14.11.2024 à 14:21
Lisa Pignot
Dans une tribune publiée le 11 octobre dans Le Monde, la ministre de la culture, Rachida Dati, a annoncé sa volonté de réformer le Pass culture afin qu’il remplisse mieux sa mission de service public. Qu’est-il donc reproché au Pass culture ?
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a été rendu public qui montre, grâce à une enquête du CSA, que la proportion de jeunes ayant téléchargé l’application varie de 87 % chez ceux issus de parents diplômés du supérieur à 67 % chez ceux dont les parents ont le certificat d’études primaires. La technologie ne fait pas disparaître les inégalités sociales face aux pratiques culturelles. Le goût pour la lecture, le cinéma, les concerts prospère davantage dans les familles qui s’intéressent à ces domaines et ont les moyens de s’y repérer et peuvent (doivent) exprimer leurs pratiques dans leurs relations de sociabilité. Le rapport conclut à « l’existence d’effets d’aubaine ».
C’est indéniable, mais l’argument est étonnant car il vaut pour toute action culturelle. N’y a-t-il donc aucun effet d’aubaine dans l’offre des institutions culturelles ? Si la démocratisation de la culture est l’objectif des musées, comment justifier alors que la part des publics diplômés dans ces établissements soit 3,8 fois plus importante que celle des moins diplômés en 2018 (2,8 fois plus en 1973) ? Et bien sûr cela vaut pour tous les équipements culturels. Si l’élargissement des publics est la vocation de l’Opéra de Paris, que penser de l’âge moyen à 45 ans et de la surreprésentation des très diplômés et des Parisiens dans le public ?
Et, puisque le livre est le premier bien acquis par les jeunes grâce au Pass culture, relevons son importance dans la démocratisation de la fréquentation des librairies. Les données de l’enquête de LObSoCo (L’Observatoire Société et Consommation) montraient que seulement 12 % des 18 ans et plus sans diplôme fréquentaient les librairies. Cette proportion est sans nul doute largement inférieure à celle des jeunes issus de parents non diplômés ayant franchi les portes d’une librairie grâce au Pass culture. Le dispositif permet donc aux libraires de voir des jeunes qu’ils ne verraient pas sans et qui ne sont pas familiers de ce lieu. Et 87 % du panel des libraires interrogés pour l’Observatoire de la librairie considèrent que les jeunes qui utilisent le pass Culture sont un nouveau public. Et d’ailleurs, l’étude d’avril 2023 Le livre sur le pass Culture montrait que 48 % des utilisateurs qui ont réservé un livre avec le Pass culture ont déclaré avoir découvert un lieu d’achat ou d’emprunt de livres en allant retirer leur réservation.
Le Pass culture ne permet sans doute pas beaucoup de renouvellement des publics des institutions culturelles légitimes et d’ailleurs les réservations de spectacles vivant ne représentent que 2 % des dépenses faites par les jeunes. En revanche, s’agissant du livre et de la lecture, il alimente le maintien du rapport des jeunes à cette pratique.
Le Pass culture est plébiscité par les jeunes. 81 % de la génération 2004 a utilisé une partie de la somme disponible et plus de la moitié au moins 285€ sur les 300€ disponibles. Fin août 2023, ils étaient 3,2 millions à avoir utilisé ce crédit. Et ce succès a un coût de 260 millions d’euros. Cela représente environ 6 % du budget 2024 du ministère de la Culture (hors Audiovisuel public). Par comparaison, c’est aussi le budget de la BnF ou un peu plus que la dotation de l’État à l’Opéra national de Paris ajoutée à celle du musée du Louvre. Mais cette dépense touche une part très importante des jeunes Français, quelle que soit leur région. Par contraste, on se souvient que Jack Lang avait pointé le privilège des Franciliens qui bénéficient d’équipements culturels financés par l’État (à hauteur de 139€ contre 15€ pour les habitants des autres régions).
Du point de vue de la promotion de la lecture, les dépenses du Pass culture ne sont pas vaines. D’après les données du rapport de l’IGAC, le livre représente 71 % de ce que les jeunes sélectionnent sur l’application et 54 % de ce qu’ils dépensent. Autrement dit, c’est d’abord vers les livres qu’ils se tournent quand on leur donne des ressources financières pour leurs pratiques culturelles.
Pourtant, les commentaires de l’enquête « Les jeunes Français et la lecture » du CNL étaient souvent empreints d’inquiétudes et de déploration sur l’« effondrement », le « décrochage » ou la « perte de vitesse » de la pratique et alors même qu’était pointée la concurrence des écrans.
Comment à la fois déplorer le faible engagement des jeunes dans la lecture et remettre en cause un dispositif qui parvient à faire de ce support un objet attractif ? Cette incohérence signale que l’enjeu se situe peut-être ailleurs…
Le Pass culture constitue une révolution dans les politiques culturelles. L’histoire du ministère de la Culture se caractérise surtout par une politique d’offre dans laquelle les représentants du champ culturel dûment choisis et installés dans des équipements prestigieux constituaient une offre (prenant la forme de collections, d’expositions, de spectacles, etc.) pour la population qu’on espérait bien pouvoir être charmée et convertie à cette qualité. Faute de succès, cette politique a été maintenue mais avec le souci de communiquer sur des initiatives (avec parfois de réels succès) de démocratisation de la culture. Cela passe par des partenariats, souvent avec l’École ou le milieu carcéral, afin de mettre en évidence que l’intention de transmission de la culture n’est pas abandonnée.
Le choix d’instaurer le Pass culture apparaît comme une sorte d’aveu d’impuissance qui a été plutôt mal perçu par les institutions culturelles. Le pouvoir de définition de la culture leur échappe et chaque jeune vote avec de l’argent public. D’où la prise de parole hostile à l’égard du Pass culture de la part du président du Syndicat national des Entreprises artistiques et culturelles. Et en effet, ce n’est pas vers les équipements culturels que se ruent les jeunes. Ils vont en librairie et commandent massivement des types de livres qui singularisent leur classe d’âge. Une enquête de l’Observatoire de la librairie du Syndicat de la Librairie française auprès de 338 librairies montre qu’en 2022 les mangas représentaient 36 % du volume des réservations et les romans d’amour ou sentimentaux 3 %. Mais un an plus tard, la part des premiers est descendue à 23 % et celle des seconds est montée à 10 %.
Le Pass culture est donc bien approprié par les jeunes comme un outil pour définir et redéfinir leur monde du livre à distance de celui de l’École ou de leurs parents. Ce faisant, ils manifestent leur souhait de participer à la régénérescence de la culture en construisant un « nous générationnel » qui se distingue de celui dont ils ont hérité et par lequel certains pourront dire « je ».
Pour autant, peut-on réduire leurs pratiques (de lecture mais aussi de cinéma) à des choix conformistes, limités aux meilleures ventes ou aux blockbusters comme le suggèrent les détracteurs du Pass culture ?
Certes, 1158 (soit 1 %) titres différents de livres réservés en 2022 ou 2023 parmi les 115 754 références réservées au moins une fois représentaient 39 % du volume des ventes. Il existe bien un effet de vogue de certains titres ou auteurs. Reste que plus de la moitié des ventes se disperse parmi une grande diversité de titres. Le pass devient alors le support d’une affirmation ou d’une construction personnelle. C’est ainsi que 55 % des références relèvent du « fonds » de la librairie, c’est-à-dire des titres parus au minimum deux ans plus tôt. Et l’étude de 2023 réalisée par Pass culture montrait que près d’un jeune sur deux (43 %) ayant réservé un livre sur le Pass culture a choisi un genre littéraire qu’il ne connaissait pas.
Hors du monde du livre, on perçoit clairement cet usage nourri par le souci de se construire soi-même à travers le poids des dépenses consacrées à l’achat d’instruments de musique (8 %) ou de matériel de Beaux-arts (3 %).
Le Pass culture apparaît comme une opportunité pour repenser les politiques culturelles. Sa suppression apparaîtrait comme un stérile retour en arrière. Face à l’échec des politiques d’offre, il ouvre la voie à un nouveau dialogue entre les publics et les équipements culturels. À l’heure où les individus sont conduits à se définir comme autonomes, il est cohérent de partir des publics plutôt que d’œuvres choisies par d’autres qu’il s’agirait de leur transmettre. Cela ne signifie pas pour autant la fin de la « figure-clé du médiateur » comme l’écrit Michel Guerrin.
Les libraires reçoivent les jeunes avec leurs envies. Ils parlent avec eux et les orientent dans leurs choix avec leur connaissance de la production éditoriale mais aussi avec tact. C’est peut-être vers ce dialogue que les politiques culturelles doivent se redéfinir.
À lire aussi : Pass Culture, un outil pour travailler l’illectronisme dans la culture d’Emmanuel Vergès, et L’influence du numérique sur les choix culturels des utilisateurs du pass Culture de Mandy Llamas.
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14.11.2024 à 14:18
Frédérique Cassegrain
Pensé pour réduire les inégalités d’accès des jeunes à la culture et diversifier leurs goûts, le pass Culture a-t-il réellement échoué à être ce sésame de la démocratisation ? Une autre hypothèse peut être avancée en déplaçant la focale sur ses atouts en matière de politiques culturelles numériques et en dépassant une approche strictement « solutionniste ».
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Le pass Culture est ausculté et audité régulièrement depuis sa création Cour des comptes, Le pass Culture : création et mise en œuvre, rapport, 2023 ; G. Amsellem, N. Orsini, Les impacts de la part individuelle du pass Culture, mission d’évaluation de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), mai 2024.. Il suscite des critiques récurrentes dans les milieux culturels et dans les médias Cl. Poissenot, « Qui veut la peau du Pass culture ? », The Conversation, 24 septembre 2024 ; M. Guerrin, « Plus le Pass culture a du succès auprès des jeunes, plus il creuse les inégalités qu’il est censé corriger », Le Monde, 13 septembre 2024. sur les limites du dispositif quant à ses effets sur la démocratisation culturelle, jusqu’à engager la ministre de la Culture, Rachida Dati, à proposer une réforme ainsi qu’elle l’a annoncé dans une récente tribune publiée dans Le Monde R. Dati, « Le Pass culture peut être l’occasion d’amener les élèves à une citoyenneté culturelle », Le Monde, 11 octobre 2024..
Ces dernières critiques laisseraient à penser que les technologies, en tant que telles, pourraient vis-à-vis des jeunes résoudre d’« un simple clic » les problématiques de démocratisation culturelle que les politiques publiques peinent à traiter depuis trente ans Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, DEPS, ministère de la Culture, 2020 ; O. Alexandre, Y. Algan, Fr. Benhamou, « La culture face aux défis du numérique et de la crise », Les Notes du Conseil d’analyse économique, no 70, février 2022.. On peut qualifier cette approche de « solutionniste », pour reprendre les travaux d’Evgeny Morozov E. Morozov, Pour tout résoudre, cliquez ici, Paris, Gallimard, 2014.. Il s’y dévoile aussi une certaine forme d’illectronisme dans la mesure où les technologies numériques ne sont pas appréhendées comme un ensemble complexe d’intentions, de potentiels, de capacités, d’appropriations, de médiations D. Cardon, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.… Le pass n’échappe pas à cette complexité. Cet illectronisme, au sens strict de sa définition L’« illectronisme numérique » caractérise la situation d’un adulte ne maîtrisant pas suffisamment les usages des outils numériques usuels pour accéder aux informations, les traiter et agir en autonomie dans la vie courante. https://www.anlci.gouv.fr/illectronisme/quest-ce-que-lillectronisme/, se perçoit dans la difficulté à analyser les usages de l’application et de la plateforme, mais aussi dans l’achoppement des politiques culturelles à intégrer les médias et les technologies numériques comme supports, outils et objets de création et de cultures Fr. Bauchard, « Le théâtre à distance à l’ère du numérique », L’Observatoire, no 58, été 2021..
Les innovations numériques dans le secteur culturel ont régulièrement été confrontées à ces controverses opposant deux conceptions (l’une culturelle et l’autre strictement technique) de ces services et dispositifs. Il semble aujourd’hui possible de s’éloigner de la rhétorique du « séisme culturel » présente dans les critiques à l’encontre du pass Culture et de sortir d’une situation potentielle d’illectronisme culturel, en éclairant ce système d’accès à la culture depuis les politiques numériques. Cela permettra ainsi d’enrichir la réflexion sur les nouvelles dynamiques de politiques culturelles « en régime numérique » qui en découle.
Depuis la fin des années 1990, les politiques numériques se sont déployées, à partir du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information du gouvernement Jospin (1997) autour du développement d’infrastructures (réseaux informatiques, antennes de téléphonie mobile, etc.) mais aussi de services, lieux d’accès, actions de médiation et formations… Dans ce cadre, les services publics se sont dématérialisés à partir du milieu des années 2010 et ont engendré une double problématique. Premièrement, l’illectronisme – qui concerne près de 15 % de la population adulte https://www.insee.fr/fr/statistiques/7633654 – s’est traduit par une augmentation du non-recours à certains droits fondamentaux (sociaux, éducatifs, publics, etc.). Il ne s’agit donc plus de la fracture numérique des années 2000 qui pointait la difficulté matérielle (ne pas avoir d’équipement chez soi), infrastructurelle (ne pas avoir accès à une connexion internet) ou économique pour accéder aux services en ligne, mais une problématique d’usages et de compétences. Deuxièmement, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a analysé dans son rapport en 2022, que la dématérialisation avait exigé la transformation du rôle de l’usager dans la production même du service public : « il en devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former […] ».
Ainsi la dématérialisation a changé en profondeur le principe même de la politique publique d’une égale accessibilité des citoyens aux services publics. Elle s’est alors accompagnée de politiques dites « d’inclusion numérique » portées par l’État (Agence nationale de la cohésion des territoires, programme Société numérique), des acteurs associatifs, des entreprises regroupées au sein de la société coopérative d’intérêt collectif La Mednum et des collectivités. Ces politiques se sont concrétisées par le développement d’équipements de proximité et d’actions de médiation pour garantir un accompagnement fonctionnel et culturel à ces services. Car, « plus on dématérialise, plus on a besoin d’humain » entend-on dans les bureaux municipaux de proximité ou les espaces publics numériques (EPN), en ville comme à la campagne. Les pratiques numériques sont situées, territorialisées. Elles créent du lien et des interactions entre des personnes, des institutions ou des entreprises. Elles ne se limitent pas à des clics et à de l’interactivité avec le cloud. Le numérique reste intrinsèquement lié au matériel, au physique et au territoire. Il participe à la construction de politiques publiques du « dernier kilomètre Conseil d’État, L’usager du premier au dernier kilomètre de l’action publique : un enjeu d’efficacité et une exigence démocratique, étude annuelle 2023. ». Ce terme, issu du vocabulaire de la logistique et des réseaux, est employé par le Conseil d’État dans son étude de 2023 : « Appliquée aux politiques publiques, elle revient à rechercher si l’action publique atteint effectivement le public qu’elle vise et les objectifs qu’elle s’est fixés Ibid.. » Ce rapport a, entre autres, été suscité par le développement de l’administration numérique, la numérisation de l’action publique et la recherche d’une articulation entre les politiques de dématérialisation d’un côté et de reterritorialisation de l’autre. Il est donc intéressant de constater que le pass Culture figure comme dispositif emblématique des politiques culturelles « du dernier kilomètre ».
Cette orientation permet désormais d’appréhender le pass Culture comme un service public culturel dématérialisé : il propose une intermédiation numérique avec une offre jusqu’alors assurée par les institutions et lieux culturels, les médiateurs et les médias. Du point de vue des politiques numériques, le pass est un dispositif inédit d’information et de prescription territorialisées, mais également de médiation culturelle dématérialisée. Là où les espaces culture multimédia des années 1990 avaient ouvert la voie au développement et à l’institutionnalisation des pratiques numériques (au sens de politiques d’action culturelle et de création artistique), le pass Culture vient innover dans les politiques de démocratisation. Au-delà d’un simple outil favorisant le consumérisme culturel individualisé et compulsif, il rend « découvrable », depuis un téléphone portable, une offre ainsi que des expériences culturelles et artistiques territoriales, sous toutes leurs formes et esthétiques. La découvrabilité La « découvrabilité » peut être définie comme le potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans les environnements numériques, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question. Elle se distingue de la « trouvabilité », cette dernière étant restreinte au potentiel d’un contenu d’être trouvé intentionnellement. des contenus devient un élément clé des politiques culturelles, dans un monde où l’accès à ces derniers se fait majoritairement (entre 85 % et 90 %) via les applications mobiles, et où la prescription est principalement algorithmique à travers les réseaux sociaux et les plateformes, dans les mains de quelques entreprises hégémoniques (celles que l’on nomme les Gafam).
Le pass Culture peut-il aussi se concevoir en tant que dispositif permettant de travailler l’articulation entre politiques numérique et culturelle ? D’abord, il est l’occasion de réinterroger la formation aux numériques dans le champ culturel (au sein des structures, des institutions et des équipes) tel que le préconise le rapport du Conseil d’analyse économique de février 2022 Les Notes du Conseil d’analyse économique, février 2022, op. cit.. Les lieux culturels sont les premiers concernés par cette mise en culture du numérique. C’est d’ailleurs ce à quoi travaille la médiation numérique depuis trente ans, à la fois par l’apprentissage des outils, leur maniement et leurs potentiels, mais aussi à travers la littératie La littératie numérique désigne l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités. numérique, afin de saisir ce que ces derniers portent comme dimension culturelle, ainsi que leur impact sur notre relation à l’art, aux œuvres, aux expressions, à la diversité et sur nos pratiques… Comment envisager aujourd’hui cette médiation numérique et ses enjeux dans chaque lieu d’art et de culture ? Le réseau des conseillers « médiateurs numérique » de La Mednum montre l’importance et la puissance sociale et culturelle de ce maillage qui favorise un Internet et un numérique d’intérêt général, pour reprendre la thématique des dernières rencontres annuelles Numérique en Commun[s] qui regroupent les professionnels de ce secteur.
Ensuite, le pass peut être un outil de démocratisation, si et seulement si, il est en interaction avec une offre locale et qu’il ne se contente pas de proposer un choix parmi un catalogue. Un clic n’est pas une médiation. La construction de l’offre culturelle et son lien, via la plateforme, avec les publics relèvent d’une coopération à l’échelle d’un territoire, construite entre les acteurs de la culture (publics comme privés), de la jeunesse, de l’éducation, de l’insertion, de la médiation numérique, à tous les niveaux d’intervention. En régime numérique, la démocratisation culturelle peut procéder d’une intermédiation coopérative, comme le montrent les travaux d’Olivier Thuillas sur l’émergence du modèle de « coopérativisme de plateforme O. Thuillas, L. Wiart, Les Plateformes à la conquête des industries culturelles, Grenoble, PUG, 2023. » qui pourrait favoriser un lien nouveau entre institutions, structures culturelles, artistes et usagers.
Enfin, la singularité du dispositif est de proposer une aide financière. Celle-ci est l’objet de multiples critiques pour la dimension consumériste qu’elle insufflerait aux pratiques culturelles et artistiques. Mais cela revient à oublier que les aides ou incitations financières constituent l’une des dimensions des politiques publiques, qu’elles soient structurelles (sociales, économiques, etc.) ou transformatives (environnement, etc.). Dans le champ des politiques culturelles, cette aide financière octroyée dans le cadre du dispositif pass Culture peut seulement favoriser la transformation des pratiques culturelles des jeunes, en incitant à la fréquentation des lieux culturels quels qu’ils soient, et dans une démarche de proximité. Mais le pass Culture pourrait aussi participer à l’inclusion des jeunes au cœur même de l’action culturelle territoriale. En effet, la fréquentation des lieux et les offres constituent l’alpha et l’oméga des politiques de démocratisation, de médiation culturelle et de développement des publics depuis toujours. Si l’aide financière permet d’augmenter cette fréquentation, il faut aussi envisager l’opportunité pour les lieux, de proposer d’autres manières d’être « fréquentés », voire de s’ouvrir à d’autres usages. On peut s’appuyer en cela sur l’approche contributive des tiers-lieux culturels qui construisent des politiques d’action, en misant sur la fonction territoriale du lieu à partir des usages et des besoins des gens R. Besson, « Les tiers-lieux culturels. Chronique d’un échec annoncé », L’Observatoire, no 52, été 2018 ; A. Idelon, « Tiers-lieu culturel, refonte d’un modèle ou stratégie d’étiquette ? », L’Observatoire, no 52, été 2018.. Cette opportunité va bien sûr nécessiter, au sein des équipes culturelles et des structures, une alliance entre les directions et le personnel chargé de l’accueil et de la médiation, afin de penser de manière centrale l’accès à ces dispositifs et outils, et incidemment faciliter la formation aux technologies et à leurs pratiques, comme le portent, dans le secteur culturel, les actrices et acteurs des réseaux TMNlab et Hacnum entre autres.
Ces trois pistes d’articulation entre politique culturelle et numérique peuvent permettre aux lieux culturels de transformer les stratégies de démocratisation culturelle en tenant compte des situations d’illectronisme, et faire coexister présentiel et distanciel pour traiter les problématiques de la dématérialisation des services culturels. Ces actions culturelles d’un nouveau genre, numériques, potentiellement collectives et contributives, vont chercher à renouveler les liens avec les jeunes usagers du pass, et accompagner ceux-ci, de même que les lieux, à devenir acteurs de la culture dans le « dernier kilomètre » des politiques publiques.
À lire aussi : Qui veut la peau du pass Culture ? de Claude Poissenot et L’influence du numérique sur les choix culturels des utilisateurs du pass Culture de Mandy Llamas.
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08.11.2024 à 11:35
Frédérique Cassegrain
L’art, la créativité et le design peuvent contribuer à transformer les milieux du soin et de la santé, au service du mieux-être des personnes en situation de vulnérabilité. C’est ce que défendent Marie Coirié et Antoinette Parrau, deux designeuses agissant au sein de l’hôpital pour rendre l’endroit plus hospitalier et améliorer le quotidien des personnes qui y sont accueillies ou qui y travaillent.
L’article Prendre soin de l’hôpital par l’art et le design est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.
Marie Coirié a cofondé en 2016 un espace d’expérimentation unique en son genre dans un hôpital public : le lab-ah, laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité, attaché au Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences. Antoinette Parrau est designeuse associée au Centre régional de lutte contre le cancer (CLCC) Eugène Marquis à Rennes, en jumelage avec l’Hôtel Pasteur. Elles nous racontent ce qui les anime et la manière dont elles travaillent.
Vous venez du monde du design et des beaux-arts, qu’est-ce qui vous a conduit à vouloir intervenir en milieu hospitalier ?
Marie Coirié – Je suis issue d’une formation initiale en design et j’avais envie de travailler sur les enjeux d’hospitalité. Mais je fuyais les milieux qui incluent cette notion dans la transaction (hôtels, restaurants, galeries commerciales…), et qui font appel à des designers. Je voulais m’investir dans des espaces où l’hospitalité ne va pas de soi parce qu’il y a d’autres urgences : soigner, prendre en charge, accéder à des droits… J’ai constaté qu’il n’y avait pas de designers dans ces lieux d’accueil inconditionnels, dont l’hôpital fait partie.
Antoinette Parrau – De mon côté, j’ai fait une école d’art, en section design. J’ai par ailleurs été confrontée très tôt à des expériences d’accompagnement de proches malades, dans un contexte de soins à domicile, ce qui m’a conduit à travailler sur la matière lumière, objet domestique et source de confort émotionnel. Puis j’ai été moi-même en soins oncologiques au Centre Eugène Marquis (Rennes). C’est donc par mon vécu expérientiel que j’ai développé mon métier dans le milieu hospitalier.
La commande est-elle venue directement de l’hôpital ? Quels sont vos liens professionnels avec cette institution ?
A. Parrau – Pour mon premier projet j’ai été sollicitée par le centre d’art contemporain 40mcube dans le cadre du dispositif « Culture et Santé » porté par la DRAC, l’Agence régionale de santé et la Ville de Rennes. Durant deux ans, j’ai travaillé auprès des patients et des personnels autour de la curiethérapie La curiethérapie est une technique particulière de radiothérapie qui consiste à installer des substances radioactives directement au contact de zones à traiter, à l’intérieur du corps.. J’ai ensuite été en lien avec l’Hôtel Pasteur, un tiers-lieu de la Ville de Rennes qui facilite l’émergence d’initiatives citoyennes et notamment artistiques. Un projet de jumelage appelé « Penser les lieux pour transformer le soin » a été mis en place entre Pasteur, le Centre Eugène Marquis et moi-même, en tant que designeuse associée.
M. Coirié – En ce qui me concerne le cadre est différent car le lab-ah est un laboratoire d’innovation intégré au sein de l’institution depuis huit ans, dans un contexte de fusion de trois hôpitaux publics spécialisés en psychiatrie et en neurosciences Saint-Anne, Maison Blanche et Perray-Vaucluse, fusionnés en 2019 dans le Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences (GHU).. Nous sommes rattachés à la direction générale et avons eu carte blanche pour travailler avec une approche design autour des cultures institutionnelles et des cultures soignantes.
Comment définissez-vous vos fonctions et rôles, qui sont plutôt atypiques au sein de ces structures de soins ?
A. Parrau – À la suite de ma première expérience au Centre Eugène Marquis, j’ai très vite compris que le designer pouvait constituer un « nouvel outil » pour le corps médical. Non pas au sens technique du terme, mais un outil humanisant qui recrée du lien sensible avec l’ensemble des usagers : patients, accompagnants et, évidemment, le corps soignant. Le designer en milieu hospitalier a aussi une place transversale permettant de faire des ponts entre les hiérarchies et les services.
M. Coirié – Effectivement, la position du lab-ah est de se situer entre le terrain (services et équipes de soins) et la stratégie (direction générale et comités de direction). Le but est de créer du lien avec eux et entre eux. Nous nous définissons comme un laboratoire d’expérimentations, partenaire des équipes de soins. Mais nous avons aussi un pied en dehors, en relation avec des organisations et des collègues qui ne viennent pas du secteur de la santé, ce qui nous préserve de l’« hospitalocentrisme » et de ses logiques institutionnelles parfois asphyxiantes.
Quelles sont les particularités de l’approche par le design ? Comment déployer cette démarche dans un établissement de santé ?
A. Parrau – Je dirais que les principes liés à la méthode en design sont l’immersion, la coconstruction, l’expérimentation, pour aboutir à une création. Et je pense que la première caractéristique réside dans la qualité de l’immersion : assurer une présence discrète, suivre les personnes dans leurs déplacements, comprendre leurs pratiques, relever les ressentis. Être en résidence avec les gens, patients et soignants, pour essayer de repérer les zones de manques et les endroits où il y aurait peut-être matière à intervenir.
M. Coirié – Nous avons les mêmes balises avec Antoinette, même si je pense qu’il faut être vigilant, dans un environnement aussi normatif que l’hôpital, à ne pas trop se focaliser sur des méthodologies toutes faites. Mais il est en effet fondamental de s’imprégner profondément du terrain, en empruntant aux pratiques des sciences humaines et sociales. C’est un postulat pour aider à révéler par la forme, matérielle ou immatérielle, les idées, les désirs et les aspirations des personnes.
A. Parrau – Cette étape initiale d’immersion permet de proposer ensuite des expérimentations frugales, ayant valeur de test. Pour vous donner un exemple, je passe dans tous les services du Centre Eugène Marquis avec un questionnaire de cinq minutes, pour discuter et collecter des témoignages, en prenant quelques photos pour apporter un regard plastique, puis j’utilise cette matière pour faire des tests. Par exemple, je pose un petit film à réseau de diffraction sur les vitres des fenêtres, qui provoque un arc-en-ciel lorsque le soleil arrive, dans une salle de traitement en chimiothérapie occupée par des personnes portant un casque réfrigéré… L’idée est de créer des petits espaces d’émerveillement passagers.
L’une des caractéristiques d’un hôpital psychiatrique ou d’un centre de cancérologie est aussi de travailler avec des personnes en grande vulnérabilité. Vous parliez de coconstruction, mais comment inclure les patients qui traversent des moments d’extrême fragilité, ou les soignants qui sont parfois en souffrance dans leur travail ?
M. Coirié – Plus les publics sont vulnérables, plus ils sont réceptifs à l’environnement qui les entoure et à la façon dont on se comporte avec eux. Nous menons des démarches participatives qui demandent beaucoup d’attention, de préparation et de temps, notamment dans la relation entre les usagers (patients ou soignants) et les experts du projet (architectes, designers…). Cela nécessite d’effectuer un travail sur sa propre posture. Il faut être attentif aux détails : la manière dont on aménage la place de chacun, les mots, les règles… Tout ce qui permet à des personnes très éloignées de ce type de démarche de se sentir à leur place. Et la question du feedback est essentielle, pour que les gens qui ont contribué s’estiment considérés, mais aussi pour que le projet évolue.
A. Parrau – Il est très important de prendre soin de celles et ceux qui font le quotidien de cet environnement. Un centre d’oncologie est très fermé, donc il faut créer des liens de confiance et adopter une posture discrète pour assurer le respect des informations confidentielles tout comme celui de la dignité et l’intimité des patients. Du côté des soignants, dont les journées sont chronométrées, le temps qu’ils nous accordent est très précieux. Je pense, comme le dit Marie, qu’il est indispensable – et peut-être plus qu’ailleurs – de leur faire les retours des ateliers coproduits ensemble, de marquer une réciprocité. Et si les soignants se sentent évoluer dans un endroit plus humanisant, cela apporte par incidence un mieux-être aux patients. Le travail que nous menons actuellement avec l’Hôtel Pasteur tend aussi vers une dynamique d’accueil hospitalier dans la ville, en permettant de faire des ponts entre l’hôpital et le domicile pour les patients et les soignants.
Comment vous situez-vous par rapport à des projets plus « classiques » d’interventions artistiques à l’hôpital centrés sur la présentation et la réception d’une œuvre ?
A. Parrau – Pour ma part, je me sens vraiment agir dans un cadre de politique culturelle pour la santé. Une approche par le design est un projet culturel. La différence réside sans doute dans l’aspect idéalement pérenne : on pense les choses pour qu’elles restent, qu’elles deviennent usages, plutôt que reconductibles. Aujourd’hui, grâce à notre jumelage entre Pasteur et Eugène Marquis, nous réfléchissons au développement d’un espace commun, un pop up care, dans lequel on pourrait prendre soin, siester, se poser, discuter… un mobilier en micro architecture assez flexible et adaptable pour chacun des lieux, qu’il soit du soin ou de la ville.
M. Coirié – Comme nous l’avons déjà évoqué, je n’arrive pas à penser la production d’une œuvre sans un travail en amont avec les personnes. Dans le cadre de projets artistiques éphémères, il peut se révéler plein de choses, parce qu’on est extérieur, on porte un regard neuf, on se sent autorisé à « mettre les pieds dans le plat »… Mais j’identifie aussi un phénomène de « lendemain de fête ». Une fois que l’œuvre est reçue, que l’artiste est parti, quid de la pérennité, l’appropriation, la durée ? Qui plus est, si l’intervention artistique a redonné de l’espoir, du ravissement, ça vaut la peine de penser l’après dans ce type de démarche, sinon cela peut être déceptif, voire douloureux dans ces milieux fragiles.
A. Parrau – Il y a aussi, dans nos façons de faire, la volonté de fournir des outils pour donner du pouvoir aux personnes sur elles-mêmes ou sur leur environnement, davantage que dans des logiques de médiation artistique où l’on explique ce qui est proposé. À travers des objets plus ou moins interactifs, l’usager a la possibilité de prendre part à son soin, à son espace, de faire des choix pour lui-même.
M. Coirié – Je partage complètement cette approche. Je pense que lorsque l’objet est beau, doux, attirant, il est le déclencheur de quelque chose, mais il n’est pas central : c’est un prétexte à la relation à soi, à l’autre, et avec l’environnement. Alain Findeli Théoricien du design franco-canadien, professeur honoraire à l’Université de Montréal et professeur émérite à l’université de Nîmes. parle ainsi de « l’éclipse de l’objet » dans les nouvelles pratiques de design, qui déplace aussi la figure du créateur, du concepteur.
Antoinette, pourriez-vous illustrer votre démarche en évoquant votre travail autour du bien-être des patients, à travers l’expérience sensorielle ?
A. Parrau – Oui je peux parler de Ressources, un projet assez ambitieux en chambres de curiethérapie. C’était l’endroit, aux dires des soignants, le plus « déshumanisant » du Centre Eugène Marquis, car c’est une zone radioactive contrôlée.
Je suis partie de ma propre expérience de cure, du ressenti d’autres patients que j’ai interrogés, et du vécu des soignants qui se sentent dans l’incapacité d’accompagner pleinement les patients dans cet espace. Ma démarche était d’apporter de la distraction et de la magie avec une série de dispositifs interactifs. J’ai créé des lumières inspirées de phénomènes naturels sur lesquelles les patients peuvent agir. Nous avons mis en place une boîte avec six objets qui permettent des temps de soins de support Ensemble de soins et de soutiens permettant aux personnes de gérer au mieux les conséquences de la maladie et des traitements, sur les plans physique, psychologique et social., de type yoga, sophrologie, pleine conscience, avec un petit livret et des vidéos tuto. Nous avons aussi produit des objets bijoux, des objets poétiques et ludiques, un jeu vidéo low tech pour les adolescents… Il y a toujours une relation intuitive aux choses que je crée : proposer du possible et laisser le choix. Tout passe par le potentiel esthétique de ce qui est présenté. Ces dispositifs peuvent faire rentrer le patient dans un geste créatif ou dans une forme de concentration, de méditation.
Marie, vous travaillez beaucoup sur le sujet de l’accueil et de l’hospitalité mais aussi des liens avec l’extérieur de l’hôpital, des ponts avec la ville…
M. Coirié – Oui et pour l’illustrer je peux évoquer un projet récent baptisé Autour du livre qui est le fruit d’un partenariat entre le service des bibliothèques et de la lecture de la Ville de Paris et le Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences (GHU). En travaillant sur les espaces d’attente de l’hôpital, nous avons d’abord observé que la présence des livres dans les services était assez dégradée, au profit des télés avec des chaînes d’information en continu, ou des usages solitaires avec les smartphones. Cela peut provoquer de l’isolement ou de la pollution sonore et ajouter de l’agressivité à un climat qui n’est pas toujours très serein. Nous avons ensuite interrogé les patients qui se disent beaucoup trop fatigués pour la lecture, en revanche ils seraient sensibles aux images (livres de voyages, BD) ou à la possibilité de lire dans leur langue maternelle. Dans ces moments tragiques de l’existence, nous avons la conviction que le livre peut être un vrai compagnon et avons proposé de les réintroduire à l’hôpital, de manière qualitative.
Pour cela nous nous sommes rapprochées du Bureau des bibliothèques et de la lecture de la Mairie de Paris qui a mis à notre disposition de nombreux ouvrages dans toutes les langues, stockés dans leur réserve centrale. Nous avons ensuite dessiné et fait construire des lutrins, pour les présenter, comme en librairie, dans chaque service, afin de rallumer la flamme, le désir du livre.
Cela vous a-t-il permis de construire des échanges plus poussés entre la structure hospitalière et cette institution culturelle ?
M. Coirié – Tout à fait. En dialoguant avec les services culturels, on s’est rendu compte qu’ils ont du mal à animer leur politique d’accès inconditionnel, et notamment en direction de ce que certains appellent du doux nom de « publics empêchés ». Nous avons donc signé une convention de partenariat pour construire ensemble une médiation culturelle de territoire, avec notamment des formations croisées, soignants/bibliothécaires. En bibliothèque, ils ont expérimenté la constitution d’un fonds de livres adaptés, plus inclusifs, ou ont amélioré leur signalétique, notamment dans l’espace petite enfance, parce qu’en pédopsychiatrie, il y a beaucoup de langage visuel.
Du côté du patient, cela permet aussi de préparer le retour à la cité. Quand on est hospitalisé en psychiatrie, quoi de mieux que d’aller fréquenter un lieu de culture ouvert, bien aménagé, et dans lequel il y a une diversité de services gratuits…?
Et à l’hôpital, quand les livres se volatilisent, on est très contents, parce que ça veut dire qu’ils poursuivent leur chemin ailleurs !
Est-ce que cette approche du design dans le champ du soin, de la santé, du social est aujourd’hui enseignée dans les écoles des beaux-arts ou de design ? Les étudiants y sont-ils réceptifs ?
A. Parrau – J’observe qu’il y a une véritable volonté de faire autrement chez les élèves en école d’art, non pas pour répondre à de nouveaux codes sociaux, mais pour faire société. Travailler sur le climat de soin, être à l’écoute, utiliser des matériaux d’éco-conception… Je sens une évolution. Avant, la question du soin n’avait pas autant de place dans les écoles. Aujourd’hui je vois des étudiants et étudiantes s’approprier ces questions dans l’espace domestique, en milieu hospitalier et jusque dans la ville. Développer un climat de soin de l’hôpital à la cité fait partie des utopies que je veux aider à porter, pour un futur désirable.
M. Coirié – Je crois aussi qu’un mouvement est en cours. Nous recevons de plus en plus d’étudiants – principalement des filles – réceptifs, politisés et débrouillards. Autre signe : on compte aujourd’hui une dizaine de designers embauchés dans des hôpitaux en France, et il y a des postes qui se créent. Cela dit ce n’est cependant pas facile d’arriver dans une grosse machine comme l’hôpital. Le designer y est aussi vulnérable. Je pense que les écoles peuvent encore faire un pas de plus à cet endroit pour aider les élèves à s’y préparer.
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