23.10.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(New York) – Les talibans ont fortement affaibli les médias afghans depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays en août 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ils ont soumis les organes de presse encore opérationnels à la surveillance et à la censure, et ont sanctionné les journalistes ainsi que d’autres professionnels des médias pour tout commentaire perçu comme critique. Les journalistes afghans en exil qui ont fui la persécution de la part des talibans sont désormais confrontés à des menaces croissantes de retour forcé en Afghanistan, où ils craignent des représailles.
La liberté des médias a décliné dans tout l’Afghanistan au cours des quatre dernières années, sous le régime des talibans. Des sources médiatiques ont indiqué que l’agence de renseignement des talibans surveille tous les contenus, et que la « police des mœurs » veille à ce que le personnel des organes de presse respecte les codes vestimentaires prescrits et autres réglementations. Les autorités locales appliquent les règles officielles de manière arbitraire, ce qui entraîne des degrés de censure variables selon les provinces. Les restrictions sévères imposées aux femmes par les talibans ont entraîné une forte baisse du nombre de femmes journalistes dans le pays.
« Les autorités talibanes obligent de plus en plus les journalistes en Afghanistan à rédiger des articles “sûrs” et préapprouvés, et punissent celles et ceux qui ne respectent pas les règles par des arrestations arbitraires et des actes de torture », a déclaré Fereshta Abbasi, chercheuse sur l'Afghanistan auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « Tous les journalistes afghans ont été touchés et beaucoup ont fui le pays, mais ce sont les femmes journalistes qui ont été parmi les plus durement affectées. »
Human Rights Watch a mené 18 entretiens à distance avec des journalistes afghan-e-s en Afghanistan et 13 entretiens en personne avec des journalistes en exil vivant en Turquie, ainsi qu'avec des organisations afghanes d'aide aux réfugiés. Ces entretiens ont été menés principalement en août 2025. Les journalistes ont décrit les situations difficiles en Afghanistan et les défis croissants auxquels sont confrontées les personnes exilées dans les pays de l'Union européenne, en Turquie et aux États-Unis.
Les journalistes accusés par les talibans de travailler avec des médias en exil ou d’avoir des contacts avec des groupes d’opposition sont exposés au risque de détention, de violents passages à tabac et de menaces de mort. Un journaliste ayant été détenu a indiqué que des responsables talibans lui avaient déclaré : « Nous pouvons vous tuer, et personne ne peut même nous demander pourquoi. »
Le ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la prévention du vice (PVPV) inspecte régulièrement les bureaux des médias. Des agents ont arrêté des professionnels des médias pour violation de la loi du ministère sur la séparation des espaces de travail entre hommes et femmes, l'interdiction de diffuser des voix de femmes ainsi que la diffusion de musique à la télévision et à la radio.
Peu après août 2021, le Centre d'information et de médias des talibans a annoncé « 11 règles » pour les médias, notamment l'interdiction de diffuser ou de publier tout contenu « contraire à l'islam », « insultant à l’égard de personnalités nationales » ou « portant atteinte à la vie privée ». Les journalistes sont tenus de fournir des informations « équilibrées » et de « ne publier que la vérité », mais ces règles ne prévoient aucun critère d'interprétation de ces termes. La formulation vague permet des interventions arbitraires de la part des autorités à tous les niveaux.
Les autorités talibanes examinent les rapports avant publication et censurent tout ce qu'elles jugent avoir « un impact négatif sur l'attitude ou… le moral du public ». « Ils nous disent : “Faites attention à ne pas nous nuire avec vos reportages” », a déclaré un journaliste. « Si vous le faites, vous aurez des ennuis. »
Les talibans ont fortement restreint la représentation des femmes dans les programmes diffusés, interdisant aux médias de diffuser des feuilletons et des séries mettant en scène des femmes. Ils ont également exigé le port du hijab pour les femmes employées par des médias.
En vertu de la Loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice, promulguée en août 2024, des inspecteurs vérifient que le contenu des médias est conforme à la charia (loi islamique) et ne contient pas d'images d'êtres vivants.
En raison de ces restrictions, les journalistes s'autocensurent régulièrement et limitent souvent leurs reportages aux événements officiels, tels que les cérémonies de remise de prix, les visites diplomatiques et les projets de développement. Le fait de ne pas couvrir les événements officiels peut entraîner des réprimandes, des menaces et, dans certains cas, la détention. Un journaliste basé à Kaboul a déclaré avoir été arrêté à deux reprises pour ne pas avoir couvert de tels événements.
Un autre journaliste a indiqué que le porte-parole des autorités provinciales l'avait appelé pour lui demander d'assister à une journée de remise des diplômes de la police. « Je n'y suis pas allé, car ce n'était pas digne d'intérêt médiatique », a-t-il expliqué. « Le lendemain, ils m'ont déclaré : “ Vous n’avez plus le droit de faire des reportages”. »
Les professionnels des médias qui ont fui l'Afghanistan vers d'autres pays vivent dans la précarité en exil, dans la crainte d'être renvoyés de force en Afghanistan et d'y être persécutés.
Les pays qui accueillent des réfugiés afghans devraient maintenir leur position selon laquelle l'Afghanistan est un pays dangereux pour les retours et garantir le respect absolu du principe de non-refoulement, qui interdit de renvoyer des personnes vers des situations dangereuses. La situation des droits humains en Afghanistan n'a cessé de se détériorer depuis le retour au pouvoir par les talibans.
« L'oppression des médias par les talibans s'est intensifiée, alors même que le besoin de médias indépendants en Afghanistan ne fait que croître », a conclu Fereshta Abbasi. « Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les autres pays qui s’étaient engagés à faciliter la réinstallation d’Afghans devraient renforcer leur soutien aux journalistes afghans en danger, et cesser toutes les expulsions vers ce pays. »
Suite détaillée en anglais, comprenant des témoignages de journalistes afghan-e-s menacé-e-s.
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22.10.2025 à 22:10
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les autorités du Burkina Faso devraient enquêter d’urgence sur le sort de six magistrats et d’un avocat qui auraient subi des disparitions forcées et rendre leurs conclusions publiques, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Les enlèvements de ces magistrats et de cet avocat depuis le 10 octobre 2025 pourraient constituer des disparitions forcées et des enrôlements illégaux dans les forces armées. Leurs cas, ainsi que ceux de quatre journalistes qui ont été détenus puis libérés entre le 13 et le 18 octobre, semblent liés à une vague de répression menée par la junte militaire burkinabè contre le pouvoir judiciaire et les médias.
« La situation des droits humains au Burkina Faso est de plus en plus marquée par des enlèvements, des arrestations arbitraires et des disparitions forcées de détracteurs de la junte et d’activistes, ainsi que par des enrôlements illégaux dans l’armée », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « La junte militaire devrait localiser d’urgence les sept personnes disparues, fournir des informations à leur sujet, et les libérer si elles sont détenues sans avoir été inculpées de manière crédible d'une infraction. »
Plusieurs médias et sources bien informées consultés par Human Rights Watch ont rapporté qu'entre le 10 et le 15 octobre, des hommes en civil ont enlevé les magistrats Urbain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana, Moussa Dianda et Alban Somé à leurs domiciles à Ouagadougou, la capitale. Le 13 octobre, Arnaud Sempebré, un avocat, a également été porté disparu.
Ubrain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana et Moussa Dianda travaillaient tous à la Cour d'appel de Ouagadougou, tandis qu’Alban Somé travaillait au Tribunal de première instance de Ouagadougou.
Tous les magistrats ainsi que l'avocat avaient travaillé sur une affaire qui durait depuis trois ans, dans laquelle des commerçants et des douaniers avaient été accusés de contrebande de carburant au profit de groupes armés islamistes. Un collègue des magistrats ainsi que d'autres sources locales ont déclaré que ces enlèvements ont fait suite à une décision rendue en juillet par la Cour d'appel de Ouagadougou qui avait confirmé le verdict du Tribunal de première instance de ne pas poursuivre la procédure pénale. Arnaud Sempebré, l’avocat, représentait les individus acquittés dans cette affaire.
Le barreau burkinabè a déclaré le 20 octobre avoir officiellement demandé des informations sur le sort d’Arnaud Sempebré, en vain. Le barreau a également appelé à sa libération immédiate.
Les médias et les réseaux sociaux ont rapporté que le 20 octobre, des hommes non identifiés avaient enlevé Jean-Jacques Wendpanga Ouedraogo , ancien procureur général de la Cour d'appel de Ouagadougou. Selon les réseaux sociaux, il aurait été libéré le lendemain. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier cette information de manière indépendante. En août 2023, Jean-Jacques Ouedraogo avait ordonné la mise en détention d'Amsétou Nikiéma, connue sous le nom d'Adja, une guérisseuse traditionnelle qui serait proche de l'armée, et qui avait été inculpée pour coups et blessures, entre autres infractions.
Un membre de l’appareil judiciaire burkinabè s'est dit préoccupé par la possibilité que les personnes enlevées l’aient été en guise de punition pour la décision rendue dans l'affaire de contrebande. « Depuis trois ans, les membres des services de renseignement sulfureux enlèvent des détracteurs en toute impunité », a-t-il déclaré.
La junte a déjà pris pour cible des magistrats, selon Human Rights Watch. Dans un discours prononcé en juillet 2024, le chef de la junte, Ibrahim Traoré, a vivement critiqué le secteur judiciaire, attaquant juges et procureurs en accusant certains d’être « corrompus », « vendus » et des « escrocs », et dénonçant les syndicats du secteur judiciaire qui s'étaient publiquement opposés à une modification du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme, lancée en 2023, confère au Conseil le pouvoir de nommer les procureurs, mais uniquement sur recommandation du ministre de la Justice. Les syndicats s'étaient opposés à cette réforme, affirmant qu'elle porterait atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire et placerait les procureurs sous l'influence du pouvoir exécutif.
« Nous avons un sérieux problème [avec le secteur judiciaire] », avait alors déclaré Ibrahim Traoré. « Nous avons entamé des réformes... certains ont tenté de boycotter tout ce qu’ils peuvent mais... avec ou sans eux nous allons avancer. La bataille [contre les magistrats] sera lancée. »
En août 2024, la junte a illégalement enrôlé sept magistrats dans l'armée, abusant d'une loi d'urgence de 2023. À l'époque, une coalition de trois syndicats du système judiciaire avait réagi avec un communiqué et condamné ces réquisitions comme des « actes d'humiliation et d'intimidation des magistrats ».
Depuis le coup d'État militaire d'octobre 2022, la junte burkinabè a intensifié sa répression contre la dissidence pacifique, l'opposition politique et les médias, réduisant ainsi l'espace civique dans le pays. Les forces de sécurité ont arbitrairement arrêté, détenu, fait disparaître de force et enrôlé illégalement des dizaines de journalistes. Certains d'entre eux ont été libérés, tandis que d'autres sont toujours portés disparus, tel que le journaliste d'investigation Serge Oulon.
Les médias locaux et internationaux ainsi que organisations non gouvernementales ont rapporté qu'entre le 13 et le 16 octobre, des membres des services de renseignement ont arrêté Michel Wendpouiré Nana, rédacteur en chef adjoint du journal Le Pays, Ousséni Ilboudo et Alain Zongo, respectivement directeur des rédactions et rédacteur en chef du journal L' Observateur Paalga, et Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana, directeur de publication du journal Aujourd'hui au Faso.
Les autorités les ont libérés entre le 14 et le 18 octobre. Les raisons de leur arrestation n'ont pas été révélées. Fin septembre, Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana avait participé à une interview avec Ibrahim Traoré. Un activiste burkinabè avait partagé la transcription de l'interview sur les réseaux sociaux avant qu'elle ne soit diffusée à la télévision nationale, ce qui fait craindre que Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana ait été arrêté à la suite de cette fuite.
Le Burkina Faso est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les disparitions forcées sont définies par le droit international comme l'arrestation ou la détention d'une personne par des agents de l'État ou leurs représentants, suivie du refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler le sort ou le lieu où se trouve la personne.
« Des tribunaux indépendants et des médias libres sont essentiels pour contrôler le pouvoir du gouvernement », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités burkinabè devraient immédiatement cesser toute ingérence dans le système judiciaire, veiller à ce que les magistrats puissent exercer leurs fonctions sans crainte et mettre fin au harcèlement des journalistes et des médias. »
22.10.2025 à 15:55
Human Rights Watch
Le 14 octobre, la presse a révélé que les forces russes ont mené une attaque par drones contre un convoi interagence des Nations Unies qui acheminait de l’aide humanitaire à Bilozerka, dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Le lendemain, une chaîne Telegram affiliée à l’armée russe a diffusé une vidéo de l’attaque, afin que le monde entier puisse la voir.
Click to expand Image Une colonne de fumée noire s’élevait au-dessus d’un camion du Programme alimentaire mondial (World Food Programme, WFP), frappé par un drone russe près de la ville de Bilozerka située dans la région de Kherson en Ukraine, le 14 octobre 2025. Ce camion faisait partie d’un convoi de quatre véhicules des Nations Unies qui tentait d’acheminer de l'aide humanitaire aux habitants de Bilozerka. © 2025 Oleksandr Prokudin/Administration militaire régionale de KhersonAprès avoir passé la majeure partie de l'année à enquêter sur des attaques similaires menées par des drones russes dans la région de Kherson, à discuter avec des survivants et à analyser des centaines de vidéos comme celle-ci, tournée à Bilozerka, j'ai à nouveau été choqué mais pas surpris.
L'armée russe utilise ces drones quadricoptères équipés de caméras permettant aux opérateurs de voir leurs cibles en temps réel, pour mener une campagne brutale et dévastatrice dans la région de Kherson. Chaque mois, des centaines de civils sont tués ou blessés : des habitants dans leurs foyers, des agriculteurs en plein travail, des équipes médicales en intervention, ou encore des travailleurs humanitaires tentant de venir en aide aux plus démunis.
Dans son dernier rapport mensuel, la Mission de surveillance des droits de l'homme de l’ONU en Ukraine a signalé que les drones à courte portée, similaires à ceux utilisés lors de l'attaque contre le convoi, demeurent la principale cause de pertes civiles dans les zones proches de la ligne de front. En septembre, ils ont fait 54 morts et 272 blessés.
Moins de 24 heures après l'attaque du convoi humanitaire, une vidéo de 4 minutes filmée par l'un des drones a été diffusée sur des chaînes Telegram affiliées à l'armée russe. On y voit en détail comment des opérateurs russes ont piloté au moins trois drones équipés d'explosifs, frappant deux camions d'aide humanitaire clairement identifiés comme appartenant à l'ONU.
Selon une déclaration du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, aucun travailleur n'a été blessé, mais deux des quatre camions ont été endommagés et incendiés.
Click to expand Image Deux images extraites d’une vidéo filmée le 14 octobre 2025 par des drones russes près de la ville de Bilozerka dans la région de Kherson en Ukraine, et diffusée le lendemain par une chaîne Telegram russe. Ces images montrent l’attaque russe contre un convoi de quatre camion des Nations Unies qui tentait d’acheminer de l'aide humanitaire aux habitants de Bilozerka. Les camions de l’ONU étaient clairement identifiables grâce aux initiales UN et WFP (World Food Programme - Programme alimentaire mondial). © 2025 TelegramLes opérateurs russes des drones savaient qu'ils visaient un convoi de l'ONU. Le fait qu'ils aient partagé la vidéo pour que tout le monde puisse la voir indique qu'ils ne pensent pas avoir à en subir les conséquences.
Ils ne devraient pas compter là-dessus. La Cour pénale internationale (CPI), les autorités ukrainiennes et les autorités nationales d'autres pays enquêtent actuellement sur les crimes de guerre et autres atrocités commis en Ukraine. La CPI a émis des mandats d'arrêt contre six hauts responsables russes, dont le président Vladimir Poutine.
Alors que la Russie, les États-Unis et d’autres pays qui craignent que ses dirigeants soient un jour tenus responsables par la Cour tentent d’en saper l’autorité, cette attaque flagrante et illégale devrait rappeler aux gouvernements leur responsabilité de défendre la justice et les institutions qui la garantissent.