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28.01.2025 à 23:57

Il est toujours plus prudent d'être en première ligne : Prendre l’offensive contre la Tyrannie

CrimethInc. Ex-Workers Collective

Face à l'intensification de la violence de l'État, il est compréhensible que l'on cherche à se mettre à l'abri en évitant la confrontation. Mais ce n'est pas toujours la stratégie la plus efficace.
Texte intégral (5705 mots)

Face à l’intensification de la répression et de la violence de l’État, il est compréhensible que l’on cherche à se mettre à l’abri en évitant la confrontation. Mais ce n’est pas toujours la stratégie la plus efficace.

« Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, dans une situation confuse, le meilleur endroit, ou au moins le plus sûr, est souvent celui où l’on se trouve en première ligne. C’est le point de vue idéal pour appréhender ce qui se passe autour de soi. »

-« Ce que je fais dans la vie », récit des manifestations contre le sommet de l’Union européenne à Thessalonique en 2003, publié dans Rolling Thunder #1.


Le grand-père d’un ami a grandi en Allemagne dans les années 1920. Juif, il s’est engagé dans des organisations radicales et se bagarrait de temps à autres avec des nazis. Dans les mémoires qu’il a rédigés pour sa famille des décennies plus tard, il décrit la situation au moment de la prise du pouvoir par les nazis :

« En janvier 1933, Hitler est devenu chancelier. Je pensais que nous allions commencer une révolution, mais en fait rien ne s’est passé. Les communistes ont fuit - souvent en masse - au profit des nazis et les sociaux-démocrates ont résisté un peu plus longtemps, mais ont fini par dissoudre leurs organisations ».

En mai 1933, alors qu’il a vingt ans, il apprend qu’il va devoir passer en procès pour avoir cassé le nez d’un nazi lors d’une bagarre de rue. Plutôt que d’être jugé par un système judiciaire contrôlé par les nazis, il se procure immédiatement un passeport et prend le premier train pour la Hollande.

Quelques années plus tard, le reste de sa famille meurt dans le camp de concentration d’Auschwitz.

Cette histoire illustre en quelques mots un phénomène pourtant étonnamment courant. Si le grand-père de cet ami n’avait pas participé aux confrontations ouvertes avec les nazis dès le début, s’il avait gardé la tête baissée et évité les ennuis, il serait surement resté à Berlin et aurait connu le même sort que ses proches. En prenant l’offensive, il s’est mis en danger, mais paradoxalement, sur le long terme, ça a mieux marché que la prudence.

De la même manière, celles et ceux qui se sont engagés dans la guérilla clandestine de la résistance juive ont été parmi les seuls à survivre à l’anéantissement du ghetto de Varsovie. En s’organisant pour faire face à la menace nazie, ils ont développé une agentivité propre et solide qui s’est révélée cruciale et décisive jusqu’à permettre à certains de s’échapper par les égouts après que le ghetto ait été assiégé et incendié.

Lorsqu’un groupe est ciblé par la répression, il arrive souvent que l’impulsion initiale est souvent de se retirer, de se cacher. Pourtant, lorsqu’il s’agit de préserver l’individu et la collectivité, il peut être plus sage d’agir avec assurance dès le début, lorsqu’il est encore possible d’influencer le cours des événements. Même si cela tourne mal, il peut être préférable de mettre fin au conflit immédiatement, avant que l’adversaire ne devienne plus puissant. Cette stratégie a notamment le mérite d’empêcher de se bercer d’un faux sentiment de sécurité alors que la menace s’accroît.

Cela ne se passe pas toujours comme ça, mais parfois, on est plus en sécurité en première ligne.

« Il n’y a pas de raison de dormir roulé en boule et plié. Ce n’est pas confortable, ca ne fait pas du bien, et ça ne protège pas du danger. Si on a peur d’une attaque, il faut rester réveillé ou dormir légèrement avec les membres déployés pour l’action. » Oeuvre de Jenny Holzer.


Il était midi, le 20 avril 2001. Mes camarades et moi étions rassemblés avec des centaines d’autres anarchistes et anticapitalistes à l’université Laval de Québec pour marcher sur un sommet transcontinental destiné à établir une « zone de libre-échange des Amériques ». Au centre de la ville, derrière des kilomètres de barrières de protection et des milliers de policiers anti-émeutes, George W. Bush et ses collègues chefs d’État complotaient pour piétiner le droit du travail et déroger aux mesures environnementales afin d’enrichir leurs mécènes à nos dépens.

Le soleil brillait. De plus en plus de gens arrivaient au point de rassemblement. Un groupe installa même une catapulte. Pas de police en vue.

Je restais pourtant inquiet. Mon expérience de la violence était très « sous-culturelle » : des bagarres contre des skinheads, des concerts de hardcore punk. Je ne m’étais en tous cas jamais retrouvé face à une armée de policiers. Lors d’une réunion la veille, l’un des organisateurs nous avez prévenu qu’il serait impossible d’atteindre les barrières qui entouraient le sommet des présidents. Trop de policiers, trop bien équipés.

Alors que la foule sortait de l’université pour s’engager dans la rue, j’interpelais un camarade plus expérimenté : « Devrions-nous rester à l’arrière et attendre de voir ce qu’il se passe ? »

« Si nous voulons être en mesure de voir ce qui se passe, nous devons être à l’avant », m’a-t-il répondu sans hésiter.

Nous avons marché jusqu’aux grilles qui entouraient le sommet et nous les avons arrachées. La police n’est pas parvenue à nous arrêter. Le traité de « Zone de libre-échange des Amériques » n’a jamais été ratifiée.

Anarchistes marchant sur le soi-disant “Sommet des Amériques” à la ville de Québec, Avril 2001.


Le conseil de cet ami m’a été très utile quatre ans plus tard, le jour où George W. Bush a entamé son second mandat. Cette nuit-là, après la manifestation du jour contre les cérémonies d’investiture, une seconde manifestation a déferlé dans le quartier d’Adams Morgan, cassant les banques et les multinationales et attaquant un commissariat. Certains participants ont déloyé une énorme banderole sur la façade d’un immeuble, on pouvait y lire : « De Washington à l’Irak – avec l’occupation vient la résistance ». Nous voulions contraindre le gouvernement Bush à mettre fin à l’occupation de en Irak. Occupation qui a fait d’innombrables victimes civiles et a finalement contribué à l’émergence catastrophique de l’État islamique.

Alors que la manifestation sauvage se dispersait, nous nous sommes retrouvés à quelques-uns dans une ruelle. Au bout de celle-ci, on aperçu tout à coup les premiers policiers arriver vers nous. Il était encore temps de rebrousser chemin et de courir dans l’autre sens mais nous nous serions retrouvés à l’arrière de la foule sans la moindre visibilité de là où nous allions. « On court, on court en avant » ai-je crié à mon binôme alors que nous étions déjà en train de courir.

In extremis, nous parvenions à nous glisser derrière la ligne de police quelques secondes avant qu’elle ne nasse celles et ceux encore dans la ruelle.

Nous étions les derniers à parvenir à nous échapper. À l’autre extrémité de la rue, une autre ligne de police venait de se mettre en position. Celles et ceux pris au piège durent rester des heures agenouillés dans la neige. De l’autre côté de la rue, la police fermait la nasse Les policiers avaient également bloqué la ruelle de l’autre côté. Ils ont forcé les gens derrière nous à s’agenouiller dans la neige pendant des heures. Des années plus tard, la ville accepta de leur verser des dommages et intérêts, mais ça valait tout de même plus le coup de réussir à s’enfuir.

Washington, DC, le 20 Janvier, 2005.


Le 25 août 2008, à Denver, lors des manifestations contre la convention nationale du parti démocrate, quelques centaines de personnes se sont rassemblées pour une marche qui avait été annoncée mais jamais organisée. Nous continuions à protester contre l’occupation de l’Irak et contre le capitalisme en général.

La police, blindée, était positionnée en plusieurs groupes d’une douzaine de personnes tout autour du parc et des rues avoisinantes, dépassant en nombre les jeunes gens assis, sweatshirts noirs sur les genoux. Un véhicule devait livrer des banderoles, mais une rumeur nous est parvenue selon laquelle la police avait arrêté le conducteur. Alors qu’il semblait certain que rien n’allait se passer, quelques jeunes ont relevé leur cagoule et ont commencé à scander.

Qui sont ces gens ? Je me souviens m’être demandé. À quoi pensent-ils en se masquant et en joignant les bras avec des centaines de policiers anti-émeutes qui les entourent et des sous-couverts à leurs coudes ? Que peuvent-ils espérer accomplir ?

Néanmoins, les autres personnes qui s’étaient rassemblées pour la marche se sont regroupées avec eux et ils ont commencé à marcher hors du parc. Ils ne sont arrivés que jusqu’à la route, où l’escadron de police le plus proche a formé une ligne qui leur barrait la route et les a aspergés de gaz poivré. Aucune manifestation n’avait encore eu lieu, je n’avais entendu aucun ordre de dispersion, et déjà la police utilisait des armes chimiques.

Un camarade et moi avons observé tout cela avec consternation. Nous étions encore environ deux cents, mais la police se rapprochait de tous les côtés et la foule était désorientée et mal coordonnée. La porte était ouverte à la catastrophe.

Nous étions à l’arrière de la foule. Mais l’arrière peut devenir l’avant, c’est juste une question d’initiative. Mon camarade a commencé à crier un compte à rebours. Les autres se sont joints à lui, instinctivement. Le fait de compter ensemble a concentré notre attention, nos attentes, notre sentiment d’être une force collective capable d’une action concertée. C’est alors qu’une trentaine d’entre nous se sont mis à sprinter sur l’herbe pour s’éloigner de la ligne de police.

Voyant cela, le reste de la foule s’est mise à suivre. En quelques secondes, des centaines de personnes ont traversé le parc en courant jusqu’à l’intersection située à l’autre bout de la pelouse, où la police ne s’était pas encore rassemblée.

L’énergie était électrique, contrairement au malaise et à l’incertitude qui régnaient un peu plus tôt. Nous avons traversé le carrefour, dans lequel des jeunes gens entreprenants ont placé un panneau municipal indiquant « route fermée » - et soudain, nous approchions du quartier des affaires.

Le même principe nous a été utile plus tard dans la soirée, lorsque nous avons vu une ligne de policiers anti-émeutes se déployer en éventail à un carrefour situé à la prochaine rue. Sans prendre le temps de discuter, mon camarade et moi nous sommes élancés vers eux. Nous avons atteint la ligne de policiers et nous nous sommes faufilés entre eux avant qu’ils ne nous bloquent le passage. Ils avaient reçu l’ordre de créer une barrière, pas de nous poursuivre. Nous étions en sécurité.

Denver, le 25 Aout, 2008.


Le matin du 20 janvier 2017, un autre camarade et moi avons rejoint la marche dans le centre-ville de Washington, DC, pour nous opposer à l’investiture de Donald Trump. Au cours des décennies qui s’étaient écoulées depuis la deuxième investiture de Bush, la police s’était militarisée dans tout le pays, recevant des budgets de plus en plus importants pendant que les politiciens prétendaient qu’il n’y avait plus d’argent disponible pour quoi que ce soit d’autre. Cette fois-ci, les rues étaient bondées de 28 000 membres des forces de l’ordre.

Dès le début de la marche, le conflit avec la police a commencé. Le hurlement des sirènes de police, à proximité des explosions assourdissantes des grenades flash, l’odeur âcre du spray au poivre, le rugissement des motos de police, le grésillement de l’adrénaline - c’était une situation terrifiante, mais les manifestants autour de nous donnaient autant qu’ils recevaient. L’idée était d’établir un modèle de résistance pour le premier jour de l’administration Trump, en envoyant le message à tout le monde que personne ne devrait accepter passivement l’intensification de la tyrannie.

Plus nous restions dans les rues, plus la situation devenait dangereuse. Lorsque nous avons repassé Franklin Square, en revenant sur nos pas, il était clair que ce n’était qu’une question de temps avant que nous ne soyons encerclés.

Dans le centre de Washington, entre les intersections, les rues sont comme de longues étendues de canyon entre les falaises des bâtiments. Je savais que la police voulait nous encercler et nous nasser. Chaque fois que nous traversions un carrefour, je jetais un coup d’œil aux carrefours situés à un pâté de maisons de part et d’autre pour voir si la police nous suivait dans les rues parallèles, s’apprêtant à nous couper les voies de sortie. Chaque fois que nous sortions d’un carrefour pour entrer dans une autre partie du canyon, je surveillais les carrefours devant et derrière nous pour voir s’il y avait des policiers. Chaque fois que nous nous déplacions entre les intersections, nous étions vulnérables.

Alors que nous nous approchions de la 13e rue, des policiers à moto nous ont dépassés sur le trottoir à notre gauche, tentant de nous doubler et de s’emparer du carrefour devant nous. Nous en étions encore à des centaines de mètres. J’ai incité mon compagnon à courir avec moi, et nous avons sprinté devant la marche, devant les flics à vélo et à moto, qui ont commencé à foncer avec leurs véhicules sur les gens qui se trouvaient juste derrière nous. Lorsque les flics ont vu que nous étions déjà quelques-uns dans leur dos, ils ont renoncé à former une ligne et se sont à nouveau concentrés sur la course devant nous. Les policiers détestent être débordés, ils ne peuvent pas risquer d’être eux-mêmes encerclés.

L’affrontement à l’intersection a montré que la marche ne contrôlait plus le territoire autour d’elle. Il était temps de sortir. Nous avons couru dans une ruelle sur notre droite peu avant le prochain carrefour. Une centaine d’autres personnes ont fait de même. Ceux qui ont continué à avancer ont été bloqués par une ligne de police à l’intersection suivante, et se sont retournés pour découvrir une ligne de police beaucoup plus forte qui les bloquait à l’arrière.

Pendant deux longues minutes, la foule s’est arrêtée dans la confusion et la consternation. Certaines personnes à l’arrière de la marche avaient déjà enlevé leur équipement et espéraient se faire passer pour des civils afin de pouvoir sortir de la zone, sans se rendre compte qu’elles étaient déjà prises au piège de tous les côtés.

Les participants à l’avant de la marche ont gardé leur équipement et se sont donné la main. Quelqu’un a crié : « Nous allons faire un compte à rebours ! ». Ils comptent rapidement de dix à un et foncent sur la ligne de police qui les précède. La personne qui se trouvait à l’avant de la charge tenait ouvert un parapluie fragile tandis qu’ils couraient tous aveuglément vers l’avant. D’une manière ou d’une autre, le parapluie les a protégés des jets de gaz poivré.

Une cinquantaine d’entre eux ont franchi la ligne de police et se sont échappés. Ceux qui se sont attardés, attendant de voir si la charge allait percer avant de la rejoindre, sont restés piégés dans la nasse.

Plus tard, quelqu’un a publié un commentaire humoristique sur les médias sociaux, selon lequel le cheat code du J20 Protest Simulator consistait à toujours courir vers les flics en tenant un marteau. Mais il y avait de quoi. Par la suite, en regardant les images de la police communiquées aux accusés dans le cadre du procès qui a suivi, nous avons constaté que même après que la police et les gardes nationaux eurent resserré leur ligne, un individu entreprenant s’était échappé simplement en sprintant aussi vite que possible directement vers eux et en s’esquivant entre deux d’entre eux.

Toutes les personnes arrêtées ont été inculpées de huit crimes chacune - jusqu’à quatre-vingts ans de prison - pour le crime d’avoir été arrêtées en masse à proximité d’une marche bruyante. Quelques-uns ont accepté des accords de plaidoyer, mais tous les autres se sont serré les coudes, établissant un plan de défense collectif et affrontant le système juridique de front. Finalement, après deux procès au cours desquels tous les accusés ont été déclarés non coupables, tous les accusés restants ont vu les charges retenues contre eux abandonnées. Des années plus tard, ils ont tous reçu des indemnités de l’État pour régler les poursuites judiciaires qui en découlaient.

Cela ressemble à une métaphore, mais je le dis au sens propre comme au sens figuré. Qu’il s’agisse d’une marche ou d’un procès, il est parfois plus sûr d’être à l’avant.

Washington, DC, le 20 Janvier, 2017.


Plusieurs années plus tard, j’étais à Atlanta pour la mobilisation Block Cop City. Les manifestants avaient tenté d’empêcher la construction d’une installation de plusieurs millions de dollars destinée à renforcer la militarisation de la police. En représailles, la police avait assassiné une personne et arrêté un grand nombre de personnes au hasard, les accusant de terrorisme et inculpant soixante et un d’entre eux pour de fausses accusations de racket.

Avant l’action proprement dite, il y a eu deux jours de délibérations dans un centre communautaire quaker local. Tout le monde était sur les nerfs. L’objectif était d’essayer de marcher dans la forêt et d’occuper le chantier. Serions-nous tous arrêtés ? Serions-nous également accusés de terrorisme et de racket ? Les discussions tournaient en rond, chacun essayant vainement de prédire ce qui allait se passer tout en négociant sa propre tolérance au risque.

Il a été décidé qu’il y aurait trois blocs auto-organisés au sein de la marche : essentiellement, l’avant, le milieu et l’arrière. Officiellement, cette distinction n’était pas basée sur le risque anticipé, car les organisateurs ne pouvaient rien promettre quant à l’action de la police. Mais personne n’était en mesure d’envisager quel bloc rejoindre sans revenir à des questions plus larges. À quel point est-ce que je crains la violence de la police et du système judiciaire ? Que suis-je prêt à sacrifier pour ce mouvement ?

Seuls les quelques audacieux qui avaient fait la paix avec leurs peurs et s’étaient engagés à prendre la tête de la marche semblaient à l’aise. Même avec le bloc du « milieu », il y avait beaucoup d’agonie et de marchandage. « Je veux bien être au milieu, mais pas à l’avant du milieu… »*

Ce soir-là, j’ai expliqué à ma famille ce qu’il faudrait faire si je ne rentrais pas de la manifestation. Mes deux partenaires romantiques, indépendamment l’un de l’autre, m’ont demandé s’il était vraiment important pour moi de participer à cette marche. Ne pouvais-je pas laisser les jeunes activistes s’en charger ?

C’est plus sûr à l’avant. Je me souvenais de ce dicton, que j’avais entendu lors de mobilisations antérieures, mais en y réfléchissant bien, je n’en étais pas si sûr. Comment pouvait-il être plus sûr de foncer directement sur les lignes de police ? Le slogan distillait des leçons tirées de ma propre expérience, mais je me dirigeais vers une nouvelle situation dangereuse et j’étais dubitatif.

Le matin de la mobilisation, nous nous sommes rassemblés dans le parc. Malgré quelques festivités, l’atmosphère était sombre : quelques centaines de personnes risquaient d’être blessées, arrêtées ou emprisonnées pour l’honneur d’un mouvement en difficulté. De nombreuses personnes avaient décidé de rester chez elles à la dernière minute. Nous avons quitté le parc en colonne, chacun s’en tenant assidûment à sa position particulière dans le spectre de la tolérance au risque. Tant que nous marchions sur l’étroite allée piétonne, c’était logique, mais cela l’était moins lorsque nous avons débouché sur la route principale et avancé vers le chantier. Nous aurions dû nous disperser pour présenter un front large à l’approche des lignes de police et de véhicules blindés qui bloquaient la route, mais non, la foule s’est étirée en une file presque unique, comme des agneaux qui s’alignent pour l’abattage.

Néanmoins, ceux qui se trouvaient à l’avant ont pris de la vitesse, formant un coin en forme de V avec leurs bannières renforcées et pointant leurs parapluies vers l’avant pour bloquer la vue des flics alors qu’ils chargeaient directement dans les boucliers de la ligne du front. Le reste d’entre nous trainait derrière, gardant les positions que nous nous étions engagés à tenir, ni plus ni moins.

Des personnes s’assemblent et commencent la marche Block Cop City, le 13 Novembre 2023.

Les personnes portant les bannières renforcées ont repoussé la première ligne de flics jusqu’à ce qu’elle soit renforcée par une deuxième ligne. Même là, ils n’ont pas cédé, ils ont continué à avancer contre la police. Les policiers ont donné des coups de matraque, mais ont continué à perdre du terrain. Le bloc en tête de la marche s’est serré les coudes, se protégeant les uns les autres, agissant délibérément. Ils avaient peut-être peur, mais ce n’était pas la peur qui déterminait leurs actions.

En regardant derrière eux, j’avais très peur. J’avais beaucoup de reconaissance de ne pas être à l’avant, d’avoir à prendre des décisions. Les matraques de police font peur, la prison fait peur, les accusations criminelles font peur, mais ce qui fait vraiment peur, c’est la responsabilité. Les gens acceptent beaucoup de conséquences négatives dans leur vie simplement pour éviter d’avoir à assumer leurs responsabilités. Et malheureusement, c’est impossible : nous avons beau essayer, il est impossible d’éviter le fait que tant que nous sommes capables de prendre des décisions et d’agir, nous sommes responsables de nous-mêmes. Et ce, que l’on se place à l’avant ou à l’arrière, ou même que l’on ne se présente pas du tout.

J’ai regardé les manifestants de première ligne qui me précédaient repousser les deux lignes de police jusqu’à ce qu’ils atteignent une troisième ligne composée de stormtroopers futuristes. Aucun signe d’humanité des stormtroopers n’était perceptible sous leur équipement militaire ; même leurs yeux n’étaient pas visibles. Ils s’étaient complètement retirés de la communauté humaine.

Les stormtroopers ont sorti des bombes lacrymogènes. J’ai regardé, incrédule, les grenades lancées l’une après l’autre par-dessus la tête de ceux qui étaient à l’avant, au milieu de la marche - au milieu de ceux d’entre nous qui avaient espéré que d’autres prendraient des risques en leur nom, qui avaient eu l’intention d’être simplement un appendice de l’agence d’autres personnes. Peut-être aurait-il été plus sûr d’être à l’avant, après tout ?

Puis tout s’est évanoui dans une brume blanche empoisonnée.

Nous avons titubé aveuglément vers l’arrière, dans le désarroi, étouffant et toussant. Mais les stormtroopers avaient aussi gazé le reste des flics, et les autres flics ne portaient pas de masque à gaz. Eux aussi ont battu en retraite. Contre toute attente, la bataille s’est terminée par un match nul.

Finalement, la seule personne arrêtée ce jour-là fut quelqu’un qui avait choisi de jouer un rôle de soutien loin du lieu de l’action. Elle a été détenue dans un véhicule près du parc d’où nous étions partis. Personne n’a été accusé de terrorisme ou de racket.

Perdus dans notre anxiété, nous avions oublié le plus grand risque : celui de ne rien faire, de nous laisser intimider et d’abandonner la rue. Avec tant de personnes faisant déjà l’objet d’accusations farfelues, marcher sur le chantier était une proposition risquée, mais permettre à l’État d’écraser le mouvement aurait créé un précédent qui aurait menacé d’autres mouvements, enhardissant les autorités à utiliser les mêmes tactiques ailleurs.

Parfois, ce n’est qu’en prenant un risque que l’on découvre les risques. Cette fois-ci, nous avons eu de la chance, mais d’une certaine manière, nous avons aussi passé un test.


Anarchistes à la démonstration du 1er Mai à Bandung, 2019. Photographie de Frans Ari Prasetyo.

On n’est pas vraiment plus en sécurité au front. Rester à la maison est plus sûr - du moins, c’est plus sûr jusqu’à ce que les conséquences à long terme de l’abandon des rues se fassent sentir. Ensuite, plus rien n’est sûr, et il s’avère qu’il aurait été préférable de prendre des risques moins importants plus tôt.

Les antifascistes qui se sont rendus à Charlottesville en août 2017 pour affronter le rassemblement « Unite the Right » se sont mis en danger. L’un d’entre eux a été tué ; plusieurs ont été gravement blessés. Mais s’ils étaient restés chez eux, s’ils avaient permis aux fascistes d’établir le contrôle des rues, le monde entier serait devenu plus dangereux. La probabilité que nous soyons obligés de recommencer le même combat aujourd’hui n’enlève rien au fait qu’ils nous ont fait gagner huit années de sécurité relative.

Même lorsque tout est désespérément perdu, il est généralement préférable d’agir avec audace, en envoyant un signal d’espoir à travers les générations, comme l’ont fait les communards et les rebelles de Cronstadt. Comme ca, on préserve au moins la possibilité que d’autres soient inspirés pour continuer à tenter de construire le monde que l’on souhaite, de sorte qu’un jour, le rêve puisse se réaliser - même si c’est sans nous, au moins en partie grâce à nos efforts.

Mais nous n’en sommes pas là aujourd’hui. Nous sommes confrontés à des adversaires puissants, mais la majorité des gens, y compris nombre de leurs partisans, ont de bonnes raisons de s’opposer à eux à nos côtés. Si nous rassemblons les gens, si nous montrons des moyens efficaces de riposte, en mettant notre propre tolérance au risque à la disposition de luttes plus larges, beaucoup plus de gens finiront par nous rejoindre. Il n’y a aucune raison de se hâter, de glorifier le martyre, ou d’accepter la défaite lorsque l’avenir n’est pas écrit.

Tout le monde ne peut pas être au front tout le temps, bien sûr. C’est épuisant. Mais le front n’est pas un lieu spatial. Bien compris, il n’exige pas nécessairement un type particulier d’aptitudes physiques ou de compétences. C’est une façon de s’engager dans les événements, de rester concentré sur notre agence, de prendre l’initiative partout où nous le pouvons plutôt que de réagir aux initiatives de nos adversaires. Chacun peut ouvrir un nouveau front de lutte en identifiant une vulnérabilité dans l’ordre dominant et en passant à l’offensive. Plus il y aura de fronts, plus nous serons tous en sécurité.

Face à la deuxième administration de Donald Trump, de nombreux anarchistes et antifascistes ne savent pas par où commencer. Au cours de la précédente administration Trump, nous nous sommes battus avec acharnement contre un adversaire bien plus puissant que nous, et nous avons gagné - seulement pour voir la victoire nous être arrachée des mains par de lâches démocrates, qui ont repris avec empressement le flambeau là où les Républicains l’avaient laissé, décevant tant de gens que Trump a pu revenir au pouvoir. Ce n’est pas une raison pour abandonner, cette fois-ci - cela montre simplement que depuis le début, nous avions raison sur la nature du pouvoir, et que nous le devons au monde de montrer une véritable alternative.

Dans les pays gouvernés par le fascisme ou d’autres formes de despotisme, la majorité des gens ne soutiennent pas nécessairement les autorités ; ils sont simplement devenus découragés, habitués à la passivité. Bien plus que les libéraux, les anarchistes sont habitués à être moins nombreux et moins armés, à se battre contre des obstacles incroyables. Alors que les démocrates trouvent des excuses aux fascistes, voire adhèrent à leur programme, nous devrions montrer qu’il est possible de prendre des mesures ambitieuses et fondées sur des principes pour y résister.

Si vous vous sentez désespéré, si vous vous sentez vaincu, si vous vous surprenez à vous dissocier ou à vous concentrer sur ce que font nos oppresseurs plutôt que sur ce que vous pouvez faire vous-même, c’est un territoire que l’ennemi a revendiqué en vous.

Ne leur donnez rien sans vous battre. Restez concentré sur votre agence. Chaque heure, chaque jour, où que vous soyez, il y a toujours quelque chose que vous pouvez faire. Prenez soin de vous et de ceux qui vous entourent. Soyez à l’affût des opportunités et saisissez-les. Nous sommes engagés dans un combat, mais c’est un combat que nous pouvons gagner. On est plus en sécurité à l’avant.

La charge des parapluies le 20 Janvier 2017.


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11.12.2024 à 06:20

Résister à l’autoritarism locale et aux impérialismes multipolaires en Géorgie : Lecture approfondie du mouvement de contestation

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Les manifestations en Géorgie vont au-delà du choix entre l'Europe et la Russie, rejetant à la fois le régime autoritaire local et la domination économique étrangère.
Texte intégral (5963 mots)

Alors que nous fêtons les cent ans de l’insurrection populaire en Géorgie contre l’annexion soviétique, la lutte pour l’indépendance et la liberté face à l’emprise russe demeure toujours la raison principale des mobilisations populaires ici. Cependant, au-delà de l’injonction à choisir entre deux puissances impériales, l’Europe et la Russie, le mouvement de contestation, qui ne cesse de gagner en intensité depuis plusieurs mois, exprime aujourd’hui une colère sociale croissante face au régime autoritaire local et à l’emprise des puissances économiques étrangères qui déferlent sur le Caucase.

Contrairement au discours médiatique dominant, cette mobilisation populaire qui se déploie à différents niveaux, entre les affrontements de rue et la solidarité autogérée, est porteuse d’une revendication plus large que celle de l’intégration à l’Union européenne. Si l’avant de la scène rappelle la révolution de Maïdan en 2014 en Ukraine, il faut encore identifier la spécificité du contexte géorgien pour comprendre les tumultes profonds que traverse cette lutte actuelle, sa force et sa complexité.

Cet article a été rédigé par un·e militant·e anti-autoritaire géorgien·ne en exil, en communication avec des collectifs locaux à Tbilisi, Kutaisi et Zugdidi. Les photos proviennent de მაუწყებელი / Mautskebeli. Les géorgien·nes utilisent le nom Sakartvelo pour désigner le pays.

Introduction

Sans tomber dans un romantisme nostalgique ou insurrectionnel, ni dans le discours des médias dominants, pour comprendre ce qui se joue en ce moment dans les rues de Géorgie, il faut écouter ce que raconte la colère sociale. Cet article s’adresse aux lecteur·ices en Occident, notamment en Europe de l’Ouest, qui sont soit piégés par un campisme réducteur, qui présente la lutte en Géorgie — ainsi que d’autres luttes dans le contexte post-soviétique, comme en Ukraine ou en Tchétchénie — comme simplement alignée sur les seuls intérêts du bloc euro-atlantique, en omettant les enjeux géopolitiques vis-à-vis de l’impérialisme russe et les politiques autoritaires internes ; soit - emporté·es par une exaltation soudaine, nourrie par une attention médiatique que l’on n’a pas eu mérite de recevoir, même pendant la guerre de 2008, et qui met en scène les événements de façon partielle, en se concentrant sur l’esthétique insurrectionnelle aux étoiles dorées, drapeaux européens fermement agités face aux jets du canon à eau.

Car, soyons honnêtes, pour attirer l’attention de l’Ouest, il faut soit du tragique, soit du spectaculaire. Du tragique, on en a eu tout au long des dernières décennies. Mais l’histoire récente des territoires post-soviétiques reste une tâche maussade dans le décor des guerres et des conflits, pas assez proche pour s’en sentir saisi, pas assez lointaine pour s’en culpabiliser.

Du spectaculaire, chez nous, c’est plutôt dans les montagnes que dans la rue.

Mais cette fois-ci, les images des manifestant·es avec des feux d’artifice, des scènes d’affrontement direct avec les forces de l’ordre à mains nues, des visages en sang et sans aucun remords, font leur effet, aussi bien sur les médias mainstream que sur les insurrectionnalistes.

BFMTV diffuse en Live depuis l’avenue Rustaveli à Tbilissi les scènes d’émeutes, tandis que le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, emploie lors de son briefing un discours qu’on avait déjà cru entendre de la même chaîne pendant le mouvement des Gilets Jaunes en France, parlant des « casseurs violents » et des « agresseurs des forces de l’ordre ». Les politiciens européens ne cachent pas non plus leur état de choc face aux violences policières et dénoncent l’usage disproportionné de l’appareil répressif, tandis que le parti au pouvoir, le Rêve Géorgien , diffuse les scènes des charges et des descentes policières contre les manifestations en Europe pour sa propre propagande anti-occidentale.

Alors, pourquoi toute cette attention maintenant ? Quels sont les enjeux géopolitiques et économiques — entre les pro-occidentaux et les pro-russes, le régime autoritaire local côtoyant les BRICS [l’alliance transnationale impliquant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud] et l’extrême droite euro-atlantique, et le progressisme néolibéral employant des méthodes meurtrières — qui sous-tendent les événements en Géorgie ? Et enfin, quelle est la lutte propre à la population géorgienne, quelles sont les raisons de sa colère vis-à-vis du gouvernement et de ses politiques autoritaires grandissantes ?

Pour tenter de faire une lecture approfondie des événements en cours, au-delà des images qu’on en fait depuis l’Europe occidentale, il faut les situer sur deux niveaux : d’une part, dans la spécificité du contexte local actuel, et d’autre part, dans celui de la période post-soviétique, en général.

Mouvement de contestation national dans le contexte de l’autoritarisme local

Si cela fait une semaine que la contestation ne cesse de prendre les rues toute la nuit et de gagner en ampleur dans plusieurs villes, elle s’inscrit dans un mouvement social amorcé au printemps dernier contre la “loi sur l’influence des agents étrangers”.

C’est dans ce contexte que les élections parlementaires ont été visiblement fraudées, maintenant au pouvoir le parti dirigeant, le Rêve Géorgien, mené par l’oligarque Bidzina Ivanishvili.

Avant la déclaration du Premier ministre suspendant le processus d’intégration à l’UE jusqu’en 2028, les manifestations s’organisaient pour contester les résultats et demander de nouvelles élections. Suite aux dispersions violentes des manifestations, arrestations brutales, agressions de rue par les flics ainsi que par les forces extra-policières, répressions judiciaires et incarcération des jeunes, les grèves, démissions dans le service public, occupation de la Chaîne Publique de la Géorgie, et mobilisations d’élèves dans des écoles régionales se sont multipliées, dépassant ainsi la simple question électorale. Dans la contestation prennent part des collectifs déjà formés : habitant.es des régions périphériques en lutte contre les projets de destruction environnementale, mouvements étudiants en lutte pour l’accès au logement, collectifs queers et féministes, ainsi que des personnes mobilisées contre les expulsions.

Aujourd’hui, la menace de l’autoritarisme pressant plane sur tout le monde, annonçant la mise en place de l’état d’urgence et du couvre-feu pour étouffer la possibilité de manifestation, ainsi que la réforme du service public – une manœuvre visant à procéder à des licenciements massifs d’opposants et de toute personne jugée critique.

At En parallèle, la répression policière s’intensifie : centaines d’arrestations, y compris des mineurs et de jeunes majeurs, personnes hospitalisées pour mutilations policières, dont un jeune en réanimation, perquisitions massives, ainsi que des passages à tabac et des humiliations dans les rues. Des policiers anti-émeutes, tentant de démissionner, sont eux-mêmes réprimés par leurs collègues, comme l’a révélé un agent ayant quitté le pays. Depuis plusieurs nuits, ce sont les “zonderebi”, les “titushkebi, autrement dit les “gros bras” armés et en civil, employés pour le “sale boulot”, qui rôdent dans les rues pour défigurer des manifestants et des journalistes. Le gouvernement a également annoncé un projet de réforme de la police, facilitant l’accès aux services sans passer par les concours, afin de permettre le recrutement de nouveau personnel et d’avoir la capacité d’étouffer un mouvement qui prend désormais des proportions nationales.

Si le Rêve Géorgien est arrivé au pouvoir en 2012 en s’opposant au gouvernement néolibéral de Mikheil Saakashvili et à son état policier sanglant, il incarne aujourd’hui le versant d’un même système policier. Il emploie la violence policière et judiciaire sous une forme tripartite : répression de rue à la française (armement anti-emeute, nasse, tabassage, ), répression judiciaire à la russe (arrestations et peines de prison pour militant.es et opposant.es), et violences mafieuse (bavures par les « gros bras », violences et agressions dans les lieux de vie, menaces sur les proches et membres de familles), rappelant les méthodes de l’ancien régime de Mikheil Saakashvili, qui a quitté le pouvoir en 2013.

Le ras-le-bol généralisé contre les « Natsi » et le « Kotsi » — termes péjoratifs désignant respectivement les partis au pouvoir et dans l’opposition, ainsi que leurs alliés — se manifeste par une tirade d’insultes lancée contre les deux camps lors des rassemblements. Trop de colère pour cherches des belles paroles, les injures partent en coups d’éclats dans la télévision et lors des prises de parole publique. C’est pour la même raison que les politiciens du MNU se font dégager par des manifestant.es, dont certain.es victimes de leur régime répressive. « La résistence au régime policier qui a permis au gouvernement de prendre le pouvoir sera également celle qui marquera sa fin » – déclarent des militant.es lors de leurs prises de paroles, notamment lors des rassemblements organisés pour la libération de toustes les détenu.es.

Ce rejet des deux partis traduit aussi une profonde défience envers les autorités et un refus de se soumettre aux dualismes persistants qu’ils véhiculent de façon caricutale: le projet civilisationnel occidental et le projet guerrier de la Russie, le progressisme contre l’obscurantisme, l’asservissement à l’hégémonie occidentale contre l’asservissement à un impérialisme territorial, le nationalisme ultra-libéral contre le nationalisme ultra-conservateur. Le point de convergence de ces dualismes est aussi leur point de rupture : maintien de l’ordre déchaîné, politiques destructrices des conditions d’habitabilité, exploitation des ressources naturelles inscrite dans le marché impérial mondialisé, appauvrissement et surendettement de la population en échange d’ alliances économiques et géostratégiques avec des puissances étrangères.

Pour délégitimer le mouvement la rhétorique du gouvernement cherche à raviver le clivage de lié à la « polarisation », mettant ainsi les politiciens du MNU sous les projecteurs. Se présentant comme le garant de la souveraineté nationale face à la menace de guerre provenant du nord et aux dangers d’un coup d’Etat émanant des forces occidentales, l’exemple de l’Ukraine est constamment manipulée pour semer la peur. Le mouvement actuel est comparé à celui de Maidan, pour soutenir qu’il ne serait pas autogéré mais contrôlé par des partisans du Maidan et du MNU, en insistant que la révolution avait entraîné des centaines de mort en l’Ukraine et ensuite la guerre.

Cette rhétorique anti-ukrainienne, qui minimise à la fois la dimension sociale et la puissance d’agir propre au mouvement de Maidan non-réductibles aux seules forces neo-nazis, s’accorde avec la rhétorique anti-guerre déployée tout au long de la campagne électorale. Que le gouvernement ait affiché des images des guerres sous forme de publicité électorale prouve que, derrière l’illusion de maintien de la paix, se cache des méthodes des plus ignobles pour le maintien du pouvoir : exploitation des traumatismes encore peu digérés de notre mémoire collective, notamment de celle de 2008 et des années tumultueuses de 90, traversé par les méandres du mouvement indépendantiste accompagné d’un putsch, d’une guerre civile et des conflits interethniques.

La Loi sur « les agents étrangers »

Le recours à la bavure policière et judiciaire est permis par des réformes législatives adoptées au printemps dernier, qui servent également de base solide à la rhétorique idéologique fondée sur l’ autoritarisme anti-occidental.

La loi sur la « transparence de l’influence des forces étrangères » reprend un projet avorté il y a un an et demi après des protestations massives. Elle a été adoptée un an plus tard, le printemps dernier, après deux mois de manifestations et le contournement d’un veto présidentiel.

Calquée sur son homologue russe, cette loi oblige toute organisation à but non lucratif recevant 20 % de ses revenus annuels de sources étrangères – qu’il s’agisse de subventions ou de financements individuels – à s’enregistrer comme « entité représentant les intérêts d’une force étrangère ». Or, dans une économie locale marquée par l’absence de subventions publiques et de sources de revenus alternatives, cette législation met en péril, en premier lieu, non pas les grandes ONG comme le présente la rhétorique officielle, mais surtout les petites associations, syndicats, médias indépendants, ainsi que les collectifs locaux et autogérés.

Que cette loi vise tout d’abord à réduire au silence les foyers de résistance et de lutte, le Premier ministre, Irakli Kobakhidze, l’a déclaré ouvertement lors de son briefing du 3 décembre : « on construira le barrage de Namakhvani. »1 Désormais, rien n’empêcherait la réalisation des mégaprojets d’infrastructures hydroélectriques, considérés comme le point d’orgue du développement économique. Il faisait référence au mouvement de la vallée de Rioni, désormais taxé de pro-occidental après avoir été qualifié de pro-russe il y a trois ans, lors de leur combat actif. Or, le mouvement de la vallée de Rioni, qui incarne la lutte environnementale autogérée menée par la population locale et qui a réussi à faire reculer l’entreprise turque concernant la construction d’un méga-barrage hydroélectrique, est devenu l’une des cibles principales dans la rhétorique du gouvernement, en tant que menace à la soi-disant souveraineté et indépendance énergétique. En réponse à la déclaration du premier ministre, les habitant.es de la vallée ont brandi une banderole lors d’un rassemblement à Tbilissi : « le barrage de Namakhvani ne sera pas construit ».

À part le mouvement de la vallée de Rioni, de nombreuses résistances locales luttent contre les injustices sociales et environnementales engendrées par les projets économiques d’envergure, notamment l’exploitation et l’extraction des ressources naturelles.

Dans l’Ouest de la Géorgie, en Mingrélie, ce sont les habitant·es du village de Balda qui se mobilisent pour empêcher le démarrage d’un chantier de construction d’un projet d’aménagement écotouristique, impliquant la privatisation de la rivière, des terres et des lieux de vie, ainsi que des dommages importants et des effondrements des pentes de montagne.

À Shukruti, les habitant·es combattent la surexploitation des sols pour l’extraction de manganèse par l’entreprise Georgian Manganese, un holding britannique de Stemcor. À cause des explosions, le village s’enfonce dans le sol, emportant avec lui les maisons de ses habitant·es. Les veillées habituelles, occupant le site du chantier, ont été déplacées cet autonomne jusqu’au Parlement à Tbilissi, avec les formes les plus radicales de protestation : grève de la faim et bouches cousues.

Géopolitiques de l’énergie

Mais derrière la lutte des petits peuples se jouent les enjeux des grands acteurs économiques : la Chine, la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran et, bien sûr, l’Union européenne. Les stratégies de pouvoir et de domination se traduisent par des jeux d’alliances inter-impérialistes, de conflits et de guerres où l’énergie constitue une arme par excellence.

La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont renforcé la position géostratégique de la Géorgie au sein des projets d’infrastructures économiques – tels que le corridor gazier et pétrolier, les ressources hydroélectriques, ainsi que les voies de transit maritimes et terrestres – et la « Loi sur les agents étrangers » s’y présente comme garant de la réalisation de tels projets. Parallèlement, le gouvernement a adopté, au même moment, la loi offshore, la loi anti-LGBT, des modifications de la loi sur les pensions cumulées, et a signé des mémorandums énergétiques et économiques avec la Turquie et la Chine.

Ainsi elle semble s’inscrire dans une stratégie de rapprochement avec les BRICS, notamment, avec la Chine et l’Azerbaïdjan pour renforcer les échanges commerciaux à travers son rôle de corridor de transit. Plus précisément, la Géorgie joue un rôle stratégique dans l’initiative “la Ceinture et la Route” (BRI) , l’initative de la Chine pour la « nouvelle route de la soie » en s’intégrant au corridor économique Chine-Asie centrale-Asie de l’Ouest. Son implication repose sur deux projets clés : la construction d’un nouveau port à Anaklia, destiné à devenir un hub majeur, et de la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars, qui renforce les connexions logistiques entre l’Asie et l’Europe.

Cette position stratégique permet également au gouvernement géorgien d’exercer une forme de pression sur l’Union européenne, notamment en raison de son implication dans le projet colossal de construction du plus long câble électrique sous-marin, qui acheminerait l’électricité fournie par l’Azerbaïdjan vers l’Union européenne, en passant par la mer Noire en Géorgie. Il ne faut pas non plus oublier qu’une part importante du transit énergétique passe déjà par les pipelines traversant la Géorgie, notamment l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) et le gazoduc SCP (South Caucasus Pipeline), qui relient la mer Caspienne à la Turquie via le territoire géorgien.2

Ce sont par les alliances géostratégiques pour la conquête des ressources que l’on voit que la fragmentation du monde en deux blocs majeures - d’un côté le bloc euro-atlantique et de l’autre, la Russie –n’a plus de sens, et qu’il faut désormais la penser dans sa multipolarité. Dans cette même perspective, sur le plan géopolitique, le Rêve Géorgien s’allie autant avec les gouvernements de l’extrême droite euro-atlantiques ( Trump, Orban ) qu’avec le puissances régionales sur la base d’un discours populiste souverainiste et conservateur. Sur le plan économique – politiques d’extraction rapaces, dépossession et appauvrissement des populations – il s’inscrit pleinement dans le marché capitaliste mondialisé aux côtés du camp progressiste.

La Loi AntiLGBT

Dans le but de renforcer le conflit social déjà engagé par l’implantation de l’hégémonie occidentale dans le pays, à travers notamment l’ingérence de ses institutions et ONG dans les sphères économiques et culturelles, le gouvernement s’est habilement approprié un discours antioccidental, soulevant ainsi la sympathie d’une partie de la population méprisée par ces dernières. Cette mascarade rhétorique lui permet d’ériger certains « groupes sociaux » en boucs émissaires, justifiant ainsi la mise en place d’un régime autoritaire pour la défense « de la paix, des traditions et de la souveraineté économique ». Mise à part des « bloqueurs » de l’indépendance énergétique, c’est « le groupe LGBT » qui représenterait l’une des menaces principales pour notre identité culturelle et religieuse.

C’est dans cette perspective que la nouvelle loi anti-LGBT, nommée la “Loi sur les valeurs familiales et la protection des mineurs”, est entrée en vigueur le 2 décembre. Cette loi, qui met l’équivalence entre l’inceste et relations homosexuelles ainsi qu’à l’identité de genre, criminalise les personnes queer ainsi que tout accès aux soins ou à la « manipulation médicale », selon ses termes. Outre la communauté queer, la loi permet également de criminaliser toute forme de soutien, manifestation, regroupement public ou prise de position publique, susceptibles d’être étiquetées comme « propagande pro-queer ». Le collectif Résistence queer a écrit à propos de l’application de la loi dans son « manifeste anti-fasciste » :

“En Géorgie, où près d’un million de personnes ont quitté le pays pour migrer en quête de travail au cours des cinq dernières années, un enfant sur trois vit dans une pauvreté extrême, tandis que les systèmes d’éducation et de santé sont en ruine, l’oligarque avide a fondé sa campagne électorale sur de fausses promesses de paix et sur la propagation d’une haine artificielle.

“En criminalisant un groupe de la population — les personnes queer — et en légalisant la haine et la censure pour établir un contrôle totalitaire, la loi désigne également comme criminels tous celleux et tout ce qui s’opposera à la législation de ce mal .”

En effet, face à l’appauvrissement et au surendettement généralisé de la population, où les banques et les services privés détiennent une toute-puissance, tandis que la question de l’identité nationale reste toujours à définir, il devenait nécessaire de forger l’icône de l’ennemi. Cet ennemi n’est pas loin, pas en Russie ou en Turquie, mais juste sous nos yeux, importé de force par l’Occident : celui ou celle dont la vie, son existence et sa manifestation publique, menace la préservation de nos mœurs, de nos traditions, et contribue à des problèmes démographiques, un sacrilège porté à nos valeurs. Cette manœuvre relève d’une opération de déplacement des problèmes sociaux, visant à remplacer un ancien archétype de l’ennemi par un nouveau, en tant que catalyseur d’une construction identitaire.

Cependant, si la responsabilité de la criminalisation des personnes queer incombe au gouvernement, celle de l’instrumentalisation de la question queer revient, elle, à l’impérialisme sexuel occidental. Alors que les missionnaires des « droits de l’Homme » étaient censés protéger les minorités opprimées, la riposte autoritaire et ultraconservatrice en a fait l’une de ses premières cibles, en mobilisant l’argument anti-occidental. Le queer-washing n’a fait que renforcer le clivage social et culturel, séparant les « obscurantistes religieux » des progressistes libéraux. Si la question LGBTQ est exploitée avec autant de vigueur par le gouvernement, c’est parce qu’il sait bien provoquer une forte tension culturelle et existentielle en rejouant cette opposition et en prenant la défense du camp anti-progressiste, méprisé et moqué par les politiques « civilisationnelles ».

Le désir de l’Occident ?

La contestation massive, que l’on réduit aux rassemblements pro-européens, a sa propre spécificité dans les formes d’organisation, de sociabilisation et d’entraide, que l’on ne retrouverait jamais dans les rues de l’Europe.

Pendant les rassemblements de l’avenue Rustaveli, les danses traditionnelles, les chants folkloriques et religieux se mettent en scène ; les cool kids de la gen’ Z poussent les slogans – le « Gaumarojos Sakartvelos » – que l’on pourrait tout aussi bien entendre de la bouche des « obscurantistes » au moment d’un toast sur la patrie, la liberté et l’église ; les mères accompagnent leurs enfant.es, dans l’espoir vain de les protéger des abus policiers ; le cri d’une mère – « lâche-le/la, c’est mon enfant » – est devenu le slogan phare, désormais gravé sous forme de graffiti, de la contestation ; les grand-mères, quand elles ont encore la force de se déplacer, sont entourées et protégées par les manifestants contre les jets de canon à eau ; des prêtres sortent de l’église de Kashveti pour abriter les manifestant.es poursuivi.es.

Le soutien et l’entraide, d’une douceur extrême, se mettent en place aux côtés des affrontements violents ; derrière les masques à gaz, les boucliers aux graffitis « 1312 », se trouve aussi l’idée du commun, le commun qui s’exprime tout d’abord au niveau d’un sentiment d’appartenance collective, écrasé tout au long de son histoire d’existence et ajoute une forte dimension culturelle, voire existentielle, à la résistance politique.

Les raids policiers, militaires et para-militaires, l’avenue Rustaveli en a connu de nombreux depuis le mouvement indépendantiste des années 90. Des manifestant.es de la « génération des parents » évoquent la mémoire du 9 avril 1989, date qui marque le début tragique du mouvement indépendantiste avec la mort des jeunes manifestant.es écrasés par les tanks russes. Le recours aux forces extra-policières et la manipulation autour de la question de la guerre invoquent la mémoire collective : les crimes de guerre du groupe para-militaire Mkhedrioni, notamment en régions de Mingrélie et d’ Abkhazie, traumatisme collectif lié à la destruction des corps et des âmes suite aux massacres des Ossètes et des Abkhazes, au nettoyage ethnique des Géorgiens et aux déplacements forcés, ainsi qu’à la rupture des liens interethniques et familiaux.

Pour comprendre ce qui se joue derrière ce qui peut être interprété comme le désir de l’Occident, il faut également avoir cette lecture historique. D’abord l’empire tsariste, puis soviétique, font de la Russie l’une des principales puissances coloniales pour la Géorgie, après l’empire ottomane.

Pour rappeler le déroulement de l’histoire récente de la libération, la Géorgie et, ensuite, la Tchétchénie, proclament leur indépendance en 1991, avant la chute de l’URSS. Tout ceci se déroule dans un paysage marqué à la fois par l’intensification des luttes nationalistes et éthno-nationalistes, faisant appel à la sécession des groupes ethniques minoritaires sous la protection de l’URSS (Haut-Karabagh, Abkhazie, Ossétie).

La guerre civile se déclenche dans la capitale suite au coup d’État mettant aux prises les indépendantistes géorgiens, avec Zviad Gamsakhourdia à leur tête, et l’opposition putschiste, devenue le Conseil d’État dirigé par l’ancien chef communiste Eduard Chevardnadze. Cette guerre dégénère en un conflit dit inter-ethnique de 1991 à 1993 en Abkhazie.

La guerre de 2008 avec la Russie, bien qu’elle se déroule dans un cadre différent de celui des années 90, ravive les mêmes blessures liées aux conflits ethniques et territoriaux. Cette fois-ci, c’est l’Ossétie du Sud, une autre région majoritairement peuplée de minorités ethniques, qui finit par être occupée par la Fédération de Russie.

Mais qu’on ne se méprenne pas : si la question de l’autonomie des minorités ethniques dans un territoire où cohabitent une multiplicité de langues, de religions et de traditions est un enjeu crucial, la Russie reste une superpuissance extérieure qui utilise les tensions ethniques comme levier dans un bras de fer, dans le seul but d’élargir son règne territorial. Tout comme en Ukraine, la Russie a toujours su associer la violence de son régime impérial aux troubles ethno-identitaires en Caucase, s’érigeant en « sauveur des minorités ethniques opprimées ».

Ainsi, derrière les drapeaux européens se cache l’espoir d’un monde meilleur, derrière le désir de l’Occident – le désir d’indépendance. Mais l’Europe, comme horizon, ne se construit pas seulement en effet de miroir vis-à-vis de la Russie ; elle découle également de la propagande et du soft power de l’hégémonie néolibérale euro-atlantique, qui n’a cessé d’étendre sa zone d’influence sur les territoires post-soviétiques depuis la chute de l’URSS.

Pour nous, les deux générations des années 90, la promesse de la voie pro-occidentale, au moment de l’après-guerre et suite au déclin du mouvement indépendantiste, représentait le rêve d’un monde meilleur qui se trouvait alors de l’autre côté du rideau de fer : la paix, le pain, l’électricité, l’eau chaude, l’éducation et la santé. Aujourd’hui, même si l’Europe continue d’incarner une promesse pour une partie de la population, personne n’est dupe.

Depuis la libéralisation des visas en 2017, la Géorgie demeure sur la liste des pays à forte demande d’asile, aux côtés de l’Afghanistan et du Bangladesh. Cette statistique indique concrètement que, dans une population de 3,5 millions d’habitant.es, chaque famille a au moins un membre en parcours d’exil et de migration, à la recherche de protection et de conditions de subsistance, pour avoir accès aux soins de santé gratuits ou aux ressources financières suffisantes pour soutenir les proches restés dans le pays, ou pour rembourser les crédits d’une famille surendettée. Étant ainsi étiqueté.e.s comme les « mauvais.e.s exilé.e.s », car considérés comme des « migrants économiques » ou « pour des raisons de santé », non seulement le droit inaliénable à l’accueil leur est refusé, mais, en prime, ielles sont soumis.es à toutes sortes de violences institutionnelles et policières, allant des centaines d’expulsions illégales jusqu’à la mort de détenus dans des centres de rétention à la suite de violences policières.3

Alors que l’Europe aimerait cartographier la Géorgie sous sa zone d’influence, son traitement vis-à-vis de la population géorgienne en parcours d’exil et de migration économique révèle toute son imposture et son hypocrisie.

Ainsi, pour la population émigrée, notamment dans le contexte grandissant de racisme et de l’ascension de l’extrême droite, l’Europe ne représente plus cette force chimérique qui nous sauverait de l’impérialisme guerrier et garantirait de meilleures politiques sociales dans un pays en proie à la prédation privée. Pour la population sur place, dans la mesure où les questions géopolitiques se mêlent aux questions d’ordre identitaire, si l’Europe représente une stratégie de survie pour certains, la préoccupation principale, et maintenant encore plus, reste celle de l’autoritarisme du gouvernement local.


Pour une solidarité internationaliste

En guise de conclusion j’aimerais ajouter le message de soutien envoyé aux camarades en Géorgie depuis Paris:

“Depuis le rassemblement des camarades syrien.nes qui célèbrent la chute du régime du dictateur Bashar Al assad, et celui des camarades géorgien.nes organisé en soutien au mouvement de contestation actuel, nous voulons apporter le message de solidarité internationaliste aux peuples en lutte contre les impérialismes, les régimes autoritaires locales et les injustices sociales.

“En ce moment du génocide en Palestine, des guerres - en Ukraine, au Liban et au Soudan, l’ascension des régimes autoritaires en Géorgie, en Iran et en Russie, ainsi que de l’extrême droite en Europe, le seul espoir réside dans la construction des alliances et de solidarité entre les peuples opprimés. Seule les peuples sauvent les peuples !

“De la Syrie jusqu’à la Géorgie, la chute du régime partout!

“Liberté à toustes les détenues en Géorgie !

“Amour et Rage

“ Camarades internationalistes depuis Paris”

  1. Projet de construction de la Cascade Hydroélectrique de Namakhvani, la plus grande ouvrage hydroélectrique depuis la fin de l’URSS sur le territoire géorgien, par l’entreprise turque ENKA 

  2. La construction de pipeline déjà en 2006 a suscité de nombreuses oppositions des populations locales et cela va sans dire que l’économie locale n’a reçu aucun intérêt financier grâce à ces pipelines possedées par les consortiums multi-nationales, BTC Co et Société du pipeline du Caucase du Sud, dont la direction est partagée entre les entreprises européennes comme British Petrolium avec celles de l’Azerbaidjan et la turquie aux côtés de la Russie ou de l’Iran. 

  3. Vakhtang Enukidze en 2020 au CPR de Gradisca d’Isonzo,en Italie ; Tamaz Rasoian ressortissant géorgien kurde,au centre fermé de Merkplas, Belgique, en 2023 

03.12.2024 à 00:00

La guerre civile syrienne reprend : Perspectives sur le conflit depuis l’ouest et le nord-est de la Syrie

CrimethInc. Ex-Workers Collective

Perspectives sur le conflit depuis l’ouest et le nord-est de la Syrie.
Texte intégral (3908 mots)

La guerre civile syrienne est restée largement gelée depuis 2020, en raison d’un équilibre précaire des forces entre diverses factions, soutenues à des degrés divers par la Russie, la Turquie, l’Iran et les États-Unis. Ces derniers jours, cependant, profitant de la façon dont l’Iran et le Hezbollah ont été bloqués par le conflit avec Israël, tandis que la Russie était distraite par l’Ukraine, les forces antigouvernementales Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont pris Alep et intensifié leur campagne contre la dictature de Bachar al-Assad. Alors qu’Assad est responsable de la mort de centaines de milliers de personnes et que sa chute serait la bienvenue, cette évolution pose de nouveaux dangers.

Comme nous l’avons déjà évoqué , la situation en Syrie est complexe et les mêmes événements peuvent être très différents selon les points de vue. Afin de retracer une réalité éclairée par de nombreux points de vue, nous présentons ici le point de vue des participants à la révolution dans l’ouest de la Syrie, ainsi qu’un rapport des anarchistes du Rojava, la région du nord-est de la Syrie.


Alep, 2024.


Que se passe-t-il dans le nord-ouest de la Syrie ?

Il s’agit de la déclaration de la [Cantine Syrienne de MontreuilCantine Syrienne de Montreuil, un projet créé par des participants à la révolution syrienne en exil. Vous pouvez lire une interview avec eux ici.

Une alliance de divers groupes « rebelles » (jihadistes, islamistes, mercenaires sous tutelle de la Turquie, etc.) a lancé ces derniers jours une vaste offensive pour briser l’encerclement de la ville d’Idlib par le régime et ses alliés, et répondre à leurs attaques meurtrières. L’opération a permis de reprendre le contrôle territorial d’Alep (deuxième ville de Syrie) et de ses environs.

Cette offensive fait suite à la déstabilisation du régime iranien et du Hezbollah suite aux attaques israéliennes. Alliées de longue date d’Assad, les milices contrôlées par l’Iran ont continué à pilonner les zones rebelles de Syrie après le 7 octobre 2023. Même après l’attaque au bipeur orchestrée par Israël au Liban, le Hezbollah a attaqué Idlib (les 20 et 23 septembre 2024) avant de retirer une partie de ses troupes au Liban.

Idlib.

Dans un contexte humanitaire et économique catastrophique, l’opération militaire des groupes « rebelles » a forcé des centaines de personnes à quitter les zones récemment tombées sous leur contrôle (par peur de représailles), mais elle a aussi permis à des centaines de déplacés de revenir sur leurs terres et leurs maisons et de revoir leurs familles après de longues années de séparation et de survie difficile dans les camps de réfugiés.

Il y a des années, Alep avait déjà été libérée du régime d’Assad et auto-administrée par ses habitants de 2012 à 2016 avant de retomber aux mains du régime grâce au soutien de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah au Liban. Après un siège brutal, des bombardements incessants qui ont tué 21 000 civils et la destruction quasi totale de la partie est de la ville, la chute d’Alep a marqué une défaite militaire décisive pour la révolution syrienne.

Aujourd’hui, on ne peut que se réjouir de voir les forces du régime contraintes de fuir Alep : images de détenus libérés de prison, statues de la famille Assad renversées, portraits de Khameini, Nasrallah ou Soleimani déchiquetés. Mais soyons clairs, il n’y a aucune raison d’espérer pour l’avenir de la Syrie dans les zones « libérées » par ces groupes militaires, qu’ils soient jihadistes ou « modérés ».

Cette opération, pourtant décidée et coordonnée en Syrie, n’aurait pu voir le jour sans le feu vert de la Turquie, elle-même dépassée par l’ampleur de l’offensive. Il faut bien l’avouer, rares sont ceux qui croient encore aujourd’hui qu’Erdoğan est un ami du peuple syrien. La Turquie massacre les populations kurdes en Syrie et ailleurs, organise des déportations forcées de réfugiés syriens, tente depuis des années de normaliser ses relations avec Assad et utilise les combattants syriens comme mercenaires pour ses intérêts géopolitiques, sans parler de la répression de toute dissidence interne.

Quant aux groupes islamistes, leur pouvoir est contesté depuis des années par la population civile des zones qu’ils contrôlent. En 2024, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu à Idlib pour exiger le départ d’[Abou Mohammed] al-Joulani, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le groupe qui gouverne l’enclave. Sans légitimité populaire, HTC gouverne par la force ; il n’a pas réussi à réaliser les espoirs de la révolution de 2011. Les Syriens qui se sont soulevés contre la tyrannie d’Assad et ont tant sacrifié pour pouvoir vivre en liberté ne peuvent pas vivre sous des groupes comme HTC à long terme.

Al-Joulani = al-Assad.

Une joie amère et ambiguë donc. Beaucoup reste incertain. Les conséquences humanitaires risquent d’être catastrophiques. Le régime et ses alliés ont multiplié les attaques sur les zones déjà contrôlées par les « rebelles » ainsi que sur celles qu’ils viennent de reprendre. Les hôpitaux d’Alep sont déjà débordés par le manque de moyens et de personnel. On ne sait toujours pas quelle sera la position des Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes. La seule chose dont on puisse être sûr, c’est l’éternel retour des partisans de « l’axe de la résistance » qui, sous couvert d’opposition à Israël et à l’impérialisme occidental, blanchiront une fois de plus les bourreaux qui ont assassiné et déplacé nos familles et nos amis.

Au milieu de tout cela, nous sommes largement dépossédés de notre révolution et de la possibilité d’autodétermination de notre pays. Entre les puissances étrangères qui jouent à leur jeu d’influence avec notre sang et les milices islamistes qui ne parlent que le langage des armes, pour l’instant, la force brute et les calculs géopolitiques décideront de notre avenir. La situation n’est pas excellente, mais la chute du régime reste la condition préalable à tout changement dans le pays. Encore et toujours, le peuple veut la chute du régime.

Vive la Syrie libre !
Gaza vivra, la Palestine sera libre !
« Ils doivent tous partir » pour un Liban libre !


Vue depuis Rojava

Un aperçu général des principaux développements des deux derniers jours, apporté par les anarchistes internationalistes en Syrie.

L’offensive de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a fait une percée dans les premiers jours vers l’est (Alep) et le sud (Hama) et a ralenti les 1er et 2 décembre. Les forces du régime d’Assad semblent avoir repris la ville de Hama et stoppé l’avancée de HTS vers la ville de Homs. Les forces aériennes russes mènent une vaste campagne de bombardements, ciblant les unités de HTS mais aussi les infrastructures civiles et militaires à Idlib, Alep et le long de la route de l’avancée de HTS. Des rapports font état de victimes civiles et de combattants. Des avions appartenant au régime d’Assad ont également mené des frappes aériennes, mais à une échelle plus réduite. À Alep, dans le quartier kurde de Sheikh Maqsood, les habitants se sont préparés à l’autodéfense.

Au nord d’Alep, le canton de Şehba est occupé par l’Armée nationale syrienne (ANS) [soutenue par la Turquie]. Des milliers de personnes qui vivaient dans des camps de réfugiés depuis l’invasion turque d’Afrin en 2018 sont actuellement en cours d’évacuation. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) organisent un couloir humanitaire pour permettre aux populations de quitter Alep et Şehba. Aucun affrontement majeur n’est signalé entre les FDS et l’ANS pour l’instant.

Dans d’autres régions de l’Administration démocratique autonome du nord et de l’est de la Syrie (DAANES), des bombardements d’artillerie et des activités de drones ont eu lieu, mais pas plus que d’habitude.

Des informations font état de l’avancée massive de la milice Hashd Ash-Shaabi, soutenue par l’Iran, sur le territoire syrien dans la région de Deir-Ez-Zor. Dans la même région, les FDS et le conseil militaire de Deir-Ez-Zor tentent de prendre le contrôle de certaines villes et villages.

Les forces de l’État islamique qui restent dans le désert du centre de la Syrie n’ont pas encore fait de mouvements majeurs, mais on s’attend à ce qu’elles utilisent la situation au mieux de leurs capacités.


Les FDS ont appelé à une mobilisation massive, demandant aux jeunes de rejoindre les FDS et d’être prêts à repousser les prochaines attaques sur le territoire libéré. ​​On s’attend généralement à ce que l’escalade s’intensifie et que les factions soutenues par la Turquie profitent de l’occasion pour attaquer les régions occidentales de DAANES, comme Minbij.

Au début, des rumeurs circulaient sur une tentative de coup d’État à Damas ; si une telle tentative a eu lieu, elle semble avoir rapidement échoué.

L’Égypte, la Russie, les Émirats arabes unis et l’Iran ont exprimé leur soutien au régime d’Assad.

La région autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie, également connue sous le nom de Rojava, est en proie à de nouveaux troubles. Le nombre de réfugiés arrivant dans les cantons occidentaux, en comptant le nombre de personnes arrivées du Liban ces derniers mois, pourrait facilement dépasser les 200 000 dans les semaines à venir.


Au cours des premiers jours de l’offensive de HTS et de l’avancée de l’Armée nationale syrienne (SNA) contre Şehba, ainsi que du siège de Sheikh Maqsood, il est clair que le régime d’Assad se trouve dans une situation très difficile ; il semble possible qu’il s’effondre. Cependant, tout pouvoir potentiel de HTS ne sera pas stable et ne sera pas en mesure de résoudre les problèmes urgents que la dictature de Bachar Al-Assad a créés et aggravés pour la Syrie. Néanmoins, la chute d’Assad pourrait ouvrir une fenêtre de possibilité pour un changement dans la région, si les Syriens – aussi bien ceux qui restent au pays que ceux qui décideront de revenir après l’exil – parviennent à faire revivre les idées originales de la révolution syrienne.

Les grandes puissances mondiales comme la Turquie, les États-Unis et Israël bénéficieront de l’offensive de HTS. HTS répond à tous leurs besoins en tant que force opposée à l’Iran, à Assad et à la Russie. Si elles ont la possibilité de prendre en charge la création de l’État en cas de victoire, en suivant le modèle des talibans, il est possible que les principaux acteurs de HTS exercent leur influence sur un éventuel futur nouveau gouvernement. Il est même possible que les États susmentionnés soutiennent HTS dans sa prise de pouvoir, étant donné qu’ils ne souhaitent pas que le peuple syrien décide de lui-même de manière indépendante.

La chute du régime d’Assad serait bénéfique pour les DAANES à plusieurs égards, mais elle pose également des questions majeures :

A) Il existe un grave danger que, libéré de la nécessité de lutter contre la Russie et Assad, l’État islamique profite de l’occasion pour se développer à nouveau, même s’il sera également en conflit avec HTS.

B) On peut s’attendre à ce que les États-Unis soient de plus en plus envahissants et manipulateurs si les DAANES deviennent plus dépendants des États-Unis pour les protéger d’une éventuelle invasion turque.

C) La recherche d’un nouvel équilibre des forces dans la région s’annonce chaotique et sanglante, et on ne sait pas comment elle se terminera.

D) Cela est particulièrement vrai dans la mesure où la Turquie va étendre la zone de son contrôle direct beaucoup plus profondément en Syrie.

E) Enfin, la prise de contrôle de l’ouest de la Syrie par les fondamentalistes religieux du HTS provoquera un conflit aigu avec le projet révolutionnaire dans le nord-est de la Syrie, notamment en ce qui concerne la façon dont cela a changé le statut des femmes dans la société.

La situation du Liban sera très difficile, car le pays sera coincé entre Israël et la partie syrienne contrôlée par le Hamas. Cela pourrait conduire à une escalade des conflits internes. Le Hezbollah se retrouverait sans aucun moyen de recevoir le soutien de l’Iran.

Dans le contexte régional, le DAANES représente dans une certaine mesure une solution non étatique fondée sur l’autogouvernance et l’autonomie culturelle, religieuse, de genre et ethnique. Pourtant, c’est lui qui bénéficie du moins de soutien international.

Salutations révolutionnaires !


Alep, 2024.

Mise à jour : 6 décembre 2024

Ce rapport de suivi nous parvient du même groupe d’anarchistes internationalistes en Syrie.

Il se passe tellement de choses aujourd’hui qu’il est difficile de les résumer. Nous allons partager quelques informations pertinentes, en précisant que nous ne sommes pas un service de renseignement mais simplement des anarchistes révolutionnaires qui suivent la situation dans le nord-est de la Syrie.

L’actualité principale du jour est l’effondrement général de l’Armée arabe syrienne (l’armée du gouvernement de la République arabe syrienne, ou AAS), avec des soldats se retirant de nombreux fronts différents, et faisant même défection publiquement dans certaines régions.

Front occidental

L’avancée de Hay’at Tahrir al-Sham (la principale coalition d’opposition islamiste, HTS) se poursuit. Après avoir pris le contrôle de la ville de Hama, ils atteignent les faubourgs de Homs. Des vidéos d’attaques de drones Shaheen (des kamikazes autoproduits par HTS) contre des postes militaires de l’AAS à Homs circulent déjà sur les réseaux sociaux.

Alors que l’offensive du HTS se déplace vers le sud, les combattants s’étendent également vers l’est et l’ouest, non seulement en combattant mais aussi en concluant des accords avec des groupes locaux. À Mahardah, à l’ouest de Hama, ils ont négocié le retrait des soldats de l’AAS avec la communauté chrétienne locale ; à Salamiya, à l’est de Hama, ils ont conclu un accord avec la communauté ismaélienne.

Leur avancée vers l’ouest se fait dans le désert, où l’État islamique (ISIS) a maintenu son insurrection. On ne sait pas encore si les cellules rebelles de l’EI vont affronter HTS ou les accueillir.

Front de l’Est

Les soldats de l’AAS se retirent de leurs positions à la périphérie de Raqqa, tandis que les Forces démocratiques syriennes (la coalition militaire des forces de défense du Rojava, SDF) se déplacent pour capturer ces territoires afin d’empêcher toute nouvelle activité de l’EI.

Un scénario similaire se déroule dans la ville de Deir Ezzor, où il semble qu’une certaine coordination ait été mise en place pour sécuriser la zone avec les soldats de l’AAS avant qu’ils ne quittent leurs positions.

Au moins une ville située à 50 km au sud de Deir Ezzor, Al-Quraya, semble être sous le contrôle des forces de l’EI qui y ont pénétré alors que l’AAS se retirait.

Les forces des FDS ont également pris le contrôle du poste frontière avec l’Irak à Albukamal, qui a été un point de passage très important pour les lignes de coordination et d’approvisionnement de diverses forces mandatées par l’Iran.

La SNA a publié un communiqué de presse annonçant son opération contre les FDS à Manbij, exhortant les civils à rester à l’écart des zones militaires.

Fronts du Sud

Un nouveau front s’est ouvert dans le sud du pays, alors que différents groupes rebelles à Quneitra, Daraa et Soueida ont commencé à mener des actions militaires contre l’AAS (l’Armée Arabe Syrienne) en déclin. Ils auraient créé une salle d’opération commune pour coordonner les attaques contre les soldats du régime.

Plusieurs groupes ont pris d’assaut des postes de contrôle, des commissariats de police et des casernes militaires dans certaines zones. L’AAS réagit à ces attaques par des bombardements et des affrontements intermittents.

Des vidéos de soldats de l’AAS faisant défection publiquement et rejoignant les milices de défense locales se propagent sur les réseaux sociaux, en particulier au sein de la communauté druze de Soueida.

Dans le sud, mais à l’est, le bataillon d’Al-Tanf progresse également. Connu sous le nom de Maghawir al-Thawra, ce groupe faisait partie de l’Armée syrienne libre (l’ancien nom utilisé pour désigner les groupes d’opposition contre Assad), mais après l’émergence de l’EI, son objectif principal s’est déplacé vers la lutte contre le califat. Il a reçu une formation et des armes des États-Unis, ainsi qu’un soutien dans ses opérations contre l’EI. Ces dernières années, il a bloqué les voies de livraison d’armes à l’Iran et a lancé des raids contre les groupes de contrebande de drogue Captagon. Aujourd’hui, pour la première fois, il a quitté sa zone d’opérations locale et affronte les forces de l’AAS à Palmyre.

Rumeurs

Israël bombarderait des installations de recherche chimique pour les empêcher de tomber aux mains des « rebelles ». La Russie évacuerait une partie de ses forces aériennes stationnées en Syrie.

Des rumeurs font état d’un coup d’Etat contre le gouvernement Assad à Damas. Des informations émanant du Mossad (les services de renseignements israéliens) indiquent également qu’Assad aurait quitté la Syrie, ce qui laisse penser qu’il se serait enfui en Iran.

Évaluations préliminaires

Il est clair que plus personne ne fait confiance au gouvernement d’Assad. Nous sommes confiants d’annoncer que c’est la fin du régime. Pour de nombreux Syriens, ce jour sera un jour de fête. Après presque 13 ans de guerre, de misère et d’exil, leur rêve d’une Syrie sans Bachar se réalise. En ce sens, c’est aussi un jour de fête pour nous.

Mais la fin du régime ne sera probablement que le début d’une nouvelle phase de conflit et d’instabilité, une phase très difficile. La Syrie est devenue un champ de bataille où de nombreuses forces militaires (étatiques et non étatiques) utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs sans craindre les conséquences. Cela comprend la brutalité du régime syrien et les bombardements massifs de la population civile par la Russie, les massacres horribles de l’État islamique et les occupations génocidaires et impérialistes de l’armée turque et de ses mandataires visant le peuple kurde et la révolution du Rojava.

Plus d’une décennie de guerre et de souffrances a laissé des blessures qui ne se refermeront pas avec la fin de la dynastie Assad, et le lendemain nous assisterons probablement à davantage d’effusions de sang et d’atrocités. Les déclarations d’opération de l’Armée nationale syrienne (SNA) contre Manbij marqueront probablement le début d’une guerre d’occupation brutale, comme nous l’avons déjà vu en 2018 à Afrin et en 2019 à Serekaniye et Gire Spi. L’avenir de Damas n’est pas encore clair, et l’islamisme de HTS commencera bientôt à révéler ses vraies couleurs au peuple syrien. Quoi qu’il en soit de ce qui est montré sur CNN, les habitants d’Idlib souffrent et protestent contre le régime autoritaire de HTS depuis des mois.

Les puissances occidentales accepteront tacitement cette version apparemment diluée du salafisme, comme elles l’ont déjà fait en Afghanistan. Et ces grands changements détourneront l’attention des massacres perpétrés par la Turquie à Manbij, donnant à ce membre rebelle de l’OTAN au Moyen-Orient les coudées franches en échange de sa loyauté dans d’autres affaires plus prioritaires pour l’agenda occidental.

La révolution au Rojava est menacée, comme toujours. Célébrons la chute du régime, mais continuons à construire le nouveau monde que nous portons dans nos cœurs.

Salutations révolutionnaires !


This translation originally appeared here. If you want to support evacuees in northeastern Syria, you can do so here.

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