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11.12.2025 à 16:36

Appel aux ministres de la Justice et de l'Intérieur : respectez la liberté de la presse, renforcez le secret des sources

Texte intégral (1241 mots)

Un appel lancé par 132 médias, sociétés de journalistes, syndicats et organisations, dont Acrimed.

Il y a près d'un an, 110 médias et organisations interpellaient le gouvernement pour réclamer une réforme de la loi de 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. Les contours flous de ce texte et l'absence de véritables garde-fous ont facilité des atteintes à la liberté de la presse depuis 15 ans. Pour rappel, au moins 27 journalistes ont été convoqué·es ou placé·es en garde à vue par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), selon un décompte réalisé par le journal Télérama.

Depuis notre courrier, les intimidations contre la presse n'ont pas cessé : elles ont franchi un cran supplémentaire. Alors que l'État français a été condamné en 2023 pour l'arrestation illégale d'un journaliste couvrant une action écologiste, la police a de nouveau reçu l'ordre d'interpeller et placer en garde à vue, le 1er juillet, le journaliste Enzo Rabouy, quinze jours après qu'il a couvert une action militante en marge du Salon du Bourget.

Le parquet général poursuit également son acharnement contre Ariane Lavrilleux, la journaliste de Disclose et membre du groupe de travail sur le secret des sources à l'origine de cet appel. L'AFP nous apprend que le parquet général de la cour d'appel de Paris a fait appel de la décision de non-lieu rendue par la juge d'instruction. Alors que la justice a reconnu l'intérêt public des révélations de Disclose sur l'opération militaire secrète de la France au profit de la dictature égyptienne, la journaliste pourrait être renvoyée devant un tribunal, plus de deux ans après avoir subi une garde à vue, une perquisition et des mesures disproportionnées de surveillance.

Une autre procédure judiciaire vise le journaliste Philippe Miller, à la suite d'une plainte pour vol de données déposée par un cabinet d'avocat dont le journaliste avait relaté les pratiques douteuses. Pour contester la saisie de son ordinateur et matériel professionnel, Philippe Miller a tenté d'opposer le secret des sources. Mais la juge des libertés et de la détention a validé l'atteinte au secret des sources, en considérant que la simple existence d'une enquête pénale relevait bien d'un « impératif prépondérant d'intérêt public ». Si n'importe quelle enquête pénale permet de lever le secret des sources, ce dernier n'existe plus.

Enfin, les vidéos policières révélées par Libération et Mediapart démontrent que les forces de l'ordre déployées à Sainte-Soline ont multiplié les tirs illégaux et ont visé, en toute connaissance de cause, des journalistes qualifiés de « pue-la-pisse ». Lors des manifestations du 10 septembre, Reporters sans frontières a recensé sept cas de journalistes entravés physiquement, dont certains blessés par des éclats de grenade. Le 17 novembre, plusieurs journalistes de Reporterre, Blast et Libération ont été violentés par les forces de police et gazés à bout portant alors qu'ils couvraient une action de désobéissance civile menée par plusieurs ONG sur le site normand du géant de l'agrochimie BASF.

Ces attaques inacceptables dans un État de droit sont le résultat d'une année d'immobilisme du gouvernement. Qu'est devenue la promesse de Rachida Dati, lors des États généraux de l'information, d'un projet de loi qui garantit le droit à l'information ? Ce projet est pour l'heure gardé secret.

Le groupe de travail avait été reçu en février par le cabinet du premier ministre, puis au début de l'été par le ministère de la justice, afin d'e discuter d'échanger sur ses propositions et de remettre une note d'analyse détaillée sur leur application concrète. Pour rappel, nous voulons :

  • Mieux encadrer les conditions de la levée du secret des sources, qui est aujourd'hui possible dans le cas, mal défini, d'un « impératif prépondérant d'intérêt public »
  • Exiger une autorisation par un·e juge indépendant·e avant toute levée du secret des sources
  • Étendre le secret des sources aux collaborateur·ices de médias, réalisateur·ices et auteur·ices de livres ou documentaires
  • Permettre à tou·tes les journalistes de se défendre face à une violation du secret de leurs sources, en créant une voie de recours
  • Renforcer les voies de recours et sanctions en cas de violation du secret des sources

La protection des sources n'est pas une coquetterie corporatiste. Elle est « la pierre angulaire de la liberté de la presse », la condition indispensable d'un droit effectif à l'information de toute la population. Il est donc urgent que le projet de loi donne lieu à un débat public, ouvert et parlementaire le plus rapidement possible.

Par cet appel auquel se joignent 132 médias, sociétés de journalistes, syndicats et organisations, nous réclamons également aux ministres de la justice et de l'intérieur qu'ils formulent, dès à présent, des instructions écrites aux fonctionnaires afin de faire respecter la liberté de la presse telle qu'encadrée par la loi de 1881, ainsi que par la jurisprudence des tribunaux français et celle de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Le groupe de travail sur la protection des sources à l'origine de cet appel du 11 décembre 2025 : Disclose, Sherpa, Fonds pour une presse libre, Reporters sans frontières, Association de la presse judiciaire, SNJ et CFDT-Journalistes.

Retrouvez la liste détaillée des 132 signataires de l'appel ici.

10.12.2025 à 10:57

Immigration et école : les relais médiatiques d'un think tank d'extrême droite

Vincent Bollenot

Un agenda médiatique, ça se travaille.

- L'école, les enseignants / ,
Texte intégral (2603 mots)

Un agenda médiatique, ça se travaille, encore et toujours. Ou comment des médias généralistes se font le relais d'officines d'extrême droite.

En novembre, le très droitier Observatoire de l'immigration et de la démographie (OID) a publié une note sur « l'impact de l'immigration sur le système éducatif ». Toujours friands de dites « révélations choc » à peu de frais, plusieurs médias ont béatement suivi l'agenda de l'officine soutenue par Pierre-Édouard Stérin.

Tabou partout…

Marianne ouvre le ban le 27 novembre et annonce la couleur en couverture. Posant une question toute en nuance – « L'immigration est-elle responsable des maux de l'école ? » –, le bandeau de l'hebdo fait dans le sensationnalisme : le « débat » est « exclusif » et fondé sur une « note » visiblement sulfureuse. La manière d'aguicher le lecteur est bien rodée : sous prétexte de simplement poser une question, il s'agit non seulement de décréter « ce qui fait débat » de manière performative et d'en légitimer les termes très discutables, mais aussi… d'en suggérer la réponse.

L'article est fidèle au teaser : Marianne « dévoile en exclusivité le contenu » de la note pourtant rendue publique le même jour sur le site de l'OID, si bien qu'on se demande de quelle « exclusivité » et de quelle « révélation » il s'agit. Mais l'important est de « choquer » :

L'article entretient le registre faussement subversif (mais vraiment complotiste) : « Rares sont les acteurs de l'Éducation nationale qui acceptent de parler ouvertement de cet enjeu. Les effets de l'immigration sur l'enseignement sont souvent tus, tant cela vient bousculer les représentations communément admises. » Qu'importe qu'il existe des dizaines de travaux universitaires sur le sujet [1] ; qu'importent les mobilisations syndicales pour l'accueil des jeunes exilés dans de meilleures conditions ; qu'importe l'investissement des professeurs, les rapports entre immigration et éducation nationale seraient « tabous ».

Le ton est du même acabit au sein du groupe Bolloré. Au JDD, la rédaction titre « Chute du français, redoublement... Un rapport choc révèle les conséquences de l'immigration sur l'école » avant d'évoquer « une note choc » qui « lève le voile sur un tabou français ». Europe 1 renchérit le lendemain : « Le rapport choc de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie : une école incapable de faire face à l'immigration massive ». Même musique, évidemment, dans Valeurs Actuelles, qui annonce une « note explosive » qui « brise le tabou » :

… info nulle part

Dans aucun de ces médias n'est faite la moindre contextualisation critique des conditions de production de ladite note. Non plus au Figaro, qui accorde au contraire une tribune à son auteur « briseur de tabou ». Les méthodes et la couleur politique de l'OID ont pourtant été largement documentées par Arrêt sur images, Charlie Hebdo, Le Monde et Libération. Il s'agit en effet d'un think tank crée en 2020 sans le moindre ancrage académique [2], mais financé par le fonds Périclès de Pierre-Édouard Stérin et sous bonne garde (brune), si l'on en juge la composition du « comité scientifique » [3]. Le but n'a donc rien de mystérieux : propager les idées de l'extrême droite.

Quant à l'auteur de la note, Joachim Le Floch-Imad, il est généreusement présenté comme « enseignant et essayiste » (Valeurs Actuelles), « spécialiste » (Europe 1) ou « auteur de Main basse sur l'Éducation nationale » (Le Figaro), un ouvrage qui lui confère visiblement sa « légitimité », paru en août 2025 aux éditions du Cerf. Dirigée par Jean-François Colosimo, cette maison d'édition religieuse a notamment publié les essais de nombreuses « personnalités » estampillées « vu à la télé » et/ou émargeant dans la presse réactionnaire, parmi lesquelles Eugénie Bastié, Mathieu Bock-Côté, Élisabeth Lévy, Alexandre Devecchio, Michel Maffesoli, Dominique Reynié, Charles Sapin, Paul Melun, Arthur Chevallier, Benjamin Morel, Arnaud Benedetti, Mohamed Sifaoui, Jérôme Sainte-Marie, etc. Bref, une maison qui a ses entrées médiatiques.

Joachim Le Floch-Imad fait par ailleurs la promotion de son livre dans un entretien avec Alexandre Devecchio dans le Figaro Magazine, mais aussi dans le JDD et, inévitablement, dans Marianne. Efficaces connivences entre éditorialistes, éditeurs et intellectuels de plateaux qui grenouillent tous dans la même vase médiatique.

Inonder les réseaux sociaux

Cette concordance des discours médiatiques à propos de la note de l'OID s'observe en particulier dans la publicité que ces différents médias font de leurs articles sur les réseaux sociaux. Destinés à attirer les clics, les posts des différents titres carburent non seulement à l'achat de visibilité mais aussi à des visuels racoleurs. Ainsi chez Marianne

… Au Figaro

Ou dans Valeurs Actuelles, qui réalise même une capsule vidéo à cette occasion :

Pour s'en tenir au seul réseau social Facebook, l'unanimité est notable sur la forme, servant sur le fond la campagne de communication de l'OID.

Une scénarisation bien rodée

Force est en effet de constater que la médiatisation de cette « note » accompagne le « narratif » du rapport lui-même. À savoir : 1/ légitimer un diagnostic négatif sur l'école française ; 2/ désigner un responsable identifiable et extérieur, l'immigration ; et 3/ préparer si ce n'est déjà promouvoir un programme politique : « réduction significative des flux migratoires » (p. 34), « mission d'assimilation » (p. 36), et autre « tolérance zéro » (p. 37).

Toutes ces propositions sont par exemple reprises intégralement dans Valeurs actuelles et implicitement normalisées ailleurs. Les articles faisant la publicité du rapport en reprennent aussi les éléments-clés copiés quasiment mot à mot : les données chiffrées notamment, et les sources consultées par l'auteur du rapport (Insee, classement Pisa), mentionnées en guise de garantie scientifique… ou pour faire effet d'autorité. L'utilisation des statistiques publiques par l'OID a déjà été rigoureusement critiquée par le démographe Patrick Simon, mais on ne trouvera dans cette presse d'accompagnement aucune interrogation méthodologique, aucune comparaison avec d'autres travaux de recherche, ni aucune contextualisation de la production et de l'utilisation des données mobilisées.

Enfin, les articles jouent sur le même registre émotionnel que le rapport : susciter la peur, la suspicion et la colère. « Effondrement éducatif » (Valeurs actuelles, Le Figaro) ; « conséquences délétères » (JDD) ; « pression islamiste » (Valeurs Actuelles) ; « Islam radical » (Europe 1).

Où sont les contre-discours ?

Alors qu'ils se présentent volontiers en pourfendeurs de « la pensée unique » et en défenseurs du « pluralisme », aucun de ces médias n'invite de véritable spécialiste pour faire entendre un son de cloche différent. À l'exception de la rubrique « Contrepoints » de Marianne, qui interroge à ce propos Éric Charbonnier, statisticien à l'OCDE pour l'établissement du classement Pisa. Les questions, posées par Marie-Estelle Pech, spécialiste « éducation » de Marianne, sont à ce titre éloquentes :

- L'immigration (de plus faible niveau social en France que la moyenne dans les pays de l'OCDE) peut-elle expliquer, au moins en partie, la baisse des résultats scolaires que l'on constate dans la dernière édition de Pisa, en 2023 ?

- Vous écrivez que les élèves issus de l'immigration ont tout de même deux fois plus de chances que les autochtones de se retrouver parmi les moins performants...

- Comment expliquez-vous, dans ce cas, cette baisse de niveau qui s'accentue ?

- La politique de la ville en France est pourtant censée permettre de concentrer davantage de moyens sur les élèves défavorisés, souvent immigrés.

- L'arrivée d'élèves immigrés qui n'arrivent pas à rattraper leurs camarades est le premier facteur expliquant la baisse de niveau, assurait le ministre de l'Éducation nationale suédoise en 2016. Qu'en pensez-vous ?

Face à de telles questions (et au format imparti), impossible de sortir du cadrage que la journaliste partage avec l'auteur de la note : l'immigration est LE problème de l'Éducation nationale.

***

Chaque semaine voit ainsi son lot de « polémiques » xénophobes et/ou islamophobes polariser le débat public, régulièrement propulsées par des think tanks réactionnaires, favorisées par des maisons d'édition reconverties en antichambres des plateaux télé et diffusées à grande échelle par des médias jouant les caisses de résonance. Une co-construction manifeste de l'agenda médiatique, en partie soutenue par des milliardaires engagés dans le « combat civilisationnel » : ainsi va l'extrême droitisation (et la ruine) du débat public.

Vincent Bollenot


[1] À commencer par Abdelmalek Sayad, L'École et les Enfants de l'immigration, Seuil, 2014. Voir aussi « École & socialisations », Hommes & Migrations, n° 1339, vol. 4, 2022 ; ou encore « Ruptures 2 : École et migrations : L'école de la République est-elle accueillante ? », Administration & Éducation, n° 166, vol. 2, 2020.

[2] Comme le rapporte Le Monde (29/10), « si l'OID se prévaut d'un "conseil scientifique", un seul de ses membres, Gérard-François Dumont, est docteur en sciences économiques et a dirigé des thèses. Il est par ailleurs connu pour présider la revue nataliste Population et Avenir et avoir contribué à l'étude qui fit la une du Figaro Magazine, en 1985, sous le titre "Serons-nous encore français dans 30 ans ?", accompagné de l'image d'une Marianne voilée. »

[3] On trouve notamment Xavier Driencourt, président du comité stratégique de Livre Noir (devenu Frontières), l'ancien préfet Michel Aubouin, l'inénarrable Thibault de Montbrial, et « l'ex-directeur général de la sécurité extérieure, Pierre Brochand, à qui l'on prête d'avoir conseillé Éric Zemmour pour peaufiner son programme de la présidentielle en 2022 » (Le Monde, 29/10).

09.12.2025 à 10:23

Entre-soi et connivence : Sarkozy remercie ses soutiens médiatiques

Jérémie Younes

« Franz-Olivier Giesbert fut un défenseur acharné, intelligent et pertinent. »

- Journalistes et politiques /
Texte intégral (1979 mots)

Dans le petit monde politico-médiatique, il est une pratique que nul n'ignore : le renvoi d'ascenseur. Dans son livre commis au cours de sa brève détention, Nicolas Sarkozy salue ses plus fidèles soutiens médiatiques.

Au cours de ses trois semaines d'incarcération pour « association de malfaiteurs », Nicolas Sarkozy a eu le temps d'écrire un livre, Le journal d'un prisonnier, généreusement édité par la maison Fayard (groupe Bolloré). Dans ce touchant cahier de prison, Nicolas Sarkozy adresse ses remerciements pour services rendus à plusieurs éditocrates qui l'ont soutenu dans cette épreuve. Florilège :

Page 75, Jean-Michel Aphatie :

Je fus à l'inverse surpris du courage et de l'intelligence de deux personnalités pourtant peu réputées pour être de mes amis. Jean-Michel Aphatie prit ma défense au nom de ses principes et de ses convictions. […] Il réitéra ses prises de position à plusieurs reprises avec beaucoup de finesse et une réelle bravoure. De surcroît, il n'hésita pas à le faire en milieu hostile dans l'émission Quotidien. J'ai découvert en lui un homme de média doté d'une colonne vertébrale. J'ai beaucoup de désaccords avec lui mais cela ne m'a pas empêché d'admirer son courage.

On se souvient en effet comment, dans un long tweet grandiloquent (26/09), Jean-Michel Aphatie s'était porté au secours de l'ancien président : « Je ne comprends pas comment des juges ont pu rendre, au nom du peuple français, une décision aussi aberrante, inquiétante et finalement injuste. » Une prise de position que Jean-Michel Aphatie avait pu développer la veille dans « Quotidien » (« Une décision spectaculaire, violente et problématique », 25/09) et deux jours plus tard sur LCI, (« Je suis un peu bouleversé par cette décision de justice », 28/09), et qui lui avait valu, le temps de quelques jours, de devenir « la coqueluche » [1] (en réalité, la caution) de la presse de droite et d'extrême droite.

Confronté à cet extrait du livre de Nicolas Sarkozy sur LCI (7/12), Jean-Michel Aphatie n'apprécie qu'à moitié les éloges : « "J'ai découvert un homme qui a une colonne vertébrale" ! On se connaît depuis 20 ans ! "J'ai découvert"… Bon ben écoutez très bien monsieur, m'aviez-vous bien regardé jusque-là ? » Élégant, Aphatie retourne tout de même le compliment : « J'ai beaucoup aimé le livre, parce que je trouve que Nicolas Sarkozy trouve les mots pour décrire le dénuement de la prison, la tristesse de la prison… »

Page 76, Franz-Olivier Giesbert :

Franz-Olivier Giesbert fut un défenseur acharné, intelligent et pertinent.

« Acharné », FOG le fut effectivement. Comme dans son édito du Point du 24 septembre, dans lequel il s'alarmait que « le PNF s'acharne sur la droite et en particulier sur Nicolas Sarkozy », et voyait là un signe « du dévoiement de la justice et de la démocratie dans notre pays ». Ou dans un autre édito, publié dans le même journal deux jours plus tard : « Prison pour Nicolas Sarkozy : le spectre de la démocrature » (Le Point, 26/09). Ou bien encore dans ses nombreux passages télé et radio, sur Europe 1 (« Il deviendra un martyr », 26/09), RTL (« C'est une forme de régicide », 24/10), RMC (28/10), ou encore Radio Classique (« Une justice de république bananière », 27/11) [2]. « Acharné », donc, mais « intelligent et pertinent » ?

Page 78, Pascal Praud :

Je me souviens de ce dimanche si triste à la Santé où j'ai pu découvrir le billet de Pascal Praud dans le Journal du dimanche, « Je pense à lui ». Je l'ai lu comme la lettre d'un ami cher qui souffrait à ma place et imaginait ce qu'il en adviendrait s'il avait lui-même à affronter une telle épreuve.

Billet dans le JDD, éditos et débats sur CNews, échange avec les auditeurs sceptiques sur Europe 1… Pendant deux mois, Pascal Praud n'a pas lésiné pour s'attirer les faveurs du clan Sarkozy et a été l'un de ses plus zélés soutiens. Morceaux choisis : « La justice condamne qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut ! Il n'est pas nécessaire d'apporter des preuves, ne sous-estimez pas ce message qu'envoient les magistrats, et qui va bien au-delà du cas Nicolas Sarkozy. Tremblez, mesdames messieurs, personne n'est à l'abri ! » (CNews, 26/09) ; « C'est un ancien président de la République qui est traité comme un voyou de grand chemin » (Europe 1, 26/09) ; « Qui donc prendra la plume pour s'élever contre la décision des juges ? » (JDD, 26/10) ; « Vous vous rendez compte que vous mettez un président de la République dans ces conditions, avec les gens qui sont autour de lui… c'est infamant » (CNews, 28/10) ; « Il a fait 20 jours pour rien ! » (Europe 1, 10/11). Etc.

Page 78, Laurence Ferrari :

Les éditos courageux de Laurence Ferrari m'ont particulièrement touché.

En fait d'éditos « courageux », des prises de position enflammées en soutien du délinquant. Exemple avec son lancement de l'émission « Punchline » sur CNews le 25 septembre : « Ils ont 17 ans et 19 ans, ils ont agressé avec une extrême violence un policier à Tourcoing le 19 septembre dernier et ils ont été remis en liberté. Ils dorment tranquillement chez eux ce soir. Il s'appelle Jordy G., il était sous le coup de trois OQTF, il avait été condamné 11 fois par la justice, mais il était en liberté lorsqu'il a violé deux jeunes femmes. […] Je pourrais multiplier les exemples à l'infini. Il s'appelle Nicolas Sarkozy, il a été président de la République, il a été jugé dans le cadre d'une affaire de soupçon de financement illégal de sa campagne en 2007. Le tribunal n'a trouvé aucune preuve de délit, aucune trace d'enrichissement personnel, et pourtant, la décision a été prise par les magistrats de l'envoyer en prison pour 5 ans. »

Page 78, Alexis Brézet et Vincent Trémolet de Villers :

J'ai été très impressionné par la violente prise de position après ma condamnation du très calme Alexis Brézet, le directeur du Figaro : « J'ai honte de la France. » Fallait-il que le choc soit violent pour que cet homme sage et pondéré en arrive à ce point d'exaspération ? Je pourrais dire la même chose de Vincent Trémolet de Villers.

Sages et pondérés, les deux chefs du Figaro le sont rarement. Outranciers et caricaturaux, beaucoup plus souvent. Comme dans cet édito de Vincent Trémolet de Villers, tout à son lyrisme habituel (Le Figaro, 27/09) : « L'autorité judiciaire, en état d'ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Motif de condamnation ? "Association de malfaiteurs" ! Apparemment c'est ainsi que certains magistrats envisagent les politiques, encore plus s'ils sont de droite, et par principe s'ils s'appellent Nicolas Sarkozy. »

Alexis Brézet, lui aussi, a bien mérité son petit mot doux : « […] Un homme qui a une famille, et pas plus que lui elle n'a mérité cette humiliation. Un homme qui a réagi, je trouve, avec une incroyable dignité, un homme pour qui, je vous le dis ce matin, en dehors de toute considération politique, j'ai une amicale pensée. » (Europe 1, 26/09)

Page 79, Patrick Cohen :

J'ai eu beaucoup d'autres témoignages humains et donc touchants de journalistes que je connaissais à peine. Jusqu'au très militant Patrick Cohen qui adressa un message à Véronique Waché pour qu'elle me transmette ses pensées amicales au moment de mon incarcération. Il ne s'en est pas vanté publiquement, et a même par la suite fait plusieurs interventions peu amènes. Le courage a ses limites, mais j'ai apprécié son geste.

Les interventions « peu amènes » de Patrick Cohen ? La première, le 25 septembre dans « C à vous » (France 5), puis la deuxième le lendemain matin sur France Inter (26/09), sont, en réalité, beaucoup plus complaisantes que Nicolas Sarkozy ne le laisse entendre. Sur France 5, Patrick Cohen explique que « la démonstration du tribunal apparaitra forcément fragile à une partie de l'opinion », puis réitère de façon plus affirmative sur France Inter : « Compte tenu de l'énormité des accusations, de la qualité du principal condamné, de la radicalité du jugement, de la déflagration politique qui en résulte, il eut fallu une démonstration éclatante. Hélas, elle ne l'est pas. » Hélas également – si l'on en croit les écrits du détenu Sarkozy – les auditeurs et téléspectateurs n'avaient pas été avertis du fait que Patrick Cohen avait, en parallèle, transmis ses « pensées amicales » à Véronique Waché, la conseillère en communication de Nicolas Sarkozy.

***

Le métier d'éditorialiste n'est pas toujours une promenade de santé. Mais lorsque les chiens de garde font bien leur travail, ils obtiennent, en plus d'une position économique et sociale avantageuse, des récompenses symboliques gratifiantes. Ainsi, les plus fervents défenseurs de Sarkozy ont vu leur travail salué dans un livre inédit, celui d'un ancien président de la République incarcéré pour « association de malfaiteurs » (et déjà, auparavant, condamné pour « corruption »). Nombreux ont dû être les commentateurs zélés déçus de ne pas trouver leurs noms parmi les hommages, après tant d'efforts et de désinformation. Mais, si Nicolas Sarkozy devait remercier un à un tous les hauts-gradés médiatiques qui l'ont dûment servi, lui et son clan, il faudrait plus d'un livre...

Jérémie Younes


[1] Voir cet extrait de « Quotidien », issu de la chronique « 19h30 Médias » de Julien Bellver (29/09).

[2] Liste non exhaustive.

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