LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie BLOGS Revues Médias
Paris-Luttes.info

Site coopératif d’infos et de luttes Paris - banlieue

Rubrique «À LIRE AILLEURS»

▸ les 11 dernières parutions

28.11.2025 à 08:00

Contre le TAV : « Avons-nous fait assez ? »

Un bilan d'étape. Le bref article qui suit, paru sur le site Volere la luna, traduit par nos soins, a été rédigé par une personne engagée depuis les débuts dans la lutte des No-Tav, ces opposants à la ligne à grande vitesse Lyon Turin qui doit défigurer la vallée de Suse. Leur combat est depuis vingt ans la référence de toutes les luttes de territoires menacés par un grand projet inutile et imposé. On peut ne pas partager le pessimisme apparent de la rédactrice, on peut trouver à ce texte des tonalités attristantes, mais on peut aussi le lire comme une sorte de bilan d'étape : il rappelle l'extraordinaire richesse, l'inventivité sociale, culturelle et politique de ce combat, le courage impressionnant et la joie communicative de ses acteurs. Et il est d'autant moins démobilisateur que son final est un appel à continuer la lutte.

Texte intégral (1134 mots)

Un bilan d'étape. Le bref article qui suit, paru sur le site Volere la luna, traduit par nos soins, a été rédigé par une personne engagée depuis les débuts dans la lutte des No-Tav, ces opposants à la ligne à grande vitesse Lyon Turin qui doit défigurer la vallée de Suse. Leur combat est depuis vingt ans la référence de toutes les luttes de territoires menacés par un grand projet inutile et imposé. On peut ne pas partager le pessimisme apparent de la rédactrice, on peut trouver à ce texte des tonalités attristantes, mais on peut aussi le lire comme une sorte de bilan d'étape : il rappelle l'extraordinaire richesse, l'inventivité sociale, culturelle et politique de ce combat, le courage impressionnant et la joie communicative de ses acteurs. Et il est d'autant moins démobilisateur que son final est un appel à continuer la lutte.

Avons-nous fait assez ? C'est une question qui se glisse dans la mémoire, en un jour de milieu de semaine, de milieu de mois, un mercredi de novembre, quand sur les réseaux circulent des images de l'expropriation d'une maison qui va être abattue d'ici peu pour laisser place au chantier du grand projet. Le 19 novembre 2025, Telt [la société conduisant le projet, NdT] a pris officiellement possession des maisons du hameau San Giuliano (Suse), trois d'entre elles seront abattues pour faire place au chantier de la gare internationale du Tav. Pris à peu de distance, le cliché d'un photographe montre une femme âgée qui cache son visage dans un mouchoir, sans colère, comme si elle éprouvait de la honte pour sa grande douleur. C'était sa maison depuis 1959. Le photographe d'un journal local sent le besoin d'intituler la photo : « Progrès ? »

Avons-nous fait assez pour nous opposer à ce saccage ? En mettant à disposition nos corps, les actions, les pensées, les écrits ? En mettant à disposition une bonne partie de nos vies durant ces trente ans de lutte ? Des kilomètres de pas faits dans des centaines de manifestations. Rencontres, congrès, « presidi » [piquets permanents dans des bâtiments précaires servant de lieux de rassemblement] sous d'épaisses couches de neige ou avec la peau brûlée par le soleil. Voyages à travers toute l'Italie pour rencontrer et se faire connaître. Plaintes en justice, procès. Depuis quelques jours sont prévues des initiatives pour rappeler les journées vécues pour la « Libération de Venaus » ; c'était en 2005, il y a vingt ans [1]

Cette grande participation populaire qui avait permis de courir par milliers dans les prairies, de rompre les scellés et même de faire reculer les troupes d'occupation avait été possible parce que derrière lui, le mouvement avait déjà dix ans de lutte durant lesquelles s'était construite cette participation. Les instruments utilisés avaient été diversifiés. Des habituelles assemblées dans chaque commune, à la participation aux carnavals avec des masques de carton qui rappelaient le monstre Tav qui avance… le bruit du TGV enregistré à Macon et puis diffusé à plein volume au cinéma. La participation à un concours de lese (luges) qui pendant la Fête de Saint Michel descendaient à une vitesse assez dangereuse jusqu'à Sant'Ambrogio : « La lesa est la tradition, le Tav, la destruction ». Textes théâtraux mis en scène, chants, presidi, etc. Années 90 : les réunions à Condove avec le comité Habitat et à Bussoleno avec le comité No Tav. Venait à peine de se terminer (pour une fois victorieusement) la lutte contre la méga ligne Grande-Île-Piosasco mais on n'avait pas eu le temps de la fêter parce qu'un autre front s'ouvrait. C'était en 1986, quand apparaissaient les premières nouvelles sur le grand projet. On peut dire qu'il y avait eu de l'amusement, de la joie, même à faire de la politique.

Il semble aujourd'hui impossible de transmettre cette charge d'histoires, de rencontres, d'amitiés, d'amours, de construction d'une vraie communauté. Restent les souvenirs, forts, précieux. Avons-nous fait assez ? Qu'est-ce qu'on peut encore faire ? Avec le temps, par chance, est en train de se faire un passage de témoins tandis que l'un après l'autre, les acteurs d'alors s'en vont. Beaucoup des jeunes qui sont en train de reprendre le flambeau et de développer l'opposition n'étaient pas nés. Les jeunes qui sont en train d'organiser le vingtième anniversaire de Venaus, avaient alors 10-11 ans. Peu connaissent les noms des personnes qui avaient posé les bases : les techniciens, les premiers élus, le président de l'Union montagnarde, le premier avocat qui s'est occupé de la Tav.

Ce sont des phases différentes et peut-être est-il inutile de regarder en arrière mais il faut avancer avec de nouvelles idées.

Chiara Sasso
Traduction : Serge Quadruppani


[1] Le 8 décembre 2025, policiers et carabiniers évacuent le « presidio » de Venaus, village de la vallée où devait déboucher le tunnel du Tav. Deux jours plus, des dizaines de milliers de manifestants réussissent à les chasser. A la suite de cette manif de ré-occupation, le mouvement remporta une première grande victoire, puisque ce chantier-là fut abandonné. Depuis, le lieu de ce presidio a été préempté par la mairie et est devenu un espace culturel où se tient chaque année le festival de l'Alta Felicità (du « Grand Bonheur », par opposition à l'Alta Velocità, la « grande vitesse » ).

PDF

28.11.2025 à 08:00

Cantine Solidaire Foyer Branly Festival Alimenterre !

Invitation aux Portes Ouvertes du Foyer Branly.

Des réflexions autour de la cantine qui risque de se faire expulser !

Nous avons besoin de forces !

Journées avec plein d'activités et belle opportunité de connaître le foyer et ses résidents autour des films, musiques, ateliers, groupes de travail.

Plein d'animations pour les enfants et de la bonne nourriture faite par les cantinières.

Moment de soutien et rencontre.

Texte intégral (1121 mots)

Invitation aux Portes Ouvertes du Foyer Branly.

Des réflexions autour de la cantine qui risque de se faire expulser !

Nous avons besoin de forces !

Journées avec plein d'activités et belle opportunité de connaître le foyer et ses résidents autour des films, musiques, ateliers, groupes de travail.

Plein d'animations pour les enfants et de la bonne nourriture faite par les cantinières.

Moment de soutien et rencontre.

Cantine Foyer Branly Festival Alimenterre

La restructuration du foyer en résidence sociale implique la perte de tous les espaces communs, et les organisations solidaires qui vont avec, gagnés de haute lutte depuis les années 70 (espace cuisine/cantine, cafétéria, salle de prière, salle de cours, bureau des délégués, salle des fêtes) mais également la perte des boîtes à lettres individuelles, du transfert des contrats,… Bref tout ce qui fait que les foyers ne sont pas de simples dortoirs, chacun dans sa cellule.

Le comité des résidents, les cantinier.e.s et le comité de soutien du foyer Branly à Montreuil, souhaitons rassembler des personnes, collectifs et associations qui nous sont proches, d'autres que nous aimerions rencontrer, pour donner plus de visibilité à la situation grave qui nous touche actuellement, les habitants du foyer Branly, nous ainsi que les espaces de vie collective patiemment construits depuis plusieurs décennies et qui sont aujourd'hui exclus de la nouvelle résidence sociale prévue par Adoma, juste à côté du foyer. Le déménagement est prévu pour décembre, et nous avons besoin d'une mobilisation large avec nous pour ne pas laisser Adoma agir comme bon lui semble !

Beaucoup d'habitants actuels se retrouvent sans solution de relogement, d'autres forcés de déménager loin de leurs repères alors qu'ils sont vulnérables (certains de nos doyens notamment, alors qu'ils sont présents dans le foyer depuis sa création dans les années 80). Et les résidents à qui Adoma promet une place dans la nouvelle résidence seront cantonnés à une vie isolée, sous surveillance et sans espace collectif. Nous sommes en lutte depuis 3 ans car nous refusons cette restructuration faite par Adoma qui ne prend pas en compte nos besoins, nos droits et nos modes de vie.

La cantine du foyer fait partie de ces espaces collectifs. Adoma ne veut plus qu'elle existe alors qu'elle est un lieu de rencontres, de solidarité et de convivialité très important pour le foyer, et même pour le quartier. On peut y manger notre nourriture traditionnelle, avec des plats équilibrés, copieux et à petit prix, avec un fonctionnement qui permet de se partager les repas en fonction des ressources de chacun. La cantine est aussi importante pour les personnes qui y travaillent, qui y trouvent un sentiment de dignité et d'utilité au service de la communauté, ainsi que des revenus leur permettant de subvenir à leurs besoins.

Le 1er novembre à la maison ouverte, puis le week end du 15-16 novembre au foyer Branly, nous organisons deux événements pour nous rassembler et nous vous attendons nombreux.ses pour soutenir notre lutte, qui en rejoint bien d'autres ! Lutter pour le droit au logement digne, lutter contre le racisme institutionnel qui conduit à délaisser ou à négliger les besoins des habitants quand il s'agit de travailleurs immigrés – et encore plus quand il s'agit de personnes non régularisées en France, lutter pour conserver et renforcer des moyens d'organisation collective et populaire, sur le plan alimentaire et au delà.Nous communiquerons le programme final pour ces deux événements prochainement, mais notez déjà la date ! A très vite

Le comité des résidents du foyer Branly, l'équipe de la cantine du foyer et le comité de soutien

PDF

28.11.2025 à 08:00

10e Assemblée du logement du 94

Assemblée générale pour s'organiser face à la crise du logement dans le 94, le dimanche 30 novembre à 17h à La Pagaille, 15 rue Ernest Renan, 94200 Ivry-sur-Seine.

Texte intégral (765 mots)

Assemblée générale pour s'organiser face à la crise du logement dans le 94, le dimanche 30 novembre à 17h à La Pagaille, 15 rue Ernest Renan, 94200 Ivry-sur-Seine.

En France en 2025 des personnes meurent dans la rue, victimes de la crise du logement.
Les loyers augmentent, l'accès au logement social est un parcours du combattant et les expulsions se multiplient. Locataires précaires, sans-logis, habitant·es de squats : nous sommes tou·tes concerné·es par cette politique de précarisation organisée par l'État et les acteurs de l'immobilier.

Avec la loi Kasbarian-Bergé, le gouvernement a renforcé la répression contre les squatteur·euses et accéléré les expulsions de locataires en difficulté. Le résultat est sans appel : des familles jetées à la rue, des loyers toujours plus inaccessibles et une criminalisation des plus précaires, tandis que les profits des propriétaires et des promoteurs explosent.

Le Val-de-Marne n'échappe pas à cette logique. Avec 38 000 logements vacants et 100 000 demandes de logements sociaux en attente, les expulsions continuent à un rythme effréné. Chaque année 1 500 expulsions avec recours à la force publique sont autorisées dans le département poussant des centaines de personnes à la rue. À Vitry, après l'expulsion des squats de la Maison Nectar et du village Mongania, dont les habitant·es sont sans solution de relogement ou d'hébergement depuis fin août, la Kunda sera aussi menacée d'expulsion après la trêve hivernale.

Depuis plusieurs mois, nous nous organisons en assemblée générale mensuelle pour défendre le droit à un logement digne pour toutes et tous.

Cette 10e assemblée générale sera l'occasion de faire le point sur les actions menées, de discuter des prochaines étapes et d'élargir nos mobilisations.

Retrouvons-nous le dimanche 30 novembre à 17h à La Pagaille, 15 rue Ernest Renan, 94200 Ivry-sur-Seine (https://la-pagaille.org/informations-pratiques/).

L'accueil des personnes venant pour la première fois aura lieu à 16h30.

PDF

27.11.2025 à 08:00

L'incroyable histoire de l'Encyclopédie anarchiste

Quatre tomes, plus de 1600 entrées, 2893 pages… Et ce n'était censé être que le début d'un projet encore plus vaste ! Mais pourtant qui connaît encore aujourd'hui l'existence d'une encyclopédie anarchiste ? Certainement pas assez de monde en tout cas, au regard de l'œuvre accomplie et de la richesse de cette ressource pour les militant-e-s, universitaires et chercheurs/ses en tout genre s'intéressant au mouvement libertaire.

Texte intégral (4811 mots)

Quatre tomes, plus de 1600 entrées, 2893 pages… Et ce n'était censé être que le début d'un projet encore plus vaste ! Mais pourtant qui connaît encore aujourd'hui l'existence d'une encyclopédie anarchiste ? Certainement pas assez de monde en tout cas, au regard de l'œuvre accomplie et de la richesse de cette ressource pour les militant-e-s, universitaires et chercheurs/ses en tout genre s'intéressant au mouvement libertaire.

L'article qui suit a été initialement publié en novembre 2017

Alors c'est quoi cette encyclopédie anarchiste ? D'abord un projet d'une ambition démesurée, la volonté de regrouper au sein d'un même ouvrage « toutes les connaissances que peut et doit posséder un militant révolutionnaire » [1] . Théories politiques donc bien évidemment, mais aussi sciences, arts, culture, vie quotidienne… Un très vaste éventail de sujets y est abordé, toujours avec la volonté d'y apporter un point de vue libertaire. L'ensemble constitue également une véritable œuvre éducative, l'effort de vulgarisation étant souvent palpable autour de thématiques parfois complexes.

Origines et évolutions du projet :

En avril 1924 un premier projet [2] d'une encyclopédie anarchiste est annoncé dans la presse libertaire [3]. Présenté en premier lieu comme une œuvre internationale de traductions simultanées en langues différentes de textes déjà existants et à paraître, la forme envisagée évolue assez rapidement. Dès 1925 il est en effet plutôt question de publier d'abord des fascicules en français pour les traduire par la suite [4]. Finalement seule l'édition française de l'encyclopédie verra le jour, la dimension internationale de l'ouvrage subsistant néanmoins par une relative diversité des origines géographiques de ses contributeurs/rices . Les tensions existantes entre les différents courants libertaires à cette période semblent également avoir déterminé en partie la forme finale du projet.

En effet au milieu des années 1920, le débat au sein du mouvement anarchiste international se cristallise sur la forme d'organisation à adopter pour l'ensemble du mouvement, avec d'un côté les partisans du « plateformisme » et de l'autre ceux du « synthétisme ».
Les plateformistes défendent l'idée que l'organisation doit prendre ses distances avec les courants individualistes et culturels se réclamant de l'anarchisme, pour s'affirmer au contraire comme un véritable mouvement politique révolutionnaire, ayant pour objectif défini la révolution sociale et libertaire. Pour y parvenir, cela nécessite une forme d'organisation certes anti-autoritaire (pas de hiérarchie, structuration fédérale et mandats impératifs) mais néanmoins efficace et structurée.

Les synthétistes défendent au contraire que le mouvement anarchiste peut tirer profit de sa pluralité, à condition d'œuvrer pour une synthèse. Identifiant trois principaux pôles historiques que sont le communisme libertaire, l'anarcho-syndicalisme et l'anarchisme individualiste, les synthétistes affirment que loin d'être irréconciliables ces trois principales tendances ont vocation à dialoguer, se rencontrer afin d'arriver à une synthèse théorique permettant à terme l'unification du mouvement.

Dans ce contexte, le projet d'encyclopédie anarchiste est alors essentiellement porté par Sébastien Faure [5] [6] et d'autres militants synthétistes, dont l'ambition affichée est de faire cohabiter matériellement au sein d'une même œuvre cette pluralité de tendances  [7] :

« toutes les tendances, toutes les thèses qui, dans leur ensemble, constituent l'Anarchisme, y seront impartialement exposées. Eliminer, de propos délibéré, une seule de ces thèses, c'eût été faire œuvre de partisans et non d'éducateurs consciencieux : c'eût été enlever à ce mouvement, une partie de son ampleur, de sa majesté ; c'eût été mutiler volontairement l'Anarchisme, en le privant d'un de ses traits distinctifs. 

Sous peine d'être incomplète et de trahir son but, cette Encyclopédie doit être le reflet de toutes les conceptions s'inspirant de l'Anarchisme ; elle doit abandonner à chacun de ses lecteurs, le soin de choisir entre les diverses tendances et de se rallier librement à celle qui, à ses yeux, se rapproche le plus de l'exactitude, et cadre le mieux avec son tempérament.  [8]

En décembre 1934, la publication de la première partie du projet, le « Dictionnaire Anarchiste » finit par être achevée.

Le Dictionnaire anarchiste :

De « Abdication » à « Zoologie », cette unique partie réalisée de l'Encyclopédie anarchiste prend donc la forme d'un dictionnaire en quatre tomes. La plupart des notices sont signées par leurs auteur-e-s respectifs/ves mais certaines demeurent néanmoins anonymes. Dans le souci de respecter la diversité de points de vues traversant le mouvement libertaire, un certain nombre d'entrées comportent plusieurs articles, écrits par des rédacteurs/rices différent-e-s. Par exemple pour le terme « Fascisme » figurent pas moins de quatre articles écrits par des contributeurs différents (Bonhomme, Bertoni, Rappoport et Besnard). C'est également le cas pour l'entrée « Féminisme » qui est constituée de deux articles : l'un écrit par un homme (Jean Marestan) et l'autre par une femme : Madeleine Pelletier.

À propos des femmes justement, leur participation à la rédaction de l'encyclopédie est à l'image de leur place dans le mouvement anarchiste à cette époque : extrêmement minoritaire. Néanmoins, on retrouve un certain nombre d'articles portant la signature de figures féministes anarchistes importantes telle que Madeleine Pelletier déjà citée, Madeleine Vernet ou encore Jeanne Humbert.

Autres parties non-réalisées :

On l'a dit ce « Dictionnaire anarchiste » était envisagé comme étant seulement la première étape d'un projet encyclopédique encore plus large, devaient suivre en effet quatre autres parties. L'Encyclopédie anarchiste était alors conçue à l'origine pour s'organiser de cette façon :

  • PREMIERE PARTIE. - Dictionnaire anarchiste. Aspect philosophique et doctrinal de l'Anarchisme. Exposé des principes, théories, conceptions, tendances et méthodes de la Pensée et de l'Action véritablement révolutionnaires, c'est-à-dire anarchistes.
  • DEUXIEME PARTIE. - Histoire de la Pensée et de l'Action anarchistes, pays par pays.
  • TROISIEME PARTIE. - Vie et Œuvre des principaux militants ayant appartenu ou appartenant au mouvement anarchiste : philosophes, théoriciens, écrivains, orateurs, artistes, agitateurs, hommes d'action. (Ordre alphabétique).
  • QUATRIEME PARTIE. - Vie et Œuvre des hommes qui, sans être à proprement parler des anarchistes, ont, néanmoins, dans le domaine de la Philosophie, de la Science, des Lettres, des Arts et de l'Action, contribué à l'émancipation humaine par leur lutte contre la routine mortifère, contre les traditions paralysantes, contre les méthodes et forces stérilisantes de leur temps. (Ordre alphabétique.)
  • CINQUIEME PARTIE. - Catalogue des livres, brochures, journaux, revues et publications de toutes sortes, de propagande anarchiste ou anarchisante. (Ordre par pays et par langues.) [9]

La guerre puis la mort de Sébastien Faure en 1942 eurent pour conséquence l'abandon du projet, mais le dictionnaire à lui tout seul constitue déjà une œuvre exceptionnelle, tant par sa taille que par son contenu !

Postérité de l'œuvre :

Si un travail de recherche sur le nombre de tirages et la diffusion de l'encyclopédie reste encore à effectuer, force est de constater qu'après la seconde guerre mondiale l'œuvre semble avoir été assez vite oubliée [10]. Un certain nombre d'exemplaires ont probablement été détruits ou perdus pendant la guerre, ceux restant ayant très certainement vieilli dans des greniers de particuliers et y sont peut-être encore. Aujourd'hui, l'œuvre originale complète [11] n'est accessible au public que dans très peu de bibliothèques, on en compte en gros une dizaine parmi lesquelles la BNF (au titre du dépôt légal) et la bibliothèque de l'Hôtel de Ville à Paris, ou encore la bibliothèque du CIRA à Lausanne [12]. Mais peut-être que d'autres exemplaires encore jalousement conservés au fond des locaux de certaines organisations anarchistes referont un jour surface !

Dans tous les cas, l'Encyclopédie anarchiste finira malgré tout par connaître une seconde vie : grâce à l'immense travail de membres et sympathisant-e-s de la Fédération Anarchiste, en 2009 elle devient accessible en ligne  [13] !
C'est notamment à partir de cette réédition numérique que la revue Ni patries ni frontières publiera une anthologie de textes autour de la question religieuse [14].
Un travail de réédition papier a en outre été entamé en 2012 par les éditions des Équateurs [15] mais seuls les deux premiers tomes ont été publiés à l'heure actuelle. C'est donc principalement sur internet que l'ensemble de l'œuvre est désormais accessible, la forme numérique présentant par ailleurs de nombreux avantages en termes de recherche en texte intégral et de reproduction du contenu !

Extraits choisis :

Pour terminer et pour vous donner envie je l'espère d'aller un peu plus loin, voici un petit échantillon d'articles ou d'extraits d'articles contenus dans cette encyclopédie. :

  • Astronomie :

     C'est sous le ciel étoilé des rives de la Méditerranée que naquit la science des astres qui enseigna à l'homme le rythme des saisons, l'harmonie des mouvements célestes et la grande solidarité de la nature en éternel devenir, promesse et gage de fraternité universelle. (…)
    L'Univers est la République dans le temps et dans l'espace, la République sans Dieu ni maîtres qui n'obéit qu'aux lois naturelles qui lui sont inhérentes et dont l'analyse spectrale a prouvé, il y a une soixantaine d'années, l'unité constitutive. 

    F. Stackelberg

  • Géographie :

     N'est-ce pas en parcourant le monde, attiré par ses travaux géographiques, que Kropotkine est devenu anarchiste ? Il suffit de lire son admirable ouvrage sur L'Entr'aide et son autobiographie Autour d'une vie, pour s'en convaincre. Et encore, dans son dernier ouvrage, L'Ethique, on aperçoit que c'est à la connaissance des hommes et des animaux qui peuplent la terre qu'il doit cette clairvoyance et cette haute philosophie humaine qui se dégagent de ses travaux. Il en est de même en ce qui concerne notre grand Elisée Reclus, que la bourgeoisie accapare maintenant qu'il est mort, cependant qu'elle le contraignit à mener une existence d'exilé. Pour nous, anarchistes, Reclus n'est pas seule­ment grand par ses travaux sur la philosophie anarchiste et sur la Révolution, mais surtout par le monument de connaissances qu'il a emmagasinées dans la Géographie Universelle et dans L'Homme et la Terre qui sont, à nos yeux, de véritables productions révolutionnaires, si l'on considère que la connaissance de la terre et de ses habitants est un facteur d'évolution et de transformation sociale.

  • Insoumis, Insoumission :

    Selon la formule classique, être insoumis, c'est « manquer de soumission, ne point obéir ». De par l'étymologie, même, les anarchistes sont des désobéisseurs, ce qui ne veut pas dire que tous les insoumis soient des anarchistes. Les individualistes anarchistes sont, par définition, des insoumis, ils se refusent à accomplir les services que, profitant de la puissance qu'il détient, l'État exige d'eux,
    et lorsqu'ils obtempèrent aux injonctions de l'État, ce n'est jamais que sous l'empire d'une menace, en ne prenant pas au sérieux leur acquiescement superficiel. Il y a donc une différence entre l'insoumis par entêtement, le non-obéisseur par opiniâtreté, irréfléchi, qui ne raisonna pas son geste, et l'individualiste anarchiste prêt à passer toutes sortes de contrats, à condition qu'il puisse en discuter les termes, en examiner les clauses à la lueur de son avantage ou de son intérêt.

    E. Armand

  • Manifestation :

     On commence par manifester dans une salle, paisiblement assis, applaudissant à l'éloquence d'un orateur, votant des ordres du jour. On manifeste ensuite dans la rue sons la conduite de bergers ayant le souci de l'ordre public, ne voulant pas compromettre leur carrière politique dans un choc entre les forces populaires et le rempart du régime. C'est le cortège pacifique, avec musiques et drapeaux. Mais cela peut devenir, dans l'explosion d'une colère longtemps contenue et qui trouve soudain son écho dans la colère voisine, sous la surexcitation d'une injustice plus criante, ou la provocation de la police ou de l'armée, à la faveur de quelque autre événement ou circonstance, parfois secondaire, mais qui joue le rôle d'étincelle et met le feu aux poudres, la manifestation peut être le premier grondement de l'émeute imprévue et de la révolution qui couvait.

    G. Bastien

  • Vacances :

    La Grèce, qui a su apprécier les bienfaits de la paresse a légué à la postérité les trésors artistiques et les hautes spéculations philosophiques qui ont, au cours des siècles, fait l'émerveillement des hommes. Ce sont les peuples bergers qui ont découvert les lois de l'astronomie, parce qu'ils ont eu le loisir de contempler le ciel étoilé. Encore aujourd'hui, les créations géniales, les œuvres d'art, les inventions multiples, ne sortent-elles pas, en général, de l'esprit de rêveurs, souvent considérés comme d'inoffensifs maniaques, parce que, aux yeux du vulgaire, ils sont plus préoccupés de leurs chimères que du souci de leur fortune ou de leur pain quotidien ? Il est certain qu'un des droits les plus légitimes de l'homme est le droit au repos. Convenons que le travail est une malédiction (Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !), du moins le travail tel que la société actuelle l'impose à l'individu. Le travail, vu les progrès du machinisme, ne serait presque plus une nécessité. N'étaient les profiteurs du désordre mondial, le travail, organisé rationnellement, abolirait la plus-value, par suite le chômage et la misère. Alors, le temps de repos pour chaque individu pourrait être très grand ; d'amples vacances viendraient embellir la vie, et l'esprit libéré des soucis matériels pourrait se hasarder plus facilement vers des problèmes plus hauts. 

    Ch. Boussinot

Conclusion :

Source peu exploitée, les pages de cette Encyclopédie anarchiste méritent d'être lues, expliquées, analysées, par un peu plus de monde. Bien que la pensée libertaire ait énormément évolué depuis la première publication (et heureusement !), ces textes font partie de l'histoire du mouvement anti-autoritaire et peuvent encore parfois inspirer les combats d'aujourd'hui. Alors... bonne lecture !

Florian MATHIEU

Repères bibliographiques :


[1] Extrait de la préface de l'Encyclopédie rédigée par Sébastien Faure

[2] Il existe toutefois la trace en 1895 dans le journal Les Temps nouveaux d'un autre projet n'ayant pas vu le jour

[5] Il en assurera par ailleurs la direction

[6] Pour l'ensemble des noms propres cités dans cet article, se référer aux notices du Dictionnaire des militants anarchistes

[7] Cet objectif semble avoir été atteint au moins en partie, des tenants du plateformisme comme Archinov ayant y compris acceptés de contribuer à l'ouvrage.

[8] Extrait de la préface

[9] ibid

[10] S'il existe quelques travaux sur l'anarchisme dans l'entre-deux guerre en France, l'Encyclopédie anarchiste n'y est en général que très brièvement évoquée

[11] On retrouve parfois sur internet la mention d'une mystérieuse réédition fac-simile en 1974, dont la diffusion demeura à priori très confidentielle. Elle ne figure en tout cas dans aucun des nombreux catalogues consultés en vue de la rédaction de cet article

[12] On peut également mentionner la médiathèque du Valais à Sion, la Bibliothèque Nationale du Québec à Montréal, la bibliothèque municipale de Lyon, la médiathèque de Saint-Etienne, la mediathèque de Roubaix, la bibliothèque du Saulchoir à Paris et également à Agen dans... la médiathèque de l'école nationale d'administration pénitentiaire ! Des versions incomplètes avec seulement 1 ou 2 tomes sont également conservées à la BDIC à Nanterre et dans certaines bibliothèques allemandes. Merci à Marion pour ses conseils de recherche dans les catalogues.

[14] Encyclopédie anarchiste : La Raison contre Dieu, Ni patries ni frontières, 2010

[15] Faure, Sébastien (dir), Encyclopédie anarchiste A-C, éditions des Équateurs, 2012

PDF

27.11.2025 à 08:00

La police détourne le fichier des passeports et des cartes d'identité

Fournir sa photographie et ses empreintes quand on demande son passeport ou sa carte d'identité est plus lourd de conséquence que ce qu'on imagine. Ces données, qui sont enregistrées dans le fichier des « titres électroniques sécurisés » (TES) sont récupérées par la police par un contournement de la loi. La Quadrature du Net a pu obtenir des témoignages et preuves formelles de l'utilisation abusive de ce fichier pour identifier des personnes lors d'enquêtes judiciaires. Nous avons alerté la CNIL sur ce scandale qui était malheureusement prévisible, tant ce fichier TES portait, par son existence même, les risques d'un abus de surveillance par l'État.

Texte intégral (3180 mots)

Fournir sa photographie et ses empreintes quand on demande son passeport ou sa carte d'identité est plus lourd de conséquence que ce qu'on imagine. Ces données, qui sont enregistrées dans le fichier des « titres électroniques sécurisés » (TES) sont récupérées par la police par un contournement de la loi. La Quadrature du Net a pu obtenir des témoignages et preuves formelles de l'utilisation abusive de ce fichier pour identifier des personnes lors d'enquêtes judiciaires. Nous avons alerté la CNIL sur ce scandale qui était malheureusement prévisible, tant ce fichier TES portait, par son existence même, les risques d'un abus de surveillance par l'État.

Plus belle la vie du fichier TES

Pour comprendre comment nous en sommes arrivé·es là, revenons sur les origines de ce fichier. En 2005, un décret autorise pour la première fois l'enregistrement des informations des personnes demandant un passeport (nom, prénom…) dans une puce électronique au sein du passeport, mais également dans un fichier centralisé à destination des agent·es chargé·es de la délivrance des titres d'identité. Ainsi naît le premier fichier TES (qui s'appelait alors « DELPHINE »). En 2008, afin de se conformer à un règlement européen, sont ajoutées au sein de la puce l'image numérisée du visage et des empreintes digitales. Le gouvernement en profite alors pour également les ajouter dans le fichier, au lieu de rester sur une seule conservation décentralisée. Ceci n'était clairement pas un choix neutre puisqu'il s'agit de données biométriques particulièrement sensibles.

La CNIL, elle, se montrait pourtant défavorable à un enregistrement centralisé d'autant de données dans le fichier TES. En effet, pour la première fois, une base de données faisait un lien entre des données biométriques et une identité civile. L'objectif affiché était de faciliter les démarches administratives et lutter contre la « fraude documentaire ». Mais factuellement, ce lien technique entre identité et données biométrique peut aussi permettre l'identification d'une personne par la comparaison de ses empreintes ou de son visage avec les données contenues dans le fichier. Bien qu'une telle possibilité ne soit pas prévue par les textes, la CNIL estimait tout de même que le choix de centraliser ces données était disproportionné dès lors qu'il existait des modalités de lutte contre la fraude qui apparaissaient tout à la fois aussi efficaces et plus respectueuses de la protection de la vie privée des personnes.

En 2012, une loi proposée par deux sénateurs de droite a tenté de faire évoluer ce fichier TES, qui contenait alors les données biométriques d'environ 6,5 millions de personnes. Cette loi prévoyait de permettre expressément à la police de se servir dans la base de données pour pouvoir identifier des personnes lors de certaines enquêtes. Cette volonté de mise a disposition du fichier TES à la police a cependant été invalidée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a estimé que l'ampleur de la base de donnée qui contenait des données particulièrement sensibles, couplée avec la nouvelle possibilité technique et légale de permettre une identification par la police – qui n'avait rien à voir avec l'objectif initial de faciliter la délivrance des passeports – engendraient des atteintes trop graves aux libertés. Le Conseil craignait notamment que si ces techniques d'identification n'étaient pas limitées, elles « ne pouvaient […] qu'être vouées à se développer »1.

C'est surtout en 2016 que ce fichier a fait l'objet de critiques et d'attention médiatique. Le gouvernement Valls avait discrètement fait passer un décret créant un nouveau fichier TES au périmètre drastiquement différent. Désormais, il pouvait aussi contenir les données relatives aux cartes nationales d'identité2

Or, quasiment tous·tes les Français·es en possèdent une. De nombreuses institutions comme la CNIL, l'ANSSI, l'Inria ou le Conseil national du numérique avaient vertement critiqué ce choix, pointant les risques de la centralisation inédite d'informations liées à l'identité, et en particulier les données biométriques, de quasiment toute la population. Elles craignaient aussi bien les fuites de données que les attaques informatiques et les abus étatiques, d'autant que d'autres options moins attentatoires et décentralisées étaient possibles. Face aux critiques, il était notamment répété à l'envi qu'au grand jamais ce fichier ne pourrait servir à faire de l'identification.

Avec d'autres, nous avions attaqué le fichier devant le Conseil d'État, qui l'a néanmoins validé en 2018. Nous avons tout de même poursuivi le combat. En 2022, avec 15 248 personnes, nous avons déposé une plainte collective devant la CNIL pour dénoncer l'illégalité de ce fichier. L'instruction de cette plainte est toujours en cours et c'est dans le cadre de cette procédure que nous avons envoyé de nouveaux documents à la CNIL pour démontrer ce que nous craignions depuis l'origine : la police se sert allègrement dans le fichier TES.

Administrations et policiers main dans la main

Techniquement et légalement, un simple officier de police judiciaire ne peut pas avoir accès au fichier TES. Le décret de 2016 prévoit uniquement que certains agents individuellement nommés et « chargés des missions de prévention et de répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme » puissent le consulter. Pourtant, le ministère de l'Intérieur a laissé s'installer une pratique qui permet de contourner les interdictions d'accès aux données du TES, et ce, sans aucune restriction et pour n'importe quel type d'affaire.

Il s'appuie pour cela sur le mécanisme des « réquisitions » judiciaires prévu par le code de procédure pénale. Sur autorisation du procureur de la République, les officiers de police judiciaire peuvent exiger de toute entité publique ou privée de leur fournir les informations qu'elles possèdent et qui seraient utiles pour une enquête. C'est ainsi que la police peut, par exemple, récupérer les enregistrements de vidéosurveillance d'un magasin ou les données personnelles d'une personne précise que détiendrait une banque, la SNCF, un réseau social ou encore la CAF. Ces acteurs sont obligés de répondre sous peine d'une amende de 3 750 euros.

Aujourd'hui, nous pouvons démontrer que la police utilise ce pouvoir de réquisition abusivement auprès des administrations qui participent à la création et la délivrance des cartes d'identité ou passeports. Nous avons ainsi constaté des demandes des informations d'identité aux agent·es :

Des « Centres d'expertise et de ressources titres » (CERT). Les CERT sont les services chargés au sein d'une préfecture ou d'une sous-préfecture d'instruire les dossiers de demandes de titres.
De l'Agence nationale des titres électroniques (ANTS). C'est l'administration chargée de gérer le système informatique derrière les demandes et délivrances de cartes d'identité et passeports.

La police n'interroge donc pas directement le fichier TES. Concrètement, elle contourne l'interdiction qui lui est faite de piocher dans le fichier TES en adressant des réquisitions à ceux qui y ont accès. Détournant la procédure, elle s'arroge ainsi un pouvoir de consultation du fichier qui lui est normalement interdit.

Nous avions déjà entendu des témoignages en ce sens et cette pratique avait été pointée dans la brochure militante sur les moyens d'enquête dans l'affaire Lafarge Bouc-Bel-Air publiée en octobre 2023. Désormais, nous avons envoyé des preuves concrètes à la CNIL. Nous dénonçons ce détournement illégal afin que cette dérive cesse et que le ministère de l'Intérieur rende des comptes.

Des preuves accablantes

Ces éléments proviennent d'une affaire judiciaire clôturée où les procès-verbaux illustrent l'entêtement des policiers à vouloir identifier un individu à tout prix. N'arrivant pas à mettre un nom et un prénom sur une personne suspectée de rébellion (une qualification pénale par ailleurs régulièrement utilisée abusivement pour masquer des violences policières), les officiers de police judiciaire vont utiliser tous les moyens de surveillance à leur disposition, peu importe les exigences de proportionnalité.

Ils vont d'abord prendre une photographie de la personne à son insu dans le commissariat puis se servir du fichier TES pour confirmer son identité (que la personne n'a pas donnée, mais que les policiers présument). Les policiers vont donc exiger auprès d'un CERT des dossiers de demande de carte d'identité dans le but d'obtenir la photo de visage de la personne (voir les PV anonymisés), et récupèrent au passage tous les documents annexes, comme les justificatifs de domicile. Ils ne s'arrêtent pas là. Au cours de leur enquête, ils font également une demande auprès de l'ANTS pour récupérer des empreintes digitales (voir le PV). Sans jamais justifier ou motiver leur demande, ils exigent ainsi des administrations d'aller fouiller dans la base de données TES, et celles-ci répondent sans poser de question.

L'accès à ces données est lourd de conséquences car, dans cette affaire comme dans d'autres, c'est bien la photographie issue du TES qui, en étant comparée à l'image de vidéosurveillance du commissariat, permet d'identifier in fine la personne suspectée (voir le PV), ce qui est totalement contraire à ce pourquoi le fichier TES a été créé. Le constat est donc clair et accablant : les informations que nous fournissons pour faire notre carte d'identité ou notre passeport pourront être détournées et utilisées par la police dans des enquêtes, au mépris total de la loi.

Les limites du droit

Dans les observations que nous venons de transmettre (à lire ici) , nous rappelons qu'aussi bien le Conseil d'État que le Conseil constitutionnel ou la CNIL avaient formellement exprimé leurs craintes quant aux dérives potentielles de ce fichier. Ces institutions avaient exigé des limites et des garanties fortes afin de contenir ces risques et demandaient à ce que cette base de données soit exclusivement utilisée pour la délivrance des titres d'identité. Elles avaient toutes expressément déclaré ce fichier légal car il ne permettait pas, entre autres, d'identifier une personne.

Malgré cette unanimité, la pratique policière s'est installée, en contradiction totale avec l'esprit du cadre qui a créé le fichier TES. Cela démontre une fois de plus les limites, voire l'impuissance, du droit face aux obsessions de surveillance de l'État. Nous le constatons depuis toujours : dès que les autorités disposent d'une capacité d'obtenir des informations sur la population, cela leur brûle les doigts de l'utiliser pour identifier, contrôler, réprimer. Le soin de respecter les règles n'est alors que cosmétique, surtout quand il n'existe aucun contrôle effectif sur l'activité de la police, permettant ainsi à l'impunité de se propager.

Plutôt que d'empêcher un tel abus, c'est exactement le choix inverse qu'a fait le ministère de l'Intérieur en laissant prospérer ce détournement du fichier TES. Il l'a également volontairement facilité. En 2023, la loi de programmation dite « LOPMI » a assoupli le régime des réquisitions judiciaires, permettant « la remise de données relatives aux documents d'identité » sur la base d'une simple instruction générale (un mécanisme qui permet à un procureur de la République de délivrer une autorisation générale, et non circonstanciée, c'est-à-dire sans s'arrêter sur le cas d'espèce pour vérifier que la réquisition serait véritablement nécessaire à l'enquête et proportionnée). Si nous ne sommes malheureusement pas surpris, cet énième exemple témoigne du mépris de ceux qui nous gouvernent pour les droits fondamentaux et les principes démocratiques : tout est bon pour renforcer les techniques de surveillance et le fichage de la population.

S'attaquer au monstre

Le ministère de l'Intérieur doit être mis face à ses responsabilités et sanctionné. Le détournement et l'utilisation des données du fichier TES doivent être condamnées et doivent cesser immédiatement. Mais au-delà, il faut également comprendre que cet exemple est révélateur d'un phénomène plus large : celui de l'échange débridé et démesuré des données au nom du droit de « réquisition » (ou de « communication » quand il s'agit d'administrations fiscales ou sociales). En effet, ces pouvoirs généraux permettent à la police ou à d'autres institutions d'exiger des données pour une enquête pénale, fiscale ou administrative. C'est ainsi que, via cette prérogative, les organismes de sécurité sociale – CAF, Assurance Maladie… – peuvent récupérer le détail des comptes bancaires, ou que la police peut demander des factures d'électricité.

Or, cette possibilité très large de se voir transmettre des informations s'est construite sans prise en compte des règles de protection des données spécifiques à chaque traitement. Elle n'est guidée que par une logique d'efficacité supposée, réduisant le respect des droits fondamentaux à l'état de vulgaires obstacles à dépasser ou à contourner. Les limites et garanties propres à ces traitements de données sont, d'une certaine manière, écartées au nom du pouvoir de réquisition, ce qui rend difficile le constat d'abus ou de détournement. À l'heure ou tout est informatisé et où la quantité de données communicables est immense, il est nécessaire de questionner profondément ce mécanisme, source d'abus et d'excès.

Par-dessus tout, il faut continuer de combattre le système tentaculaire des fichiers administratifs et policiers. Celui-ci n'en finit pas de s'étendre, sans qu'aucun contrôle sur le travail de la police ne soit fait au quotidien. En effet, la démultiplication des outils facilite la collecte et l'accès aux données, permettant aux agents de rajouter des informations et de contrôler les personnes dans de plus en plus de situations. Cette capacité de surveillance est aujourd'hui devenue un monstre, avec plus d'une centaine de fichiers de police aux périmètres toujours plus larges. Les conséquences sont bien réelles pour les personnes qui s'y trouvent, celles-ci pouvant aussi bien se faire refuser un emploique recevoir uneobligation de quitter le territoire de par leur seule présence dans un fichier. En parallèle, la répression s'intensifie sur les personnes qui refuseraient de se soumettre au fichage, les mettant face à des poursuites et sanctions disproportionnées. Cette surveillance est un piège, auquel il semble de plus en plus difficile d'échapper.

Nous l'écrivions déjà en 2016 : « L'histoire nous rappelle combien la capacité à résister à des dérives autoritaires passe par la faculté d'échapper au contrôle étatique, notamment sur son identité. Les fichiers centralisés ne font pas les régimes autoritaires, mais tout régime autoritaire s'appuie sur un fichage de sa population ».

Ce combat, qui promet d'être long, est possible grâce à votre soutien. Nous espérons pouvoir le continuer pour les années à venir, alors n'hésitez pas à nous faire un don. Merci !

PDF

27.11.2025 à 08:00

BASF : Envahir leurs sites pour en finir avec l'empoisonnement des paysan.nes, des habitant.es et avec le colonialisme chimique

Lundi 17 novembre, à l'aube, des centaines de personnes et des tracteurs ont mis à l'arrêt le site de production de pesticides BASF de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Paysannes et paysans, victimes et parents de victimes des pesticides, riverains d'épandages et de captages d'eau intoxiqués, soignants : tout le monde avait de grosses raisons de venir bloquer la machine à empoisonner BASF et de s'introduire sur le site, quitte à en forcer le portail.

Lire la suite (354 mots)

Lundi 17 novembre, à l'aube, des centaines de personnes et des tracteurs ont mis à l'arrêt le site de production de pesticides BASF de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Paysannes et paysans, victimes et parents de victimes des pesticides, riverains d'épandages et de captages d'eau intoxiqués, soignants : tout le monde avait de grosses raisons de venir bloquer la machine à empoisonner BASF et de s'introduire sur le site, quitte à en forcer le portail.

☣️ Ce site incarne en effet parfaitement les dérives et l'impunité persistantes de l'industrie criminelle des pesticides : fabrication de substances hautement toxiques interdites en Europe, rejets massifs de polluants éternels dans la Seine, augmentation des cas de cancers chez les riverain·es, et lobbying brutal pour imposer un modèle agricole qui empoisonne les sols et les travailleurs et travailleuses de la terre.

Sur le site de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, BASF produit plus de 1 500 tonnes de pesticides par an et rejette régulièrement dans la Seine des substances classées parmi les « polluants éternels » (263 kilos en 3 jours en mai 2024 !). Sept associations proches du site accusent le groupe de rejets massifs et répétés de PFAS depuis 25 ans. Ces polluants s'accumulent dans les eaux et sont quasiment impossibles à éliminer.

✊ Alors aujourd'hui, nous avons décidé de riposter !

Une fois à l'intérieur et malgré la police, un groupe de faucheurs et faucheuses volontaires a pu s'immiscer à l'intérieur des locaux de production pour y mener une inspection afin de trouver des preuves de la production et du stockage de pesticides interdit.

[...]

PDF
6 / 11
 Persos A à L
Carmine
Mona CHOLLET
Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
Cory DOCTOROW
Lionel DRICOT (PLOUM)
EDUC.POP.FR
Marc ENDEWELD
Michel GOYA
Hubert GUILLAUD
Gérard FILOCHE
Alain GRANDJEAN
Hacking-Social
Samuel HAYAT
Dana HILLIOT
François HOUSTE
Tagrawla INEQQIQI
Infiltrés (les)
Clément JEANNEAU
Paul JORION
Michel LEPESANT
 
 Persos M à Z
Henri MALER
Christophe MASUTTI
Jean-Luc MÉLENCHON
MONDE DIPLO (Blogs persos)
Richard MONVOISIN
Corinne MOREL-DARLEUX
Timothée PARRIQUE
Thomas PIKETTY
VisionsCarto
Yannis YOULOUNTAS
Michaël ZEMMOUR
LePartisan.info
 
  Numérique
Blog Binaire
Christophe DESCHAMPS
Louis DERRAC
Olivier ERTZSCHEID
Olivier EZRATY
Framablog
Tristan NITOT
Francis PISANI
Irénée RÉGNAULD
Nicolas VIVANT
 
  Collectifs
Arguments
Bondy Blog
Dérivation
Économistes Atterrés
Dissidences
Mr Mondialisation
Palim Psao
Paris-Luttes.info
ROJAVA Info
 
  Créatifs / Art / Fiction
Nicole ESTEROLLE
Julien HERVIEUX
Alessandro PIGNOCCHI
Laura VAZQUEZ
XKCD
🌓