30.10.2024 à 06:00
Khadija Mohsen-Finan
Au Sahara occidental se déroule un des derniers conflits de décolonisation. En 1973, alors que ce territoire est encore occupé par l'Espagne (1884-1976), le Front Polisario, un mouvement politique et armé, est créé pour lutter contre l'Espagne, avant de s'opposer au Maroc et à la Mauritanie. Il dit agir au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) reconnue par l'Union africaine (UA). Le Maroc revendique ce territoire de (…)
- Va comprendre ! / Algérie, Maroc, Histoire, Sahara occidental, Front Polisario, Colonisation, Décolonisation, Conflit du Sahara occidentalAu Sahara occidental se déroule un des derniers conflits de décolonisation. En 1973, alors que ce territoire est encore occupé par l'Espagne (1884-1976), le Front Polisario, un mouvement politique et armé, est créé pour lutter contre l'Espagne, avant de s'opposer au Maroc et à la Mauritanie. Il dit agir au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) reconnue par l'Union africaine (UA).
Le Maroc revendique ce territoire de longue date. Au milieu des années 1970, et alors qu'il est confronté à la revendication indépendantiste du Front Polisario, le roi Hassan II est très affaibli par deux coups d'État perpétrés par l'armée en 1971 et 1972. Il décide de faire ce qu'il appelle la « récupération des provinces du sud », une cause nationale lui permettant l'union de tous les Marocains autour de son trône. Le pouvoir mobilise 350 000 personnes qui marchent pacifiquement sur le Sahara que les Espagnols viennent de quitter : c'est « la Marche verte » (6 novembre 1975). Grâce à elle, Hassan II fait taire son opposition, s'empare pacifiquement du territoire contesté. Il s'entend avec l'Espagne et la Mauritanie sur le partage de cette ancienne colonie, et signe les accords de Madrid (14 novembre 1975), qui seront ratifiés par le parlement espagnol, mais jamais reconnus par les Nations unies.
En 1975, l'Algérie bouscule ces arrangements en décidant de soutenir le Front Polisario. Alger dit agir au nom du droit à l'autodétermination, mais sa rivalité avec Rabat est ancienne. Les deux pays sont divisés par la question de leur frontière tracée par la France du temps de la colonisation et qui a généreusement avantagé l'Algérie.
Dès lors, deux conflits s'enchevêtrent, un conflit de décolonisation et un autre qui oppose Alger à Rabat. Tandis que le Maroc revendique les « droits historiques » pour définir son territoire matérialisé par la carte du « Grand Maroc », dessinée en 1956, l'Algérie estime que son territoire a été obtenu par le sang des martyrs de la guerre d'indépendance. Dans leur affrontement, Alger et Rabat instrumentalisent la question du Sahara occidental.
Aujourd'hui, Rabat administre 80 % de ce territoire contesté et considéré comme non autonome par l'ONU. De son côté, Alger soutient, héberge, et finance le Front Polisario et les réfugiés sahraouis. Les deux grands États du Maghreb s'affrontent par Sahraouis interposés, contribuant à rendre inextricable la décolonisation de l'ancienne colonie espagnole.
L'Organisation des Nations unies (ONU), qui se voit confier le règlement du conflit en 1991, échoue à appliquer un règlement consistant à mettre en place un plan d'autonomie d'une durée de cinq ans, avant que les populations concernées puissent s'exprimer par voie référendaire. La difficulté consiste à définir le corps électoral, puisque Rabat a encouragé nombre de Marocains à s'installer dans le territoire.
Le Front Polisario s'est engagé récemment dans une bataille juridique contre l'exploitation et la commercialisation des ressources naturelles du Sahara par le Maroc. Tandis que Rabat a usé de son soft power pour amener le plus grand nombre d'États à reconnaître ce que le Maroc appelle la « marocanité » du Sahara. En décembre 2020, sa stratégie est couronnée de succès avec la signature d'un accord entre le Maroc et les États-Unis qui stipule que Rabat normalise ses relations avec Tel-Aviv en contrepartie de la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Le pays bénéficie désormais d'un double parrainage, israélien et américain, qui lui permet de disposer de ressources stratégiques l'aidant à s'affirmer comme une puissance régionale importante. Dans la foulée, Rabat incite les capitales européennes à accepter ce que l'ONU ne lui a pas donné, c'est-à-dire sa souveraineté sur ce territoire. Il utilise tous les moyens, y compris une diplomatie du chantage, la rupture des relations diplomatiques et commerciales, le contrôle des flux migratoires, etc. Berlin et Madrid ont été les premiers à céder.
La France a longtemps hésité. L'ancienne puissance coloniale des pays du Maghreb a essayé une politique d'équilibre, inscrivant ce conflit de décolonisation dans le temps long et se référant aux options qu'offre le droit international, même si elle avait appuyé le plan d'autonomie du Sahara proposé par le Maroc en 2007.
Le changement de cap s'est opéré le 30 juillet 2024, lorsque, par une lettre adressée au roi Mohamed VI, le président Emmanuel Macron précise que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce changement semble dicté par des intérêts économiques et stratégiques sur le court terme. C'est évidemment une victoire pour le soft power marocain, qui reflète aussi l'affaiblissement de l'Algérie, au plan interne et au niveau régional.
Alors qu'elle était un pays clé du mouvement des non-alignés dans les années 1970, dont la puissante diplomatie avait été capable de conduire de délicates négociations, notamment entre les États-Unis et l'Iran (1979-1981), l'Algérie se cherche aujourd'hui un rôle. En août 2023, elle échouait à rejoindre le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Elle peine à rajeunir une diplomatie et à freiner une perte d'influence que l'on a pu observer, notamment en Libye ou au Sahel.
Sur le Sahara occidental, l'Algérie partage avec le Maroc le fait de considérer ses interlocuteurs en fonction de leur positionnement sur ce dossier. Au fil des ans, alors que le Maroc abandonnait l'option référendaire, Alger s'est arc-boutée sur le principe d'autodétermination, rendant impossible toute négociation sur une sortie de crise. Le conflit s'en est trouvé gelé ce qui est préjudiciable aux Sahraouis d'abord, à l'ensemble des Maghrébins ensuite, dans la mesure où elle empêche l'intégration de la région. Désormais, l'Algérie perçoit la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui ajoute à la crispation et éloigne un peu plus le règlement de la question du Sahara occidental.
30.10.2024 à 06:00
Jean Stern
Partant de la lutte des ouvriers immigrés de l'automobile au début des années 1980, Joseph Paris raconte dans Le Repli la montée du racisme et des discours sécuritaires en France. Un temps porte-parole du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), militant des droits humains, ancien pilote d'avion ayant vécu dans le Golfe et aux États-Unis, Yasser Louati est le fil rouge de ce documentaire habile qui sort aujourd'hui sur les écrans. Le repli est un film en apesanteur, comme nous (…)
- Lu, vu, entendu / France, Racisme, Documentaire, Attentat, Islamophobie, État d'urgencePartant de la lutte des ouvriers immigrés de l'automobile au début des années 1980, Joseph Paris raconte dans Le Repli la montée du racisme et des discours sécuritaires en France. Un temps porte-parole du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), militant des droits humains, ancien pilote d'avion ayant vécu dans le Golfe et aux États-Unis, Yasser Louati est le fil rouge de ce documentaire habile qui sort aujourd'hui sur les écrans.
Le repli est un film en apesanteur, comme nous sommes nombreux à l'être, sidérés par l'ampleur qu'ont prise ces dernières années, dans l'espace public, les discours racistes, et par les tours de vis sécuritaires amorcés par Nicolas Sarkozy, amplifiés par François Hollande — et ses premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve — et poursuivis par Emmanuel Macron. En apesanteur d'abord, parce que son réalisateur filme Paris comme rarement : du ciel, des trottoirs des boulevards, dans un noir et blanc d'inquiétude, hommage à la fois sombre et éclairant à l'esprit de la capitale, fait de rébellion, de résistance, mais aussi d'une exceptionnelle liberté de ton que de nombreux régimes ont tenté en vain d'étouffer depuis la Restauration, il y a plus de deux siècles.
Le film est en apesanteur ensuite par sa forme documentaire à la mise en scène soignée, mix d'archives documentaires, d'interviews fouillées d'observateurs comme Mireille Delmas Marty, Abdellali Hajjat ou Thomas Deltombe et d'images flashs, papiers déchirés, dessins à l'encre de Chine, comme autant de brisures graphiques. Son réalisateur Joseph Paris a également fait le choix de mettre l'humain au cœur du discours politique qui structure le film. Le militant Yasser Louati en est le fil rouge, à la fois témoin et acteur. Lui-même semble parfois en apesanteur.
C'est une douleur extrême dont témoigne, dans le film, Yasser Louati sur la promenade des Anglais, aux côtés de proches de victimes de l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016, qui a fait 83 morts, dont de nombreux musulmans.
Yasser, aujourd'hui âgé de 44 ans, bel homme toujours tiré à quatre épingles, aimant porter un chapeau qui lui donne fière allure, a émergé sur la scène publique dans les jours qui ont suivi les attaques du 13 novembre 2015. Il est alors porte-parole du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF, dissous par Gérald Darmanin en 2020), et est sollicité par CNN pour une interview. C'est le petit matin sur la place de la République, où le plateau improvisé de la chaîne américaine est installé. Les journalistes veulent obtenir de Yasser Louati son avis sur la « responsabilité » de la communauté musulmane française dans les attentats, perpétrés « par des individus issus de vos rangs ». « Ils ne sont pas de nos rangs, riposte Louati, qui parle parfaitement anglais. Notre camp est le camp français, n'ayez aucun doute là-dessus ». Les journalistes américains insistent, l'un demande pourquoi « personne n'a rien dit ». Les musulmans complices, et complices honteux, ne devraient pas « se dérober ».
Le parcours et les engagements de Yasser Louati témoignent de ce paradoxe français. Ce pays, nourri d'intégration, se désagrège à cause d'une sombre haine qui a d'abord ciblé les travailleurs immigrés puis, petit à petit, l'ensemble des musulmans. « Comment cela se fait que les terroristes nous ont vus comme un ensemble, mais que nous on a commencé à se regarder les uns les autres et à se pousser l'un l'autre ? », demande le militant quelques jours après les dramatiques attentats des terrasses parisiennes et du Bataclan. Pourquoi la France est-elle incapable « de se voir comme un nous », avec ses enfants de toutes origines, races, religions, origines sociales ?
Cet ensemble — la France et les Français — est plus fracturé que jamais. Le racisme a permis le recul des libertés publiques en France. Me Henri Leclerc, récemment disparu, décrivait avec lucidité « une lente sortie de l'état de droit ».
Le repli la raconte, remonte ses racines, et incarne sa réalité. La rencontre entre le cinéaste et le militant, entre Joseph Paris et Yasser Louati, permet de mieux comprendre le repli identitaire de la France, qui remonte au début des années Mitterrand. Joseph Paris raconte :
Yasser s'est imposé comme personnage parce qu'il a un vécu et une analyse de ce qu'il vit, et il voulait parler, pas seulement d'une communauté, mais de la société tout entière. Il s'exprime sur les chaînes étrangères, comme CNN. Il se rend au cœur du dispositif médiatique qui broie. Tout le sujet du film touche à des domaines dont j'étais ignorant. J'ai fait mes propres recherches, mais Yasser m'a servi de boussole.
Le jeune homme, qui a fondé et animé après son passage au CCIF le Comité justice et libertés (CJL), est un véritable gamin de Paris, un titi parisien, qui a grandi entre le Quartier latin et le Val-de-Marne. Ses parents sont des gens modestes, couturière pour sa mère et électricien pour son père, venus comme bien d'autres d'Afrique du Nord. Il raconte drôlement ses souvenirs de l'école primaire et publique de la rue Littré, celle-là même que dénigrera plus tard dans un mensonge aussi minable qu'indigne l'ancienne ministre de l'éducation nationale Amélie Oudéa Castera1. Louati se passionne pour la Commune de Paris et admire Jules Vallès, dont l'ex-ministre ignore sans doute jusqu'au nom. Le magnifique auteur d'une trilogie romanesque, L'Enfant, Le Bachelier et L'Insurgé sera, avec son journal Le cri du peuple, le porte-voix de l'anarchisme et l'une des figures de la Commune. Les héros de Yasser se nomment également Malcom X ou Vaclav Havel, deux personnalités qui ont mis « l'intégrité et le courage » au cœur de leur engagement.
Louati quittera la France pour poursuivre des études de pilotage au Texas, et prendra les commandes d'avions aux États-Unis et dans le Golfe. De retour au bercail, il retient de son expérience professionnelle internationale la certitude que quelque chose « ne tourne pas rond » dans notre pays. « J'ai une biographie personnelle à la croisée de Paris et de la banlieue, de l'Afrique du Nord et de la France, des États-Unis et de l'Europe. Cela va structurer ma pensée politique. » Pour analyser la spécificité de son engagement, ils vont remonter, avec Joseph Paris, aux grandes grèves des ouvriers de l'automobile, notamment chez Talbot dans les années 1980-1983.
Gaston Defferre, alors ministre socialiste de l'intérieur est également maire de Marseille. Dans sa ville, de nombreux immigrés maghrébins sont assassinés dans les années 1970, et l'extrême droite s'implante considérablement dans les années 1980. Il est l'un des premiers hommes politiques, en compagnie du Premier ministre Pierre Mauroy, à stigmatiser les travailleurs immigrés comme musulmans, à faire croire que les grévistes de l'automobile veulent des salles de prière et pas des augmentations de salaire…2
Cette stigmatisation de la religion est alors propre à la gauche, et connaît son apogée avec les polémiques puis les lois sur le port du voile à l'école, largement provoqués par des militants socialistes, communistes et trotskistes. Ce n'est pas le cas, à l'époque, de l'extrême droite. Pour Jean-Marie Le Pen, qui est entouré de catholiques intégristes et de néonazis laïcs, la religion n'est pas un problème. Le problème, c'est l'Arabe, l'immigré. C'est la gauche qui va mettre la question religieuse sur la table, et la portera à son paroxysme. C'est cette gauche qui initiera plus tard une partie des projets les plus liberticides sur les libertés publiques, en particulier la prolongation de mesures d'état d'urgence dans le droit commun.
Le film s'achève sur une interrogation : « Est-ce que l'on pourra faire face ? ». Louati évoque avec nous l'une de ses figures de jeunesse, DJ Mehdi. Il admire ce génie de la musique hip-hop, figure d'une France créative, mosaïque et généreuse. Le documentaire qui lui est consacré — DJ Mehdi est mort en 2011 à 34 ans — fait actuellement un tabac sur Arte3. On peut y voir, avec Yasser Louati, une forme d'encouragement.
Le Repli
Documentaire de Joseph Paris
97 minutes
Sortie le 30 octobre 2024.
1NDLR. Critiquée pour avoir scolarisé ses enfants à l'établissement privé très conservateur Stanislas, Oudéa Castera avait justifié sa décision en raison « des paquets d'heures pas remplacées » à l'école de la rue Littré, où son aîné était inscrit.
2NDLR. Il en sera de même lors du Congrès du Parti socialiste en 2003 : « Paralysé par ses divisions, aphone sur les retraites, coupé du mouvement enseignant, le Parti socialiste se réunit en congrès à Dijon au mois de mai 2003. Son numéro deux, Laurent Fabius, consacre l'essentiel de son discours à… la laïcité. », in Alain Gresh, L'islam, la République et le monde, Pluriel, 2014.
3DJ Mehdi : Made in France, documentaire en six épisodes réalisé par Thibaut de Longeville, 2024.
29.10.2024 à 06:00
Chris den Hond
Rojava sous les bombes. 2024 - YouTube Une nouvelle séquence de discussions sur la question kurde semblait se profiler en Turquie mi-octobre 2024, mais une nouvelle pluie de sang a frappé la région. Le 23 octobre, une attaque armée revendiquée par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), devant le siège de Turkish Aerospace Industries (Tusas) à proximité d'Ankara, a fait sept morts, dont les deux assaillants, et vingt-deux blessés. L'armée turque a répondu par une série (…)
- Magazine / Syrie, Turquie, Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Kurdes, Vidéo, Rojava, Organisation de l'État islamique (OEI)Une nouvelle séquence de discussions sur la question kurde semblait se profiler en Turquie mi-octobre 2024, mais une nouvelle pluie de sang a frappé la région.
Le 23 octobre, une attaque armée revendiquée par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), devant le siège de Turkish Aerospace Industries (Tusas) à proximité d'Ankara, a fait sept morts, dont les deux assaillants, et vingt-deux blessés.
L'armée turque a répondu par une série de frappes sur le Rojava (le nord et l'est de la Syrie). Ces frappes visaient des infrastructures vitales et ont fait vingt-deux morts et quarante blessés.
Cette vidéo, tournée en mai 2024, montre les premiers bombardements en 2023 et début 2024. Les mêmes sites ont été bombardés en octobre 2024.