupe des individus subordonnés motivés par l’appui conservateur aux individus dominants (tel que mesuré par l’échelle d’autoritarisme de droite) et la xénophobie (telle que mesurée par les échelles de racisme).
Dans son ensemble, la recherche en psychologie sociale réfute la thèse de la banalité du mal. La violence dans les hiérarchies sociales est exercée par des individus qui se distinguent par leur orientation autoritaire, et ainsi par un comportement particulièrement coercitif, inégalitaire, et intolérant.
Le mauvais état de la démocratie dans le monde suggère une prévalence importante des traits autoritaires. Lutter contre l’actuelle récession démocratique implique, selon nous, la compréhension de ces traits.
Johan Lepage ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.05.2025 à 11:25
Céline Leroy, Directrice de recherche en écologie tropicale, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Avez-vous déjà observé une plante avec des feuilles de formes différentes ? Ce phénomène, à la fois surprenant et fascinant, porte un nom : l’hétérophyllie. Loin d’être une bizarrerie botanique, il s’agit d’une véritable stratégie d’adaptation, permettant à certains végétaux de mieux faire face à la diversité des contraintes de leur environnement.
Vous avez sans doute déjà croisé du houx en forêt, dans un jardin ou même en décoration de Noël. Ses feuilles piquantes sont bien connues. Mais avez-vous déjà remarqué que toutes ne sont pas armées de piquants ? Sur une même plante, on trouve des feuilles épineuses en bas, et d’autres lisses plus haut. Ce n’est pas une erreur de la nature, mais un phénomène botanique fascinant : l’hétérophyllie, un mot qui vient du grec heteros signifiant différent, et de phullon, qui désigne la feuille.
Cette particularité s’observe chez de nombreuses espèces, aussi bien terrestres qu’aquatiques, où un même individu peut produire des feuilles très différentes par leur taille, leur forme, leur structure, voire leur couleur. Loin d’être simplement esthétique, cette diversité joue un rôle crucial dans la survie, la croissance et la reproduction des plantes.
Mais d’où vient cette capacité à changer de feuilles ? L’hétérophyllie peut en fait être déclenchée par des variations de l’environnement (lumière, humidité, faune herbivore…). Cette faculté d’adaptation est alors le résultat de ce qu’on appelle la plasticité phénotypique. L’hétérophyllie peut aussi résulter d’une programmation génétique propre à certaines espèces, qui produisent naturellement plusieurs types de feuilles. Quelle qu’en soit l’origine, la forme d’une feuille est le résultat d’une série d’ajustements complexes en lien avec les conditions environnementales du milieu.
Si l’on reprend le cas du houx commun (Ilex aquifolium), celui-ci offre un exemple frappant d’hétérophyllie défensive en réaction à son environnement. Sur un même arbuste, les feuilles basses, à portée d’herbivores, ont des piquants ; celles plus haut sur la tige, hors d’atteinte des animaux, sont lisses et inoffensives. Cette variation permet à la plante d’optimiser ses défenses là où le danger est réel, tout en économisant de l’énergie sur les zones moins exposées, car produire des épines est coûteux.
Des recherches ont montré que cette répartition n’est pas figée. Dans les zones très pâturées, les houx produisent plus de feuilles piquantes, y compris en hauteur, ce qui indique une capacité de réaction à la pression exercée par les herbivores. Cette plasticité phénotypique est donc induite par l’herbivorie. Mais le houx n’est pas un cas isolé. D’autres plantes déploient des stratégies similaires, parfois discrètes, traduisant une stratégie adaptative : modifier la texture, la forme ou la structure des feuilles pour réduire l’appétence ou la digestibilité, et ainsi limiter les pertes de tissus.
La lumière joue un rôle tout aussi déterminant dans la morphologie des feuilles. Chez de nombreuses espèces, les feuilles exposées à une lumière intense n’ont pas la même forme que celles situées à l’ombre.
Les feuilles dites « de lumière », que l’on trouve sur les parties supérieures de la plante ou sur les branches bien exposées, sont souvent plus petites, plus épaisses et parfois plus profondément découpées. Cette forme favorise la dissipation de la chaleur, réduit les pertes d’eau et augmente l’efficacité de la photosynthèse en milieu lumineux. À l’inverse, les feuilles d’ombre, plus grandes et plus minces, sont conçues pour maximiser la surface de captation de lumière dans des conditions de faible éclairement. Elles contiennent souvent davantage de chlorophylle, ce qui leur donne une couleur plus foncée.
Ce contraste est particulièrement visible chez les chênes, dont les feuilles supérieures sont épaisses et lobées, tandis que celles situées plus bas sont larges, souples et moins découpées. De très nombreuses plantes forestières présentent également ces différences. Sur une même plante, la lumière peut ainsi façonner les feuilles en fonction de leur position, illustrant une hétérophyllie adaptative liée à l’exposition lumineuse.
Chez les plantes aquatiques ou amphibies, l’hétérophyllie atteint des formes encore plus spectaculaires. Certaines espèces vivent en partie dans l’eau, en partie à l’air libre et doivent composer avec des contraintes physiques très différentes.
C’est le cas de la renoncule aquatique (Ranunculus aquatilis), qui produit des feuilles très différentes selon leur emplacement. Les feuilles immergées sont fines, allongées et très découpées, presque filamenteuses.
Cette morphologie réduit la résistance au courant, facilite la circulation de l’eau autour des tissus et améliore les échanges gazeux dans un milieu pauvre en oxygène. En revanche, les feuilles flottantes ou émergées sont larges, arrondies et optimisées pour capter la lumière et absorber le dioxyde de carbone de l’air. Ce phénomène est réversible : si le niveau d’eau change, la plante ajuste la forme de ses nouvelles feuilles.
La sagittaire aquatique (Sagittaria spp.) présente elle aussi une hétérophyllie remarquable, avec des feuilles émergées en forme de flèche, épaisses et rigides et des feuilles souvent linéaires et fines sous l’eau. Ces changements illustrent une stratégie morphologique adaptative, qui permet à une même plante d’exploiter efficacement des milieux radicalement différents.
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Mais l’hétérophyllie ne résulte pas toujours de l’environnement. Chez de nombreuses espèces, elle accompagne simplement le développement naturel de la plante. À mesure que la plante grandit, elle passe par différents stades de développement, au cours desquels elle produit des feuilles de formes distinctes.
Ce processus, appelé « hétéroblastie », marque bien souvent le passage entre les phases juvénile et adulte. Un exemple classique est celui du lierre commun (Hedera helix). Les tiges rampantes ou grimpantes portent des feuilles lobées caractéristiques du stade juvénile, tandis que les tiges qui portent les fleurs, situées en hauteur, portent des feuilles entières et ovales. Ce changement est irréversible et marque l’entrée de la plante dans sa phase reproductive.
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Un autre exemple frappant est celui de certains acacias australiens. Les jeunes individus développent des feuilles composées, typiques des légumineuses. À mesure qu’ils grandissent, ces feuilles sont progressivement remplacées par des phyllodes, des pétioles (c’est-à-dire la partie qui unit chez la plupart des plantes la base de la feuille et la tige) élargis qui assurent la photosynthèse tout en limitant l’évaporation (voir planche dessins, ci-dessous). Ces structures en forme de faucille sont particulièrement bien adaptées aux climats chauds et secs, car elles peuvent maintenir une activité photosynthétique efficace tout en minimisant les pertes hydriques.
Les mécanismes qui permettent à une plante de modifier la forme de ses feuilles sont complexes et encore mal compris. On connaît mieux les formes que prennent les feuilles que les mécanismes qui les déclenchent ou les fonctions qu’elles remplissent.
Chez certaines espèces, des hormones végétales telles que l’éthylène, l’acide abscissique (ABA), les auxines ou encore les gibbérellines (GA) jouent un rôle central dans le déclenchement des différentes formes de feuilles. Chez le houx, la différence entre feuilles piquantes et lisses serait liée à des modifications réversibles de la structure de l’ADN, sans altération des gènes eux-mêmes, déclenchées par la pression exercée par les herbivores.
Les plantes hétéroblastiques, quant à elles, sont principalement contrôlées par des mécanismes génétiques et moléculaires. La succession des types de feuilles au cours du développement peut néanmoins être accélérée ou retardée en fonction des conditions de croissance, traduisant une interaction fine entre développement et environnement.
La régulation de l’hétérophyllie repose ainsi sur une combinaison d’interactions hormonales, génétiques, épigénétiques et environnementales. Ce phénomène constitue également un exemple remarquable de convergence évolutive, car l’hétérophyllie est apparu indépendamment dans des lignées végétales très différentes. Cela suggère qu’il s’agit d’une solution robuste face à la diversité des conditions présentes dans l’environnement.
Les recherches futures, notamment grâce aux outils de génomique comparative, d’épigénomique et de transcriptomique, permettront sans doute de mieux comprendre l’évolution et les avantages adaptatifs de cette étonnante plasticité des formes de feuilles.
Céline Leroy a reçu des financements de ANR et de l'Investissement d'Avenir Labex CEBA, Centre d'Etude de la Biodiversité Amazonienne (ref. ANR-10-LABX-25-01).
29.05.2025 à 20:00
Nicolas Rascovan, Chercheur à l'Institut Pasteur, Université Paris Cité
Charlotte Avanzi, Assistant Professor, Colorado State University
Maria Lopopolo, Chercheur à l'Institut Pasteur, Université Paris Cité
Longtemps considérée comme une maladie infectieuse introduite en Amérique par les colonisateurs européens, la lèpre pourrait en fait avoir une histoire bien plus ancienne et plus complexe sur le continent. Une nouvelle étude internationale, publiée aujourd’hui dans la revue Science, révèle que Mycobacterium lepromatosis, une bactérie récemment identifiée qui cause la lèpre, infecte les humains en Amérique depuis au moins 1 000 ans, soit plusieurs siècles avant le contact européen.
La lèpre est une maladie chronique ancienne qui se manifeste par des lésions de la peau, des nerfs périphériques, de la muqueuse des voies respiratoires supérieures ainsi que des yeux. Elle est présente dans plus de 120 pays et 200 000 cas sont notifiés chaque année selon l’OMS. Les personnes touchées par la lèpre sont atteintes de difformités physiques et sont également confrontées à la stigmatisation et à la discrimination. Cependant, la lèpre est curable et le traitement à un stade précoce permet d’éviter les séquelles.
Cette maladie a longtemps été associée à une seule bactérie : Mycobacterium leprae, responsable de la forme dite « classique » de la maladie, décrite dans les manuels et prédominante à l’échelle mondiale. En 2008, une seconde espèce, Mycobacterium lepromatosis, a été identifiée au Mexique. Elle provoque des symptômes cliniquement très similaires, si bien qu’elle passe souvent inaperçue – seuls des tests génétiques ciblés permettent de la distinguer de M. leprae. Bien que le développement d’outils génétiques ait permis une intensification des recherches sur cette bactérie, les cas humains confirmés restaient principalement localisés en Amérique, notamment au Mexique et dans la région des Caraïbes. En 2016, la découverte inattendue de M. lepromatosis chez des écureuils roux dans les îles Britanniques – un réservoir animal dans une zone non endémique – a soulevé la question de l’origine géographique de cette bactérie.
Malgré des recherches intensives dans les données d'ADN anciens européens, M. lepromatosis n’a jamais été détectée sur le continent. C’est dans ce contexte que l’hypothèse d’une origine américaine a pris de l’ampleur. Notre projet est né d’une découverte fortuite de cette espèce dans les données publiées d’un individu d’Amérique du Nord daté à 1 300 ans avant le présent. Ce signal inattendu nous a conduits à étendre nos recherches, en retraçant sa présence passée par des analyses d’ADN ancien, et en documentant sa diversité actuelle à travers des cas modernes, pour mieux comprendre l’histoire et la circulation de ce pathogène largement négligé.
Cette étude est essentielle pour éclairer les mécanismes de transmission des bactéries responsables de la lèpre, en particulier en tenant compte de la diversité des réservoirs possibles. En reconstituant l’histoire évolutive et la distribution géographique de M. lepromatosis, nous espérons mieux comprendre comment cette bactérie se transmet encore aujourd’hui.
Nous avons analysé près de 800 échantillons, y compris des restes anciens d’ancêtres autochtones (couvrant plusieurs millénaires, jusqu’à 6 000 ans en arrière) et des cas cliniques modernes. Nos résultats confirment que M. lepromatosis était déjà largement répandue, du nord au sud du continent américain, bien avant la colonisation, et apportent une nouvelle perspective sur les souches qui circulent aujourd’hui.
Cette découverte modifie en profondeur notre compréhension de l’histoire de la lèpre en Amérique. Elle montre que la maladie était déjà présente parmi les populations autochtones depuis des siècles avant le contact européen, et qu’elle a évolué localement sur le continent.
Un aspect essentiel de ce projet a été la collaboration avec des communautés autochtones du Canada et d’Argentine. Celles-ci ont été activement impliquées dans les décisions concernant l’étude des restes humains anciens, la restitution des matériaux, ainsi que l’interprétation des résultats. Une représentante autochtone figure parmi les autrices de l’article. Cette démarche vise à respecter les principes d’éthique de la recherche et à renforcer le dialogue entre sciences et savoirs communautaires.
Nous avons mené le dépistage le plus vaste jamais réalisé pour ce pathogène, en analysant à la fois des restes humains anciens et des échantillons cliniques provenant de cinq pays : Mexique, États-Unis, Brésil, Paraguay et Guyane française. La plupart des cas positifs ont été identifiés au Mexique et aux États-Unis, ce qui reflète probablement à la fois une présence réelle du pathogène dans ces régions, mais aussi un échantillonnage plus intensif dans ces pays.
Pour retrouver des traces de pathogènes dans des restes humains anciens, nous avons utilisé une approche paléogénomique, une discipline qui permet d’extraire et d’analyser l’ADN conservé dans les os ou dans les dents pendant des siècles, voire des millénaires. Ce que nous récupérons est un mélange très complexe : de l’ADN du sol, des bactéries environnementales, de la personne décédée, et parfois – si l’individu était malade au moment de sa mort – de l’ADN de l’agent pathogène qui l’a infecté. Grâce aux technologies de séquençage à haut débit, nous lisons tous ces fragments d’ADN (souvent très courts, entre 30 et 100 bases), puis nous les comparons à de grandes bases de données contenant les génomes de tous les agents pathogènes connus.
Dans ce cas précis, nous avons identifié dans les échantillons anciens de petits fragments d’ADN couvrant environ 80 % du génome de Mycobacterium lepromatosis, ce qui nous a permis de confirmer sa présence chez un individu précolombien. Ensuite, nous avons concentré nos efforts sur cet échantillon pour récupérer davantage de fragments du pathogène, jusqu’à pouvoir reconstituer son génome complet. Cela nous a permis non seulement de confirmer l’infection, mais aussi d’analyser l’évolution génétique de la bactérie à travers le temps.
Fait remarquable, la bactérie a été retrouvée dans les ossements de trois individus anciens – une femme originaire du Canada actuel, datée par radiocarbone à environ 1 300 ans avant le présent (AP), et une femme et un homme d’Argentine actuelle, datés à environ 900 ans AP. Bien que séparés par plus de 10 000 km, leurs infections datent d’une période relativement proche (il y a près de 1 000 ans), et leurs souches sont génétiquement et évolutivement similaires. Cela suggère que la bactérie s’était largement répandue sur le continent en seulement quelques siècles. On ignore encore si cette dispersion rapide est due à des réseaux humains (commerce, contacts) ou à des animaux à forte mobilité.
Notre étude permet également de mieux comprendre un mystère ancien : la présence de Mycobacterium lepromatosis chez les écureuils roux dans les îles Britanniques. En 2016, une étude menée par la Dre Charlotte Avanzi, aujourd’hui co-première autrice de notre travail, avait révélé pour la première fois que ces animaux étaient porteurs de la bactérie, mais sans pouvoir expliquer son origine ni comment elle avait atteint les îles Britanniques.
Grâce à nos nouvelles analyses phylogénétiques, nous montrons que ces souches animales appartiennent à un lignage dérivé d’un ancêtre commun qui aurait émergé il y a environ 3 200 ans – bien avant les premiers contacts transatlantiques –, mais que leur diversification locale n’a commencé qu’au XIXe siècle. Cela suggère fortement une introduction récente depuis les Amériques, suivie d’une expansion dans la population d’écureuils. C’est la première preuve que M. lepromatosis, historiquement endémique aux Amériques, a commencé à se diffuser sur d’autres continents – une dynamique inverse à celle de M. leprae, arrivé en Amérique depuis l'Europe et l'Afrique avec la colonisation.
Ces résultats soulèvent des implications importantes en santé publique et appellent à surveiller la propagation intercontinentale de ce pathogène.
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Parmi les découvertes les plus frappantes de notre étude figure l’identification d’un lignage très ancien de Mycobacterium lepromatosis, appelé NHDP-LPM-9, que nous avons retrouvé chez deux personnes aux États-Unis. Ce lignage se distingue de toutes les autres souches connues par un nombre significativement plus élevé de mutations, et notre analyse suggère qu’il aurait divergé des autres lignages, il y a plus de 9 000 ans. À titre de comparaison, la grande majorité des souches modernes que nous avons analysées – 24 sur 26 – appartiennent à un groupe beaucoup plus homogène, que nous avons appelé « clade dominant actuel » (Present-Day Dominant Clade, ou PDDC), qui représente environ deux tiers de la diversité génétique connue aujourd’hui. Ce clade semble s’être étendu après la colonisation européenne, probablement en lien avec les profonds bouleversements sociaux, écologiques et démographiques de l’époque.
La co-circulation actuelle de deux lignages ayant divergé il y a plusieurs millénaires suggère que d’autres lignées anciennes pourraient encore exister, mais être passées inaperçues jusqu’ici. Étant donné sa très faible fréquence apparente dans les cas humains récents, il est probable que M. lepromatosis ait évolué en partie dans un ou plusieurs réservoirs, depuis lesquels il pourrait occasionnellement infecter des humains. Ces résultats soulignent l’importance de mieux surveiller ce pathogène, encore très mal connu, pour en comprendre les mécanismes d’infection et de transmission.
Cette recherche bouleverse non seulement notre compréhension de l’origine de la lèpre, mais contribue à une question plus large : quelles maladies infectieuses existaient en Amérique avant 1492 ? Depuis des siècles, chercheurs et communautés autochtones s’interrogent sur le rôle des maladies dans l’histoire du continent. Cette étude apporte une nouvelle pièce à ce puzzle complexe.
Nicolás Rascovan est membre de l'UMR 2000 du CNRS Nicolás Rascovan a reçu financement Européen de l'ERC et Français de l'ANR
Charlotte Avanzi a reçu des financements de la Fondation Raoul Follereau
Maria Lopopolo a été financée pendant sa thèse de doctorat par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM).
28.05.2025 à 17:03
François-Xavier Dudouet, Directeur de recherche sociologie des grandes entreprises, Université Paris Dauphine – PSL
En se rapprochant du président des États-Unis et en devenant son Doge -(poste qu’il vient de quitter) Elon Musk semblait avoir tout réussi et cumulé tous les pouvoirs : politique, économique, idéologique… Patatras ! En quelques semaines, son implication politique a eu des répercussions sur ses activités de chef d’entreprise de Tesla. La marque a été chahutée, au point qu’il est devenu possible de se poser une question qui aurait semblé impensable il y a six mois encore : et si l’avenir de Tesla se faisait sans Musk ? Est-ce souhaitable ? Possible ?
Le 1er mai 2025, le Wall Street Journal publiait un article selon lequel le conseil d’administration de Tesla avait entamé des démarches pour remplacer Elon Musk au poste de directeur général. L’annonce était aussitôt démentie par l’intéressé mais aussi par la présidente du conseil d’administration, Robyn Denholm, qui assurait que l’ensemble des administrateurs maintenait sa pleine confiance dans l’actuel directeur général. Cette annonce, qui semble avoir fait long feu, est l’occasion de revenir sur le fonctionnement de la gouvernance des grandes entreprises et de voir si, techniquement un actionnaire important, fût-il l’homme le plus riche du monde, peut être renvoyé l’entreprise qu’il dirige.
Pour rappel, Elon Musk dirige trois sociétés : SpaceX qu’il a fondé en 2002, Tesla, dont il a pris le contrôle entre 2004 et 2008 et X (ex-Twitter) qu’il a racheté en 2022. Sa fortune provient essentiellement des actions Tesla dont la valorisation spectaculaire en 2024 a fait de lui l’homme le plus riche du monde. Toutefois, le cours de l’action Tesla s’est depuis effondré, atteignant un plus bas à 221 $ en avril 2025 contre 479 $ en décembre 2024. Dans le même temps, la société affichait des ventes en recul de 13 % et des bénéfices en chute de 71 %. Très fortement engagé auprès de Donald Trump et de son administration, Elon Musk est régulièrement accusé de nuire à l’image de marque du constructeur et, surtout, d’avoir délaissé la gestion quotidienne de la compagnie. C’est dans ce contexte que prennent place les révélations du Wall Street Journal.
L’histoire du monde des affaires fourmille d’exemples de dirigeants actionnaires qui ont été contraints à la démission. Pour s’en tenir à l’univers de la Tech, on se rappelle que ce fut le cas de Steve Jobs, qui, bien que fondateur et actionnaire d’Apple, avait été poussé vers la sortie par le directeur général de l’époque, John Sculley, soutenu par le conseil d’administration. Larry Page et Sergei Brin, les fondateurs de Google, ont eux aussi très tôt laissé les rênes de la firme à un manager expérimenté, Eric Schmidt choisi par le conseil d’administration pour mener à bien l’introduction en bourse de la société. Les deux fondateurs d’Uber, Travis Kalanick et Garrett Camp, ont été progressivement écartés au point, aujourd’hui, de ne même plus être administrateurs de la société.
Elon Musk n’a pas fait autre chose à la tête de Tesla. Arrivé comme investisseur en 2004, il entre au conseil d’administration et en devient le président. Quelques années plus tard, il force le fondateur et directeur général, Martin Eberhard, à la démission. Après deux directeurs généraux intérimaires, il prend lui-même la direction exécutive de Tesla en 2008, cumulant les fonctions de président et de directeur général jusqu’en 2018, date à laquelle il est contraint, par la Securities and Exchange Commission d’abandonner la présidence du conseil d’administration. Ces différents exemples montrent bien qu’il ne suffit pas d’être actionnaire, ni même de détenir la majorité des droits de vote, pour diriger une société par actions. Il est primordial d’avoir l’appui du conseil d’administration car c’est cette instance qui, au final, fait et défait les directeurs généraux.
Les sociétés par actions ne sont pas des propriétés privées de leurs dirigeants mais des entités autonomes ayant une personnalité juridique et une existence propres. Les actions ne sont pas, en effet, des titres de propriété mais des droits sur la société. Les actionnaires, même quand ils possèdent la majorité des droits de vote, ne peuvent faire ce qui leur semble bon. Ils ne peuvent même pas pénétrer dans l’entreprise pour y prendre un boulon. Celui-ci appartient à la société non à eux. Les actionnaires ne sont donc pas les dirigeants par défaut ou par principe des sociétés par actions.
À lire aussi : Combien coûte l’ego d’Elon Musk ? Ou quand l’hubris des dirigeants devient un risque systémique
Cette fonction est dévolue au conseil d’administration, certes élu par les actionnaires, mais qui n’est pas, contrairement à ce qu’affirme la théorie économique dominante, au service de ces derniers. Les administrateurs ne représentent pas les actionnaires mais la société, dont ils sont les mandataires sociaux, c’est-à-dire les personnes qui sont habilitées à penser et à agir au nom de la société. S’ils suivent des politiques qui vont dans le sens des actionnaires, c’est qu’ils y trouvent leur intérêt, non qu’ils y soient légalement tenus. Leur pouvoir sur la société est très étendu : ils décident des grandes orientations stratégiques, établissent les comptes, proposent les dividendes, décident des émissions d’actions nouvelles et surtout nomment le directeur général. Leur autonomie est telle qu’ils sont en mesure de se coopter entre eux et de faire valider leur choix par les assemblées générales. C’est pourquoi il est important de se tourner vers la composition du conseil d’administration de Tesla pour comprendre comment Elon Musk a construit sa position de directeur général.
L’examen de la composition du conseil d’administration de Tesla montre, à première, vue des administrateurs totalement acquis à la cause s’Elon Musk. On y trouve tout d’abord Kimbal Musk, son frère, membre du conseil depuis 2004. Il a jusqu’à présent été loyal envers son aîné même si, contrairement à lui, il n’a pas renié ses convictions démocrate et écologiste. Ira Ehrenpreis est l’un des tous premiers investisseurs de Tesla. Présent au conseil d’administration depuis 2006, il peut être considéré comme un fidèle soutien. Robyn Denhom, la présidente du conseil d’administration, a été choisie par Elon Musk pour prendre sa place quand il a été contraint d’abandonner la fonction. Australienne d’origine, Robyn Denhom était assez peu connue du monde des affaires américain avant de devenir administratrice puis présidente de la compagnie. James Murdoch, administrateur depuis 2017, est le fils du magnat de la presse Robert Murdoch dont la chaine Fox News est un soutien indéfectible de Donald Trump. Joe Gebbia, administrateur depuis 2022, est le co-fondateur de Airbnb. Il a rejoint Elon Musk au Département de l’efficacité gouvernementale en février dernier.
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Kathleen Wilson-Thompson a fait toute sa carrière dans l’industrie pharmaceutique comme directrice des ressources humaines. Elle est sans doute l’administratrice la plus éloignée d’Elon Musk mais apportant au conseil le quota de féminisation et de diversité qui lui manque par ailleurs. Jeffrey Brian Straubel, enfin, est l’ancien directeur technique de Tesla. Présent dès les origines, il se flatte d’avoir été le cinquième employé de la société. Sa nomination en 2023 a fait grand bruit en raison des liens jugés trop étroits avec Elon Musk. Que ce soit par fraternité, idéologie ou carriérisme, les motifs de soutien à Elon Musk ne manquent pas. Ils sont encore renforcés par une politique de rémunération particulièrement généreuse à l’égard du conseil d’administration dont les membres s’attribuent régulièrement d’importants plans de stock-options. Robyn Denholm est ainsi la présidente la mieux rémunérée de l’ensemble des sociétés cotées américaines.
Elon Musk n’est pas en reste bénéficiant de plans d’actions très avantageux octroyés par le conseil d’administration. Il existe entre Elon Musk et son conseil un circuit d’enrichissement réciproque qui n’est pas sans rappeler les relations d’interdépendances décrites par le sociologue Norbert Elias à propos de la cour de Louis XIV tant les chances de profits de l’un sont liées à celles des autres. Ainsi que le rapportait récemment Olivier Alexandre, un autre sociologue, de la bouche d’un journaliste spécialiste de la Silicon Valley : « Si tu veux comprendre ce qui se passe ici, il faut suivre l’argent ».
Or, les flux d’argent se sont récemment taris chez Tesla. En premier lieu, des décisions de justice ont remis en question les rémunérations que les mandataires sociaux s’étaient attribuées. En novembre 2024, la cour du Delaware a annulé le plan d’actions attribué à Elon Musk en 2018 qui lui aurait permis d’empocher 58 milliards $, au motif que les actionnaires n’avaient pas été correctement informés.
En janvier 2025, la même cour du Delaware constatait que les administrateurs de Tesla s’étaient indûment enrichis au détriment des actionnaires et approuvait un accord par lequel les premiers s’engageaient à rembourser près d’un milliard de dollars. Dans le même temps, alors que le cours de l’action de Tesla commençait à baisser, de nombreux administrateurs se sont délestés de leurs actions, quitte à accélérer la chute. Était-ce pour faire face à leur récente condamnation ou bien pour ne pas risquer de trop perdre ? Le fait est qu’ils ont vendu dans un contexte peu favorable et envoyé un signal très négatif aux investisseurs.
Ainsi, la présidente, Robyn Denhom, a vendu pour 200 millions $ d’actions depuis le mois de décembre 2024, Kimbal Musk s’est séparé de 75 000 actions Tesla pour la somme de 28 millions $ en février 2025, James Murdoch a à son tour a vendu 54.000 actions en mars 2025 pour 13 millions $ contribuant à la plus forte baisse journalière du titre. En mai, alors que le cours de l’action était bien remonté, c’est Kathleen Wilson-Thompson qui vend pour 92 millions $ d’actions Tesla. La fidélité des administrateurs à l’égard d’Elon Musk a donc ses limites qui sont visiblement la crainte de ne pas s’enrichir assez.
La réponse à la question initiale de savoir si l’homme le plus riche du monde peut être renvoyé de l’entreprise qu’il dirige, fût-il le premier actionnaire, est donc oui. Les statuts juridiques de la société par actions confèrent la capacité de nommer ou de révoquer le directeur général aux administrateurs non aux actionnaires. Ce sont donc les rapports sociaux entre le conseil d’administration et le directeur général qui décident du sort de ce dernier. Dans le cas de Tesla, l’argent y jouait un rôle central, il n’est donc pas étonnant qu’ils soient entrés en crise au moment où la société commençait à connaître des difficultés financières. Le fonctionnement du conseil d’administration de Tesla est certainement peu ordinaire mais il invite à se demander si le fondement du pouvoir économique dans les sociétés par actions ne repose pas tant sur l’argent détenu que sur celui que l’on peut faire gagner.
François-Xavier Dudouet est membre du CNRS. I a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche
28.05.2025 à 17:02
Clotilde Champeyrache, Maitre de Conférences HDR, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Un rapport européen analyse les mutations de la criminalité liées au numérique et à l’intelligence artificielle. Quel est le nouveau visage du crime ? Quelles sont les permanences ? Quelles politiques publiques pour répondre aux menaces, au-delà du narcotrafic, qui cristallise l’essentiel de l’attention politique et médiatique en France ?
Comme tous les quatre ans, Europol, l’agence de coopération policière européenne, a publié en mars dernier son rapport UE-Socta faisant le point sur la menace posée par la grande criminalité organisée en Europe. À partir des informations fournies par les États membres de l’Union européenne (UE) et des États tiers associés, Europol y analyse « les principales menaces criminelles, la dynamique des réseaux criminels et les tendances émergentes ». Cette synthèse permet d’établir des priorités dans la lutte que l’UE se doit de mener dans le champ de la criminalité et de proposer des moyens d’adapter cette lutte aux évolutions du panorama criminel.
L’accent est mis tout particulièrement sur les enjeux du numérique et sur une « hybridation » du crime. La lecture du document fait opportunément prendre du recul par rapport à la focalisation française actuelle sur le trafic de stupéfiants. Cependant, les évolutions observées ne doivent pas faire oublier les permanences de la criminalité organisée.
Le rapport EU-Socta 2025 dresse un panorama du crime européen sous plusieurs angles : secteurs d’activités, dynamiques, tactiques et géographie sont analysés. Le recours accru aux nouvelles technologies, aux plateformes digitales et les risques d’appropriation criminelle des possibilités offertes par l’intelligence artificielle sont amplement soulignés.
Internet est attractif pour les réseaux criminels : des activités criminelles sont à la fois permises, amplifiées et masquées par le monde online. L’intelligence artificielle est, elle, porteuse de risques majeurs par sa capacité à augmenter la rapidité, l’échelle et la sophistication de la criminalité organisée. Elle permet par exemple d’amplifier les fraudes et arnaques grâce aux deepfakes). Ces risques font d’ailleurs déjà l’objet d’une réflexion de l’Université des Nations unies qui œuvre, depuis 2021, à l’élaboration d’une Convention internationale afin de contrer l’utilisation des technologies de l’information et de la communication à des fins criminelles.
Les débats ont notamment établi une distinction entre des crimes « cyber-dependent », c’est-à-dire réalisables uniquement via l’espace cyber (soit la cybercriminalité au sens de « crime high-tech »), et des crimes « cyber-enabled », à savoir des crimes potentialisés par le cyber, mais qui existaient déjà auparavant (comme peut l’être le trafic de substances prohibées en ligne).
Répondre à ce déploiement des activités criminelles en ligne suppose que les services d’enquête eux-mêmes se forment à ces nouvelles technologies. Cela pose par ailleurs la question du contrôle régalien sur un espace Internet échappant par essence à la réglementation. L’arbitrage entre les devoirs de coopération avec les forces de l’ordre des prestataires de certains services dévoyés par le crime et le respect des libertés individuelles reste une ligne de crête complexe à gérer. La problématique risque d’alimenter nombre de débats politiques et juridiques dans les années à venir.
L’arrestation du patron de Telegram), en France, illustre ce bras de fer. Il en va de même pour le bras de fer aux États-Unis opposant les partisans d’une mise en ligne des plans d’impression d’armes en 3D et la justice).
L’instabilité géopolitique est aussi désignée comme un facteur favorisant l’expansion des réseaux criminels. Les conflits par nature alimentent les trafics : armes, prostitution, stupéfiants, marché noir… La multiplication des guerres et des troubles intérieurs dans diverses régions du monde ces dernières années ne peut qu’alarmer les autorités.
Pour l’Europe, la guerre en Ukraine constitue une menace extrêmement proche. Le risque de circulation d’armes détournées du théâtre de guerre a été appréhendé dès le début du conflit. Mais les facteurs criminogènes du conflit sont plus étendus puisqu’ils concernent notamment la production de stupéfiants à destination du front, le trafic de dispense pour le service militaire, l’exploitation de la population en fuite.
De manière peut-être moins visible, l’instabilité géopolitique accrue crée ce qu’Europol appelle des phénomènes d’hybridation. Ce sont des configurations où les intérêts de la criminalité organisée rejoignent ceux d’acteurs, éventuellement étatiques, tirant profit de la déstabilisation d’autres États ou de certaines régions du monde. L’utilisation de groupes cybercriminels par des États à des buts de déstabilisation et d’ingérence est prise en compte par la DGSI, Direction générale de la sécurité intérieure). Mais cela ne se limite pas au cyberespace. Europol explicite comment des réseaux criminels de traite des êtres humains peuvent travailler pour des États. Le but est alors d’utiliser des masses migratoires à des fins de déstabilisation). Cette hybridation peut être déroutante à appréhender par les autorités policières et judiciaires en raison du caractère inédit de certaines alliances et de la profonde hétérogénéité des acteurs impliqués.
Le rapport oblige opportunément à sortir du prisme franco-français sur la question de la criminalité. Il ne se focalise pas sur les stupéfiants et évite l’amalgame entre narcotrafic et économie criminelle. La liste des activités recensées ne place pas le trafic de stupéfiants en tête de liste. L’importance des fraudes, dont celles réalisées en ligne, rappelle que l’économie illégale n’est pas seulement d’ordre productif avec l’offre de biens et services interdits mais aussi d’ordre appropriatif : les organisations criminelles captent de façon indue une richesse qu’elles n’ont pas produite. Le rapport alerte aussi sur l’ampleur des atteintes à l’être humain) : exploitation sexuelle des mineurs, traite des êtres humains et instrumentalisation des migrations illégales.
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Cette mise en perspective salutaire passe également par les méthodes criminelles : le blanchiment de l’argent sale et l’infiltration de l’économie légale, le recours à la violence et/ou à la corruption et l’exploitation d’une main-d’œuvre très jeune. Ce dernier point, observé à l’échelle européenne, est particulièrement intéressant. Il replace ces acteurs généralement mineurs dans un contexte institutionnel. Plus que des criminels affiliés, ce sont des victimes de la criminalité forcée. Cela n’est pas sans implication sur la qualification pénale de leurs actes ainsi que sur le travail de prévention à l’encontre de la jeunesse.
L’ADN du crime a-t-il pour autant radicalement changé comme l’affirme le titre du rapport ? Cela reste à nuancer. La criminalité organisée s’adapte, ce n’est pas nouveau. L’histoire criminelle témoigne de la capacité des criminels à développer de nouvelles affaires et marchés, à se redéployer, y compris grâce aux nouvelles technologies. Les Brigades du Tigre), créées en 1907 par Clemenceau, sont des brigades mobiles motorisées pour répondre au défi posé par des bandes criminelles utilisant des véhicules et des armes à feu. La contrefaçon utilise depuis longtemps les évolutions technologiques en termes de piratage, reproduction et impression 3D.
L’hybridation de la menace connaît aussi des antécédents : par exemple, la piraterie, officiellement réprouvée, a largement été, aux XVIe et XVIe siècles, un outil occulte au service des États européens). Au regard de ces permanences et récurrences, l’image d’un virus présentant des mutations est peut-être plus pertinente que celle d’un changement d’ADN.
Clotilde Champeyrache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
28.05.2025 à 17:01
Vincent Chetail, Professeur de droit international, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Le terme de génocide est employé par un nombre croissant d’organisations internationales, de juristes et d’historiens pour désigner l’intervention militaire israélienne à Gaza. Les discussions que suscite l’utilisation de ce concept monopolisent l’attention, au détriment de l’effroyable réalité sur le terrain et des mesures urgentes à prendre pour y faire face.
Génocide. Le mot est sur toutes les lèvres : l’État hébreu est-il en train de commettre un génocide à Gaza ? L’accusation enfle depuis plus d’un an. Elle se répand bien au-delà du cercle des militants pro-palestiniens. Le mot évoque immédiatement le mal absolu, la négation de l’humanité. En entrant dans le langage courant, il cristallise l’indignation et appelle à la mobilisation.
Comment une telle accusation est-elle apparue ? Que signifie exactement ce terme ? Que dit le droit international ? Quels sont les arguments en présence ? Les débats autour de l’existence ou non d’un génocide ne tendent-ils pas, paradoxalement, à favoriser l’inaction internationale ?
Le terme de génocide charrie une vision d’horreur étroitement liée à la Shoah. Il convoque dans l’inconscient collectif des images de fosses communes et des corps décharnés des rares survivants des camps de la mort.
Le mot fut inventé en 1944 par un juriste juif d’origine polonaise réfugié aux États-Unis, Raphael Lemkin, pour souligner l’atrocité et la nature systématique des crimes nazis. C’est dire que la symbolique est forte lorsque l’accusation est portée à l’encontre de l’État précisément créé pour servir de refuge aux survivants de l’Holocauste. La victime s’est-elle transformée en bourreau ? Pour Israël, une telle allégation est « obscène ».
Dès novembre 2023, 37 rapporteurs de l’ONU invoquent un risque génocidaire. Depuis lors, la Commission internationale d’enquête, la Rapporteure spéciale sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, le Comité spécial de l’ONU sur les pratiques israéliennes ou encore les ONG Amnesty International et Human Rights Watch ont publié des rapports longs et circonstanciés concluant qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un génocide est commis à Gaza.
De nombreux juristes, historiens de la Shoah et autres spécialistes de l’étude des génocides parviennent au même constat.
Le débat s’est même judiciarisé depuis que l’Afrique du Sud a saisi en décembre 2023 la Cour internationale de justice (CIJ, principal organe judiciaire de l’ONU), accusant Israël de violer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l’ONU en 1948. Plus récemment encore, en avril 2025, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution exigeant d’Israël de « prévenir le génocide ».
Selon la Convention de 1948, le génocide se définit par deux éléments constitutifs : une intention – celle de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tout ou partie ; et un acte – meurtre, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe, entrave aux naissances ou soumission à des conditions d’existence devant entraîner la mort.
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Contrairement à une opinion répandue, un tel crime n’est pas subordonné à l’anéantissement du groupe, ni au massacre de masse.
Les condamnations judiciaires demeurent exceptionnelles. Depuis 1948, la justice internationale a reconnu l’existence d’un génocide à trois reprises seulement : la première fois en 1998 à propos du Rwanda, puis en 2001 concernant le massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine et en 2018 à l’encontre des Khmers rouges.
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Trois autres affaires sont en cours concernant le Soudan, Myanmar et Israël.
Dans ce dernier dossier, la CIJ a rendu le 26 janvier 2024 une première ordonnance constatant « un risque réel et imminent » de « préjudice irréparable ». Ce constat ne vaut pas condamnation et ne préjuge pas du fond de l’affaire. La Cour relève néanmoins les « conditions de vie désastreuses », la « privation prolongée et généralisée de nourriture et de produits de première nécessité », « la destruction massive d’habitations », ainsi que l’ampleur des pertes, qui s’élèvent aujourd’hui, selon l’ONU, à plus de 52 000 morts et de 118 000 blessés, dont une majorité de femmes et d’enfants.
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Israël affirme agir en légitime défense et dans le respect du droit international humanitaire. Son droit inaliénable à la légitime défense, et l’atrocité des crimes perpétrés par le Hamas, sont incontestables. Mais à moins de renouer avec l’antique loi du talion, de tels motifs ne justifient pas de violer le droit international ni d’infliger une punition collective à l’encontre de la population civile de Gaza.
L’argument tiré du droit humanitaire est plus perspicace et requiert un examen approfondi des opérations militaires. Le terrain reste fragile car l’ampleur des pertes civiles va bien au-delà de ce qui est admis comme « dommage collatéral ».
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L’ONU a documenté de multiples bombardements indiscriminés et autres violations graves du droit humanitaire, à tel point que l’autre Cour de La Haye – la Cour pénale internationale (CPI) – a émis le 21 novembre 2024 un mandat d’arrêt pour crimes de guerre contre Benyamin Nétanyahou et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant. Si de tels crimes de guerre étaient constatés, ils n’induisent pas en eux-mêmes une intention génocidaire.
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Sur ce dernier point, la CIJ relève néanmoins diverses déclarations particulièrement choquantes : Gallant a notamment déclaré combattre des « animaux humains », tandis que le président d’Israël Isaac Herzog a affirmé à propos du 7-Octobre que « c’est toute une nation qui est responsable » (des propos dont il prétendra plus tard qu’ils ont été mal interprétés).
Pour beaucoup de juristes, rarement dans l’histoire l’intention de détruire un groupe a été formulée aussi clairement par des dirigeants étatiques. Ces déclarations surprennent d’autant plus qu’elles sont publiques et répétées : Amnesty International en a recensé plus d’une centaine entre octobre 2023 et juin 2024.
Cette rhétorique mortifère semble même avoir franchi une nouvelle étape durant les derniers mois, au point d’apparaître comme une véritable doctrine du gouvernement israélien. Le 19 mars 2025, le ministre de la défense, Israël Katz, menace la population civile de Gaza de « destruction totale » si les otages encore aux mains du Hamas ne sont pas libérés, tandis que le vice-président de la Knesset, Nissim Vaturi, appelle à « effacer la bande de Gaza de la surface de la terre ». Le 6 mai, c’est au tour du leader d’extrême droite et ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, d’annoncer que, grâce à l’opération en cours, dans quelques mois « Gaza sera totalement détruite ».
De telles déclarations suffiraient, à tout le moins, pour que leurs auteurs soient condamnés pour incitation au génocide. Si la condamnation par la CIJ pour génocide ou incitation à un tel crime est de plus en plus probable, le rejet d’un tel jugement par Israël est tout aussi prévisible.
Aux accusations de génocide s’opposent celles d’antisémitisme, dans une confrontation manichéenne et stérile. Les débats se polarisent dans une opinion publique plus déchirée que jamais.
Cette polarisation est inhérente à la notion de génocide car la déshumanisation est au cœur du processus génocidaire. Le génocide transforme les victimes en sous-humains et les bourreaux en barbares. Il prive les uns et les autres de leur humanité. C’est ce qui fait tout à la fois la spécificité et la limite d’un tel crime.
La charge passionnelle du génocide se décuple lorsque sa figure emblématique, Israël, est incriminée. Loin de mobiliser les consciences, cette accusation a paralysé bon nombre de décideurs politiques par crainte de prendre parti, tout en alimentant une indignation à géométrie variable.
Les pays dit du Sud global ont réagi très tôt par la voie diplomatique et judiciaire, tandis que l’immense majorité des pays occidentaux se sont enfermés dans une sorte de mutisme, au risque d’apparaître complices des exactions commises aux yeux de tous. Après plus d’un an et demi d’immobilisme, une prise de conscience commence à se faire jour parmi les dirigeants européens.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, le déplore :
« Les pays européens n’auraient jamais dû avoir “besoin” des deux derniers mois pour conclure que les crimes d’Israël demandaient des réponses fortes et immédiates. »
Et, renchérit-elle, « n’oublions pas que ceux et celles qui ont dénoncé le génocide israélien à Gaza ont été l’objet de poursuites judiciaires, de campagnes de harcèlement dans les médias, que des étudiants aux États-Unis sont encore emprisonnés et beaucoup sont menacés ».
La reconnaissance de la Palestine est une étape cruciale dans le règlement durable du conflit, mais elle ne doit pas faire illusion : le fait que 148 pays membres de l’ONU aient déjà reconnu la Palestine n’a pas empêché les violations de se produire durant les vingt derniers mois. Parmi ces pays, douze États européens l’ont déjà reconnue et la reconnaissance tardive de derniers à ne pas l’avoir fait ne saurait apparaître comme un satisfecit de bonne conduite aux États qui ont manqué à leur obligation de réagir face à la situation.
Indépendamment même du qualificatif de génocide, les États européens devraient commencer par honorer leurs propres obligations juridiques face à des violations du droit humanitaire que nul ne peut ignorer. En de telles circonstances, les conventions de Genève leur imposent d’engager des poursuites pénales devant leurs tribunaux nationaux pour connaître des allégations de crimes de guerre à l’encontre de leurs binationaux et des ressortissants israéliens présents sur leur territoire et accusés de tels crimes.
Cette obligation de poursuite pénale s’ajoute à celle de coopérer avec la Cour pénale internationale dans l’exécution de ses mandats d’arrêt délivrés en novembre 2024.
Conformément à l’article Premier commun aux quatre conventions de Genève, tous les États parties, y compris européens, sont également tenus de faire respecter le droit humanitaire par diverses autres mesures, à commencer par les pressions diplomatiques et politiques pour mettre fin aux exactions, la suspension des ventes d’armes et des accords commerciaux avec Israël, l’arrêt de toute autre forme de soutien matériel, financier ou autre, la fourniture d’aide humanitaire sur place via les agences onusiennes et autres ONG de terrain, ou encore la coopération pleine et entière avec les différents mécanismes internationaux d’établissement des faits et les deux cours de La Haye.
Dans un monde polarisé à l’extrême, il importe plus que jamais de distinguer le mot et la chose. Le mot de génocide est une incrimination pénale qui relève de la justice ; la chose porte sur les faits eux-mêmes qui appartiennent au domaine public, tant les violations sont documentées en temps réel par l’ONU, les ONG et les médias. Quelles que soient leurs appellations juridiques, les drames humains qui se déroulent sous nos yeux sont l’affaire de tous. Ils imposent d’agir en conséquence et en conscience.
Vincent Chetail ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.