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Rubrique «À LIRE AILLEURS»

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09.12.2025 à 08:00

9 décembre 1893 : boum ! au Palais Bourbon

Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant, miséreux, anarchiste, lance une bombe à clous dans l'hémicycle du Palais Bourbon. C'est le début d'une réaction d'ampleur : les lois scélérates.

Texte intégral (1175 mots)

Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant, miséreux, anarchiste, lance une bombe à clous dans l'hémicycle du Palais Bourbon. C'est le début d'une réaction d'ampleur : les lois scélérates.

Boum ! Explosion

Il est 16h au Palais Bourbon (oui, c'est comme ça que s'appelle l'Assemblée Nationale).
Les députés baillent au milieu des habituelles questions locales.
Quand soudain...

Boum !
Une soixantaine de personnes sont blessées par les petits clous d'un engin artisanal, y compris le lanceur de la bombe dont le bras a été dévié par une personne qui a bougé.
C'est la panique, les députés veulent fuir.

Le président du Conseil Charles Dupuy, passé à la postérité pour son acharnement contre Dreyfus à peine un an plus tard, hurle :

« Messieurs les députés, la séance continue. Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats, d'où qu'ils viennent et dont, d'ailleurs, nous ne connaissons pas la cause, ne troublent pas les législateurs ».

Applaudissements des députés, ébahis devant cette scène surréaliste.

Dans la vingtaine de personnes arrêtées ce soir-là, un grand gars que ses potes surnomment « Marchal », avoue immédiatement.

« Ce n'est pas un crime. C'est un acte de justice sociale, vive l'anarchie ! »

Badaboum ! Explication

« Marchal », c'est Auguste Vaillant, un pauvre gars qui n'a pas trop de chance. Il avoue avoir été aidé pour faire la bombe et tiré au sort pour la porter à l'Assemblée Nationale. Ardéchois, abandonné par ses parents, il vit de petits boulots, à Paris principalement, même s'il tente, comme pas mal d'européens à cette époque, d'aller tenter sa chance en Argentine. Camarade de route des anarchistes, il peine à nourrir sa famille et vit mal sa misère.
Depuis sa condition sociale, il observe.
Pour lui, les principaux coupables sont les garants de la stabilité sociale de cette société qui exploite les hommes et les réduit à la mendicité : les bourgeois, et donc leurs représentants, les députés.
Séduit par la propagande par le fait, il décide, à 33 ans, de venger Ravachol exécuté à peine un an auparavant.

"J'aurai la satisfaction d'avoir blessé la société actuelle, cette société maudite où l'on peut voir un homme dépenser inutilement de quoi nourrir des milliers de familles, société infâme qui permet à quelques individus d'accaparer la richesse sociale.

Las de mener cette vie de souffrance et de lâcheté, j'ai porté cette bombe chez ceux qui sont les premiers responsables des souffrances sociales. "

« Bam ! Bam ! » Révélation / Répression

D'aucuns disent que des mouchards, des indics, des flics, ont aidé Vaillant à confectionner sa bombe, sans qu'il s'en doute. [1]

D'aucuns disent que ce seraient les fameux gars avec lesquels il a parié qui d'entre eux lancerait la bombe.

Bref ! On ne saura pas qui a fait quoi, mais Auguste Vaillant assume devant les juges un acte qui lui fait risquer sa tête.

En tous cas, politiquement, c'est bien pratique, un attentat spectaculaire en pleine Assemblée Nationale : effectivement, dès le surlendemain, c'est le déchaînement...

Les "lois scélérates" [2] sont votées immédiatement :

  • invention des arrestations préventives, et également du crime d'apologie du terrorisme, joliment appelé : « provocation indirecte », par modification de la loi réglementant la liberté d'expression de la presse
  • invention de « l'association de malfaiteurs » et encouragement à la délation donnant lieu à des exemptions de peines.
    Comme ça, on embarque la famille, les ami-es, les ami-es des ami-es...
  • six mois plus tard, à la suite de l'assassinat de Sadi-Carnot par Caserio, la propagande anarchiste sera explicitement interdite et les journaux libertaires très sérieusement affectés pendant plus d'une décennie.

En plein scandale de Panama, les anarchistes tentent de soutenir Vaillant, mais sont trop occupés à échapper aux arrestations, perquisitions, dénonciations, qui commencent tout juste...

Malgré une pétition organisée par une cinquantaine de députés, Auguste Vaillant sera exécuté le 5 février 1894.


[1] Comme le précise cependant la notice de Vaillant sur le site http://militants-anarchistes.info, basée sur des recherches historiques sérieuses : « Rien ne permet cependant d'affirmer qu'il y eut provocation, tout au plus une certaine incurie des services de police. »

[2] Pour en savoir plus sur les lois scélérates, qui sont les grands mères des lois antiterroristes en France : https://paris-luttes.info/article7313 .

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09.12.2025 à 08:00

Projection – discussion : Squat, la ville est à nous !

À l'invitation du Groupe libertaire d'Ivry, dimanche 21 décembre 2025 à partir de 16 heures à la librairie Publico, projection du film Squat : la ville est à nous  ! suivie d'une discussion.

Texte intégral (994 mots)

À l'invitation du Groupe libertaire d'Ivry, dimanche 21 décembre 2025 à partir de 16 heures à la librairie Publico, projection du film Squat : la ville est à nous  ! suivie d'une discussion.

Squat : la ville est à nous  !, documentaire de Christophe Coello (2011, 1h34, espagnol sous‐titré français).

Nous sommes dans un quartier populaire de Barcelone en proie à la spéculation, mais la scène pourrait se dérouler aussi bien dans n'importe quelle grande ville d'Europe : gentrification, loyers hors de prix, opérations de «  réhabilitation  » destinées à remodeler à coups de serpe la population d'une rue ou d'un centre‐ville…

Pendant huit ans, de 2003 à 2011, Christophe Coello a filmé de l'intérieur les actions de Miles de viviendas (Des milliers de logements), un groupe de flibustiers qui invente mille façons de repousser les murs du possible. Gloria, Vicente, Ada et les autres ne se contentent pas d'investir des habitations promises à la culbute financière : ils impulsent la résistance à l'échelle du quartier. Collecte d'informations sur les magouilles immobilières en cours, opérations festives de déminage du béton armé, intrusions chez les donneurs d'ordre, tissage de liens de solidarité avec les voisins, comme dans cette jonction improbable et pourtant fructueuse entre les squatteurs et les «  vieilles dames  » du quartier de la Barceloneta.

Le film parle de la lutte de mal (ou pas) logés et contre les inégalités, les injustices en général. Les occupations étant illégales, les squatteurs se trouvent forcément confrontés à une répression plus ou moins violente. Mais il n'oublie pas d'évoquer les difficultés en interne : les objectifs des occupants ne sont pas forcément les mêmes…

Il devient de plus en plus difficile de trouver des lieux à occuper (que ce soient des squats militants ou d'habitation pour les mal logés ou S.D.F.) Quatre millions de personnes sont considérées comme mal logées en France.
La première forme de mal‐logement est le fait de vivre dans un habitat dégradé : 2,2 millions de personnes sont concernées. Pas moins de 100 000 personnes vivent dans des habitats de fortune, des cabanes, des campings, etc. S'y ajoutent 208 000 gens du voyage qui ne disposent pas d'aire aménagée et vivent dans des conditions souvent particulièrement dures. On compte aussi 20 000 travailleurs immigrés hébergés dans des foyers vétustes en attente de rénovation. À ces très mal logés, s'ajoutent ceux qui disposent de leur propre logement mais pas du minimum de confort, soit 1,9 million de personnes. Ces logements n'ont pas d'eau courante, de douche, de W.C. intérieurs ou de coin cuisine, ou encore ont un moyen de chauffage défaillant.

La deuxième forme de mal‐logement est le manque d'espace, situation qui concerne plus d'un million de personnes selon l'Insee.
Enfin, la troisième forme de mal‐logement est de ne pas disposer de logement personnel : un million de personnes sont concernées. 350 000 personnes n'ont pas de domicile. Parmi elles, la majorité est logée de façon très précaire en centre d'hébergement d'urgence ou à l'hôtel. Une enquête réalisée en 2012 par l'Insee estimait le nombre de sans‐abri à plus de 10 000, mais le chiffre a sans doute augmenté depuis. Une partie de la population française continue à vivre dans des conditions particulièrement indignes. En plus, 25 000 personnes vivent en permanence à l'hôtel, souvent de très mauvaise qualité, sans cuisine. Enfin, 643 000 personnes sont hébergées chez des tiers. Elles ne vivent pas nécessairement dans des logements inconfortables, mais elles sont contraintes de vivre chez autrui.

Librairie du Monde Libertaire (Publico)
145 rue Amelot, 75011 Paris
Métro Oberkampf / République / Filles du Calvaire
Entrée libre (accueil dès 15 heures)

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08.12.2025 à 08:00

Projection du film « La Balade des Sans Papiers » (S. Abdallah, R. Ventura, 1997)

Mercredi 10 décembre 18h Sorbonne Université (Jussieu), amphi 34A : ciné-débat autour des luttes menées par des migrant.e.s. Contre le racisme, pour l'égalité des droits et la solidarité. Dans le cadre de la préparation d'une « Une journée Sans Nous » - 18 décembre Journée Internationale des Migrant.e.s

Texte intégral (998 mots)

Mercredi 10 décembre 18h Sorbonne Université (Jussieu), amphi 34A : ciné-débat autour des luttes menées par des migrant.e.s. Contre le racisme, pour l'égalité des droits et la solidarité. Dans le cadre de la préparation d'une « Une journée Sans Nous » - 18 décembre Journée Internationale des Migrant.e.s

Une journée sans nous : si on s'arrête, tout s'arrête, c'est un appel à nous organiser afin de visibiliser à quel point le pays ne marche ni n'existe pas sans immgré.e.s et qu'il en bénéficie à tous points de vue. Avec ou sans papiers, immigré.e.s, enfants d'immigré.e.s de 1re, 2e, 3e génération, voisin.e.s, collègues, personnes solidaires, tout le monde est interpelé à ne pas se rendre à l'école, ni au travail, ni dans les commerces et à manifester ensemble dans toutes les villes du pays le 18 décembre.

402 organisations, associations et syndicats sont signataires de cet appel https://www.antiracisme-solidarite.org/18-décembre-2025-journee-sans-nous

La solidarité avec les migrant.e.s concerne pleinement le secteur de l'éducation et le combat auprès des MNA pour le droit à l'école pour toustes est loin d'être la seule raison. Dans les écoles, des parents sans papiers vivent la peur au ventre d'être arrêté.e.s et de se voir livrer à tout moment une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF) doublée d'une « interdiction de retour sur le territoire français » (IRTF) tout en travaillant dans des conditions d'exploitation comparables à celles vécues par les ouvrières du XIXe siècle. Plein de familles d'élèves sont ainsi
traversées par une énorme précarité. Dans les universités, beaucoup d'étudiant.e.s, comme l'extension du Réseau Universitaire Sans Frontières (RUSF) le met en évidence, et de travailleurs.euses, souvent celleux qui s'occupent du ménage, des cantines, des travaux – comme par exemple celui d'enlever l'amiante-, etc. sont aussi de migrant.e.s, sans ou avec papiers, et sont l'objet de nombreuses discriminations. La multiplication des frais d'inscription à l'université pour les étudiant.e.s étranger.e.s ainsi que la suppression des Aides Personnalisées au Logement (APL) pour ces étudiant.es décidées récemment par le gouvernement en constituent une claire manifestation.

Dans l'éducation, l'égalité de conditions d'étude et de travail sont loin d'être respectées.

Venez en débattre autour du film La ballade des sans papiers le mercredi 10 décembre à Jussieu (amphi 34A) et rejoignez-nous le 18 décembre.

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07.12.2025 à 12:00

Malik Oussekine assassiné dans la nuit du 6-7 décembre 1986 par deux policiers

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1986 à Paris, en pleine répression du mouvement étudiants/lycéens, Malik Oussekine, 22 ans, était matraqué à mort dans le hall d'un immeuble parisien où il s'était refugié, par deux policiers « voltigeurs » motocyclistes. Texte repris de Rebellyon.

Texte intégral (1040 mots)

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1986 à Paris, en pleine répression du mouvement étudiants/lycéens, Malik Oussekine, 22 ans, était matraqué à mort dans le hall d'un immeuble parisien où il s'était refugié, par deux policiers « voltigeurs » motocyclistes. Texte repris de Rebellyon.

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1986 à Paris, en pleine répression du mouvement étudiants/lycéens, Malik Oussekine, 22 ans, était matraqué à mort dans le hall d'un immeuble parisien où il s'était réfugie, par deux policiers "voltigeurs" motocyclistes.

Les étudiants, et les lycéens, dénonçaient le projet de loi Devaquet instaurant la sélection à l'entrée de l'université. Le mouvement est marqué par une forte répression policière. De graves affrontements ont lieu en marge des manifestations, faisant des dizaines de blessés dont plusieurs gravement atteints.

À Paris, à la suite d'une manifestation pacifique arrivée à la Sorbonne, au quartier latin, les “voltigeurs” prennent en chasse les jeunes qu'ils croisent. Malik Oussekine, un étudiant marocain de 22 ans, selon toute vraisemblance qui s'était tenu à l'écart du mouvement, sort de son club de jazz favori. Il est minuit. Des “voltigeurs” le remarquent et se lancent à sa poursuite. Malik Oussekine se met à courir. Un témoin qui rentrait chez lui, Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des Finances, habitant l'immeuble, au 20 rue Monsieur le Prince (6e arrondissement), a pu, seul, déclaré :

« Je rentrais chez moi. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d'un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte. Deux policiers s'engouffrent dans le hall, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier : “je n'ai rien fait, je n'ai rien fait” ».

Paul Bayzelon a dit avoir voulu s'interposer mais s'être fait lui aussi matraquer jusqu'au moment où il a sorti sa carte de fonctionnaire. Puis les policiers sont partis laissant Malik Oussékine sur le carreau.

Peu après le Samu arrive sur place. Ils apportent les premiers soins à Malik Oussekine et le transportent à l'hôpital Cochin où il est mort des suites du tabassage de la police.

Les médecins d'urgence constatent un hématome péri-auriculaire, un hématome suborbital, une fracture de la cloison nasale, une abrasion du nez et de la joue droite, etc. Ils s'aperçoivent aussi que Malik disposait d'une déficience rénale, ce qui fait dire à Robert Pandraud, ministre délégué à la Sécurité : « Si j'avais un fils sous dialyse, je l'empêcherais d'aller faire le con la nuit ». Et pour tenter de justifier leur assassinat, les "voltigeurs" policiers font courir le bruit, en s'enférant dans leur racisme, que la sœur de Malik est une prostituée et que son frère est un escroc. Le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua et son ministre, Robert Pandraud, choquent l'opinion générale en ne condamnant pas l'action de la police ce soir-là. De nombreuses manifestations monstres ont lieu alors dans toute la France, où on compte plus d'un million de personnes. A Lyon, le pont de l'Université est rebaptisé Pont Malik Oussékine.

Le lendemain, Alain Devaquet, ministre délégué à l'Enseignement supérieur, et auteur du projet de loi dont on ne voulait pas, présentait sa démission, pendant que les étudiants et les lycéens défilaient en silence dans toutes les villes portant des pancartes "Ils ont tué Malik". Le lundi 8 décembre, après de nouvelles manifestations, le Premier ministre Jacques Chirac annonce le retrait du texte de la loi Devaquet. Les deux “voltigeurs”, Jean Schmitt, et Christophe Garcia, sont passés trois ans plus tard devant la Cour d'Assises de Paris pour "coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner". Ils ont été condamnés en janvier 1990 à 5 ans et 2 ans de prison avec sursis.

Lors d'une marche silencieuse de protestation contre l'assassinat de Malik Oussekine par la police, couvert par le gouvernement

De plus, au cours de la même nuit, à Pantin, dans l'agglomération parisienne, un jeune Français d'origine algérienne, tente de s'interposer pour faire cesser une bagarre de café. Un policier, qui n'était pas en service, qui se trouvait au comptoir, tire à bout portant, sans sommation, et tue ce garçon de 19 ans, qui meurt sur le coup d'une balle reçue en plein cœur. L'enquête révèlera que le policier était en état d'ivresse notoire, néanmoins pour la justice cet assassinat passe pour un homicide involontaire...

Repris de Rebellyon.

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07.12.2025 à 08:00

Athènes, Grèce : Une gauche qui porte l'État dans son cœur

Une attaque maoiste sur des anarchistes à Athènes a démontré une culture politique formée par des habitudes patriarcales de commandement.

Texte intégral (1470 mots)

Une attaque maoiste sur des anarchistes à Athènes a démontré une culture politique formée par des habitudes patriarcales de commandement.

Des milliers ont pris la rue à travers la Grèce le 17 novembre, en mémoire de cell.eux tué.es pendant le soulevement de 1973 à Polytechnique, quand des étudiants ont été abattu.es alors qu'iels se levaient contre la dictature des colonnels. À Athènes, plus de 6000 flics anti-émeutes étaient deployés contre la manifestation et le rassemblement à l'extérieur de l'ambassade des États-Unis, avec des véhicules blindés fermant la marche afin de décourager une participation nombreuse.

Plus tôt, au matin du 15 novembre, autour de 150 membres du groupe maoiste ARAS sont descendus sur le campus de Polytechnique à Exarcheia pendant les préparations pour les commémorations annuelles de la révolte de 1973. Ils ont entouré un petit groupe d'étudiants anarchistes et anti-autoritaires, on lancé une attaque coordonnée et répétée, et en ont laissé plus d'une douzaine hospitalisé.es avec des commotions cérébrales, des os brisés, et des blessures graves à la tête – incluant des personnes inconscientes tabassé.es. Les attaquants ont opéré derrière un cordon humain serré, les portails du campus étaient verouillés, et des centaines d'autres organisations de gauche présentes étaient incapables d'intervenir. L'événement a été condamné publiquement par la majorité des organisations gauchistes et anarchistes de Grèce.

Loin d'être juste une autre escarmouche entre gauchistes, l'attaque était un essai stratégique de prendre du territoire. Qui tient l'espace physique de Polytechnique ne gère pas juste un campus ; ielles prétendent aux narratifs de son histoire, et avec ça, au futur horizon de la lutte sociale. ARAS a passé des années à imposer sa domination dans des sections du mouvement étudiant de l'université, reproduisant une posture autoritaire similaire à la position hégémonique du parti communiste grec (KKE) dans le champ socio-politique plus large : l'insistance sur le contrôle organisationnel, le poliçage des dissidents, et la vieille rengaine – adoptée par le KKE et les libéraux – que les émeutièr.es sont des “briseur.euses d'unité” ou des flics infiltrés.

L'attaque appartient à un plus long cycle de désillusions, répression et déclin politique. Une génération a mûri après la révolte des jeunes de 2008 – un moment qui a terrifié la classe politique – seulement pour voir le déroulement de la longue désillusion des années SYRIZA : la disparition de l'espoir, l'énergie du mouvement trahie, et "la gauche gouvernementale" se réduisant à de la gestion technocratique. Ce qui a suivi a été le retour triomphant de la droite, armée avec un TINA violemment appliqué (“there is no alternative” edTrad : phrase initialement prononcée par Margaret Tatcher au "Royaume Uni" imposant le néolibéralisme) et une posture contre-insurrectionnelle visant précisement les mouvements qui ont secoué le pays en 2008 et durant les années des mémorandums. Au cours des dernières années, les autorités policières ont de plus en plus attaqué les squats politiques – incluant l'intérieur des campus universitaires, avec la coopération de l'administration académique.

Dans ce climat, les schémas patriarcaux et autoritaires se sont renforcés pas seulement depuis le haut mais aussi à l'intérieur du champ politque, avec les ruines de la gauche agissant comme des tampons et comme contre-insurrection interne, absorbant la colère et bloquant l'émergence d'alternatives sincèrement autonomes et sociales. L'attaque d'ARAS était une reconstitution de cette plus large tendance : l'internalisation de la logique étatique par une formation de gauche désespérement en quête de reconnaissance et de pouvoir. Essayer de sécuriser sa crédibilité et sa survie organisationelle dans un panorama modifié par l'asphixie lente de mouvements a culminé dans une rupture grotesque avec l'esprit de Polytechnique – un spectacle autoritaire qui a mimé les mêmes forces que cet anniversaire est supposé défier. Les mouvements ont beaucoup à craindre quand des acteurs légitiment ces formations au nom de “l'unité” ce qui les aide à obtenir plus de légitimité.

Mais encore, la brutalité de l'attaque a révélé plus qu'une embuscade sectaire et autoritaire ; elle a démontré une culture politique formée par des habitudes patriarcales de commandement – pullulants à travers des parties de la gauche grecque (et du plus large spectre politique) – et maintenant encouragée sous un gouvernement qui fétichise la discipline, la punition et l'obéissance.

Depuis des décennies, Polytechnique a été maintenue ouverte par celle.ux qui rejettent ces narratifs d'ordre et d'inévitabilité. Très peu des courants politiques présents ont jamais été “non-violents” dans le sens moraliste poussé par les gouvernements et les libéraux. I.elles ont défendu les occupations, ont confronté la police, bloqué des mines, et ont construit des infrastructures de soin sous le feu. Leur militance est collective et enracinée dans la protection mutuelle. La violence d'ARAS était l'opposé : domination autoritaire se faisant passer pour discipline, une masquarade de contrôle affligée de patriarcat se faisant passer pour une lutte sociale.

Cette distinction est essentielle. Les formations politiques qui reproduisent les structures de commandement hiérarchiques et patriarcales ne font pas simplement écho à la violence étatique – ils la légitiment. Quand une secte dirigée par un gars déferle dans Polytechnique comme une police privée anti-émeute, cela fonctionne comme l'extension officieuse de la répression que le gouvernement a augmentée depuis des années en asphixiant les espaces du mouvement et en étendant les pouvoirs de la police sous la bannière de l'inévitabilité. Dans ce contexte, l'attaque d'ARAS se lit moins comme une folie sectaire que comme une version amateur grotesque du narratif de l'État : “l'ordre doit être restauré ; les alternatives écrasées”. Un écho violent du TINA auquel ils prétendent s'opposer.

Si les mouvements veulent survivre à cette phase autoritaire – la criminalisation des dissidents, la masquarade du “bon manifestant / mauvais manifestant”, le poliçage des politiques de la jeunesse – ielles doivent confronter ce qui a permis cette attaque. Pas à travers des vengeances ou des purges, qui recyclent seulement le même circuit autoritaire (edTrad : pas forcément, les vengeances peuvent être un besoin), mais en refusant de tolérer à l'intérieur de nos espaces les hiérarchies, les masculinités (edTrad : masculinités trans et cis ne sont pas la même chose), et les habitudes de commandements qui rendent une telle violence possible. La justice transformatrice n'est pas une douce alternative à la militance ; c'est le seul chemin par laquelle la militance reste enracinée dans la libération plutôt que de glisser dans la logique de la domination.

La révolte de Polytechnique reste puissante car elle rejette la hiérarchie, le contrôle patriarcal, et la logique d'inévitabilité. C'était bordelique, pluriel et contradictoire – et donc sincèrement insurgée. Ce qui s'est passé cette année était une profanation de la mémoire par des gens reproduisant de manière assumée la logique de l'état encore plus que sa propre police. Maintenant notre tâche n'est pas seulement de défendre nos espaces de la répression extérieure, mais de défendre nos cultures politiques du pourrissement interne. Aucun mouvement qui échoue à déraciner l'autoritarisme – qu'il soit porté par l'État ou des imitateurs – ne peut construire le monde pour lequel iel dit se battre.

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07.12.2025 à 08:00

« Perdre ses enfants » pour l'Ukraine ?

« Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à perdre ses enfants, parce qu'il faut dire les choses, (...), si on n'est pas prêt à ça, alors on est à risque. » Perdre ses enfants à la guerre ? Avec cette formule, le chef de l'état-major des armées françaises s'inscrit dans la lignée de tous ces chefs de guerre courageux avec la peau des autres.

Publié dans le blog de B. Girard de Mediapart

https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/211125/perdre-ses-enfants-pour-l-ukraine

Texte intégral (1348 mots)

« Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à perdre ses enfants, parce qu'il faut dire les choses, (...), si on n'est pas prêt à ça, alors on est à risque. » Perdre ses enfants à la guerre ? Avec cette formule, le chef de l'état-major des armées françaises s'inscrit dans la lignée de tous ces chefs de guerre courageux avec la peau des autres.

Publié dans le blog de B. Girard de Mediapart

https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/211125/perdre-ses-enfants-pour-l-ukraine

« Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à perdre ses enfants, parce qu'il faut dire les choses, de souffrir économiquement (...), si on n'est pas prêt à ça, alors on est à risque. » Perdre ses enfants à la guerre ? Avec cette formule lancée lors du Congrès des maires de France, le chef de l'état-major des armées françaises s'inscrit sans scrupules ni remords dans la lignée de tous ces chefs de guerre, certes forts en gueule, dont les chroniqueurs s'empressent de louer le courage et la lucidité… quand ils sont surtout courageux avec la peau des autres. Car si l'on accepte la perspective de la guerre, il faut d'abord dire qui doit la faire, question à laquelle les gradés apportent leur réponse : non pas ceux-là même qui ont pourtant choisi la carrière des armes et les risques afférents mais les enfants, les enfants de la patrie, ces jeunes dont les noms sont gravés sur les monuments aux morts, morts, selon la formule usitée, « pour la France » alors qu'en réalité on ne leur a jamais demandé s'ils avaient envie de mourir ni pour quelle raison. Et pour qu'un pays ne « flanche » pas à l'idée de « perdre ses enfants », on a inventé la conscription, principe qui fait que la guerre ne retombe plus sur ceux qui la déclarent, la provoquent, la facilitent ou s'en accommodent mais sur un inépuisable réservoir de jeunes auxquels le statut de conscrits, nullement consenti, par principe obligatoire, impose le sacrifice d'une vie qu'ils étaient en droit d'attendre plus longue.

Dans la plupart des sociétés anciennes, l'exercice de la guerre était réservé à une classe de professionnels qui en faisaient le choix. Au Moyen Age par exemple, la division tripartite de la société – ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent – pour inégalitaire qu'elle fût, légitimant les privilèges, avait au moins comme mérite de ne pas exiger, par principe, des populations civiles la participation à un conflit qui, le plus souvent, ne les concernait que de façon très lointaine, même si, inévitablement, elles en subissaient les effets collatéraux. Avec la conscription, la guerre change de nature, le décideur n'en étant plus la victime.

On peut bien se bercer d'illusions sur l'origine prétendument révolutionnaire ou républicaine de la conscription, c'est mal connaître l'histoire d'un système de recrutement massif dont l'objectif a toujours été de transformer de simples individus qui ne demandent qu'à vivre en paix, en soldats, en guerriers puis en cadavres. Bien avant la Révolution française, les armées de Louis XIV étaient pour une bonne part constituées d'hommes du peuple recrutés de force – c'est bien la définition de la conscription – pour des causes qui n'avaient rien à voir avec la défense d'un pays. La loi Jourdan (1798), souvent considérée, à tort, comme l'acte de naissance du service militaire moderne, est l'œuvre d'un régime politique, le second Directoire, davantage tourné vers le pillage de l'Europe que vers le bonheur des peuples. C'est aussi cette même armée dite « républicaine » qui ouvre la voie à la dictature militaire napoléonienne et aux charniers qu'elle laissera sur son passage à travers toute l'Europe. Quand, à la fin du 19e siècle, la Troisième République, pour satisfaire ses ambitions nationalistes et colonialistes, se cherche un modèle militaire, c'est la Prusse qui le lui fournit, un modèle bâti sur la soumission absolue de toute une tranche d'âge à une autorité brutale, déshumanisante, indispensable pour remplir ce qui reste jusqu'à nos jours la fonction de la conscription : apprendre à des jeunes à tuer ou à se faire tuer sur ordre. 1,5 million de soldats français tués pendant la première Guerre mondiale, plusieurs millions de blessés, des chiffres du même ordre dans toute l'Europe : cet inventaire monstrueux n'empêche pas une large partie de l'opinion publique de réclamer le rétablissement d'une institution qui reste l'une des plus totalitaires de l'histoire des hommes et des plus moralement indéfendables.

Certes mais alors l'Ukraine dans ce cas ? Si effectivement, l'agression russe peut être considérée comme déstabilisante pour l'Europe, il est difficile d'accepter les appels à la guerre et au réarmement lancés par des dirigeants qui, tous, à des degrés divers, ont contribué à consolider le pouvoir de Poutine sur son pays, manifestant une complaisance jamais démentie jusqu'à l'invasion de l'Ukraine pour un dirigeant si ouvert à l'Occident lorsqu'il s'agissait de la signature de juteux contrats économiques, portant notamment sur la fourniture de gaz naturel. Cette tendance à la bienveillance et à l'indulgence pour des régimes politiques dont on ne peut ignorer la nature est d'ailleurs une constante des diplomaties occidentales qu'il s'agisse de Saddam Hussein, de Bachar el Assad, de Kadhafi, de beaucoup d'autres, d'abord regardés comme d'honorables partenaires avant qu'on ne s'avise de leur faire la guerre…

En France, un recensement militarisé fait peser sur tous les jeunes de 16 ans la menace d'avoir à sacrifier leur vie pour rattraper les fautes de leurs aînés. S'il s'agit de faire la guerre, plutôt que de « perdre ses enfants », on suggère que les responsables politiques et militaires soient dans l'obligation de s'y mettre au premier rang. Cela pourrait rafraîchir les ardeurs…

Mise à jour (21/11/2025, 22 h 40)

Le titre de cette note de blog, en partie contraint par l'éditeur de texte, n'est pas satisfaisant : la question posée ("perdre ses enfants") ne se pose pas spécifiquement pour l'Ukraine mais pour toute une période de l'histoire où le principe de la conscription a permis aux dirigeants de ne pas avoir à subir personnellement les effets des guerres dont ils sont responsables.

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