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04.10.2024 à 15:32

« Pour Sahra Wagenknecht, des relations pacifiées avec la Russie sont indispensables à la bonne santé économique de l’Allemagne »

Les élections régionales dans les Länder de Thuringe et de Saxe, situés dans l’Est de l’Allemagne, n’ont pas seulement marqué la montée en puissance du parti d’extrême droite AFD. Elles ont aussi révélé une recomposition à la gauche du Parti social-démocrate, avec la nouvelle prédominance de « l’Alliance Sahra Wagenknecht » (du nom de sa fondatrice), sur … Continued
Texte intégral (1061 mots)

Les élections régionales dans les Länder de Thuringe et de Saxe, situés dans l’Est de l’Allemagne, n’ont pas seulement marqué la montée en puissance du parti d’extrême droite AFD. Elles ont aussi révélé une recomposition à la gauche du Parti social-démocrate, avec la nouvelle prédominance de « l’Alliance Sahra Wagenknecht » (du nom de sa fondatrice), sur le parti « Die Linke », dont Wagenknecht était une des leaders, avant qu’elle n’en parte sur fond de divergences politiques fin 2023. Pour QG, l’économiste Bruno Amable, co-auteur de « L’Illusion du bloc bourgeois », professeur à l’université de Genève, met en avant quelques axes de la ligne économique de ce nouveau parti, notamment au sujet des PME et d’une politique « pacifiée » avec la Russie, au nom des intérêts supérieurs de l’industrie allemande, fortement fragilisée par la guerre russo-ukrainienne. Interview par Jonathan Baudoin

QG: Comment analysez-vous la percée de « l’Alliance Sahra Wagenknecht » (BSW) lors des élections régionales dans les Länder de Thuringe et de Saxe?

Bruno Amable: Sahra Wagenknecht a quitté Die Linke pour des questions de divergences politiques et organisationnelles. Au vu des résultats en Thuringe et en Saxe, il est clair qu’elle a capté une bonne partie de l’électorat qui votait auparavant pour Die Linke.

QG: Est-ce les prises de position de Sahra Wagenknecht sur la guerre russo-ukrainienne expliquent grandement la popularité de l’ancienne leader de Die Linke?

Grandement, c’est difficile à dire. Néanmoins, on peut dire en partie certainement. Elle se distingue de Die Linke sur les questions de politique étrangère comme celle que vous mentionnez, et sur les questions de politique intérieure, en lien avec l’immigration. Pour Sarha Wagenknech, l’établissement de relations pacifiées avec la Russie est indispensable à la bonne santé de l’industrie allemande, notamment à cause du gaz russe. Ce thème est à l’évidence important pour les salariés de l’industrie.

Sahra Wagenknecht a dynamité le système politique allemand, aux dires de « Die Spiegel », en fondant le parti BSW début 2024

QG: Au-delà de la question de l’immigration, qu’est-ce qui démarque l’ancienne leader de Die Linke de son ancien parti et du reste de la gauche allemande? Est-il question de l’euro dans son programme?

Elle ne parle pas beaucoup de l’euro. Les grandes lignes de son programme économique, c’est d’encourager l’innovation, la formation et les infrastructures. Elle condamne les pratiques anti-concurrentielles des grandes firmes mondialisées et loue les PME innovantes. Ce n’est pas vraiment un programme de gauche révolutionnaire mais elle est en faveur du renforcement de l’investissement public, de la redistribution, etc. Elle se distingue des Verts par son refus de faire reposer toute la politique énergétique sur les énergies renouvelables. Les thèmes environnementaux ne sont pas au premier plan pour elle.

QG: Ce qui est surprenant, car si on est un peu renseigné sur son parcours, on pourrait la considérer comme plus à gauche que Die Linke sur les questions économiques…

Pas vraiment. Sur le plan économique, elle est pour une sorte d’alliance entre le salariat et les PME et parle beaucoup des classes moyennes. Ce qui est finalement quelque chose de pas si radical que ça, et s’inscrit dans une certaine tradition allemande ordolibérale.

QG: Dans ce cas, serait-elle partisane d’un renforcement du modèle de cogestion à l’allemande?

Elle n’a pas tellement parlé de ça, même si elle n’est pas pour une remise en cause du modèle de cogestion. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, elle est plus axée sur le Mittelstand (entreprises de moins de 500 salariés, NDLR), qui n’est pas tellement concerné par la question de la cogestion. Néanmoins Wagenknecht demeure plus à gauche que le SPD sur le plan économique, c’est certain.

QG: Est-ce que BSW peut espérer faire des percées dans les Länder de l’Ouest, où la gauche radicale allemande est historiquement marginalisée, dans la perspective des élections fédérales prévues l’an prochain?

Je pense que c’est cela qu’elle espère. Die Linke, pour diverses raisons, marche relativement mal. BSW est en passe de remplacer Die Linke dans les Länder de l’Est. Dans l’élection du Land de Brandebourg, la progression a été spectaculaire aussi. Pour ce qui est de l’ouest, les résultats de l’élection européenne étaient encourageants. Le score a été plus faible qu’à l’est, 4% contre 14%, mais BSW a fait plus à l’ouest que Die Linke lors de l’élection de 2019. Si on additionne les scores de BSW et Die Linke, la progression à l’ouest entre les deux élections européennes est de presque 75%.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Bruno Amable est économiste, professeur à l’université de Genève (Suisse). Il est l’auteur de : Le Néolibéralisme (PUF, 2023), Où va le bloc bourgeois ? (avec Stefano Palombarini, La Dispute, 2022), La résistible ascension du néolibéralisme (La Découverte, 2021), L’Illusion du bloc bourgeois (avec Stefano Palombarini, Raisons d’Agir, 2017), L’économie politique du néolibéralisme (Presses de l’École normale supérieure, 2012), Les cinq capitalismes (Seuil, 2005)

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