18.01.2025 à 00:00
Human Rights Watch
Le 14 janvier, une éminente activiste et ancienne présidente de l’Instance de la vérité et de la dignité en Tunisie, Sihem Bensedrine, a entamé une grève de la faim dans la prison de la Manouba où elle est détenue. « Je ne supporterai pas davantage l’injustice qui me frappe. La justice ne peut être fondée sur les mensonges et les calomnies, mais sur des éléments de preuve concrets et tangibles », a-t-elle déclaré dans un message relayé par ses avocats.
Cela fait quatre décennies que Sihem Bensedrine lutte contre les abus des gouvernements tunisiens qui se sont succédé. Elle avait déjà été emprisonnée lorsque les anciens présidents Habib Bourguiba et Ben Ali étaient au pouvoir. C’est à présent sous la présidence autoritaire de Kais Saied qu’elle est privée de liberté, pour une affaire qui relève clairement des représailles pour son travail de défense des droits humains.
Un juge a ordonné la détention de Sihem Bensedrine le 1er août 2024, en lien avec le poste de présidente de l’Instance vérité et dignité qu’elle a occupé de 2014 à 2018. Elle fait face à des accusations d’« abus de pouvoir afin de procurer des avantages injustifiés à elle-même ou un tiers », ainsi que de « faux » et « falsification », dans le cadre du rapport final de l’Instance. D’après ses avocats, son placement en détention se fonde essentiellement sur une plainte déposée en 2020, qui l’accusait d’avoir falsifié le rapport. Elle est également poursuivie dans quatre autres dossiers liés à son travail à la tête de l’Instance.
L’Instance vérité et dignité tunisienne, créée en 2013 au début de la transition démocratique, était chargée de faire la lumière sur les violations des droits humains et les actes de corruption ayant eu lieu de 1955 à 2013, ainsi que de proposer des mesures en vue de l’établissement des responsabilités, de la réparation et de la réhabilitation. Pourtant, cette institution a rencontré nombre de difficultés et d’obstacles pour mener à bien son mandat. Bien que l’Instance ait renvoyé 205 affaires de graves atteintes aux droits humains vers des chambres spécialisées, ce qui a abouti à des poursuites judiciaires, aucun jugement n’a été prononcé à ce jour.
L’élection de Kais Saied et sa prise de contrôle des institutions judiciaires ont fini par aboutir à la cessation des efforts de justice transitionnelle.
Sihem Bensedrine a désormais passé presque six mois en détention provisoire, et un juge décidera dans les prochains jours s’il convient ou non de prolonger sa détention. Les autorités tunisiennes devraient la remettre en liberté et abandonner toutes les poursuites contre elle, dans la mesure où elles se fondent sur son travail comme présidente de l’Instance.
La date à laquelle Sihem Bensedrine a démarré sa grève de la faim, le 14 janvier, commémorait à l’origine la mobilisation historique des Tunisiens contre l’autoritarisme qui avait débouché en 2011 sur l’éviction du pouvoir de l’autocrate Ben Ali. Suite à la confiscation du pouvoir qu’il a opérée en juillet 2021, Kais Saied a permuté ce jour férié au 17 décembre, rompant ainsi symboliquement avec une décennie de transition démocratique. Néanmoins, ce 14 janvier 2025, des dizaines de personnes manifestaient au centre de l’avenue Habib Bourguiba, brandissant des portraits ou portant des masques à l’effigie de prisonniers et prisonnières politiques – dont Sihem Bensedrine.
16.01.2025 à 15:00
Human Rights Watch
(New York, le 16 janvier 2025) – Les événements de 2024 ont démontré que même dans les moments les plus sombres, des personnes osent résister à l'oppression et font preuve de courage dans la quête de progrès, a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch, à l’occasion de la publication aujourd’hui du Rapport mondial 2025 de l’organisation. Face à la montée de l’autoritarisme, de la répression et des conflits armés, les gouvernements devraient respecter et défendre les droits humains universels avec une rigueur et une urgence accrues, et la société civile rester déterminée à les tenir responsables de leurs actes.
Dans la 35e édition de son Rapport mondial, qui comprend 546 pages, Human Rights Watch analyse les pratiques relatives aux droits humains dans près de cent pays. Dans une grande partie du monde, écrit la directrice exécutive Tirana Hassan dans son essai introductif, les gouvernements ont réprimé, arrêté et emprisonné à tort des opposants politiques, des activistes et des journalistes. Des groupes armés et des forces étatiques ont illégalement tué des civils, forcé beaucoup d’entre eux à quitter leur foyer et les ont empêchés d’accéder à l’aide humanitaire. Dans de nombreux cas parmi plus de 70 élections nationales tenues en 2024, des dirigeants autoritaires ont gagné du terrain sur la base de rhétoriques et de programmes politiques discriminatoires.
Rapport mondial 2025 Rapport abrégé en français« Les gouvernements qui se targuent de protéger les droits humains mais ignorent les abus quand ils sont commis par leurs alliés ouvrent grand la porte à ceux qui remettent en cause la légitimité du système des droits humains », a déclaré Tirana Hassan. « Cette attitude permet, de manière irresponsable et dangereuse, aux gouvernements abusifs de s'en tirer à bon compte. Ce n’est pas le moment de reculer. »
L’année écoulée a été marquée par des conflits armés et des crises humanitaires qui ont mis en évidence l’effritement des protections internationales prévues pour les civils et le coût humain dévastateur lorsque ces protections sont bafouées. Cela s’est notamment manifesté par des exemples terribles d’inaction internationale et de complicité dans des abus qui ont aggravé les souffrances humaines, notamment à Gaza, au Soudan, en Ukraine et en Haïti.
Cette année a également mis en lumière une réalité souvent ignorée : les démocraties libérales ne sont pas toujours fiables dans la défense des droits humains, sur le plan national comme international, a constaté Tirana Hassan. La politique étrangère du président américain Joe Biden a ainsi fait preuve d’un double standard en matière de droits humains, son administration continuant de fournir des armes à Israël malgré les violations généralisées du droit international à Gaza, tout en condamnant la Russie pour des violations similaires en Ukraine.
En Europe, la stagnation économique et l’insécurité ont servi de prétextes à un nombre croissant de gouvernements pour justifier leur abandon sélectif des droits, en particulier pour les groupes marginalisés et les personnes migrantes, les demandeurs d’asile et les réfugiés, tout en n’agissant pas de manière crédible pour améliorer les droits économiques et sociaux.
Le racisme, la haine et la discrimination ont été les moteurs de nombreuses élections en 2024. Aux États-Unis, Donald Trump a remporté la présidence pour la deuxième fois, ce qui fait craindre que sa nouvelle administration ne répète, voire n’amplifie, les graves violations des droits commises lors de son premier mandat. Dans certains pays comme la Russie et le Salvador, ainsi qu’au Sahel, des dirigeants autoritaires ont resserré leur emprise, exploitant la peur et la désinformation pour étouffer la dissidence et consolider leur pouvoir.
Mais dans d’autres pays, des signes de résilience démocratique se sont manifestés, a observé Tirana Hassan, et des programmes populistes ont été rejetés par des électrices et électeurs qui demandaient des comptes à leurs dirigeants et à leurs partis. Au Bangladesh, les manifestations étudiantes ont abouti à la démission de Sheikh Hasina, sa dirigeante répressive de longue date. Malgré une répression violente, les manifestants ont persévéré, forçant la formation d’un gouvernement intérimaire qui a promis des réformes. En Corée du Sud, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la déclaration de la loi martiale par le président Yoon Suk Yeol, que l’Assemblée nationale a annulée à peine six heures plus tard.
S’il est trop tôt pour dire ce que l’avenir réserve à la Syrie, la fuite du président Bachar al-Assad illustre les limites du pouvoir autoritaire. Les autocrates qui comptent sur d’autres gouvernements pour maintenir leur pouvoir répressif sont tributaires des calculs politiques fluctuants de leurs bienfaiteurs.
Parmi les événements cruciaux de l’année 2024 en matière de droits humains :
Les talibans ont intensifié leur répression contre les femmes, les filles et les minorités. En 2024, ils ont éliminé l’une des dernières brèches dans leur interdiction de l’éducation aux filles et aux femmes, en leur interdisant d’étudier la médecine.Une nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, imposée par la Chine, a été invoquée pour condamner à des peines de prison plusieurs dizaines de personnes lors d’un procès de masse. Au Xinjiang, des centaines de milliers d’Ouïghours restent sous surveillance, emprisonnés et soumis au travail forcé.La violence en Haïti a atteint des niveaux catastrophiques, les groupes criminels intensifiant leurs attaques coordonnées à grande échelle, tuant des milliers de personnes, enrôlant de force des enfants et violant des femmes et des filles.Au Soudan, le conflit entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) a donné lieu à des atrocités généralisées contre les civils, notamment des massacres, des violences sexuelles et des déplacements forcés. La campagne de nettoyage ethnique menée par les forces RSF au Darfour occidental a donné lieu à des crimes contre l’humanité.À Gaza, les autorités israéliennes ont imposé un blocus, commis de nombreuses attaques illégales et provoqué des déplacements forcés de populations, se rendant ainsi responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Elles ont délibérément privé les Palestiniens de l’accès à l’eau nécessaire à leur survie, ce qui constitue un crime contre l’humanité et pourrait constituer le crime de génocide.La Russie a poursuivi ses attaques à grande échelle contre le réseau énergétique, les hôpitaux et d’autres infrastructures civiles de l’Ukraine, tuant et blessant de nombreux civils. Les autorités russes dans les zones occupées ont cherché méthodiquement et par la force à effacer l’identité ukrainienne.« Disons-le haut et fort : quand les gouvernements s’abstiennent d’agir pour protéger les civils exposés à de graves risques, non seulement ils les abandonnent à la mort et à la souffrance, mais ils sapent aussi les normes qui protègent les populations du monde entier, conduisant en fin de compte à une situation où tout le monde est perdant », a déclaré Tirana Hassan. « Ce nivellement par le bas a des conséquences d’une portée considérable, qui vont souvent bien au-delà des personnes directement touchées par le conflit, entraînant des déplacements forcés de populations, empêchant les personnels de santé et les travailleurs humanitaires d’atteindre les civils dans le besoin, privant les enfants d’éducation et créant des risques encore accrus pour les personnes handicapées. »
Selon Tirana Hassan, l’année écoulée ne fait que renforcer l’importance que les gouvernements du monde entier fassent preuve d’une volonté forte, et le fassent davantage, pour défendre les droits humains et lutter contre l’impunité. Lorsque les gouvernements dénoncent les violations du droit international, comme l’a fait l’Afrique du Sud quand elle a saisi la Cour internationale de justice estimant qu’ Israël viole la Convention sur le génocide à Gaza, ou que plusieurs États contestent les talibans en Afghanistan pour violation de la Convention des Nations Unies sur les droits des femmes, cela peut relever la barre de l’application de ce droit.
Les tribunaux internationaux qui offrent un recours judiciaire aux victimes et aux survivants au Myanmar, en Israël et en Palestine, ainsi qu’en Ukraine, les activistes qui luttent pour un changement démocratique en Géorgie, au Bangladesh et au Kenya, et les électeurs qui rejettent l’autoritarisme lors de scrutins clés comme ceux qui se sont tenus au Venezuela, rappellent que le combat pour les droits est bien vivant.
« Lorsque les droits sont protégés, l’humanité prospère », a conclu Tirana Hassan. « Lorsqu’ils sont bafoués, le prix à payer ne se mesure pas en principes abstraits, mais en vies humaines. Tel est le défi, mais telle est aussi l’opportunité de notre époque. »
...................
Articles
France Info RFI (itw B. Jeannerod) Mediapart L’Humanité
LeSoir.be LeVif.be Yabiladi (réf Maroc)
France24 (vidéo Mausi Segun) BBC Afrique
Sur X : Vidéo /Tirana Hassan
Sur X : Fil /Citations de Tirana Hassan
16.01.2025 à 15:00
Human Rights Watch
(Bangkok) – La situation des droits humains en Afghanistan s’est encore détériorée en 2024, les talibans ayant intensifié leur répression à l’encontre des femmes, des filles et des minorités religieuses, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans son Rapport mondial 2025. Les autorités talibanes ont arrêté des journalistes et des détracteurs du gouvernement et imposé de sévères restrictions à l’activité des médias. La crise économique que connaît l’Afghanistan a rendu 23 millions de personnes dépendantes d’une assistance humanitaire, affectant les femmes et les filles de manière disproportionnée.
Rapport mondial 2025 Rapport abrégé en françaisDans la 35e édition de son Rapport mondial, qui comprend 546 pages, Human Rights Watch analyse les pratiques relatives aux droits humains dans près de cent pays. Dans une grande partie du monde, écrit la directrice exécutive Tirana Hassan dans son essai introductif, les gouvernements ont réprimé, arrêté et emprisonné à tort des opposants politiques, des activistes et des journalistes. Des groupes armés et des forces étatiques ont illégalement tué des civils, forcé beaucoup d’entre eux à quitter leur foyer et les ont empêchés d’accéder à l’aide humanitaire. Dans de nombreux cas parmi plus de 70 élections nationales tenues en 2024, des dirigeants autoritaires ont gagné du terrain sur la base de rhétoriques et de programmes politiques discriminatoires.
« Trois ans après l’arrivée au pouvoir des talibans, la suppression des droits et des libertés n’a fait que s’intensifier », a déclaré Fereshta Abbasi, chercheuse sur l’Afghanistan à Human Rights Watch. « Les gouvernements devraient exhorter les talibans à mettre fin à leurs abus à l’encontre des femmes et des filles, tout en soutenant d’urgence la création, au sein du système des Nations Unies, d’un mécanisme complet d’établissement des responsabilités. »
Les talibans ont adopté une nouvelle loi interdisant aux femmes de voyager ou d’utiliser les moyens de transport publics sans être accompagnées d’un tuteur masculin, et de chanter en public ou de laisser entendre leur voix en dehors de leur domicile. Les talibans ont également arrêté des femmes et des filles pour ne pas s’être conformées au code vestimentaire qu’ils ont imposé.Les talibans ont arrêté arbitrairement et torturé des journalistes et d’autres critiques du gouvernement. En septembre, ils ont interdit les diffusions en direct de programmes à caractère politique, ainsi que les critiques à leur égard, et limité les possibilités d’entretiens avec des responsables en établissant une liste préapprouvée de ceux-ci.L’État islamique de la province de Khorasan (Islamic State Khorasan Province, ISKP), la branche afghane de l’État islamique (EI), a perpétré des attaques qui ont blessé et tué des civils, contre les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Hazara, ainsi que contre les talibans. Le 18 mai, l’ISKP a publié une déclaration dans laquelle il menaçait les organisations non gouvernementales, les médias et les organismes d’assistance étrangers.En 2024, la crise économique de l’Afghanistan a placé plus de la moitié de la population – 23,7 millions de personnes – en situation de dépendance d’une aide humanitaire d’urgence, dont 2,9 millions de personnes sont à des niveaux alarmants de sous-alimentation.Les bailleurs de fonds de l’Afghanistan devraient fournir une assistance spécifiquement dédiée aux personnes qui en ont le plus urgent besoin et à élaborer des solutions durables à la crise économique afghane, a déclaré Human Rights Watch.